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Article de revue

Les femmes et les retraites en France : un aperçu historique

Pages 11 à 33

Notes

  • [1]
    Résultats de l’Échantillon interrégimes des retraités (EIR), Drees, 2001.
  • [2]
    Journal officiel de la République française, débats parlementaires, Assemblée nationale, compte rendu intégral des séances – 1re séance du mercredi 1er décembre 1971, p. 6244-6245.
  • [3]
    Journal officiel, débat parlementaire, Assemblée nationale, compte rendu intégral – 1re séance du mercredi 1er décembre 1971, p.6238.
  • [4]
    Id., p.6250.
  • [5]
    Id., p.6263.
  • [6]
    Cf. « Les retraites des femmes : une grande variété de situations », article de Bonnet C.et Colin C.dans le présent numéro, p.202.
  • [7]
    Arrêts Griesmar : Cour de justice des Communautés européennes, Griesmar, 29 novembre 2001, affaire C-366/99; Conseil d’État, 29 juillet 2002, n°141112.
  • [8]
    Les conditions de mise en œuvre de la loi ont suscité d’importantes critiques qui ont conduit à la modification des textes réglementaires initialement pris. Le cadre de cet article ne permet pas d’en traiter de façon détaillée.
  • [9]
    Voir en ce sens les documents de travail des séances plénières du Conseil d’orientation des retraites disponibles sur son site à ll’adresse :www. cor-retraites. fr, et le deuxième rapport du Conseil, « Retraites : les réformes en France et à l’étranger; le droit à l’information », La Documentation française, Paris, 2004.

1 Les femmes bénéficient, en France, de droits à retraite en constante amélioration (Bonnet, Colin, 1999) sous l’effet de l’augmentation des taux d’activité féminins, mais aussi de l’attribution d’avantages qui leur sont propres et dont la montée en charge n’est pas complètement achevée. Il n’en reste pas moins que les pensions des femmes restent aujourd’hui très nettement inférieures à celles des hommes. En 2001, l’écart est estimé à environ 40% [1] entre la retraite moyenne totale perçue par les hommes et celle perçue par les femmes. Il devrait se réduire sensiblement pour les générations futures, sans toutefois que le niveau des pensions des femmes rejoigne celui des hommes.

2Les débats qui ont entouré la récente réforme des retraites, adoptée en août 2003, et qui ont porté de façon vive sur la question du sort fait aux femmes dans la réforme, témoignent du sentiment de beaucoup de femmes de bénéficier d’une insuffisante reconnaissance sociale et de la crainte de voir les avantages qui leur sont consentis réduits au fil du temps, sous la contrainte financière.

3Dans ce contexte, évolutif à bien des égards, il a paru intéressant de se retourner sur le passé pour analyser les évolutions qui ont conduit à la mise en place, dans les régimes de retraite, de multiples avantages familiaux et conjugaux dont la cohérence peut être discutée, mais qui, combinés avec les droits que les femmes tirent de leur activité professionnelle, constituent aujourd’hui une pièce essentielle du revenu des femmes, au moment de la retraite.

4Trois périodes semblent devoir être distinguées. Une première, qui s’étend jusqu’au milieu des années soixante, se caractérise, dans le contexte d’une assurance vieillesse encore peu développée en France, par l’instauration de droits associés à la maternité et de pensions de réversion d’un niveau faible. Une seconde période, qui couvre les années soixante-dix à quatre-vingt, se caractérise par l’adoption de mesures très substantielles destinées à améliorer le niveau de vie des retraités et plus particulièrement des femmes. L’ensemble des mesures alors adoptées constitue l’essentiel des droits qui caractérisent aujourd’hui la prise en charge des femmes dans les régimes de retraite. Ces mesures prennent en compte l’évolution qui conduit, à la même époque, les femmes à obtenir un statut indépendant de celui de leur mari et une plénitude de droits civiques et civils.

5Dans la dernière période, peu d’évolutions des dispositifs prévus dans les régimes de retraite méritent d’être mentionnées, hormis la progressive revalorisation des pensions de réversion. Les interrogations sont cependant grandes dans un contexte où, la montée en charge des régimes achevée, la maîtrise de la progression des dépenses est à l’ordre du jour. Par ailleurs, la question se pose de savoir comment assurer au cours du temps l’adéquation des dispositifs existants à une situation des femmes qui évolue au fil des générations, tant du point de vue de leur activité professionnelle que des formes de la vie familiale.

? Les premiers jalons pour l’ouverture de droits aux femmes dans les régimes de retraite : une focalisation sur la prise en compte de la maternité

6La forte implication des femmes dans l’activité professionnelle est une constante de l’histoire française depuis la fin du XIXe siècle, exception faite du fléchissement observé au cours des deux décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale.

7Cependant, l’activité professionnelle des femmes a longtemps souffert d’une faible reconnaissance sociale, en dehors de certaines grandes entreprises ou de l’administration.

8Les droits particuliers qui ont pu leur être accordés, avant 1945, au titre de la maternité ou en cas de décès de leur conjoint sont, hors certains régimes spéciaux, restés très embryonnaires. Toutefois, il est intéressant de noter que ces droits trouvent leur origine dans la conjonction des revendications féministes et des propositions émanant des courants de pensée natalistes. Cette double inspiration marque encore aujourd’hui la conception des droits ouverts aux femmes dans le système français de protection sociale.

9Pendant leur vieillesse, les femmes sont ainsi longtemps restées tributaires des ressources de leur conjoint. Jusqu’à la fin des années soixante, leur couverture sociale au titre du risque vieillesse était assurée, pour l’essentiel – à défaut de ressources suffisantes du ménage – par des prestations non contributives, accordées sous condition de ressources au titre de la solidarité nationale (allocation des vieux travailleurs salariés créée en 1941 et, à partir de 1956, prestations du Fonds national de solidarité).

10Après avoir présenté les débats qui ont présidé à la mise en place des premiers droits sociaux pour les femmes, on examinera les diverses prestations qui leur sont ouvertes jusqu’à la fin des années soixante dans les régimes de retraite.

? Les débats relatifs à la mise en place des premiers droits sociaux pour les femmes

11Les revendications portées par les premiers mouvements féministes et par le courant nataliste convergent assez tôt en France pour prôner la création de droits sociaux au bénéfice des mères (Bock, 1992).

12La question de la maternité et de sa reconnaissance est au cœur des réflexions des premières féministes. Celles-ci considèrent que les tâches domestiques et les soins à donner aux enfants incombent naturellement aux femmes. C’est au nom de la maternité qu’elles revendiquent des droits pour celles-ci. Elles soulignent le rôle social assumé par les mères et, par analogie au monde du travail, menacent de la « grève des ventres ».

