1Depuis le sommet de Lisbonne de mars 2000, une nouvelle méthode de travail se met progressivement en place dans le domaine social sous le nom de « méthode ouverte de coordination » (Moc). L’introduction de cette méthode a été décidée afin de poursuivre le nouvel objectif stratégique fixé à l’Union européenne au cours de ce sommet, à savoir « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».
2La stratégie européenne en matière d’emploi est à l’origine de la Moc. En effet, lorsque le titre «Emploi» a été intégré dans le traité d’Amsterdam, il n’a pas été prévu d’octroyer de nouvelles compétences à l’Union européenne en matière d’emploi mais d’amener les États membres à considérer l’emploi comme une question d’intérêt commun devant faire l’objet d’une approche commune. Trois grandes phases ont alors été élaborées : définition de lignes directrices, mise en oeuvre de plans d’action nationaux, évaluation de ces plans et recommandations.
3Le Conseil européen de Lisbonne a formalisé cette approche permettant de diffuser les meilleures pratiques et d’assurer une plus grande convergence au regard des principaux objectifs de l’Union européenne.
4La Moc est actuellement mise en oeuvre dans des domaines nombreux et variés tels que les politiques communautaires en matière de jeunesse, d’éducation, d’immigration, d’asile politique et d’inclusion sociale. En privilégiant l’utilisation de cette méthode, plus informelle mais plus pragmatique et plus impliquante directement que les autres instruments plus classiques de régulation dont dispose l’Union, des domaines jusqu’alors réservés à la compétence exclusive des États font désormais l’objet d’une approche européenne commune et d’une forme de concertation ou, tout au moins, de discussion.
5En matière de retraite, un constat a été fait lors de plusieurs Conseils européens : les États membres de l’Union européenne doivent faire face à différents défis communs qui sont l’arrivée à la retraite de la génération du baby-boom, les faibles taux de natalité et les progrès de l’espérance de vie avec leurs implications sur les systèmes de pensions qui doivent rester viables et adéquats.
6Pour relever ces défis, un groupe de haut niveau qui devient le Comité de protection sociale est créé et le Conseil européen de Göteborg des 15 et 16 juin 2001 adopte trois principes déclinés dans le cadre de la Moc devant garantir la viabilité à long terme des systèmes de pensions : préserver la capacité des systèmes à atteindre leurs objectifs sociaux, maintenir leur viabilité financière et répondre à l’évolution des besoins de la société.
7Cependant, la recherche de la viabilité des systèmes de retraite ne sera pas assurée uniquement par l’adaptation des systèmes de retraite. Elle dépend aussi d’une politique de l’emploi réussie et d’une bonne maîtrise des finances publiques. C’est la stratégie à trois branches définie par les grandes orientations économiques européennes.
La méthode ouverte de coordination définie au Conseil de Lisbonne
L’originalité de cette méthode
8onçue pour aider les États membres à développer progressivement leurs propres politiques, cette méthode est ainsi définie dans les conclusions du Conseil de Lisbonne des 23 et 24 mars 2000 :
- définir des lignes directrices pour l’Union, assorties de calendriers spécifiques pour réaliser les objectifs à court, moyen et long terme fixés par les États membres ;
- établir, le cas échéant, des indicateurs quantitatifs et qualitatifs et des critères d’évaluation par rapport aux meilleures performances mondiales, qui soient adaptés aux besoins des différents États membres et des divers secteurs, de manière à pouvoir comparer les meilleures pratiques ;
- traduire ces lignes directrices européennes en politiques nationales et régionales en fixant des objectifs spécifiques et en adoptant des mesures qui tiennent compte des diversités nationales et régionales ;
- procéder régulièrement à un suivi, une évaluation et un examen par les pairs, ce qui permettra à chacun d’en tirer des enseignements.
