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Article de revue

La résistible politisation du football

Le cas de l'affaire du grand stade de Lille-Métropole

Pages 193 à 241

Notes

  • [*]
    Professeur de science politique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, CRPS – Centre de recherches politiques de la Sorbonne (UMR 8057).
  • [1]
    Defrance J., 2000. « La politique de l’apolitisme. Sur l’autonomisation du champ sportif », Politix. Revue des sciences sociales du politique, n° 50, p. 13.
  • [2]
    Ibid., p. 25.
  • [3]
    Cf., Callède, Jean-Paul. 2002. « Les politiques du sport », L’Année sociologique, vol. XLII, n° 2, p. 437-457.
  • [4]
    Cf. Wahl, Alfred. 1990. « Le mai 68 des footballeurs français », Vingtième siècle, n° 26, p. 73-82. On peut aussi évoquer le cas de certaines campagnes de boycott des grandes manifestations sportives. Voir sur ce dernier point le récent article de Contamin, Jean-Gabriel ; Le Noé, Olivier. 2010. « La coupe est pleine Videla ! Le Mundial 1978 entre politisation et dépolitisation », Le Mouvement social, n° 230, janvier-mars, p. 27-46.
  • [5]
    Cobb, Roger W. ; Elder, Charles D. 1983 [1972]. Participation in American Politics. The Dynamics of Agenda-Building, Baltimore and London, The Johns Hopkins University Press, p. 85-86. Les deux agendas sont bien entendu en partie liés et Cobb et Elder remarquent notamment que la perception d’un problème comme politique dépendra fréquemment de la capacité à le définir comme ressortissant du domaine de l’action légitime du gouvernement.
  • [6]
    Cf. notamment Brohm, Jean-Marie. 1993. Les meutes sportives. Critique de la domination, Paris, L’Harmattan ; Brohm, Jean-Marie ; Perelman, Marc. 2006. Le football, une peste émotionnelle. La barbarie des stades, Paris, Gallimard, col. « Folio actuel » et Vassort, Patrick. 2002 [1999]. Football et politique. Sociologie historique d’une domination, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales ».
  • [7]
    Cf. Duret, Pascal ; Trabal, Patrick. 2001. Le sport et ses affaires. Une sociologie de la justice de l’épreuve sportive, Paris, Métailié ; Loirand, Gildas. 2001. « De l’avantage de dénoncer l’affairisme sportif », in Basson, Jean-Charles (dir.), Sport et ordre public, Paris, La documentation française, p. 235-249 ; Loirand, Gildas. 2006. « La perversion des valeurs sportives par les forces du marché. Pour une sociologie critique d’une critique sociologique », in Lazuech, Gilles ; Moulévrier, Pascale (dir.), Contributions à une sociologie des conduites économiques, Paris, L’Harmattan, p. 317-329.
  • [8]
    Sur ce point, cf. Dermit-Richard, Nadine. 2002. « Pourquoi interdire ou limiter le financement du sport professionnel par les collectivités locales ? », in Charrier, Dominique ; Durand, Christophe (dir.). Le financement du sport par les collectivités locales. Des ambitions politiques aux choix budgétaires, Actes des Ve Journées « Management du sport », Voiron, Presses universitaires du sport, p. 72-82.
  • [9]
    Revenue au pouvoir, la droite ne se ralliera à cette idée qu’en 2006 sous la pression de la commission européenne.
  • [10]
    « Pour préserver l’éthique sportive et la valeur éducative du sport, il faut préserver aussi la base associative du système. À cet égard, la proposition de loi ne va pas assez loin et nous défendrons des amendements visant à renforcer la place des associations sportives. » AN, débats du 17 juin 1999 ; http://www.assemblee-nationale.fr/11/débats/1998-1999
  • [11]
    « Permettre aux collectivités d’utiliser l’argent du contribuable pour financer le sport professionnel privera le sport amateur – qui en a pourtant bien besoin – des ressources correspondantes », ibid.
  • [12]
    Ibid. On peut rapprocher ces propos du constat dressé par J.-M. Faure et Ch. Suaud : « On pourrait transposer à propos du football les débats qui ont cours sur l’internationalisation ou la mondialisation de l’économie. Toutes choses égales par ailleurs, on trouve une opposition entre les tenants d’un système national qui invoquent les valeurs universelles du sport et ceux qui s’appuient sur la réalité marchande […] pour s’en remettre aux règles du marché mondial, en guise de politique sportive. Les faits montrent que cette opposition est plus idéologique que réelle et que la radicalité des propos qu’elle alimente n’est pas à la hauteur de sa pertinence. » Faure, Jean-Michel ; Suaud, Charles. 1999. Le football professionnel à la française, Paris, PUF, col. « Sociologie d’aujourd’hui », p. 254.
  • [13]
    Concernant le football, la Ville de Strasbourg fait cependant exception. Elle a retiré sa candidature à l’organisation des matchs de la Coupe du Monde de 1998 comme, récemment, à celle de l’Euro 2016, imitée en cela par Nantes.
  • [14]
    Ils ont ainsi obtenu que les travaux déjà engagés soient suspendus pendant un an. Un nouveau permis a été déposé et validé par le Tribunal administratif à la condition expresse que d’importantes indemnités destinées à dédommager les riverains leur soient versées.
  • [15]
    À l’instar d’Adeline Hazan, alors candidate PS déclarée à la mairie pour 2008, qui a apporté son soutien aux supporteurs rémois. http://www.reimsvdt.com/090910delaune.htm
  • [16]
    Sur la notion de « scandale », voir la mise au point de De Blic, Damien ; Lemieux, Cyril. 2005. « Le scandale comme épreuve. Éléments de sociologie pragmatique », Politix. Revue des sciences sociales du politique, n° 71, p. 9-38.
  • [17]
    Les subventions sont, à compter de cette date, limitées aux missions d’intérêt général remplies par les associations adossées aux clubs devenus sociétés anonymes à objet sportif (SAOS) et leur montant global est plafonné en fonction du volume du budget des clubs et de le part qu’y représentent les salaires versés.
  • [18]
    Pierre Favre insiste sur le caractère factice de l’émergence de nombreux problèmes dans l’espace politique, lesquels sont rapidement pris en charge par des « instances de captation » qui les requalifient dans des termes techniques et administratifs. À bien des égards, le financement des grands équipements sportifs relève de cette catégorie. Cet article tente d’en éclairer les raisons. Favre, Pierre. 1992. « L’émergence des problèmes dans le champ politique », in Favre, Pierre (dir.). Sida et politique. Les premiers affrontements (1981-1987), Paris, L’Harmattan, coll. « Dossiers Sciences humaines et sociales », p. 5-37.
  • [19]
    « D’après l’exposé des motifs de la délibération du 10 octobre 2003, donc antérieure au transfert effectif, le coût prévisionnel de l’agrandissement était évalué à 47 860 940 € TTC, non compris le coût d’aménagement des abords évalué à 11 M€ HT. » Rapport de la Chambre régionale des comptes, 2010, p. 7.
  • [20]
    P. Mauroy a commencé sa carrière élective dans son territoire d’origine, le Hainaut-Cambrésis, dans le sud du département du Nord. Il est « parachuté » à Lille en 1971 à l’âge de 43 ans. Nommé premier adjoint, P. Mauroy remplace A. Laurent démissionnaire en avril 1973. Le scénario se reproduira en 1995 lorsque P. Mauroy fera venir à Lille M. Aubry pour, à terme, le remplacer.
  • [21]
    Sur la rivalité entre A. Notebart et P. Mauroy et les enjeux liés à l’aménagement de Villeneuve d’Ascq, cf., Giblin-Delvallet, Béatrice. 1990. La région, territoires politiques. Le Nord-Pas-de-Calais, Paris, Fayard, p. 212-233.
  • [22]
    Sur les luttes d’institutions qui accompagnent la mise en place de la communauté urbaine de Lille, cf., Desage, Fabien. 2005. Le consensus communautaire contre l’intégration intercommunale. Séquences et dynamiques d’institutionnalisation de la communauté urbaine de Lille (1964-2003), thèse pour le doctorat de science politique, Université Lille 2. Sur la notion de leadership territorial, cf., Smith, Andy ; Sorbets, Claude (dir.). 2003. Le leadership politique et les territoires. Les cadres d’analyse en débat, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
  • [23]
    Une nouvelle piste d’athlétisme, sans gradins, sera ensuite construite aux abords du stade par l’armée.
  • [24]
    L’évolution des normes en matière d’accueil du public ramènera la capacité du stade dans les années 1990 à 17 000 places.
  • [25]
    En plus du non respect des prescriptions de la commission des sites et de l’architecte des Bâtiments de France, le stade est construit sur une zone définie par le Plan d’occupation des sols de 1973 comme « inconstructible ». En déposant un nouveau permis de construire en 2003 prévoyant d’augmenter la capacité et la hauteur du stade de 15 mètres à 32 mètres, la municipalité s’est d’elle-même exposée à ce que les mêmes arguments soient utilisés par d’éventuels plaignants. De fait, c’est par ces moyens de droit (proximité avec un monument historique, problèmes d’évacuation du public, incompatibilité avec les plans d’urbanisme) que le projet sera invalidé par la justice administrative en 2005.
  • [26]
    Le LOSC draine au cours des années 1970, 9 900 spectateurs en moyenne par match, 8 800 au cours de la décennie 1980 et 8 300 dans les années 1990.
  • [27]
    L’arrêt Bosman de 1995 ne fait que l’accélérer.
  • [28]
    Faure J.-M. ; Suaud C., 1999, p. 129 et sq.
  • [29]
    Le LOSC cumulerait alors un passif de plus de 110 millions de francs que la Ville a accepté de prendre pour moitié à sa charge. Libération, 29.04.1999. « La ville a fait son devoir, allant jusqu’à garantir des emprunts importants, la région a apporté sa contribution. On me demande plus encore. Je réponds : nous ne pouvons aller plus loin », écrit P. Mauroy dans un livre bilan publié quelques mois avant les élections municipales de 1995. Mauroy, Pierre. 1994. Parole de Lillois, Paris, Lieu commun, p. 115.
  • [30]
    Ancien major de l’École supérieure de commerce de Lille, il dirige la filiale régionale de la Compagnie générale de chauffe (groupe CGE).
  • [31]
    Bernard Roman, adjoint aux finances, dauphin désigné de P. Mauroy jusque l’arrivée de M. Aubry, qui supervise le dossier, confirme devant la presse l’urgence de privatiser le club en avril 1999 : « Si le LOSC devait être en D1 dès la saison prochaine, il faut que la privatisation soit faite. En l’état actuel, personne ne pourrait assumer cette remontée. Il nous faudrait un budget de 80 millions de francs ; nous ne les aurons pas tant que l’équipe ne sera pas dans le secteur privé. » Libération, 29.04.1999.
  • [32]
    Le Monde, 15.12.1999.
  • [33]
    Lors du bureau du conseil de la communauté urbaine du 16 novembre 2001 consacré en bonne part au choix du site du futur stade, M. Aubry, nouvelle maire de Lille, indique qu’« il est clair que nous n’aurions pas trouvé de repreneur, il faut bien le dire, si nous ne nous étions pas engagés sur un grand stade […] et tous les repreneurs avaient posé cette condition ». Compte rendu du bureau du conseil de la communauté, 16 novembre 2001, p. 14.
  • [34]
    Durand C. ; Ravenel L., 2002. « Sports professionnels et collectivités locales : la fin d’une époque ? », in Charrier D., Durand C. (dir.), op. cit., p. 91.
  • [35]
    En dépit d’une baisse de la taxe d’habitation décidée en 2000, son taux (21,59 %) reste très supérieur au taux moyen des villes de plus de 100 000 habitants (16,24 %).
  • [36]
    Code général des collectivités territoriales, article L. 5215-20.
  • [37]
    Le transfert sera autorisé par le préfet le 1er janvier 2002 après que tous les conseils municipaux eurent donné leur accord au cours de l’année 2001.
  • [38]
    Quatre sites sont envisagés, tous désormais sur le territoire de Lille depuis que la commune de Lomme a fusionné avec Lille : Hellemmes, l’ancienne gare de triage Saint-Sauveur à Lille, les friches de l’usine métallurgique FivesCail, la zone dite du « Grand but » à Lomme.
  • [39]
    Rappelons que le transfert d’un équipement d’une collectivité à une autre n’est pas un transfert de charge mais au contraire un transfert de patrimoine et doit, en conséquence, être compensé financièrement.
  • [40]
    Compte-rendu du Bureau du conseil de la communauté urbaine de Lille, 16 novembre 2001, p. 11. M. Aubry, au cours de la même réunion, évoquant la situation au moment de la cession du club en 1999, rappelle qu’« à l’époque, la Commission des sites [du ministère de la Culture], comme l’Armée (cela faisait deux oppositions) ne paraissent pas favorables à l’extension » tandis que P. Mauroy affirme qu’à l’époque, il n’envisageait pas une autre solution que le Stadium « même s’il en coûtait davantage d’argent ».
  • [41]
    La décision de déménager une partie du régiment hébergé dans la Citadelle à Douai a facilité cette cession.
  • [42]
    Sur l’importance de cette manifestation dans la stratégie de reconnaissance locale et régionale de M. Aubry, cf. Lefebvre, Rémi. 2004. « La difficile notabilisation de Martine Aubry à Lille. Entre prescriptions de rôles et contraintes d’identité », Politix. Revue des sciences sociales du politique, n° 65, p. 119-146.
  • [43]
    Trente huit millions d’euros contre 70 pour le Stadium et 90 à 150 pour le « grand stade » selon l’étude des services communautaires de 2001.
  • [44]
    Compte-rendu du bureau du conseil de la Communauté urbaine de Lille, 18 juin 2001, p. 13.
  • [45]
    Le candidat de l’UMP, Christian Decocq, est le seul à avoir officiellement affiché lors de sa campagne sa volonté de rénover le stade Grimonprez-Jooris. Quant aux alliés Verts de la majorité, bien que le stade ne soit pas mentionné dans l’accord de gestion passé avec le PS, leur soutien est acquis car ils refusent par principe un équipement situé en périphérie afin de limiter les déplacements automobiles et car ils ont obtenu la garantie qu’en compensation, d’importants crédits soient votés pour rénover le parc de la Citadelle et que la Communauté urbaine développe un nouveau moyen de transport, le tram-train, dont la première ligne devrait longer le site.
  • [46]
    L’absence de la présence de la question du stade dans la campagne électorale est confirmée par un sondage réalisé par l’Institut CSA le 1er février 2001 pour le compte de la presse régionale auprès d’un échantillon de 605 personnes représentatif de la population inscrite sur les listes électorales de Lille. Interrogés sur les enjeux qui détermineront leur vote, le projet d’un stade de football n’est mentionné que par 1 % des répondants sur une liste comptant douze thèmes.
  • [47]
    Pour qu’un équipement sportif devienne « communautaire », il faut un vote préalable de toutes les communes membres de la communauté.
  • [48]
    L’assemblée communautaire compte 170 conseillers représentant 87 communes (1,1 million d’habitants). À la suite des municipales de 2001, la gauche compte 80 élus (60 PS et apparentés, 10 PCF, 10 Verts), le FN 3, 4 sont non inscrits. Sur les 83 conseillers modérés ou de droite, seuls 33 ont une étiquette politique (RPR, UDF ou DL), les 50 autres se retrouvent au GADEC qui se définit comme « apolitique ».
  • [49]
    PV de la séance du conseil de la communauté urbaine de Lille, 16 novembre 2001, p. 9. Dans une interview à L’Équipe le 27 janvier 2001, le directeur sportif du LOSC, Pierre Dréossi ne disait pas autre chose : « Le projet le plus logique à l’heure actuelle est l’agrandissement de Grimonprez-Jooris, avec, d’ici quatre ou cinq ans, un stade ultramoderne ailleurs. »