13Elles s’opposent aux mouvements socialistes et syndicaux qui font de la question des femmes une annexe de la question ouvrière et considèrent que le socialisme, en assurant le bien-être des travailleurs et de leurs familles, réglera ipso facto les problèmes des femmes.

14Dès la fin du XIXe siècle, le programme des premiers congrès féministes comporte des propositions d’ordre économique et social telles que le droit à un salaire égal pour un travail égal, mais aussi la mise en place d’une assurance maternité et la rétribution du travail ménager par l’État. C’est en France que, dès le début du XXe siècle, les féministes expriment de manière systématique l’idée qu’hommes et femmes soient reconnus égaux mais différents.

15Les féministes rejoignent ainsi, en se les réappropriant, des préoccupations exprimées par le courant nataliste, très actif en France dès la fin du XIXe siècle. Les natalistes préoccupés du déclin très précoce de la natalité en France, marqués par la défaite de 1870, souhaitent encourager les naissances par des mesures à visée aussi bien sanitaire qu’économique. Il s’agit, notamment, de permettre aux femmes d’avoir des enfants dans de bonnes conditions et de s’en occuper elles-mêmes plutôt que de les confier à des nourrices. Des prestations doivent permettre aux familles avec enfants de vivre dans des conditions décentes.

16Deux types de dispositifs sont mis en place pour répondre à ces préoccupations : le congé maternité et les allocations familiales.

17Dès 1909, un congé maternité de huit semaines, facultatif et non rémunéré, est institué par la loi Engerand. En 1913, ce congé est transformé en congé obligatoire et rémunéré pour certains employeurs et certaines catégories de travailleurs. En 1928, ce congé et les prestations associées (prestations en espèces et assistance médicale gratuite) sont intégrés dans la loi sur les assurances sociales. Sa durée et les allocations versées sont améliorées. On y retrouve la double inspiration féministe et nataliste. Ce congé reconnaît le droit de la mère active d’interrompre son activité au moment de la maternité et le droit de la mère inactive (épouse d’un assuré social) de bénéficier d’un certain nombre de prestations au titre de la maternité. Il est subordonné à diverses conditions quant à l’âge de la mère à la naissance des enfants et l’espacement des naissances.

18C’est en 1913 que sont instituées des allocations familiales, financées par l’État, au bénéfice des familles nombreuses nécessiteuses et de certaines catégories de fonctionnaires. Parallèlement, certains employeurs, inspirés notamment par le catholicisme social et soucieux de fidéliser la main-d’œuvre, ont mis en place des sursalaires familiaux au bénéfice des pères de famille. Dans le courant des années trente, l’Union féminine civique et sociale, proche du catholicisme social, et l’Union française pour le suffrage des femmes revendiquent des allocations de mère au foyer pour toutes les femmes sans emploi et des allocations familiales généralisées versées par l’État. Lorsqu’en 1932 sont instituées les allocations familiales qui seront améliorées en 1938 puis 1939, une allocation de la mère au foyer égale à 10 % du salaire de l’assuré est créée.

19Cette convergence ne doit pas masquer l’existence d’oppositions et de débats qui portent sur quelques questions dont certaines revêtent une grande importance.

20Un premier débat de principe traverse le mouvement féministe lui-même et consiste à savoir si la maternité doit être reconnue comme une fonction sociale ouvrant des droits financés collectivement ou doit rester une affaire purement privée. La crainte est exprimée par certaines femmes de voir la reconnaissance de droits sociaux déresponsabiliser les pères, chefs de famille, et les détourner de leur obligation de subvenir aux besoins du ménage. La crainte est d’autant plus vive qu’il est clair que les transferts financiers organisés par l’État ont nécessairement des limites.

21Un deuxième débat oppose très fortement les féministes et les courants natalistes traditionalistes. Pour les unes, les prestations ouvertes au titre de la maternité ou des charges d’enfants doivent être directement versées aux mères. Pour les autres, elles doivent être attribuées aux chefs de famille. C’est en 1946 que la IVe République rétablit définitivement le versement aux mères des prestations de maternité que le régime de Vichy avait attribuées aux pères.

22Les positions sur la participation des femmes à l’activité économique sont, quant à elles, fluctuantes. Cette activité est peu valorisée socialement et l’idéal est, dès lors que le ménage dispose de ressources suffisantes, l’inactivité de la femme. L’activité des femmes est cependant largement intégrée par tous les courants de pensée et les gouvernements comme une nécessité pour une large fraction de la population. Les prestations sociales sont conçues pour permettre aux femmes qui travaillent d’assurer dans de bonnes conditions leur maternité. C’est de manière symptomatique pendant la guerre de 14-18, moment où la main-d’œuvre féminine était particulièrement nécessaire, que le congé de maternité connaît de sensibles améliorations. La pression pour un retrait des femmes du marché du travail ne s’exprime réellement que pendant des périodes limitées, notamment au moment de la crise des années trente.

? Les droits ouverts aux femmes dans les régimes de retraite avant la fin des années soixante

23On distinguera les droits personnels tirés par les femmes de l’exercice d’une activité professionnelle ou de la maternité, des droits dérivés résultant de l’activité de leur conjoint.

Les droits personnels des femmes

24À titre personnel, les femmes tirent des droits limités de leur activité professionnelle sauf dans quelques régimes spéciaux. Elles se voient, par ailleurs, accorder des validations au titre de la maternité qui demeurent d’une portée modeste.

25Bien que très présentes dans l’activité économique, les femmes, jusqu’à la fin des années soixante, se voient ouvrir à ce titre des droits très faibles pour diverses raisons. Tout d’abord, l’activité des femmes qui aident leur conjoint exploitant agricole ou travailleur indépendant est très mal reconnue. Elles sont à cette époque très nombreuses et, ne disposant pas d’une rémunération identifiée, ne jouissent de droits sociaux que dérivés de ceux de leur mari. Par ailleurs, dans les régimes de salariés, diverses conditions de stage sont imposées (durées d’assurance minimales) que de nombreuses femmes ne remplissent pas, en raison de trop faibles durées d’activité.

26La création du régime général ne change cet état de fait que de façon limitée puisqu’en 1945, il y est prévu une condition de stage de quinze ans. Les assurés ayant cotisé moins de cinq ans bénéficient du simple remboursement de leurs cotisations. Les assurés ayant cotisé entre cinq et quinze ans bénéficient d’une rente calculée en fonction des cotisations versées.

27À ces droits qui peuvent être tirés de l’activité professionnelle, s’ajoutent dès l’entre-deux-guerres des validations de périodes de congé maternité.