9L’approche retenue est totalement décentralisée, conformément au principe de subsidiarité, et associe l’Union, les États membres, les collectivités régionales et locales ainsi que les partenaires sociaux et la société civile. Sans déroger à ce principe, il est dorénavant admis que la viabilité des régimes de pensions peut et doit faire l’objet d’un débat transnational.
10Une méthode d’évaluation des meilleures pratiques en matière de gestion des changements est en cours d’élaboration par la Commission européenne en coordination avec différents prestataires et utilisateurs, à savoir les partenaires sociaux, les entreprises et les organisations non gouvernementales. Par ailleurs, le Conseil européen voit son rôle d’orientation et de coordination renforcé de façon à ce que la stratégie globale poursuivie soit atteinte et que les résultats fassent l’objet d’un suivi effectif. Chaque année au printemps, le Conseil définira les mandats pertinents et veillera à leur suivi.
11Ainsi, cette nouvelle méthode permet une approche originale : informelle et pragmatique car non créatrice de normes juridiques et pourtant contraignante car demandant une implication très forte de tous les acteurs, surtout des États, et des engagements précis qui seront évalués régulièrement.
12L’application de ces engagements ne fait pas l’objet d’une pression juridique ou judiciaire, par le biais du contrôle de la Cour de justice mais est fondée sur une démarche volontaire des États membres rendue publique et dont les opinions publiques nationales pourront suivre les orientations et les réalisations. La méthode ouverte de coordination est d’abord un moteur politique.
13Un débat est cependant en cours afin de décider si la Moc doit ou non être intégrée dans le traité de l’Union. Les partisans de cette intégration plaident pour une rationalisation de la méthode et pour lui conférer un caractère plus contraignant ; les opposants pensent que le succès de cette méthode tient justement à son caractère informel et que toute tentative de rationalisation se révélerait infructueuse.
Le respect du principe de subsidiarité
14La Moc est mise en œuvre dans le respect du principe de subsidiarité, c’est-à-dire sans modifier les responsabilités respectives des décideurs au niveau européen et national. Concrètement, le choix des politiques en matière de retraite reste l’affaire des États membres tant en matière de conception que de gestion.
15Le respect de ce principe est une des conditions de réussite de la Moc puisque elle intervient dans des domaines jusque-là réservés à la compétence exclusive des États.
16Une des conséquences de la mise en œuvre de la Moc a été de modifier les rôles des acteurs traditionnels du « jeu communautaire ». En effet, la Commission a, dans le cadre de la Moc, un rôle d’accompagnant et de facilitateur plutôt que d’initiateur de réformes. Les acteurs principaux sont les États membres qui acceptent volontairement de s’engager autour d’objectifs communs et de présenter leurs stratégies nationales qui donnent lieu ensuite à une évaluation commune par leurs pairs. Ensuite les États devront, en fonction des difficultés identifiées et en s’aidant des meilleures pratiques avérées, ajuster leurs politiques en fonction de cette évaluation.
17Il ne s’agit plus de déclarations d’intention ou du respect d’obligations liées à des règlements issus de compromis et interprétés par la Cour de justice.
18Certes, la Commission, par le biais du rapport conjoint avec le Conseil, continue à donner son avis et peut tenter de faire prévaloir certaines orientations mais elle n’a plus le monopole de l’initiative dans ce domaine.
19Cela sera-t-il un gage d’efficacité ? D’une plus grande implication de la part des États membres et d’une clarification des responsabilités ?
20Pour que ce partage des responsabilités entre l’Union européenne et les gouvernements soit plus claire, une volonté politique des États est nécessaire.
21Le manque de communication actuel sur la méthode ouverte de coordination et ses futures implications au niveau national, dans certains pays dont la France, laisse planer le doute. Hors du cercle des spécialistes, « méthode ouverte de coordination » ne doit pas signifier grand-chose. Phénomène classique dès que l’on touche au domaine européen, comme si expliquer trop réduirait le flou et laisserait « l’empereur nu ». D’autres États ont cependant choisi d’avoir un débat au Parlement sur ce sujet. Enfin, la Moc ne peut pas être parée de toutes les vertus et résoudre tous les problèmes dont celui qui consiste à prendre « l’Europe » comme bouc émissaire de toutes les mesures difficiles à faire passer politiquement !
