Notes
-
[1]
Le Corre Sophie. 1991. « Modèles d’entreprises et formes de gestion sociale dans les hypermarchés : diagnostic et évolution », Formation Emploi, n° 35, p. 14-25 ; Benquet Marlène. 2013. Encaisser ! Enquête en immersion dans la grande distribution, Paris, La Découverte.
-
[2]
Philonenko Grégoire, Guienne Véronique. 1998. Au carrefour de l’exploitation, Paris, Desclée de Brouwer.
-
[3]
Gasparini William. 2003. « La forme et le fond. Participation et exploitation chez Décathlon », Regards sociologiques, n° 24, p. 91-102 ; Gasparini William. 2006. « Dispositif managérial et dispositions sociales au consentement. L’exemple du travail de vente d’articles de sport », in Durand Jean-Pierre, Le Floch Marie-Christine (dir.), La question du consentement au travail. De la servitude volontaire à l’implication contrainte, Paris, L’Harmattan, p. 115-126.
-
[4]
Blog de la CFDT Décathlon : http://cfdtdecathlon.over-blog.com/
-
[5]
Bernard Sophie. 2012. « La promotion interne dans la grande distribution : la fin d’un mythe ? », Revue française de sociologie, vol. II, n° 53, p. 259-291.
-
[6]
Dalla pria Yan, Leroux Nathalie. 2010. « L’imitation comme stratégie économique : l’exemple de la refonte de la politique de gestion des ressources humaines de Go Sport », Revue européenne de management du sport, n° 27, p. 5-17.
-
[7]
Subileau Françoise. 1981. « Le militantisme dans les partis politiques sous la cinquième République : état des travaux de langue française », Revue française de sciences politiques, vol. V/VI, n° 31, p. 1038-1068 ; Pudal Bernard. 1989. Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF, Paris, Presses de la FNSP ; Lagroye Jacques. 1991. Sociologie politique, Paris, Presses de la FNSP-Dalloz.
-
[8]
Duriez Bruno, Sawicki Frédéric., 2003. « Réseaux de sociabilité et adhésion syndicale. Le cas de la CFDT », Politix, vol. XVI, n° 63, p. 17-51 ; Andolfatto Dominique, Labbe Dominique. 2007. Les syndiqués en France. Qui ? Combien ? Où ?, Rueil-Malmaison, Éditions Liaisons, coll. « Liaisons sociales ».
-
[9]
Vermeersch Stéphanie. 2004. « Entre individualisation et participation : l’engagement associatif bénévole », Revue française de sociologie, vol. 4, n° 45, p. 681-710 ; Hely Matthieu, Simonet Maud (dir.). 2013. Le travail associatif, Nanterre, Presses universitaires de Paris Ouest.
-
[10]
Suaud Charles. 1978. La vocation : conversion et reconversion des prêtres ruraux, Paris, Minuit ; Lagroye Jacques. 2009. Appartenir à une institution. Catholiques en France aujourd’hui, Paris, Economica.
-
[11]
Pinto Louis. 1975. « L’armée, le contingent et les classes sociales », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 3, p. 18-40 ; Martin Clément, Pajon Christophe. 2011. « Max Weber, le charisme routinisé et l’armée de l’air. L’éducation charismatique au sein d’une école d’officiers », L’Année sociologique, n° 61, p. 383-405.
-
[12]
Faure Jean-Michel, Suaud Charles. 1999. Le football professionnel à la française, Paris, PUF ; Wacquant Loïc. 2001. Corps et âme. Carnets ethnographiques d’un apprenti boxeur, Marseille et Montréal, Agone ; Papin Bruno. 2007. Conversion et reconversion des élites sportives. Approche socio-historique de la gymnastique artistique et sportive, Paris, L’Harmattan ; Forte Lucie. 2008. Les carrières des athlètes de haut niveau. Approche sociologique de la fabrication et de l’expression de l’excellence sportive, thèse de doctorat de l’université Paul-Sabatier, Toulouse.
-
[13]
Gaxie Daniel. 1977. « Économie des partis et rétributions du militantisme », Revue française de sciences politiques, vol. 27, n° 1, p. 123-154.
-
[14]
Fillieule Olivier, Mayer Nonna. 2001. « Devenirs militants. Introduction », Revue française de sciences politiques, n° 51, p. 19-25.
-
[15]
Chabault Vincent. 2004. « Une "aventure" militante, le syndicalisme dans une grande surface spécialisée », Ethnographiques.org, n° 5 [en ligne].
-
[16]
Sawicki Frédéric, Simeant Johanna. 2009. « Décloisonner la sociologie de l’engagement militant. Note critique sur quelques tendances récentes des travaux français », Sociologie du travail, vol. 51, n° 1, p. 97-125.
-
[17]
Kanter Rosabeth Moss. 1968. « Commitment and Social Organization », American Sociological Review, n° 33, p. 499.
-
[18]
Nicourd Sandrine (dir.). 2009. Le travail militant, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
-
[19]
Lechien Marie-Hélène. 2002. Pratiques humanistes : engagements militants et investissements professionnels : trois études de cas, thèse de doctorat en sociologie, EHESS, Paris.
-
[20]
Nicourd S., op. cit., p. 21.
-
[21]
Klein Howard J., Molloy Janice C., Brinsfield Chad T. 2012. « Reconceptualizing workplace commitment to redress a stretched construct : Revisiting assumptions and removing confounds », Academy of Management Review, vol. 37, n° 1, p. 130-151.
-
[22]
Meyer John P., Allen Natalie J. 1991. « A three-component conceptualization of organizational commitment : Some methodological considerations », Human Resource Management Review, n° 1, p. 61-98.
-
[23]
Klein H. et al., op. cit., p. 134 (traduit par les auteurs).
-
[24]
Ibid.
-
[25]
Bouffartigue Paul. 2001. Les cadres. Fin d’une figure sociale, Paris, La Dispute.
-
[26]
Nos entretiens se sont déroulés avant et après la réforme de 2009 qui a transformé les responsables univers en responsables rayon. Afin de clarifier la lecture, nous désignerons ces cadres par l’appellation générique de « chef de rayon », y compris dans les citations.
-
[27]
Oxylane est l’ancien nom du groupe Décathlon.
-
[28]
Bernard S., 2012, op. cit., p. 260.
-
[29]
Vatin François. 1987. La fluidité industrielle. Essai sur la théorie de la production et le devenir du travail, Paris, Méridiens Klincksieck.
-
[30]
Sur le secteur des loisirs, cf. Reau Bertrand. 2009. « Les modalités de l’embauche dans une multinationale de loisirs », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 178, p. 101-113.
-
[31]
www.oxylane.com, 2011.
-
[32]
Idem.
-
[33]
Hidri Neys montre que les critères de recrutement des personnels commerciaux ont évolué récemment. Ce n’est désormais plus la pratique d’un sport, mais la passion sportive qui est requise. Hidri-Neys Oumaya, 2014. « “Passionné de sport” : la politique de recrutement de Décathlon », Jurisport, n° 138, p. 41-45.
-
[34]
Eymard-Duvernay François, Marchal Emmanuelle. 1997. Façons de recruter. Le jugement des compétences sur le marché du travail, Paris, Métailié, p. 81.
-
[35]
Hidri-Neys Oumaya, Bohuon Anaïs. 2011. « Le capital sportif dans le recrutement des commerciaux. Comparaison entre le secteur de la grande distribution et le commerce d’articles de sport », in Gasparini W., Pichot L. (dir.), Compétences, activité de travail et emploi. Sport et corps dans les organisations contemporaines, Paris, L’Harmattan, p. 211-234.
-
[36]
APEC. 2008. « La promotion interne et les cadres ». Séminaire d’échange APEC/GDR Cadres, Paris, Les études de l’emploi cadre, p. 21.
-
[37]
APEC. 2012. Les jeunes diplômés de 2011 : situation professionnelle en 2012, Paris, Les études de l’emploi cadre.
-
[38]
Gasparini W., 2003, op. cit. ; Hidri O. ; Bohuon A., op. cit.
-
[39]
Chalumeau Lucile, Gury Nicolas, Landrier Séverine. 2008. « Niveau d’engagement dans une carrière amateur et début de parcours des étudiants en STAPS », in Cart Benoît, Giret Jean-François, Grelet Yvette, Werquin Patrick (dir.), Derrière les diplômes et certifications, les parcours de formation et leurs effets sur les parcours d’emploi, Relief, 24.
-
[40]
Chevalier Vérène, Coinaud Cyril, Grelet Yvette. 2010. « Les étudiants STAPS : amateurs sérieux ou étudiants dilettantes ? », in Lima Léa, Mosse Philippe (dir.), Entre engagement et professionnalisation. Les métiers du sport : formation, insertion, trajectoires, Toulouse, Octarès, p. 39-57. Les auteurs distinguent trois types d’engagement sportif chez les étudiants de licence STAPS : sportifs « engagés », sportifs « modérément impliqués » et « non-sportifs ».
-
[41]
Piore Michael, Doeringer Peter. 1971. Internal Labor Markets and Manpower Adjustment, New York Lexington Heath.
-
[42]
O’Flaherty Brendan, Siow Aloysius. 1992. « On the job screening, up or out rules, and firm growth », Canadian Journal of Economics, vol. 25, n° 2, p. 346-368.
-
[43]
Cousin Olivier. 2008. Les cadres à l’épreuve du travail, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
-
[44]
Bonetti Michel, Gaulejac (de) Vincent. 1982. « Condamnés à réussir », Sociologie du travail, vol. 24, n° 4, p. 403-416. TLTX, entreprise multinationale, incarnait à l’époque une des formes les plus modernes d’organisation du travail, emblématique du néocapitalisme. La population enquêtée était en l’occurrence composée de cadres experts et commerciaux.
-
[45]
Becker Howard, 1960. « Notes on the concept of commitment », The American Journal of Sociology, vol. 66, n° 1, p. 32-40.
-
[46]
Klein H. et al., op. cit.
-
[47]
Baraton Manuela. 2006. De la difficulté à devenir cadre par promotion, INSEE Première 1062.
-
[48]
Bernard S., 2012, op. cit.
-
[49]
APEC, 2008, op. cit.
-
[50]
APEC. 2014. La promotion interne de salariés au statut de cadre : une pratique variable selon l’âge, Paris, Les études de l’emploi cadre.
