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Article de revue

Des carrières sportives à durées limitées. La contamination scolaire des vocations sportives

Pages 45 à 83

Notes

  • [1]
    Fleuriel Sébastien, Schotte Manuel. 2011. « La reconversion paradoxale des sportifs français : Premiers enseignements d’une enquête sur les sélectionnés aux Jeux olympiques de 1972 et 1992 », Sciences sociales et sport, n° 4, p. 115-140.
  • [2]
    Ibid., p. 140.
  • [3]
    Sapiro Gisèle. 2007. « “Je n’ai jamais appris à écrire“. Les conditions de formation de la vocation d’écrivain », Actes de la Recherche en sciences sociales, n° 168, p. 24.
  • [4]
    Voir par exemple les travaux de Javerlhiac Sophie. 2014. La reconversion des sportifs de haut niveau. Pouvoir et vouloir se former, Presses universitaires de Rennes, coll. « Des sociétés », 298 p.
  • [5]
    Fleuriel Sébastien. 2004. « L’impensable reconversion des athlètes de haut niveau », in « Le crépuscule des dieux : issue maîtrisée ou issue fatale ? », Les cahiers de l’Université d’été, n° 17, p. 162.
  • [6]
    Papin Bruno. 2000. Sociologie d’une vocation sportive. Conversion et reconversion des gymnastes de haut niveau, thèse de doctorat en sociologie, université de Nantes.
  • [7]
    Les auteurs d’une analyse comparée des systèmes de formation des officiers de l’armée de terre, des cavaliers d’entraînement et des footballeurs professionnels rappelaient ainsi que ces « écoles d’excellence », lorsqu’elles manifestent « leur ambivalence à l’égard de l’école », donnent à voir « l’imparfaite autonomie de leur dispositif de consécration interne ». Bertrand Julien, Coton Christel, Nouiri-Mangold Sabrina. 2016. « Des écoles d’excellence en dehors de l’école. Formation au métier et classements scolaires », Sociétés contemporaines, n° 102, p. 101.
  • [8]
    Sapiro G., op. cit., p. 24.
  • [9]
    Papin Bruno. 2007. Conversion et reconversion des élites sportives. Approche socio-historique de la gymnastique artistique et sportive, Paris, L’Harmattan, 290 p.
  • [10]
    Laillier Joël. 2011. « Des familles face à la vocation. Les ressorts de l’investissement des parents des petits rats de l’Opéra », Sociétés contemporaines, n° 82, p. 68.
  • [11]
    Ce travail, actuellement en cours de réalisation, nécessite en effet un important recueil de données qualitatives, tant auprès des sportifs et de leurs familles que des agents scolaires et sportifs. À ce stade de la collecte des données, il ne nous est pas possible de rétablir les mécanismes de transformation des dispositions qui sont au ressort de l’engagement ou du désengagement proprement vocationnel.
  • [12]
    Javerlhiac S., op. cit., p. 152. Le rapport Karaquillo sur le « statut des sportifs », remis en février 2015 au secrétaire d’État aux sports, reprend cette thèse et dénonce la « procrastination » des athlètes, qui les conduit à adopter des « visions à court terme », entièrement dirigées vers le résultat sportif immédiat, sans considération pour la construction d’un projet de formation extra-sportif. Karaquillo Jean-Pierre. 2015. Statut des sportifs, rapport remis à M. Thierry Braillard, secrétaire d’État aux Sports, le 18 février 2015, p. 15-16.
  • [13]
    Louveau Catherine. 2006. « Inégalités sur la ligne de départ : femmes, origines sociales et conquête du sport », CLIO, Histoire des femmes, n° 23, p. 119-143. Terret Thierry, Saint-Martin Jean, Roger Anne, Liotard Philippe (dir.). 2006. Sport et genre, Paris, L’Harmattan (4 tomes).
  • [14]
    Voir par exemple les travaux de Baudelot Christian, Establet Roger. 2006. Allez les filles. La révolution silencieuse, Paris, Seuil, 288 p.
  • [15]
    Érard Carine, Louveau Catherine. 2016. « Les effets paradoxaux du goût du sport sur l’orientation scolaire et professionnelle des normaliennes en sciences du sport et de l’éducation physique », Sciences sociales et sport, n° 9, p. 83-113.
  • [16]
    Ces entretiens ont été conduits par Rachid M’Daam, dans le cadre d’un contrat de deux mois, à l’automne 2015.
  • [17]
    Ces fiches donnent le profil de chacun en matière de population scolaire, de personnels et de moyens, ou encore de résultats et d’orientations.
  • [18]
    Faure Jean-Michel, Suaud Charles. 2015. La raison des sports. Sociologie d’une pratique singulière et universelle, Paris, Raisons d’agir, coll. « Cours et travaux », p. 245-246.
  • [19]
    Ibid., p. 260.
  • [20]
    Javerlhiac S., op. cit., p. 85.
  • [21]
    Suaud Charles. 1989. « Espace des sports, espace social et effets d’âge. La diffusion du tennis, du squash, et du golf dans l’agglomération nantaise », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 79, p. 3.
  • [22]
    Ibid., p. 3.
  • [23]
    Nous nous sommes appuyés sur les catégorisations opérées par Ugo Palheta, dans son travail sur l’enseignement professionnel. Palheta Ugo. 2011. « Le collège divise. Appartenance de classe, trajectoires scolaires et enseignement professionnel », Sociologie, n° 4, vol. 2, p. 366.
  • [24]
    Charles Soulie rappelle que la variable PCS, malgré tous les biais liés aux opérations de codage, ne produit pas « une image aberrante du monde social ». Soulie Charles. 2000. « L’origine sociale des collégiens et des lycéens en France : une analyse des conditions sociales de production de la statistique », Population, n° 1, p. 179.
  • [25]
    François Jean-Christophe, Poupeau Franck. 2009. « Le sens du placement scolaire : la dimension spatiale des inégalités sociales », Revue française de pédagogie, n° 169, p. 89.
  • [26]
    L’étiquetage résulte d’un travail de repérage, puis de sélection qui suppose une pratique antérieure, pendant l’enfance, sur laquelle nous ne porterons pas le regard.
  • [27]
    Octobre Sylvie, Detrez Christine, Merckle Pierre, Berthomier Nathalie. 2010. L’enfance des loisirs. Trajectoires communes et parcours individuels de la fin de l’enfance à la grande adolescence, Paris, La Documentation française, coll. « Questions de culture », 432 p.
  • [28]
    Chamboredon Jean-Claude. 1991. « Classes scolaires, classes d’âge, classes sociales », Enquête, n° 6, p. 5.
  • [29]
    93,4 % des gymnastes et 69,6 % des joueurs de tennis entrent dans un centre d’entraînement avant l’âge de 13 ans. Pour autant, le recrutement social est ici très différent. Pour le cas de la gymnastique, 28,4 % des individus ont au moins un des parents qui exerce une profession « supérieure », lorsqu’ils sont 70,3 % pour les joueurs de tennis.
  • [30]
    En revanche, nombreux sont les travaux qui ont montré l’importance de la proximité familiale au sport de compétition dans l’orientation précoce des enfants, et ce, quel que soit le milieu social d’origine. Voir par exemple Forte Lucie. 2008. Devenir sportif de haut niveau : approche sociologique de la formation et de l’expression de l’excellence athlétique, thèse de doctorat en STAPS, université de Toulouse.
  • [31]
    Chamboredon J.-C., op. cit., p. 7.
  • [32]
    74,4 % des athlètes pratiquant l’aviron de la population d’enquête intègrent un pôle d’entraînement entre 16 et 18 ans.
  • [33]
    Siblot Yasmine, Cartier Marie, Coutant Isabelle, Masclet Olivier, Renahy Nicolas. 2015. Sociologie des classes populaires contemporaines, Paris, Armand Colin, 368 p.
  • [34]
    François J.-C., Poupeau F., op. cit., p. 89.
  • [35]
    Suaud Charles. 1976. « Splendeur et misère d’un petit séminaire », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 4, p. 75.
  • [36]
    Sapiro G., op. cit., p. 22.
  • [37]
    Dans le cas des footballeurs, Julien Bertrand repère ainsi que « dans un contexte d’intensification des contraintes sportives, l’école tend à devenir une contrainte concurrente de la “passion” sportive ». Bertrand Julien. 1998. « Se préparer au métier de footballeur : analyse d’une socialisation professionnelle », Staps, n° 82, p. 35. En ce qui concerne les cyclistes, Nicolas Lefevre repère dans leurs trajectoires l’installation progressive « [d’]un “décalage” avec le système scolaire. […]. L’effet principal de cette dynamique [étant] d’éloigner progressivement le coureur de la culture scolaire, et de le convertir encore un peu plus à la culture cycliste de haut niveau ». Lefevre Nicolas. 2010. « Construction sociale du don et de la vocation de cycliste », Sociétés contemporaines, n° 80, p. 63-64.
  • [38]
    Laillier J., op. cit., p. 71.
  • [39]
    Article 27 de la loi du 17 juillet 1984.
  • [40]
    Circulaire n° 2006-123, du 1er août 2006.
  • [41]
    Cour des comptes, rapport public thématique, « Sport pour tous et sport de haut niveau : pour une réorientation de l’action de l’État », 2013, p. 108.
  • [42]
    Suaud C., op. cit., p. 75. C’est ainsi que Charles Suaud parlait des petits séminaires lorsqu’ils faisaient du temps scolaire un temps religieux. Ici, de nombreux indices témoignent d’une profonde transformation de la forme scolaire. Il est par exemple prévu dans la convention de formation que les élèves pourront être exclus « en cours de cycle scolaire, si l’élève ne correspond plus sportivement aux critères définis ». En somme, des performances sportives insuffisantes peuvent être ici légitimement convoquées pour mettre un terme à la scolarité d’un enfant dans l’établissement.
  • [43]
    Lignier Wilfried. 2010. « L’intelligence investie par les familles. Le diagnostic de “précocité intellectuelle”, entre dispositions éducatives et perspectives scolaires », Sociétés contemporaines, n° 79, p. 118.
  • [44]
    Cette distinction scolaire par le sport s’inscrit dans un processus plus large par lequel « les classes supérieures cherchent à se distinguer en inventant de nouveaux types d’investissement (séjours à l’étranger, apprentissage des langues asiatiques) ». Blanchard Marianne, Cayouette-Rembliere Joanie. 2011. « Penser les choix scolaires  », Revue française de pédagogie, n° 175, p. 10.
  • [45]
    Javerlhiac S., op. cit., p. 152.
  • [46]
    Les résultats obtenus au DNB dans l’académie de Nantes montrent de meilleures performances des filles à l’examen. Pour repère, à la session 2014, elles sont 35 % dans la série générale à obtenir une mention « très bien » ou « bien », contre 27 % chez les garçons. Rectorat de Nantes, études statistiques, « Le Diplôme national du brevet dans l’académie de Nantes, session 2014 », avril 2015.
  • [47]
    Le travail de Joël Laillier sur les petits rats de l’Opéra de Paris rend compte de stratégies similaires, portées par des familles en ascension sociale. « Il apparaît que les parents donnent du sens à ce placement, non pas en tant que formation au métier de danseur, mais comme formation donnant accès à une élite. » Laillier J., op. cit., p. 67.
  • [48]
    Nous ne contestons bien évidemment pas le système de sélection proprement sportif par lequel les agents des centres d’entraînement organisent l’exclusion d’un certain nombre de sportifs qui ne répondent plus à leurs exigences. Mais nous pensons que les sorties par « auto-exclusion » sur la base de projets plus attrayants, en particulier scolaires, et indépendamment des niveaux de performance sportifs, sont largement sous-estimées. C’est d’ailleurs là ce que repère Lucie Forte dans le monde de l’athlétisme de haut niveau. « La poursuite d’un projet professionnel perçu comme totalement cloisonné, voire incompatible avec la pratique du SHN, présente une corrélation importante avec le fait de cesser de pratiquer l’athlétisme. » Forte Lucie. 2006. « Fondements sociaux de l’engagement sportif chez les jeunes athlètes de haut niveau », Sciences & Motricité, n° 59, p. 62.
  • [49]
    Il est ici question des sorties de l’espace du haut niveau, objectivées par une sortie de liste ou de centre d’entraînement, ou encore d’un club professionnel, bien plus que de l’arrêt réel de la pratique. Un sportif peut en effet poursuivre une pratique sportive modérée à sa sortie ou, dans certains cas (par exemple, le football, le basket-ball ou encore le cyclisme), peut vivre de la pratique mais en n’étant plus dans un centre ou un club professionnel étiqueté comme relevant du sport de haut niveau, sans que l’enquête ne puisse le révéler.
  • [50]
    Forte Lucie, Mennesson Christine. 2012. « Réussite athlétique et héritage sportif. Socialisation familiale et développement d’un capital sportif de haut niveau », SociologieS, p. 1-23.
  • [51]
    Les élites de l’aviron comme du squash disposent d’un pôle France implanté dans la région d’enquête. Il est donc ici question des sportifs parmi les tout meilleurs de leur génération.
  • [52]
    Suaud C., op. cit., p. 90.
  • [53]
    Convert Bernard. 2003. « Des hiérarchies maintenues. Espace des disciplines, morphologie de l’offre scolaire et choix d’orientation en France, 1987-2001 », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 149, p. 61-73.
  • [54]
    Il s’agit d’un prénom et d’un nom d’emprunt, comme pour les descriptions des trois biographies ici reconstruites.
  • [55]
    Les trois jeunes filles sur lesquelles portent nos analyses sont donc les dernières de leurs familles. Le rang dans la fratrie mériterait d’être interrogé plus systématiquement à l’échelle de la population générale des élites sportives, sans que nous ayons ici la possibilité de le faire.
  • [56]
    Si cette volleyeuse maintient des ambitions scolaires tout en s’engageant dans une carrière professionnelle, ce n’est pas le cas de tous les sportifs pour lesquels une carrière sportive est possible. Miser sur le football masculin où un marché étendu existe a du sens dans certains milieux, en particulier populaires. Voir à ce propos Rasera Frédéric. 2014. « Au-delà de l’échec en centre de formation. La recomposition des aspirations professionnelles d’un ancien apprenti footballeur », Revue Sport et sciences sociales, n° 7, p. 105-138. Ou encore, Nazareth Cyril. 2014. « Faire quelque chose de bien dans le foot : une stratégie familiale d’accès à l’espace du football professionnel, Revue Sport et sciences sociales, n° 7, p. 139-165.
  • [57]
    Fleuriel S., Schotte M., op. cit., p. 140.
  • [58]
    Papin B., op. cit.
  • [59]
    Fleuriel S., Schotte M., op. cit.
  • [60]
    Charles Suaud explique en effet que « les dispositions à retraduire religieusement le monde extérieur sont en même temps des dispositions à se retraduire qui, une fois intériorisées, permettront de construire en biographie sacerdotale tous les évènements de leur vie ». Suaud C., op. cit., p. 96.
  • [61]
    Faure Sylvia. 2003. « Le pouvoir de se raconter : autobiographies d’artistes de la danse », Sociologie et sociétés, n° 2, p. 216.
  • [62]
    Ibid., p. 214.
  • [63]
    Sapiro G., op. cit., p. 33.
  • [64]
    Cartier Marie. 2015. « Classes populaires et emplois de service. Les assistantes maternelles ou la subordination chez soi ? », mémoire pour l’habilitation à diriger des recherches, sociologie, université de Nantes, p. 34.
  • [65]
    Faure S., op. cit., p. 219.
  • [66]
    Voir en particulier le rapport Karaquillo, op. cit.
  • [67]
    Laillier Joël. 2011. « La dynamique de la vocation : les évolutions de la rationalisation de l’engagement au travail des danseurs de ballet », Sociologie du travail, n° 53, p. 512.