22Cependant, le rapport annuel de stratégie nationale que doivent fournir les gouvernements contribuera certainement, dans certains cas malgré eux, à améliorer la transparence et à favoriser la communication dans le domaine de la protection sociale. En effet, ces rapports, ainsi que celui les commentant de la Commission et du Conseil, feront certainement l’objet de communication dans la presse. Cette transparence est un grand changement mais il faudra du temps pour faire évoluer les mentalités et les habitudes.
La nécessaire distinction entre les objectifs et les instruments de la politique sociale
23Mélanger les objectifs à atteindre et les moyens de parvenir à la politique sociale européenne souhaitée par les États membres irait à l’encontre de l’esprit de subsidiarité dont le respect est lié fondamentalement à la Moc. Les moyens de réalisation des objectifs doivent être analysés et commentés mais ils sont librement choisis par chacun des États et ne peuvent être imposés dans le cadre de la Moc.
24Les onze objectifs suivants ont été arrêtés au Conseil européen de Laeken de décembre 2001 sur proposition du Comité de protection sociale (CPS) et du Comité de politique économique (CPE). Ce sont des objectifs explicites, clairs et convenus d’un commun accord ayant pour objectif de traduire le modèle social européen recherché.
Pensions adéquates
251. Prévenir l’exclusion sociale des personnes âgées.
262. Permettre aux retraités de maintenir leur niveau de vie. 3. Promouvoir la solidarité entre les générations et au sein des générations.
Viabilité financière des régimes de pension
274. Élever les niveaux d’emploi.
285. Allonger la durée de vie professionnelle.
296. Garantir des retraites viables dans un contexte de finances publiques saines.
307. Ajuster les prestations et les cotisations de manière à faire partager de façon équilibrée les conséquences financières du vieillissement entre les générations.
318. Assurer que les régimes de pension privés sont adaptés et financièrement sains.
Adaptation à l’évolution des besoins
329. Adapter les régimes de pension à de nouveaux schémas d’emploi et de carrière plus souples.
3310. Répondre aux aspirations concernant une plus grande égalité entre les femmes et les hommes.
3411. Rendre les régimes de pension plus transparents et démontrer leur capacité à relever les défis.
35Pour la première fois, le modèle social européen basé sur des valeurs sociales communes est défini plus précisément et cela doit permettre de dépasser les déclarations générales d’intention. La Moc n’a pas vocation à imposer ou à faire converger les systèmes nationaux vers un schéma unique d’organisation mais elle fixe des objectifs communs aux politiques des États et leur donne les moyens d’atteindre ces objectifs en organisant une collecte d’informations, des bonnes pratiques puis, en les chiffrant de manière quantitative et qualitative au moyen des indicateurs. Une évaluation et un suivi périodiques des politiques nationales garantissent l’efficacité et le pragmatisme de ces échanges.
36Le choix des moyens à mettre en œuvre est cependant indépendant de ce travail de mise en commun et d’évaluation. Il reste de la compétence exclusive des États. Cela devrait permettre enfin de dépasser le traditionnel débat entre capitalisation et répartition. En donnant des éléments d’appréciation des différents systèmes existants, la Moc permet d’évaluer ces systèmes sur des bases qui devront être objectives et reconnues par tous. Ensuite, en fonction de considérations historiques et des mentalités, chaque État fait le choix des instruments qui lui semblent les plus adaptés.
Les défis à relever dans le domaine de la protection sociale
L’équilibre entre les dimensions sociales et économiques
37Le principal défi est d’arriver à établir un équilibre entre les dimensions sociales et économiques.