  • [50]
    Cf., Desage F., 2006. op. cit., et Desage, Fabien. 2009. « Un régime de grande coalition permanente ? Éléments lillois pour une sociologie des “consensus” intercommunaux », Politix. Revue des sciences sociales du politique, n° 88, p. 133-161.
  • [51]
    Présentant la philosophie qui a guidé cette sélection, P. Mauroy reconnaît ce marchandage : « Chacun doit comprendre que chaque année, on amorcera non seulement un grand équipement mais également un équipement pour les villes moyennes et pour les communes plus petites […] afin que chacun puisse y trouver son compte. Ce n’est pas une contrepartie, mais un équilibre, chacun le comprend bien, pour satisfaire l’ensemble des communes de la Communauté urbaine. Par conséquent, si on donne le premier coup de pioche pour Grimonprez-Jooris, on en donnera également un pour le réseau des piscines. » PV du bureau de la communauté urbaine de Lille, 10 octobre 2003.
  • [52]
    Le coût global de la création de places assises, d’un cheminement sécurisé, de l’aménagement d’une salle VIP, d’une cabine abritant le PC sécurité, avec vidéosurveillance, d’une nouvelle sonorisation, d’un éclairage renforcé, de meilleures conditions de travail pour la presse, de places de parking supplémentaires, et de tarifs négociés avec la compagnie de transports Transpole, s’élèvera finalement à 6,7 millions d’euros en 2005.
  • [53]
    De Blic D., Lemieux C., 2005., op. cit., p. 14.
  • [54]
    Le principal quotidien régional, La Voix du Nord, consacre pas moins de cinq articles au projet d’agrandissement dans les jours qui suivent l’annonce de la décision de la commission les 7, 8-9, 11, 16 et 24 septembre.
  • [55]
    Le Monde, 17.09.2002.
  • [56]
    Le Figaro, 19.10.2002.
  • [57]
    Habitant du Vieux-Lille depuis 1994, usager régulier du site en tant que promeneur et jogger, j’ai pris réellement connaissance du projet par la lecture de l’article du Monde précité en septembre 2002. Indigné par l’absence totale d’informations et de débat publics préalables à la décision, ma colère fut à son comble après l’annonce de la décision du ministre de la Culture. Après avoir fait part de mon sentiment à plusieurs personnes de mon entourage, j’ai été informé par une voisine et amie, fin 2002, que certains habitants du quartier que je ne connaissais pas souhaitaient engager une action collective contre le projet. Après un premier contact pris à son magasin avec celui qui allait devenir le président de l’association, Pierre Courmont, je me suis trouvé convié à une première réunion informelle à son domicile réunissant une dizaine de personnes au cours de laquelle a été décidée la création de l’association. Constatant à la fois l’enthousiasme des membres, mais aussi une certaine difficulté à ordonner leurs arguments, j’ai proposé de m’occuper de la communication, ainsi que de la trésorerie. J’ai ainsi exercé jusqu’à la fin de l’affaire (2006) à la fois les tâches de porte-parole et de trésorier. Je n’avais eu jusqu’à cette date aucune implication associative ou politique à Lille.
  • [58]
    M. Seydoux, héritier de la famille Schlumberger et producteur de cinéma a pris une participation minoritaire de 34 % dans la société propriétaire du LOSC, SOCLE, en janvier 2001. Un an plus tard, il accroit sa participation et en devient le président après avoir racheté les parts de F. Graille, lequel engrange au passage de très substantiels bénéfices grâce aux droits télévisuels perçus sur les matchs européens et à la vente des principaux joueurs (Cygan, Cheyrou, Bakari, Ecker…). L. Dayan vendra à son tour ses parts en janvier 2004 à Isidore Partouche et à M. Seydoux qui devient alors l’actionnaire majoritaire du club avec 55 % des parts, 40 % étant détenu par I. Partouche, le PDG des casinos du même nom. M. Seydoux s’engage alors dans une politique de long terme en investissant 20 millions d’euros dans la construction d’un centre de formation et d’entraînement ultramoderne à Luchin.
  • [59]
    Conférence de presse de M. Seydoux, Lille, 23.05.2003.
  • [60]
    La Voix des sports, 03.02.2003.
  • [61]
    Gusfield, Joseph. 2009 [1981]. La culture des problèmes publics. L’alcool au volant : la production d’un ordre symbolique, Paris, Economica, sp. chap. 1.
  • [62]
    Principalement les deux grands quotidiens La Voix du Nord et Nord-Eclair, mais aussi la presse gratuite, 20 minutes-Lille, Métro, France 3 Nord-Pas-de-Calais et France Bleu. La presse nationale généraliste couvre en revanche peu l’événement en 2003, hormis L’Express qui consacre un article favorable à la cause des défenseurs du patrimoine intitulé « C’est Vauban qu’on assassine » dans son édition du 27 février 2003.
  • [63]
    Dans cette interview, C. Puel interpelle directement et violemment les pouvoirs locaux : « Je pose trois questions : 1. Veut-on réellement du football à Lille ? 2. Si oui, à quel niveau ? 3. Dans le cas contraire, est-on prêt à accepter de jouer dans ce que l’on appelle le “ventre mou”, voire même de subir une relégation ? » Il ajoute : « Grimonprez, IL correspond au mieux, à la septième ou à la huitième place. Dès lors, il m’est très difficile de “vendre” le projet lillois à mes joueurs ou à des recrues potentielles. Sincèrement, je ne comprends pas qu’on ne puisse pas construire un stade pouvant s’inscrire dans une optique européenne ! » La Voix du Nord, 22.05.2003.
  • [64]
    On s’inspire ici de la définition de Jacques Lagroye, pour qui la « politisation est une requalification des activités sociales les plus diverses qui résulte d’un accord pratique des agents sociaux enclins, pour de multiples raisons, à transgresser ou à remettre en cause la différenciation des espaces d’activités ». Si les acteurs politiques ne contrôlent pas ce processus de requalification, ils y jouent un rôle essentiel dans la mesure où ils peuvent s’y prêter activement ou tenter d’y résister. Une des stratégies classiques dont ils disposent pour « dépolitiser » un problème est de le soustraire au regard du public et de le qualifier de « technique ». Lagroye, Jacques (dir.). 2003. La politisation, Paris, Belin, coll. « Socio-histoires », p. 360.
  • [65]
    Dès décembre 2002, le secrétaire général de l’UMP du Nord, Thierry Lazaro, député UMP de la 6e circonscription, avait d’ailleurs été le premier à dénoncer l’« erreur » que constitue « l’extension du stade Grimonprez-Jooris » mais, significativement, il n’est pas élu dans la communauté urbaine et n’est donc pas tenu par l’accord de gestion passé entre P. Mauroy et M.-Ph. Daubresse. La Voix du Nord, 24.12.2002.
  • [66]
    « La folle semaine du LOSC », La Voix du Nord, 7 juin 2003.
  • [67]
    Preuve de l’importance de cet enjeu pour le club, la municipalité s’efforcera de s’y opposer juridiquement un an plus tard au moment même où celui-ci cessera de nouveau de soutenir le projet « GJ 2 ».
  • [68]
    Les mauvaises conditions de confort du Stadium, dont une partie des gradins ne sont pas couverts et dont la piste d’athlétisme altère la bonne visibilité des rencontres, contribueront à partir de l’été 2004 à alimenter l’impatience des supporteurs.
  • [69]
    « Duel de repreneurs pour un Lille en beauté. La ville doit privatiser le LOSC avant janvier », Libération, 27.11.1999.
  • [70]
    Bondue, Jean-Pierre. 1987. « Le développement des hypermarchés dans le Nord-Pas-de-Calais : un défi à l’aménagement urbain et régional », Hommes et terres du Nord, n° 1, p. 11-18. L’affaiblissement du commerce de centre-ville a été particulièrement important à Roubaix, qui, sur la seule décennie 1990, a perdu plus de 30 000 m2 de surfaces commerciales. Paris, Didier ; Stevens, Jean-François. 2000. Lille et sa région urbaine. La bifurcation métropolitaine, Paris, L’Harmattan, coll. « Géographies en liberté », p. 79-82 et p. 211-217.
  • [71]
    Extrait du site « Un stade et vite ».
  • [72]
    Entretien avec un militant du PS, par ailleurs haut fonctionnaire au Conseil général du Nord.
  • [73]
    Claverie, Élisabeth. 1998. « La naissance d’une forme politique : l’affaire du Chevalier de la Barre », in Roussin, Philippe (dir.), Critique et affaires de blasphème à l’époque des Lumières, Paris, Honoré Champion, p. 185-260. Pour une application de cette opposition analytique au monde du sport, cf., Duret P., Trabal P., 2001. op. cit.
  • [74]
    P. Mauroy reconnait lui-même après le verdict : « C’est vrai, j’ai fait pression. Je devais prévenir tout le monde, même les juges que j’ai toujours respectés, que je n’avais pas de solution de rechange. » La Voix du Nord, 17.12.2004.
  • [75]
    Le commissaire du gouvernement a retenu deux motifs d’annulation : l’insuffisance de places de stationnement et les difficultés d’accès au stade. Saisie en référé, le 11 février 2005, la Cour d’appel de Douai décide d’interdire le démarrage des travaux en invoquant trois « doutes sérieux » différents : des modifications substantielles du projet final par rapport à celui présenté lors de l’enquête publique, le non respect du Plan d’occupation des sols (celui-ci limite à 13m50 les constructions sur le site alors que le stade culmine à 29m), et l’incompatibilité du stade avec le monument historique. Ce sont ces deux moyens qui conduiront à l’annulation définitive du permis de construire en juillet 2005, un jugement que validera le Conseil d’État en décembre de la même année.
  • [76]
    Au motif que le pourcentage des deux tiers de vote favorables a été comptabilisé en en prenant pas en compte les élus n’ayant pas pris part au vote.
  • [77]
    L’Équipe, 27.12.2004.
  • [78]
    Une réunion d’information à huis clos s’est tenue en mairie de Lille le 16 février 2005 avec les supporteurs à la suite de laquelle l’un de leurs porte-parole, Luc Firome, indique que « Pour la mairie, c’est Gimonprez-Jooris II ou rien, il n’y aura pas d’alternative », mais que pour sa part si cela reste la priorité n° 1, il espère voir envisager d’autres solutions. La Voix du Nord, 17.02.2005.
  • [79]
    Ce sondage réalisé auprès de seulement 301 individus a été publié dans La Voix du Nord, le 10.03.2005. Il fait apparaître une opinion clivée : 32 % considèrent que la suspension des travaux par la justice est une bonne chose, 39 % qu’elle est une mauvaise chose, 29 % n’ont pas d’avis.
  • [80]
    Le 12 juillet, « dans l’impossibilité d’estimer les délais dans lesquels le Conseil d’État se prononcera », le bureau de la communauté urbaine publie un communiqué annonçant que « l’agence de développement et d’urbanisme sera chargée d’étudier et d’évaluer la qualité des sites alternatifs » et « d’approfondir les conditions dans lesquelles pourrait être envisagé un montage public/privé pour financer le nouveau stade ». Lors de la même réunion, P. Mauroy s’en prend au « terrorisme lillois » pour stigmatiser l’entêtement de M. Aubry. « À Lille, le projet de grand stade sème la zizanie », Le Monde, 25.07.2005.
  • [81]
    Le Monde, 02.08.2005.
  • [82]
    La Voix du Nord, 02.07.2005 et 05.10.2005.
  • [83]
    « Michel Seydoux toujours au stade de la menace », La Voix du Nord, 28.09.2005. Les journalistes sportifs prennent fait et cause pour M. Seydoux, tel le populaire chroniqueur de RTL Eugène Sacomano qui, dans TV Mag, le 28 octobre 2005, la veille de la rencontre Lille-Manchester au Stade de France, publie une tribune intitulée : « Vite un stade pour Lille ! » France-Football, de son côté, consacre un long article de synthèse à l’affaire sous le titre : « Lille SDF » (23.08.2005)
  • [84]
    « Grand Stade : récit d’une colère annoncée », La Voix du Nord, 14.10.2005.
  • [85]
    « Martine Aubry “estomaquée” », La Voix du Nord, 07.10.2005.
  • [86]
    15 millions d’euros de crédits seront votés en février 2006 pour couvrir deux tribunes du Stadium. Pour convaincre les conseillers communautaires dont beaucoup dénoncent ce coût « disproportionné », P. Mauroy confie : « Nous devons remonter la pente pour la population. » Il promet « l’impatience grandissante » de la foule si la chose n’était pas adoptée. « Et si vous envoyez un pétard comme ça aux supporteurs du LOSC, vous allez dynamiter la décision du 17 mars », devant adopter le site du nouveau stade. La Voix du Nord, 11.02.2006.
  • [87]
    Elle se réunira à cinq reprises entre novembre 2005 et février 2006.
  • [88]
    On s’inspire ici très librement des catégories proposées par M. Dobry pour penser les situations de crise politique. Dobry, Michel. 1986. Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles, Paris, Presses de la FNSP.
  • [89]
    La reconstruction du Stadium Nord, envisagée comme la solution alternative la plus crédible jusqu’en 2004 et où 21,7 millions de travaux ont été réalisés depuis 2005 est désormais impossible, le LOSC se retrouvant sinon sans stade. Pas question, en effet, d’un retour à Grimonprez-Jooris. Sa mise aux normes de la LNF supposerait l’obtention d’un permis de construire que, compte tenu des décisions de justice en cours, personne n’envisage plus possible.
  • [90]
    La Voix du Nord, 07.02.2006.
  • [91]
    Cette pression est entretenue par le LOSC dont les dirigeants font de nouveau paraître un encart publicitaire dans la presse régionale la veille du vote de la communauté urbaine destiné à choisir le site du grand stade intitulé : « Le 17 mars, date capitale pour l’avenir du LOSC ! » On peut y lire : « Choisir un site ce n’est pas choisir un stade. » « Nous attendons que les débats du Conseil de Lille Métropole Communauté urbaine évoquent les caractéristiques du futur Grand Stade et que les élus affichent leur choix pour une véritable ambition : un Grand stade couvert de 50 000 places ; un vote de LMCU lors du dernier conseil de l’année 2006 pour une inauguration fin de saison 2008-2009. Ce qui est possible ailleurs doit l’être à Lille ! »
  • [92]
    C’est la raison pour laquelle très vite, la perspective de construire un nouveau stade près du Stadium de Villeneuve d’Ascq, proposée par M. Seydoux, est abandonnée car jugée trop proche du château de Flers.
  • [93]
    Le projet du groupe Eiffage est choisi contre celui porté par Bouygues en dépit d’un coût nettement supérieur au seuil maximal fixé par certains élus, en particulier les représentants des petites communes de l’ex-GADEC (rebaptisé Métropole Passions communes). Les conditions de ce choix feront l’objet d’une plainte par Éric Darques un citoyen membre fondateur de l’association Anticor, créée en 2002 sous l’égide du juge Éric Halphen, pour infraction au code des marchés publics.
  • [94]
    Les travaux d’aménagements d’accessibilité coûtent 111,5 M€ TTC, partagés entre Lille Métropole Communauté urbaine, l’État et le Conseil général du Nord, auxquels s’ajoutent les travaux d’aménagement des aires et ouvrages de stationnement évalués à 52 M€ TTC.
  • [95]
    « Congratulation générale pour l’inauguration du chantier », Nord-Éclair, 28.09.2010.
« Demeure le problème du stade capable d’accueillir en nombre des spectateurs devenus exigeants et assidus. Là encore, j’ai pu mesurer à quel point le football pouvait rendre déraisonnables des élus qui, pour d’autres sujets, savaient garder sang-froid et mesure. »
Pierre Mauroy, Mémoires, Paris, Plon, 2003, p. 426.