1Cet article entend apporter une contribution à la compréhension des mécanismes de fabrication des élites sportives. En complément des études rétrospectives centrées sur les champions en « reconversion », qui montrent que l’espace des projections possibles se restreint à mesure que l’investissement sportif s’accomplit [1], il s’agira de mener ici une analyse « par le bas », en appréhendant non pas les seuls champions qui restent des producteurs durables de performances et sont, en cela, les plus visibles et les plus enclins à se définir dans les termes de la vocation et ainsi subir « l’effet de clôture du microcosme sportif [2] », mais bien la totalité – à l’échelle d’une région de l’ouest de la France – des athlètes qui ont « tenté leur chance ». Pour parer à la critique de sportifs qui n’en seraient pas vraiment, ou pas encore, il importe de préciser dès maintenant que cette enquête ne traite pas des jeunes sportifs qui se présentent à la « porte » du haut niveau, mais bien de tous ceux qui y sont entrés, après avoir reçu « un signe de confirmation hors de leur entourage proche [3] », par une inscription sur liste ministérielle et/ou un accès à un centre spécialisé d’entraînement – sans garanties en revanche de s’y maintenir durablement. L’intérêt consiste à porter le regard sur ce qui reste invisible lorsque seul est considéré le groupe restreint des sportifs les plus consacrés. En donnant à chaque fois des repères au regard de la population générale de l’enquête avant de décrire la réalité des destins des sportives dans trois espaces singuliers, la natation synchronisée, le roller et le volley-ball [voir encadré méthodologique], nous discuterons des conditions objectives de construction des carrières sportives, selon trois axes de réflexion distincts. La sévérité des voies d’accès, d’abord, permet de rappeler que les affinités électives se jouent dans un espace profondément classé et classant, et invite, face à certains travaux qui prônent l’indifférenciation [4], au retour des classes sociales. La place de l’école dans l’affirmation des vocations sportives, ensuite, permet d’interroger le principe désormais bien établi dans la littérature d’une séparation des espaces du sport de haut niveau (le sport de haut niveau comme monde à part [5], ou monde extra-ordinaire [6]), car l’analyse comparée des placements scolaires témoigne de leur profonde hétéronomie [7]. Enfin, dans un dernier temps, nous ferons nôtre l’idée selon laquelle « le moment de la sortie de l’adolescence et du choix des études est un temps fort d’indétermination où se combattent les forces contradictoires des ambitions subjectives et de la pression sociale [8] », et nous formulerons l’hypothèse, en ce qui concerne les parcours sportifs de haut niveau, d’une contamination scolaire des vocations sportives, qui – dans une large majorité des cas – ne contrarie ni les intérêts individuels ni ceux des institutions sportives de formation. Les espérances de vie limitées dans lesquelles s’organise le travail de formation des élites se négocient dans la rencontre originale entre des familles, des offres scolaires et des institutions sportives ancrées dans une histoire locale. De ce point de vue, les mondes du sport d’élite sont différenciés et le placement d’un individu y prend un sens particulier. Entre des parents issus des fractions stabilisées des classes populaires, qui placent leurs enfants dans des centres d’entraînement, soucieux de faire de la gymnastique une école des valeurs de l’aristocratie ouvrière [9], et d’autres, relevant en majorité de professions intellectuelles en ascension, qui inscrivent leurs enfants à l’Opéra de Paris dans une logique élitiste [10], le fossé est grand. Difficile ainsi d’imaginer que les ressorts du travail d’inculcation de la vocation sportive puissent être les mêmes ni leurs effets identiques d’un sport à un autre, et ce d’autant que les variations sont susceptibles d’être renforcées par la dimension genrée de la pratique. Nous ne disposons pas ici des matériaux permettant de penser finement les processus de fabrication des vocations dans les différents sports d’élite [11], notre ambition n’est pas là. Cette contribution entend interroger les réalités du frottement entre les projets sportifs et scolaires, dans les divers espaces de production de la haute performance athlétique. Penser les marges de négociation, les conflits, les réussites autorise par rebond une lecture renouvelée des trajectoires de formation des élites. À ce titre, la plasticité des parcours invite à nuancer la vision classique d’un univers homogène, celui du sport d’élite, qui produit indifféremment un même « enfermement » et construit « l’asservissement de l’athlète au projet monosportif [12] ». En ce sens, le « processus vocationnel de conversion aux normes du sport d’élite », énoncé classique en sociologie du sport, devient plus aveuglant qu’éclairant, car il empêche de qualifier les rapports qui s’établissent entre des espaces historiquement construits et des positions sociales particulières. Il s’agit pourtant là d’un préalable si l’on entend saisir l’inégale diffusion du sentiment de vocation dans le processus de fabrication des élites sportives.

Encadré méthodologique

De « vraies » élites sportives ?
L’accès aux bases du ministère de la Jeunesse et des Sports, ainsi que les données fournies par la Direction régionale Jeunesse et Sport nous ont permis de repérer depuis l’année 2000 – date des premiers recensements – l’ensemble des individus inscrits sur listes, en pôles et/ou en centres de formation d’un club professionnel dans la région des Pays de la Loire. En partenariat avec les services statistiques du rectorat de Nantes, il a été possible de retrouver la trace scolaire de 2 927 individus. Malgré l’incomplétude connue des Bases académiques élèves (BAE) et des Systèmes d’information sur le suivi de l’étudiant (SISE), nous avons eu accès à la totalité des éléments qui permettent de caractériser les trajectoires scolaires d’un nombre élevé de sportifs. Nous avons engagé des démarches identiques du point de vue des trajectoires sportives. La consultation des dossiers administratifs individuels sur une base du ministère de la Jeunesse et des Sports, dont l’accès nous a été autorisé, a permis le repérage précis des années au cours desquelles ils ont été inscrits sur listes et/ou pensionnaires d’un centre d’entraînement labellisé par l’État.
tableau im1
Un travail statistique consolidé par des données qualitatives
Nous prendrons ici le soin de « descendre » au plus près de trois mondes distincts du sport d’élite : le volley-ball, la natation synchronisée et le patinage de course. Ces activités ont ici en commun de regrouper exclusivement des filles. Un tel choix mérite d’être explicité et ne peut être résumé à la seule question des opportunités de terrain (nos réseaux d’interconnaissance en facilitaient grandement l’accès). Les effets de genre sont susceptibles d’influencer les destins des sportives. Il est moins évident qu’une femme se lance dans une carrière sportive et s’y maintienne[13]. Ce sont aussi des rapports différenciés qui se jouent face à l’école et à ses injonctions, l’investissement scolaire des filles étant globalement plus intense et plus heureux que celui des garçons[14]. Pour autant, l’enjeu n’est pas ici d’interroger la question du rapport entre carrière sportive et destin scolaire sur le mode de la reproduction ou de la transgression des normes de genre[15], mais d’illustrer à partir de trois espaces sportifs féminins qui se différencient tant des points de vue des contextes familiaux que de celui des offres scolaires et sportives, le processus de contamination par l’école des vocations sportives. La description croisée de chacune de ces configurations donnera tout son sens à l’analyse portée sur la plasticité des parcours.
Dans chacun des trois mondes, qui comportent 73 nageuses, 80 volleyeuses et 21 patineuses, nous avons complété l’ensemble des données statistiques disponibles par 5 entretiens semi-directifs réalisés auprès des sportives (soit 15 entretiens au total)[16]. Afin de ne pas analyser les trajectoires sans les rapporter aux conditions sociales qui les ont rendues possibles, l’enquête s’est penchée sur les institutions et leurs agents. Les pôles d’entraînement sont contrôlés et encadrés par les autorités publiques. Ils se livrent chaque année à une évaluation administrative pour prétendre obtenir le label et capter des subventions. Ces données nous ont été ouvertes pour les deux pôles Espoir de volley-ball et de natation ainsi que pour le pôle France de roller. Y sont détaillés les conditions de vie des athlètes, ainsi que les modes de fonctionnement de l’institution. Ces données, si elles ne disent pas tout, permettent de situer les disciplines interrogées dans un espace des sports plus vaste. De la même manière, l’accès via le rectorat aux « fiches établissements » des collèges et lycées partenaires des trois centres d’entraînement[17] permet de resituer ces établissements sur le marché de l’offre scolaire locale. Afin de contrôler ces données, nous avons réalisé des entretiens avec les trois coordonnateurs des pôles ainsi qu’avec les quatre chefs d’établissements concernés (soit sept entretiens au total).

I – L’ordre social des pratiques sportives de haut niveau

a – Un espace régional socialement clivé et clivant

2Dans une enquête conduite en 1993 par Jean-Michel Faure et Charles Suaud sur 813 sportifs de haut niveau, la focale posée sur les propriétés sociales des pères donnait à voir « une population bimodale, [avec] un premier sommet chez ceux originaires des classes populaires […] et un second pic, nettement plus élevé atteint par les sportifs originaires des classes supérieures et professions libérales [18] », résultat permettant aux auteurs de conclure « que l’enracinement social des sportifs [était] le principe le plus structurant et le plus discriminant du micro-espace sportif retenu [19] ». Dans ces conditions, l’énoncé selon lequel « il est difficile aujourd’hui de dissocier clairement les sportifs de haut niveau en fonction des PCS des parents [20] » paraît intenable. Une telle posture invite en effet à neutraliser les effets liés au recrutement pour insister sur la seule force socialisatrice des institutions, particulièrement « enveloppantes », et conduit à rendre homogène une catégorie d’acteurs dont on présume qu’elle se construit sur la base d’un rapport au monde unique et partagé. L’espace des sports d’élite s’organise en un « système des sports en continuelle transformation, et qui est au principe de la structure particulière des pratiques sportives des membres des différentes classes sociales [21] ». En analysant « le jeu de correspondances entre d’une part un ensemble structuré de sports et d’autre part l’espace des classes sociales », il devient donc central de rétablir l’ordre social des disciplines sportives enquêtées [22]. Nous avons fait le choix de penser le recrutement des élites selon le niveau des ménages [23], en considérant conjointement les catégories socioprofessionnelles des deux parents (information disponible pour 85 % de la population, soit 2 476 individus) [24].

