Notes
-
[1]
Cette enquête initiée par la Cnav et réalisée en collaboration avec l’Insee, sous la direction de C. Attias-Donfut, avec R. Gallou et A. Rozenkier, a reçu le soutien du FASILD, de l’Arcco-Agirc, la MSA, et la Caisse des mines.
-
[2]
Femmes étrangères et immigrées en France, Actes du colloque organisé le 3 juin 2000 par le Comité de suivi des lois sur l’immigration à l’Assemblée nationale – 1re partie : Sans-papières et droit de séjour (p.7-14).
-
[3]
Ibid, p. 7.
-
[4]
La réforme du Code de la famille – la moudawara –, adoptée à l’unanimité par la Chambre des députés marocains le 16 janvier 2004, permet désormais aux femmes de « maîtriser » juridiquement leur mariage, leur séparation ou leur divorce.
-
[5]
Sont considérées « retraitées » les personnes qui perçoivent une pension de retraite au titre de leur activité passée. Les femmes n’ayant jamais travaillé sont désignées ici « inactives », même si elles perçoivent une pension de réversion.
-
[6]
L’âge d'arrivée en France détermine fortement le déroulement de la carrière :celles qui sont arrivées pendant l’enfance ont bénéficié d’une meilleure formation, d'une meilleure maîtrise du français et ont eu plus d’opportunité de trouver un emploi. L’importance déterminante de l’âge d’arrivée se répercute sur tous les aspects de la vie des immigrés (Sayad, 1991).
-
[7]
L’âge moyen de liquidation de leur retraite du régime général (pour les droits directs) des personnes nées à l’étranger est de 62,6 ans alors que pour les personnes nées en France, il est de 61,4 ans (Gleizes, 2004).
-
[8]
Sur l’ensemble des personnes ayant liquidé leur retraite du régime général en 1990,60,3% des hommes et 70% des femmes étaient sans emploi au moment de leur demande de retraite (Tourne, 1992). Les statistiques annuelles de la Cnav confirment régulièrement la même tendance.
-
[9]
Réalisée en 1992 sur un échantillon de personnes âgées de 49 à 53 ans, un de leurs parents et un de leurs enfants adultes, sur l’ensemble du territoire français métropolitain (Attias-Donfut, 1995).
1 Jusqu’à une période récente, l’image de l’immigration en France s’est essentiellement confondue avec celle d’hommes plutôt jeunes, en quête de travail. Les femmes, souvent venues dans le cadre du regroupement familial, peu professionnalisées ou cantonnées à des emplois de services, n’ont eu que peu de visibilité. Et pourtant la présence, parmi les immigrés, de femmes qui trouvaient à s’employer en France est attestée dès la fin du XIXe siècle, dans une proportion jamais inférieure à 40% (Aoudaï, Richard, 2002). La prise en compte de l’immigration féminine a été tardive, même aux États-Unis où les recherches sur les migrations sont pourtant bien plus anciennes et abondantes qu’en France (Rea, Tripier, 2003): elle ne s’y est affirmée que dans les années soixante-dix, sous l’influence des études féministes (Pessar, 1999). Son émergence est aussi le signe d’un nouveau regard sur les phénomènes migratoires, comme le remarque Nancy Green : « si la figure féminine du migrant émerge avec ses propres parcours, aujourd’hui, c’est pour mieux interroger le sens plus global du travail et du peuplement dans le monde contemporain » (Green, 2002). Une des questions que posent les travaux féministes sur les migrations est de savoir si la migration a pour conséquence une émancipation des femmes ou si au contraire elle contribue à les maintenir dans un statut de dominées (ou d’exploitées). En passant en revue les principaux écrits de ces dernières décennies sur ce sujet, Patricia R. Pessar observe que leurs conclusions convergent : les femmes gagneraient plutôt à l’expérience migratoire, surtout du point de vue de leur autonomie, même si les avantages qu’elles en retirent restent limités. Ces gains sont bien sûr variables selon les pays d’origine et selon le statut qu’ils réservent aux femmes (Pessar, 1999).
2Dans l’étude des processus migratoires, les différences de genre mériteraient bien plus d’attention. Elles sont déterminantes à plusieurs égards, que ce soit dans les profils migratoires, l’accès au marché du travail, les modes d’intégration ou les significations de l’expérience migratoire. Son influence sur la vie des femmes peut être encore plusprofonde que pour les hommes, car le changement de société est susceptible de transformer non seulement le statut familial et socialmais aussi l’identité de genre elle-même. Les destins de femmes commencent à être pris en considération dans le champ migratoire, mais ce sont essentiellement les plus jeunes qui retiennent l’intérêt, tandis que les plus âgées sont encore dans l’ombre. La littérature à leur sujet est rare. L’observation des plus âgées est pourtant riche de perspectives, du fait du recul du temps par rapport à l’expérience migratoire qu’elle donne. Elle permet aussi de suivre le devenir de générations successives. Celles-ci ont des profils distincts dont le contraste est accentué par les changements de nature des flux migratoires. Les plus jeunes, arrivées avec les nouvelles vagues d’immigration féminine, davantage liées au monde du travail, sont marquées par des « inscriptions segmentées sur les marchés du travail » (Roulleau-Berger, Lanquetin, 2004) avec toujours une dominante dans les services. Les femmes les plus âgées, au contraire, sont encore extérieures au monde du salariat, une part importante d’entre elles étant inactives et d’origine rurale. Celles qui ont mené une activité professionnelle en France ont le plus souvent des carrières courtes, peu qualifiées, qui les rendent tributaires du conjoint et de la famille pour leurs moyens d’existence. Seule une minorité a suivi une véritable carrière professionnelle et arrive à la retraite avec des droits à une pension à taux plein.
3L’objet de ce travail est de décrire, sur la base des premiers résultats d’une récente enquête nationale sur le passage à la retraite des immigrés (PRI), les situations des femmes immigrées au seuil de la vieillesse, selon leur statut par rapport au monde du travail et à la retraite. Nous aborderons leur insertion dans la société française à travers ce qu’elles en pensent ou ressentent, la façon dont elles perçoivent leur trajectoire personnelle, familiale ou professionnelle. Nous mettrons en rapport les conditions objectives et les évaluations subjectives de leurs propres parcours, pour nous interroger sur la capacité des interprétations théoriques courantes – en termes de domination ou d’exploitation – à rendre compte de la réalité vécue par les femmes immigrées.