-
[51]
Moati Philippe. 2001. L’avenir de la grande distribution, Paris, Odile Jacob ; Bernard S., 2012, op. cit.
-
[52]
Observatoire prospectif du commerce, Repères et tendances 2014.
-
[53]
En 2010, les plus de 40 ans ne représentaient que 4 % des effectifs du groupe en France (L’expansion, 01/01/2010).
-
[54]
Guillaume Cécile, Pochic Sophie. 2007. « La fabrication organisationnelle des dirigeants. Un regard sur le plafond de verre », Travail, genre et sociétés, n° 17, p. 79-103.
-
[55]
Gaxie D., op. cit.
-
[56]
Lagroye J., 2009, op. cit. p. 156.
-
[57]
Boussard Valérie. 2008. Sociologie de la gestion. Les faiseurs de performance, Paris, Belin, p. 25.
-
[58]
Courpasson David. 2000. L’action contrainte. Organisations libérales et domination, Paris, PUF.
-
[59]
Klein H. et al., op. cit.
-
[60]
Gaxie D., op. cit.
-
[61]
Boussard V., op. cit.
-
[62]
Martuccelli Danilo. 2004. « Figures de la domination », Revue française de sociologie, vol. 45, n° 3, p. 479.
-
[63]
Balazs Gabrielle, Faguer Jean-Pierre. 1996. « Une nouvelle forme de management, l’évaluation », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 114, n° 1, p. 68-78.
-
[64]
7 % de la masse salariale annuelle brute lui sont consacrés contre un minimum légal de 1,6 %. Cependant, certaines « formations produits » sont indûment prises en compte dans ce total.
-
[65]
Intranet Décathlon, rubrique « La politique de formation Décathlon », 2008.
-
[66]
Document interne Décathlon, « Sens, métiers, valeurs, volontés », 2008.
-
[67]
Ehrenberg Alain. 1995 [1991]. Le culte de la performance, Paris, Hachette Littérature ; Gaulejac (de) Vincent. 2005. La société malade de la gestion, Paris, Seuil.
-
[68]
Boussemart Benoît. 2008. La richesse des Mulliez. Exploitation du travail dans un groupe familial, Auchy-lez-Orchy, Estaimpuis.
-
[69]
En 2008, ces valeurs sont : vital, vrai, fraternel, responsable.
-
[70]
Courpasson D., op. cit., 2000.
-
[71]
Linhart Danièle (dir.). 2008. Pourquoi travaillons-nous ?, Toulouse, Érès.
-
[72]
Ehrenberg A., op. cit., p. 223.
-
[73]
Klein H. et al., op. cit.
-
[74]
Ehrenberg A., op. cit.
-
[75]
Burlot Fabrice. 2000. « Le sport en entreprise : un vecteur de communication interne », Revue STAPS, n° 53, p. 65-77 ; Pichot Lilian. 2000. « Les usages du sport par les entreprises : des stratégies entrepreneuriales aux stratégies des agents », Regards sociologiques, n° 20, p. 53-65 ; Barbusse Béatrice. 2002. « Sport et entreprise : des logiques convergentes ? », L’Année sociologique, vol. 52, n° 2, p. 391-415 ; Pierre Julien. 2015. Le sport en entreprise. Enjeux de société. Paris, Economica,
-
[76]
« Notre ambition : créer l’envie et rendre accessibles au plus grand nombre le plaisir et les bienfaits du sport. » (www.oxylane.com, 2011)
-
[77]
Ehrenberg A., op. cit., p. 178.
-
[78]
Ibid., p. 28.
-
[79]
Vigarello Georges. 2002. Du jeu ancien au show sportif. La naissance d’un mythe, Paris, Seuil.
-
[80]
Gaulejac (de) Vincent, Taboada Leonetti Isabel (dir.). 1994. La lutte des places, Paris, Desclée de Brouwer.
-
[81]
Hidri-Neys Oumaya, Bohuon Anaïs. 2014. « Au-delà de quelques pas de danse… Les usages de l’apparence physique au cœur de la sociabilité estudiantine », Recherches sociologiques et anthropologiques, vol. 45, n° 1, p. 63-81.
-
[82]
Lagroye J., 2009, op. cit. p. 88.
-
[83]
Ibid., p. 157.
-
[84]
Sawicki F., Siméant J., op. cit.
-
[85]
Boltanski Luc, Chiapello Ève. 1999. Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, p. 42.
-
[86]
Boltanski L., Chiapello È., op. cit. ; Menger Pierre-Michel. 2002. Portrait de l’artiste en travailleur. Métamorphoses du capitalisme, Paris, Seuil.
-
[87]
Boltanski L., Chiapello È., op. cit., p. 46.
-
[88]
Estienne Yannick. 2005. « La mobilisation des (net)travailleurs de la "Nouvelle économie" : gouvernement des hommes et contrainte d’autonomie », Études de communication, n° 28, p. 15-30 ; Dalla Pria Yan. 2006. « Marché du travail et organisation interne des entreprises du secteur émergent de la création de sites web », Travail et emploi, n° 108, p. 7-18.
-
[89]
Chabault Vincent. 2010. La FNAC, entre commerce et culture, Paris, PUF ; Reau B., op. cit. ; Gasparini W., 2006, op. cit.
-
[90]
Gaulejac (de) V., op. cit.
-
[91]
Garkinkel Harold. 1967. Studies in Ethnomethodology, Englewoods Cliffs (N.J.), Pretince-Hall.
-
[92]
Lagroye J., 2009, op. cit., p. 160-161.
-
[93]
Site web du magazine Sport Stratégies, forum : « Entretien d’embauche Responsable Univers Décathlon », 2009.
-
[94]
Chabault V., 2004, op. cit.
1Bien que représentant un gisement d’emplois important, le secteur de la grande distribution est souvent jugé peu attractif en raison de son organisation du travail en flux tendu, centralisée et autoritaire, qui exerce de fortes contraintes sur les salariés en magasin [1]. L’encadrement, notamment, se voit imposer un travail ingrat au regard de son statut, et est soumis à des horaires quotidiens étendus avec une faible contrepartie financière. Philonenko et Guienne mettent ainsi au jour les ressorts de l’exploitation de ces « petits cadres » dont ils dénoncent la prolétarisation [2].
2Décathlon, leader français de la distribution d’articles de sport, n’échappe pas à de telles pratiques. Ainsi, Gasparini a étudié les modalités d’exploitation des salariés de l’enseigne et les mécanismes de construction de leur consentement [3]. Des critiques virulentes émanent en outre d’anciens « Décathloniens », comme ils se nomment eux-mêmes, ainsi que des organisations syndicales, qui dénoncent des infractions répétées au droit du travail (modulation et amplitude excessives des horaires, harcèlement moral, etc.) [4]. Au regard de ce tableau assez sombre, comment expliquer le fort engagement organisationnel des cadres en magasin de Décathlon ? Ce constat, initialement dressé à partir de témoignages d’anciens étudiants en poste dans l’enseigne, a été ultérieurement corroboré par l’enquête réalisée à l’initiative des auteurs. Il ressort qu’une large majorité de ces cadres ont incorporé et repris à leur compte l’injonction imagée, mais non moins pressante de « se mettre à la vie en bleu », en référence à la couleur dominante de l’identité visuelle de l’enseigne. « Maintenant, je vais pisser bleu au sens propre et plus figuré ! » notait ainsi avec humour une jeune cadre de l’un des magasins étudiés qui venait d’acheter une bouteille de boisson bleue isotonique. Contrairement aux conclusions de Bernard, qui établit une moindre implication d’une partie significative des personnels de rayon dans la grande distribution généraliste [5], les cadres de Décathlon déploient en effet des efforts importants en termes de durée et d’intensité du travail, donnent à voir une forte adhésion aux buts et valeurs de l’enseigne qui font écho à leur passion pour le sport, et expriment enfin leur fierté d’appartenir à une entreprise dont ils dressent un portrait quasi enchanté, sans véritable distance critique.
3Si ce type d’engagement organisationnel est peu commun dans le monde économique – y compris dans la distribution d’articles de sport, puisqu’à notre connaissance, on n’en retrouve pas de telles manifestations chez Go Sport et Intersport, n° 2 et 3 français du secteur [6] –, la dynamique d’engagement, dans un sens plus large, est en revanche étroitement associée à d’autres contextes : on citera à titre d’exemple les organisations « militantes » comme les partis politiques [7] et les syndicats [8], le monde associatif [9], l’Église [10], l’armée [11] ou encore les champs artistique et sportif [12]. Un grand nombre de travaux dédiés à ces univers, d’inspiration structuraliste ou marxiste, ont expliqué l’engagement par la congruence existant entre les dispositions sociales des individus et le travail complémentaire de conformation idéologique mené par les organisations elles-mêmes. Ils ont en particulier décortiqué les mécanismes de l’inculcation par l’organisation de principes moraux et comportementaux, intériorisés par les individus au terme parfois d’un véritable apprentissage « par corps ». À l’aube des années 1980, de nouvelles approches interactionnistes ont œuvré à une recontextualisation des comportements individuels. Rompant avec la représentation « enchantée » d’un militantisme motivé par la seule défense d’une noble cause, certaines d’entre elles ont insisté sur l’importance des rétributions dans le maintien de l’engagement militant [13]. D’autres ont analysé les trajectoires militantes et mis l’accent sur l’importance des interactions (amicales, professionnelles ou fortuites) dans les processus identitaires d’engagement [14]. Dans une perspective ethnographique, elles ont en outre mis en évidence l’importance des pratiques militantes et du contexte d’action dans la construction de cet engagement [15].
4Au cours de la période récente, enfin, Sawicki et Siméant notent que la recherche en sociologie sur l’engagement a identifié deux champs d’investigation principaux : celui de la confrontation des logiques individuelles d’engagement aux mutations sociales contemporaines (articulation micro/macro), et celui du façonnage organisationnel du militantisme (articulation micro/meso) [16]. Au sujet de ce deuxième chantier, qui nous intéressera plus particulièrement, ces mêmes auteurs, citant Kanter, rappellent ainsi que l’engagement « émerge à l’intersection des attentes organisationnelles et des expériences personnelles [17] ». Tout en confirmant l’importance des dispositions sociales, les travaux développés mettent l’accent sur les effets des organisations sur les dynamiques collectives de l’engagement [18]. L’idée sous-jacente est que les raisons pour lesquelles un individu s’engage durablement dans une organisation ne sont pas nécessairement les mêmes que celles pour lesquelles il l’a rejointe, d’où l’intérêt d’étudier les dispositifs déployés par celle-ci en vue d’attirer puis de retenir ses membres.