38Souhaité par le Conseil de Lisbonne, rappelé régulièrement dans les documents émanant des différentes institutions européennes impliquées dans ce chantier, l’équilibre entre le social et l’économique est le garant de la réussite. La viabilité des systèmes de retraite doit s’appréhender sous l’angle double de leur visibilité ou viabilité financière et sociale.
39L’approche recherchée est résumée dans cette formule que l’on doit à M. Franck Vandenbroucke, ministre fédéral des Affaires sociales et des pensions en Belgique et qui a présidé le Conseil de ministres européens de l’emploi et de la politique sociale pendant la présidence belge de juin à décembre 2001 : « Le problème des pensions est un problème social avec une dimension économique forte et pas un problème économique avec une dimension sociale forte. »
40Pour atteindre ce résultat, les tensions entre les approches économique et sociale doivent être réduites car, d’une part, la viabilité des idéaux sociaux des systèmes de retraite est nécessairement liée à leur viabilité économique et, d’autre part, la viabilité économique d’un système de retraite n’est pas une fin en soi. Le vieillissement des populations constitue un grand défi financier puisque les dépenses publiques consacrées au financement des pensions représentent actuellement 10 % du PIB de l’Union européenne. C’est aussi un grand défi social afin de prévenir l’exclusion et de garantir un niveau de pension adéquat et équitable entre les générations et au sein des générations.
41Pratiquement, afin de concilier ces deux approches, la recherche des objectifs et de leurs indicateurs a été confiée au Comité de protection sociale et au Comité de politique économique. Le travail commun de ces deux comités doit permettre de trouver cet équilibre. Au travers des travaux déjà effectués, cet équilibre semble avoir été trouvé. Cependant, il serait illusoire de considérer que le rapport de force entre social et économique est pérenne et sans risque de changement. Différents éléments peuvent faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Le plus important est la modification de la conjoncture économique : favorable en 2000, elle l’est nettement moins en 2003. Cela pourrait redonner une prééminence à la sphère économique.
42Pour prévenir cette éventualité, il importe – ainsi que l’a souligné Raoul Briet, président du Comité de protection sociale de janvier 2001 à décembre 2002, lors d’une conférence organisée à Bruxelles le 29 janvier 2003 par la Cnav et la BfA allemande sur l’avenir de l’assurance vieillesse en Europe – que les travaux de ce comité et ceux de la Commission soient crédibles en termes économiques. La création d’indicateurs, reflets des valeurs communes qui constituent le modèle social européen, sera la concrétisation de cette crédibilité et des choix économiques et sociaux qui auront été faits.
L’élaboration des indicateurs
43Si le choix et la définition d’objectifs communs a été assez aisé, s’accorder sur ces indicateurs pour chacun de ces onze objectifs s’avère techniquement et politiquement plus difficile et délicat. Un sous-groupe de travail « indicateurs » au sein du Comité de protection sociale est chargé de les définir en relation avec le groupe de travail « vieillissement » du Comité de politique économique en ce qui concerne la viabilité financière. Certains indicateurs sont plus simples que d’autres à définir comme le nombre de personnes en âge d’être retraitées ou le revenu des retraités. Par contre, il sera plus difficile d’établir un consensus sur la définition du revenu adéquat. De plus, ces indicateurs ne doivent pas être seulement financiers mais aussi être le reflet de la situation sociale des personnes âgées. Ils sont recherchés sur la base de cinq principes :
- la continuité : ils doivent être utilisables pendant toute la durée des réformes, c’est-à-dire entre 30 et 50 ans, sans devoir être remis en cause ou redéfinis compte tenu des évolutions ;
- la compatibilité : ils doivent être compatibles avec les standards internationaux et nationaux ;
- la clarté : leur interprétation doit être univoque, claire et reconnue ;
- la complexité : ils doivent être suffisamment porteurs de contenu pour pouvoir rendre compte des interactions des systèmes de retraite avec d’autres domaines tels que les exonérations de cotisations sociales, les aides à la création d’entreprise, etc. ;
- la consistance : ils doivent donner une image exhaustive et globale sans être trop nombreux.