Tableau 1

Les origines sociales des élites selon les sports

Tableau 1
Favorisé Favorisé Intermédiaire Favorisé Populaire Intermédiaire Intermédiaire Populaire Populaire Total Toutes disciplines confondues 13,9 % 13,8 % 14,5 % 11,5 % 18,9 % 27,4 % 100 % Voile 35,2 % 31,8 % 13,6 % 11,4 % 5,7 % 2,3 % 100 % Squash 17,2 % 34,5 % 27,6 % 6,9 % 13,8 % 0,0 % 100 % Tennis 31,3 % 23,4 % 15,6 % 7,8 % 6,3 % 15,6 % 100 % Sport Auto 27,5 % 15,9 % 20,3 % 14,5 % 11,6 % 10,1 % 100 % Équitation 25,0 % 15,4 % 23,1 % 15,4 % 13,5 % 7,7 % 100 % Natation synchronisée 17,6 % 19,1 % 23,5 % 11,8 % 16,2 % 11,8 % 100 % Canoë-Kayak 21,2 % 22,7% 9,1 % 16,7% 13,6 % 16,7 % 100 % Aviron 19,8 % 19,8 % 22,1 % 5,8 % 15,1 % 17,4 % 100 % Hockey sur glace 16,5 % 21,5% 21,5 % 11,4 % 10,1 % 19,0 % 100 % Rugby 20,3 % 21,5 % 16,5 % 8,9 % 10,1 % 22,8 % 100 % Natation 23,7 % 15,3% 15,3 % 8,5 % 15,3 % 22,0 % 100 % Volley-ball 20,2 % 15,4% 10,6 % 8,7 % 16,3 % 28,8 % 100 % Athlétisme 12,7 % 10,8% 15,9 % 13,4 % 19,7 % 27,4 % 100 % Basket-ball 8,7 % 11,2% 17,0 % 12,0 % 16,6 % 34,4 % 100 % Tennis de table 11,1 % 13,0% 9,3 % 13,9 % 15,7 % 37,0 % 100 % Football américain 6,7 % 17,8 % 8,9 % 4,4 % 31,1 % 31,1 % 100 % Gymnastique 17,6 % 2,0 % 9,8 % 11,8 % 25,5 % 33,3 % 100 % Tir 12,8 % 10,3 % 7,7 % 12,8 % 17,9 % 38,5 % 100 % Handball 6,4 % 9,1 % 13,4 % 13,4 % 25,1 % 32,6 % 100 % Judo 7,0 % 10,9 % 11,9 % 12,9 % 20,4 % 36,8 % 100 % Tir à l’arc 5,0 % 5,0 % 25,0 % 5,0 % 30,0 % 30,0 % 100 % Roller 8,0 % 9,2 % 5,7 % 9,2 % 23,0 % 44,8 % 100 % Karaté 6,3 % 5,0 % 11,3 % 11,3 % 23,8 % 42,5 % 100 % Football 5,3 % 6,1 % 7,2 % 6,1 % 14,1 % 61,2 % 100 % Cyclisme 1,1 % 3,9 % 10,5 % 8,8 % 24,9 % 50,8 % 100 %

Les origines sociales des élites selon les sports

3Si les élites se recrutent dans toutes les classes sociales, leur distribution selon les sports n’a rien d’aléatoire tant sont significatifs les écarts de répartition. Quatre pratiquants de la voile de haut niveau sur cinq sont issus d’une famille dont l’un des parents au moins est cadre, chef d’entreprise ou membre des professions libérales, là où quatre champions de roller sur cinq sont originaires des classes moyennes ou populaires. Des écarts tout aussi significatifs peuvent être repérés entre des sports dits « professionnels ». Près d’un jeune coureur automobile sur trois est issu d’un ménage favorisé, là où un cycliste sur deux provient des fractions populaires du monde social. S’il s’agit de penser les vocations sportives comme la rencontre originale entre des familles et des institutions électives, une telle représentation statistique démontre alors combien il est important de rétablir l’ordre social des disciplines sportives.

4Pour autant, lorsqu’il s’agit de comprendre le sens du placement sportif [25], le milieu social d’origine n’épuise pas à lui seul la compréhension des trajectoires empruntées. Si les sports d’élite sont socialement typés par leurs recrutements, ils se distinguent de la même façon par leurs histoires, comme autant de constructions symboliques dans lesquelles se sont lentement élaborées des définitions concurrentes des « qualités » qui font d’un jeune sportif un prétendant sérieux au « talent », ainsi que des caractéristiques du « travail » qu’il reste à accomplir auprès de lui pour en faire un champion. Ces configurations différenciées sont au principe de communautés d’intérêts et de valeurs qui ne se ressemblent pas. L’exemple de l’âge d’entrée dans l’espace des sports permet d’étendre l’analyse. En effet, pour la population prise dans son ensemble, 15 ans est l’âge modal d’accès à l’espace du haut niveau sportif. Nous parlons ici des premières formes d’étiquetage et non de l’âge du début de la pratique, autrement plus précoce [26]. S’agissant de la première inscription sur listes et/ou en centre d’entraînement spécialisé, ils sont près de 60 % à obtenir cette forme de consécration entre 14 et 16 ans. En France, les enquêtes sur les loisirs des enfants montrent que les pratiques sportives occupent une place importante dans les univers culturels et les agendas des enfants. Pourtant, si « le sport » reste une pratique stable, la cartographie des univers culturels selon l’avancée en âge témoigne d’un léger recul à partir de 15 ans, qui se confirme par la suite avec un abandon significatif des pratiques sportives encadrées au profit d’activités « chez des copains ou à l’extérieur [27] ». On saisit alors la force du travail d’étiquetage sur ces jeunes sportifs d’élite qui subissent un « travail d’assignation identitaire » les amenant à se considérer comme sportifs de haut niveau, au moment même où « le sport » perd de sa valeur dans la hiérarchie des consommations culturelles des jeunes du même âge. Mais là encore, cet énoncé homogénéisant mérite d’être nuancé au regard des divers contextes de production de la performance.

5Derrière le principe d’un « âge idéal », au-delà duquel « c’est déjà trop tard » se jouent en réalité des projections liées « à des espérances de vie [sportive] anticipées » [28]. Les scansions temporelles qui rythment les carrières sportives diffèrent alors d’un monde à l’autre. La précocité sportive, d’ailleurs, ne semble pas être l’apanage d’un milieu social particulier. Pour exemple, la gymnastique et le tennis, très éloignés dans l’espace des sports d’élite, s’entendent ainsi sur le « bon âge symbolique » à partir duquel il paraît opportun de démarrer le travail de formation en centre d’entraînement : entre 11 et 13 ans [29]. Dans le même ordre d’idées, le canoë-kayak et le karaté, pourtant socialement différenciés, s’accordent sur une entrée idéalement située aux alentours de 15-16 ans. La précocité des investissements familiaux dans la carrière sportive de leurs enfants ne semble donc que peu corrélée au niveau des ménages [30].

6Cette division spécifique des âges d’entrée dans les centres d’entraînement selon les spécialités sportives, qui résulte d’une régulation originale des aspirations, rappelle combien les agents sportifs portent une responsabilité dans le déroulement des carrières, bien au-delà de la seule question des recrutements sociaux. Ils fixent les termes dans lesquels les destins sportifs deviennent possibles et pensables, « sur le mode de l’espérance rêveuse, qui ne sera pas forcément confirmée dans les faits [31] ». Or, selon la position dans l’échelle des âges, la charge symbolique du projet sportif ne pèse sans doute pas de la même manière. Entrer en pôle à 12 ans, pour un élève de 5e qui pratique le tennis de table, n’est que peu comparable à une entrée en pôle d’aviron l’année de terminale [32]. Entre des enfants et de grands adolescents, le sens du placement sportif revêt des réalités différentes, ne serait-ce que du seul point de vue des trajectoires scolaires. À ce stade de l’analyse, le seul constat d’un espace des sports d’élite socialement hiérarchisé, construit selon une division spécifique des âges, à la rencontre entre des familles et des agents sportifs socialisateurs, laisse présager des coûts d’entrée différenciés selon les sports, et par conséquent toute une palette d’aspirations probables. La description de trois mondes distincts, puis la comparaison systématique des caractéristiques sociales qui sont au fondement de chacune de ses configurations doivent permettre de prendre la mesure de tels écarts dans le processus de fabrication des élites sportives.

b – Nageuses, patineuses, volleyeuses, des élites qui ne se ressemblent pas

7La distribution sociale suivant les sports apparaît particulièrement discriminante. Si le recrutement des volleyeuses est plus « éclaté » que celui des nageuses, avec une proportion non négligeable de familles d’ouvriers et d’employés, ces deux populations restent massivement issues des catégories favorisées. L’analyse plus fine des PCS montre en revanche des écarts notables au sein même de ces fractions sociales. Nous repérons une forte prédominance des professions libérales et des cadres administratifs et commerciaux des entreprises chez les nageuses lorsque, pour le cas des volleyeuses, les professions scientifiques et les cadres de la fonction publique d’une part, et les professions libérales et cadres administratifs d’entreprises d’autre part s’équilibrent. Le croisement avec la PCS du conjoint affine la distinction des populations. Ils se recrutent, pour les volleyeuses, majoritairement parmi les professeurs et professions scientifiques, avec une part également importante de professions intermédiaires et d’employés du secteur public. En miroir, l’activité libérale et le travail dans le secteur privé dominent pour le cas des nageuses. À l’opposé, les patineuses de course se recrutent, pour plus de la moitié d’entre elles, dans des familles d’origine populaire. Il s’agit dans ce cas des fractions stabilisées des classes populaires, dans lesquelles les deux parents travaillent sans avoir connu de périodes d’interruption [33].

8L’âge modal d’entrée en pôle pour les sportives dans ces trois spécialités est en moyenne de 15 ans. Mais l’analyse comparée permet d’identifier des réalités ensuite bien disparates, avec des âges de « maturité sportive » différents dans chacune des configurations. La traduction statistique des âges d’entrée ne dit rien des conditions réelles qui organisent ces négociations sur le terrain, mais elle permet néanmoins de souligner la prégnance d’arrangements originaux d’un monde à l’autre, et signale la nécessité d’interroger plus finement les modalités de rencontres et d’ententes entre des familles socialement situées et des agents sportifs historiquement engagés dans le développement de leurs pratiques.

Natation synchroniséeVolley-ballRoller
Âge d’entrée en centre d’entraînementAvant 15 ans40292
15 ans14402
Après 15 ans10116
Jamais911

9De ce point de vue, le lieu de résidence des parents renseigne les distances qui séparent les enfants de leurs familles lors de l’entrée en centre d’entraînement. Poser le regard sur les bassins géographiques de recrutement est une manière indirecte de penser les stratégies des familles. L’analyse comparée donne à voir des formes de recrutement géographiquement distinctes. Pour la natation synchronisée, la fédération a fait le choix, dès la fin des années 1990, d’implanter le pôle d’entraînement dans un important centre urbain de la région des Pays de la Loire, adossé au club le plus performant du territoire, l’un des tout meilleurs au niveau national. Le recrutement y est très localisé, plus d’une famille sur trois habite le centre-ville en question, à deux pas de la piscine dédiée à la pratique de la nage synchronisée. Ici, les jeunes élites se recrutent préférentiellement dans la bourgeoisie de centre-ville. En ce qui concerne le volley-ball, l’histoire de l’implantation du pôle en 2000 est bien différente. Il n’y est pas question de club support, reconnu localement pour son haut niveau de performance. Situé dans un bassin ouvrier, peu attractif, sans club de volley-ball installé localement et reconnu pour la qualité de leurs formations, le pari politique réalisé par la fédération lors de l’implantation du pôle était celui d’un recrutement régional, voire inter-régional. De fait, depuis le début des années 2000, 77 des 80 familles qui y ont inscrit leur enfant habitent en dehors du département qui héberge le pôle d’entraînement. L’entrée dans l’institution est donc synonyme de départ pour ces jeunes filles qui se trouvent contraintes, à 14 ou 15 ans, de quitter la résidence familiale. Le sens du (dé)placement revêt une teinte spécifique. Enfin, dans le cas du roller, l’histoire est plus ancienne. Dès le début des années 1990, un centre d’entraînement régional est créé dans la capitale administrative de la région. Rapidement, il devient pôle Espoir et se voit transformé en pôle France au milieu des années 2000. Son recrutement est depuis longtemps un recrutement régional et inter-régional, et l’entrée en institution est ici plus tardive que dans les deux autres sports. Volley-ball et roller confondus, ce sont donc les pôles aux recrutements les plus populaires qui produisent le plus de mobilité chez les familles. Un tel constat interroge la spécificité des aspirations sportives au regard du « capital de mobilité » des familles, dont on sait qu’il est inégalement distribué dans l’espace social [34]. La tendance à l’immobilisme des catégories populaires ne peut être érigée en principe dans le cas des mobilités liées à des projets sportifs. Dans le cas du volley-ball, 17 familles, parmi les 22 d’origines populaires, résident en dehors de la région d’implantation du pôle. Le lobbying des agents sportifs auprès des familles peut expliquer une telle attraction dans cette configuration. Selon le maillage territorial des clubs et le niveau de performance atteint par chacun, le positionnement du pôle dans l’espace régional change d’un monde à l’autre. S’il est un passage incontournable pour les nageuses qui prétendent accéder au plus haut niveau, la légitimité du pôle de roller a longtemps été contestée au profit de certains clubs formateurs, éloignés géographiquement du pôle, et peu désireux de voir partir leurs sportives. Une telle situation explique sans doute la grande « modularité » des critères de sélection adoptés par les agents sportifs lorsqu’il s’agit d’attirer les « talents ».