5En écho à cette problématique, nous proposons dans cet article d’appréhender l’engagement organisationnel des cadres de Décathlon comme découlant d’un processus multidimensionnel de construction articulant leurs propriétés sociales et les dispositifs gestionnaires de l’enseigne, système cohérent de techniques et de discours destinés à conformer leurs pratiques et représentations au projet de l’entreprise. Cette démarche ne signifie naturellement pas que l’activité économique de Décathlon soit assimilable à une cause militante. Elle se fonde en revanche sur le constat d’une intensification actuelle des « emprunts croisés » entre engagements militants et investissements professionnels [19] : alors que les organisations militantes rationalisent leur fonctionnement en s’appuyant sur des logiques gestionnaires, « les entreprises cherchent souvent à mobiliser leurs salariés sur des dynamiques d’engagement [20] ».
6Afin de caractériser cet engagement organisationnel et son processus de construction, nous nous appuyons en outre sur le travail de conceptualisation réalisé par Klein, Molloy et Brinsfield [21] (cf. schéma 1). Appliqué au rapport d’un individu à son organisation, ce modèle présente l’engagement organisationnel sous la forme d’un continuum allant du niveau d’engagement le plus faible, le consentement (acquiescence), fondé sur la perception d’une absence d’alternative, au plus élevé, l’identification, marqué par une fusion avec l’organisation, c’est-à-dire par une définition de soi en fonction d’elle. Entre ces extrémités, les auteurs évoquent en outre l’existence d’un engagement modéré, qualifié d’instrumental, relevant d’une acceptation tactique (calcul coût/bénéfice), et d’un engagement plus significatif, qu’ils nomment implication (commitment), caractérisé par un dévouement volontaire et un sentiment de responsabilité par rapport à l’organisation. Ces travaux conceptualisent ainsi l’engagement organisationnel en distinguant différents types de liens non plus selon leur origine (affective, morale, de continuité) [22], mais bien selon leur intensité.
7En empruntant à la terminologie de Klein et al. [24], notre questionnement interroge ainsi la dynamique de construction, chez les cadres en magasin de Décathlon, d’un engagement organisationnel quasi fusionnel et dénué de distance critique, qui conduit la majorité d’entre eux à exprimer un véritable sentiment d’identification à leur enseigne et contraint ceux qui n’adhèrent pas ou plus à son projet à la quitter.
8Pour éclairer ce questionnement, nous montrons d’abord que la politique de recrutement de Décathlon agit comme un filtre à l’entrée permettant de sélectionner une population de cadres dotés de propriétés sociales spécifiques (1). Parce qu’elles font écho à ces dispositions individuelles, la promesse de carrière portée par la direction (2) et la responsabilisation des cadres en magasin (3) sont des vecteurs de construction de l’engagement organisationnel au sein de cette population. Pour autant, ces dispositifs ne suffisent pas à rendre compte du sentiment d’identification à l’enseigne observé chez ce « salariat de confiance [25] ». Nous explorons alors une dernière dimension de la construction de l’engagement fondée sur la mobilisation du sport et de ses valeurs, accueillie favorablement par des cadres recrutés en particulier pour leur profil sportif (4). La figure du cadre en magasin chez Décathlon renvoie dès lors à une problématique plus globale : celle de l’inégale capacité des organisations contemporaines à donner du sens au travail et à susciter ainsi chez leurs cadres le désir de s’engager à leur service.
Méthodologie
9Décathlon a été créée en 1976. Spécialisée à l’origine dans la vente au détail d’articles de sport, l’entreprise a élargi son activité en 1986 à leur conception. Depuis 1996, la plupart des articles conçus en interne sont commercialisés sous des marques propres : les « marques passions ». En 2014, le groupe Décathlon réalise un chiffre d’affaires (CA) de 7,4 Md€ (42 % en France), pour un effectif de 60 000 équivalents temps complet (13 000 en France). Leader français de la distribution d’articles de sport (34 % de part de marché), l’enseigne Décathlon possède 20 marques propres qui représentent près des deux tiers de son CA, et compte 883 magasins dans le monde, dont 288 en France. Dans les magasins français, le taux d’encadrement est d’environ 15 %, ce qui représente quelque 2 000 cadres (cf. schéma 2).
10Les données mobilisées dans cet article reposent d’abord sur une enquête qualitative menée par les auteurs à leur initiative. Vingt-quatre entretiens individuels semi-directifs ont été réalisés entre 2008 et 2011 auprès de cadres en poste dans les magasins de l’enseigne (1 responsable RH régional, 2 DM, 5 RC ou RE et 9 chefs de rayon issus de 3 magasins) ainsi qu’auprès de représentants des grandes centrales syndicales (5) et de la Fédération professionnelle des entreprises du sport et des loisirs (2). Le guide d’entretien destiné aux cadres comportait cinq thématiques : le parcours professionnel, le mode de management, le rapport au travail et à l’entreprise, les modalités de GRH, et enfin les relations au travail au sein du magasin. Ces entretiens se sont déroulés pour la plupart sur le lieu de travail des personnes interrogées. Cette démarche in situ a été rendue possible par l’existence dans les magasins d’une salle commune privatisable pour la durée de l’entretien.
11Une enquête par questionnaires a en outre été réalisée en 2010 auprès de la totalité des cadres opérationnels de 7 magasins franciliens, soit un effectif total de 105 personnes (dont les 24 personnes préalablement rencontrées en entretien). Les questionnaires ont été administrés en face à face par les auteurs ainsi que par d’anciens étudiants en poste dans les magasins étudiés et qui ont facilité l’accès au terrain. Les données recueillies concernent le sexe, l’âge, la situation maritale, la profession du chef de famille, le profil sportif, la formation initiale, les expériences professionnelles et la trajectoire dans l’entreprise. Quatre-vingt-huit questionnaires ont été exploitables (7 DM, 10 RC ou RE, 71 chefs de rayon), soit un taux de saturation de 84 %. En raison probablement de la forte standardisation des structures, des procédés, des qualifications et des produits, aucune variation significative n’a été observée entre ces sept magasins sur les critères étudiés. Nous ferons donc l’hypothèse que les résultats obtenus sont représentatifs de l’ensemble de la population francilienne des cadres en magasin de l’enseigne. L’existence d’une éventuelle spécificité régionale n’a pas été étudiée.
12Enfin, divers documents ont été collectés au fil de l’eau entre 2008 et 2011, d’une part sur des sites internet (groupe Oxylane [27], portails d’emploi, forums), d’autre part, grâce à l’aide d’anciens étudiants en poste dans l’enseigne, sur l’intranet de Décathlon (fiches métiers, offres d’emploi, grilles d’aide au recrutement, politique et programmes de formation, politique de rémunération, principes d’évaluation). L’analyse de ces documents a permis de mieux appréhender le projet d’entreprise et l’orientation de la politique de GRH, tout en apportant un éclairage précieux sur la rhétorique managériale et sur la place symbolique du sport au sein de l’enseigne.
1 – Politique de recrutement de Décathlon et propriétés sociales des cadres
13Avant de considérer l’engagement organisationnel des cadres, la question se pose de savoir quels critères président à leur recrutement, à quelles motivations ceux-ci font écho et quelles sont les conséquences de cette sélection sur leurs propriétés sociales.
a – Une valorisation de la personnalité et du capital sportif au détriment des diplômes
14Avec quelque 13 000 salariés en France, dont 87 % en magasins, Décathlon est un employeur incontournable du secteur du sport. À l’image de la grande distribution généraliste [28], l’enseigne double la fluidité de son organisation économique (gestion informatisée et en temps réel des flux de marchandises) [29] d’une forte flexibilité de l’emploi destinée à couvrir des horaires d’ouverture extensifs et des variations saisonnières d’activité. À ce titre, elle compte dans ses effectifs 7 700 temps partiels, plus de 3 000 CDD, et entretient dans ses magasins un turnover d’environ 30 % (la CGT avance le chiffre de 3 000 à 4 000 démissions par an), en particulier sur les postes de cadres.
15Afin de compenser ces départs, l’enseigne recrute en permanence de nouveaux vendeurs, hôtes de caisse et chefs de rayon, les postes de cadre de niveau supérieur donnant lieu à un recrutement exclusivement interne. À cette occasion, Décathlon affirme privilégier la personnalité des candidats, conformément aux usages de la grande distribution et de quelques autres secteurs [30] : « Nous recrutons avant tout des personnalités qui s’épanouiront dans notre culture d’entreprise [31]. » Pour les postes de cadres, les compétences techniques et surtout les diplômes sont ainsi définis a minima, puisque seules une « formation supérieure et/ou une première expérience professionnelle [32] » sont requises.
16Toutes les offres d’emploi soulignent par ailleurs l’importance de la pratique sportive des candidats, dimension à laquelle les recruteurs prêtent une attention particulière dans le CV et lors de l’entretien d’embauche [33]. Celle-ci représente dès lors un repère critère [34], c’est-à-dire une condition sine qua non d’embauche.
« On a un seul critère de recrutement, c’est que la personne fasse du sport, le reste importe peu ».
18Cette sélection sur critère sportif n’augure certes pas de compétences commerciales spécifiques. L’intérêt des recruteurs se porte ici surtout sur les valeurs que les candidats associent à la pratique sportive, qui garantiraient leur réceptivité aux discours managériaux de l’entreprise ainsi que leur capacité à incarner son image aux yeux des clients [35].
b – Une population de cadres présentant des propriétés sociales homogènes
19Malgré une définition sommaire du profil requis, ce mode de recrutement aboutit dans les faits à une homogénéisation de la population des cadres en magasin.