44Compte tenu de l’utilisation des indicateurs dans la vie politique interne, leur détermination est aussi un enjeu politique essentiel pour les États membres.
45Conçus comme des instruments techniques, ces indicateurs peuvent devenir des contraintes et des références pour les politiques nationales. Ils suscitent, d’ores et déjà, de nombreuses craintes et questions : ces indicateurs seront-ils utilisés par les médias comme moyen d’information ou comme moyen de comparaison entre les systèmes nationaux ? Et, dans ce cas, cela ne suscitera-t-il pas des attentes injustifiées, des incompréhensions ou des interprétations simplistes ?
46Dans tous les cas, la mise en place de ces indicateurs devrait entraîner une certaine transparence dans un domaine où jusqu’à présent subsistent trop souvent encore de grandes zones d’ombres au niveau national. Mais les indicateurs étant toujours en cours d’adoption, il convient de rester prudent.
Les premiers résultats
Les rapports nationaux
47Le rapport français a été rendu dans une conjoncture politique particulière puisque, venant d’arriver au pouvoir, le nouveau gouvernement ne pouvait dévoiler un plan d’action en matière de retraite sans avoir au préalable consulté les partenaires sociaux. Aussi, il constitue plutôt un rappel des règles existantes et des réformes déjà entreprises. On peut imaginer, compte tenu du calendrier gouvernemental annoncé en matière de retraite, que le prochain rapport annuel sera plus novateur et contiendra davantage de pistes de réflexion ou bien traitera des réformes déjà commencées.
48À la lecture des différents rapports nationaux, on s’aperçoit que l’exercice est difficile : ces rapports sont davantage le reflet de l’existant qu’une projection pour l’avenir, ce qui est logique dans la mesure où ces rapports n’ont pas vocation à remplacer des débats nationaux ou à servir de lancement à des projets de réformes. De façon générale, les rapports nationaux ont davantage mentionné toutes les mesures ayant trait à l’emploi mais ont très peu développé leurs stratégies par rapport à l’autre objectif fixé par le Conseil de Barcelone des 15 et 16 mars 2002 qui était de rallonger de cinq ans l’âge de la cessation d’activité. Le nouveau régime de pension suédois apparaît comme une référence de ce qui peut être fait en matière de réforme des pensions. Il semble très apprécié par la Commission du fait de sa neutralité actuarielle. En effet, à part la solidarité entre homme et femme au travers de facteurs unisexes, le nouveau régime établit une corrélation stricte entre le montant total des pensions et le montant des contributions versées pendant la carrière. Le montant de la pension déclinera au fur et à mesure que la longévité augmentera et que la rémunération moyenne diminuera. Pour corriger ce mécanisme, il est prévu que les pensions contributives peu élevées soient complétées par un montant garanti indexé sur l’inflation.
49On peut observer que, dans ce système, tous les risques financiers sont supportés par les bénéficiaires. Ceux-ci peuvent, recevant une information très complète et régulière, influer sur le montant de leurs droits à pension en prolongeant leur vie active ou en combinant travail à temps partiel et retraite partielle. Cette possibilité est une réalité en Suède, pays ayant le taux d’emploi des personnes âgées (55-64 ans) le plus haut d’Europe soit 66,7% de la population en 2001; et la progression de 2000 à 2001 a été de 1,7 %. Par contre, compte tenu de la situation actuelle du marché de l’emploi de nombreux autres États, cette possibilité risquerait d’être illusoire. Ainsi l’Italie a également procédé à un changement radical similaire à la Suède en transformant également son système de pension en système à contributions définies. Par contre, le rattrapage de la baisse du niveau des pensions par une prolongation de la vie active semble plus théorique, le taux d’emploi des travailleurs âgés étant de 28 % en 2001 et la progression de 2000 à 2001 de 0,3 % (les chiffres cités ci-dessus sont extraits du projet de rapport du 17 décembre 2002).
