Notes
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[1]
Cet ouvrage est le premier d’une nouvelle collection récemment lancée par la maison d’édition Ashgate et intitulée New Perspectives on Ageing and Later Life. Deux autres titres ont été publiés à ce jour : Changing Worlds and the Ageing Subject (juillet 2004) et Older Widows and the Life Course (juillet 2005).
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[2]
Cette situation peut tenir au très faible niveau de la pension de base publique et au taux relativement bas de la couverture des femmes par les régimes de retraite d’entreprise, d’où une très forte incidence de la pauvreté dans la population âgée au Royaume-Uni, particulièrement pour les femmes. Voir Ginn J., “Gender and Social Protection Reforms”, in Sarfati H., Bonoli G.(eds), Labour Market and Social Protection Reforms in International Perspective : Parallel or Converging Tracks ?, Ashgate, 2002, et Ginn J., Gender, Pensions and the Lifecourse : How Pensions Need to Adapt to Changing Family Form, Policy Press, 2003.
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[### 1]
L’État providence, Puf, coll.« Que sais-je ?», n° 3249, Paris, 2000,128 p.
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[### 1]
De l’Institut de la Femme et de la direction générale de la Famille et des Mineurs du ministère des Affaires sociales.
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[2]
Des voix de femmes qui se sont fait entendre lors d’un projet de recherche de la direction générale de la Femme de la « communauté autonome » de Madrid.
Les retraites, quelle justice ? Alain HOUZIAUX (dir.), Patrick ARTUS, Jean-Christophe LE DUIGOU, Robert ROCHEFORT, Les Éditions de l’Atelier, Paris, 2005,117 p.
1Cet ouvrage trouve sa source non pas dans le cadre classique d’un colloque, mais dans une conférence organisée par le pasteur Alain Houziaux au temple de l’Église réformée de l’Étoile. La question posée aux intervenants était ainsi formulée : « Comment faire face de façon juste à ce basculement démographique qui voit le nombre des retraités augmenter pendant que celui des actifs diminue ?»
2« Heureux, vous les pauvres, le Royaume de Dieu est à vous. Heureux, vous qui avez faim maintenant, vous serez rassasiés. Mais malheur à vous les riches, car vous avez votre consolation. Malheur à vous qui êtes rassasiés maintenant car vous aurez faim. » En s’appuyant sur ce passage des Béatitudes (Luc 6, 20-26), le pasteur Houziaux met en pièce la logique contributive de notre système bismarckien. Ceux qui ont été favorisés durant leur vie professionnelle par un travail intéressant et bien rémunéré devraient moins recevoir pendant leur retraite que ceux qui ont été défavorisés. Les propositions d’Alain Houziaux ne vont pas jusqu’à cette révolution évangélique, mais conduisent cependant à un changement radical du système de retraite français. Un système juste consisterait à verser une retraite de base égale pour tous, à partir d’un certain âge, dont le financement serait assuré par un impôt portant sur l’ensemble des revenus ou par la CSG. La question n’est pas de travailler plus mais de mieux répartir les richesses. Ceux qui le souhaitent pourraient se constituer une retraite complémentaire par capitalisation. La référence à Beveridge est explicite. Et on remarquera que ce projet radical s’inscrit parfaitement dans les propositions de la Banque mondiale. Patrick Artus développe une analyse macroéconomique de longue période en économie ouverte qui le conduit à contredire les propos d’Alain Houziaux sur deux points : il faut travailler plus, il ne faut pas favoriser le financement des retraites par capitalisation. L’Europe continentale ne s’est pas suffisamment préparée au choc du vieillissement démographique en augmentant la quantité de travail fournie sur une vie d’activité pour compenser la baisse de production par habitant. De même, certains pays s’apprêtent à augmenter le poids de la capitalisation alors que le rendement de la capitalisation, celui des placements financiers, se réduit avec le vieillissement. Patrick Artus s’appuie sur quatre schémas particulièrement pédagogiques pour montrer comment l’augmentation du nombre de retraités conduit à une augmentation de l’épargne, à un supplément d’accumulation du capital et à une baisse des rendements du capital. Enfin, il dénonce la baisse de la générosité du système de retraite qui, mise en œuvre pour équilibrer les comptes publics, affecte surtout les moins favorisés et met en cause l’équité intragénérationnelle.
3Parmi les trois solutions susceptibles d’équilibrer les régimes de retraite – augmenter les ressources, baisser les pensions ou allonger la durée des cotisations –, Robert Rochefort, quant à lui, pense que la dernière est la plus équitable. Elle permet à la fois de ne pas surcharger les générations les plus jeunes et, en répartissant judicieusement l’allongement de la durée de vie entre travail et loisir, de maintenir voire d’allonger la durée de la retraite. Une telle solution implique, pour Robert Rochefort, un changement radical de l’attitude de la société française à l’égard du travail. À vouloir sans cesse réduire la place du travail, considéré comme une corvée, la France est tombée dans le piège de la productivité qui a chassé de l’emploi les moins productifs, les plus de 50 ans. La retraite enfin ne fonde pas à elle seule un pacte intergénérationnel : elle n’est qu’un élément de cette solidarité entre générations.
4Le taux de remplacement du dernier salaire par la première pension doit être, pour Jean-Christophe Le Duigou, au cœur du pacte intergénérationnel. Sur le long terme, il fonde la confiance des générations actives dans leur système de retraite futur. Pour équilibrer les régimes de retraite, les réformes successives de 1993 et de 2003 ont renforcé la logique d’assurance et de contributivité au détriment de celle de redistribution. Il faut retrouver le point d’équilibre entre ces deux fonctions pour parvenir à satisfaire les différentes exigences de l’équité. En ce qui concerne l’équilibre proprement dit des systèmes de retraite, l’intervenant estime d’abord qu’il est non seulement possible mais équitable d’augmenter la part de la richesse nationale consacrée au financement des retraites, et par conséquent de faire appel à des ressources supplémentaires. Il n’est pas opposé à l’allongement de la durée, non pas de cotisation, mais de l’activité professionnelle moyenne des salariés. Il faut effectivement augmenter le taux permanent d’activité de la population active, notamment en prenant en compte les temps de formation.