II – La place de l’école dans la construction des carrières sportives

a – L’inégale distribution des possibles scolaires

10Dès lors que le travail d’inculcation de la vocation s’adresse à des individus en âge d’être scolarisés se pose la question de la place de l’école dans l’affirmation des choix. Les travaux sur les prêtres et les écrivains réservent une place centrale aux conditions de scolarisation des jeunes prétendants, mais rappellent que les fonctions jouées par l’école peuvent être bien différentes. En montrant toute la force des aménagements internes qui faisaient du petit séminaire une « école pas comme les autres », Charles Suaud souligne le rôle d’une institution enveloppante qui impose « aux séminaristes une manière religieuse de vivre le temps des études, les empêchant du même coup de se prendre pour de vrais collégiens [35] ». Dans un autre registre, Gisèle Sapiro rappelle que la fréquentation durable de l’école, en tant que « lieu d’inculcation de la croyance littéraire », est une « condition première de la formation de la vocation d’écrivain [36] ». Que l’institution scolaire soit « transformée » ou non, le temps passé à l’école est donc celui du renforcement ou à l’inverse du délitement de la croyance, et les projets scolaires participent activement à la fabrication des devenirs religieux ou littéraires. Compte tenu de l’âge d’entrée en centre d’entraînement des jeunes sportifs, la question des scolarités est là aussi au cœur des processus de formation des élites. Si Julien Bertrand et Nicolas Lefèvre ont repéré dans la fabrique des footballeurs et des cyclistes un processus semblable de désinvestissement scolaire à mesure que s’affirme le projet sportif [37], Joël Laillier repère un phénomène inverse dans le cas des petits rats de l’Opéra de Paris : il montre que le « choix du sport » constitue un placement scolaire hautement légitime pour les familles, sans qu’il ne soit question d’un quelconque « désintéressement du scolaire au profit de la danse [38] ». Le rapport entretenu à l’école et au projet scolaire est donc variable d’une spécialité à l’autre, fort logiquement d’ailleurs, compte tenu des profonds écarts sociaux qui caractérisent leurs positions respectives. La population d’enquête support de notre étude montre une inégale distribution des possibles scolaires selon les différents mondes de l’élitisme sportif. Pour exemple, les spécialistes de la voile sont ceux qui sont les plus nombreux à obtenir un baccalauréat général (77,9 % d’entre eux) et parmi eux un baccalauréat scientifique (58,8 %), en décrochant une mention (50 %). À l’inverse, les karatékas sont les moins nombreux à valider un baccalauréat général (51,8 % d’entre eux), à obtenir une mention (20,4 % des bacheliers) et à terminer leur scolarité secondaire sans retard scolaire.

11Cette lecture statistique des destins scolaires donne à voir des cheminements différents selon les sports, mais ne dit pas grand-chose de plus tant sont absentes les caractéristiques réelles des parcours empruntés. Si les écarts de recrutements sociaux entre la voile et le karaté sont susceptibles d’expliquer les différences d’orientations scolaires, rejouant ici les effets bien connus des inégalités sociales face à l’école, ils ne permettent pas de prendre la mesure des pratiques qui organisent et règlent le quotidien de ces jeunes champions. Le principe d’un aménagement des scolarités figure dès 1984 dans la loi « Avice » relative à l’organisation et à la promotion des activités physiques et sportives. Par son article 27, les établissements du second degré devaient ainsi permettre la préparation des élèves en vue de la pratique sportive de haut niveau, « selon des formules adaptées [39] ». En 1995, la transformation des Centres permanents d’entraînement et de formation (CPEF) en filières d’accès au sport de haut niveau est l’occasion de réaffirmer, par la circulaire du 12 octobre 1995, le principe d’un aménagement des scolarités pour les pensionnaires des pôles nouvellement créés. Plus récemment enfin, la circulaire du 1er août 2006, signée conjointement par les ministères du Sport et de l’Éducation nationale, précise les dispositifs qui doivent permettre aux sportifs « identifiés » par le ministère de mener à bien ce qui est désormais identifié sous le terme de « double projet ». Les élites sportives, inscrites dans des établissements publics ou privés sous contrat, peuvent bénéficier de dérogations à la carte scolaire, d’aménagements des rythmes scolaires, d’enseignements de soutien ou de rattrapage, de places réservées en internat, mais également de modifications du calendrier des examens nationaux tenant compte des périodes de compétition. Notre enquête, qui porte sur un ensemble de sportifs entrés dans l’espace de la haute performance durant la première décennie des années 2000, s’inscrit donc dans ce cadre réglementaire précis. Tous, au titre de leur appartenance objective aux « filières d’accès au sport de haut niveau », peuvent ainsi prétendre à de tels aménagements de leur scolarité, en parallèle de leur formation proprement sportive. Pourtant, malgré un cadrage institutionnel qui fixe les obligations et les moyens des établissements [40], le ministère de l’Éducation nationale ne parvient pas à « avoir une analyse fine de ce dispositif [41] ». Un travail exploratoire auprès d’une dizaine d’établissements de la région des Pays de la Loire, connus et repérés pour le soutien qu’ils apportent à des sportifs depuis le début des années 2000, permet de prendre la mesure d’un tel imbroglio. Parce qu’ils font l’objet d’une négociation originale entre les agents sportifs et scolaires, les types d’aménagement sont à chaque fois différents. L’analyse comparée est susceptible de donner à voir le poids variable de ces configurations dans le processus de fabrication des élites.

b – Retour sur trois configurations scolaires originales

12Au regard des trajectoires scolaires des populations prises dans leur ensemble, et en croisant la position sociale des parents avec le type d’établissement fréquenté au collège puis au lycée, ce sont des univers scolaires « marqués » qui se font jour. Si les familles du volley-ball, richement dotées en capital culturel ou issues des fractions populaires du secteur public, se retrouvent plus largement dans une scolarité publique, les familles de la natation synchronisée, qui se caractérisent par un fort volume de capital économique, sont significativement plus nombreuses à se tourner vers l’enseignement privé, et ce avant même que l’entrée en pôle d’entraînement ne vienne peser – a priori – sur les parcours scolaires. Cette opposition public/privé tend à se renforcer très nettement au lycée. Bien que les choix d’établissements ne puissent se penser à partir de la seule position sociale des familles, de tels écarts interpellent. Ici, le parcours sportif est un élément décisif dans la confirmation des choix opérés. Le passage par un centre d’entraînement implique pour les jeunes filles d’accepter d’être scolarisées dans l’établissement partenaire du pôle. Or, d’un univers à l’autre, les partenariats sont inverses. Si le pôle de volley-ball s’est historiquement tourné vers des établissements publics, le pôle de natation synchronisée s’est toujours « entendu » avec des établissements privés. Tout laisse donc entendre que le partenariat avec un établissement scolaire agit dans le sens d’un renforcement des affinités scolaires des familles. Le cas du roller enrichit l’analyse. En effet, les familles, d’origine populaire pour une majorité d’entre elles, s’engagent à l’entrée en 6e préférentiellement dans l’enseignement public (deux familles sur trois). L’avancée en âge inverse cette tendance, et ce sont des lycées privés qui retiennent leur préférence. La coloration scolaire du centre d’entraînement – le pôle France a signé une convention avec une école privée « pour sportifs de haut niveau » – explique en partie cette bascule.

Tableau 2

Le type d’établissement aux différents moments de la scolarité

Tableau 2

Le type d’établissement aux différents moments de la scolarité

13Ces configurations scolaires, classées et classantes, offrent des cadres plus ou moins contraignants à l’exercice du travail vocationnel. Les collèges et les lycées d’enseignement privés de la natation et du roller s’engagent ainsi dans des transformations bien plus poussées de la « forme scolaire » que les établissements publics du volley-ball. Là où les nageuses et les patineuses bénéficient de réels aménagements de scolarité, les volleyeuses profitent d’un simple arrangement de leur emploi du temps. La description de ces accommodements revient finalement à reconstruire le jeu de rôles qui s’établit entre les dirigeants sportifs, les chefs d’établissements, les enseignants et les familles des sportifs. Les spécialistes de roller suivent leur scolarité dans une école qui n’est « pas une école comme les autres [42] ». Avec des effectifs de classes qui ne dépassent pas les neuf élèves, des enseignants managers qui individualisent le rapport au savoir et des entraîneurs omniprésents, y compris au sein des conseils de classe, cette institution se distingue très clairement sur le marché de l’offre scolaire et permet aux sportifs de bénéficier d’aménagements très poussés, dans une politique assumée de rationalisation des temps scolaires et d’amélioration du niveau de performance. En ce qui concerne les nageuses, le principal du collège et le proviseur du lycée répondent très exactement aux demandes des dirigeants sportifs. Les aménagements consentis démarrent dès la sixième et peuvent ainsi perdurer à l’identique jusqu’à la terminale pour les jeunes filles qui se seront maintenues à un niveau sportif suffisant pour s’assurer une place au sein du pôle Espoir. Les sportives, quels que soient leur âge et leur niveau d’études, sont libérées d’enseignements deux après-midi complètes et quittent l’école à 15 heures les autres jours de la semaine. En outre, elles sont prioritaires au self, ce qui leur permet d’aller s’entraîner sur le temps du midi. Ces aménagements drastiques imposent des choix. À l’autel des disciplines qualifiées de « non indispensables » par le proviseur du lycée : l’éducation physique et sportive, l’éducation civique, les arts plastiques et la musique. Ces cours, littéralement rayés de la carte des enseignements, ne font l’objet d’aucun rattrapage. Ce n’est pas le cas en revanche pour d’autres enseignements dont on estime cette fois qu’ils sont « importants », mais dont la programmation annuelle est immanquablement perturbée par les absences répétées des nageuses. Les nageuses – selon leur niveau d’étude et la filière choisie – manquent généralement une heure par semaine dans ces disciplines considérées comme « majeures », soit mathématiques, physique-chimie ou français. Auquel cas, ces séances font systématiquement l’objet de rattrapages. Dans cette configuration où les heures d’entraînement sont susceptibles de remplacer des temps d’enseignement, et pour éviter de toucher à ce que les agents scolaires considèrent être le « cœur » de l’école, la directrice adjointe du collège et le conseiller d’éducation du lycée tentent de convaincre les familles de ne pas choisir d’options. En vain. Les familles des nageuses, qui nourrissent des ambitions scolaires très élevées pour leurs filles, sont en contact direct avec les responsables des aménagements et participent activement aux négociations. Plusieurs familles insistent pour que leur enfant choisisse des options (en particulier le latin) ou pour qu’il soit inscrit dans la classe à projet (réputée pour être une « bonne » classe) contre l’avis du coordonnateur du pôle. La directrice adjointe du collège relève ainsi en entretien le cas de ce père qui a négocié « la possibilité de remplacer les cours de physique par l’option latin ».

14

« Ce papa était très haut placé dans une entreprise. Il avait une formation d’ingénieur. Donc sa logique, c’était de dire qu’il avait les moyens d’aider sa fille en physique, ce qui n’était pas le cas en latin. »

15Suite à cette demande jugée légitime, la jeune fille a été dispensée de la moitié des enseignements de physique lors de son année de 3e, et a suivi l’option latin. Cette propension à la négociation semble donc d’autant plus « naturelle » que les familles sont fortement engagées dans la discussion. Les travaux de Wilfried Lignier sur le diagnostic de précocité intellectuelle sont utiles pour penser le sens de l’investissement familial. Pour ces familles issues des classes moyennes et supérieures, « la précocité intellectuelle tend à fonctionner comme une ressource symbolique pour le travail éducatif [43] ». De manière comparable, la « réussite » sportive des jeunes nageuses, repérée et encouragée précocement, parce qu’elle s’accompagne et autorise des conditions exceptionnelles de scolarité, porte une charge distinctive qui participe à l’évidence du renforcement des vocations [44]. Dans le cas du volley-ball, les aménagements, tant au lycée qu’au collège, se limitent à l’arrêt des cours à 16 heures tous les jours de la semaine. Depuis la classe de 3e jusqu’à la classe 1re – pour les sportives qui se seront maintenues au pôle Espoir – elles bénéficient donc d’un emploi du temps « resserré », sans être dispensées pour autant de quelque enseignement que ce soit. La question ne se pose d’ailleurs pas pour la principale du collège qui en rejette le principe. La possibilité d’une dispense d’EPS a été débattue au sein du lycée, mais le proviseur (ancien professeur d’EPS) et les enseignants d’EPS s’y sont opposés. Les aménagements scolaires sont donc limités et non négociables. Dans de telles conditions, l’absence de références aux familles dans le discours des chefs d’établissement semble logique. Les contacts sont quasi inexistants, sauf en cas de difficultés scolaires majeures. Finalement, comme le résume le proviseur du lycée, « les familles des volleyeuses ne sont pas traitées différemment des familles des autres élèves […] On ne les voit pas beaucoup ».