Le projet de rapport conjoint de la Commission soumis au Conseil
50Le premier projet de rapport conjoint de la Commission et du Conseil sur des pensions viables et adéquates a été soumis au Conseil le 17 décembre 2002. Il a été approuvé par le Conseil les 6 et 7 mars 2003 et proposé en tant que contribution au Conseil européen des 20 et 21 mars 2003. La dernière version de ce rapport n’était malheureusement pas encore disponible au moment de la conclusion de cet article. Ce premier rapport évalue transversalement les rapports nationaux présentés en septembre 2002 au regard de chacun des onze objectifs regroupés en trois thèmes qui sont l’adéquation, la viabilité et la modernisation. Il présente en annexe un résumé par pays. Pour la Commission, il ressort de l’ensemble des rapports nationaux que tous les États membres sont dans l’ensemble confiants et estiment qu’ils pourront atteindre les objectifs communs de l’Union. Tous les États veillent à ce que la plupart des gens accumulent des droits à pension et que les personnes âgées bénéficient d’un revenu minimal même lorsque leurs droits à pension sont insuffisants. La vieillesse n’est donc plus synonyme de pauvreté, le risque de paupérisation est même plus grand pour les jeunes dans de nombreux États.
51Ce revenu est largement assuré par les régimes publics liés aux revenus, premier pilier, mais les États encouragent également les régimes privés. Le traitement équitable entre les générations est assuré par des mesures redistributives dans les régimes de pension du premier pilier sous la forme de minima garantis ou de crédits validant des périodes n’ouvrant pas droit à pension comme le chômage, la maladie, le congé parental, etc. Relever les niveaux d’emploi et prolonger la vie active sont des éléments importants de la stratégie des États. Cependant, dans de nombreux cas, le rythme des réformes est trop lent pour atteindre les objectifs de Stockholm et de Barcelone : augmenter le taux d’emploi des personnes âgées de 38,5 % à 50 % en 2010 et relever de cinq ans l’âge effectif de départ à la retraite d’ici 2010.
52La viabilité financière des régimes est une urgence reconnue devant être gérée avant que les effets du vieillissement de la population soient effectifs. Aussi, les stratégies des États influent sur trois éléments : le relèvement du taux d’emploi, la réduction de la dette publique et la réforme des régimes de pension, conformément à la stratégie à trois branches définie dans le cadre des grandes orientations des politiques économiques (Gope) de 2002. Cependant, la plupart des États projettent de larges augmentations des dépenses de pension ou de forts taux d’endettement qui compromettent la viabilité financière à long terme des régimes de pension.
53Concernant la modernisation des régimes, ceux du second pilier ne sont pas encore assez adaptés aux travailleurs atypiques et aux travailleurs mobiles : ils sont moins bien couverts et perdent des droits en cas de changement d’employeurs.
54Ainsi, il apparaît que l’ensemble des États membres ont, soit lancé, soit déjà réalisé des réformes majeures dans les années quatre-vingt-dix. Mais, de nombreux États estiment nécessaire d’aller plus loin. Les rapports nationaux montrent que les États sont résolus à relever les défis financiers sans porter atteinte aux objectifs sociaux de leurs systèmes de retraite. Cet équilibre, que souligne la Commission, est indispensable à la réussite politique des réformes des pensions.
55Le résumé concernant la France est nettement moins optimiste. La France sera l’un des premiers États de l’Union à affronter le problème du vieillissement de sa population mais elle ne semble pas la mieux préparée. À réglementations inchangées, le taux de dépendance des personnes âgées devrait s’accroître dans une fourchette de 82 à 112 %, les dépenses publiques augmenter de 12,6 à 16,3 % en 2040 et le système des retraites évoluer d’un excédent de 0,6 % du PIB à un déficit de 3,8 % en 2040. Deux défis majeurs sont à relever afin de pouvoir améliorer cette situation : relever le taux d’emploi des personnes âgées et réformer le système des retraites. Le taux d’emploi des personnes âgées en France est l’un des plus faibles d’Europe. Le gouvernement souhaite y remédier en introduisant des mesures d’incitation pour retarder l’âge réel de sortie du marché du travail sans augmenter l’âge minimum légal de départ à la retraite.