5Ce petit livre aborde les grandes interrogations relatives à l’avenir des retraites : leur fonction redistributive, l’arbitrage entre temps de travail et niveau de revenu pour assurer la viabilité financière des retraites futures, la confrontation entre la répartition et la capitalisation. Les contributeurs vont à l’essentiel sans technicité excessive et indiquent ainsi les lignes de force du débat sur les réformes des retraites dont celle de 2003 ne constitue qu’une étape.
6Par Jean-Marc DUPUIS, CREM, Université de Caen Basse-Normandie
Souvenirs de familles immigrées David LEPOUTRE (avec la collaboration d’Isabelle Cannoodt), Odile Jacob, Paris, 2005,378 p.
7À quoi sert de se souvenir des événements familiaux ? Comment la mémoire se construit-elle et se perpétue-t-elle ? Celle des immigrés des couches populaires fonctionne-t-elle comme celle des autres couches sociales et a-t-elle la même fonction ?
8À partir d’une action pédagogique dans un collège de La Courneuve en banlieue parisienne (un atelier d’écriture de l’histoire familiale, initié sept ans avant cette publication) et de nombreux entretiens avec les adolescents mais aussi avec leurs parents, cet ouvrage analyse les processus de transmission de la mémoire familiale.
9L’importance du travail sur la mémoire familiale accompli par ces adolescents d’origine immigrée (Maghreb, Asie du Sud-Est, Afrique noire, Haïti, Portugal, etc.) montre qu’ils ne se contentent pas d’être passifs, réceptifs à l’héritage de leurs ascendants, mais qu’ils produisent eux-mêmes de la mémoire. Mémoire des classes populaires, mémoire des lieux d’origine, mémoire résidentielle : la multiplicité des catégories mémorielles est abordée. La place et le rôle de l’enfant dans la perpétuation sociale et familiale de la lignée s’y révèlent prédominantes. Pourtant, une idée force est soulignée tout au long du livre : la plupart de ces enfants de 15 ans ignorent tout de la migration de leurs parents ou grands-parents, ces derniers n’ayant pas transmis ce moment de leur histoire.
10Les adolescents, qu’ils soient nés en France ou ailleurs, expriment avant tout leur attachement résidentiel aux grands ensembles de banlieue. Ils peuvent cependant, à l’occasion d’un voyage, lors des vacances, retrouver les lieux où la famille puise ses origines. Les souvenirs sont alors remaniés à ce contact, dans un sens positif ou négatif, rarement neutre.
11Héritage de la mémoire familiale et héritage des connaissances sur la mémoire familiale sont deux aspects qui se croisent, parfois sans se rencontrer. Les auteurs du livre ont demandé aux jeunes un important travail sur les images privées, essentiellement des photographies. Les photographies des membres de la famille, leur diffusion plus ou moins large, revêtent des significations différentes et correspondent à des usages contrastés. On relève tantôt une utilisation historique, soulignant les événements clés ou fondateurs de la famille (photos d’enfance des grands-parents ou arrière-grands-parents, photos de mariage, etc.), tantôt une utilisation plus strictement symbolique (le tableau de portraits des hommes de la famille, montage encadré et présent dans de nombreux salons de familles d’origine algérienne).
12Ces catégories ne renvoient pas seulement au passé familial, mais aussi à d’autres réalités appartenant au présent. La famille apparaît tout autant comme une machine à produire et à transmettre de la mémoire que comme une machine à produire de l’oubli. Ce peut être le cas des ruptures avec le lieu d’origine. Dans cet exemple, la relation avec les motifs de la migration est parfois très étroite, comme en témoignent cette adolescente dont la famille vietnamienne n’a gardé aucun contact avec le pays natal, ou ce jeune d’origine haïtienne qui découvre, une fois adulte, le pays de ses parents. Autre exemple évoqué de rupture, l’effacement d’une lignée généalogique au profit d’une autre, imputable à l’image et à la position sociale relative des deux lignées, ou à l’histoire matrimoniale de la famille. Ainsi, certains adolescents dont les parents ou les grands-parents ont divorcé effacent la lignée du parent absent (ou non gardien des enfants) jusqu’à l’occulter parfois totalement de leur travail de mémoire familiale. La mémoire opère quoi qu’il arrive une sélection « impitoyable » des images dans l’écriture du passé familial. En outre, les souvenirs familiaux se transforment comme les autres avec l’âge et avec le temps. Les événements du cycle de vie font varier les rapports intergénérationnels : avec les migrations, les décès, les séparations, les attitudes des jeunes vis-à-vis de leurs ascendants évoluent. En témoignent ces adolescents qui ont voulu renoncer à tout ou partie de leur contribution – surtout des images – après un événement familial de ce type.
13Quelle est finalement la nature de la transmission familiale ? Se trompe-t-on sur la notion de mémoire familiale ? C’est ce dont traite la dernière partie de l’ouvrage, celle qui apporte l’éclairage le plus intéressant à cette recherche. Car la mémoire familiale résulte d’un long processus de construction. Halbwachs a montré qu’elle s’établissait tout d’abord sur une base sociale. Souvenirs collectifs et souvenirs personnels se distinguent tout en s’articulant. Toujours selon Halbwachs, la mémoire individuelle constituerait la résultante des mémoires collectives des groupes auxquels l’individu a participé au cours de son existence. En appliquant cette théorie, David Lepoutre montre comment la mémoire résidentielle des adolescents s’est constituée à la croisée de la famille et du groupe des pairs habitant le même quartier. Ils mettent en quelque sorte sur un même plan plusieurs catégories de souvenirs : le passé familial, les amis, l’école, le quartier… Cette mémoire est donc en perpétuel mouvement.