Une enquête sur les immigrés âgés de 45 à 70 ans
L’enquête a été réalisée par questionnaire CAPI (assisté par ordinateur), administré au domicile de l’enquêté par des enquêteurs de l’Insee; l’entretien a duré en moyenne une heure et demie. L’échantillon a été construit à partir du recensement de 1999 par tirage aléatoire de personnes de 45 à 70 ans nées à l’étranger et d’origine étrangère, sur l’ensemble du territoire. Au total, 6 211 enquêtés ont répondu, dont 46,5 % de femmes. La taille de l’échantillon est suffisamment importante pour permettre des études spécifiques sur les immigrés originaires de trois pays du sud de l’Europe (Espagne, Italie et Portugal) et du nord de l’Afrique (Algérie, Maroc et Tunisie). La Turquie, ayant parmi les autres pays le plus grand nombre de représentants, peut pour certains traitements globaux être aussi distinguée. Les pays restants sont regroupés par grandes zones géographiques. Les originaires d’Afrique subsaharienne viennent principalement d’Afrique de l’Ouest, des ex-colonies françaises et présentent une certaines homogénéité légitimant leur regroupement. Les pays désignés par « Autre UE » se réfèrent à l’Europe des Quinze et représentent principalement l’Europe du Nord. « Autre Europe » est constitué des pays de l’Est. Le regroupement des pays asiatiques est relativement hétérogène, avec une majorité venue du Vietnam (souvent originaire de Chine) et une forte majorité de bouddhistes, ce qui limite un peu leur diversité.
Cette démarche a été adoptée pour tenir compte des courants migratoires importants aux niveaux intra-européen et extra-européen et saisir la diversité des trajectoires migratoires. En nous centrant sur la phase de vie de la maturité et du passage à la retraite, on sélectionne en même temps des cohortes issues de vagues migratoires avec des profils et des provenances spécifiques, correspondant à une période précise de l’histoire récente des migrations : la plus grande vague d’immigration de l’histoire française, celle des années soixante. Cette enquête, centrée sur le vieillissement et le passage à la retraite, se différencie de la majorité des études sur l’immigration, dont la problématique est généralement orientée sur la question de l’intégration. Il s’agit ici d’observer la façon dont se déroule la fin du travail, les conditions et modalités de passage à la retraite des immigrés, ainsi que leurs projets. L’enquête traite aussi de plusieurs aspects de la vie familiale et sociale, comme l’évolution des relations intergénérationnelles, les réseaux sociaux, l’identité ethnique et professionnelle. La période de retraite et le recul qu’elle apporte donnent l’opportunité de mieux explorer l’intrication de l’héritage culturel et des effets du statut social et économique.
? Le rapport au travail et à la retraite
? Situation matrimoniale et aspects juridiques
4Dans les générations observées dans l’enquête, celles des 45-70 ans, les immigrés vivent très majoritairement en couple, surtout les hommes, contrairement à l’image qui en est le plus souvent donnée dans les médias, celle du vieil homme célibataire, ou « faux célibataire », séparé de sa conjointe restée au pays. D’ailleurs, cette représentation concerne surtout les résidants des foyers de travailleurs migrants qui ne sont pas inclus dans notre enquête et ne constituent qu’une infime minorité de l’ensemble des immigrés : 1,9%, d’après le dernier recensement de la population. La plupart des immigrés vieillissent « en ménage ordinaire », selon la terminologie statistique et, parmi eux, seuls 10% des hommes vivent seuls, sans conjointe, tandis que c’est le cas de plus du quart des femmes. Elles sont veuves (12%), divorcées ou séparées (12%), ou bien encore célibataires (5%). Les femmes seules sont plus nombreuses parmi les employées (31%), les cadres et professions intermédiaires (29%) et les personnels de service (29%) que parmi les inactives et les indépendantes (20% dans les deux cas). Le taux de femmes seules augmente avec l’âge : 18% chez les 45-49ans, 20% chez les 50-54 ans, 27% chez les 55-64 ans, et 35,5% chez les 65-70 ans.
5La condition des immigrées isolées a été rendue particulièrement difficile, dans certains cas, par leur situation juridique. Si en effet la législation s’est beaucoup assouplie au cours des dernières années, elle a été peu favorable aux femmes jusqu’à une période récente. Les femmes divorcées surtout durent se confronter à de sérieux obstacles administratifs et juridiques.
Des travailleuses non reconnues
6Les migrantes sont soumises à une politique, une législation et des pratiques administratives qui imposent des conditions très restrictives d’entrée et de séjour en France. Ces lois ne sont pas sexuées mais les représentations et les réalités sociales, économiques, familiales, elles, le sont. Pour beaucoup de femmes, le cadre familial fut (et reste) un cadre imposé pour l’accès au séjour et le renouvellement de ce droit [2]. Elles éprouvent des difficultés à être reconnues dans leur dimension de travailleuses, ayant besoin d’un emploi et d’un revenu pour vivre ou faire vivre leurs proches, ou pour faire valoir les autres projets et raisons personnelles qui motivent leur émigration et leur volonté de rester en France.
7Celles qui se sont déclarées actives ont connu de grandes difficultés à obtenir les documents et attestations leur permettant de prouver larégularité de leur emploi et de leurs ressources et même la régularité de leur séjour en France. Le titre de séjour « salarié » fut attribué principalement à des hommes. Et même si depuis 1998, la loi Chevènement a créé de nouveaux titres de séjour (professions artistiques, culturelles et scientifiques), ils sont eux aussi plus rarement accordés à des femmes. Beaucoup de migrantes viennent ou sont venues d’abord avec un visa de tourisme et demandent une régularisation ultérieure. Celle-ci est très difficile à obtenir en dehors du cadre familial, plus encore pour les femmes que pour les hommes : « les lois et la politique française entérinent, voire aggravent, des situations d’inégalité et de dépendance, et définissent la place des femmes dans le seul cadre familial, cadre conçu de façon très traditionnelle et normative, et dont il faut souligner qu’il est toujours marqué par la prééminence des hommes sur les femmes » [3].
