Couverture de RS_039

Article de revue

Avant-propos

Pages 4 à 9

Notes

  • [1]
    Blanche Le Bihan, « La prise en charge des personnes âgées dépendantes en Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni et Suède : une étude de cas-types », Drees, Études et résultats, n° 176, juin 2002.
  • [2]
    Hélène Michaudon, « Les personnes handicapées vieillissantes : une approche à partir de l’enquête HID », Drees, Études et résultats, n° 204, décembre 2002.

1 Le secteur de l’aide aux personnes âgées connaît actuellement des mutations importantes. L’année 2002, en particulier, a été marquée par la mise en place de l’Allocation personnalisée d’autonomie (Apa), destinée à mieux solvabiliser les personnes âgées ayant des restrictions d’activités et à favoriser le maintien à domicile. Cette nouvelle prestation, aux conditions d’accès plus souples que la Prestation spécifique dépendance (PSD) qu’elle a remplacée, modifie sensiblement les conditions de prise en charge des personnes âgées qui ont besoin d’aide et le rôle respectif des différents acteurs, dans un contexte de vieillissement de la population qui interroge l’ensemble de la société. Face à la rapide montée en charge de la prestation et aux difficultés financières de certains départements qui gèrent l’Apa, une réforme vient d’être votée au Parlement et une première mission des inspections générales des affaires sociales, des finances et de l’administration a rendu ses conclusions en mai, sans attendre le bilan d’évaluation de la mise en place de l’Apa prévu par la loi du 20 juillet 2001 pour fin juin 2003.

2L’afflux des demandes d’Apa dès le premier trimestre 2002 montre combien le besoin était patent, combien cette prestation répondait à une attente des personnes âgées, de leur entourage et de la société dans son ensemble, même si des difficultés subsistent. Cette demande n’était auparavant que partiellement satisfaite par les différentes prestations proposées par de multiples financeurs (PSD, aide ménagère des caisses de retraite, aide ménagère des départements entre autres).

3En mars 2002, a également été créé le diplôme d’État d’auxiliaire de vie sociale (DEAVS), étape essentielle dans la professionnalisation du secteur de l’aide à domicile, après les années quatre-vingt-dix au cours desquelles la création d’emplois non qualifiés a été l’une des préoccupations sous-jacentes au développement de l’aide aux personnes âgées. La mise en place du DEAVS vise ainsi à augmenter la formation et la qualification des aides à domicile en ouvrant l’accès à ce diplôme en formation initiale (alors que le Cafad, Certificat d’aptitude aux fonctions de l’aide à domicile, n’était ouvert qu’en formation continue), en créant des passerelles et en permettant une validation des acquis de l’expérience.

4La réforme de la tarification des établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes (EHPAD), initiée en 1999, poursuit par ailleurs sa mise en application. Elle bouleverse les modalités de financement des établissements, et les conventions tripartites doivent préciser les objectifs d’amélioration de la qualité de la prise en charge des personnes accueillies.

5Enfin, pour ne citer que quelques faits majeurs, la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médicosociale a réaffirmé les droits des usagers des établissements sociaux et médicosociaux en instaurant un livret d’accueil, une charte des droits et libertés, l’obligation d’un contrat de séjour, la mise en place d’un projet d’établissement, etc.

6Ces transformations institutionnelles interviennent en France alors que d’importants progrès ont été réalisés récemment dans la connaissance de l’épidémiologie du vieillissement et des conditions de vie des personnes âgées grâce à des cohortes comme Paquid ou à l’enquête Handicap-Incapacité-Dépendance (HID), réalisée par l’Insee, et que, par ailleurs, des évolutions conceptuelles majeures sur les questions de handicap à tout âge sont en cours depuis l’adoption, en mai 2001, de la classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé par l’Organisation mondiale de la santé.