14Construction dynamique du passé, la mémoire peut cependant trahir les individus par la perte ou la déformation des souvenirs. Pour autant, les souvenirs ne sont pas que de pures inventions. L’auteur cite à ce propos Anne Muxel qui parle de « fiction vraie ». Une dimension mythique s’exprime très fortement chez les adolescents : « mes ancêtres, ces héros », « la ville qui porte mon nom », « les rois du village », « une culture magique » … Ces exemples sont nombreux, sans doute amplifiés par le fait migratoire. Dans d’autres exemples, apparaît le phénomène contraire : les enfants de parents immigrés peuvent souhaiter que l’histoire familiale ne soit pas dite pour se fondre dans la masse, parce que l’expérience migratoire passée d’un membre de la famille s’accompagne dans leur cas d’une stigmatisation, d’une humiliation, de violences subies… Il ne s’agit pourtant pas de nier le passé comme l’a déjà souligné Nacira Guénif Souilamas. Mais la construction du passé est orientée par les préoccupations et les besoins du présent. Ainsi, il arrive qu’on explique la migration d’un grand-père par le chômage ou la misère, préoccupations actuelles. Or, même si dans les années cinquante, l’émigration n’est évidemment pas exempte de considérations économiques, on ne saurait l’expliquer par le chômage dans le pays d’origine.
15En définitive, il apparaît que la mémoire familiale n’est pas tant transmise par les parents qu’acquise par les enfants, dans le cadre de l’éducation et des interactions quotidiennes. Les modes de transmission, le rejet, l’oubli comme la valorisation, apparaissent étroitement liés à la nature du passé (ce qui n’exclut pas les déterminants culturels). En outre, les facteurs sociaux (position sociale, interactions) comme les facteurs externes (contextes politiques et économiques) ont également été mis en évidence. Mais, de la mémoire à proprement parler, il reste la certitude qu’elle s’acquiert au fil des relations, « sans volonté explicite de transmettre ». La connaissance qui apparaît de prime abord comme la plus évidente (les lieux, les images, la généalogie) ne parvient à restituer qu’une petite partie du passé familial, en en taisant parfois l’essentiel. Les auteurs concluent que la notion de « mémoire familiale » trouve peu d’écho dans les familles immigrées et populaires étudiées ici. Ils soulignent qu’on pourrait faire l’hypothèse que les classes moyennes ou bourgeoises entretiennent un intérêt supérieur pour ces questions de transmission de la mémoire familiale, mais cela reste en grande partie à démontrer. L’espace social de la mémoire n’est pas délimité.
16On peut regretter la précision parfois extrême de la méthode qui a tendance par endroit à noyer le propos de l’auteur. On aurait souhaité davantage de lien entre les apports théoriques et les histoires biographiques familiales (événements du cycle de vie, migration, etc.). Le résultat apparaît quelque peu « haché » (les très nombreuses notes d’enquête…). Peut-être aurait-il fallu, à partir de certains exemples, présenter les cas types de transmission, les formes de transmission (ou l’absence de transmission) de la mémoire familiale.
17Il reste que ce travail de recherche constitue un apport réel de connaissances qui contribue à expliquer en quoi l’enjeu de mémoire est aussi un enjeu politique et social. Rappelons simplement que la France, « pays d’immigration de longue date », vient seulement en 2005 de voir s’ouvrir un musée dédié à l’immigration.
18Par Rémi GALLOU, Cnav
Ageing and the Transition to Retirement – A Comparative Analysis of European Welfare States Tony MALTBY, Bert DE VROOM, Maria Luisa MIRABILE, Einar OVERBYE (dir.) Ashgate [1], 2004,295 p.
19Cet ouvrage vise à présenter un panorama de la situation des travailleurs âgés dans douze pays d’Europe sous deux angles : la sortie du marché de l’emploi et l’impact de la politique sociale dans ce domaine. Il s’intéresse ainsi à des préoccupations communes aux Européens : le coût croissant, pour les systèmes de protection sociale, des « passerelles » de l’emploi à la retraite et le risque de pénuries de main-d’œuvre en raison du vieillissement de la population et du retrait précoce des seniors de la vie active. Rédigé par des universitaires issus des différents pays étudiés et membres d’un groupe de travail sur le vieillissement et l’emploi, il s’inscrit dans un projet de recherche européen plus vaste, consacré à l’évolution des marchés du travail, des politiques sociales et de la citoyenneté (Changing Labour Markets, Welfare Policies and Citizenship). Ce projet a examiné les répercussions des systèmes et institutions de protection sociale sur le processus de marginalisation sociale et politique en Europe. D’une durée de cinq ans (1998-2003), il a comporté une analyse comparative et réuni douze pays : Norvège, Danemark, Finlande, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, France, Royaume-Uni, Hongrie, Slovénie, Italie et Espagne.
20Le principal intérêt de ce livre est de couvrir un large éventail de systèmes de protection sociale mettant en œuvre des politiques de l’emploi divergentes dans des pays dont la situation économique et la philosophie politique diffèrent également. Premièrement, on observe un contraste frappant entre les pays qui réglementent fortement la fin de la vie professionnelle, avec un État providence très développé, et ceux dans lesquels la sortie du marché du travail est laissée au marché. Deuxièmement, malgré le départ précoce des hommes dans la majeure partie de l’Europe, l’incidence de cette tendance n’est pas partout la même : elle est élevée en France, en Finlande et aux Pays-Bas, mais faible en Norvège, ainsi qu’en Suède et en Islande (pays qui ne font pas partie de la comparaison). Troisièmement, l’arrivée massive de la population féminine sur le marché de l’emploi accroît progressivement la proportion des femmes d’un certain âge dans la population active, ce qui peut compenser en partie la sortie précoce des hommes. Enfin, jusqu’alors, c’était surtout les ouvriers travaillant dans l’agriculture ou l’industrie qui prenaient tôt leur retraite. Cependant, avec la transition vers une économie de services, les futurs retraités proviendront essentiellement du secteur tertiaire ou des professions libérales, et les femmes seront de plus en plus nombreuses parmi eux.
21À des fins de comparaison, les auteurs des études nationales devaient répondre aux trois questions suivantes : comment l’évolution de la carrière et du cours de la vie agit-elle sur la relation entre vieillissement et travail ? Quelles sont les voies de sortie possibles et quelles mesures ont été prises pour différer le départ ou réintégrer les travailleurs âgés sur le marché du travail ? Que pensent les individus de la relation entre vieillissement et travail et de quelle manière les institutions influent-elles sur le cours de la vie ?