8Ainsi, en ce qui concerne les femmes divorcées, l’article 29-IV de l’ordonnance du 2 novembre 1945, relatif au regroupement familial, stipule qu’« en cas de rupture de la vie commune, le titre de séjour qui a été remis au conjoint d’un étranger [les trois quarts sont des femmes] peut, pendant l’année suivant sa délivrance, faire l’objet soit d’un refus de renouvellement, s’il s’agit d’une carte de séjour temporaire, soit d’un retrait s’il s’agit d’une carte de résident ». Ce texte est complété par la circulaire du 1er mars 2000, également relative au regroupement familial des étrangers, aux termes de laquelle : « Dans le cas où la vie commune entre le demandeur et son conjoint ayant bénéficié du regroupement a été rompue depuis la décision, l’objet même du regroupement du conjoint aura disparu. Pour le retrait, le préfet se fondera, sans diligenter systématiquement des enquêtes, sur les informations qui auraient été portées à sa connaissance et qui, dans ce cas, auront été vérifiées. Pour le refus de renouvellement de la carte de séjour temporaire, le préfet demandera les justificatifs de la vie commune. »
9Il résulte clairement de ces dispositions que « la rupture de la vie commune » est, en tant que telle, un motif suffisant de déchéance du droit au séjour. Or, le motif de cette rupture peut être « une répudiation » (Andrez, 2001). En reconnaissant les conséquences de la répudiation, la loi entérinait une situation d’inégalité entre hommes et femmes. En effet, si leur époux demandait le divorce, les femmes perdaient leur droit au séjour en raison d’accords bilatéraux avec des pays comme par exemple l’Algérie, l’Égypte ou le Maroc, dans lesquels le divorce peut être obtenu par demande unilatérale du mari, même si cette procédure est obligatoirement « judiciarisée » [4]. La loi du 26 novembre 2003 a allongé de un à deux ans la durée de la vie commune au cours de laquelle une rupture éventuelle ne remet pas en cause le permis de séjour accordé au titre du regroupement familial.
? Participation au marché du travail
10La tranche d’âge considérée – celle des 45-70 ans, rappelons-le – regroupe des personnes actives, inactives et retraitées, correspondant à des profils migratoires spécifiques. Nous avons inclu les préretraités dans le groupe de retraités. Les personnes sans emploi depuis moins de dix ans ont été désignées comme « actifs sans emploi », tandis que les autres inactifs non retraités [5] ont été différenciés selon qu’ils ont travaillé ou non au cours de leur vie de façon formelle. Les femmes sont un peu moins représentées parmi les retraités (34,3%) que parmi les actifs, occupés ou non (38%) et dominent largement dans le groupe d’inactifs n’ayant jamais travaillé, dont elles représentent près de 96%.
Statut d’activité selon le sexe
Statut d’activité selon le sexe
11Les nombres d’actifs et de retraités diffèrent également selon les origines géographiques : les immigrations les plus anciennes, italienne et espagnole, sont plus représentées dans le groupe des retraités (14,5% et 21,7%) que dans celui des actifs (respectivement 8,7% et 8,3%). En revanche, les Portugais, davantage portés à retourner au Portugal à la retraite, sont deux fois plus nombreux dans la population des actifs (20,9%) que dans celle des retraités (9,8%).
12Les ressortissants d’Afrique du Nord sont autant représentés parmi les actifs (29,6%) que parmi les retraités (27,6%), tandis que ceux d’Afrique noire, d’immigration plus récente, se révèlent bien moins souvent retraités (ils représentent 6,7% des actifs et seulement 2,4% des retraités). Les autres Européens s’avèrent plus nombreux au sein des retraités (18,4%) que des actifs (15,9%). À l’inverse, les autres régions du monde, d’Amérique ou d’Asie, sont moins présentes parmi les retraités (5%) que parmi les actifs (9,8%). C’est le reflet de l’histoire des migrations du XXe siècle, les immigrants européens ayant été progressivement relayés par les Africains et les Asiatiques.
Répartition des femmes inactives n’ayant jamais travaillé, âgées de moins de 60 ans et de plus de 60 ans selon le pays d’origine
Répartition des femmes inactives n’ayant jamais travaillé, âgées de moins de 60 ans et de plus de 60 ans selon le pays d’origine
13On constate que le niveau d’emploi des femmes varie très fortement selon le pays d’origine, comme le montre la distribution des proportions de femmes n’ayant jamais travaillé sur l’ensemble des femmes de 45 à 70 ans (cf. graphique 1). C’est parmi les migrantes maghrébines, turques et proche-orientales que l’inactivité est la plus répandue, alors qu’elle est faible chez les Portugaises, les Espagnoles et les originaires des autres pays européens. Les Italiennes font un peu exception avec une plus forte proportion de femmes inactives, en raison de leur structure démographique renforcée au sommet, les générations plus âgées étant moins engagées dans le monde du travail. Le graphique 1 le montre : la proportion d’inactives n’ayant jamais travaillé est plus élevée parmi les femmes de plus de 60 ans que chez les moins de 60 ans de la plupart des pays d’origine, à l’exception surtout de la Turquie, où la tendance inverse se manifeste.
14Ce sont les ressortissantes de pays musulmans qui connaissent le taux le plus important d’inactivité. Il serait intéressant de pouvoir comparer leur situation à celle des mêmes générations de femmes restées au pays. Cela permettrait de repérer l’influence de la migration sur le travail féminin. À ce propos, les travaux américains ont mis en évidence un effet positif : les immigrées aux États-Unis ont généralement un taux d’activité supérieur à celui des femmes restées dans leurs pays d’origine. Dans l’enquête, les femmes qui ont obtenu la nationalité française, et participent de ce fait plus pleinement à la société, sont plus souvent insérées dans le monde du travail que celles de même origine et non françaises.
15Parmi les femmes qui ont travaillé, beaucoup n’ont eu qu’une très courte période d’activité et se trouvent, au moment de l’enquête, sans emploi depuis de nombreuses années. Elles ont des profils un peu différents de celles qui n’ont jamais travaillé. Le tableau 2 (p. 146) compare ces deux groupes qui rassemblent 21,3% des immigrés de 45 à 70 ans. Si la plupart des inactifs n’ayant jamais occupé un emploi formel sont des femmes (95,6%), les hommes représentent plus du tiers (34,7%) des inactifs sans emploi depuis plus de dix ans (cf. tableau 1, p. 143). Ils sont tout particulièrement touchés par un accident du travail, une maladie professionnelle ou un problème de santé dû au travail.
16Les deux sous-populations d’inactifs se distinguent l’une de l’autre par le niveau d’éducation. Les inactifs qui n’ont jamais travaillé sont les moins instruits : 77,9% ont au plus le niveau primaire. Ce chiffre tombe à 46,9% pour les personnes sans emploi depuis au moins dix ans. Lespremières viennent fréquemment d’un pays du Maghreb (57,7%). Ce sont pour la plupart des personnes arrivées en France accompagnées de leur conjoint (dans 47,1% des cas), principalement dans le cadre du regroupement familial (68,4%), plus rarement pour trouver un travail, fuir le chômage ou la pauvreté (22,1%).
Répartition des inactifs selon le sexe, la région d’origine et le niveau d’éducation
Répartition des inactifs selon le sexe, la région d’origine et le niveau d’éducation
17Parmi ceux et celles qui ont cessé leur activité professionnelle depuis plus de dix ans, les durées de carrière sont courtes, 27,4 ans pour les hommes et seulement 11,8 ans pour les femmes (cf. tableau 3). Ces hommes et ces femmes ont peu de chances, à leur âge, de reprendre un emploi et ils arriveront très probablement à la retraite avec une durée de carrière inchangée. Par comparaison, la durée moyenne de carrière pour l’ensemble des actifs, au moment de l’enquête, appelée bien entendu à augmenter d’ici la fin de leur activité, est de 31 ans.