1L’apolitisme, comme le note Jacques Defrance, est devenu, au moins depuis 1945, « une valeur durable de la culture sportive [1] ». La clôture du champ sportif n’a évidemment pas fait disparaître la politique, mais celle-ci réside désormais largement « dans le sport, au sein des commissions municipales de sport, dans les délibérations des organes dirigeants des fédérations, dans celles des comités d’organisation des Jeux olympiques, dans les sites choisis, dans les législations âprement discutées par les lobbies des diverses catégories professionnelles intéressées par le sport » [2]. Le sport est rarement l’objet de controverses politiques ouvertes. Pour le dire autrement, en référence à un lexique classique de la science politique, s’il est largement présent sur l’agenda gouvernemental et administratif, national ou local [3], le sport, sauf situation exceptionnelle, comme par exemple en mai 1968 [4], a en grande partie disparu de l’agenda politique au sens où le définissent Richard W. Cobb et Charles D. Elder, c’est-à-dire comme « l’ensemble des enjeux (issues) qui sont communément perçus par les membres de la communauté politique comme méritant une attention publique[5] » et qui ont donc toutes chances d’entraîner des prises de position clivées au sein du champ politique.

2De fait, s’il existe encore une vieille division idéologique qui associe à la gauche la défense du sport de masses et du sport amateur et à la droite la promotion du sport d’élite et du sport professionnel, celle-ci n’est en pratique que rarement réactivée. Quant à la dénonciation du sport « capitaliste » ou du « sport spectacle » comme « opium du peuple », voire comme « peste émotionnelle », elle est cantonnée, depuis longtemps, à l’extrême-gauche ou à des intellectuels peinant à se faire entendre [6]. Si les salaires et les comportements des sportifs font régulièrement scandale, ils débouchent rarement sur des prises de position politiquement clivées. Quand ils se saisissent de ces questions, les acteurs politiques sont à l’unisson pour condamner le dopage et la perversion des valeurs sportives par l’argent [7]. De même, le soutien quasi-unanime à la candidature de Paris aux Jeux Olympiques (JO) de 2012 ou l’engagement enthousiaste des gouvernements de gauche comme de droite pour obtenir l’organisation en France de la coupe du monde de football en 1998 ou du championnat d’Europe en 2016 – et financer la construction et la rénovation des équipements nécessaires à leur tenue – illustrent le consensus politique autour du sport en général et du sport dit « spectacle » en particulier.