22La tendance au retrait précoce de la vie active suscite un vaste débat, du point de vue plus général de la citoyenneté, sur l’importance du travail et de la retraite dans une société. C’est pourquoi les auteurs des études nationales ont également cherché à décrire la situation empirique des travailleurs âgés en se penchant sur trois aspects distincts, mais corrélés, de la citoyenneté sociale : tout d’abord, les conditions d’emploi des seniors (leur « place sur le marché du travail » ), à savoir s’ils travaillent et dans quel cadre (temps partiel, temps plein ou statut d’indépendant), s’ils sont chômeurs ou sans emploi, et avec quelle couverture sociale, la qualité de l’emploi (accès à la formation et au perfectionnement des compétences, adéquation de l’environnement de travail ainsi que de l’organisation du travail) et l’existence ou l’absence d’éventuels stéréotypes négatifs ou d’une discrimination fondée sur l’âge. Ces facteurs déterminent la qualité de la citoyenneté sociale, ainsi que les perspectives de maintien ou de retour des travailleurs âgés dans la vie active. Cette analyse tient également compte de l’évolution des modalités des contrats qui ont des conséquences particulières pour les seniors. On peut notamment citer le démantèlement du principe de l’ancienneté pour les suppléments de salaire et l’avancement professionnel, ou les pressions exercées pour faire accepter aux travailleurs un poste moins bien rémunéré. Deuxième aspect, le niveau et le volume des programmes et prestations de transfert du régime public de protection sociale, des entreprises ou ceux résultant de la négociation collective. Certains de ces dispositifs excluent les travailleurs âgés, tandis que d’autres ciblent spécifiquement cette catégorie. Enfin, la « qualité de vie » des seniors, c’est-à-dire la question de savoir si et comment des structures institutionnelles différentes peuvent produire des résultats différents en terme de protection sociale des individus d’un pays à l’autre. Parmi les indicateurs figurent l’état de santé physique et mentale, le bien-être psychologique, le revenu et le patrimoine, la qualité du logement, le degré d’intégration sociale (mesuré par la disponibilité et la qualité du réseau social) et politique. En outre, les préférences des décideurs politiques et celles des travailleurs âgés divergent concernant le choix entre activité professionnelle et retraite. S’intéresser à ce dernier aspect, c’est aussi explorer la façon dont une sortie précoce du marché du travail influe sur le niveau de vie des individus qui dépend du genre, de l’appartenance ethnique et du statut professionnel antérieur.
23Les auteurs soulignent qu’avec l’évolution des relations intrafamiliales et le poids décroissant du modèle du soutien de famille masculin, la fin de carrière et la retraite devront être envisagées comme une décision conjointe des membres du ménage, impliquant deux sources de revenus plutôt qu’une seule. Un chapitre comparatif de l’ouvrage examine divers paramètres très importants pour la compréhension des politiques et des mécanismes institutionnels à l’œuvre dans différents pays. Il analyse des concepts tels que « la culture en fonction de l’âge », c’est-à-dire l’ensemble des normes, valeurs, idéaux et perceptions construits autour de la relation entre le travail et l’âge, au sein de la société, et qui expliquent les écarts nationaux en termes d’exclusion ou d’intégration des seniors dans l’emploi rémunéré. Les différences dans les concepts normatifs de vieillesse, de travail, de non-travail et de retraite débouchent sur des disparités entre les dispositifs institutionnels menant à une sortie précoce ou à une sortie tardive du marché du travail ou au maintien dans la vie active, voire au retour sur le marché du travail. Dans ce contexte, la constellation d’acteurs, en particulier les employeurs et les syndicats, et leur mode d’interaction (concurrence, hiérarchie, échange, négociation ou solidarité) exercent une grande influence sur les résultats des politiques publiques déployées dans ce domaine. Les auteurs mettent en avant les différences entre la France, la Belgique et les Pays-Bas. Ces deux derniers pays se distinguent par une mosaïque méso-corporatiste, dans laquelle employeurs et syndicats interagissent par consensus fondé sur l’intérêt collectif, en élaborant des programmes et mesures spécifiques pour la sortie ou l’entrée sur le marché du travail, via l’échange et la négociation, avec, en général, le soutien de l’État. Les Pays-Bas sont ainsi parvenus à inverser la tendance au départ précoce de la vie professionnelle. En France, en revanche, on observe une nette séparation entre employeurs, syndicats et pouvoirs publics. La sortie précoce y est considérée comme un droit. Cependant, notent les auteurs, entreprises et syndicats commencent depuis peu à discuter du thème du vieillissement et du travail.
24Les études nationales offrent une analyse détaillée et intéressante du large éventail de questions entourant la sortie précoce de la vie active, dans des contextes politiques et socio-économiques très divers. Ainsi, par exemple, contrairement à la présentation courante, relativement uniforme, du modèle de protection sociale scandinave, les auteurs soulignent le contraste des contextes socio-économiques en termes d’état du marché du travail (niveaux d’emploi et de chômage), de structure d’âge de la population, d’action publique et de priorités en Norvège, en Finlande et au Danemark. Ainsi, en Norvège, et, dans une moindre mesure, au Danemark, les politiques du marché de l’emploi visant à faire face au chômage et au vieillissement ne se concentrent pas sur le chômage des jeunes et ne comportent pas d’incitations à une sortie précoce de la vie active, destinée à libérer des emplois. C’est l’inverse en Finlande (ainsi qu’en France et en Italie), où l’accent est aussi mis sur la nécessité d’accroître les compétences des seniors, mais où le départ des moins instruits est encouragé, afin d’accélérer la restructuration industrielle et de promouvoir les technologies de l’information. En Finlande, la voie de sortie diffère d’une catégorie professionnelle à l’autre : parmi les hommes, les deux tiers des cols blancs partent avant l’âge ouvrant droit à une pension de retraite, contre la moitié des ouvriers qualifiés ou semi-qualifiés.