20Cette population est tout d’abord jeune, l’âge moyen des individus interrogés étant de 26,5 ans. Bien qu’aucun critère de recrutement ne fasse explicitement référence à l’âge, cette caractéristique s’inscrit en conformité avec les représentations véhiculées par l’imaginaire sportif, surtout attachées à la jeunesse. Elle confère en outre à cette population peu expérimentée une certaine malléabilité. Parallèlement, 74 % de ces cadres en magasin sont des hommes. Cette prévalence masculine tient en partie au cœur de métier de l’entreprise, le sport exerçant une attractivité plus forte sur les hommes, mais elle s’explique également par des modalités de gestion des carrières qui confrontent les femmes au traditionnel « plafond de verre ».
21En termes de parcours de formation ensuite, 42 % seulement des cadres interrogés ont un niveau d’étude au moins égal à bac+4, contre 80 % pour la moyenne nationale des cadres de moins de 30 ans [36]. 40 % sont en outre titulaires d’un diplôme de niveau bac+3 et 18 % d’un diplôme inférieur à bac+3. Au-delà du discours officiel reléguant les diplômes au second plan, cette caractéristique tient également aux difficultés que rencontre Décathlon pour pourvoir ses postes de chef de rayon, les conventions de partenariat avec les écoles et universités ne suffisant pas à compenser des conditions de travail pénibles et un niveau de rémunération peu attractif (2 000 € bruts par mois hors primes, contre 2 625 € en moyenne en 2011 pour un jeune cadre diplômé [37]). Dans les faits, cinq des sept directeurs de magasin interrogés ont toutefois un niveau d’études au moins égal à bac+5, ce qui relativise la moindre importance officiellement accordée aux diplômes. Certains cursus en lien avec l’activité des magasins sont en outre mieux représentés. 30 % des cadres interrogés proviennent ainsi de la filière Sciences et techniques des activités physiques et sportives (STAPS), vivier d’étudiants présentant un goût prononcé pour le sport et une pratique régulière [38], 60 % d’écoles de commerce ou de formations universitaires en gestion, économie ou droit, et seulement 10 % d’autres cursus.
22Dans les faits, cette politique conduit ainsi au recrutement de salariés issus de catégories sociales plutôt aisées. En effet, les formations en STAPS ou en gestion (et assimilées) à l’université ou en école de commerce, dont 90 % des salariés sont issus, présentent un recrutement social plutôt favorisé en comparaison avec les autres filières [39]. Et de fait, 52,4 % des cadres interrogés ont des parents cadres, ingénieurs, chefs d’entreprise ou exerçant une profession libérale, contre 9,5 % de professions intermédiaires, 9,5 % d’employés, 4,8 % d’artisans ou commerçants et 23,8 % d’ouvriers.
23Enfin, cette population est caractérisée par son intérêt prononcé pour le sport. Avant leur recrutement sur un poste de chef de rayon (souvent synonyme d’une diminution du temps de pratique sportive), 57 % des cadres interrogés présentaient en effet un profil sportif de type « engagé [40] » (6 heures et plus d’entraînement hebdomadaire, exercice de la compétition et fonctions d’organisation ou d’entraînement rémunérées). 43 % avaient quant à eux un profil sportif de type « modéré » (1 à 3 heures hebdomadaires et aucune fonction spécifique exercée). À cet égard, lorsqu’on les interroge sur les motivations qui les ont poussés à candidater chez Décathlon, ces cadres invoquent majoritairement l’opportunité d’évoluer dans un secteur professionnel en lien avec leur passion sportive, avant même les opportunités de carrière.
« Pourquoi Décathlon ? Parce que je suis un fondu de sport. J’ai envoyé mon CV à la direction régionale et j’ai été contacté par plusieurs magasins. Au départ, je postulais juste pour un emploi d’été et on m’a proposé un CDI ».
25Il convient donc de ne pas sous-estimer l’importance de ce profil sportif spécifique, source d’ancrage identitaire et vecteur de projection dans un avenir professionnel.
26Les cadres en magasin de Décathlon forment ainsi une population assez homogène : jeune et à dominante masculine, elle est composée d’individus peu expérimentés, dont le diplôme est moins élevé que celui de la moyenne des cadres, mais en lien avec l’activité de l’entreprise. Issus de catégories sociales plutôt aisées, ceux-ci ont une pratique sportive régulière, voire soutenue. Loin d’être anodines, ces caractéristiques sociales sont autant de facteurs explicatifs de la réceptivité de cette population aux dispositifs déployés par l’enseigne pour les mobiliser.
2 – La construction de l’engagement organisationnel par la promesse de carrière
27Si la plupart des salariés en magasin n’entrent pas chez Décathlon pour y faire carrière, la promesse martelée par la direction de promouvoir les plus méritants devient rapidement un pilier de la construction de leur engagement organisationnel, et ce d’autant plus qu’elle fait écho à certaines de leurs propriétés sociales.
a – « Up or out »
28En aval du recrutement, la direction insiste sur l’existence d’opportunités de promotion en interne : s’il fait ses preuves, un vendeur peut théoriquement espérer être promu chef de rayon. Selon notre enquête, le recrutement à ce poste se fait à 42 % parmi les vendeurs et à 58 % sur le marché externe. Pour l’interne, il s’agit le plus souvent d’étudiants qui exercent un travail à temps partiel, ce qui permet à Décathlon d’enrôler progressivement ses futurs cadres parmi une population de vendeurs aguerrie et acculturée aux valeurs de l’entreprise.
29À ce premier niveau de cadre, le chef de rayon débutera sur un petit rayon ou comme adjoint sur un rayon économiquement plus important, avant éventuellement d’en assumer seul la responsabilité, parfois dans un autre magasin.
« Un chef de rayon ne sera pas recruté en externe sur les trois gros rayons : Cycle, Montagne ou Forme. Ça peut arriver sur de petits rayons : Santé Découverte, Eau, etc. Le parcours classique est de débuter sur de petits rayons puis de monter ».
31Pour les chefs de rayon ayant donné satisfaction en termes de comportement et de résultats économiques viendra ensuite l’étape du passage sur l’un des deux postes tremplins vers la direction : responsable exploitation (RE) ou responsable caisse (RC), qui leur permettra de se préparer à leurs responsabilités futures. Enfin, la promotion sur un poste de directeur consacrera pour quelques élus plusieurs années d’investissement personnel total. Elle leur ouvrira en outre de nouveaux horizons de carrière à l’échelle régionale ou nationale (siège et marques propres).
32Décathlon fonctionnerait ainsi selon une logique de marché interne du travail [41]. Alimenté à sa base par le flux externe (postes de vendeur et parfois de chef de rayon), ce dispositif de gestion des carrières, historiquement très implanté dans la grande distribution, est ensuite guidé par une règle du « up or out [42] ».
« L’objectif est pyramidal : 12 chefs de rayon, 3 rayons tremplins vers des postes de RE ou de RC. Et sur le Val-d’Oise et les Hauts-de-Seine, 96 chefs de rayon et 8 postes de directeur. Il ne faut pas se mentir ! Le chef de rayon Forme de ce magasin est sur le départ et pour 8 chefs de petits rayons, il faut avoir ce rayon ! »
34Cette politique d’accession très rapide au statut de cadre renforce ainsi la motivation des salariés peu qualifiés, majoritaires au sein des effectifs, ou issus de filières moins prestigieuses (STAPS notamment). Contrairement à d’autres entreprises où les cadres promus voient leurs carrières rapidement bloquées [43], ceux-ci sont encouragés à nourrir des espoirs d’ascension sociale, confortés par le départ régulier des chefs de rayon promus ou n’ayant pas donné satisfaction (effet d’éviction).
« Chez Décat, j’ai un projet réalisable puisque des gens l’ont réalisé : j’ai l’exemple d’anciens directeurs qui sont rentrés comme vendeurs. À moyen et long terme, je me vois chez Décat. Sur quel type de poste ? Difficile à dire, car il y a plein d’opportunités. Il n’y a rien de choquant à dire que dans cinq ans, je serai directeur de magasin ».
36Ainsi, on retrouve chez Décathlon un mécanisme de mobilisation par la carrière très classique, comparable à celui identifié par Bonetti et de Gaulejac chez TLTX [44], avec la nuance que les salariés sont cette fois recrutés pour leur motivation et leur passion du sport, et non pour leurs diplômes. Conformément à la notion de « pari adjacent [45] », plus les individus jouent le jeu de la promotion interne, plus il leur est ensuite coûteux de se désengager. Ce dispositif est particulièrement opérant sur les postes charnières de chef de rayon qui en sont la cible principale. À ce stade de leur carrière, leurs titulaires sont en effet tenus de faire la preuve de leur engagement corps et âme au service de l’entreprise. En témoigne l’anecdote de cette jeune cadre d’un magasin étudié qui, ayant acheté pour son déjeuner des barres de céréales au rayon randonnée, s’est vue félicitée par son directeur de magasin, « en rigolant, mais pas qu’en rigolant », pour son choix de « manger corporate ». Les RE et RC jouissent au contraire d’un horizon professionnel plus dégagé, puisqu’il s’agit désormais pour eux de se préparer à leur probable fonction future de directeur de magasin. Hiérarchiquement comme symboliquement, ils ont basculé dans le camp de la direction et apportent donc leur contribution à l’opérationnalisation quotidienne du dispositif précédemment évoqué. Ce modèle de gestion des carrières produit ainsi une première forme d’engagement organisationnel tactique, fondé sur un calcul coût/bénéfice, que Klein et al. [46] qualifient d’instrumental. Mais au-delà de son efficacité avérée, quelle crédibilité accorder à cette promesse ?
b – La promesse de carrière à l’épreuve des faits
37Alors que la part des cadres en France est passée de 6 % en 1978 à 18 % en 2010, la probabilité d’accéder à cette catégorie professionnelle par promotion interne a sensiblement diminué au cours de la même période [47]. Le secteur de la grande distribution, en particulier, continue de revendiquer un recours important à la promotion interne pour pourvoir ses postes de cadres, mais ce discours s’apparente désormais à un mythe destiné à mobiliser les salariés [48]. De fait, la part de cadres du secteur promus en interne a chuté de 41 % en 2006 [49] à 26 % en 2013 – et même 24 % pour la distribution spécialisée, chiffre à peine supérieur à la moyenne nationale passée de 22 % à 21 % sur la même période [50].