3Les débats parlementaires ayant précédé l’adoption des lois du 28 décembre 1999 et du 6 juillet 2000 sur l’organisation des activités physiques et sportives, visant notamment à maintenir la possibilité pour les collectivités territoriales de subventionner des clubs professionnels [8] tout en adaptant leurs statuts, et à pérenniser une taxe sur les droits de télévision perçus par ces derniers destinée à être reversée aux clubs amateurs, en fournissent une bonne illustration. Ils donnent à voir un accord sur l’essentiel et la labilité partisane des arguments. Si une partie des élus de droite était alors favorable à la possibilité d’une introduction en bourse immédiate des clubs professionnels et réservée vis-à-vis de ce qu’elle estimait être une « étatisation rampante » de la distribution de la taxe collectée [9], ils n’en reprenaient pas moins à leur compte les objectifs de « moralisation » du gouvernement d’alors, pour ne critiquer que le caractère inadapté des mesures proposées. Christian Estrosi, ex-champion motocycliste, chargé de justifier la position du RPR, reprochait ainsi au gouvernement de ne pas suffisamment préserver « la base associative du système [10] » et critiquait, au nom de la défense du sport amateur, la possibilité donnée aux collectivités de financer le sport professionnel [11]. À l’inverse, Armand Jung, député socialiste du Bas-Rhin, justifiait le refus de permettre aux clubs professionnels d’entrer en bourse par un argument d’opportunité (les clubs français ne sont pas prêts) plutôt qu’idéologique : « Au risque de choquer certains, je suis de ceux qui pensent qu’en l’absence de réglementation européenne, il faudra un jour donner aux clubs la possibilité d’entrer en Bourse [12]. »

4Ce qui est vrai sur le plan national l’est encore plus au plan local. Dans les municipalités ou les régions, les élus de toutes tendances s’affichent régulièrement dans les enceintes sportives, acceptent de financer généreusement les clubs d’élite, notamment en prenant en charge l’entretien des équipements, même quand ceux-ci sont exclusivement utilisés par des équipes dotées d’un budget important [13]. Ainsi, après qu’en 1994 un décret du ministère de l’Intérieur eut prévu l’interdiction à compter du 1er janvier 2000 de toute subvention aux clubs professionnels assimilés à des entreprises privées, des parlementaires de gauche comme de droite, maires de grandes villes pour la plupart, sont montés au créneau pour préserver la possibilité pour les collectivités de les financer par le biais des associations sportives satellites, au titre des missions d’intérêt général que celles-ci assumeraient, notamment en matière de formation des jeunes.

I – Vers une politisation des stades ?

5Cette situation serait-elle en train d’évoluer, au moins dans les arènes politiques locales ? C’est ce que pourrait laisser penser la multiplication des mobilisations qu’occasionne la construction ou la rénovation de nouveaux stades pour l’essentiel destinés à accueillir des matchs de football professionnel. Ces mobilisations sont portées par des coalitions d’acteurs divers. Elles sont dans beaucoup de cas suscitées par des groupes étrangers au monde du sport, mais pas uniquement, les associations de supporteurs n’étant pas en reste. Ces dernières n’hésitent plus en effet à organiser des manifestations dans et hors des tribunes pour interpeller les pouvoirs publics afin d’accélérer la mise aux normes des stades, peser sur le choix des sites ou, tout simplement, faire respecter les engagements pris par les édiles.

6Parmi les mobilisations récentes, on peut évoquer celle, spectaculaire, de Grenoble où, entre 2001 et 2007, défenseurs de l’environnement et élus écologistes ont eu un rôle moteur dans l’opposition à un projet de construction par la mairie et la communauté d’agglomération d’un stade de football (le stade des Alpes) au milieu d’un parc urbain boisé (le Parc Mistral). Pour protester contre la localisation et l’opportunité de l’équipement, une poignée d’activistes, se définissant comme « éco-citoyens », est même allée jusqu’à s’accrocher aux branches des arbres centenaires du parc pendant plusieurs semaines, tandis que plusieurs manifestations rassemblant jusqu’à 4 000 personnes réclamaient l’organisation d’un référendum. Plus récemment, en 2008, à Valenciennes, ce sont principalement des riverains mécontents des nuisances provoquées par le projet de construction d’un nouveau stade, situé en plein centre-ville, qui ont formé une association dénommée Citoyens à Nungesser et réussi à en faire annuler le permis de construire [14]. Dans le même temps, à Lyon, des riverains et des défenseurs de l’environnement et du patrimoine, mais aussi des supporteurs attachés au site actuel ont joint leur énergie pour créer un collectif d’associations, Les gones pour Gerland, destiné à s’opposer à la construction, sur fonds privés, d’un nouveau stade à Décines, celle-ci étant conjointement voulue par le maire de Lyon, Gérard Collomb, et le président de l’Olympique lyonnais, Jean-Michel Aulas. À Nice et à Reims, ce sont des supporteurs qui se sont mobilisés : ceux de l’OGC Nice, à partir de 2005, pour s’opposer à la délocalisation de leur stade dans la plaine du Var ; ceux du Stade de Reims, en 2004, pour dénoncer la lenteur des travaux de rénovation du stade Delaune. De leur côté, les présidents de club n’hésitent plus à interpeller publiquement des élus, voire, comme on le verra à Lille en 2005, à organiser une véritable fronde en finançant une vaste campagne de presse pour dénoncer leur incurie. Dans tous les cas, des acteurs politiques (élus, candidats, responsables de partis) se sont impliqués : certains ont soutenu les mobilisations dès le début, d’autres les ont rejointes en cours de route, mesurant les bénéfices électoraux à en retirer [15], la plupart, bon gré mal gré, ont été contraints de se positionner à mesure que le problème devenait public et constitué en « scandale » [16].

7Le consensus qui s’est progressivement établi entre les clubs professionnels de football et les municipalités et plus largement les intercommunalités, les départements et les régions serait-il donc en train de se fissurer ? Les bouleversements qui ont affecté l’économie du football, mais aussi du rugby et du basket-ball au tournant des années 1990 ne rendent-ils pas inéluctables la multiplication des controverses à propos de l’implication des collectivités territoriales dans le financement des activités sportives ? De fait, incapables de continuer à subventionner des clubs de plus en plus budgétivores sans mettre en péril leurs finances, les élus des villes concernées, soutenus par la Direction générale des collectivités locales du ministère de l’Intérieur, ont joué un rôle majeur dans le processus de privatisation des grands clubs sportifs et dans l’adoption de mesures d’encadrement et de plafonnement de leur subventionnement public. Les lois de 1999 et 2000 précitées, adoptées à la suite de longues tractations avec les fédérations, les clubs, le ministère des Sports et celui de l’Intérieur et les élus, ont constitué une étape importante de cette évolution [17]. Ces lois, pas plus que les mesures législatives postérieures ouvrant aux sociétés sportives la possibilité d’être cotées en Bourse, n’ont cependant pas aboli le lien d’interdépendance fort entre les collectivités et les clubs en raison de la propriété publique des stades. Ceux-ci demeurent, sauf à Auxerre, entre les mains des collectivités et constituent désormais le principal terrain de conflit potentiel entre ces dernières et les sociétés sportives dans un contexte où beaucoup de stades apparaissent vétustes ou obsolètes au regard des normes imposées par l’UEFA ou la Ligue nationale de football. Qu’elles souhaitent ou non soutenir activement « leur » club, les municipalités, confrontées par ailleurs à un endettement croissant, doivent donc continuer à faire avec, ouvrant la porte à d’éventuelles contestations et, par voie de conséquence, à la mise sur l’agenda politique local de la question des stades. La genèse du projet d’agrandissement du stade Grimonprez-Jooris puis ses vicissitudes exposées ci-après l’illustreront de façon exemplaire.

8Cela débouche-t-il pour autant sur l’inscription durable de la question du financement des grands équipements sportifs sur l’agenda politique, c’est-à-dire sur la structuration de positions publiques antagonistes de la part des partis politiques et des acteurs qui interviennent dans l’espace public pour influencer les décisions politiques ? C’est l’autre intérêt du cas lillois que de révéler que cette mise à l’agenda semble n’être que provisoire et le fait d’acteurs marginaux [18]. Comme on va le voir, la contestation d’un premier projet de grand stade qui s’est soldée par son annulation par la justice administrative, a produit un résultat en apparence paradoxal. Ce conflit n’a suscité aucun débat public sur l’opportunité du financement des stades par les collectivités. Il ne s’est pas même traduit par l’adoption de positions de prudence ou de retrait de la part des élus et des représentants des partis. Bien au contraire, l’investissement financier finalement consenti a été au moins cinq fois supérieur à ce qui était initialement prévu : à un projet d’extension de 18 000 à 32 000 places d’un stade existant estimé à 38 millions d’euros hors taxe en 2001 [19], présenté par les élus comme le maximum de ce que les collectivités pouvaient alors assumer, a succédé, en 2007, celui de la construction d’un stade neuf de 50 000 places financé dans le cadre d’un partenariat public-privé (PPP) dont le coût pour la collectivité représente 10 millions d’euros par an pendant trente-et-un ans, plus 182 millions de travaux d’aménagement. Comment expliquer ce « surinvestissement » alors qu’aucun changement de majorité politique n’est intervenu au cours de ce laps de temps ? Telle est l’énigme que nous allons nous efforcer de résoudre, en mettant en relief l’enchevêtrement des logiques qui aboutissent à une décision que personne n’a anticipée, afin d’éclairer les multiples raisons qui expliquent la permanence de la relation qui lie les collectivités et les clubs de football en dépit de tous les changements réglementaires et économiques intervenus au cours de la décennie écoulée et en dépit des contestations qui, ponctuellement, visent la construction des stades. Quelles que soient leurs orientations idéologiques, les acteurs politiques locaux ne semblent pas aujourd’hui prêts à remettre en cause ce lien, pas uniquement, comme on le verra, en raison du caractère prétendument populaire du football.

Méthodologie

Cette recherche trouve sa source dans une expérience personnelle, relativement originale. C’est en tant que citoyen, riverain du stade, que j’ai d’abord été amené à m’intéresser au projet de son agrandissement. Cet intérêt s’est mué en indignation puis en un engagement lorsqu’après avoir été mis en contact par une voisine et amie avec un vieil habitant du quartier qui entendait créer une association pour s’y opposer, j’ai activement participé à sa mise sur pied et à son combat. J’en suis en effet devenu à la fois son trésorier et son porte-parole. À ce titre, j’ai non seulement été amené à me pencher en détail sur le permis de construire, sur les débats et tractations politiques qui l’avaient précédé, mais j’ai rencontré divers élus parties prenantes et les représentants des associations de supporteurs. Durant toute la période qu’a duré la mobilisation (de janvier 2003, date de création de l’association Sauvons le site de la citadelle de Lille, au jugement final rendu par le Conseil d’État en décembre 2005), j’ai pu constituer un imposant dossier de presse (presse régionale, presse sportive, presse nationale…), télécharger l’ensemble des échanges sur les deux sites de supporteurs du LOSC (Allez le LOSC et Passions LOSC) et sur le site officiel du club, qui donnaient non seulement à voir les réactions et les stratégies déployées par les supporteurs, mais livraient aussi les analyses de la situation de ses dirigeants. Cette position d’observateur engagé a bien sûr interdit de recourir à des entretiens directs et formalisés. L’accès aux procès-verbaux des bureaux de la communauté urbaine de Lille de 2000 à 2004 (non publics), et dans une moindre mesure les échanges informels avec différents fonctionnaires ayant suivi le dossier, sceptiques à son égard et tenus à l’anonymat, a compensé en partie cette lacune.

II – Genèse et mort d’un stade

9Comprendre la genèse de la contestation dont sera finalement victime le projet d’agrandissement du stade Grimonprez-Jooris, demande de revenir dans un premier temps sur l’histoire des relations entre la municipalité et « son » club et sur les raisons de la localisation de cette enceinte sur un site en apparence bien peu propice : une presqu’île boisée de 15 hectares qui constitue le plus grand espace vert de la commune, au milieu de laquelle trône, presque intacte, une citadelle construite par Vauban au xviie siècle, classée monument historique et toujours utilisée à des fins militaires. Ce choix initial pèsera lourd à la fois dans la décision, prise en 2001, de maintenir le stade à cet endroit et dans les modalités de sa contestation.