25Au Royaume-Uni, les régimes de retraite d’entreprise semblent tenir une place importante dans la sortie précoce du marché du travail, tout comme le niveau du revenu disponible. En effet, 45% des hommes qui ne bénéficient pas de ce type de pension prennent leur retraite avant 65 ans, contre 60% de ceux qui en ont une. Un tiers seulement des femmes, avec ou sans pension professionnelle, partent avant 60 ans et l’écart est nettement plus faible (33,4% contre 30,3%). Enfin, au début des années quatre-vingt-dix, le taux d’emploi des hommes âgés de 60 à 64 ans a reculé. Le phénomène inverse s’est produit pour les femmes, dont un tiers ont pris leur retraite après l’âge légal, contre 8% des hommes [2]. Autre constat intéressant : le rôle croissant du conjoint et de la famille dans le comportement vis-à-vis de la retraite, les deux époux décidant de prendre leur retraite en même temps (14%) ou à un an d’intervalle (20% des couples). Le départ à la retraite n’étant pas simultané dans la majorité des cas, les auteurs suggèrent d’étudier plus en détail dans quelle mesure le conjoint pèse sur la décision. Il faut également prendre en compte le bien-être psychologique ou le repli sur soi des travailleurs âgés. Les auteurs observent que ce phénomène apparaît longtemps avant le départ à la retraite et mérite donc une certaine attention. Il conviendrait par ailleurs de combler la pénurie de données sur le départ à la retraite des hommes et des femmes appartenant à des minorités ethniques. Enfin, tant dans le secteur privé que public, l’attitude négative des employeurs envers les seniors pose problème en ce qui concerne les politiques de recrutement, l’organisation du travail et l’accès à la formation. En examinant la littérature spécialisée, les auteurs ont découvert que le principal frein au recrutement de travailleurs âgés était le faible retour attendu de l’investissement dans leur formation. Viennent ensuite le manque de compétences et de qualifications appropriées, puis le coût très supérieur des pensions de retraite (en particulier lorsqu’un relèvement de 10% de la dernière rémunération se traduit par une hausse correspondante de la pension annuelle). Ainsi, au Royaume-Uni, malgré l’ampleur des efforts déployés par les pouvoirs publics pour mieux sensibiliser les entreprises et les travailleurs âgés, l’âgisme ne semble guère régresser.
26Plusieurs chapitres de l’ouvrage traitent du vieillissement en fonction du genre, et particulièrement de l’exposition accrue des femmes âgées à la pauvreté. Autre observation générale : le problème du vieillissement de la population active tend à se poser de plus en plus tôt dans le cours de la vie, parfois dès 45 ans. C’est le cas en France, en Italie, en Slovénie et en Espagne. Diverses voies de sortie mènent à l’inactivité et à la retraite, notamment le chômage, l’incapacité et l’invalidité, la retraite anticipée ou la retraite progressive. Les auteurs notent que de nombreuses mesures ont été adoptées par l’État pour inverser la tendance à une sortie précoce du marché du travail : relèvement de l’âge légal de la retraite, limitation des possibilités de retraite anticipée, introduction d’un âge flexible de départ à la retraite ou de solutions de retraite progressive. Dans certains cas, ces dispositifs ont permis d’enrayer ou d’inverser la tendance, par exemple aux Pays-Bas et en Finlande, mais n’ont en revanche guère eu d’impact dans d’autres pays, tels que l’Espagne, l’Italie, la Hongrie ou la Slovénie. Les attitudes et le comportement de tous les acteurs sont cruciaux. Il faut s’attacher à les modifier en valorisant davantage l’expérience et le savoir, ainsi que d’autres qualités des seniors (patience, bon contact avec les clients, plus grande fidélité à leur employeur et absentéisme moindre, connaissance poussée de la culture de l’entreprise, etc.). Il est essentiel de laisser aux individus la liberté de choix et de leur proposer différentes options. Néanmoins, les auteurs lancent une mise en garde : si certains pays anticipent (ou connaissent) déjà des pénuries de main-d’œuvre, d’autres, comme l’Italie, l’Espagne, la Slovénie et la Hongrie, restent confrontés à un excédent d’offre de main-d’œuvre et à un chômage élevé, surtout parmi les jeunes, les femmes et les travailleurs âgés. Il en découle la nécessité d’accroître le taux d’emploi global, parallèlement à celui des seniors. En conclusion, les auteurs soulignent que, pour inverser la tendance dans toute l’Europe, tant les pouvoirs publics que les partenaires sociaux devront s’engager et s’impliquer fortement dans la conception d’un ensemble cohérent de réformes de la protection sociale et du marché du travail. Ces réformes devront favoriser la réintégration des travailleurs âgés en alliant la flexibilité (dans le changement d’emploi ou la transition entre travail et inactivité) à la sécurité ( via la formation, contre l’obsolescence des qualifications, et via la couverture sociale, contre la perte de revenu). La Scandinavie et les Pays-Bas y sont parvenus.
27Par Hedva SARFATI, consultante de l’Association internationale de sécurité sociale (AISS) pour les réformes du marché du travail et de la protection sociale
État social. Une perspective internationale François-Xavier MERRIEN, Raphael PARCHET, Antoine KERNEN, Armand Colin, 2005, Paris, 441 p.
28La parution de l’ouvrage intitulé L’État social pourrait paraître paradoxale à l’heure où le devenir des États providence est plus que jamais incertain et où la légitimité des politiques sociales semble partout remise en cause. Que peut-on encore dire sur l’État providence dont la nature et le devenir préoccupent depuis plusieurs décennies économistes, sociologues et historiens ? L’un des auteurs, François-Xavier Merrien, est déjà connu du public pour son livre L’État providence [1], devenu le manuel incontournable pour ceux qui cherchent à mieux comprendre la naissance et le développement de l’État social en Europe. Quel est l’apport de ce nouvel ouvrage par rapport au précédent ?
29Tout s’en appuyant sur les analyses du premier, les auteurs mettent cette fois l’accent sur la problématique des États providence dans le contexte actuel de globalisation des économies et de ses effets sur les pays du monde entier.
30La principale vocation de cet ouvrage, comme celle du précédent, est de fournir aux lecteurs des instruments d’analyse théoriques et pratiques qui s’articulent selon trois axes : l’axe sociopolitique, qui relate les principales théories de l’État social; l’axe historique, remontant aux origines de l’État social pour en expliquer l’émergence et l’institutionnalisation; l’axe géopolitique, enfin, qui présente une analyse comparative de l’avenir des États sociaux en Occident mais aussi dans les pays en voie de développement. Ainsi, ce livre dense et ramassé offre un panorama complet des États providence tels qu’ils ont évolué depuis le siècle dernier jusqu’à nos jours.