Durée de carrière des inactifs et des actifs
Durée de carrière des inactifs et des actifs
Les professions et catégories socioprofessionnelles selon le pays d’origine et le sexe
Les professions et catégories socioprofessionnelles selon le pays d’origine et le sexe
18Le tableau 4 (p. 147) présente la distribution des professions des hommes et femmes immigrés selon le pays d’origine. Il inclut les professions antérieures des personnes à la retraite, ainsi que celles des personnes qui ont cessé leur activité sans être retraitées. La catégorie « inactif(ve)» désigne uniquement les personnes sans profession; elle ne se réfère donc pas aux retraités.
19Selon le pays de départ, les migrantes se distribuent dans des catégories professionnelles différentes [6]. Reste que le secteur le plus largement occupé par elles est celui des services directs aux particuliers, à savoir surtout le gardiennage, la domesticité et les soins aux enfants ou aux personnes âgées. Ce sont en premier lieu les femmes originaires du Portugal (53,6%), d’Afrique noire, d’Espagne et aussi de pays du continent américain ou de l’Océanie (24,5%) qui sont employées dans ce secteur. Celles venues d’autres pays y sont néanmoins assez représentées (11% d’Asie). Ainsi la « migration domestique féminine », qui tend à se développer parmi les nouvelles générations d’immigrées, de l’Europe à l’Asie (Asis, 2004), se révèle déjà importante dans la génération concernée par l’enquête. De récents travaux ont mis en évidence son ampleur nouvelle, sur le marché mondial, notamment l’émigration des Philippines (Mozere, 2004).
Travail « au noir »
20Pour évaluer l’importance du travail illégal, la question suivante a été posée : « Vous est-il arrivé de travailler en France sans Sécurité sociale ?». Cette question est formulée de façon délibérément vague pour ne pas susciter la crainte de répondre. On n’a pas donc d’information sur la période à laquelle ce travail a été accompli. Les femmes recourent (ou ont recouru) davantage au travail « au noir » que les hommes (15% au lieu de 10%). Parmi les seuls retraités, il s’en trouve 23% de femmes et 11% d’hommes (13,6% en moyenne). La proportion de celles qui, au cours de leur carrière, ont « travaillé en France sans Sécurité sociale » est plus élevée parmi les personnels de service (près de 21%) et les indépendantes (18%); elle est moindre chez les ouvrières (13%), les autres catégories d’employées (11%), les cadres, professions libérales et intermédiaires (8%). On trouve aussi un taux de 11,5% parmi les femmes inactives.
21On notera, comme le montre le tableau 5, que les retraités, hommes ou femmes, qui ont travaillé « au noir » ont connu deux fois plus souvent des carrières interrompues (25,8% contre 12%). Au terme de la vie active, les conséquences se font sentir par des durées de carrière insuffisantes et des pensions de retraite correspondantes faibles.
Travail «au noir» des retraités selon les ruptures de carrière
Travail «au noir» des retraités selon les ruptures de carrière
22Lors de périodes sans travail, les causes majeures énumérées par les retraités qui ont travaillé « au noir » sont le chômage (42,3%), des raisons familiales (46,4%) et le travail saisonnier (28%). Ceci met l’accent sur le niveau élevé de chômage des immigrés. Le taux de chômage des étrangers (incluant la majorité des immigrés), était en 2000 de 20,9%, soit le double de celui des Français et, s’agissant d’étrangers d’origine non européenne, la proportion est de un à trois (Deneuve, 2002). Les périodes d’interruption sont aussi motivées, mais de manière plus marginale, par des problèmes de santé, l’instabilité du travail (intérim, courts CDD) ou des raisons liées à la migration. L’absence de papiers est rarement évoquée.
23Quant au travail saisonnier, il a concerné, à un moment ou l’autre de leur carrière, 15% des femmes (et 10% des hommes). Là encore, ce taux varie selon les catégories professionnelles : 20% chez les ouvrières, 14% chez les employées, 12 à 13% chez les indépendantes et les professions intermédiaires et 9% chez les cadres et professions libérales.
Niveau d’éducation et maîtrise du français
24Actifs et retraités se distinguent également selon leur niveau d’éducation : les premiers détiennent plus souvent un niveau équivalant ou supérieur au baccalauréat (28,7% contre 15,2%) et comptent moins de personnes n’ayant jamais été scolarisées (9,5% contre 21,1%). Cela reflète un phénomène bien connu : le degré d’instruction tend à augmenter d’une génération à l’autre. En outre, les inactives ne possèdent en majorité qu’un faible niveau d’éducation : 28,7% n’ont jamais connu l’école et 34,5% l’ont quittée à l’issue du primaire. Conséquence d’un plus faible niveau d’éducation, ce sont les femmes qui rencontrent le plus de problèmes dans le maniement du français, à l’oral d’abord (19% des femmes et 14,5% des hommes rencontrent de sérieux problèmes d’expression en français) et plus encore dans la lecture où il est possible qu’interviennent l’illettrisme ou l’analphabétisme. Ces difficultés varient fortement selon les pays d’origine comme l’indique le tableau 7. Il montre que les plus grandes difficultés de lecture se trouvent parmi les originaires de Turquie, du Maroc, d’Algérie et, à un moindre degré, de Tunisie. Dans tous les cas, les femmes sont encore moins nombreuses que les hommes à maîtriser totalement la lecture. Seules les femmes venues des pays de l’Europe du Nord et de l’Est affichent un meilleur score que les hommes.
25Dans l’ensemble, 23% des femmes de 45 à 70 ans, représentant un total de 162532, rencontrent beaucoup de difficultés à lire le français, ce taux allant de 18,4% pour les 45-50 ans à 27,9% pour les 65-70 ans. À cela, il faut ajouter les 20% qui font état de « quelques difficultés », ce dernier pourcentage variant peu avec l’âge. L’écriture du français pose davantage de problèmes encore : 36% des femmes avouent y éprouver de « grandes difficultés » et 21% « quelques difficultés ». Au total, ce sont 57% de femmes de cette tranche d’âge qui ne maîtrisent pas l’écriture de leur pays d’accueil (taux qui s’élève à 63% parmi les 65-70 ans).