38Chez Décathlon, divers arguments accréditent au contraire la réalité de ces promotions internes. Tout d’abord, si la grande distribution généraliste est arrivée à maturité dans les années 1980 [51], le segment de la distribution d’articles de sport a connu une croissance rapide depuis 20 ans, alimentant la création de postes de cadres en magasin. Ainsi, Décathlon comptait 96 magasins en France en 1993, 214 en 2003 et 288 en 2014. Dans les années 2000, le rythme des ouvertures de magasins a certes ralenti, mais deux réorganisations ont redynamisé les perspectives de promotion interne. En 2000, tout d’abord, avec le passage aux 35 heures, la catégorie des cadres en magasin, jadis limitée aux seuls directeurs, a été ouverte aux chefs de rayon. Outre qu’elle a permis à la direction de soustraire cette catégorie de salariés à la contrainte des limitations horaires, cette réforme a accru sensiblement les effectifs de cadres. En 2009, ensuite, les « Univers » (qui regroupaient des sports de même famille : eau, raquettes, sports collectifs, etc.) ont été éclatés en un nombre plus important de rayons spécialisés par pratique, dirigés par des chefs de rayon bénéficiant du statut de cadre. À l’issue de ces réformes, le taux d’encadrement des magasins étudiés varie ainsi de 14 à 16 %, contre 10 % seulement pour la branche du commerce des articles de sport et d’équipements de loisirs [52]. Et de fait, 42 % des 88 cadres interrogés ont débuté dans l’entreprise en tant que vendeurs, les postes de RE, RC et directeur étant pourvus exclusivement en interne.
39Mais si la réalité de ces promotions internes est avérée, celles-ci demeurent insuffisantes pour rendre compte de l’engagement organisationnel des cadres, au regard notamment de la violence des phénomènes d’exclusion qui les accompagnent. En effet, si ce mode de gestion des carrières valorise quelques élus, les chefs de rayon dont l’investissement n’est pas total ou qui n’atteignent pas les objectifs économiques fixés sont généralement poussés vers la sortie. Certains partent d’eux-mêmes, en espérant tirer profit de l’excellente image de l’enseigne auprès des autres acteurs de la distribution spécialisée (Go Sport, Ikéa, Kiabi, Darty, Castorama…).
« Après être passé chef de rayon, on m’a fait comprendre que je ne serai jamais directeur de magasin. Selon eux, je n’ai pas les épaules. Je cherche donc à partir… Ils le savent et ils veulent que je parte parce que je n’ai pas d’avenir ici ».
41Dans de nombreux autres cas, les salariés jugés trop peu productifs, non évolutifs (en raison de leur âge ou de leurs contraintes familiales) ou trop contestataires (syndicalistes) sont marginalisés, voire exclus (harcèlement moral, pression à la démission, etc.).
« Lors d’une réunion, le directeur a dit “les mères de famille et les gens de plus de 30 ans n’ont rien à faire chez Décat”. Il s’est excusé après, mais il n’en pensait pas moins et il a fait du ménage parmi les chefs de rayon. Moi, quand je suis revenue de congé maternité, je n’avais plus mon rayon, mais un sous-rayon, et le directeur demandait beaucoup en termes d’horaires. J’ai contacté le responsable RH Région qui m’a répondu “on n’est pas à La Poste, ici, il faut accepter de faire 70 heures payées 35 heures” ».
« Le chef de rayon Raquette n’avait pas fait ses preuves. […] Ce chef de rayon un peu précieux, on le nomme responsable réception : il arrive à 5 heures le matin et passe sa journée dans les échardes et les palettes. Il va forcément partir ».
44Cette politique du « up or out » explique l’âge moyen très bas des cadres opérationnels (26,5 ans pour la population interrogée), tout en soulignant la place problématique des seniors, quasi absents des magasins [53]. En outre, elle rend compte de la faible mixité de genre de cette population (26 % de femmes sur l’échantillon) : si la promesse de carrière agit indépendamment du sexe des cadres interrogés, les horaires de travail et la mobilité géographique liée aux promotions sont dans les faits à l’origine du « plafond de verre » qui dissuade ou empêche nombre de femmes de faire carrière en interne [54].
45Les opportunités de carrière entrevues poussent ainsi les individus à se comporter conformément aux normes en vigueur. Elles produisent un engagement tactique, instrumental, destiné à maximiser les chances d’obtenir une promotion. Si ce mode de construction de l’engagement organisationnel tranche avec les analyses traditionnelles du militantisme, il présente en revanche une indéniable proximité avec les rétributions évoquées par Gaxie [55], souvent occultées par l’idéologie partisane, mais non moins importantes dans la construction de l’engagement militant. Comme le note Lagroye : « Les individus peuvent découvrir grâce à leur appartenance que telle ou telle gratification leur est accessible, ce qui ne veut pas dire qu’ils soient entrés dans l’institution en vue de l’obtenir. Or l’attrait de ces gratifications est une composante essentielle du type et du degré d’appartenance [56]. » Ce premier pilier n’épuise cependant pas la complexité du lien quasi fusionnel d’une majorité des cadres (ceux qui restent dans la course à la promotion) avec leur entreprise.
3 – La construction de l’engagement organisationnel par la responsabilisation des cadres
46Un deuxième volet de la politique de GRH de Décathlon contribue à la construction de l’engagement organisationnel : les dispositifs de responsabilisation des cadres, qui leur confèrent au quotidien une grande autonomie dans leur travail. L’analyse de ces dispositifs requiert de distinguer « le niveau du discours, le logos gestionnaire, et celui des techniques […] [c’est-à-dire] des méthodes et des outils qui s’articulent et se combinent pour produire une action sur l’organisation [57] ».
a – Méthodes et outils de la responsabilisation
47En premier lieu, l’entreprise procède à un découpage minutieux du travail afin de confier à chaque salarié une « mission ». Le chef de rayon, cible privilégiée de ce dispositif, jouit de responsabilités humaines (recrutement, animation, formation et évaluation de ses collaborateurs), mais aussi économiques (niveau de gamme, prix, linéaire et actions commerciales).
La figure du « cadre-entrepreneur » s’incarne donc ici tout particulièrement, puisque ces cadres sont placés dans la posture de véritables gestionnaires de centre de profit [58]. Cette responsabilisation est favorisée par le positionnement économique de l’enseigne. Son expertise technologique en matière de conception de produits sportifs la rendant peu dépendante des grandes marques sportives, elle peut accorder à ses cadres opérationnels une réelle latitude dans la gestion de leur rayon, et ce d’autant plus que le système informatique balise le champ des possibles et limite ainsi les conséquences potentielles d’une mauvaise gestion. Mais bien qu’encadrée, cette autonomie amène les chefs de rayon à intérioriser les objectifs économiques de l’enseigne. Vécue comme une véritable marque de confiance par des salariés jeunes et inexpérimentés, elle renforce ainsi leur engagement organisationnel qui revêt ici une forme plus proactive, caractérisée par une appropriation du lien, que Klein et al. [59] qualifient d’implication.« On a vraiment l’autonomie et la liberté de faire avancer un rayon ou de le détruire. C’est un risque, mais c’est aussi la force de Décat ».
Portrait de cadre : Hervé (responsable caisse, 27 ans)
« Je suis entré chez Décathlon, car c’était une bonne expérience avec des responsabilités et la possibilité de monter vite. De plus, je suis très sportif : je n’aurais pas fait ça dans les petits pois. […] J’ai commencé comme chef de rayon Santé/Découverte avant de passer sur le Cycle […] Ça fait appel au sens commercial : on voit les chiffres et on s’amuse. Puis je suis passé RC. Mon objectif : passer directeur très vite. Tout est clair depuis le début : soit je me plais, je conviens et je reste, soit je dégage. À terme, il est possible d’être RH en région ou chef de produit marque. […] Décathlon, c’est une très belle réussite, elle offre beaucoup de responsabilités et de liberté à ses collaborateurs. »
48Cette implication est en outre favorisée au quotidien par un outillage gestionnaire valorisant le modèle de responsabilité mis en avant par l’enseigne.
49Les cadres bénéficient d’abord de primes indexées sur la performance économique du magasin et de ses rayons. Cet élément de rémunération associe les « cadres-entrepreneurs » à la performance économique de leur centre de profit et constitue de ce fait une rétribution régulière de leur engagement [60]. Les classements régionaux et nationaux établis par le siège, qui servent au calcul de ces primes, facilitent par ailleurs le processus de promotion interne en formalisant les critères de sélection et en rendant les performances individuelles visibles de tous. Par exemple, le dépassement par un rayon de son chiffre d’affaires de l’année passée est signalé informatiquement par le tintement d’une cloche dans tout le magasin et fêté par les équipes. Autant de petites récompenses, parfois purement symboliques, qui fortifient au quotidien l’engagement organisationnel des cadres. Ce système de primes représente de ce fait un mode d’objectivation de la responsabilité au sein de l’entreprise, et constitue dès lors un véritable « indicateur prégnant [61] » en ce sens qu’il légitime, en les symbolisant et en les durcissant, les règles du jeu de la promotion interne.
50Le système d’évaluation, ensuite, amène le subalterne à « s’autoévaluer » et à formuler ses souhaits d’évolution professionnelle. Celui-ci prend en retour connaissance du sort que lui réserve l’entreprise. Ce dispositif d’évaluation lie ainsi les cadres évolutifs à l’entreprise par la définition commune d’un projet de carrière en son sein. En cas d’échec, il conduit au contraire le salarié à s’approprier les motifs de sa non-évolution, ce qui l’incite ainsi à partir sans contestation.
« La grande force de Décathlon, c’est la franchise. Ça peut être une blessure d’amour propre, mais ce n’est jamais mal vécu, car les gens se rendent compte qu’ils sont dépassés sur un rayon moyen (3 M€). Tout comme moi je me rendrais compte sur un terrain de Ligue 2 que je n’ai pas le niveau ».
52Comme le note Martucelli, « la responsabilisation se situe à la racine d’une exigence généralisée d’implication des individus dans la vie sociale et à la base d’une philosophie les obligeant à intérioriser, sous forme de faute personnelle, leur situation d’exclusion ou d’échec [62] ». En devenant apparemment plus autonomes, on voit donc que les cadres se sont simultanément soumis à la contrainte d’une évaluation permanente, voire transparente (via le système des primes), dont ils sont paradoxalement, lorsqu’ils s’autoévaluent, les premiers acteurs [63].