7La France est bien entendu loin d’être le seul pays confronté aux évolutions démographiques qui conduisent à un accroissement de l’importance numérique des personnes âgées en situation de perte d’autonomie. Des débats existent au niveau européen, et la plupart des pays ont mis ou mettent en place des politiques gérontologiques d’envergure croissante. Au moins deux particularités semblent toutefois pouvoir être soulignées dans les dispositifs français. Tout d’abord, ces derniers se sont attachés, en choisissant une grille nationale d’évaluation de la dépendance, la grille Aggir, à objectiver l’état des personnes, à quantifier le niveau de restriction d’activité. Cela a pu conduire à des dérives dans l’utilisation de l’outil Aggir, utilisé parfois à tort de manière directe et systématique pour la construction de plans d’aide. Or, comme le souligne le rapport du comité scientifique pour l’adaptation des outils d’évaluation de l’autonomie remis au Parlement fin mars, Aggir permet seulement de construire « un

8indicateur commode pour résumer simplement une situation complexe », indicateur qui détermine l’éligibilité à l’Apa. « La mise en groupes Gir ne peut être assimilée à une évaluation multidimensionnelle », cette dernière devant, afin de déboucher sur l’élaboration d’un plan d’aide personnalisé, inclure des dimensions supplémentaires de la situation de la personne. La démarche suédoise est à cet égard bien différente : sans passer par un indicateur de dépendance, le care manager évalue la situation de perte d’autonomie afin d’« identifier directement le type d’aide et le nombre d’heures nécessaires. Sont aussi précisés le moment de la journée et la fréquence du besoin d’aide »[1].

9En outre, les politiques publiques françaises se distinguent d’autres pays, et s’écartent des recommandations internationales par l’existence de dispositifs de prise en charge et de solvabilisation différents avant et après 60 ans. Ce critère d’âge, qui renvoie à une conception administrative de la vieillesse liée au passage à la retraite, manque toutefois de pertinence dans la mesure où il ne constitue pas un seuil à partir duquel les incapacités dans la vie quotidienne deviennent fréquentes et, surtout, il crée des ruptures de prise en charge des personnes, celles-ci passant brutalement du régime des « personnes handicapées » à celui des « personnes âgées » le jour de leurs 60 ans. Ces situations sont loin d’être anecdotiques ; une approche des personnes handicapées vieillissantes à partir de l’enquête HID a estimé à environ 270 000 le nombre de personnes de 60 ans et plus qui ont une déficience survenue avant l’âge adulte et une incapacité survenue avant 20 ans [2].

10Quelles conclusions peut-on tirer des connaissances nouvelles en matière d’état de santé et de conditions de vie des personnes âgées, ainsi que des mutations institutionnelles en cours dans le secteur gérontologique ? Ce numéro 39 de Retraite et Sociétéest l’occasion de faire le point sur ces avancées et d’éclairer les perspectives pour l’avenir en matière d’autonomie et de prise en charge des personnes âgées.

11L’article de Roselyne Kerjosse brosse un tableau général très utile, et montre que compte tenu des perspectives démographiques, le nombre de personnes âgées dépendantes est appelé à croître, nettement moins toutefois que le nombre de personnes très âgées selon les scénarios retenus. Cela interroge sur leur prise en charge, tant au quotidien que financière, et sur le rôle des différents acteurs. Actuellement, la famille joue un rôle majeur dans le maintien à domicile, mais les simples évolutions démographiques montrent pour l’avenir une diminution du nombre moyen d’aidants potentiels par personne âgée dépendante. Cette baisse peut d’ailleurs être accentuée par des comportements sociaux différents au fil du renouvellement des générations, comme ceux liés à l’activité des femmes. Cela peut, par exemple, motiver une politique plus soutenue d’aide aux aidants, ou de développement de l’aide professionnelle. L’article rappelle également les évolutions des dernières années en matière de prestations destinées aux personnes âgées dépendantes : évolutions quantitatives, qu’illustre notamment le passage de 145 000 bénéficiaires de la PSD fin 2001 à 605 000 bénéficiaires de l’Apa fin 2002, évolutions qualitatives également, avec la mise en place, dans le cadre de la PSD comme de l’Apa, de plans d’aide personnalisés à domicile, issus d’une évaluation multidimensionnelle de la situation de la personne. Ces évolutions ne sont probablement pas achevées, et les débats sur le rôle respectif des différents acteurs, à savoir l’État, les caisses de sécurité sociale, les départements et les familles perdurent.

12Un autre acteur peut intervenir dans la prise en charge des personnes âgées dépendantes : le marché de l’assurance privée, auquel l’article d’Anne-Lise Bagur est consacré. Ce dernier rappelle que dans tous les pays, l’assurance privée se développe en fonction de la protection sociale mise en place au niveau national, de manière complémentaire, avec pour la France un positionnement de l’assurance privée qui n’est pas complètement assis, compte tenu des évolutions institutionnelles importantes à l’œuvre ces dernières années. Anne-Lise Bagur rappelle également qu’avec 1,4 million de contrats en cours, le marché français s’est fortement développé depuis 1997 et a bénéficié de la prise de conscience du risque dépendance qui a résulté de la mise en place de prestations comme la PSD ou l’Apa et de la très forte campagne médiatique qui a accompagné la création et la mise en œuvre de l’Apa. L’avenir de ce marché reste toutefois encore incertain, et les assureurs souffrent de la difficulté de prévoir les prestations à verser, tant en nombre qu’en durée de versement, et du manque de recul sur les portefeuilles.