28Prévues dans le cadre du régime des assurances sociales mis en place en1930, elles sont reconduites en 1945 dans le régime général de laSécurité sociale. La législation du congé maternité évolue après 1945, perdant partiellement ses caractéristiques natalistes, par l’assouplissement des conditions d’âge de la mère ou le faible espacement des naissances. Sa validation se fait, dans le régime général, sur la base du salaire d’activité de la mère. Des droits analogues sont prévus dans les régimes complémentaires de salariés du secteur privé qui montent progressivement en charge au cours des années soixante.

29Dans un certain nombre de régimes spéciaux et particulièrement dans les régimes de fonctionnaires, les femmes se voient reconnaître depuis longtemps (sous réserve des conditions de stage) des droits analogues à ceux des hommes, auxquels s’ajoutent des avantages particuliers : âges de départ en retraite plus faibles, possibilités de départs anticipés pour les mères de trois enfants et majorations de durées d’assurance au titre de l’éducation des enfants (d’un an, en général) s’ajoutant à la validation des périodes de congé maternité.

Les droits dérivés de ceux du conjoint

30Avant 1945, la réversion n’est systématiquement organisée que dans les régimes spéciaux qui fonctionnent en répartition et où des droits sont accordés aux conjointes survivantes des assurés et aux orphelins, dans des conditions qui s’améliorent au fil du temps.

31Dans les régimes en capitalisation, la réversibilité se fait avec réduction des rentes inscrites au compte individuel du travailleur ou par affectation d’une partie des cotisations de l’assuré à un compte individuel ouvert au nom du conjoint.

32La loi créant en 1910 les retraites ouvrières et paysannes ne prévoit pas de réversion. Dans le cadre des assurances sociales instituées en 1930, deux possibilités sont ouvertes : l’accès à l’assurance à titre facultatif ou la possibilité de demander que les cotisations versées au compte individuel soient constituées à capital réservé.

33En 1945, une pension de réversion est prévue dans le régime général au taux de 50% de la pension de l’assuré. Ses conditions d’octroi sont, cependant, extrêmement restrictives. Elle est accordée sans condition d’âge à la veuve invalide ou au veuf incapable de travailler et par conséquent de subvenir à ses besoins. Elle n’est en revanche accordée qu’à compter de 65 ans à la veuve ou au veuf à charge de l’assuré et ne bénéficiant d’aucune pension personnelle. Ces conditions seront légèrement assouplies au cours des années cinquante et soixante.

34Pour être complet, s’agissant des droits dérivés, il convient de mentionner la majoration pour conjoint à charge, accordée dans le régime général aux assurés ayant un conjoint à leur charge, et fixée à la moitié du montant de l’Allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS).

? Un ensemble d’avantages familiaux et conjugaux pour les femmes actives : une approche tournée vers la constitution de droits propres

35La fin des années soixante marque un changement radical de perspective, s’agissant de la place des femmes dans la société et des aspirations qu’elles expriment.

36Après une période marquée par un accroissement du nombre des ménages où la femme reste au foyer, l’activité professionnelle des femmes s’impose comme le modèle dominant au cours des années soixante-dix à quatre-vingt. La progression de cette activité est fortement liée au développement des services et du salariat.

37Les femmes se voient reconnaître, après le droit de vote (en 1945), un statut autonome de celui de leurs maris avec, en 1965, la fin de la tutelle maritale, en 1970, la fin de l’autorité parentale réservée au chef de famille et, en 1975, la réforme du divorce. Ces évolutions marquent l’accès des femmes à une plénitude de droits civils qui doivent logiquement trouver leur prolongement dans le domaine social.

38Dans le même temps, apparaît le scandale de la grande misère de personnes âgées oubliées des années de prospérité qui suivent la Seconde Guerre mondiale et constituent les Trente glorieuses. Les travaux de la Commission réunie en 1962 sous la présidence de Pierre Laroque attestent la prise de conscience du problème et le souhait d’y porter remède. Pendant des années, le rapport de cette Commission sera la bible de référence. Il faudra néanmoins dix ans pour qu’à partir du début des années soixante-dix, d’importantes mesures soient adoptées dans le but d’assurer un niveau de vie convenable aux personnes âgées. Les droits des femmes, qui sont alors faibles, font l’objet de mesures particulières très substantielles.

39On peut dire que se constitue alors l’édifice des différents avantages qui demeurent aujourd’hui pour l’essentiel, et dont certains n’ont pas achevé leur montée en charge.

? Les débats des années 1960-1970 relatifs à l’amélioration des droits sociaux des femmes

40À cette époque, le divorce est consommé entre les féministes et les familialistes qui s’inscrivent dans la tradition nataliste française.

41Le mouvement féministe, à partir des années soixante, revendique la maîtrise par les femmes de leur corps, le contrôle des naissances, la liberté d’avorter. Les féministes considèrent alors que la femme, égale de l’homme, doit se voir reconnaître des droits indépendamment de la maternité. Elles revendiquent l’égalité professionnelle entre hommes et femmes. Elles luttent contre la domination sexuelle des hommes et contestent les normes familiales traditionnelles. Elles se démarquent ainsi, de façon parfois virulente, des thèses défendues par les familialistes.

42Pour une grande partie d’entre elles, critiques d’une approche légaliste qui ne permettrait pas d’échapper à la domination masculine, elles sont peu présentes dans le débat sur l’évolution de la législation sociale. On mentionnera toutefois l’article publié en 1977 par Rolande Cuvillier dans la revue Droit social, intitulé de manière symptomatique : « L’épouse au foyer, une charge injustifiée pour la collectivité ».

43Du côté du mouvement familialiste, la famille traditionnelle est magnifiée avec pour finalité la reproduction et l’éducation des enfants. La femme est considérée en tant que mère. L’activité professionnelle des femmes est vue de manière négative dès lors qu’elles ont des enfants à charge. L’idéal est la mère au foyer se consacrant aux tâches domestiques et à l’éducation des enfants. La famille de trois enfants est la référence qui inspire encore aujourd’hui la politique familiale.

44Le salaire maternel, dont les représentants du mouvement familial proposent la systématisation, est récusé par les féministes et par beaucoup de femmes, qui y voient un moyen de provoquer le retrait du marché du travail des femmes et de les priver de toute autonomie. Comme le note Rolande Ruellan dans son article paru en 1976 dans Droit social, « La femme et la sécurité sociale »: « Ces idées de salaire maternel et de rémunération d’un service rendu à la Nation sont le plus souvent avancées par des hommes (et quelques femmes également) qui veulent réduire la femme au rôle de procréatrice et de maîtresse de maison. » On mesure le chemin parcouru depuis les congrès féministes du début du XXe siècle !