53La formation professionnelle, enfin, est affichée comme une priorité absolue [64]. Le dispositif de formation est formalisé et progressif selon le niveau hiérarchique des salariés en magasin. Il crée ainsi une démarcation par les compétences entre les strates hiérarchiques et balise le chemin à parcourir pour acquérir l’autonomie indispensable à une évolution interne. En outre, 90 % des formations sont conçues par l’Université internationale des métiers de Décathlon et assurées par les permanents de cet organisme ou par les pairs (moniteurs).
« Il s’agit de générer des futurs manageurs et grands patrons des activités [Décathlon]. […] Chaque patron est responsable du développement de ses collaborateurs ; de même que chaque collaborateur est responsable de son propre développement [65]. »
55En mêlant fortement formations produits et acculturation aux valeurs de l’entreprise, ce système contribue à la fabrication de véritables « cadres maison ». En aval d’un recrutement sur des critères a minima, l’enseigne se livre ainsi à un modelage in vivo de sa future population de cadres.
b – Rhétorique de la responsabilisation : quand le cadre devient « patron »
56Le discours managérial met ensuite en sens cet outillage gestionnaire en martelant les bien-fondés d’un modèle de comportement valorisant responsabilité, autonomie, esprit d’initiative et plaisir au travail. Selon ce modèle, un salarié de Décathlon est « un homme qui se prend en charge et qui est acteur de sa vie. Il dit : je. […] Nous croyons à la responsabilité comme école de formation. La responsabilité forge de grands individus [66] ». Et de fait, le statut de chef de rayon est présenté comme « le premier statut de patron dans l’entreprise » (responsable RH régional). Outre qu’elle reflète une tendance contemporaine du libéralisme économique [67], cette rhétorique s’inspire largement des méthodes managériales de la famille Mulliez [68], déployées chez Auchan, puis déclinées au sein des autres entités du groupe (Décathlon, Kiabi, Norauto, Saint Maclou, Kiloutou, Leroy Merlin, etc.). Chez Décathlon, cette responsabilisation renvoie à l’une des quatre valeurs affichées par l’entreprise (« responsable ») [69] et représente un véritable leitmotiv au point de rejaillir dans le discours des cadres eux-mêmes. Ces derniers définissent en effet Décathlon comme une entreprise peu contraignante, où chacun est libre de prendre des initiatives et de s’investir ou non, même si dans les faits, il n’est point de salut pour ceux dont l’investissement n’est pas total.
« Moi, je fais 80 heures par semaine, je viens souvent les jours de repos. C’est un choix, rien n’est imposé ».
58En invitant les cadres à s’approprier les objectifs économiques, cette responsabilisation rend en outre la contrainte plus « douce [70] », en diminuant le poids apparent du contrôle formel [71]. Décathlon donne ainsi à voir une conception très informelle (mais non moins engageante) de la relation hiérarchique dans laquelle le directeur de magasin n’intervient plus que pour fixer les objectifs économiques ou en cas de problème ponctuel. Ce rapport hiérarchique particulier transforme l’entreprise en « espace d’épanouissement personnel, de conquête identitaire où la hiérarchie anime des travailleurs responsables [72] ».
« Je trouve que Décat est une super entreprise parce qu’on te donne ta chance et on te permet de t’épanouir ».
60Et de fait, l’enseigne revendique l’idée que ses salariés doivent s’épanouir dans leur travail. Dans la salle de pause d’un magasin étudié, une affiche donnait ainsi à lire le slogan suivant : « L’homme n’est pas fait pour travailler, sauf chez Décathlon. » En témoignent également les concepts de « plaisir » et « déplaisir », qui servent de point de départ aux entretiens d’évaluation, ou le slogan « work hard and have fun » récurrent dans les documents internes. Ce rapport au plaisir se retrouve en outre dans les propos des cadres eux-mêmes.
« Je suis content de venir travailler. […] Je suis content de faire évoluer les gens et que ces réussites m’amènent aussi à réussir. Il n’y a pas d’ombre au tableau pour le moment ».
62En conclusion, la logique de responsabilisation invite les cadres à s’approprier les valeurs et objectifs de l’enseigne, tout en conférant à leur activité quotidienne une dimension ludique, qui sonne comme une négation de l’idée même de travail. Elle génère de ce fait un engagement organisationnel qui pourrait être qualifié d’implication dans le continuum de Klein et al. [73]. L’individu se soumet en effet aux règles du jeu posées par l’entreprise non plus par calcul ou contrainte formelle, mais bien par loyauté. Les valeurs de liberté, d’autonomie et surtout l’injonction au plaisir et à l’épanouissement personnel renforcent en outre le sentiment d’appartenance d’une population d’autant plus sensible à la confiance qui lui est accordée qu’elle est jeune, peu diplômée, peu expérimentée et issue de catégories sociales plutôt aisées valorisant l’accès à des postes à responsabilité. Ce rapport spécifique au travail est particulièrement avéré pour les chefs de rayon, mais il transparaît également dans les propos des RC, RE et directeurs qui se l’approprient d’autant plus qu’ils en deviennent les principaux promoteurs. Il ébauche dès lors une troisième et dernière forme d’engagement organisationnel particulièrement intense que ces mêmes auteurs nomment identification, et qui trouve sa pleine expression dans l’écho très favorable que rencontre chez ces cadres la mobilisation du sport dans la politique managériale.
4 – La construction de l’engagement organisationnel par le sport
63Une dernière forme plus locale, mais aussi plus originale, de construction de l’engagement organisationnel est fondée sur la mobilisation par la direction du sport et de ses valeurs. L’étude du sport d’entreprise a été remise au goût du jour par Ehrenberg [74] qui a appréhendé son développement comme un révélateur de la transformation de la société française des années 1980. À sa suite, divers auteurs se sont intéressés à la mobilisation du sport dans les politiques de GRH [75]. Cette mobilisation prend cependant une signification spécifique dans une enseigne de distribution d’articles de sport, dont les salariés ont été recrutés pour leur profil sportif.
a – Démocratiser le sport : une noble cause
64Décathlon excelle d’abord dans l’art de muer son activité économique en entreprise de « démocratisation de la pratique sportive [76] ». Cette noble mission se traduit par la commercialisation de « produits techniques à petits prix », rendue possible par l’effort de R&D consenti par l’enseigne. La communication réalisée autour de cette stratégie économique s’adresse naturellement à la clientèle, mais elle trouve simultanément un écho favorable auprès des collaborateurs. Recrutés pour leur passion du sport et séduits par le discours maison sur les prouesses technologiques des laboratoires de R&D de l’enseigne, ces derniers adhèrent en effet au sens que donne Décathlon à leur quotidien professionnel. Simples vendeurs ou chefs de rayon, ils se trouvent investis d’une fonction sociale consistant à conseiller le client en vue de favoriser son épanouissement par la pratique sportive.
« Quand Décathlon sort le t-shirt respirant, c’est pas juste du commerce. On est vraiment dans l’idée d’améliorer le sport pour tous. On n’est pas là pour vendre juste du sport. On est là pour aider ».
66Cette alchimie alimente ainsi le plaisir au travail des salariés : la mission que leur assigne l’enseigne est en effet vécue comme une invitation bienveillante à vivre pleinement leur passion, mais aussi à la faire partager aux clients.
« J’ai la possibilité de conseiller un client qui se lance dans le rugby parce que c’est ma passion. Je peux par exemple lui dire : “Voilà, vous avez votre tenue, pensez peut-être à monter au rayon fitness/musculation pour faire du gainage ou prendre des protéines si vous voulez prendre un peu de masse musculaire”. Parce que moi, en tant que pratiquant, j’ai ce ressenti-là ».
68Cette mise en sens du quotidien euphémise dès lors la contrainte économique au profit d’une conception du travail ludique et valorisante qui favorise l’identification des cadres à l’entreprise et emporte de ce fait leur engagement émotionnel et affectif.
Portrait de cadre : Marc (chef de rayon, 23 ans)
« J’ai été recruté comme assistant du chef de rayon Running et sports co puis, vu les résultats que j’avais, j’ai pris ce rayon pendant trois mois. Aujourd’hui, en tant que chef de rayon Cycle, je suis le directeur du magasin Cycle de Décathlon. […] C’est une entreprise qui a tout compris en faisant confiance à des jeunes. […] Je souhaite passer directeur d’ici deux ans, puis travailler dans les marques Passion d’ici cinq ans. Moi, j’ai vraiment l’esprit du surf. Si je pouvais travailler pour la marque Tribord… C’est ce qui me motive, c’est pour ça que je reste chez Décathlon. […] Comme j’ai une petite amie étudiante à Lille et que j’habite chez mes parents, ça me laisse beaucoup de liberté pour m’investir à fond dans ma vie professionnelle. […] C’est beaucoup de taf, mais je suis content de faire les heures que je fais. Je suis épanoui dans mon travail parce que c’est très détendu, y a pas de limite. »
b – La fonction de légitimation de l’idéologie sportive
69Dans un registre plus symbolique, ensuite, le sport – en tant que cœur de métier de l’enseigne et passion partagée – représente un creuset de normes et de valeurs susceptibles de légitimer le projet de l’enseigne aux yeux de ses cadres. Sans que cela ne soit pleinement délibéré, la mobilisation du sport et de ses valeurs opère dès lors ici de manière presque imperceptible à une échelle plus systémique.
70En premier lieu, le corpus axiologique véhiculé par le sport conforte la figure de l’individu responsable, entrepreneur de soi, valorisée par l’enseigne. Comme le note Ehrenberg, « [le sport] a quitté le cadre restreint des pratiques et des spectacles sportifs : c’est un système de conduites de soi qui consiste à impliquer l’individu dans la formation de son autonomie et de sa responsabilité » [77]. Le modèle de responsabilité proposé par l’enseigne gagne ainsi en congruence et en efficacité par la valeur référentielle du sport qui l’ancre dans les mentalités.