Illustration 1

Photo aérienne du site de la Citadele de Lile

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Photo aérienne du site de la Citadele de Lile

a – Un stade décidé et construit dans la précipitation

10C’est en 1974 que le fraîchement élu maire de Lille, Pierre Mauroy [20], annonce sa décision de construire un nouveau stade de football de 25 000 places sur le site de la citadelle édifiée par Vauban. Le besoin était incontestablement pressant. Le stade Henri Jooris, en bois, est non seulement vétuste, mais doit être détruit pour permettre l’extension du canal de la Deûle. En outre, le LOSC (Lille Olympique Sporting Club), devenu propriété de la Ville, est en passe de rejoindre la première division. Cette annonce n’en est pas moins une surprise. Un autre équipement, baptisé « Complexe olympique », financé par la communauté urbaine de Lille (CUDL), est en effet programmé depuis 1964 dans la Ville nouvelle de Lille-Est – devenue, en 1970, commune de Villeneuve d’Ascq. Le schéma d’urbanisme prévoit qu’il s’agira d’un stade polyvalent destiné à accueillir des compétitions d’athlétisme de haut niveau et… les matchs du LOSC. Mais les rivalités pour le leadership politique territorial en décident autrement.

11La communauté urbaine est présidée depuis 1971 par Arthur Notebart, maire de Lomme, commune limitrophe de Lille. Cette fonction s’apparente à un lot de consolation reçu des mains du président précédent, le maire de Lille Augustin Laurent, car Arthur Notebart escomptait lui succéder à la tête de la capitale régionale, avant qu’il ne lui préfère Pierre Mauroy. Arthur Notebart est le second poids lourd de la puissante fédération socialiste du Nord, qu’il a codirigée avec Pierre Mauroy de 1968 à 1971, avant, là aussi, d’être contraint de s’effacer. Membre de la vieille garde de la SFIO, profondément anti-communiste, Arthur Notebart a été mis en minorité après s’être opposé à François Mitterrand et à sa stratégie d’union de la gauche lors du congrès d’Épinay. Tout oppose donc les deux hommes à partir de 1971. Le président de la CUDL s’emploie désormais à empêcher la montée en puissance locale de celui qui vient d’être nommé numéro 2 du PS. Il utilise pour ce faire son poste de président de la communauté urbaine – qu’il conservera jusqu’en 1995 – mais aussi sa présidence du conseil d’administration de l’établissement public qui a en charge l’aménagement de Lille-Est (EPALE) [21]. Pierre Mauroy, de son côté, s’efforce d’affirmer le rôle moteur de Lille dans la métropole face à Roubaix-Tourcoing et à Villeneuve d’Ascq où s’installent la plupart des universités et des entreprises innovantes. Dans cette perspective, l’échec de la fusion de Lille et de cette dernière en 1972 est vécu comme un affront, que Pierre Mauroy impute en partie à Arthur Notebart. Cet échec conduit les socialistes lillois à vouloir maintenir sur leur territoire tous les équipements qui symbolisent la centralité de la Ville dans la métropole. Ce n’est donc pas principalement en fonction de considérations sportives que Pierre Mauroy s’oppose au départ du club – dont la Ville vient juste de se rendre propriétaire – pour Villeneuve d’Ascq, mais bien pour tenter de consolider son leadership municipal et conquérir le leadership métropolitain [22].

12Pressé par le temps, les travaux préparatoires à l’aménagement du Stadium étant commencés, le choix de Pierre Mauroy se porte sur un site déjà disponible, propriété de la commune : un stade d’athlétisme équipé de gradins légers de 1 200 places sis depuis 1956 aux abords immédiats de la Citadelle Vauban. En dépit des demandes de l’architecte des Bâtiments de France et de la commission départementale des sites enjoignant de ne pas superposer l’un et l’autre, le futur stade étant jugé trop proche du monument historique, celui-ci est néanmoins construit, dans un délai record (dix mois), sur l’emplacement exact de la piste d’athlétisme sans faire l’objet d’aucun recours ni d’aucune contestation publique [23]. La rivalité politique entre le maire de Lille et le président de la CUDL aboutit ainsi à la construction concomitante de deux équipements : un stade polyvalent de 35 000 places adossé à un vaste complexe sportif qui, privé de club, demeurera sous-utilisé et un stade de football de 25 000 places [24] en lieu et place d’un terrain d’athlétisme édifié en infraction avec les règles d’urbanisme [25]. Les péripéties contemporaines du grand stade à Lille trouvent leur origine dans cette décision initiale.

13Sur le moment, les supporteurs et les dirigeants du club ne voient rien à redire à cette décision. Situé à proximité du centre ville de Lille et de l’ancien stade, adossé à une vaste zone permettant un stationnement aisé (sur le champ de mars), doté d’une capacité d’accueil largement suffisante au regard des performances sportives de l’équipe, Grimonprez-Jooris a tout pour les satisfaire. Le club revient en effet de très loin : après une période de succès flamboyants, de sa création en 1944 jusqu’au milieu des années 1950, il a connu un lent déclin qui a failli conduire à sa disparition : en 1968-1969, le LOSC, criblé de dettes, abandonne son statut professionnel et se retrouve relégué en troisième division. Il est sauvé in extremis par la mobilisation de sponsors et de célébrités régionales, ce qui lui permet, après deux saisons, de retrouver l’élite. Mais faute de moyens financiers suffisants, il redescend en seconde division dès la saison suivante (1971-1972), avec une dette de 6 millions de francs, ce qui amène la municipalité à reprendre le club, transformé en Société d’économie mixte dont elle détient 80 % des parts, les 20 % restants appartenant à l’association sportive LOSC.

14La construction d’un nouveau stade matérialise donc aussi l’engagement de la commune pour sauver une équipe au passé prestigieux encore dans les mémoires et traduit a contrario le désintérêt des milieux économiques lillois pour le football. Ni les grandes familles du textile reconverties dans la vente par correspondance ou la grande distribution, ni les patrons de l’assurance et de la finance régionales ne sont alors prêts à soutenir financièrement le LOSC. Faute de pouvoir compter sur de généreux mécènes et un public nombreux [26], le club reste tributaire des subventions municipales que le nouveau maire, guère passionné de football et estimant avoir déjà beaucoup fait en finançant un nouveau stade, s’efforce de limiter au maximum. En conséquence, les performances du LOSC, jusqu’à la fin des années 1990, demeureront très moyennes : club de seconde moitié de tableau de D1, incapable de décrocher la moindre qualification dans l’une des coupes d’Europe, son meilleur résultat est une place de sixième en 1991-1992. Tandis que les budgets des grosses équipes du championnat s’accroissent très fortement sous l’effet de l’arrivée de nouveaux investisseurs et de la libéralisation des transferts [27], provoquant une envolée des prix des joueurs, celui du LOSC peine à suivre et reste parmi les cinq budgets les plus modestes de première division [28]. Le club est en conséquence pris dans un cercle vicieux : faute d’investisseurs, il est voué à des résultats médiocres et se trouve boudé par le public ; pour éviter de sombrer, il est condamné à « vendre » ses jeunes joueurs et à s’endetter obérant ainsi encore plus ses chances d’attirer des investisseurs privés.

151994, l’année du cinquantenaire du club, marque un tournant. Après deux saisons médiocres (17e et 15e place), il est de nouveau au bord du dépôt de bilan. La municipalité, épaulée par le Conseil régional, le lui évite de justesse en prenant en charge la moitié de son déficit, en se portant caution de ses emprunts et en lui versant une subvention supplémentaire de 7,5 millions de francs [29]. En contrepartie, elle impose un nouveau président, un dirigeant d’entreprise régional influent, Bernard Lecomte [30], qui s’engage à assainir les comptes et à développer la politique de formation. Si la situation financière s’améliore dans un premier temps, grâce à la vente de joueurs vedettes et à un étalement de la dette sur quatre ans, l’étroitesse du budget (60 millions de francs en 1997), grevé par les remboursements de la dette, affecte les performances sportives. Après avoir frôlé la relégation en 1996 (17e place), le club rejoint de nouveau la seconde division en 1997. Tant la situation financière que l’évolution du cadre juridique, qui prévoit l’interdiction des subventions publiques des collectivités à partir du 1er janvier 2000, obligent la Ville à le privatiser au plus vite. Il faut cependant attendre 1999 pour qu’un accord soit conclu avec deux hommes d’affaires parisiens spécialisés dans le sauvetage de clubs en difficulté : Luc Dayan et Francis Graille. Acculée [31], la Ville le leur cède à vil prix (250 000 francs) en échange d’un engagement de leur part de garantir un budget de fonctionnement de 60 millions de francs et de 80 millions en cas de montée en première division [32]. Surtout, le protocole signé avec les repreneurs stipule que la Ville s’engage à livrer un nouveau stade de 35 000 places dans un délai de quatre ans sans toutefois en préciser la localisation [33]. Comme le résument Christophe Durand et Loïc Ravenel : « La SEM du LOSC à Lille est ainsi restée à vendre pendant près de quinze ans avant d’être cédée pour une somme dérisoire incluant un soutien des collectivités locales et la construction d’un stade [34]. »

16La privatisation et les performances sportives de l’équipe contraignent la Ville à tenir ses engagements. En effet, à peine privatisé, le LOSC, après trois saisons en Ligue 2, rejoint l’élite et connaît une réussite inespérée. Lors de leur première saison en Ligue 1, en 2000-2001, les joueurs lillois terminent troisième, place synonyme de qualification pour le tour préliminaire de la Ligue des Champions, qu’ils franchissent avec succès. L’année suivante, ils finissent à une honorable cinquième place. Ces performances conduisent les dirigeants du club, avec l’appui des associations de supporteurs qui connaissent elles aussi un regain, à faire pression pour que la municipalité fournisse au plus vite un nouveau stade ou, à tout le moins, agrandisse le stade existant, celui-ci n’étant pas homologué par l’UEFA pour accueillir des matchs européens. Le LOSC est de fait contraint de jouer au stade Bollaert à Lens, l’éternel rival ! Les dirigeants et les supporteurs présentent cette décision comme une humiliation.