31Dans une première partie, les auteurs soulignent les différences de définition des États sociaux européens – Welfare state, État providence, Sozialstaat – qui s’appuient sur les réalités historiques spécifiques. Les auteurs nous présentent ensuite le paysage de la sociologie politique et surtout la façon dont les théories explicatives de l’État social ont évolué au cours du XXe siècle. Ils décrivent le mouvement allant des analyses développementalistes vers les analyses typologiques contemporaines. La présentation des recherches obéit au regroupement selon la source de leur inspiration : fonctionnaliste, de l’action individuelle ou collective et institutionnaliste.
32La troisième partie porte sur les différents régimes d’État providence et sur l’abondance des typologies d’États sociaux, abondance qui s’explique par les différents points d’entrée choisis pour bâtir les classifications.
33Ces bases théoriques posées, les auteurs s’appuient sur la présentation des faits historiques pour décrire l’édification et l’institutionnalisation de l’État social. Leurs analyses mettent en évidence les différences entre les États sociaux et évoquent les motifs historiques concrets pour lesquelles certaines configurations d’États sociaux ont été privilégiées. Les États sociaux sont héritiers de leur histoire sociale, et les études détaillées de la naissance et du développement des systèmes de santé et de retraite illustrent que les trajectoires spécifiques empruntées par les États nationaux dans les modes de prise en charge des risques ne peuvent se comprendre que dans le contexte de leur développement historique.
34L’originalité de cet ouvrage repose sur le traitement de la question de l’effet de la globalisation sur les évolutions de l’État social dans le monde. La globalisation est comprise ici en termes de contraintes exercées par l’ordre économique sur les États providence mais aussi comme le processus par lequel les thèses (néo-libérales ?) concernant les politiques légitimes deviennent progressivement hégémoniques. Ainsi s’explique la réduction des programmes sociaux publics et le développement des stratégies de privatisation, de contractualisation et de ciblage dans les politiques sociales.
35Les auteurs montrent comment, depuis les grandes crises internationales, l’État social a commencé à éprouver des difficultés à répondre aux besoins accrus de protection. Cette situation, corrélée avec les changements idéologiques des paradigmes de la protection sociale, a conduit plusieurs pays à s’engager sur la voie de réformes souvent douloureuses. Fidèles à leur principe d’exhaustivité, les auteurs consacrent donc une partie importante de leurs travaux à la description par secteur des réformes sociales, notamment celles des retraites et de la santé, dans un contexte de remise en cause générale de la gestion publique de l’État social.
36Ceux qui s’intéressent plus particulièrement aux systèmes de pension trouveront un aperçu de leur émergence et de leur développement et une description synthétique des différents débats sur les réformes intervenues depuis le début des années quatre-vingt-dix. Il en ressort que trois facteurs principaux amènent les États à réviser leurs systèmes de retraite : les transformations de la pyramide des âges, les changements dans le rapport entre contributeurs et bénéficiaires et, enfin, l’évolution des salaires réels. En même temps, les auteurs nous rappellent que les difficultés des systèmes de pension résultent moins de mécanismes objectifs comme la démographie et le vieillissement progressif de la population, que de choix sociaux et économiques. Ainsi la nécessité de réformer se heurte souvent à l’extrême difficulté de modifier les arbitrages sociétaux. Les paramètres d’action sont facilement identifiables mais ils supposent des choix politiques difficiles, comme la diminution du montant des pensions ou le rallongement de la vie active.
37Les auteurs ne se limitent pas à présenter les mécanismes et les prémisses objectifs des réformes mais aussi les intérêts des acteurs et les fondements idéologiques de leurs choix. Ils ne manquent pas de noter l’influence des organisations internationales telles que la Banque mondiale, le BIT, l’AISS dans le débat sur les réformes. Tout en reconnaissant partiellement le diagnostic de la Banque mondiale, ils refusent de voir dans les propositions de passage à un système par capitalisation individualisé la seule alternative à la crise des systèmes de retraite.
38En dépit de la complexité du sujet, de l’abondance des informations et de l’approche universitaire qu’ont choisies les auteurs, l’ouvrage se lit très facilement, son intérêt résidant sans doute dans l’actualité des problèmes soulevés. En outre, le refus des auteurs de fournir des conclusions tranchées ou polémiques laisse au lecteur la liberté de se forger son propre avis en disposant d’un maximum d’informations. On aurait cependant souhaité qu’ils élargissent leur analyse à d’autres zones géographiques, tels les pays d’Afrique et du Proche-Orient, et que leur réflexion n’ait pas considéré d’autres dimensions constitutives de l’État social comme la protection chômage ou la protection du travail.
39Quoi qu’il en soit, cet ouvrage représente une synthèse remarquable des connaissances actuelles sur la problématique des États providence d’hier et d’aujourd’hui. Il ressort de ce panorama une relative convergence des politiques sociales dans le sens d’un resserrement des conditions d’accès et d’une plus grande place accordée au secteur privé. Cependant, le maintien de certaines divergences reflète le poids des héritages historiques et culturels qui continuent d’influer sur les décisions politiques de chaque pays.
40Par Elena MASHKOVA, Université Paris 5
Madres que trabajan. Dilemas y estrategias. Constanza TOBÍO, Universitat de Valencia, coll. « Feminismos », 2005,302 p.
41De nos jours, les mères travaillent. Dans cet ouvrage, Constanza Tobío traite de ce constat plus qu’elle ne s’interroge pour savoir si l’intégration des mères au monde du travail rémunéré relève de la nécessité ou du désir. Elle analyse cette situation nouvelle et changeante, ainsi que les stratégies à mettre en œuvre et les dilemmes à surmonter pour unir deux mondes jusqu’à présent antagonistes : celui de la maison et celui du travail, celui des femmes et celui des hommes.
42Prenant comme base de travail les documents de diverses recherches académiques [1], ainsi que les voix des mères madrilènes qui travaillent [2], l’auteur nous rapproche de cette réalité, pour en souligner les défis et les difficultés, et nous faire connaître les stratégies élaborées par ces femmes pour relever les premiers et surmonter les secondes. Ces défis, problèmes et stratégies, étrangers aux femmes des générations précédentes, sont inhérents à ce pari qui consiste à vouloir être mères et travailler en même temps, à vouloir être ce que les hommes ont toujours pu être : pères et travailleurs. Un pari qui suppose un effort considérable, ressenti tout aussi bien par les femmes, leurs fils, leurs filles et leurs familles.