71Parallèlement, une facette dominante de l’idéologie sportive, à savoir la compétition, est un puissant mode de légitimation de l’identité sociale ambivalente de Décathlon, et en particulier du fragile équilibre qu’elle entretient entre logique du « up or out » et maintien d’une cohésion interne. La compétition sportive est, en effet, la « seule activité sociale à théâtraliser […] le mariage harmonieux de la concurrence et de la justice [78] ». L’univers sportif et son idéologie représentent ainsi une véritable contre-société qui calque ses modèles méritocratiques sur ceux de notre société, mais en lissant ses imperfections, se posant ainsi en miroir idéal [79]. Et de fait, recrutés sur critère sportif presque uniquement, les cadres de l’enseigne sont dépossédés symboliquement de leurs autres attributs sociaux, au premier rang desquels leurs diplômes. Ils ont à peu près le même âge, n’ont pour la plupart pas d’enfant, occupent en général leur premier emploi et ont suivi le même dispositif interne de formation. Ils sont donc placés « sur la ligne de départ » en situation d’égalité des chances face aux opportunités de promotion interne.
« Si vous avez des capacités endormies, on va pousser pour qu’elles ressortent. Si vous les avez pas, elles sortiront jamais, mais au moins on vous laisse la possibilité de vous exprimer ».
73La sélection opérée par le management peut dès lors être perçue comme équitable, puisqu’elle s’apparente à un arbitrage réalisé entre individus concurrents à l’aune de critères simples et objectifs : c’est en effet la performance économique (mesurée en euros) qui se substitue ici à la performance sportive (mesurée en temps, distances et points). Ainsi calquée sur le modèle de la compétition sportive, la concurrence autour des postes de cadres devient difficilement contestable. Elle peut être alors légitimement encouragée sans mettre en péril l’existence d’un collectif soudé.
« Tout ce qui est mérité est donné. Ça veut dire qu’une personne qui serait mécontente, elle n’a pas compris. Soit elle n’a pas donné assez, soit on l’a pas vu. Mais ça, c’est plus rare. Y a pas de raison que la personne ne soit pas contente en soi ».
« Si demain je suis meilleur que mon directeur et que je deviens directeur régional, il ne va pas m’en vouloir, c’est son but. Ça peut paraître utopique, mais on est là pour rendre les gens meilleurs que nous ».
76L’idéologie sportive parvient finalement à réconcilier « lutte des places [80] » et cohésion sociale au sein de l’entreprise. Elle achève de légitimer non seulement les promotions, mais aussi les phénomènes d’exclusion auxquels donne lieu le régime de mobilisation des cadres en lui conférant une raison d’être qui relève cette fois du registre moral, voire politique.
c – Le sport comme vecteur de communalisation
77Le sport sert enfin de support à un processus de socialisation spécifique alimentant le sentiment d’appartenance des cadres. Ces derniers sont tout d’abord prolixes quant à la « bonne ambiance » qui règne en magasin et à la qualité des interactions entre collègues.
« L’ambiance est très bonne, c’est jeune, 23-25 ans. Du moment que le travail est fait, il y a une bonne ambiance. C’est bon enfant, ce qui fait qu’on est content de venir au travail ».
79Ils soulignent en particulier le caractère peu formel des échanges (tutoiement généralisé) et le sentiment d’absence de hiérarchie dans les rapports quotidiens, favorisés par l’homogénéité de leurs caractéristiques sociales ainsi que par leur passion commune pour le sport.
« C’est très ambiance de vestiaire, pour moi ancien rugbyman et handballeur. Ça va du grivois au bon enfant, on peut s’amuser ».
81Dans cette culture d’entreprise, la thématique sportive occupe une place centrale : « Le sport, c’est l’acquis de base, le noyau dur » (chef de rayon). Les conversations, tout d’abord, s’y réfèrent souvent. Les plaisanteries auxquelles donne lieu le rituel d’accueil d’un nouveau chef de rayon, par exemple, attestent que les cadres en magasin manient les codes du milieu, mais aussi qu’ils ne sont pas dupes des exigences contradictoires de leur rôle (temps de travail considérable peu compatible avec la pratique sportive régulière), sans pour autant être revendicatifs.
« Quand on recrute un chef de rayon, tous les chefs de rayon viennent se présenter : le nouveau termine en disant “mes sports passions sont…” et les autres lui répondent “enfin, ça, ce sont les sports que tu pratiquais avant d’entrer chez Décathlon…” Il y a une conscience de ça ! »
83En mettant au parfum le nouveau membre, ces traits d’humour marquent sa nouvelle appartenance au groupe des chefs de rayon tout en lui intimant d’adhérer à ses normes.
84L’entreprise encourage en outre les pratiques communes sur le créneau du midi, l’intégration d’activités sportives aux séminaires de cadres ou encore l’organisation de moments festifs lors de grands événements sportifs (dîner partagé pour voir un match de coupe du monde).
« Après la réunion sur le projet d’entreprise, on a fait du quad et du canoë-kayak. On se réunit au moins 12 fois par an et environ 6 fois, on fait du sport après la réunion. Parfois, on décide de faire un foot ensemble. C’est encouragé par Décathlon ».
86Ces activités favorisent la constitution de liens affectifs (d’amitié, voire davantage) entre des salariés dotés de caractéristiques similaires, et ceci dans le prolongement des formes de sociabilité étudiante antérieures [81].
« On sort ensemble trois-quatre fois en soirée par mois, on se pose dans un bar pour débriefer la semaine ou tout simplement pour être ensemble et rigoler. Moi, l’an dernier, je suis parti en vacances avec mon ancien chef de rayon, donc voilà c’est plus des amis que des collègues ».
88Cette sociabilité de type « potache » contribue ainsi à la constitution d’un sentiment d’appartenance et d’un esprit maison. On comprend alors mieux l’enthousiasme au travail des « Décathloniens » qui s’identifient à leur entreprise au point d’entretenir souvent avec elle un rapport quasi fusionnel.
« Le sport amène de la complicité qui peut manquer dans les relations hiérarchiques. Ça donne aussi une identité décathlonienne plus forte, on a l’impression d’être une famille plutôt que d’être tout seul dans son rayon ».
« La culture Décathlon a de spécifique le fait que des gens veuillent encore entrer chez Décathlon. Pour beaucoup de monde, le métier de chef de rayon est un métier de fou. Des copains à moi parlent de secte. Il y a un très fort sentiment d’identification chez les Décathloniens, une grande fierté… ».
91Décathlon donne ainsi à voir une forme d’organisation au sein de laquelle les membres sont unis non seulement par la proximité de leurs caractéristiques sociales et de leurs intérêts individuels, mais aussi et surtout par une dynamique de « communalisation ». Comme le note Lagroye au sujet de l’Église, cette communalisation repose sur « la stimulation d’un fort sentiment d’appartenance que renforcent les rites et les activités habituelles [82] ». Les « Décathloniens » retirent en outre de leur appartenance à l’enseigne des gratifications particulières, telles que la « satisfaction de leurs affects [83] », qui favorise leur identification à son projet et ses valeurs.
Conclusion : l’identification, nouvel avatar du capitalisme ?
92La figure du capitalisme incarnée par Décathlon échafaude finalement une forme intégrée de mobilisation des cadres qui favorise leur identification à l’entreprise tout en épousant les spécificités de son activité. En réponse à l’invitation de Sawicki et Siméant [84] à articuler logiques individuelles d’engagement et mutations macrosociales contemporaines, ce véritable façonnage organisationnel renvoie ainsi à l’idée d’un esprit du capitalisme, que Boltanski et Chiapello définissent comme « l’idéologie qui justifie l’engagement dans le capitalisme [85] ». Les phénomènes d’exclusion évoqués mettent cependant en exergue un contraste saisissant entre d’une part l’intensité et le caractère affectif de l’engagement des cadres, et d’autre part la dureté du monde du travail dans lequel ils évoluent. Ce contraste interroge la nature d’un régime de mobilisation capable de faire tenir ensemble identification et exclusion, enthousiasme et violence des rapports sociaux.
93La promesse de carrière en est le premier niveau. Ce dispositif, qui a longtemps été généralisé dans le secteur de la grande distribution, produit un engagement purement tactique (instrumental) particulièrement opérant sur les postes charnières de chef de rayon, indépendamment du sexe ou de la trajectoire antérieure de leurs titulaires. Historiquement, il caractérise nombre d’organisations bureaucratiques et, plus généralement, le système de production fordiste. Son originalité tient ici au fait que cette promesse s’adresse à des cadres dont les propriétés sociales ont été soigneusement sélectionnées afin d’en renforcer l’attrait.
94La rhétorique de la responsabilisation représente le deuxième niveau. Cette idéologie gestionnaire, désormais bien connue, a émergé dans les années 1970 et 1980 en réaction à la « critique artiste » qui dénonçait le capitalisme comme facteur d’oppression, entravant la créativité, la liberté et l’autonomie des salariés [86]. La congruence de l’outillage gestionnaire et des discours managériaux en donne cependant à voir une illustration très aboutie chez Décathlon, où elle concourt à la construction de la loyauté, mais également du sentiment d’appartenance des cadres vis-à-vis de l’enseigne – notamment, ici encore, chez la population des chefs de rayon, sommée de faire la preuve de son implication avant d’accéder aux postes de niveau supérieur.
95La mobilisation du sport et de ses valeurs, troisième niveau de l’édifice, mérite une attention particulière. Décathlon met ici en lumière un mode de construction de l’engagement organisationnel relevant du registre affectif et émotionnel, voire identitaire, fondé sur l’exploitation de la passion sportive des cadres, qui opère en l’occurrence dans une entreprise dont le cœur de métier est lié au sport. Cette forme d’engagement procède ainsi d’un mode de légitimation « sur mesure » du gouvernement des hommes. L’idée de justifications « locales » du capitalisme n’est certes pas nouvelle : en marge des justifications globales (responsabilisation, mais aussi management par projet, organisation en centres de profit, logique de compétences, etc.), déclinées à l’identique par de nombreuses organisations, Boltanski et Chiapello en évoquent l’existence :
« L’esprit du capitalisme est justement cet ensemble de croyances associées à l’ordre capitaliste qui contribuent à justifier cet ordre et à soutenir, en les légitimant, les modes d’action et les dispositions qui sont cohérents avec lui. Ces justifications, qu’elles soient générales ou pratiques, locales ou globales [souligné par nous], exprimées en termes de vertu ou en termes de justice, soutiennent l’accomplissement de tâches plus ou moins pénibles et, plus généralement, l’adhésion à un style de vie, favorables à l’ordre capitaliste [87]. »
97En outre, ce registre local de justification n’est pas l’apanage de Décathlon ni même du secteur du sport. La « nouvelle économie », qui revendiquait à la fin des années 1990 l’avènement d’un rapport nouveau au travail (investissement passionnel, décloisonnement vie professionnelle/vie privée, culture communautaire, etc.) [88], en est une autre illustration remarquable. Il n’en demeure pas moins que cette plasticité, qui se traduit par la construction de registres de justification sur mesure, susceptibles d’injecter du sens dans le quotidien de travail des salariés, s’impose comme un mode de régénération contemporain d’un système de production capitaliste en crise.