Difficultés à lire et à parler le français selon le sexe
Difficultés à lire et à parler le français selon le sexe
Difficultés à lire le français selon le pays d’origine
Difficultés à lire le français selon le pays d’origine
Transition à la retraite
26Les statistiques annuelles des flux de retraités montrent de façon récurrente que la majorité des salariés ne passe pas directement de l’activité à la retraite mais connaît au contraire une période plus ou moins longue d’inactivité, sous des formes variées, chômage de durée plus ou moins longue, préretraite, longue maladie ou invalidité, etc. (Jolivet, Rozenkier, 2002). Comparés à l’ensemble de la population française, les immigrés âgés se caractérisent par un départ plus tardif à la retraite et par une durée plus longue de précarité avant la retraite, deux phénomènes aussi marqués pour les actifs des deux sexes (Attias-Donfut et al., 2004).
27Dans cette section, nous présentons les données recueillies auprès des enquêtés déjà retraités sur leur transition à la retraite. Il s’agit donc de données rétrospectives. Le tableau 8 (p. 152) ne concerne que les personnes qui ont « liquidé » leur retraite, ce qui exclut bien évidemment les femmes qui n’ont jamais travaillé. Il montre que les femmes ont eu une période d’inactivité avant la retraite bien plus longue que celle des hommes.
Durée d’inactivité avant la retraite selon le sexe
Durée d’inactivité avant la retraite selon le sexe
28L’âge de la retraite, un peu plus tardif parmi les immigrés que parmi les natifs [7], est souvent motivé par l’insuffisance de la durée de carrière validée (en plus des périodes de non-travail, il existe des situations où les périodes travaillées hors de France ne peuvent pas être prises en compte dans le calcul de la pension). Entre 60 et 65 ans, le nombre de chômeurs ou de sans-emploi sous divers statuts est plus important dans la population des immigrés que dans l’ensemble, comme le montre la comparaison à différents âges des taux respectifs d’actifs ayant un emploi, d’actifs sans emploi et des retraités, d’après les données de l’enquête de l’Insee « Étude de l’histoire familiale (EHF)» (Attias-Donfut et al., 2004). Beaucoup d’immigrés ont en effet avantage à attendre 65 ans pour faire liquider leurs droits à la retraite à taux plein et éviter ainsi une minoration du taux, dans le calcul de la pension, pour insuffisance de durée de carrière. Pour ces mêmes raisons, ceux qui ont connu des périodes de travail non déclaré se trouvent contraints de prolonger leur activité et de reculer la date de leur retraite, tout en ayant un emploi. En définitive, la sortie de la vie active est plus tardive parmi les immigrés, même en ne considérant que ceux qui passent directement de l’emploi à la retraite sans connaître une période de préretraite ou une autre forme de non-travail [8].
29Parmi les retraités, les durées totales de carrière sont, sans surprise, fort inégales selon les sexes. Les longues durées de 40 ans et plus ont été réalisées par 60% des hommes et seulement 22% des femmes. Celles-ci sont plus nombreuses à avoir totalisé entre 30 et 39 ans (26,4%), dans des proportions identiques à celles des hommes. Mais 24% ont eu des carrières de 20 à 29 ans et une proportion identique n’a fait que de courtes carrières de moins de 19 ans (3% des hommes sont dans cette situation). Le nombre moyen d’années travaillées est de 38,7 ans pour les hommes et de 28,8 ans pour les femmes.
? Évaluations subjectives du niveau de vie, de santé, d’intégration et de réussite sociale et professionnelle
30Nous allons examiner à présent le point de vue des personnes elles-mêmes sur différents aspects de leur vie, dans une perspective compréhensive, accordant une prééminence aux actions des individus, au sens qu’ils leur donnent et aux interprétations qu’ils construisent sur l’univers de leurs relations. Nous passerons en revue leurs appréciations concernant leur niveau de vie, leur identité nationale et enfin leur réussite sociale et professionnelle.
? Niveau de vie subjectif
31Dans l’appréciation subjective de leur niveau de vie, un peu plus de 66% des retraités et des actifs estiment connaître une situation financière moyenne ou plutôt difficile. C’est aux extrêmes de l’échelle subjective que des différences apparaissent. Les retraités se définissent comme « pauvres » ou « très pauvres » un peu plus souvent que les actifs (7,2% contre 3,3%). Cependant, ils sont nettement moins nombreux dans ce cas que les actifs sans emploi qui semblent plus touchés par la pauvreté, surtout les chômeurs dont près de 17% se situent à l’extrémité basse de cette échelle.
32Avant la retraite, 25% au total pensent qu’ils n’auront pas assez de ressources au moment de la retraite. Ce taux est plus élevé parmi les femmes, spécialement quand elles n’ont pas de conjoint : 38% estiment qu’elles ne disposeront pas de moyens suffisants à la retraite (et 28% des femmes vivant en couple). Seules 21% des femmes (qu’elles vivent ou non en couple) estiment que leurs futurs revenus de retraite seront suffisants; les autres ne se prononcent pas fermement (47% des femmes vivant en couple et 27% des femmes seules sont dans l’incertitude à cet égard).
Niveau de vie subjectif selon le statut d’activité
Niveau de vie subjectif selon le statut d’activité
33Les situations de pauvreté sont plus fréquentes chez les personnes seules, hommes ou femmes. Celles-ci sont dans l’ensemble plus affectées par la solitude dans leur niveau de vie que ceux-là. S’agissant des hommes, 17% des isolés se disent « pauvres » ou « très pauvres » contre 6% de ceux qui vivent en couple. Les difficultés sont attestées par 22% de ces derniers et par 24% des hommes seuls. Un tiers des femmes seules avouent des difficultés à « s’en sortir » et 14% se disent « pauvres » ou « très pauvres » tandis que, parmi celles qui vivent en couple, 21% éprouvent des difficultés et 4% sont « pauvres ». Ainsi près des trois quarts des femmes vivant en couple déclarent un niveau de vie « moyen » ou « aisé »; ce n’est le cas que de 52% des femmes sans conjoint.
34Plus encore que les femmes françaises et nées en France, âgées et seules, les immigrées veuves ou divorcées ont un risque élevé de « fragilité sociale » ou, pour utiliser les catégories établies par Castel, qui s’avèrent pertinentes pour l’analyse de retraités immigrés (Munoz, 2000; Aït Ben Lmadani, 2001), un risque de se situer dans la zone de « vulnérabilité », entre « intégration » et « désaffiliation » (Castel, 1996).
? Sentiment d’appartenance, citoyenneté et intégration
35Il est courant d’observer que les femmes sont désavantagées par rapport aux hommes tant du point de vue professionnel et des ressources économiques que du point de vue de leur situation conjugale. Ce désavantage paraît encore plus accusé pour les femmes immigrées et âgées. On pourrait s’attendre à des conséquences négatives de cette situation sur les processus d’intégration. Or, il n’en est rien. Notre enquête confirme les résultats de précédentes études sur des populations de tous âges, notamment de la « Mobilité géographique et insertion sociale » (MGIS) de l’Ined (Tribalat, 1995 et 1996), selon lesquels le niveau d’intégration est plus élevé chez les femmes que chez les hommes.