16Derrière ces jeux d’établissements et ces niveaux d’aménagements très hétérogènes, ce sont bien des marges de manœuvre qui se négocient au cas par cas. Entre des établissements privés qui acceptent de négocier directement avec les parents, et n’hésitent pas à offrir les conditions d’une formation scolaire d’excellence au titre de la pratique sportive d’élite, et des établissements publics qui tiennent le « sport » à distance, en refusant le principe même d’une réelle modification de l’emploi du temps, les accords établis entre les institutions sportives et scolaires dessinent des possibles forts différents d’une pratique à l’autre. Les travaux récents de Sophie Javerlhiac font des difficultés rencontrées par certains champions en « fin de carrière », et qui cherchent à se « reconvertir », le révélateur d’un défaut de formation[45]. L’un des principes mécaniques avancé pour comprendre ce qui est considéré comme une incapacité à mener de front projet de formation et carrière sportive est l’augmentation des charges et des volumes d’entraînement. S’il est clair que le temps d’entraînement est un temps « pris sur autre chose », il importe néanmoins de penser les effets de telles organisations dans des rapports au temps socialement situés. Les individus, soumis au feu croisé d’une pédagogie tantôt sportive, tantôt scolaire, portée par des agents qui s’accordent différemment selon les mondes respectifs dans lesquels ils évoluent, sont pourvus de ressources variées pour « faire face ». Il semble donc indispensable de rétablir le jeu entremêlé entre les « contraintes » sportives, les « contraintes » scolaires et les ressources familiales lorsqu’il s’agit de qualifier les trajectoires empruntées.

Tableau 3

Contraintes sportives, possibles scolaires et ressources familiales

Tableau 3

Contraintes sportives, possibles scolaires et ressources familiales

17Les nageuses, tout comme les pratiquantes du roller, s’entraînent plus et plus longtemps que les volleyeuses. Les contraintes sportives pèsent donc, d’un point de vue strictement matériel, plus fortement sur les exigences scolaires. Pourtant, d’un univers à l’autre, les trajectoires scolaires ne sont pas marquées par des échecs scolaires. Au collège, les volleyeuses et les nageuses alimentent les « têtes de classe ». Aucune ne redouble la classe de 6e, et elles sont ensuite peu nombreuses à prendre du retard. Sur l’ensemble de la population enquêtée, quatre volleyeuses accusent une année de redoublement à la fin du collège, pour une seule nageuse. En ce qui concerne les patineuses, la scolarité au collège se déroule également sans accroc identifiable, seule une jeune fille redouble une année sur le temps du collège. Les résultats obtenus au diplôme national du brevet (DNB) attestent en revanche d’un niveau scolaire très hétérogène selon les sports. Il est élevé, relativement aux moyennes académiques, pour le volley et la natation synchronisée : 48,7 % des volleyeuses et 64,3 % des nageuses dont nous connaissons les résultats ont obtenu le DNB avec une mention « bien » ou « très bien » [46]. Alors même qu’elles s’exercent pleinement depuis plusieurs années dans le cas de nombreuses nageuses, les exigences sportives ne s’accompagnent pas d’une détérioration significative de leurs résultats. Elles obtiennent d’ailleurs des moyennes supérieures d’un point à celles des volleyeuses, et de deux points à celles des patineuses. Les effets liés au recrutement social des groupes considérés jouent ici à plein. C’est bien l’enracinement social des élites sportives qui explique les résultats moindres obtenus par les pratiquantes du roller, alors même qu’elles bénéficient d’aménagements de scolarité et de volumes d’entraînement très proches de ceux qui rythment le quotidien des nageuses. Compte tenu du profil général de ces trois populations scolaires, l’accès au lycée pourrait a priori se caractériser par des orientations différenciées. Or, si l’on s’intéresse uniquement aux cas des sportives scolarisées dans les établissements partenaires des centres d’entraînement, force est de constater une orientation massive dans les filières générales. Ainsi, 93,6 % des volleyeuses et 97,1 % des nageuses font le choix du général, pour cinq patineuses sur 8. L’orientation en 1re renforce le processus d’élection scolaire : 47,1 % des volleyeuses et 58,5 % des nageuses font le choix de la filière scientifique, qui concerne trois patineuses sur cinq. Toutes obtiennent leur baccalauréat à la fin de la scolarité secondaire. Bien que cette analyse ne prête pas suffisamment attention aux variations individuelles de trajectoires d’un monde à l’autre, elle montre en revanche combien est illusoire l’idée d’un délitement des projets scolaires des jeunes filles les plus engagées dans le processus de construction des vocations sportives. Au contraire, ces « voies réservées » favorisent la double excellence sportive et scolaire, par des effets proprement structurels. Pour le lycée privé de la natation, la question des filières professionnelles ne se pose pas, et seules les filières S, L et ES y sont ouvertes. Dans le lycée public qui accueille les volleyeuses, l’éventail des filières proposées est beaucoup plus large et dirigé indistinctement des filières générales aux filières professionnelles. Pourtant, le proviseur reconnaît que les aménagements n’ont jamais été pensés pour être « adaptables » à une formation professionnelle. Aussi, faire porter les aménagements sur les filières les plus « valorisées » participe de la « conformité scolaire » des prétendantes à l’excellence sportive. Dans le cas du roller, il est significatif de constater combien le passage en pôle s’accompagne d’une élévation des exigences scolaires qui pèsent sur les athlètes scolarisées dans l’établissement partenaire. Sur les dix pensionnaires du pôle, sept sont engagées dans une filière générale, deux en technologique et une en voie professionnelle. Le rapport s’inverse complètement pour celles qui enregistrent des performances de haut niveau sans pour autant être inscrites au centre d’entraînement. Sur les onze jeunes filles concernées, quatre sont en filière générale, une en technologique et six en voie professionnelle. Les destins scolaires différenciés de ces jeunes filles, pourtant situées sur des positions sociales très comparables, dépassent la question du seul rapport genré entretenu à l’école. Il témoigne d’un double mécanisme : la consécration sportive des « bonnes élèves », d’abord, et par laquelle seules celles qui s’engagent dans les voies scolaires les plus légitimes peuvent prétendre bénéficier d’un entraînement spécialisé en pôle, et ensuite, la consécration scolaire des « bonnes sportives », conduisant les plus engagées sportivement à se maintenir durablement dans le jeu scolaire, jusqu’à l’obtention pour certaines d’entre elles d’une certification « inespérée ».

18Ces quelques éléments d’analyse du double jeu sportif et scolaire, s’ils doivent être complétés et étendus aux autres sports d’élite, invitent dès ce stade à repenser l’idée selon laquelle « le sport écrase l’école ». Ici, le volume d’entraînement très conséquent des nageuses n’a qu’un effet relatif sur les parcours scolaires dans la mesure où les familles, favorisées et riches de toutes formes de ressources économiques et culturelles, voient dans ce placement une forme d’excellence « sociale » qui participe d’un projet plus général, dont la charge distinctive est caractéristique des stratégies éducatives des milieux les plus favorisés [47]. Ailleurs, le passage par le pôle de roller, qui suppose un volume d’entraînement élevé et s’accompagne d’aménagements scolaires importants, participe à l’inverse d’une forme de consécration scolaire en facilitant l’accès à la culture scolaire légitime par la voie des filières générales. Par conséquent, ce que ces mondes éclairent, ce sont les participations effectives, mais toujours originales des trajectoires scolaires dans la construction des carrières sportives. Un tel résultat interroge, par rebond, l’idée même de « conversion » lorsqu’il s’agit de qualifier la transformation d’un individu en « champion ». Nombreuses sont en effet nos enquêtées qui atteignent le plus haut niveau dans leurs disciplines, sans pour autant perdre de vue – dans le même temps – le sens des réalités ordinaires. C’est précisément ce frottement, cette perméabilité entre les espaces sportifs et scolaires, qui explique un nombre important d’arrêts de la pratique au profit d’un autre projet, qui paraît sur le moment plus important [48]. Nous n’y voyons pas là le signe d’un processus inachevé, une vocation qui ne se réalise pas « complètement », mais bien au contraire le résultat d’un mécanisme éminemment structurel, responsable de la sortie « en douceur » d’un très grand nombre de champions, qui, par l’avancée en âge, sont appelés par d’autres formes d’intérêts. Porter le regard sur les sorties semble de ce point de vue heuristique pour penser l’originalité des engagements sportifs.

III – Le bac et ensuite ?

a – La contamination scolaire des vocations sportives

19Les sorties de listes comme celles des centres d’entraînement fixent, tous sports confondus, un âge d’arrêt de la pratique à haut niveau aux alentours de 18 ans. Un sportif sur deux sort de l’espace entre 17 et 19 ans [49]. Relativement à la population initiale de tous ceux qui ont été repérés, un sur six seulement continue à produire des performances de haut niveau passé l’âge de 20 ans. L’hypothèse d’une corrélation forte entre l’âge de sortie et le milieu social d’origine, telle que la repèrent par exemple Lucie Forté et Christine Mennesson dans le cas de l’athlétisme de haut niveau [50], ne peut ici être systématisée à l’espace du sport d’élite pris dans son ensemble. En effet, 46,1 % des élites sportives issues d’un milieu social « favorisé » sortent par exemple des listes ministérielles entre 17 et 19 ans, pour 47 % des élites d’origine populaire. Seule l’analyse comparée permet de prendre la pleine mesure des scansions temporelles qui organisent les carrières sportives d’un monde à l’autre. Si l’âge moyen à partir duquel les gymnastes et les joueurs de tennis arrêtent de produire des performances de haut niveau se situe aux alentours de 16 ans, il s’élève en revanche à 20 ans pour les pratiquants du roller et de la voile, des sports dont les recrutements sociaux sont pourtant diamétralement opposés. De telles données, rapportées aux âges d’entrée, permettent de dresser le tableau des espérances de vie sportive selon les mondes du sport d’élite. Ces durées de vie moyennes dépassent rarement cinq années. Elles couvrent cependant des périodes différentes d’un sport à l’autre. Pour deux spécialités à recrutement populaire, la période de production des performances de haut niveau peut changer du tout au tout, de 11 à 15 ans dans la gymnastique, et de 15 à 19 ans dans le roller. Deux indicateurs permettent par ailleurs de préciser le temps passé dans chacun des mondes ; le taux d’évaporation à un an et la durée de vie de ceux qui se maintiennent sur listes au minimum deux années. Pour exemple, les élites de l’aviron entrent tardivement dans l’espace de production de la haute performance (vers 16 ans) et le risque est ensuite très élevé de n’y rester qu’une seule année (plus de 40 % de sorties à un an), ce qui explique une durée de présence moyenne sur les listes assez faible (moins de trois ans). En revanche, ceux qui restent plus d’une année parviennent à se maintenir en moyenne quatre ans sur les listes. À l’inverse, les élites du squash entrent précocement dans l’espace du haut niveau (avant 13 ans). Ils ont peu de risques d’en sortir au bout d’un an et s’y maintiennent durablement (en moyenne un peu plus de six inscriptions sur listes) [51].

Tableau 4

Les « espérances de vie » selon les mondes du sport d’élite

Tableau 4

Les « espérances de vie » selon les mondes du sport d’élite

20D’autres pratiques en revanche se ressemblent du point de vue des temps passés. C’est le cas de la gymnastique et du tennis qui recrutent « tôt » (vers 12 ans) et sont ensuite réglés sur des scansions temporelles très semblables, et organisées autour d’une espérance de vie d’un peu moins de quatre ans. Ici, le travail d’inculcation des vocations sportives s’exerce donc presque exclusivement dans le cadre des scolarités secondaires. Ce n’est pas le cas pour des sports tels que le roller ou la voile, qui recrutent plus « tard » et dont les pratiquants peuvent ne plus être lycéens.

21Une telle variation des âges et des temps scolaires sur lesquels s’exerce le travail de construction des dispositions athlétiques invite à questionner la notion même de « vocation sportive ». Peut-on réellement parler d’un processus de « transformation totale » des prétendants à la « réussite sportive » pour qualifier unanimement la formation des élites, alors même que les temps de formation peuvent concerner de jeunes collégiens ou à l’inverse des étudiants, dont les projections sont à l’évidence peu semblables ? Le très fort taux de sortie de l’espace du haut niveau entre 18 et 20 ans, au moment où se déterminent en règle générale les orientations dans l’enseignement supérieur ou les insertions professionnelles, ne peut-il être vu comme le résultat d’une profonde hétéronomie de ces espaces du sport d’élite qui subissent en grande partie les contraintes imposées par le temps scolaire, et non plus seulement les effets d’une politique sportive qui règle les entrées et les sorties dans une logique élective ? Si l’on ne peut ignorer un processus d’exclusion sur la base des sanctions, le frottement aux réalités scolaires pendant le temps de la formation sportive représente également un risque fort de contamination de la vocation par l’école. Dans le cas du projet religieux, le poids grandissant de l’école a très fortement influencé le travail symbolique réalisé par le séminaire, responsable à terme d’une véritable « crise des vocations [52] ». Ici, les destins sportifs se construisent toujours dans un rapport très serré à l’école et le frottement des temps scolaires et sportifs est une contrainte « normale » et partagée par l’ensemble des élites. La très forte corrélation entre le choix de l’orientation post-baccalauréat et la sortie des listes ministérielles témoigne d’une contamination scolaire des vocations sportives d’autant plus importante que le projet d’étude est « exigeant » et coûteux en temps. Dans une forme d’anticipation stratégique, les candidats aux classes préparatoires sont ceux qui quittent le plus vite l’espace du sport d’élite (ils sont près de trois sur quatre), contribuant par là même à rendre ce projet peu compatible avec le maintien d’un haut niveau sportif. Parmi ceux qui font le choix d’une inscription à l’université, les futurs étudiants en médecine arrêtent également plus tôt de produire des performances de haut niveau. Les études dans les autres filières universitaires, à l’inverse, semblent plus propices à « protéger » le projet sportif dans la mesure où près d’un étudiant sur deux maintient son engagement athlétique au moment de l’entrée dans l’enseignement supérieur. De manière identique, les projections opérées par les acteurs font du BTS et du DUT des filières « compatibles » avec le maintien des ambitions sportives. Tout indique ici que la survie sportive est directement liée aux placements scolaires projetés et d’autant moins probable que les prétentions sont élevées relativement à la hiérarchie symbolique des filières de l’enseignement supérieur [53].