17Mais la municipalité est dans une situation financière très délicate. Les investissements consentis au cours des années 1990 pour créer un nouveau quartier d’affaires (Euralille) et une nouvelle gare destinée à accueillir le TGV en centre-ville (Lille-Europe) grèvent lourdement son budget. Les impôts locaux y sont parmi les plus élevés du pays. À l’approche des échéances électorales de 2001, l’équipe municipale proscrit l’annonce de toute nouvelle dépense [35], d’autant que ces élections s’annoncent délicates : Martine Aubry, parachutée en 1995 à Lille, où elle occupe depuis le poste de premier adjoint, numéro deux du gouvernement Jospin depuis 1997, est en effet appelée à succéder à Pierre Mauroy et se présente pour la première fois personnellement devant les électeurs lillois. Les élus lillois se tournent dès lors vers la communauté urbaine que préside le maire de Lille pour honorer les engagements pris vis-à-vis du LOSC.

b – Un agrandissement décidé dans la précipitation

18La loi du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale vient fort opportunément d’élargir les prérogatives des communautés urbaines en stipulant qu’elles exercent de plein droit, en lieu et place des communes membres, la compétence « Construction ou aménagement, entretien, gestion et animation d’équipements, de réseaux d’équipements ou d’établissements culturels, socioculturels, socio-éducatifs, sportifs, lorsqu’ils sont d’intérêt communautaire » [36]. Pour l’exercer, la CUDL – rebaptisée en 1997 Lille-Métropole communauté urbaine (LMCU) – doit cependant préalablement en faire la demande et obtenir l’accord d’au moins la moitié des communes membres représentant plus de la moitié de la population totale de la communauté. Cette demande est transmise au préfet dès novembre 2000 [37]. Clairement, cette précipitation vise à permettre à LMCU de financer un nouveau stade. Les acteurs ont anticipé cette opportunité. Pierre Mauroy a confié dès le début de l’année 1999 à Bernard Roman, adjoint aux finances de la ville de Lille et vice-président de LMCU, la supervision d’une mission réalisée par l’Agence d’urbanisme de Lille-Métropole destinée à étudier les solutions possibles pour l’installation d’un tel équipement. Le rapport, remis en septembre 2000, sert de base à la discussion. Trois hypothèses y sont étudiées de façon comparative : l’édification d’un nouveau stade ex nihilo[38], la transformation du Stadium de Villeneuve d’Ascq, l’agrandissement du stade existant.

19Pour la majorité municipale lilloise, au-delà des différences de coût, les deux premières solutions ont l’inconvénient d’empêcher le transfert de l’équipement existant à LMCU et de laisser la ville avec un stade sans affectation [39]. La construction d’un stade ex nihilo sur le territoire de leur commune leur apparaît tout particulièrement défavorable : elle priverait la ville, en mal de foncier, de terrains précieux dont l’aménagement en logements ou en bureaux est en outre bien plus rentable en termes de rentrées fiscales. La transformation complète du Stadium, de son côté, les priverait du bénéfice symbolique associé à la présence du club dans leur ville. Elle leur semble cependant, dans un premier temps, comme la solution la moins inopportune. B. Roman rappelle ainsi qu’au moment du lancement de l’étude, en 1999, « il était hors de question de pouvoir envisager une extension du stade Grimonprez-Jooris. Cela a d’ailleurs été une surprise pour nous d’entendre les représentants du ministère de la Culture nous dire à un moment que l’extension de Grimonprez-Jooris dépendrait du type de proposition qu’on leur ferait et du type de négociation qu’on aurait avec l’Armée sur la maîtrise foncière, mais qu’ils n’étaient pas fermés à cette hypothèse » [40].

20Ce n’est donc qu’après avoir reçu les assurances du ministère de la Culture, puis, fin 2000, le feu vert du ministère de la Défense pour céder les terrains adjacents au stade nécessaires à son agrandissement [41], que cette solution a semblé jouable aux élus lillois. Si ces derniers sont conscients des difficultés du projet et de ses risques juridiques, notamment du côté de la commission nationale des monuments historiques, la majorité des acteurs anticipent qu’il sera possible de les surmonter grâce à l’influence politique dont disposent Martine Aubry et Pierre Mauroy au sein du gouvernement, mais aussi dans un contexte où la Ville de Lille, sélectionnée en 1998 pour être capitale européenne de la Culture en 2004, a développé des relations étroites avec le ministère, dont les responsables ont autant intérêt que les édiles municipaux au succès de cette manifestation [42].

21Pour justifier leur choix, Pierre Mauroy et Martine Aubry mettent en avant l’urgence de répondre aux besoins du club (tenir l’engagement pris et lui permettre de consolider ses succès sportifs) et son moindre coût. « C’est la solution la plus rapide et la moins chère [43] » ne cesseront-ils de marteler jusqu’à l’annulation définitive du permis de construire par le Conseil d’État en décembre 2005. Tous ceux qui tenteront de faire valoir une autre option en pointant la nécessité de prendre en compte les coûts globaux et l’amortissement, ou en soulignant l’absurdité pour la communauté urbaine de se retrouver propriétaire de deux stades ne seront pas entendus. De l’aveu du maire socialiste de Villeneuve d’Ascq, Jean-Michel Stievenard, qui a un temps plaidé pour la reconstruction du Stadium Nord située sur sa commune : « L’étude de l’Agence de développement et d’urbanisme que j’ai pilotée personnellement avec des équipes de la Communauté urbaine, n’a jamais été confrontée de manière contradictoire avec des éléments identiques pour tout le monde. Je le sais et j’ai même accepté qu’on ne le fasse pas [44]. »

22La chronologie des événements montre que les élus lillois, toutes tendances politiques confondues [45], à l’exception du Front national, et bien sûr Pierre Mauroy, ont adopté une stratégie de fait accompli pour obtenir l’engagement des autres élus de la communauté urbaine. Moins d’un mois après l’élection de Martine Aubry, le 9 avril 2001, alors qu’aucune prise de position précise n’a été adoptée lors de la campagne municipale [46], un appel d’offre portant sur un « Marché d’études pour l’extension de 20 000 à 35 000 places du stade Grimonprez-Jooris » est lancé. Le 11 avril, lors d’une conférence de presse, Martine Aubry déclare : « On n’a pas attendu que le LOSC soit leader du championnat de D1 pour penser que notre métropole avait besoin d’un grand stade. Nous y travaillons, la ville et l’agence de développement et d’urbanisme depuis de nombreux mois. En définitive, nous avons pensé que, par rapport au coût et à l’emplacement en cœur de ville, l’extension de Grimonprez-Jooris était l’option la plus pertinente. » Le 9 juillet, le conseil municipal vote, à une écrasante majorité, à l’exception des élus du FN, le principe d’engager avec LMCU les négociations visant au transfert du stade dans le domaine de compétence communautaire [47] et de lancer parallèlement un concours d’architecture. Fort opportunément, Pierre Mauroy est désigné pour présider le jury sélectionnant le projet. Le 14 décembre 2001 le choix du maître d’œuvre est entériné à l’unanimité.

23Cette affaire, rondement menée, n’en provoque pas moins des remous parmi une partie des représentants de la communauté urbaine qui déplorent être mis devant le fait accompli et devoir financer un projet dont la maîtrise d’ouvrage leur échappe. C’est particulièrement le cas des élus du GADEC (Groupement d’action démocratique et communautaire), qui regroupe des maires de petites communes, généralement élus sur des listes sans étiquette [48]. Alliés à Pierre Mauroy jusqu’en 2001, ils ont depuis quitté la majorité pour protester contre le poids excessif des grandes villes dans les investissements de la communauté urbaine, obligeant ce dernier à passer un accord de gestion avec l’UMP, dont le leader, Marc-Philippe Daubresse, député-maire de Lambersart, devenu en la circonstance premier vice-président de LMCU. Les élus du GADEC contestent le caractère expéditif de la procédure, soulignent les défauts du site choisi (notamment sa difficulté d’accès), et s’interrogent sur l’opportunité pour la Communauté urbaine de posséder deux stades, voire trois à terme, puisque les partisans de l’agrandissement de Grimonprez-Jooris présentent cette option comme transitoire. Michelle Demessine, élue communiste, qui a en charge depuis 2001 le sport tant à la mairie de Lille qu’à la communauté urbaine l’exprime clairement : cette solution « nous permet d’attendre les évolutions futures avec confiance pour, peut-être un jour, rebondir sur une solution plus ambitieuse accompagnée par le privé mais qui sera bien éloignée de toutes les hypothèses que nous avons pu examiner ensemble » [49]. Le président du GADEC, Henri Segard, plaide donc en faveur d’une rénovation du Stadium de Villeneuve d’Ascq. Mais ce mécontentement n’a que très peu d’écho public et demeure entre les murs des bureaux de la communauté urbaine. Le 1er octobre 2001, Pierre Mauroy répondant à la demande d’Henri Segard d’un débat sur la question, met clairement les points sur les « i » lors d’une réunion du bureau de la communauté urbaine :

24

« Lors d’une précédente séance du Bureau, M. Segard avait souhaité que l’on débatte sur le grand stade, l’extension du stade Grimonprez-Jooris, l’aménagement du Stadium. Je vais vous donner ma conviction sur le sujet. Je crois qu’il faut éviter maintenant un tel débat. Il n’y a certes aucune interdiction d’évoquer ce sujet et d’ailleurs le Conseil communautaire aura à en débattre mais j’attire votre attention sur le fait que ce dossier suscite actuellement une certaine fébrilité, une pression considérable des dirigeants, de l’entraîneur, des joueurs et des supporteurs. Si la communauté urbaine donne l’impression d’hésiter, de lancer un débat, alors que pour tout le monde, la décision d’étendre Grimonprez-Jooris est pratiquement tranchée, craignez dès lors que vos apparitions au stade ne soient suivies de violentes réactions de la part des gens qui veulent un stade le plus rapidement possible. »

25Pierre Mauroy brandit la menace, s’appuie sur les performances sportives du LOSC et enrôle les dirigeants du club et les supporteurs qui, à l’époque n’ont pourtant pas fait connaître clairement leur position, pour tuer dans l’œuf toute tentative de publicisation du débat. Si celui-ci n’est pas totalement escamoté lors de la séance publique de la communauté urbaine du 16 novembre 2001 portant sur la décision d’engager des négociations préalables au transfert du stade Grimonprez-Jooris, puisque les élus du GADEC y exprimeront mezzo voce leurs réserves, ils sont finalement les seuls, avec les élus du FN, à voter contre. Le soutien apporté au projet par le PS et l’UMP, mais aussi par le PCF et les Verts, conduit dès lors la presse à présenter la décision comme « tranchée ».

26Mais, comme l’a bien montré Fabien Desage [50], le fonctionnement de la communauté urbaine rend très risquée toute tentative de passage en force. Les règles de l’institution, désignée au suffrage indirect, telles qu’elles se sont sédimentées depuis sa création, sont fondées sur la construction laborieuse de consensus permettant à chaque commune d’y trouver son compte. En outre, pas plus le PS que la gauche n’y disposent de la majorité et les élus lillois, compte tenu de la morphologie de l’agglomération, y sont minoritaires. Commence alors en coulisses un important marchandage portant sur la liste des équipements sportifs à transférer. Si les négociations pour le transfert de Grimonprez-Jooris sont sur les rails, il est inconcevable que le projet soit mené à son terme sans que d’autres équipements passent dans l’escarcelle communautaire avec les coûts de remise en état correspondants. L’année 2002 sera ainsi consacrée à dresser cette liste. Au terme des tractations menées par les présidents de groupe, la décision sera ainsi prise de transférer, puis de rénover l’ensemble des piscines municipales de la communauté urbaine, de même que la patinoire olympique de Wasquehal. Pour obtenir le soutien des maires de Roubaix et Tourcoing enfin, les autres poids lourds de l’agglomération, l’engagement est pris d’y construire un vélodrome couvert et une piscine olympique [51]. Les élus du GADEC participent à ce marchandage, n’ayant pas le poids politique suffisant pour dénoncer une décision adoptée à une large majorité et obtiennent notamment la construction d’une piscine en zone péri-urbaine.