36Considérons en effet les deux critères d’intégration suivants : le choix du lieu de vie (le pays) pour la retraite et l’acquisition de la citoyenneté française. Les femmes sont significativement plus désireuses que les hommes de rester en France et de ne pas retourner au pays (y compris dans le cadre du va-et-vient), ce que conforte l’analyse de régression, toutes choses égales par ailleurs (Attias-Donfut, Wolff, 2004). On notera enfin que les femmes ont un peu plus souvent la nationalité française que les hommes (29% contre 25%). Une question très générale clôturait, dans le questionnaire, la partie relative à l’histoire migratoire : « En général, vous vous sentez bien en France ?», avec trois modalités de réponse : « oui », « plus ou moins » et « non ». Compte tenu de la gêne éventuelle à dire « non » à l’enquêteur, on convient de considérer les déclarations mitigées comme signe d’un sentiment de malaise ou de mal-être. Les résultats sont analogues pour les hommes et les femmes : 92,4% de« oui », 6,7% de « plus ou moins » et 0,8% de « non ». Cependant, lesfemmes qui n’ont jamais travaillé sont 13,2% à émettre des réserves, ce qui dénote un problème d’insertion en l’absence d'un milieu professionnel.
37Dans l’ensemble, les immigrés des deux sexes éprouvent un sentiment d’appartenance plus fort à la France qu’à leur pays d’origine : 45,7% des femmes et 43,2% des hommes disent se « sentir en premier Français(es)» (ou d’une région particulière en France, dans 8% des cas). Le pays d’origine ne recueille que 31% des réponses masculines et 30% des réponses féminines. 16% des deux sexes s’affirment avant tout Européens (8,3% des hommes et 6,5% des femmes) ou « citoyens du monde ». Le taux de ceux qui ne savent pas ou ne veulent pas répondre est inférieur à 1% pour les deux sexes.
? Mobilité sociale subjective
38Nous allons examiner maintenant deux aspects de la mobilité sociale perçue, l’une concernant la progression de la carrière au cours de la vie professionnelle, la mobilité « intragénérationnelle » et l’autre se rapportant à la comparaison de la réussite sociale personnelle par rapport à celle des parents, la mobilité « intergénérationnelle ». Les données qui suivent se limitent aux aspects subjectifs; il n’est pas tenu compte ici des données « objectives », relatives à la catégorie professionnelle.
Mobilité professionnelle intragénérationnelle
39Le sentiment d’une progression au cours de leur carrière est exprimé par près d’un tiers des femmes, avec toutefois de fortes variations selon la catégorie professionnelle : environ 65% des cadres et 55% des professions intermédiaires ont le sentiment d’avoir connu une mobilité ascendante (carrière jugée « en progression »), alors qu’un tel sentiment n’est attesté que par 20% environ des employées de service. La majorité des femmes considèrent plutôt avoir eu une carrière « plus ou moins stable » (38%) ou irrégulière (20%). Le graphique ci-dessous indique des tendances proches chez les ouvrières et employées de service, d’une part, les indépendantes et autres employées, d’autre part, ces dernières ayant un meilleur profil de carrière, mais bien en dessous des cadres et professions intermédiaires. Une minorité de femmes jugent que leur vie professionnelle a suivi une pente « descendante », dans une proportion de l’ordre de 8% qui varie peu selon les catégories, exception faite de celle des ouvrières, 10% d’entre elles exprimant cet avis.
Bilan du parcours professionnel des femmes selon leur catégorie socioprofessionnelle
Bilan du parcours professionnel des femmes selon leur catégorie socioprofessionnelle
Mobilité subjective intergénérationnelle
40Quand ils se comparent à leurs parents, la grande majorité des immigrés éprouvent un sentiment de mobilité ascendante. Pour le mettre en évidence, nous avons eu recours à l’évaluation subjective de la mobilité sociale, dont la pertinence a été validée (Attias-Donfut, Wolff, 2001). Les résultats à ce sujet sont tout à fait probants : plus des deux tiers (67,5%) estiment avoir une réussite sociale supérieure, 22% égale et 7% inférieure à celle de leurs parents; les autres (3,5%) ne se prononcent pas. Rappelons, à titre de comparaison, les résultats antérieurs obtenus sur la population non immigrée d’âge comparable, dans l’enquête trigénérationnelle [9] : 59,9% des personnes de 49 à 53 ans et 59,3% de leurs parents (âgés en moyenne de 77ans) ont exprimé le sentiment d’avoir mieux réussi que leurs parents. Il apparaît ainsi que l’expérience migratoire favorise le sentiment de réussite sociale en référence à la génération précédente. Hommes et femmes l’expriment, les premiers plus encore que les secondes, surtout lorsqu’ils vivent en couple : les pourcentages sont alors de 74% pour les hommes et de 69% pour les femmes.
41Parmi les personnes sans conjoint, les taux de réussite sociale sont moins élevés, tout en restant majoritaires : 55% s’estiment en meilleure position. Le taux est quasiment le même pour les deux sexes : 26% des hommes et 25% des femmes en position égale, 12% des hommes et 15% des femmes en position inférieure. Pour les femmes, le statut professionnel est discriminant, mais de façon paradoxale : ce sont les femmes inactives, d’une part, celles qui sont employées dans les services aux particuliers et les ouvrières, d’autre part, qui manifestent le plus largement un sentiment de réussite sociale par rapport à leurs parents : 67% des inactives, 70% des employées de service et 67% des ouvrières. Celles dont le statut est plus élevé (cadres, professions libérales, professions intermédiaires ou indépendantes) sont entre 54 et 56% à se percevoir en situation de mobilité ascendante. À mi-chemin, les autres employées sont 63% à exprimer ce sentiment. Ces résultats montre bien que l’évaluation de leur réussite sociale par les intéressés est à mettre en relation avec leur propre cadre de référence.
? Conclusion
42Les inégalités entre hommes et femmes persistent dans toutes les catégories sociales et elles sont particulièrement visibles parmi les retraités. Rappelons qu’en France, les retraitées de plus de 65 ans perçoivent une pension inférieure de plus de 44% à celles des hommes du même âge (Bonnet et al., 2004). Cette disparité résulte de l’inégalité des parcours professionnels, les carrières féminines étant à la fois plus courtes et moins qualifiées. Parmi les femmes immigrées, ces facteurs sont amplifiés. Dans les générations âgées de plus de 45 ans, étudiées dans notre enquête, le taux de femmes inactives est très élevé, surtout parmi les personnes originaires de pays musulmans. Quand elles participent au marché du travail, les femmes sont occupées, dans une forte proportion, dans des activités domestiques et des services aux particuliers. Emplois illégaux, intermittents, interruptions longues, chômage, etc., contribuent à réduire leurs chances d’accomplir une carrière continue, pleine et a fortiori ascendante.