45Cependant, la société évolue et le travail féminin devient un fait irréversible concernant toutes les couches de la société. La famille ne cesse d’être une valeur de référence. Mais sa forme change : la famille dite « nucléaire » devient la règle, du fait notamment de l’urbanisation. L’instabilité des unions s’accroît avec l’augmentation rapide du nombre de divorces.

46Ces évolutions s’inscrivent dans un contexte de très forte croissance économique alimentée en partie, d’ailleurs, par l’augmentation des taux d’activité féminins. Le salariat devient le modèle dominant.

47Deux types de questions sont, dès lors, posées dans le champ de la protection sociale : la première est celle de l’amélioration des droits sociaux que rend possible l’accroissement général de la richesse nationale; la seconde est celle de l’adaptation des dispositifs aux transformations de la famille.

48L’idée se fait jour, notamment dans les débats internationaux, de la nécessité de développer des droits propres pour les femmes. Les propositions formulées par Pierre Laroque dans son article, « Droits de la femme et pensions des veuves », paru en 1972 dans la Revue internationale du travail rendent compte de cette évolution. Il y note :

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« Les régimes de sécurité sociale en vigueur ont été conçus et se sont développés en fonction de l’hypothèse de base plus ou moins implicite d’une minorité féminine, d’une dépendance de la femme dans la famille. En revanche, l’évolution contemporaine des idées dans tous les pays modernes est commandée par l’affirmation croissante de l’égalité des sexes, par l’interdiction de toute discrimination entre hommes et femmes. La question se pose donc de savoir si le moment n’est pas venu de remettre en cause les principes qui commandent les régimes de pensions de veuves. »

50Il indique, en conséquence, que : « La femme comme l’homme, devrait avoir en toute hypothèse un droit propre à une pension de vieillesse. La femme ne saurait jouir d’une pension de vieillesse propre, d’un montant satisfaisant, que si l’on peut faire entrer en compte à son égard aussi bien le temps passé à l’éducation des enfants et à l’entretien du foyer que le temps qu’elle a pu consacrer à l’exercice d’une activité professionnelle. On devrait ainsi faire intervenir :

  • les années d’activité professionnelle de l’intéressée, ce qui ne pose pas de problème;
  • les années consacrées par la femme à son foyer, à l’éducation des jeunes enfants, et cela sans versement d’aucune cotisation : la femme pourrait être regardée, en tant que de besoin, comme ayant perçu, pour de telles périodes, une rémunération fictive égale à une fraction, par exemple la moitié, des gains professionnels du mari;
  • les années consacrées par la femme à son foyer, même en l’absence de jeunes enfants, mais alors avec obligation de verser une cotisation, calculée ici encore sur une fraction des gains professionnels du mari, la cotisation incombant en ce cas au mari. »

51Les améliorations opérées dans les régimes de retraite au cours des années soixante-dix se nourrissent de cet ensemble de réflexions et d’aspirations parfois contradictoires, même si les arguments avancés dans les débats politiques sont souvent d’ordre plus pratique et tournés vers l’amélioration concrète du montant des pensions féminines.

? Les mesures adoptées au cours des années soixante-dix

52Les principales mesures d’amélioration des droits à retraite des femmes résultent des lois Boulin. Il est important de rappeler que ces lois se proposaient d’améliorer de manière très significative la situation matérielle des personnes âgées par la modification des paramètres des régimes de retraite et d’ouvrir de façon circonscrite des possibilités nouvelles de départ à la retraite anticipé (c’est-à-dire, à l’époque, avant 65 ans). Elles se heurtaient à une très forte contestation de l’opposition de gauche qui demandait alors le droit à la retraite à 60 ans pour les hommes et 55 ans pour les femmes, avec un taux de remplacement de 75% du salaire de base et un taux de réversion de 75%.

53S’agissant des femmes, les mesures prises concernent principalement les droits qui leur sont accordés à titre personnel et, dans une moindre mesure, les droits à réversion.

Les droits personnels des femmes

54Avant d’examiner les mesures spécifiquement destinées aux femmes dans les lois Boulin, il est utile de s’arrêter sur certaines mesures générales qui, même si cela n’a pas été vu au moment de leur adoption, ont beaucoup bénéficié aux femmes : il s’agit de la suppression de la condition de stage dans le régime général et du passage d’un calcul surla base des dix dernières années à un calcul sur la base des dix meilleures.

55En effet, ces deux mesures, favorables aux assurés validant des durées d’assurance courtes et ayant connu d’importants aléas de carrière, profitaient naturellement beaucoup aux femmes, leur permettant d’améliorer très significativement les droits tirés de leur activité professionnelle. Il est amusant de noter que les arguments avancés pour justifier ces mesures étaient : un souci de simplification administrative (s’agissant de la condition de stage), la volonté de ne pas pénaliser les assurés ayant des fins de carrière « descendantes » et de ne pas les dissuader de prolonger leur activité (s’agissant des dix dernières années). Les femmes ont, par ailleurs, bénéficié des revalorisations exceptionnelles des pensions décidées à la même époque, et particulièrement du doublement du minimum vieillesse.

56À ces droits se sont ajoutés des droits spécifiques réservés aux femmes. Il n’est pas inutile de citer ici la présentation faite par le ministre Boulin au cours de la discussion générale de la loi du 31 décembre 1971 [2] : « J’ai indiqué la grande injustice dont sont victimes en France les femmes qui travaillent. Je rappelle un chiffre qui m’a beaucoup frappé : 56% des femmes mises à la retraite à soixante-cinq ans n’ont cotisé au régime de retraite que pendant vingt-cinq années à peine. Pourquoi cela ? Parce qu’elles ont admirablement rempli leur devoir de mères de famille, qu’elles sont restées au foyer pour élever leurs enfants en bas âge, et qu’elles n’ont commencé à travailler qu’après que ces enfants eurent été élevés.

57La seule solution, dont je reconnais qu’elle ne jouera qu’à terme et qu’elle n’aura pas d’effet rétroactif, réside dans le projet de la loi qui prévoit que les caisses d’allocations familiales verseront pour les femmes bénéficiant de la majoration de l’allocation de salaire unique, si elles sont salariées, ou de l’allocation de la mère au foyer, dans le cas contraire, une cotisation fondée sur le Smic pendant toute la période durant laquelle elles resteront chez elles pour élever leurs enfants.