43Nous traversons une période de transition. Non seulement cette nouvelle réalité génère un changement des rôles à l’intérieur des familles, mais en plus elle est en train de sortir de la sphère domestique, obligeant la société tout entière à changer. En Espagne, le contenu des nouvelles lois et des normes commence à refléter ces mutations sociales. On y a promulgué des lois sur le droit et le devoir de partager le travail domestique, sur les soins aux personnes âgées et aux personnes dépendantes. Progressivement, des textes ont été votés pour permettre la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle… Toutefois, en attendant qu’elles prennent tout leur effet, les femmes ont dû assumer une double activité, prendre des décisions et agir en conséquence.
44Le livre de Constanza Tobío est divisé en trois parties. Dans la première, l’auteur se demande et nous demande pourquoi les femmes travaillent. Elle analyse les changements intervenus tout au long de l’histoire, retraçant les différentes étapes de l’intégration des femmes au marché du travail. Un nombre toujours plus important d’entre elles occupent un emploi pour obtenir une sécurité économique, non pas dans le cadre d’une stratégie familiale mais individuelle. Une activité professionelle donne en effet confiance pour l’avenir, indépendamment de l’évolution de la relation conjugale. Parallèlement, la formation des femmes s’améliore, contribuant également à la recherche d’un emploi rémunéré.
45Mais, comme « tout ce qui brille n’est pas or », l’auteur décèle une contradiction importante et riche d’enseignements : beaucoup de femmes perçoivent leur travail comme la marque de leur autonomie. En effet, elles pourraient retourner chez elles si elles le voulaient, contrairement aux hommes ou aux mères célibataires pour lesquels le travail est toujours une obligation. Constanza Tobío se demande alors si ces attitudes ambivalentes ne servent pas d’argument à beaucoup d’hommes pour justifier qu’ils ne s’impliquent pas complètement dans les tâches ménagères.
46Quoi qu’il en soit, le jugement sur le travail rémunéré est généralement positif. La sécurité, l’autonomie, l’indépendance et la valorisation qu’il procure reviennent souvent dans le discours des mères espagnoles qui travaillent.
47Ainsi, elles rejettent majoritairement le modèle qui repose sur leur rôle exclusif de mère et de femme au foyer. L’idée que « servir les autres » est l’apanage des femmes est devenue obsolète. Les mères qui travaillent ne veulent pas arrêter et, bien que l’intensité de ce sentiment varie en fonction du type d’activité professionnelle, la majorité pense que dépendre du salaire du mari serait très frustrant.
48Les sociétés occidentales voient se transformer leurs structures familiales. En Espagne, il existe une claire conscience de ce changement et une grande tolérance vis-à-vis des formes de vie qui s’éloignent de la tradition. Mais en analysant la perception sociale de la famille et du travail, Constanza Tobío souligne une contradiction fondamentale entre ce qui est bon pour les femmes – le travail –, et ce qui est bon pour les enfants – que leurs mères s’occupent d’eux.
49Dans la deuxième partie de son livre, l’auteur étudie les contrastes entre l’ancien et le nouveau modèle de famille, ainsi qu’entre les anciens et les nouveaux rôles familiaux qui découlent de ces modèles. En Espagne, les mères qui travaillent appartiennent à la première génération qui s’est intégrée massivement au marché de l’emploi, même si certaines jeunes mères constituent sans doute déjà une deuxième génération. Les mères de ces femmes appartiennent presque toutes à la dernière des générations qui ont conçu le rôle féminin comme exclusivement dédié à la maison et aux enfants. Les mères d’aujourd’hui se trouvent dans un no man’s land, à un moment de transition qui comporte beaucoup de différences par rapport à ce que vécurent leurs propres mères et aussi par rapport à ce que connaîtront leurs filles.
50La contradiction entre le nouveau rôle des femmes sur le marché du travail et l’ancien s’édulcore dans beaucoup de cas grâce à l’aide que les grands-mères apportent à l’entretien et à l’éducation des petits-enfants. Cette solidarité entre générations s’impose d’ailleurs comme une nécessité compte tenu des insuffisances de la solidarité sociale à l’égard de ces enfants dont les deux parents travaillent.
51Cependant, ce rôle nouveau intègre encore pour une grande part et pour la majorité des femmes la responsabilité des tâches ménagères. Même quand elles les partagent avec leur partenaire, il leur incombe de les organiser. Les mères se chargent ainsi de la recherche des employées de maison, des rendez-vous chez le pédiatre, des relations avec l’école, etc. Et la femme semble irremplaçable dans le maintien de l’ordre domestique. Qu’elle ait ou non un emploi rémunéré, elle assume en général la responsabilité de l’entretien de la maison et du soin des enfants. Qui reprocherait au père que les enfants soient sales ou mal habillés ?
52Dans le monde du travail, on regarde différemment les rapports que les hommes et les femmes entretiennent avec la famille. Quand on ne considère pas que son absence ne revêt pas de signification particulière pour les hommes, on estime que son existence est un révélateur de leur implication et de leur sérieux professionnels. Pour les femmes, dans le meilleur des cas, on reconnaît leurs efforts dans le travail. Mais il arrive qu’on suspecte leur motivation, et qu’à l’annonce d’une grossesse, on leur refuse un poste, voire qu’on les licencie. C’est pour cela qu’elles font tout leur possible et même plus pour apparaître au travail aussi responsables que les hommes.
« Les femmes, et spécialement les mères, veulent montrer qu’elles “peuvent”. Plutôt que d’exiger ou de revendiquer, elles préfèrent “s’arranger”, “s’organiser” et s’efforcer de conserver leur emploi pour pouvoir continuer dans le monde du travail où certainement elles sont plus nécessaires que ce qu’elles croient » (p. 112).
54Les femmes manquent de temps pour mener de front leur activité professionnelle et leurs tâches domestiques : pas plus que la société, elles n’ont effectué les adaptations nécessaires à une rationalisation plus juste et équilibrée de ce double effort. Les mères qui travaillent se voient elles-mêmes comme des « super-héros » capables de faire face à l’impossible.