43Les femmes immigrées qui vont arriver à la retraite au cours des vingt prochaines années risquent de se trouver dans une situation encore plus précaire que les retraitées actuelles. En effet, elles font partie des vagues d’immigration dans lesquelles les pays d’Afrique et d’Orient sont davantage représentés, les femmes de ces régions étant plus marginalisées par rapport au monde du travail. Elles sont clairement plusdéfavorisées que les hommes de même âge et de même origine, surtout quand elles sont originaires du Sud de l’Europe et d’Afrique. Ellescumulent des désavantages tant économiques et sociaux (faible inscription professionnelle, précarité, basse qualification) que culturels (faible niveau d’éducation, fréquence de l’illettrisme) et familiaux (fréquence de la solitude conjugale).
44Les appréciations subjectives paraissent bien moins négatives que ne le laisserait supposer le tableau général. Les femmes paraissent même, paradoxalement, un peu mieux « intégrées » que les hommes, si l’on en juge par la préférence pour demeurer en France au moment de la retraite et par l’acquisition de la nationalité française. Reste que, dans l’ensemble, elles se différencient assez peu des hommes dans l’expression du sentiment d’identité. Comme eux, elles éprouvent une plus forte appartenance à la France qu’à leur pays d’origine. Et, pareillement, elles expriment très majoritairement un sentiment de réussite sociale, à l’approche de la retraite et de la vieillesse, quand le bilan biographique prend toute son importance – et sa pertinence.
45Cependant, le paradoxe n’est qu’apparent. De précédentes études ont montré la capacité des femmes, vivant dans des conditions difficiles, à mobiliser des ressources auprès de leur entourage, dans des réseaux informels de voisinage (et formels à travers les services sociaux), pour mettre en œuvre des stratégies de résistance et de survie (Delcroix, 2001). L’entraide féminine, fondée sur les échanges de services aussi bien que sur le soutien moral, représente une ressource sociale importante. Les variables habituellement utilisées pour définir la position sociale (niveau d’éducation, catégorie professionnelle, revenus financiers, etc.), pour influentes qu’elles soient, ne suffisent pas à rendre compte de la réalité des situations de ces femmes, surtout de celles qui ont été socialisées dans un contexte très différent, impliquant d’autres types de ressources sociales et personnelles.
46Nombreuses sont les femmes immigrées qui remplissent des fonctions de services auprès de particuliers (ménages, gardes d’enfants ou de personnes âgées notamment). Malgré des conditions de travail souvent précaires et une déqualification fréquente, elles en retirent une certaine satisfaction – les nombreux travaux qui leur sont consacrés le démontrent– parce qu’elles y gagnent une autonomie financière et se réalisent en tant que « soutien de famille ». Cette émancipation a certes un prix pour ces femmes qui doivent souvent se séparer de leurs enfants pour s’occuper de ceux des autres. C’est « le prix de la maternité transnationale », source de culpabilité et objet de critiques de la part de l’entourage (Hondagneu-Sotelo, Avila, 1997, cité par Pessar, 1999).
47Un autre phénomène, mis en évidence dans de précédentes études, est l’importance que prend, dans les familles immigrées, la mobilisation familiale pour la réussite scolaire et professionnelle des enfants, surtout de la part des mères (Vallet, 1997; Zéroulou, 1988). La réussite personnelle est alors évaluée à l’aune de celle des enfants. L’impact jugé positif des politiques sociales (santé, éducation gratuite, aide à l’enfance, etc.), souvent inexistantes dans leur pays d’origine, vient confirmer l’intérêt de leur venue en France. Et, dans leur regard sur leur propre existence, ceux et celles quiont immigré pour fuir la pauvreté ou des conditions qui leur étaient intolérables peuvent estimer avoir finalement eu un meilleur destin queles parents auxquels ils se comparent, sans pour autant être véritablement satisfaits de leur sort.
48Enfin, il ne faut pas exclure ni minimiser le sentiment de libération quetrouvent certaines femmes en « terre d’immigration », quand elles viennent de sociétés qui les oppriment ou quand elles souhaitent se libérer de normes familiales qui les soumettent (Petek-Salom, 2001). Le sort de nombreuses femmes âgées immigrées, surtout lorsqu’elles sont seules et sans conjoint, reste néanmoins problématique. Avec une faible couverture sociale, un bas niveau d’éducation, l’absence de maîtrise de la langue française, elles risquent de rencontrer de grandes difficultés d’accès aux soins et services dont elles auraient besoin. Les politiques sociales ne sauraient ignorer leur vulnérabilité.
49Nous remercions Philippe Daveau et Alain Rozenkier pour leur relecture attentive de ce texte, Isabelle Ribeiro pour son assistance dans l’exploitation des données et les relecteurs anonymes de la revue pour leurs critiques et suggestions très constructives.
Bibliographie
? Bibliographie
- AÏT BEN LMADANI F., octobre 2001, « Les femmes marocaines et le vieillissement en terre d’immigration », Confluences Méditerranée, n°39, L’Harmattan, Paris, p. 81-84.
- ANDREZ E., novembre 2001, « Une reconnaissance de fait de la répudiation », Plein Droit, n° 51, Paris, p. 14-16.
- ANDREZ E., SPIRE A., novembre 2001, « Droit des étrangers et statut personnel », Plein Droit, n°51, Paris, p. 3-6.
- AOUDAÏ M., RICHARD J.-L., 2002, « Synthèse introductive : anciens et nouveaux itinéraires migratoires », in Héran F. et al., Immigration, marché du travail, intégration, La Documentation française, Paris, p. 145-155.
- ASIS M., 2004, « Le “marché” des migrations féminines enAsie », in Alternatives Sud, « Genèse et enjeux des migrations internationales », vol. 11, n°1, Centre tricontinental et Syllepse, Paris, p. 39-44.
- ATTIAS-DONFUT C., GALLOU R., RÉGNARD C, WOLFF F.-C., 2004, Passage à la retraite des immigrés, Cnav, Paris, p.36-76.
- ATTIAS-DONFUT C., WOLFF F.-C., 2004, « Liens au pays d’origine et projets de retraite », in Attias-Donfut et al., Passage à la retraite des immigrés, Cnav, Paris.
- ATTIAS-DONFUT C., WOLFF F.-C.,2001, « La dimension subjective de la mobilité sociale », Population, vol. 56, n°6, Ined, p. 919-958.
- ATTIAS-DONFUT C. (dir.), 1995, Les solidarités entre générations, Nathan, coll. « Essais et Recherche », Paris.