58Cette période de travail – il faut bien l’appeler ainsi – de la mère au foyer s’ajoutera aux autres périodes de travail effectives, et ainsi sera reconstituée à terme une carrière normale, le temps de travail salarié étant complété par le temps passé au foyer pour l’éducation des enfants. Voilà une réforme capitale. Elle viendra s’ajouter à celle qui, dès le 1er janvier 1972, aura pour effet d’accorder aux mères de famille une bonification d’un an par enfant à partir du troisième. »

59C’est ainsi que sont créées une assurance vieillesse des mères de famille et une majoration de durée d’assurance pour les périodes d’éducation des enfants.

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  • L’assurance vieillesse des mères de famille : créée en 1972 au bénéfice des mères de famille ouvrant droit à la majoration de l’allocation de salaire unique ou à l’allocation de mère au foyer, elle conduit au versement de cotisations d’assurance vieillesse à la charge des caisses d’allocations familiales calculées sur la base du Smic. Les femmes concernées se voient ainsi ouvrir au régime général des droits calculés sur cette même base pendant les périodes d’inactivité professionnelle au cours desquelles elles se sont consacrées à l’éducation de leurs enfants. Cette assurance est transformée en 1978 en assurance vieillesse des parents au foyer.
  • La majoration de durée d’assurance pour enfants : créée également en 1972 au bénéfice des assurées du régime général, elle est d’un an par enfant à partir du troisième. Elle sera portée à deux ans par enfant quel que soit le rang de l’enfant en 1975. De telles majorations d’un an par enfant existaient déjà dans un certain nombre de régimes spéciaux et, en particulier, dans la fonction publique.

61Par ailleurs, la revendication d’un abaissement de l’âge de la retraite portée par les syndicats de salariés et les partis de gauche débouche sur des mesures ciblées au bénéfice des personnes atteintes d’inaptitude au travail, des travailleurs manuels et, aussi, des femmes.

62C’est ainsi qu’à partir de 1975, une possibilité de départ anticipé à la retraite à partir de 60 ans est ouverte dans le régime général aux ouvrières mères de trois enfants qui ont totalisé trente années d’assurance. À partir de 1977, les femmes totalisant à 60 ans trente-sept années et demi d’assurance bénéficient de la retraite à taux plein sans autre condition.

63Dans un certain nombre de régimes spéciaux, les conditions d’âge de départ à la retraite sont, depuis longtemps, différentes pour les hommes et pour les femmes. Des possibilités de départ sans condition d’âge, sous réserve d’une durée d’assurance de quinze ans, sont ouvertes notamment dans les régimes de fonctionnaires aux mères de trois enfants.

64Les possibilités de retraite anticipée concernant les femmes répondent à l’idée selon laquelle les femmes subissent une double charge lorsqu’elles travaillent, charge domestique et charge professionnelle qui doit être reconnue socialement.

65On citera ici M. Hoffer, rapporteur de la loi du 31 décembre 1971 [3] :

66

« Reconnaître qu’élever des enfants est pour une travailleuse éprouvant pour la santé – comme l’est cette tâche dont personne ne parle jamais, qui met l’épouse, la ménagère, la mère de famille, la citoyenne au service de son foyer, de sa famille et de la société pendant toutes les heures de sa vie qu’elle ne consacre pas à son repos – c’est bien davantage mettre fin à une iniquité que réaliser une promotion sociale. »

67Au cours du même débat, M. Poncelet [4] déclarait : « L’abaissement de l’âge de la retraite pour la femme a toujours été un des objectifs du groupe parlementaire auquel j’appartiens. Il faut faire encore davantage pour la femme au travail qui accuse souvent, à âge égal, une usure plus marquée que son compagnon. N’oublions pas qu’elle a porté, pendant sa vie active, le double fardeau de ses tâches domestiques et de son activité salariée. »

68M. Lebas, dans l’opposition, indiquait quant à lui [5] : « J’estime que socialement, pour ne pas dire économiquement, la femme qui a travaillé de ses mains, qui, en outre, a été une mère de famille exemplaire a droit, quels que soient les circonstances économiques et le coût de la solidarité, à la retraite à 60 ans. Nous qui connaissons les sujétions du travail féminin dans les usines pouvons témoigner, sans démagogie aucune, en notre qualité de parlementaire mais avec un cœur d’homme, des spectacles affligeants auxquels nous avons assisté. »

Les droits dérivés

69Alors que depuis la Commission sur l’assurance vieillesse présidée en 1962 par Pierre Laroque, toutes les commissions du Plan et les débats parlementaires qui se sont succédé font état de la situation matérielle très difficile des veuves, les améliorations des pensions de réversion servies par le régime général ne se font que lentement. Des décrets de 1972 portent au Smic le plafond de ressources auquel est subordonné l’octroi d’une pension de réversion. C’est une loi de 1975 qui abaisse à 55 ans l’âge d’ouverture du droit à une pension de réversion dans le régime général et ouvre une possibilité de cumul partiel entre une pension personnelle et une pension de réversion. Le taux de la réversion reste fixé à 50% et il faudra attendre le milieu des années quatre-vingt pour le voir fixé à 52 puis à 54%.

70De fait, les régimes complémentaires Arrco et surtout Agirc ouvrant des droits à réversion à un taux supérieur, sans condition d’âge ni de ressources, joueront un rôle compensateur vis-à-vis du régime général.

71L’évolution de la législation sur le divorce et l’accroissement du nombre de divorces, conduiront, par ailleurs, à l’introduction d’une règle de partage des pensions de réversion entre conjoints et ex-conjoints en cas de divorce.

? Les évolutions et les débats depuis le début des années quatre-vingt

72Au début des années quatre-vingt, le débat relatif aux retraites des femmes s’est poursuivi en se centrant sur la question de la généralisation de droits propres pour ces dernières. Par ailleurs, la nécessité d’améliorer le revenu des femmes titulaires de pensions de réversion, toujours particulièrement faibles, est demeurée jusqu’à aujourd’hui une constante préoccupation.

73Cependant, depuis le début des années quatre-vingt, peu de mesures de grande ampleur ont été prises au bénéfice des femmes dans les régimes de retraite. Les avantages importants mis en place au cours des années soixante-dix au titre de l’éducation des enfants devaient, en effet, progressivement monter en charge et s’ajouter aux droits résultant d’une activité professionnelle croissante au fil des générations. En outre, se sont très rapidement imposées des considérations financières liées à la persistance d’un chômage de masse et aux perspectives démographiques futures. Ces considérations ont contribué à faire passer au second plan les débats relatifs aux droits des femmes.