27Le dossier du stade, mené tambour battant, semble donc bouclé en cette fin d’année 2001, la Ville de Lille étant chargée de l’instruire jusqu’à la fin des opérations de transfert conçues pour durer un an. Aucune voix ne se fait entendre publiquement pour critiquer le choix de l’extension de Grimonprez-Jooris. Les dirigeants du LOSC, qui ont un temps plaidé en faveur d’un « grand stade » cofinancé par le privé, semblent faire contre mauvaise fortune bon cœur, d’autant que cette voie, on l’a vu, n’a pas été totalement fermée par les élus. Le 14 mai 2002, une nouvelle convention signée entre la Ville de Lille et le nouveau président du LOSC, vient préciser le calendrier des travaux et stipule que le club évoluera au Stadium Nord durant leur réalisation. Pour ce faire, en juin 2002, la communauté urbaine vote en urgence 3,2 millions d’euros pour mettre celui-ci aux normes de la Ligue 1 [52]. L’enquête publique est lancée sans grande publicité, à la veille de la trêve estivale, en juin 2002. Elle débouche sur un avis favorable du commissaire enquêteur. Le permis de construire peut donc être déposé, les travaux être commencés et les délais de livraison promis au club (décembre 2004) respectés.

c – Le stade devient une affaire politique

28C’est un écueil administratif, que les acteurs avaient tenté de corriger en révisant le projet à la baisse et en l’accompagnant d’un programme de mise en valeur des remparts de la Citadelle Vauban, qui va être à l’origine de la transformation du projet en affaire publique ou plus exactement de sa mise en scandale si l’on entend par là, à la suite de Damien De Blic et Cyril Lemieux la publicisation d’« un fait troublant et contradictoire, qui met un obstacle à la croyance collective, et sème par là même la dissension » [53]. Le 2 septembre 2002, les membres de la commission supérieure des monuments historiques (CSMN) se prononcent en effet par 23 voix contre 6 contre le projet, estimant que « la mise en œuvre de ce projet porte une atteinte trop forte et trop pérenne au monument historique » et que « l’occasion unique de retrouver un état mettant en valeur le monument a été manquée ».

29La décision de la commission est largement répercutée par la presse régionale mais aussi, pour la première fois, par la presse nationale. Une tribune inespérée est ainsi offerte à ceux qui ont des griefs à l’encontre du projet [54]. Les langues se délient. Le président du comité Grand Lille, cénacle réunissant acteurs économiques et politiques, Bruno Bonduelle, jusqu’ici opposant silencieux, fait ainsi part au Monde de son hostilité : il estime qu’il s’agit d’un projet « petits bras, choisi sous la pression des événements » [55] qui est par ailleurs une « catastrophe écologique » ; il prône un « projet culturel ambitieux » pour la Citadelle de Lille et un « vrai grand stade » hors la ville. La principale association de défense du patrimoine, fondée en 1964, Renaissance du Lille ancien (RLA), qui a recouru jusqu’alors essentiellement à des courriers et à l’enquête publique pour faire connaître sa réticence et déplorer le manque de concertation, rebondit sur l’avis de la commission et demande pour la première fois la destruction du stade existant. Pour son président, Didier-Joseph François : « Là où il est, le stade n’apporte rien du point de vue de la dynamique urbaine et le raser peut constituer une opportunité pour donner une autre dimension au site de la Citadelle, tandis que le construire ailleurs peut être un formidable moteur de développement urbain. [56] »

30L’avis de la CSMN n’étant que consultatif, l’équipe municipale engage des tractations avec le cabinet du ministre de la Culture, Jean-Jacques Aillagon. À la surprise des détracteurs, celui-ci décide en décembre 2002 de ne pas tenir compte de l’avis de la commission, mais exige toutefois que la capacité du stade soit réduite (de 35 000 à 32 000 places) et que les locaux annexes prévus initialement pour accueillir des boutiques et des restaurants soient supprimés. Le soutien du ministre laisse les mains libres à la Ville, en même temps qu’il ne laisse aux opposants que la voie d’un recours judiciaire pour contrer le futur permis de construire. Mais le président de Renaissance du Lille ancien, la seule association qui dispose de suffisamment de ressources pour engager un recours, est hésitant. L’association dépend de la mairie qui met à sa disposition un local dans un bâtiment prestigieux pour lui permettre d’accueillir les visiteurs de passage et organiser des conférences et des visites guidées du Vieux Lille. Cette hésitation favorise l’émergence d’une nouvelle association, constituée en janvier 2003 par quelques-uns de ses membres déçus de son attitude, auxquels se joignent d’autres habitants du Vieux Lille jusqu’alors non engagés. Ainsi naît l’association Sauvons le site de Citadelle de Lille dont la raison officielle est de « s’opposer par tout moyen à l’agrandissement du stade et d’obtenir à terme sa destruction ». Le noyau de l’association est formé d’un commerçant par ailleurs administrateur de biens immobiliers commerciaux, d’un ancien journaliste de La Voix du Nord, d’un professeur de science politique (l’auteur de cet article) [57], de quatre architectes, dont l’un est surtout connu comme aquarelliste, d’une professeure de lycée, d’une conseillère d’orientation, d’un imprimeur, d’une retraitée issue d’une vieille famille de la bourgeoisie locale qui tous, à une exception près, résident dans le Vieux Lille depuis au moins dix ans. Si ses membres ne sont pas dépourvus de ressources (connaissances du milieu journalistique, connaissances architecturales, capacités rédactionnelles et communicationnelles, capital social local), aucun n’a cependant les compétences juridiques suffisantes pour rédiger un recours contre un permis de construire de près de 1 000 pages. C’est le travail de mobilisation effectué par ses membres et les soutiens inattendus apportés à leur cause qui vont leur permettre de collecter les fonds nécessaires au défraiement partiel d’un avocat, spécialiste en droit de l’urbanisme et de l’environnement.

31La presse locale relaie en effet, dès sa constitution, la parole de l’association qui met en avant non seulement la défense du patrimoine mais aussi celle de l’environnement et du cadre de vie sans remettre toutefois en cause la nécessité d’un stade. « Un stade ? Oui, ailleurs… », tel est son leitmotiv. À la surprise générale de ses initiateurs, son assemblée générale constitutive rassemble 200 personnes informées par voie de presse et de tracts, dont les trois quarts adhèrent sur le champ. Ce succès initial permet à l’association de collecter ses premiers fonds, lesquels lui servent à éditer, à plusieurs milliers d’exemplaires, une brochure détaillant ses arguments. Sa forte présence dans l’espace public par le biais de la diffusion d’un dépliant et de pétitions sur les marchés et l’organisation régulière de contacts avec la presse puis par le biais, plus tardif, de la mise en place d’un site internet, permet le recrutement de nouveaux membres : fin 2003, elle compte 600 adhérents, a rassemblé 5 000 pétitionnaires et dispose d’un budget de 5 600 euros.

32La situation d’incertitude créée par l’émergence de Sauvons le site de la Citadelle, qui se traduira par le report de près de six mois du dépôt du permis, conduit les dirigeants du club à exprimer leurs réticences et à réclamer un projet plus en phase avec leurs ambitions sportives et financières. Dès le 28 janvier 2003, Luc Dayan menace de se retirer si la municipalité ne le laisse pas construire un stade avec des fonds privés. Le nouveau président du club, Michel Seydoux [58] qui, à la différence de Luc Dayan, semble prêt à investir à long terme, explicite les raisons de ce mécontentement au cours d’une conférence de presse le 10 février 2003, dont le compte-rendu est publié sur le site officiel du LOSC.

33

« Les dirigeants commencent par présenter un rapide historique des faits concernant ce dossier. Ils rappellent qu’après avoir engagé un protocole pour une livraison du nouveau stade en janvier 2003, le LOSC s’est accordé avec la Mairie de Lille pour une livraison finalement fixée fin 2004 d’un stade de 35 000 places, avec un centre d’entraînement pour les pros, des locaux administratifs… En juillet 2002, la Ville annonce que le stade ne fera pas plus de 32 000 places et ne comportera pas de centre d’entraînement ni de bureaux administratifs. Pas de périmètre de sécurité grillagé de prévu non plus ! Un changement d’orientation non négligeable ! »

34Les actionnaires anticipent en fait les risques d’une annulation du permis. Ils craignent qu’en acceptant de quitter leur stade le temps des travaux pour aller jouer au Stadium de Villeneuve d’Ascq, ils se retrouvent contraints d’y rester durablement. De façon unilatérale, M. Seydoux rompt alors l’accord passé avec la municipalité, déclenchant ce faisant un conflit ouvert.

35

« Les travaux devaient commencer dès juin à Grimonprez, le LOSC déménageant ainsi temporairement au Stadium Nord. Cependant, tout le monde s’accorde à dire que le Stadium, ce “stade courant d’air”, ne sera pas prêt pour accueillir une équipe de L1 ambitieuse, en juin. De plus, l’accord du ministre Aillagon pour GJ II n’empêche pas le recours de tiers à l’encontre de la construction du nouveau GJ. Où jouerait alors le LOSC s’il bougeait au Stadium sans pouvoir revenir dans son stade flambant neuf ? Enfin, aucun centre d’entraînement, centre administratif et centre de formation ne sont prévus dans les solutions présentées jusqu’ici au LOSC, obligeant celui-ci à devoir réfléchir à un centre de vie excentré du stade et très coûteux (Camphin, Lambersart ou Villeneuve d’Ascq font partie des pistes poursuivies par le club). […] Dès lors, le club a décidé de rester pour un délai supplémentaire qui reste à définir à Grimonprez-Jooris et de convoquer des « États généraux » (réunion entre Ville, CUDL, acteurs socio-économiques locaux et LOSC) pour discuter de l’avenir du LOSC. Le LOSC souhaite ainsi que l’ensemble des partenaires locaux se mettent autour d’une table pour trouver une solution consensuelle : trouver le meilleur emplacement pour le stade et étudier, sans tabou, les différentes possibilités de financement du stade. »

36Dans les semaines qui suivront, le conflit s’envenime : Michel Seydoux plaide en faveur d’un nouveau stade « de 50 000 à 80 000 places », mi-privé mi-public, sur le modèle du stade Arena d’Amsterdam. Sa condition : que les collectivités autorisent la construction d’équipements commerciaux. « Un stade a besoin de recettes annexes, tels des concerts ou des séminaires, pour rivaliser avec les clubs européens. Or ce stade [Grimonprez-Jooris 2], même restructuré, restera le plus petit équipement économique du monde footballistique » proclame-t-il. Il adopte une posture du gestionnaire pour crédibiliser son point de vue : « En tant que président du LOSC, je ne veux pas être responsable d’un gâchis de plus [59]. » Le président du Comité régional olympique et sportif, Pierre Lambin, lui apporte un soutien inattendu. Ce dernier voit en fait dans un grand stade le moyen d’attirer des investisseurs privés et de dégager de nouvelles recettes permettant aux collectivités de consacrer leurs ressources aux autres sports [60], mais aussi d’associer Lille à la candidature de Paris aux JO de 2012.

37L’annonce d’une action judiciaire par Sauvons le site de la Citadelle, finalement rejoint par Renaissance du Lille ancien, a donc fait sortir la question du stade de l’arène feutrée de la communauté urbaine, en a fait une affaire publique au sens de Joseph Gusfield, c’est-à-dire un problème susceptible d’être emparé et redéfini par des publics multiples qui se divisent sur sa définition et sur les solutions à lui apporter [61]. La presse sportive et la presse régionale ont fait leur miel des déclarations des uns et des autres et ont largement couvert l’affaire [62], le football étant l’un de leurs meilleurs supports de vente. Le report, de mois en mois, du permis de construire (déposé finalement le 6 juin 2003) a laissé le champ libre aux déclarations et aux stratégies de bluff et alimenté le suspense. Les acteurs en ont tiré partie, dramatisant à dessein la situation : l’interview de Claude Puel, l’entraineur du LOSC, dans les pages sportives de La Voix du Nord, s’insérant dans un dossier lui-même intitulé « Bras de fer autour d’un stade », le 22 mai 2003, en fournit une belle illustration. Elle est titrée : « Le LOSC est en danger de mort. » [63] Sur leurs sites internet, les supporteurs manifestent de leur côté une impatience croissante et débattent à n’en plus finir du meilleur emplacement pour le stade.