- BLANC-CHALÉARD M.-C., 2002, « L’immigration des travailleurs Italiens en France (1850-1970)», in Héran F. et al., Immigration, marché du travail, intégration, La Documentation française, Paris, p. 157-165.
- BLANC-CHALÉARD M.-C., 2001, Histoire de l’immigration, La Découverte, Paris.
- BONNET C., BUFFETEAU S., GODEFROY P., 2001, « Retraite : vers moins d’inégalités entre hommes et femmes ?», Population et Sociétés, n°401, Ined.
- CASTEL R., 1996, « Les marginaux dans l’histoire », in Paugam S. (dir.), L’exclusion, l’état des savoirs, La Découverte, coll. « Textes à l’appui », Paris, p. 32-41.
- DELCROIX C., 2001, Ombres et lumières de la famille Nour, Payot, Paris.
- DENEUVE C., 2002, « Besoins de main-d’œuvre des entreprises et recours à l’immigration : quelles perspectives ?», in Héran F. et al., Immigration, marché du travail, intégration, La Documentation française, Paris, p. 367-400.
- FERRÉ N., 2001, « Quand la polygamie est entrée dans la loi », Plein Droit, n°51, Paris, p. 8-10.
- GREEN N.L., 2002, Repenser les migrations, Puf, coll. « Le nœud Gordien », Paris.
- HÉRAN F. et al., 2002, Immigration, marché du travail, intégration, La Documentation française, Paris.
- HONDAGNEU-SOTELO P., AVILA E., 1997, « The Meanings of Latina Transnational Motherhood », Gender and Society, p. 548-569.
- JOLIVET A., ROZENKIER A. (dir.), 2002, « Gestion des âges et fin d’activité », Retraite et Société, n°36-37, La Documentation française, Paris.
- MOZÈRE L., 2004, « Des domestiques philippines à Paris : un marché mondial de la domesticité défini en terme de genre ?», Journal des anthropologues, n°96-97, p. 291-321.
- MUNOZ M.-C., novembre-décembre 2000, « Les immigrés espagnols retraités en France : entre intégration et vulnérabilité sociale », Hommes et Migrations, n°1228, Paris, p. 95-101.
- NOIRIEL G., 1988, Le creuset français. Histoire de l’immigration, XIXe - XXe siècles, Le Seuil, Paris.
- PASCAL G.,2004, Les retraités nés à l’étranger, Direction de l’actuariat statistique, Cnav, Paris.
- PESSAR P.R., 1999, « The Role of Gender, Households, and Social Networks in the Migration Process : A review and Appraisal », in Hirschman C., Kasinitz P., DeWind J. (eds), The Handbook of International Migration, New York, Russel Sage Fondation, p. 53-70.
- PETEK-SALOM G., juillet-août 2001, « Des gendres et des brus “importés” de Turquie par les familles », Hommes et Migrations, n°1232, Paris, p. 41-50.
- REA A., TRIPIER M., novembre 2003, Sociologie de l’immigration, Paris, La Découverte, coll. « Repères ».
- RESCH Y. et al., 2001, Définir l’intégration ? Perspectives nationales et représentations symboliques, Montréal, XYZ éditeurs et IEP Aix-en-Provence.
- ROULLEAU-BERGER L., LANQUETIN M.-T., 2004, Femmes d’origine étrangère, La Documentation française, coll. « Études et recherches », Paris.
- SAYAD A., 1991, L’immigration ou les paradoxes de l’altérité, De Boeck, Paris, Bruxelles.
- TOURNE M., 1992, « Situation des assurés au moment de la demande de retraite : actifs ou inactifs ?», Retraite et Société, n°2, Cnav, Paris, p. 101-104.
- TRIBALAT M., 1996, De l’immigration à l’assimilation. Enquête sur les populations d’origine étrangère en France, La Découverte, Ined, Paris.
- TRIBALAT M., avril 1995, Faire France. Une enquête sur les immigrés et leurs enfants, La Découverte/essais, Paris.
- VALLET L.-A., 1997, « Les élèves étrangers ou issus de l’immigration : les résultats du panel français dans une perspective comparative », in Aubert F., Tripier M., Vourc’h F., Jeunes issus de l’immigration, Ciemi-L’Harmattan, coll. « Migrations et changements », Paris.
- ZÉROULOU Z., 1988, « La réussite scolaire des enfants d’immigrés. L’apport d’une approche en termes de mobilisation », Revue française de sociologie, vol. 29, n°3, p. 447-470.
Notes
-
[1]
Cette enquête initiée par la Cnav et réalisée en collaboration avec l’Insee, sous la direction de C. Attias-Donfut, avec R. Gallou et A. Rozenkier, a reçu le soutien du FASILD, de l’Arcco-Agirc, la MSA, et la Caisse des mines.
-
[2]
Femmes étrangères et immigrées en France, Actes du colloque organisé le 3 juin 2000 par le Comité de suivi des lois sur l’immigration à l’Assemblée nationale – 1re partie : Sans-papières et droit de séjour (p.7-14).
-
[3]
Ibid, p. 7.
-
[4]
La réforme du Code de la famille – la moudawara –, adoptée à l’unanimité par la Chambre des députés marocains le 16 janvier 2004, permet désormais aux femmes de « maîtriser » juridiquement leur mariage, leur séparation ou leur divorce.
-
[5]
Sont considérées « retraitées » les personnes qui perçoivent une pension de retraite au titre de leur activité passée. Les femmes n’ayant jamais travaillé sont désignées ici « inactives », même si elles perçoivent une pension de réversion.
-
[6]
L’âge d'arrivée en France détermine fortement le déroulement de la carrière :celles qui sont arrivées pendant l’enfance ont bénéficié d’une meilleure formation, d'une meilleure maîtrise du français et ont eu plus d’opportunité de trouver un emploi. L’importance déterminante de l’âge d’arrivée se répercute sur tous les aspects de la vie des immigrés (Sayad, 1991).
-
[7]
L’âge moyen de liquidation de leur retraite du régime général (pour les droits directs) des personnes nées à l’étranger est de 62,6 ans alors que pour les personnes nées en France, il est de 61,4 ans (Gleizes, 2004).
-
[8]
Sur l’ensemble des personnes ayant liquidé leur retraite du régime général en 1990,60,3% des hommes et 70% des femmes étaient sans emploi au moment de leur demande de retraite (Tourne, 1992). Les statistiques annuelles de la Cnav confirment régulièrement la même tendance.
-
[9]
Réalisée en 1992 sur un échantillon de personnes âgées de 49 à 53 ans, un de leurs parents et un de leurs enfants adultes, sur l’ensemble du territoire français métropolitain (Attias-Donfut, 1995).