74Au début des années quatre-vingt-dix, puis plus récemment en 2003, diverses mesures ont été prises pour assurer la maîtrise à long terme des transferts opérés entre les générations par les régimes de retraite. De plus, la jurisprudence communautaire impose à la France une adaptation de sa législation, afin de la mettre en conformité avec l’approche de l’égalité de traitement entre hommes et femmes retenue par les instances européennes, qui diffère sensiblement de l’approche française.

75Ces différents éléments alimentent l’inquiétude et ont redonné une actualité à la question des droits à la retraite des femmes, comme en témoignent les vifs débats qui ont suivi l’adoption de la réforme d’août 2003.

? Les débats depuis le début des années quatre-vingt

76La perspective d’une généralisation des droits propres a été au cœur du débat sur les retraites des femmes au début des années quatre-vingt. Ce projet, porté par le courant féministe, a donné lieu en 1982 à la commande à C. Même, membre du Conseil d’État et à F. Bonniol, membre de l’Inspection générale des affaires sociales, d’un rapport d’ensemble qui ne devait jamais être publié. De fait, au cours des années suivantes, si l’on excepte les mesures importantes prises pour doter les conjoints collaborateurs de travailleurs indépendants d’un statut et de droits sociaux, le projet fut suivi de peu de mesures concrètes, malgré les demandes constantes des féministes.

77Ce projet connaît aujourd’hui un regain d’actualité, sous l’influence des instances de l’Union européenne qui prônent l’individualisation des droits sociaux, dans une perspective d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes. C’est ainsi que, s’appuyant sur l’approche communautaire (Commission européenne, 1997), un certain nombre de féministes défendent l’idée d’une généralisation des droits individuels et universels destinés à assurer un traitement identique des hommes et des femmes (Kerschen, 2003; Lanquetin, Letablier, 2003). Cette approche est critiquée par divers experts de la protection sociale qui, prenant acte de la différenciation persistante des rôles des hommes et des femmes, considèrent comme nécessaire le maintien de solidarités familiales et de droits dérivés au bénéfice des femmes (Zaidman, 1998; Sterdyniak, 2004).

78La mise en œuvre d’un projet de généralisation des droits propres et de suppression des droits dérivés se heurte en effet en France à de considérables difficultés.

79La première est une difficulté de principe. Même s’il a beaucoup évolué, le droit français civil, fiscal, social, consacre toujours le principe de solidarités familiales, corollaires de la différenciation des rôles des hommes et des femmes. Cette approche, contraire à l’autonomie des individus que l’on peut par ailleurs souhaiter, revêt néanmoins à bien des égards un caractère protecteur pour les femmes. La généralisation de droits propres peut, en conséquence, difficilement être conçue dans la seule sphère sociale : elle suppose une réflexion d’ensemble, englobant le droit des personnes et de la famille, qui dépasse largement le domaine des retraites.

80La deuxième difficulté est de fait. Dans un contexte où la situation des femmes sur le marché du travail demeure significativement moins favorable que celle des hommes, les droits propres qui devraient leur être accordés en complément des droits tirés de l’activité professionnelle, pour leur assurer une parité de situation avec les hommes, sont considérables. Aussi, le risque est-il grand d’aboutir, en cas de suppression des droits dérivés, à une dégradation pure et simple de la situation matérielle des femmes.

81On retrouve ici les difficultés soulignées dans leurs travaux des années soixante-dix par P. Laroque ou R. Cuvillier qui n’imaginaient possible le financement collectif de droits propres pour les femmes que pour des périodes limitées d’éducation des enfants (ce qu’ont fait les lois des années soixante-dix). Au-delà, selon eux, le financement de droits supplémentaires ne pouvait relever que de la prévoyance des ménages.

82Ainsi s’explique qu’au début des années quatre-vingt, l’État, sous l’impulsion notamment du ministère des Droits des femmes, ait choisi d’aborder le problème du système de retraite en amont, en développant ses efforts dans deux directions : la promotion de l’égalité professionnelle des hommes et des femmes avec pour corollaire la reconnaissance d’une possibilité de partage égal des responsabilités familiales entre les parents, d’une part, la facilitation de la conciliation de l’activité professionnelle et des responsabilités familiales, pour les deux parents, d’autre part.

83Ces thématiques continuent encore aujourd’hui de structurer la politique et le débat publics, même si leurs termes sont renouvelés avec l’évolution du contexte économique et social. Elles ont des prolongements dans les systèmes de retraite eux-mêmes, à travers la question de la prise en compte par les régimes des formes particulières de l’activité et des carrières féminines, ainsi que des congés pris pour l’éducation des enfants.

84La focalisation des préoccupations sur l’insertion professionnelle des femmes et sur l’hypothèse d’un développement des droits propres a conduit indirectement à ce que les réflexions de principe demeurent faibles sur la question des droits dérivés et de leur possible évolution. Il n’en reste pas moins que la revendication de leur amélioration, portée par les associations de personnes âgées, les organisations syndicales et l’ensemble des courants politiques, est demeurée constante dans le débat public au cours des vingt dernières années.

? L’évolution de la législation et les droits des femmes depuis le début des années quatre-vingt

85Les vingt années écoulées se caractérisent par la montée en charge des droits tirés par les femmes de leur activité professionnelle, constituant en pratique un socle de droits propres de plus en plus substantiel au fil des générations. Du fait des caractéristiques différentes des carrières des hommes et des femmes, l’impact sur les femmes des mesures générales prises depuis le début des années quatre-vingt dans les régimes de retraite mérite cependant d’être examiné.

86Tout au long de cette période, les droits mis en place dans le courant des années soixante-dix au titre des périodes d’éducation des enfants ont poursuivi leur développement, constituant un ensemble de droits substantiels, mais obéissant à des logiques diverses. L’hétérogénéité des dispositifs existants a encore été accentuée par l’intervention de la jurisprudence communautaire dans les régimes de fonctionnaires.

87Enfin, diverses mesures ont été prises pour améliorer les droits des conjoints survivants sans, cependant, que se dégage une philosophie commune à l’ensemble des régimes.

Les droits que les femmes tirent de leur activité professionnelle et l’évolution générale de la législation

88Les principales mesures adoptées dans les régimes de retraite depuis le début des années quatre-vingt ont une portée générale.

89C’est ainsi que les mesures de 1982 portant abaissement de l’âge de la retraite n’ont pas distingué les hommes des femmes. Le fait de retenir unedurée d’assurance tous régimes de trente-sept années et demi pour l’ouverture du droit à la retraite à taux plein, dans le régime général et les régimes alignés, ne permettait cependant pas à beaucoup de femmes de partir avant 65 ans, du fait de carrières incomplètes. L’amélioration des basses pensions – majoration du minimum vieillesse, amélioration du minimum contributif – devait, en revanche, particulièrement bénéficier aux femmes.