56Un consensus sur la réforme du système des retraites semble difficile à trouver compte tenu de l’existence de nombreux régimes spéciaux publics et privés, souvent plus généreux que le régime de base obligatoire des salariés du privé. La transparence du système dans son entier devrait être améliorée, afin de rechercher une meilleure équité intergénérationnelle, surtout entre travailleurs des secteurs public et privé. Dans son rapport, le gouvernement français a annoncé son intention de conduire une nouvelle réforme du régime des pensions au cours du premier semestre 2003, après concertation approfondie avec les partenaires sociaux. De plus, le fonds de réserve créé en 1999 continuera à être alimenté de façon à contribuer au financement des dépenses de pensions ; ce fonds devrait atteindre 150 milliards d’euros en 2020.
57Ces arguments semblent peu convaincants au regard de la conclusion de la Commission : le financement n’est pas garanti dans les décennies à venir et des réformes de grande ampleur sont nécessaires. Elles seront difficiles à mener si un consensus politique « puissant » n’est pas trouvé...
58Un autre élément du rapport de la Commission concerne l’extension de cette méthode aux nouveaux États membres. Le Conseil européen de Göteborg a d’ores et déjà invité les pays candidats à traduire dans leurs politiques nationales les objectifs économiques, sociaux et environnementaux de l’Union européenne. La mise en place de régimes de pension adéquats, viables et modernes fait partie de ces objectifs. Dans son projet de rapport, la Commission encourage, en son nom et en celui du Conseil, les pays candidats à exploiter à cette fin l’expérience des États membres décrite dans ce rapport. Enfin, la Commission propose de demander aux pays candidats d’élaborer leurs propres rapports de stratégie nationale basés sur les onze objectifs communs. Des réunions préparatoires pourraient être organisées à la fin du printemps ou début de l’été afin que ces rapports soient présentés dès leur adhésion.
Conclusion
59La Moc est une méthode en plein devenir qui doit éviter deux écueils. D’une part, la méthode ouverte de coordination doit surtout éviter de s’éloigner de sa philosophie de départ qui est de mettre en place un échange d’expériences. Remplacer cet échange par des jugements de valeurs et une classification des politiques nationales, les indicateurs étant utilisés à cette fin est une dérive qui doit être combattue.
60Cette dérive ne serait acceptable par aucun des États membres et mettrait fin à toute coopération dans ce domaine. Elle concrétiserait les craintes et réticences de nombreux acteurs de la protection sociale vis-à-vis de la Moc. Ils craignent que ce dispositif se retourne contre eux en donnant une prééminence à la performance sur les objectifs sociaux et que ce soit une autre façon d’harmoniser les systèmes de retraite en Europe sur un modèle unique et d’inspiration libérale. Toutes les parties associées à ce chantier, la Commission et le Comité de protection social (CPS) ainsi que les représentants des États et les différentes présidences, sont très sensibles à ce risque et le dénoncent préventivement et vigoureusement.
61Mais, d’autre part, la Moc doit faire ses preuves en démontrant qu’elle n’est pas un nouveau concept à la mode sans impact réel sur le devenir de l’Europe sociale. Elle ne doit pas être une nouvelle instance productrice de débats uniquement théoriques sans influence sur les stratégies nationales. Elle peut être un formidable moteur pour les réformes à venir en permettant à tous d’échanger et de communiquer sur les problèmes à résoudre et les différentes solutions possibles.
62La méthode de coordination européenne comme toutes les constructions européennes sera ce que les États membres veulent que cela soit. L’avenir de la protection sociale européenne dépend clairement de la volonté affichée et constatée des États et des choix qu’ils feront.