Tableau 5

Contamination scolaire des vocations sportives

Tableau 5

Contamination scolaire des vocations sportives

La dépendance est très significative. Chi2 = 30,84, ddl = 6, 1-p = >99,99 %

22Les jeunes élites ne sont donc pas dupes du caractère éphémère des devenirs et le projet sportif, s’il peut être un temps exclusif, est rarement déconnecté des réalités ordinaires. Et pour cause, on ne peut pas être « sportif pour la vie ». Derrière cet énoncé faussement naïf se joue en réalité un élément central lorsqu’il s’agit de penser la construction et la poursuite des carrières sportives. Devenir prêtre ou écrivain suppose des candidats à la vocation sacerdotale ou littéraire un engagement sur le long terme. Il en est autrement lorsqu’il s’agit de penser les destins sportifs. La production de performances de haut niveau ne peut durer qu’un temps. Tout se passe alors comme si les agents sportifs, les sportifs et leurs familles s’entendaient tacitement sur un temps « raisonnable » à consacrer au sport. Une telle proposition conduit à émettre l’hypothèse d’un mécanisme à la fois proprement structurel par lequel les institutions sportives s’assurent d’un renouvellement de leurs flux afin de laisser la place à d’autres, plus jeunes, associé à un mécanisme plus « personnel » et subjectif par lequel les individus eux-mêmes en viennent à « lâcher » presque « naturellement » l’investissement sportif au profit d’autres intérêts, en particulier scolaires. Face à cette durée de vie réduite, et à l’augmentation mécanique du taux de remplacement des candidats au « talent », il nous semble approprié de parler d’une espérance de vie limitée des carrières sportives, qui, à défaut d’être maîtrisée, est connue de tous. Destinée à ne pas durer, la croyance dans une vocation de champion est ainsi périssable, ce qui la distingue très nettement de la croyance religieuse. Ici, la porosité des espaces sportifs et scolaires, bien que variable selon les mondes et les ambitions scolaires, reste très forte pour une majorité des élites sportives. Aussi, il semble difficile de maintenir l’idée d’une « métamorphose radicale de leurs êtres » pour qualifier mécaniquement le travail qui s’exerce sur les sportifs reconnus par l’excellence de leurs productions athlétiques. Ce principe de vocations à durées déterminées rend la population des champions sportifs difficile à saisir, car partiellement invisible, et il impose une analyse plus fine des trajectoires des acteurs, dans leurs singularités.

b – Analyse comparée des sorties et des devenirs dans trois mondes du sport d’élite

23Cette enquête ne repose pas sur un travail ethnographique par immersion ni par observation directe. Nous ne pouvons donc nourrir ici l’ambition de décrire et de comprendre en pratique les manières dont se stabilisent ou s’épuisent les vocations sportives. Il s’agit en revanche de poursuivre l’analyse des carrières. Or, de ce point de vue, les données recueillies dans les dossiers individuels (sportif et scolaire) de chaque sportif de la population d’enquête permettent d’avoir une vision très précise des chemins empruntés [voir encadré méthodologique]. Le regard posé reste pour autant prisonnier des catégories administratives par lesquelles les dossiers ont été constitués. Aussi, pour éviter de nous laisser abuser par des « récits de papier » et aveugler par une traduction désincarnée des trajectoires vécues, nous avons privilégié le recueil de données déclaratives, par la réalisation de quinze entretiens, auprès de cinq sportives dans chacun des trois univers. Si l’apport qualitatif peut paraître déséquilibré relativement aux données statistiques convoquées précédemment, les expériences subjectives ici rétablies permettent néanmoins de repérer combien les réalités scolaires sont susceptibles d’organiser la sortie de l’espace du sport d’élite d’un nombre élevé de championnes. L’usage de données déclaratives offre un double bénéfice : mettre à distance la toute-puissance du processus électif organisé par le mouvement sportif en montrant que celles qui sortent ne sont pas toutes « poussées à la porte » par les agents sportifs du fait de performances moindres, bien au contraire, et mettre en lumière la diversité des projections scolaires comme autant de conditions originales qui organisent les sorties à des moments différents. Les biographies des sportives, reconstruites dans leur contexte, montrent combien les trajectoires scolaires pèsent sur le devenir sportif, alors même que ces athlètes sont pleinement engagées dans la production de performances de haut niveau. L’idée d’un contrat moral à durée déterminée prend ici tout son sens, et ce quand bien même les orientations prises dans l’enseignement supérieur sont différentes.

24Julie Antioche [54] est la benjamine d’une famille de trois enfants (un grand frère est cuisinier et l’autre technicien dans le traitement des eaux). Ses parents sont agriculteurs. Elle commence la pratique du roller dans son enfance et se spécialise rapidement en patinage de course dans le club local de son village. Elle réalise ses scolarités primaire et secondaire dans des établissements privés « classiques ». C’est dans ce contexte qu’elle obtient un titre de championne de France lorsqu’elle est en classe de 4e et qu’elle réalise de nombreux podiums. C’est à cet âge qu’elle reçoit les premières sollicitations pour intégrer le pôle France de roller, situé à plusieurs dizaines de kilomètres de son lieu de résidence. Julie fait d’ailleurs de la distance géographique le principal frein qui a motivé le refus de sa famille de l’y envoyer. Elle ne s’en plaint pas et explique en entretien : « J’aurais pu intégrer le pôle, mais je ne m’y voyais pas. C’était loin ! » En tête de classe durant toute sa scolarité, elle obtient le DNB avec une moyenne de 16,44/20, intègre la filière scientifique dans un lycée privé sans aménagement. Habituée des premières places sur les podiums nationaux, et régulièrement approchée par les entraîneurs des équipes nationales, elle est sélectionnée en équipe de France cadette lors de son année de 1re S, participe aux championnats d’Europe et s’entraîne finalement avec le pôle France tous les mercredis, sans y être officiellement inscrite (elle n’est alors pas scolarisée dans le lycée privé partenaire du pôle et ne bénéficie donc pas d’aménagements de sa scolarité). Elle lâche progressivement l’entraînement intensif en classe de terminale. Après l’obtention du baccalauréat scientifique avec la mention très bien, elle entre en première année de médecine, année qui correspond à l’arrêt total de la pratique du roller. Elle valide la première année de médecine sans redoubler (elle est en 4e année au moment de la réalisation de l’entretien). Si l’on sait le risque que représente la reconstruction des parcours par auto-narration, demander à la sportive de revenir en entretien sur les conditions qui ont présidé au désengagement sportif reste très instructif. Ici, Julie Antioche occupe objectivement une position sportive hautement légitime lors de son année de terminale (elle est inscrite sur liste, elle s’entraîne au pôle France avec l’entraîneur national et côtoie les meilleures patineuses de sa génération). C’est pourtant cette même année qu’elle explique avoir voulu sciemment limiter sa pratique sportive.

25

« J’ai lâché en terminale. C’était prévu comme ça. Moi, je voulais faire médecine et l’année de bac est déterminante. Il fallait que je me prépare au mieux. Mon entraîneur était fou, mais je ne voulais pas continuer. »

26Si l’explication guidée par le seul libre arbitre mériterait ici d’être contrebalancée par le point de vue des agents de l’institution sportive, il faut se garder à l’inverse de discréditer les propos de l’enquêtée au seul motif du risque autobiographique. Le désengagement sportif, visible par la sortie objective de l’espace, n’est pas lié à une blessure ou à une baisse des performances. Ici, l’épuisement de la vocation est partie prenante de l’affirmation d’un projet scolaire qui devient prioritaire, puis exclusif.

27Les parents d’Ophélie Adelfin sont architectes dans leur propre agence. Elle est la seconde d’une famille de deux enfants avec un grand frère qui suit des études d’archéologie. Elle entre en 6e avec une année d’avance et suit sa scolarité jusqu’en 4e dans un collège privé de centre-ville, sans aménagement scolaire. Elle intègre un collège public en 3e, l’année où elle entre dans la section sportive régionale concurrente du pôle. La pratique de la natation à haut niveau vient remplacer la pratique du violoncelle en conservatoire, démarrée trois ans auparavant. Ophélie fait alors partie des 15 meilleures nageuses françaises de sa génération. Elle suit une scolarité brillante, obtient le DNB avec une moyenne générale de 17,32/20, décroche le baccalauréat scientifique, sans aucun redoublement avec la mention très bien. Durant toute sa scolarité secondaire, elle se maintient à un haut niveau de pratique et réalise des performances nationales. Elle poursuit ensuite un entraînement sportif intensif (elle finit 1re aux figures imposées au championnat de France en 2e année de CPGE) durant les deux années de classe préparatoire qu’elle effectue dans un lycée très réputé.

28

« La classe prépa, c’est vraiment difficile ! Plus de 40 heures de cours par semaine. À côté, mon entraîneur me poussait à continuer. Avec mon année d’avance, je nageais avec des filles qui étaient au lycée et qui pouvaient s’entraîner de façon normale. Je m’entraînais trois fois par semaine. En plus de mes cours, c’était lourd. »

29Un tel rythme ne l’empêche pas d’être reçue au concours d’entrée à l’École des mines. Dans l’obligation de choisir une destination pour la poursuite de ses études en école d’ingénieur, elle décide de partir pour Toulouse. Ce choix s’accompagne d’un arrêt de la pratique de la natation synchronisée à haut niveau. Elle met alors un terme à sa carrière sportive. En entretien, elle revient sur le caractère pragmatique d’une telle sortie.

30

« Arriver dans une nouvelle ville, trouver un logement, entrer dans une école où je ne connais personne et faire mes preuves. Bon, c’est suffisant pour commencer ! »

31Là encore, ce récit est partial dans la mesure où nous ne disposons pas en retour des points de vue des agents sportifs. Son haut niveau sportif, objectif au moment de l’arrêt, indique néanmoins une sortie brutale de l’espace, dont on ne peut ignorer les raisons proprement scolaires.

32Cécile Sérafinio est la seconde d’une famille de deux enfants [55]. Le père est responsable régional des ventes pour une société de l’industrie pharmaceutique et sa mère enseignante. Elle est dans un premier temps initiée au football avant de s’inscrire au volley, à l’âge de 14 ans, dans le club où son père est entraîneur après y avoir été joueur au plus haut niveau national dans les années 1980. Après une scolarité au collège réalisée dans un établissement public d’une grande métropole de la région Bretagne, elle entre en classe de seconde au lycée partenaire du pôle Espoir de volley-ball des Pays de Loire qu’elle intègre la même année. Dans le cadre d’une scolarité aménagée, elle est orientée en 1re scientifique, puis obtient le baccalauréat « à l’heure », malgré un changement d’établissement l’année de la terminale lorsqu’elle rejoint le centre de formation d’un club professionnel du sud de la France [56]. Cécile Sérafinio est joueuse professionnelle au moment de l’entrée dans l’enseignement supérieur. Elle reste sous contrat professionnel durant cinq années, période pendant laquelle elle poursuit des études supérieures dans un contexte de mobilité lié aux trois changements successifs de clubs. À l’issue de ces cinq années, elle valide un BTS « Systèmes électroniques » en ayant fréquenté quatre établissements supérieurs différents. À l’âge de 23 ans, alors qu’elle pourrait poursuivre sa carrière professionnelle, elle arrête la pratique pour suivre une licence professionnelle « Systèmes électroniques et informatiques communicants », puis intègre un Institut national des sciences appliquées. En entretien, elle décrit cette fin de carrière sportive comme une « issue programmée » au bénéfice d’une formation supérieure à la hauteur de ses ambitions.

33

« J’avais joué six ans en pro, des sélections en équipe de France, participé à la coupe d’Europe, été élue meilleure joueuse de Pro A à mon poste. Il fallait que je pense à mon avenir. Je suis retournée dans ma région. J’ai fait une licence pro, et puis j’ai pu m’inscrire à l’INSA en tant que sportive de haut niveau. »

34Les récits de ce type sont nombreux parmi la population d’enquête. Ensemble, ils témoignent de la régularité par laquelle les ambitions scolaires participent d’un épuisement des engagements sportifs. Le choix d’avoir fait porter l’enquête « resserrée » sur des sportives ne doit pas conduire à une forme de relativisation d’un tel mécanisme. Il faut ici questionner le genre avec prudence, et se garder de verser dans une lecture naturalisante de la fabrication des élites. Le fait d’être des filles n’invalide pas, au prétexte qu’elles entretiennent un rapport à l’école différent de celui des garçons, le processus de contamination scolaire des vocations sportives (pour rappel, le tableau 7 porte sur l’ensemble des élites sportives engagées dans des études supérieures, garçons et filles confondus). Les sportives dont il est ici question sont des athlètes qui ont été repérées, sélectionnées et entraînées plusieurs années par des agents sportifs garants des frontières de l’espace du sport de haut niveau. Relativiser la force de leur engagement sportif au motif d’un rapport plus étroit entretenu avec l’école, précisément parce qu’il s’agit de jeunes filles, reviendrait à oublier un peu rapidement que l’ensemble de ces athlètes a fait l’objet d’un travail pédagogique intensif de socialisation qui visait la formation de dispositions à la compétition de haut niveau. Toutes ont réalisé des performances suffisamment élevées pour être autorisées par les agents sportifs à franchir la frontière qui sépare le bon sportif de l’élite, et qui est objectivée par l’inscription sur listes ministérielles et/ou en centre spécialisé d’entraînement. Elles n’étaient pas en dehors, elles n’étaient pas aux frontières, elles s’y sont exprimées pleinement, et en sont sorties pour s’engager ailleurs.