98Simultanément, l’emprise des dispositifs évoqués repose sur le fait qu’ils entrent en résonance avec les propriétés sociales des cadres, donnant un sens à leur engagement. Les idéologies gestionnaires, afin d’être opérantes, doivent en effet être élaborées en fonction des propriétés psychologiques ou sociales du public auquel elles s’adressent, sciemment sélectionnées lors du recrutement [89]. Cette adéquation permet dès lors de rendre compte de la dimension émotionnelle et affective de l’engagement organisationnel des « Décathloniens », qui s’identifient à l’enseigne en dépit de la violence de certains rapports sociaux (conditions de travail ingrates, entorses au droit du travail, harcèlement moral, etc.). D’une part, ce sont des cadres jeunes, inexpérimentés et en quête de reconnaissance à qui l’entreprise propose un modèle de réussite et des responsabilités, à la condition qu’ils fassent leurs preuves ; et de l’autre, ce sont simultanément des pratiquants sportifs à qui l’on offre un emploi dans un univers qui les intéresse et donne sens à leur travail… Qui plus est, l’idéologie sportive sied particulièrement à une entreprise dont la vocation est la fabrication et la distribution d’articles de sport, ce qui la rend moins artificielle, voire invisible. Cette étonnante congruence entre le projet de l’enseigne et les propriétés sociales des cadres conduit ainsi ces derniers à se prendre véritablement au jeu (dont ils trouvent les principes justes et transparents), mais aussi à le promouvoir en concourant à la marginalisation des exclus. On voit dès lors comment l’idéologie gestionnaire, à savoir la vision du monde et le système de croyances qui sont à l’œuvre dans les outils de gestion, sous son apparente neutralité, dissimule un projet de domination [90].
99Pour autant, comment rendre compte de l’apparente absence de réflexivité des salariés de l’enseigne, qui ne sont pourtant pas des « idiots culturels [91] » ? Il ressort en fait que ceux qui ne sont pas exclus du système ne se sentent pas concernés par la critique dont il fait parfois l’objet de la part des syndicats et d’anciens salariés poussés à quitter l’entreprise ; ils se reconnaissent dans un système qui valorise leur profil, voire leur passion, en leur offrant un sens au travail et des perspectives de carrière fondées sur des principes de justice, et deviennent même garants de sa pérennisation lorsqu’ils accèdent aux postes de RC, RE et a fortiori de directeur. Comme le note Lagroye : « Être “possédé par l’institution” n’est pas l’apanage des inconscients ; c’est un processus complexe d’identification partielle qui est facilité par une longue fréquentation de ses activités et de ses membres, une exposition soutenue et gratifiante à ses pratiques et à ses croyances [92]. » Les « Décathloniens » adhèrent ainsi à cette logique et y trouvent leur compte jusqu’à ce qu’ils soient à leur tour incités à partir, en raison de leur âge ou de leurs résultats jugés insuffisants. L’enchantement se rompt alors et l’identification se mue parfois en dénonciation véhémente des principes qui assurent la promotion de quelques élus au prix de l’exclusion du plus grand nombre.
« Les salaires sont inférieurs à la moyenne quoi qu’ils en disent. […] Autonome certes, si ton magasin et ton univers cartonnent, on te foutra la paix. […] Si on compte 66 heures hebdo d’ouverture plus 6 heures de réception et sans compter les 8 dimanches, les déménagements de nuit, les inventaires, etc., et seulement assez de vendeurs pour couvrir 75 % de ces heures […] je passais jusqu’à 70 heures au taf pour 1 650 €, donc j’ai déclaré forfait. Oui, Décat a été une super boîte pour les passionnés de sport et de commerce… du moment que vous pensez, parlez, respirez, mangez, buvez, pissez bleu. Alors là oui, vous aurez peut-être la chance de faire partie de ces non pas 25 %, mais 10 % de “patrons” évolutifs jusqu’à ce quelqu’un le soit plus que vous… [93] »
101Mais ces récriminations ne sont que faiblement relayées par les formes traditionnelles de solidarité collective. L’engagement syndical, en particulier, se paie au prix fort puisqu’il condamne son auteur à tirer un trait sur sa carrière [94]. La direction s’efforce en outre de neutraliser le pouvoir de contestation des représentants syndicaux, via notamment l’existence d’un « syndicat maison ». Ainsi, ne s’appuyant pas sur une base collective forte, la contestation n’ébranle pas pour l’instant un modèle dont les cadres qui se « prennent au jeu », en marginalisant ceux qui le critiquent, sont finalement les meilleurs garants.
Mots-clés éditeurs : responsabilisation, capitalisme, engagement organisationnel, gestion des ressources humaines, sport, carrière, cadres, grande distribution
Mise en ligne 11/01/2018
https://doi.org/10.3917/rsss.011.0033Notes
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[20]
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[23]
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-
[24]
Ibid.
-
[25]
Bouffartigue Paul. 2001. Les cadres. Fin d’une figure sociale, Paris, La Dispute.
-
[26]
Nos entretiens se sont déroulés avant et après la réforme de 2009 qui a transformé les responsables univers en responsables rayon. Afin de clarifier la lecture, nous désignerons ces cadres par l’appellation générique de « chef de rayon », y compris dans les citations.
-
[27]
Oxylane est l’ancien nom du groupe Décathlon.
-
[28]
Bernard S., 2012, op. cit., p. 260.
-
[29]
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[30]
Sur le secteur des loisirs, cf. Reau Bertrand. 2009. « Les modalités de l’embauche dans une multinationale de loisirs », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 178, p. 101-113.
-
[31]
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-
[32]
Idem.
-
[33]
Hidri Neys montre que les critères de recrutement des personnels commerciaux ont évolué récemment. Ce n’est désormais plus la pratique d’un sport, mais la passion sportive qui est requise. Hidri-Neys Oumaya, 2014. « “Passionné de sport” : la politique de recrutement de Décathlon », Jurisport, n° 138, p. 41-45.
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[34]
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[35]
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[37]
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[38]
Gasparini W., 2003, op. cit. ; Hidri O. ; Bohuon A., op. cit.
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[39]
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[46]
Klein H. et al., op. cit.
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[47]
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[48]
Bernard S., 2012, op. cit.
-
[49]
APEC, 2008, op. cit.
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[50]
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[51]
Moati Philippe. 2001. L’avenir de la grande distribution, Paris, Odile Jacob ; Bernard S., 2012, op. cit.
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[52]
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[53]
En 2010, les plus de 40 ans ne représentaient que 4 % des effectifs du groupe en France (L’expansion, 01/01/2010).
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[55]
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[56]
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[59]
Klein H. et al., op. cit.
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[60]
Gaxie D., op. cit.
-
[61]
Boussard V., op. cit.
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[62]
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[64]
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[65]
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-
[72]
Ehrenberg A., op. cit., p. 223.
-
[73]
Klein H. et al., op. cit.
-
[74]
Ehrenberg A., op. cit.
-
[75]
Burlot Fabrice. 2000. « Le sport en entreprise : un vecteur de communication interne », Revue STAPS, n° 53, p. 65-77 ; Pichot Lilian. 2000. « Les usages du sport par les entreprises : des stratégies entrepreneuriales aux stratégies des agents », Regards sociologiques, n° 20, p. 53-65 ; Barbusse Béatrice. 2002. « Sport et entreprise : des logiques convergentes ? », L’Année sociologique, vol. 52, n° 2, p. 391-415 ; Pierre Julien. 2015. Le sport en entreprise. Enjeux de société. Paris, Economica,
-
[76]
« Notre ambition : créer l’envie et rendre accessibles au plus grand nombre le plaisir et les bienfaits du sport. » (www.oxylane.com, 2011)
-
[77]
Ehrenberg A., op. cit., p. 178.
-
[78]
Ibid., p. 28.
-
[79]
Vigarello Georges. 2002. Du jeu ancien au show sportif. La naissance d’un mythe, Paris, Seuil.
-
[80]
Gaulejac (de) Vincent, Taboada Leonetti Isabel (dir.). 1994. La lutte des places, Paris, Desclée de Brouwer.
-
[81]
Hidri-Neys Oumaya, Bohuon Anaïs. 2014. « Au-delà de quelques pas de danse… Les usages de l’apparence physique au cœur de la sociabilité estudiantine », Recherches sociologiques et anthropologiques, vol. 45, n° 1, p. 63-81.
-
[82]
Lagroye J., 2009, op. cit. p. 88.
-
[83]
Ibid., p. 157.
-
[84]
Sawicki F., Siméant J., op. cit.
-
[85]
Boltanski Luc, Chiapello Ève. 1999. Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, p. 42.
-
[86]
Boltanski L., Chiapello È., op. cit. ; Menger Pierre-Michel. 2002. Portrait de l’artiste en travailleur. Métamorphoses du capitalisme, Paris, Seuil.
-
[87]
Boltanski L., Chiapello È., op. cit., p. 46.
-
[88]
Estienne Yannick. 2005. « La mobilisation des (net)travailleurs de la "Nouvelle économie" : gouvernement des hommes et contrainte d’autonomie », Études de communication, n° 28, p. 15-30 ; Dalla Pria Yan. 2006. « Marché du travail et organisation interne des entreprises du secteur émergent de la création de sites web », Travail et emploi, n° 108, p. 7-18.
-
[89]
Chabault Vincent. 2010. La FNAC, entre commerce et culture, Paris, PUF ; Reau B., op. cit. ; Gasparini W., 2006, op. cit.
-
[90]
Gaulejac (de) V., op. cit.
-
[91]
Garkinkel Harold. 1967. Studies in Ethnomethodology, Englewoods Cliffs (N.J.), Pretince-Hall.
-
[92]
Lagroye J., 2009, op. cit., p. 160-161.
-
[93]
Site web du magazine Sport Stratégies, forum : « Entretien d’embauche Responsable Univers Décathlon », 2009.
-
[94]
Chabault V., 2004, op. cit.