13Disposer d’éléments de connaissance sur l’évolution de l’état de santé de la population âgée apparaît donc comme un enjeu crucial. L’article d’Emmanuelle Cambois et Jean-Marie Robine, après un rappel historique très riche sur les concepts de handicap et de dépendance, présente des développements récents de la recherche sur la notion d’incapacité qui ouvrent des pistes importantes dans la compréhension du processus de perte d’autonomie fonctionnelle et sociale. Au sein de l’incapacité, ils distinguent ainsi les limitations fonctionnelles (physiques, sensorielles, ou cognitives) et les restrictions d’activité dans la vie quotidienne, et étudient, grâce à l’enquête HID, les corrélations entre les deux notions. Des tests du caractère prédictif des limitations fonctionnelles sur les restrictions d’activité sont prévus dans des travaux ultérieurs.

14Afin de comprendre l’évolution de l’état de santé des personnes âgées, tant au niveau individuel que collectif, le suivi longitudinal représente aussi un apport inestimable, qui se développe mais présente encore des lacunes. Les cohortes épidémiologiques, les coupes répétées (comme c’est le cas de l’enquête HID) apportent ainsi des données indispensables. Dans ce numéro, c’est à une cohorte plus sociologique de retraités parisiens et à la notion de santé auto-estimée que s’intéresse l’article de Françoise Cribier.

15Cette mesure subjective de la santé est également intéressante car elle s’écarte de la mesure « médicale » et dépend en particulier de la place des personnes dans l’échelle sociale et de la connaissance qu’elles ont de leur santé. La comparaison de deux cohortes de retraités parisiens, l’une partie à la retraite en 1972, l’autre en 1984, est à cet égard tout à fait éclairante. La seconde, avec un niveau d’instruction plus élevé, est partie à la retraite à un âge moins élevé, a bénéficié d’un meilleur accès aux soins et a exercé en moyenne des métiers moins pénibles. Objectivement, cette population est plutôt en meilleure santé que la première à un âge donné, malgré ses dires. Son jugement est d’autant plus sévère que sa connaissance du savoir médical est meilleure. Il est probable que cette évolution des perceptions de la santé se poursuive avec les générations futures de personnes âgées, ce qui laisse à penser que leurs exigences en matière de demande de soins et d’aide ne cesseront de croître.

16Comme on l’a rappelé, les perspectives en matière de nombre de personnes âgées dépendantes conduisent à s’interroger sur le rôle des différents modes de prise en charge et permettent d’envisager une augmentation importante de la demande d’aide professionnelle, avec la nécessité d’augmenter quantitativement l’offre et de l’améliorer sur le plan qualitatif. L’article de Sophie Bressé clôt ce numéro en s’intéressant de manière détaillée à ces aides à domicile professionnelles. Les conditions particulières d’exercice de leur activité soulignent en creux les besoins de formation associés. Si l’aide aux tâches ménagères et l’aide à la personne constituent les principales tâches effectuées par les aides à domicile, la dimension relationnelle est également essentielle dans leurs interventions, comme le montre le point de vue des bénéficiaires de services d’aide à domicile : les trois quarts des bénéficiaires âgés qualifient en effet d’« amicale » la relation qu’ils entretiennent avec leur aide à domicile. Reste que la pénibilité relative du métier, les salaires bas et une qualification très faible participent à expliquer le manque d’attractivité de ce secteur. Il importe à l’avenir de renverser la tendance pour éviter une pénurie d’offre de services généralisée qui risquerait de reporter la charge sur les familles.


Date de mise en ligne : 01/01/2007

https://doi.org/10.3917/rs.039.0004

Notes

  • [1]
    Blanche Le Bihan, « La prise en charge des personnes âgées dépendantes en Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni et Suède : une étude de cas-types », Drees, Études et résultats, n° 176, juin 2002.
  • [2]
    Hélène Michaudon, « Les personnes handicapées vieillissantes : une approche à partir de l’enquête HID », Drees, Études et résultats, n° 204, décembre 2002.

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