35Elles sont très peu nombreuses – relativement à la population de départ – à investir le projet sportif au point de le rendre premier dans la hiérarchie symbolique de leurs intérêts, au-dessus du projet scolaire. En prenant pour repère la permanence de performances de haut niveau dans les années qui suivent l’obtention du baccalauréat, il est possible de discuter des trajectoires de ces rares athlètes qui maintiennent durablement leur engagement sportif. Sur les 73 nageuses et les 21 patineuses qui sont entrées dans l’espace du sport d’élite de la région des Pays de la Loire, elles sont respectivement 5 et 6 à s’y être maintenues après le secondaire et à avoir épousé des carrières internationales. Sur les 80 volleyeuses, 13 signent un contrat de joueuse professionnelle après l’obtention du baccalauréat. Il serait trop rapide en revanche de penser que toutes ces « survivantes », qui figurent bien parmi les meilleures représentantes de leurs pratiques sportives respectives, s’engagent de manière exclusive dans cette voie. Pour un certain nombre d’entre elles, les parcours de formation menés en parallèle continuent de peser sur les devenirs sportifs. La poursuite d’études de médecine, l’entrée en école d’ingénieurs justifient alors une sortie « assumée » de l’espace du sport d’élite, quand bien même le niveau de performance permettrait de s’y maintenir. Ces athlètes, êtres d’exception se caractérisent donc par une forme de double excellence, tant sportive que scolaire, et une maîtrise qui leur permet de « gagner de tous côtés ». L’idée d’une fermeture des possibles pour caractériser les parcours des élites ne peut donc être systématisée, y compris pour des « championnes au long cours ». En effet, elles sont à terme très minoritaires celles parmi les meilleures qui sont amenées à ne plus pouvoir se penser en dehors de cet univers, alors même qu’elles ne sont plus en mesure de produire des performances de haut niveau. La sortie de l’espace n’en est alors pas vraiment une et, par un « effet de clôture du microcosme sportif [57] », les anciennes sportives deviennent entraîneurs, coaches, ou cadres administratifs dans leurs fédérations. Parmi les cinq spécialistes de natation synchronisées aux carrières sportives longues et aux palmarès sportifs de très haut niveau (participation à des compétitions internationales, aux championnats du monde et/ou aux Jeux olympiques), nous connaissons la situation de quatre d’entre elles au moment de la réalisation de l’enquête. Trois exercent une profession en lien avec la natation (une est entraîneur de natation synchronisée, une est maître-nageur sauveteur, la troisième est artiste de natation synchronisée dans un show à Las Vegas). La quatrième nageuse poursuit des études de journalisme sportif. Les autres nageuses, celles sorties plus tôt de l’espace au bénéfice d’un projet scolaire, mais qui ont malgré tout construit un palmarès sportif de haut niveau, font pour l’écrasante majorité d’entre elles des études longues dans le commerce ou la santé, et deviennent sages-femmes (pour cinq d’entre elles), cadre chez Renault, chef de produit, contrôleur de gestion, responsable RH, etc. C’est là le bénéfice d’une analyse « par le bas ».

36Penser le sport d’élite en ne retenant que ceux qui se maintiennent durablement – alors même qu’ils ne représentent qu’une part infime de la population totale sur qui s’est réellement exercé le travail d’inculcation des vocations – conduit à mettre au centre de l’analyse la dimension enveloppante d’un univers considéré comme exclusif. Pourtant, si les mondes des sports d’élite sont effectivement « enfermants » pour certains champions, l’étude des devenirs de tous ceux qui y sont entrés montre combien il est abusif d’en faire des mondes « fermés », « séparés ». Les performances « hors du commun », si elles produisent tout autant qu’elles sont le produit de conditions de vie marquées par des rythmes très exigeants, ne permettent pas d’asseoir et de généraliser l’idée de mondes « extra-ordinaires [58] ». Ils peuvent le devenir pour ceux qui s’y enferment durablement, mais la plupart jouent plusieurs jeux à la fois et ne sont absolument pas à distance des réalités « ordinaires », et en particulier scolaires. Ils n’en composent pas moins les mondes du sport d’élite.

Conclusion

37Penser la vocation sportive en reconstruisant les trajectoires et en interrogeant les expériences subjectives de ceux qui (se) sont enfermés dans leurs univers de pratiques – sans tenir compte de tous ceux qui, bien que produisant des performances de haut niveau, ont fait le choix d’en sortir plus tôt – participe d’une lecture abusive du processus de formation des élites. L’idée d’une transformation radicale des individus, par laquelle ils en viendraient à vivre à contretemps et à contre-espace, au point d’accepter, de manière non consciente, de sacrifier un certain nombre d’intérêts, y compris scolaires, ne tient que pour une minorité. Finalement, le risque est grand de réduire le travail vocationnel aux seuls discours et expériences vécues de ces « survivants », dont une part non négligeable vit un déclassement en fin de carrière [59]. Le discours vocationnel, qui est un discours autobiographique [60], une « mise en scène de soi », ne peut épuiser à lui seul la compréhension des formes prises par l’engagement sportif dans la mesure où les récits autobiographiques sont toujours « des interprétations d’une réalité […], un regard rétrospectif porté sur une trajectoire de vie peu commune [61] ». Pire encore, il risque d’en donner une représentation erronée. Sylvia Faure, dans le cas des danseurs professionnels, repère ainsi que « l’auto-narration rend compte d’une existence passée rendue quasi homogène alors que les descriptions des expériences de danse qui ont structuré la carrière de l’artiste révèlent des moments d’individualisation particuliers, hétérogènes [62] ». L’analyse de Gisèle Sapiro sur la formation de la vocation littéraire fait un constat sensiblement identique. La formation scolaire et l’acquisition de compétences liées à l’écriture sont des conditions d’accès au métier d’écrivain, mais la distance à l’école est ensuite exacerbée dans les discours autobiographiques de ceux qui l’exercent, au profit de « la représentation du créateur incréé [63] ». Marie Cartier, enfin, dans ses travaux sur les assistantes maternelles, montre que l’insistance sur la « vocation maternelle » est d’autant plus forte qu’il s’agit d’un réquisit pour obtenir l’agrément auprès des services de l’administration publique départementale. Autrement dit, les agents ne sont pas dupes de la ressource que peut représenter le fait de tenir un discours construit sur « l’amour des enfants » auprès de leur institution de tutelle [64]. Si les vocations dont il est ici question sont clairement distinctes, elles témoignent en revanche de la distance susceptible d’exister entre le travail pédagogique qui s’exerce sur les individus et la traduction subjective qu’ils en font lorsqu’ils sont invités à le qualifier rétrospectivement, qui plus est lorsqu’ils ont à rendre des comptes face à une institution qui entend les contrôler. Les enquêtes qui portent sur la difficile « reconversion » des élites sportives, parce qu’elles donnent majoritairement tribune aux champions « les plus durables » ne participent-elles pas en cela d’une vision partiale du processus de formation des élites sportives ? Dans la mesure où il a été montré que la longévité de la carrière était susceptible de s’accompagner d’une réduction des possibles au sens d’un enfermement progressif dans un microcosme sportif, le discours qu’ils portent rétrospectivement sur leurs carrières peut ne pas se limiter à une « entreprise de grandissement de soi qui se fonde sur l’exemplarité d’un parcours exceptionnel [65] », mais comporter également une dimension militante et performative qui consiste à dénoncer des situations jugées peu conformes à leurs attentes. Penser la formation du sportif de haut niveau sur la base de ces seuls discours peut donc conduire à adopter une vision partielle du travail réalisé : une formation homogène, enfermante et qui est nécessairement concurrente de la formation scolaire et/ou professionnelle. C’est là l’argument central de rapports et d’enquêtes qui sont construits sur le mode de la dénonciation et font du sport de haut niveau – pensé au singulier – un monde qui écrase toutes autres formes d’ambitions et d’intérêts [66]. Cet article permet de nuancer une telle assertion, en montrant combien les destins scolaires et sportifs sont inscrits dans des configurations originales et distinctes d’un monde à l’autre. La reconstruction de l’espace des sports d’élite, ici pensée à l’échelle d’une région de l’ouest de la France, donne une idée claire des conditions variées dans lesquelles sont construites les carrières sportives. La contamination scolaire des vocations sportives, dont nous avons ici montré toute la force, invite au contraire à se méfier de l’idée même d’une conversion, responsable d’une transformation radicale et indistincte des élites sportives dès lors qu’elles s’engagent dans cette voie. « Il apparaît que la vocation est beaucoup plus modulable que ne le laisserait penser la logique de la conversion et de la reconversion [67] ». Ils sont en effet nombreux à s’être pleinement engagés dans cet espace et à avoir fait l’objet d’un travail pédagogique de (trans)formation, et qui se sont sentis voués un temps à la pratique sportive intensive. Nombreux à avoir été définis et traités comme des sportifs d’élite. Mais qui pourtant, le moment venu de faire des choix « ordinaires » concernant leurs avenirs scolaires et professionnels, ont estimé que l’investissement sportif devenait trop coûteux et ont mis un terme à leur pratique au plus haut niveau. C’est en cela que nous parlons ici de contamination scolaire des vocations sportives. Tout l’intérêt de ce travail consiste alors à comprendre le jeu de négociation et de construction des espérances de vie qui organisent les différents univers de pratiques. Le jeu de définition des âges d’entrée et de sortie, dans son rapport à l’école, est en cela particulièrement éclairant sur les logiques irréductibles qui sont à l’œuvre, même si toutes reposent sur un principe partagé, au sein des institutions sportives comme par la majorité des agents eux-mêmes : « Cela ne pourra pas durer éternellement. » Ils sont très peu nombreux à se maintenir durablement dans cet espace, mais ce sont eux qui attirent le regard. Pourtant, les autres jouent un rôle majeur dans l’économie générale de ces mondes. Le chassé-croisé incessant des entrants et des sortants, bien loin d’en fragiliser les fondations, assure à l’inverse un renouvellement utile des jeunes élites et « fait vivre » l’ensemble des acteurs qui y sont engagés. Sans cynisme aucun, il apparaît ici clairement que les sorties précoces sont une composante « normale » du bon fonctionnement de ces univers.