90Lors des réformes intervenues au début des années quatre-vingt-dix dans les régimes de salariés du secteur privé, et en particulier lors de la réforme du régime général de 1993, la question féminine a, de même, été largement absente du débat. Ce n’est que par la suite que l’effet particulier des mesures prises sur les femmes est apparu. Il est certain que, du fait de carrières plus accidentées et plus courtes, elles sont davantage que les hommes touchées par le passage du calcul de la pension sur la base des dix meilleurs salaires à un calcul sur les vingt-cinq meilleurs, combiné avec une indexation des salaires servant à ce calcul sur les prix. Paradoxalement, la mesure la plus discutée sur le moment – le passage d’une durée d’assurance de trente-sept ans et demi à quarante ans – a pour elles des conséquences atténuées, d’une part, parce qu’un certain nombre d’entre elles ne pouvaient déjà partir qu’à 65 ans et, d’autre part, en raison de l’augmentation des durées d’assurance qu’elles valident.

91La récente réforme de 2003, qui concerne aussi bien le régime général que les régimes de fonctionnaires a, en revanche, donné lieu à beaucoup de débats concernant les retraites des femmes.

92Un certain nombre des mesures prises dans le cadre de cette réforme vont dans le sens d’un renforcement de la contributivité des régimes : prise en compte des seules périodes cotisées pour l’accès à certains droits (majorations du minimum de pension, retraite anticipée), allongement des durées d’assurance requises pour accéder au taux plein, modification des règles de proratisation des pensions en fonction de la durée d’assurance.

93D’autres mesures sont prises en sens inverse, telles la revalorisation du minimum de pension, les règles de validation particulières pour certaines périodes de temps partiel ou encore la diminution de la décote appliquée aux personnes partant à la retraite avant de remplir les conditions d’âge et de durée d’assurance ouvrant droit au taux plein. Le bilan d’ensemble est donc difficile à réaliser et les travaux permettant de l’établir, qui n’en sont qu’à leur début, doivent être poursuivis [6].

Les validations au titre des périodes d’éducation des enfants

94Ces validations résultent de deux types de dispositifs :

  • majorations de durée d’assurance au titre de l’éducation des enfants, existant dans la plupart des régimes de base;
  • assurance vieillesse des mères au foyer qui donne lieu au versement de cotisations d’assurance vieillesse au régime général par la Caisse nationale des allocations familiales, calculées sur la base du Smic.

95Au début des années quatre-vingt, l’ensemble de ces validations était réservé aux femmes, supposées assurer la charge des enfants.

96En 1985, une loi intervient pour étendre aux pères, dans les mêmes conditions qu’aux mères, le bénéfice de l’assurance vieillesse dite désormais des « parents au foyer ». Ce dispositif permet pour tout parent bénéficiaire de prestations familiales (au titre d’enfants en bas âge ou de familles de plus de trois enfants) dont les ressources sont supérieures à un certain seuil (ce seuil n’exclut qu’environ 20% des ménages) de bénéficier, s’il ne travaille pas, de validations de périodes d’assurance valorisées sur la base du Smic dans le régime général. Il bénéficie également aux parents isolés pour lesquels est admis le maintien d’une certaine activité professionnelle. Dans les faits, cette assurance bénéficie essentiellement aux femmes.

97Les majorations de durée d’assurance accordées dans les régimes ont en revanche été réservées aux femmes jusqu’à une période récente et ont connu peu de modifications. Leur portée a cependant changé avec la mise en place de conditions de durée d’assurance pour l’accès au droit à une retraite à taux plein avant 65 ans dans un certain nombre de régimes. Alors qu’à l’origine les majorations permettaient essentiellement d’accroître le montant des pensions des femmes, désormais elles assurent toujours cette fonction mais permettent aussi à certaines femmes d’accéder plus tôt au droit à la retraite au taux plein.

98Récemment, une jurisprudence communautaire a néanmoins jugé contraire au principe d’égalité de traitement entre hommes et femmes posé dans le traité de l’Union, le fait de réserver exclusivement aux femmes fonctionnaires le bénéfice de la bonification de durée de service d’un an par enfant pour le calcul de la retraite [7]. Le gouvernement a été conduit à tirer les conséquences de cette jurisprudence dans la loi portant réforme des retraites d’août 2003. Désormais, dans les régimes de fonctionnaires, pour les enfants nés à partir de 2004, une prise en compte gratuite des périodes d’éducation est possible pour les hommes comme pour les femmes, dans la limite de trois ans, sous réserve d’avoir interrompu ou réduit son activité. Une majoration de durée d’assurance de deux trimestres liée à l’accouchement est, par ailleurs, prévue pour les femmes.

99Le dispositif existant dans le régime général n’est, en revanche, pas remis en cause. En effet, les directives communautaires admettent, dans ce régime qualifié de « légal » (par opposition aux régimes liant droits sociaux et statut professionnel), le maintien d’avantages particuliers, comme les majorations de durée d’assurance, au bénéfice des femmes.

100La situation actuelle se caractérise ainsi par la coexistence d’une diversité de dispositifs de validation des périodes d’éducation des enfants, que les évolutions récentes ont encore accrue. La réflexion sur les évolutions possibles de ces dispositifs doit nécessairement être conduite de façon cohérente avec l’approche retenue s’agissant notamment des formes de conciliation de l’activité professionnelle et des responsabilités familiales.

L’évolution des pensions de réversion

101Les années 1980-1990 ont été l’occasion d’une amélioration des pensions de réversion du régime général et des régimes alignés, avec le passage progressif à un taux de réversion de 54% et une extension corrélative des plafonds de cumul.

102Une assurance veuvage allouant des prestations minimales d’un montant cependant très faible et sous condition de ressources a été mise en place pour les salariés du secteur privé, touchés par le veuvage avant 55 ans.

103Dans le même temps, la mise en œuvre du droit communautaire aboutissait à une certaine restriction des droits à pension de réversion dans les régimes complémentaires des salariés du secteur privé.

104Au total, pour les salariés du secteur privé, le système de réversion résultant de la combinaison du régime de base et des régimes complémentaires aboutit aujourd’hui, en moyenne, au maintien du niveau de vie du survivant lors du décès du conjoint. La réforme de 2003 s’est proposé de répondre à deux critiques adressées à ce système : la complexité des conditions d’attribution de la pension de réversion du régime général et la mauvaise prise en charge du veuvage avant 55 ans. Depuis cette réforme, la pension de réversion du régime général est accordée sans condition d’âge et avec une seule condition de ressources [8].