55Quelles stratégies développent les femmes pour parvenir à combiner la maternité et l’emploi sans « succomber »? C’est de ce sujet que traite la troisième et dernière partie de cet ouvrage. L’auteur nomme « stratégies » l’ensemble des pratiques sociales des mères qui ont une activité professionnelle, des décisions et des solutions qu’elles mettent en œuvre. Compte tenu qu’elles ne disposent pas d’une réelle liberté de choix, elles sont obligées de retenir la solution la moins mauvaise pour aller de l’avant dans la situation de double exigence où elles se trouvent.
56En Espagne, la stratégie principale des mères qui travaillent est de recourir à une tierce personne qui remplira le rôle traditionnel de la mère. Il s’agit souvent d’une autre femme, parfois d’une grand-mère (presque toujours la grand-mère maternelle) ou bien encore d’un aidant rémunéré. Dans la plupart des cas, ce seront alors des immigrées. Beaucoup d’entre elles laissent leurs enfants dans leur pays d’origine à la charge de leurs propres grands-mères et viennent s’occuper des enfants des Occidentales qui travaillent.
57Il n’est pas rare qu’en Espagne les grands-parents se chargent de veiller sur les enfants, ni que les grands-mères, en particulier, endossent le rôle de mères de substitution : c’est le principal moyen pour parvenir à concilier famille et emploi. En effet, payer quelqu’un pour assumer une partie des tâches domestiques, notamment la garde et le soin des enfants, est pour beaucoup de familles une stratégie économiquement trop coûteuse (spécialement pour les familles monoparentales). Toutefois, le recours à l’embauche d’une employée de maison peut être justifié par la différence entre le salaire de la mère et le salaire versé à la tierce personne.
58Les recherches effectuées montrent un grand déséquilibre dans le partage du travail domestique au sein des couples espagnols. Les hommes « aident » de plus en plus, mais partagent rarement la responsabilité des tâches. La plupart des femmes interrogées considèrent l’homme, le père ou le partenaire comme un recours, une stratégie supplémentaire, quelqu’un qui peut aider ou pas selon les cas, mais jamais comme quelqu’un de responsable de sa progéniture à 50%. Constanza Tobío signale que les femmes souhaitent que les hommes s’impliquent davantage dans les foyers, mais il ne ressort pas clairement jusqu’à quel point elles accepteraient de partager la prise de décisions. Car le problème se pose également de l’« éducation » des époux.
59Face à cette situation d’inégalité dans le partage des tâches, les femmes utilisent d’autres stratégies : l’organisation, la planification et le contrôle. Tout, absolument tout, doit être contrôlé. Le besoin de contrôler chaque sollicitation de la famille finit par engendrer le stress et suppose un effort additionnel que les femmes interrogées estiment insupportable.
60L’organisation sociale actuelle de l’espace et du temps, qui résiste fortement au changement, est le reflet et l’héritage d’une société et d’une structure familiale où les rôles et les espaces étaient nettement dissociés. Organiser, contrôler, planifier la totalité de la vie domestique incombe aux femmes qui doivent jongler avec les horaires, organiser les activités extra-scolaires, gérer les situations imprévues occasionnées par les maladies infantiles, s’occuper du transport entre la maison et l’école, etc.
61Pour atteindre leurs objectifs et réussir l’impossible, ne pouvant compter ni sur l’appui des hommes ni sur celui des pouvoirs publics, les femmes imaginent d’autres stratégies, moins évidentes et moins directes, mais lourdes de conséquences sociales à moyen et long termes : retarder la première naissance, réduire le nombre d’enfants.
62Les Espagnoles n’attendent rien ou pas grand-chose des politiques publiques. C’est pour cette raison qu’elles essayent de résoudre les problèmes entre elles : avec les grands-mères, les aides familiales, les femmes de ménage, les voisines, etc. « La question est de savoir jusqu’à quel point ce type de stratégies de substitution est en train de retarder la prise en compte par la société des implications du nouveau rôle des femmes dans le travail en maintenant un modèle qui ne correspond pas à la nouvelle logique du travail et de la famille. La prise en charge des tâches, des soins et de l’entretien des foyers uniquement par les femmes fait que les hommes d’État, ainsi que les entreprises et même le marché, demeurent en dehors de cette politique de conciliation, comme s’ils n’étaient pas concernés » (p. 196).
63En conclusion, Madres que trabajan. Dilemas y estratetias (Mères qui travaillent. Dilemmes et stratégies), est un ouvrage clair et juste qui, en analysant les expériences et la situation apparemment contradictoire des mères qui travaillent, alimente opportunément notre réflexion. L’auteur formule des avis mais laisse certaines questions ouvertes à l’interprétation du lecteur ou aux réponses du futur. Par ses analyses, elle laisse entendre que le développement du travail féminin constitue un élément fondamental des évolutions sociétales ultérieures.
64Par Capitolina DIAZ, Université d’Oviedo, Espagne
Notes
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[1]
Cet ouvrage est le premier d’une nouvelle collection récemment lancée par la maison d’édition Ashgate et intitulée New Perspectives on Ageing and Later Life. Deux autres titres ont été publiés à ce jour : Changing Worlds and the Ageing Subject (juillet 2004) et Older Widows and the Life Course (juillet 2005).
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[2]
Cette situation peut tenir au très faible niveau de la pension de base publique et au taux relativement bas de la couverture des femmes par les régimes de retraite d’entreprise, d’où une très forte incidence de la pauvreté dans la population âgée au Royaume-Uni, particulièrement pour les femmes. Voir Ginn J., “Gender and Social Protection Reforms”, in Sarfati H., Bonoli G.(eds), Labour Market and Social Protection Reforms in International Perspective : Parallel or Converging Tracks ?, Ashgate, 2002, et Ginn J., Gender, Pensions and the Lifecourse : How Pensions Need to Adapt to Changing Family Form, Policy Press, 2003.
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[### 1]
L’État providence, Puf, coll.« Que sais-je ?», n° 3249, Paris, 2000,128 p.
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[### 1]
De l’Institut de la Femme et de la direction générale de la Famille et des Mineurs du ministère des Affaires sociales.
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[2]
Des voix de femmes qui se sont fait entendre lors d’un projet de recherche de la direction générale de la Femme de la « communauté autonome » de Madrid.