Notes

  • [1]
    Fleuriel Sébastien, Schotte Manuel. 2011. « La reconversion paradoxale des sportifs français : Premiers enseignements d’une enquête sur les sélectionnés aux Jeux olympiques de 1972 et 1992 », Sciences sociales et sport, n° 4, p. 115-140.
  • [2]
    Ibid., p. 140.
  • [3]
    Sapiro Gisèle. 2007. « “Je n’ai jamais appris à écrire“. Les conditions de formation de la vocation d’écrivain », Actes de la Recherche en sciences sociales, n° 168, p. 24.
  • [4]
    Voir par exemple les travaux de Javerlhiac Sophie. 2014. La reconversion des sportifs de haut niveau. Pouvoir et vouloir se former, Presses universitaires de Rennes, coll. « Des sociétés », 298 p.
  • [5]
    Fleuriel Sébastien. 2004. « L’impensable reconversion des athlètes de haut niveau », in « Le crépuscule des dieux : issue maîtrisée ou issue fatale ? », Les cahiers de l’Université d’été, n° 17, p. 162.
  • [6]
    Papin Bruno. 2000. Sociologie d’une vocation sportive. Conversion et reconversion des gymnastes de haut niveau, thèse de doctorat en sociologie, université de Nantes.
  • [7]
    Les auteurs d’une analyse comparée des systèmes de formation des officiers de l’armée de terre, des cavaliers d’entraînement et des footballeurs professionnels rappelaient ainsi que ces « écoles d’excellence », lorsqu’elles manifestent « leur ambivalence à l’égard de l’école », donnent à voir « l’imparfaite autonomie de leur dispositif de consécration interne ». Bertrand Julien, Coton Christel, Nouiri-Mangold Sabrina. 2016. « Des écoles d’excellence en dehors de l’école. Formation au métier et classements scolaires », Sociétés contemporaines, n° 102, p. 101.
  • [8]
    Sapiro G., op. cit., p. 24.
  • [9]
    Papin Bruno. 2007. Conversion et reconversion des élites sportives. Approche socio-historique de la gymnastique artistique et sportive, Paris, L’Harmattan, 290 p.
  • [10]
    Laillier Joël. 2011. « Des familles face à la vocation. Les ressorts de l’investissement des parents des petits rats de l’Opéra », Sociétés contemporaines, n° 82, p. 68.
  • [11]
    Ce travail, actuellement en cours de réalisation, nécessite en effet un important recueil de données qualitatives, tant auprès des sportifs et de leurs familles que des agents scolaires et sportifs. À ce stade de la collecte des données, il ne nous est pas possible de rétablir les mécanismes de transformation des dispositions qui sont au ressort de l’engagement ou du désengagement proprement vocationnel.
  • [12]
    Javerlhiac S., op. cit., p. 152. Le rapport Karaquillo sur le « statut des sportifs », remis en février 2015 au secrétaire d’État aux sports, reprend cette thèse et dénonce la « procrastination » des athlètes, qui les conduit à adopter des « visions à court terme », entièrement dirigées vers le résultat sportif immédiat, sans considération pour la construction d’un projet de formation extra-sportif. Karaquillo Jean-Pierre. 2015. Statut des sportifs, rapport remis à M. Thierry Braillard, secrétaire d’État aux Sports, le 18 février 2015, p. 15-16.
  • [13]
    Louveau Catherine. 2006. « Inégalités sur la ligne de départ : femmes, origines sociales et conquête du sport », CLIO, Histoire des femmes, n° 23, p. 119-143. Terret Thierry, Saint-Martin Jean, Roger Anne, Liotard Philippe (dir.). 2006. Sport et genre, Paris, L’Harmattan (4 tomes).
  • [14]
    Voir par exemple les travaux de Baudelot Christian, Establet Roger. 2006. Allez les filles. La révolution silencieuse, Paris, Seuil, 288 p.
  • [15]
    Érard Carine, Louveau Catherine. 2016. « Les effets paradoxaux du goût du sport sur l’orientation scolaire et professionnelle des normaliennes en sciences du sport et de l’éducation physique », Sciences sociales et sport, n° 9, p. 83-113.
  • [16]
    Ces entretiens ont été conduits par Rachid M’Daam, dans le cadre d’un contrat de deux mois, à l’automne 2015.
  • [17]
    Ces fiches donnent le profil de chacun en matière de population scolaire, de personnels et de moyens, ou encore de résultats et d’orientations.
  • [18]
    Faure Jean-Michel, Suaud Charles. 2015. La raison des sports. Sociologie d’une pratique singulière et universelle, Paris, Raisons d’agir, coll. « Cours et travaux », p. 245-246.
  • [19]
    Ibid., p. 260.
  • [20]
    Javerlhiac S., op. cit., p. 85.
  • [21]
    Suaud Charles. 1989. « Espace des sports, espace social et effets d’âge. La diffusion du tennis, du squash, et du golf dans l’agglomération nantaise », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 79, p. 3.
  • [22]
    Ibid., p. 3.
  • [23]
    Nous nous sommes appuyés sur les catégorisations opérées par Ugo Palheta, dans son travail sur l’enseignement professionnel. Palheta Ugo. 2011. « Le collège divise. Appartenance de classe, trajectoires scolaires et enseignement professionnel », Sociologie, n° 4, vol. 2, p. 366.
  • [24]
    Charles Soulie rappelle que la variable PCS, malgré tous les biais liés aux opérations de codage, ne produit pas « une image aberrante du monde social ». Soulie Charles. 2000. « L’origine sociale des collégiens et des lycéens en France : une analyse des conditions sociales de production de la statistique », Population, n° 1, p. 179.
  • [25]
    François Jean-Christophe, Poupeau Franck. 2009. « Le sens du placement scolaire : la dimension spatiale des inégalités sociales », Revue française de pédagogie, n° 169, p. 89.
  • [26]
    L’étiquetage résulte d’un travail de repérage, puis de sélection qui suppose une pratique antérieure, pendant l’enfance, sur laquelle nous ne porterons pas le regard.
  • [27]
    Octobre Sylvie, Detrez Christine, Merckle Pierre, Berthomier Nathalie. 2010. L’enfance des loisirs. Trajectoires communes et parcours individuels de la fin de l’enfance à la grande adolescence, Paris, La Documentation française, coll. « Questions de culture », 432 p.
  • [28]
    Chamboredon Jean-Claude. 1991. « Classes scolaires, classes d’âge, classes sociales », Enquête, n° 6, p. 5.
  • [29]
    93,4 % des gymnastes et 69,6 % des joueurs de tennis entrent dans un centre d’entraînement avant l’âge de 13 ans. Pour autant, le recrutement social est ici très différent. Pour le cas de la gymnastique, 28,4 % des individus ont au moins un des parents qui exerce une profession « supérieure », lorsqu’ils sont 70,3 % pour les joueurs de tennis.
  • [30]
    En revanche, nombreux sont les travaux qui ont montré l’importance de la proximité familiale au sport de compétition dans l’orientation précoce des enfants, et ce, quel que soit le milieu social d’origine. Voir par exemple Forte Lucie. 2008. Devenir sportif de haut niveau : approche sociologique de la formation et de l’expression de l’excellence athlétique, thèse de doctorat en STAPS, université de Toulouse.
  • [31]
    Chamboredon J.-C., op. cit., p. 7.
  • [32]
    74,4 % des athlètes pratiquant l’aviron de la population d’enquête intègrent un pôle d’entraînement entre 16 et 18 ans.
  • [33]
    Siblot Yasmine, Cartier Marie, Coutant Isabelle, Masclet Olivier, Renahy Nicolas. 2015. Sociologie des classes populaires contemporaines, Paris, Armand Colin, 368 p.
  • [34]
    François J.-C., Poupeau F., op. cit., p. 89.
  • [35]
    Suaud Charles. 1976. « Splendeur et misère d’un petit séminaire », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 4, p. 75.
  • [36]
    Sapiro G., op. cit., p. 22.
  • [37]
    Dans le cas des footballeurs, Julien Bertrand repère ainsi que « dans un contexte d’intensification des contraintes sportives, l’école tend à devenir une contrainte concurrente de la “passion” sportive ». Bertrand Julien. 1998. « Se préparer au métier de footballeur : analyse d’une socialisation professionnelle », Staps, n° 82, p. 35. En ce qui concerne les cyclistes, Nicolas Lefevre repère dans leurs trajectoires l’installation progressive « [d’]un “décalage” avec le système scolaire. […]. L’effet principal de cette dynamique [étant] d’éloigner progressivement le coureur de la culture scolaire, et de le convertir encore un peu plus à la culture cycliste de haut niveau ». Lefevre Nicolas. 2010. « Construction sociale du don et de la vocation de cycliste », Sociétés contemporaines, n° 80, p. 63-64.
  • [38]
    Laillier J., op. cit., p. 71.
  • [39]
    Article 27 de la loi du 17 juillet 1984.
  • [40]
    Circulaire n° 2006-123, du 1er août 2006.
  • [41]
    Cour des comptes, rapport public thématique, « Sport pour tous et sport de haut niveau : pour une réorientation de l’action de l’État », 2013, p. 108.
  • [42]
    Suaud C., op. cit., p. 75. C’est ainsi que Charles Suaud parlait des petits séminaires lorsqu’ils faisaient du temps scolaire un temps religieux. Ici, de nombreux indices témoignent d’une profonde transformation de la forme scolaire. Il est par exemple prévu dans la convention de formation que les élèves pourront être exclus « en cours de cycle scolaire, si l’élève ne correspond plus sportivement aux critères définis ». En somme, des performances sportives insuffisantes peuvent être ici légitimement convoquées pour mettre un terme à la scolarité d’un enfant dans l’établissement.
  • [43]
    Lignier Wilfried. 2010. « L’intelligence investie par les familles. Le diagnostic de “précocité intellectuelle”, entre dispositions éducatives et perspectives scolaires », Sociétés contemporaines, n° 79, p. 118.
  • [44]
    Cette distinction scolaire par le sport s’inscrit dans un processus plus large par lequel « les classes supérieures cherchent à se distinguer en inventant de nouveaux types d’investissement (séjours à l’étranger, apprentissage des langues asiatiques) ». Blanchard Marianne, Cayouette-Rembliere Joanie. 2011. « Penser les choix scolaires  », Revue française de pédagogie, n° 175, p. 10.
  • [45]
    Javerlhiac S., op. cit., p. 152.
  • [46]
    Les résultats obtenus au DNB dans l’académie de Nantes montrent de meilleures performances des filles à l’examen. Pour repère, à la session 2014, elles sont 35 % dans la série générale à obtenir une mention « très bien » ou « bien », contre 27 % chez les garçons. Rectorat de Nantes, études statistiques, « Le Diplôme national du brevet dans l’académie de Nantes, session 2014 », avril 2015.
  • [47]
    Le travail de Joël Laillier sur les petits rats de l’Opéra de Paris rend compte de stratégies similaires, portées par des familles en ascension sociale. « Il apparaît que les parents donnent du sens à ce placement, non pas en tant que formation au métier de danseur, mais comme formation donnant accès à une élite. » Laillier J., op. cit., p. 67.
  • [48]
    Nous ne contestons bien évidemment pas le système de sélection proprement sportif par lequel les agents des centres d’entraînement organisent l’exclusion d’un certain nombre de sportifs qui ne répondent plus à leurs exigences. Mais nous pensons que les sorties par « auto-exclusion » sur la base de projets plus attrayants, en particulier scolaires, et indépendamment des niveaux de performance sportifs, sont largement sous-estimées. C’est d’ailleurs là ce que repère Lucie Forte dans le monde de l’athlétisme de haut niveau. « La poursuite d’un projet professionnel perçu comme totalement cloisonné, voire incompatible avec la pratique du SHN, présente une corrélation importante avec le fait de cesser de pratiquer l’athlétisme. » Forte Lucie. 2006. « Fondements sociaux de l’engagement sportif chez les jeunes athlètes de haut niveau », Sciences & Motricité, n° 59, p. 62.
  • [49]
    Il est ici question des sorties de l’espace du haut niveau, objectivées par une sortie de liste ou de centre d’entraînement, ou encore d’un club professionnel, bien plus que de l’arrêt réel de la pratique. Un sportif peut en effet poursuivre une pratique sportive modérée à sa sortie ou, dans certains cas (par exemple, le football, le basket-ball ou encore le cyclisme), peut vivre de la pratique mais en n’étant plus dans un centre ou un club professionnel étiqueté comme relevant du sport de haut niveau, sans que l’enquête ne puisse le révéler.
  • [50]
    Forte Lucie, Mennesson Christine. 2012. « Réussite athlétique et héritage sportif. Socialisation familiale et développement d’un capital sportif de haut niveau », SociologieS, p. 1-23.
  • [51]
    Les élites de l’aviron comme du squash disposent d’un pôle France implanté dans la région d’enquête. Il est donc ici question des sportifs parmi les tout meilleurs de leur génération.
  • [52]
    Suaud C., op. cit., p. 90.
  • [53]
    Convert Bernard. 2003. « Des hiérarchies maintenues. Espace des disciplines, morphologie de l’offre scolaire et choix d’orientation en France, 1987-2001 », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 149, p. 61-73.
  • [54]
    Il s’agit d’un prénom et d’un nom d’emprunt, comme pour les descriptions des trois biographies ici reconstruites.
  • [55]
    Les trois jeunes filles sur lesquelles portent nos analyses sont donc les dernières de leurs familles. Le rang dans la fratrie mériterait d’être interrogé plus systématiquement à l’échelle de la population générale des élites sportives, sans que nous ayons ici la possibilité de le faire.
  • [56]
    Si cette volleyeuse maintient des ambitions scolaires tout en s’engageant dans une carrière professionnelle, ce n’est pas le cas de tous les sportifs pour lesquels une carrière sportive est possible. Miser sur le football masculin où un marché étendu existe a du sens dans certains milieux, en particulier populaires. Voir à ce propos Rasera Frédéric. 2014. « Au-delà de l’échec en centre de formation. La recomposition des aspirations professionnelles d’un ancien apprenti footballeur », Revue Sport et sciences sociales, n° 7, p. 105-138. Ou encore, Nazareth Cyril. 2014. « Faire quelque chose de bien dans le foot : une stratégie familiale d’accès à l’espace du football professionnel, Revue Sport et sciences sociales, n° 7, p. 139-165.
  • [57]
    Fleuriel S., Schotte M., op. cit., p. 140.
  • [58]
    Papin B., op. cit.
  • [59]
    Fleuriel S., Schotte M., op. cit.
  • [60]
    Charles Suaud explique en effet que « les dispositions à retraduire religieusement le monde extérieur sont en même temps des dispositions à se retraduire qui, une fois intériorisées, permettront de construire en biographie sacerdotale tous les évènements de leur vie ». Suaud C., op. cit., p. 96.
  • [61]
    Faure Sylvia. 2003. « Le pouvoir de se raconter : autobiographies d’artistes de la danse », Sociologie et sociétés, n° 2, p. 216.
  • [62]
    Ibid., p. 214.
  • [63]
    Sapiro G., op. cit., p. 33.
  • [64]
    Cartier Marie. 2015. « Classes populaires et emplois de service. Les assistantes maternelles ou la subordination chez soi ? », mémoire pour l’habilitation à diriger des recherches, sociologie, université de Nantes, p. 34.
  • [65]
    Faure S., op. cit., p. 219.
  • [66]
    Voir en particulier le rapport Karaquillo, op. cit.
  • [67]
    Laillier Joël. 2011. « La dynamique de la vocation : les évolutions de la rationalisation de l’engagement au travail des danseurs de ballet », Sociologie du travail, n° 53, p. 512.
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