105Dans les régimes du secteur public et, en particulier, les régimes de fonctionnaires, les conditions d’attribution de la pension de réversion étaient traditionnellement plus restrictives pour les hommes que pour les femmes. La jurisprudence communautaire ayant jugé cette différence de traitement contraire au principe d’égalité, la réforme d’août 2003 a aligné les conditions d’octroi des pensions de réversion au bénéfice des hommes sur celles des femmes.

106Malgré la simplification résultant de la réforme, on constate la persistance d’une diversité de règles entre les régimes, marquant une hésitation entre deux logiques :

  • une logique visant à n’accorder la réversion qu’aux conjoints survivants titulaires de ressources insuffisantes – c’est celle qui est retenue dans le régime général et les régimes alignés;
  • une logique visant à accorder la réversion à l’ensemble des survivants, quels que soient leurs ressources ou leurs droits propres à pension, de manière à garantir le maintien de leur niveau de vie antérieur – c’est celle qui est retenue dans les régimes de fonctionnaires, la plupart des régimes spéciaux et les régimes complémentaires de salariés du secteur privé.

107Enfin, le constat du développement du nombre de couples en situation de concubinage stable peut conduire à s’interroger sur l’absence de prise en compte d’une réalité aussi répandue, dans le cadre du droit social, traditionnellement attaché à la prise en considération des situations de fait. Cette interrogation est aujourd’hui renouvelée par la revendication exprimée d’une extension du bénéfice de la réversion aux « pacsés ».

108Pour argumenter une position sur ces sujets, une clarification des objectifs du système de réversion est nécessaire. La position pourra, en effet, varier si l’on considère que la réversion est faite pour compenser le désavantage professionnel subi par les personnes assurant au sein d’un couple les tâches domestiques et l’éducation des enfants (généralement les femmes) ou si, par exemple, elle doit simplement consacrer le choix d’une vie en couple, en assurant, au décès de l’un des deux membres d’un couple, le maintien du niveau de vie du survivant. La question du statut juridique du couple considéré est une deuxième question.

? Conclusion

109L’approche historique retenue met en évidence, dès l’apparition des régimes de retraite, la coexistence de droits ouverts aux femmes actives et inactives. De façon surprenante, les dispositifs de réversion sont à l’origine très peu développés et leur amélioration tardive, alors que, très tôt, des droits sont ouverts aux femmes au titre de la maternité en vue de compléter ceux qu’elles tirent de leur activité professionnelle.

110L’augmentation continue des taux d’activité féminins et, surtout, une meilleure reconnaissance au fil du temps de l’activité des femmes liée au développement du salariat, consacrent définitivement l’accès des femmes à des droits propres. Les mesures prises dans le courant des années soixante-dix pour compléter ces droits, alors encore embryonnaires, revêtent des formes multiples. En outre, leur portée a changé selon l’évolution générale de la législation et de la situation des femmes.

111Ces évolutions justifient une réflexion d’ensemble [9], aujourd’hui rendue difficile par l’hétérogénéité des situations entre groupes sociaux et entre générations, ainsi que par l’absence de modèle explicite susceptible de faire l’objet d’un consensus. Le regard porté sur l’histoire passée laisse cependant penser que cette diversité de situations et de références n’est pas une nouveauté.

? Bibliographie

  • BOCK G., 1992, « Pauvreté féminine, droits des mères et États providence », in Duby G., Perrot M., Histoire des femmes en Occident, le XXe siècle, vol. V, Plon, Paris.
  • BONNET C., COLIN C., 1999, « Les disparités de retraites entre hommes et femmes : vers une réduction ?», in Annexe C du Rapport du Conseil d’analyse économique, n°15, « Égalité entre femmes et hommes : aspects économiques », La Documentation française, Paris, p. 169-176.
  • COMMISSION EUROPÉENNE, mars 1997, « Moderniser et améliorer la protection sociale dans l’Union européenne : communication de la Commission », Luxembourg.
  • CUVILLIER R., décembre 1977, « L’épouse au foyer, une charge injustifiée pour la collectivité », Droit social, p. 427-437.
  • KERSCHEN N., février 2003, « Vers une individualisation des droits sociaux : approche européenne et modèles nationaux », Droit social, n°2, Paris, p. 216-222.
  • LANQUETIN M.-T., LETABLIER M.-T., septembre 2003, « Individualisation des droits sociaux et droits fondamentaux, une mise en perspective européenne », Recherches et Prévisions, n° 73, Cnaf, Paris, 24 p.
  • LAROQUE P., juillet 1972, « Droits de la femme et pensions de veuve », Revue internationale du travail, vol. 106, n°1.
  • RUELLAN R., janvier 1976, « La femme et la sécurité sociale », Droit social, p. 56-73.
  • STERDYNIAK H., juillet 2004, « Contre l’individualisation des droits sociaux », Revue de l’OFCE, n°90, Presses de Sciences Po, Paris, p. 419-460.
  • ZAIDMAN C., septembre 1998, « L’individualisation des droits réduirait-elle les inégalités entre les hommes et les femmes ?», Droit social, n°6, Paris, p. 590.

Date de mise en ligne : 01/02/2007

https://doi.org/10.3917/rs.043.0011

Notes

  • [1]
    Résultats de l’Échantillon interrégimes des retraités (EIR), Drees, 2001.
  • [2]
    Journal officiel de la République française, débats parlementaires, Assemblée nationale, compte rendu intégral des séances – 1re séance du mercredi 1er décembre 1971, p. 6244-6245.
  • [3]
    Journal officiel, débat parlementaire, Assemblée nationale, compte rendu intégral – 1re séance du mercredi 1er décembre 1971, p.6238.
  • [4]
    Id., p.6250.
  • [5]
    Id., p.6263.
  • [6]
    Cf. « Les retraites des femmes : une grande variété de situations », article de Bonnet C.et Colin C.dans le présent numéro, p.202.
  • [7]
    Arrêts Griesmar : Cour de justice des Communautés européennes, Griesmar, 29 novembre 2001, affaire C-366/99; Conseil d’État, 29 juillet 2002, n°141112.
  • [8]
    Les conditions de mise en œuvre de la loi ont suscité d’importantes critiques qui ont conduit à la modification des textes réglementaires initialement pris. Le cadre de cet article ne permet pas d’en traiter de façon détaillée.
  • [9]
    Voir en ce sens les documents de travail des séances plénières du Conseil d’orientation des retraites disponibles sur son site à ll’adresse :www. cor-retraites. fr, et le deuxième rapport du Conseil, « Retraites : les réformes en France et à l’étranger; le droit à l’information », La Documentation française, Paris, 2004.

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