38Cette remise en cause par les acteurs associatifs et sportifs d’une solution présentée comme la seule possible par les autorités politiques locales ne remet pas immédiatement en question le large consensus politique autour du projet. En ce sens, publicisation et mise en scandale ne riment pas immédiatement avec politisation [64], les acteurs politiques refusant ou hésitant à répondre aux interpellations de ceux qui opèrent cette remise en cause. En l’espèce, ce basculement ne se fait que tardivement. Ce n’est en effet que début juin 2004, après avoir rencontré à plusieurs reprises les représentants des associations et les dirigeants du LOSC, que les élus de l’opposition locale se saisissent du problème et formulent une autre proposition. L’occasion de se rendre populaire auprès des supporteurs et de se montrer à l’écoute de la protestation de riverains, dont beaucoup sont leurs électeurs, semble être devenue trop tentante [65]. Le 5 juin, les élus centristes, d’une part, ceux de l’UMP et du GADEC, d’autre part, annoncent publiquement leur soutien à un stade de 50 000 places cofinancé par des fonds privés. Mais le lendemain même, les actionnaires du club opèrent une volte-face qui leur fait immédiatement regretter cette audace.

39Face à l’inflexibilité de Martine Aubry – « Ce sera ce stade ou rien » – les dirigeants du club créent en effet la surprise en se ralliant au projet d’agrandissement après l’avoir vilipendé. Ils ont probablement mesuré que toute autre solution signifierait la remise en cause de la convention signée avec la commune et l’entrée dans une négociation longue et incertaine. La piètre performance du club lors de la saison 2002-2003, qui frise la descente en Ligue 2, décrédibilise en outre leur position, fondée sur la nécessité d’« un grand stade pour une grande équipe ». C’est pourquoi, après avoir, quatre mois durant, critiqué la solution « GJ2 », les dirigeants du club s’y rallient, choisissant « de croire que la situation géopolitique locale demandait un assouplissement de leur position », selon les mots de leur communiqué :

40

« Le LOSC Lille Métropole et ses dirigeants, fidèles à la logique qu’ils ont toujours affirmée, ont choisi de croire que la situation géopolitique locale demandait un assouplissement de leur position sur l’outil indispensable au développement d’un Club de Football aux ambitions européennes. Toutefois, comme l’a annoncé publiquement hier le Maire de Lille, “Grimonprez-Jooris IIne sera pas un obstacle à un projet plus ambitieux dont les études doivent démarrer rapidement. En ce sens, le LOSC Lille Métropole, à travers ses nombreux contacts récents, confirme qu’un projet de grande envergure, mené par des investisseurs privés, est actuellement en cours d’élaboration. Le LOSC Lille Métropole remercie Martine Aubry de son implication personnelle et veut croire qu’à dater de ce jour, le dernier “verrou” qui subsistait encore face à la volonté unanime de bâtir pour la Métropole une grande aventure footballistique a définitivement “sauté”. »

41L’allusion à un projet de grand stade « plus ambitieux » n’est destinée qu’à sauver la face. En fait, si l’on en croit la presse, le ralliement du LOSC a été âprement négocié en coulisses [66], M. Seydoux obtenant des garanties à propos du passage sous son contrôle de l’association LOSC toujours propriétaire du label [67], du renoncement par la Ville à la perception de la taxe sur les spectacles, et de l’augmentation de sa contribution financière aux activités de formation, ainsi que d’assurances pour un aménagement rapide d’un nouveau centre de formation situé dans une ancienne ferme à Camphin-en-Pévèle. En échange, il accepte que le LOSC abandonne le stade Grimonprez-Jooris pour le Stadium Nord le temps que dureront les travaux à la fin de la saison 2004 [68].

42Pourquoi Pierre Mauroy et Martine Aubry ont-ils refusé de s’engager à soutenir un projet de grand stade cofinancé par le privé, alors même qu’ils ont mentionné à plusieurs reprises que cette solution était probable à moyen terme ? Sur le moment, ils invoquent trois arguments : économique (un coût plus important pour la collectivité), juridique (la loi n’autoriserait pas un partenariat public-privé) et sportif (les délais d’un tel projet, en raison des difficultés juridiques qu’ils comportent et de l’absence de terrain immédiatement disponible pour l’accueillir, seraient si longs que le club serait privé de stade lui permettant de participer aux compétitions européennes durant au moins six ou sept ans). Ces raisons, comme le montrera la suite de l’histoire, semblent cependant moins déterminantes que l’hostilité des élus, non seulement lillois, mais des grandes villes de la métropole à l’ouverture de toute nouvelle surface commerciale qu’impliquerait la construction d’un stade privé. Cette hantise surdétermine en effet depuis 1999 la façon dont le projet de stade a été conçu. Le rejet, dès cette époque, de deux propositions de reprise, la première associant 400 entreprises de la région sous la houlette de Jean Evin, patron d’une entreprise de levage, et baptisée « Foot en Nord », la seconde portée par Philippe Guyennot, l’un des dirigeants de la société de jeux électroniques d’origine lyonnaise Infogrames et la société de marketing sportif ISL, associé à des représentants de la famille Mulliez (groupe Auchan), qui l’une et l’autre proposaient de construire un stade d’au moins 40 000 places sur fonds essentiellement privés, l’atteste. Interrogé à l’époque par un journaliste de Libération à propos de cette dernière offre, Bernard Roman, adjoint chargé du dossier, concède que cette dernière offre « présente un aspect solide », mais il s’empresse d’ajouter qu’« il ne faut pas que le projet soit le prétexte de construire une grande antenne commerciale. S’ils viennent pour faire un stade avec un hyper, ce sera non » [69].

43Le refus de répondre tant aux propositions de Bruno Bonduelle qu’à celles de Michel Seydoux s’inscrit dans cette même logique. Toute la politique urbaine engagée depuis le début des années 1990 dans la métropole lilloise, baptisée « ville renouvelée », vise en effet à revitaliser les centres des villes de Lille, Roubaix et Tourcoing, dont le niveau d’activité a été durablement affecté par la multiplication, au cours des deux décennies précédentes, de grandes zones commerciales périphériques liées pour beaucoup au groupe d’origine régionale Auchan [70]. Dans cette optique, deux grands projets ont été largement soutenus par les communes et la communauté urbaine qui peinent alors à atteindre leur seuil de rentabilité : l’installation d’un complexe de magasins d’usine dans le centre de Roubaix gérée par le groupe canadien Mc Arthur Glenn et la construction du quartier d’affaires et de commerce Euralille. Toute nouvelle installation commerciale d’envergure est vue comme un facteur de fragilisation supplémentaire de ces deux investissements.

d – La radicalisation des positions

44Le revirement des dirigeants du LOSC ouvre la voie à une radicalisation progressive des positions qui s’opère par l’entrée en scène des associations de supporteurs et… des juges. Si dans un premier temps, ce sont surtout les opposants au stade qui s’emploient à mobiliser leurs soutiens par le biais de manifestations ou de distributions de tracts, de communiqués ou de conférences de presse ou encore de rencontres ou de courriers adressés aux élus de la communauté urbaine pour les convaincre de refuser le projet d’agrandissement, l’approche du jugement du tribunal administratif conduit ses partisans, et en tout premier lieu les supporteurs, à s’organiser et à recourir à la critique publique de ceux qu’ils considèrent désormais comme leurs adversaires. La suite favorable donnée par le tribunal administratif de Lille, le 9 juillet 2004, à la demande de sursis à exécution des travaux déposée par Sauvons le site de la Citadelle et Renaissance du Lille ancien dans l’attente du jugement définitif, a un effet déclencheur. Le tribunal ayant invoqué à l’appui de sa décision l’existence de doutes sérieux quant à la légalité du permis de construire puis nommé un expert pour rendre un avis sur les conditions d’accessibilité au stade, quelques supporteurs, craignant un report sine die des travaux, créent un collectif baptisé « Un stade et vite » pour tenter de peser sur le tempo et la décision des juges.

« Un stade et vite »

« L’été 2004 fut l’été de tous les tourments sur le forum du site non officiel du LOSC www.allezlelosc.com (transferts, interrogations diverses sur la politique du club …), jusqu’au jour ou plusieurs internautes firent la remarque que les travaux à Grimonprez-Jooris n’avaient toujours pas démarré. En effet, suite à un recours suspensif déposé par deux associations (Renaissance du Lille Ancien et Sauvons le site de la Citadelle de Lille ) devant le Tribunal administratif le 9 juillet 2004, le projet était remis en cause.
Dès lors, grâce notamment à l’initiative et à la persévérance de deux supporteurs internautes Luc Firome (dit lucdelil) et Maxime Parent (dit pmixx), une action va se mettre en marche. Elle va tout d’abord se concrétiser par une manifestation le 25 septembre 2004 sur la Grand Place de Lille qui réunira 800 personnes. À partir de ce moment, le mouvement « Un stade et vite… » était né. Son but : « Faire entendre la voix des supporteurs et avoir dans les plus brefs délais un stade dédié 100 % au football et bien sûr au LOSC Lille METROPOLE ».
Bientôt suivi par l’ensemble des supporteurs, le collectif « Un stade et vite… », veut frapper fort et se faire entendre tout en restant pacifiste et apolitique. Une pétition commence à circuler dès la mi-septembre et permet de recueillir rapidement quelques milliers de signatures. Dès lors, l’ensemble des médias locaux puis nationaux s’intéresse aux problèmes du LOSC et de ses supporteurs (Métro, 20 Minutes, Lille Plus, Voix du Nord, L’Équipe, Nord Éclair, FF, France 3, RTL, RMC, Europe 1, M6, …).
Puis la pétition est mise en ligne par un autre forumiste (Jaunalgi) et circule dans tous les lieux publics. Elle est envoyée sur tous les forums des clubs de football français (voire même étrangers) afin de sensibiliser le public au problème. C’est ainsi que 14 040 signatures seront récoltées et remises par Luc Firome au président du LOSC lors du match Lille-Bastia du 16 Octobre 2004. »[71]

45En investissant l’espace public (affiches, pancartes, autocollants, site internet…) et en déployant des banderoles lors des matchs, les membres du collectif entendent également montrer que les opposants au stade ne sont pas les seuls à pouvoir mobiliser. Ils sont discrètement soutenus par les responsables du PS qui encouragent leurs adhérents à signer leur pétition et par les dirigeants du club [72]. Avec des tonalités différentes, les élus lillois et les supporteurs développent une même argumentation pour stigmatiser les opposants à l’extension du stade : il s’agit de « bourgeois anti-foot » passéistes, hostiles à la culture populaire et soucieux de préserver leur entre-soi, voire, de préserver la valeur de leurs biens immobiliers. Ainsi, ce qui s’apparentait davantage à un scandale devient progressivement une affaire au sens d’Élisabeth Claverie, qui qualifie de la sorte les situations où la dénonciation cesse d’être quasi-unanime et où les accusateurs deviennent eux-mêmes accusés [73]. Plutôt qu’endosser ce stigmate, ces derniers le récusent et choisissent de s’abstenir de remettre en cause la nécessité d’un nouveau stade et de reprendre à leur compte les arguments passés des dirigeants quant à l’inadéquation de ce dernier avec la volonté de bâtir un grand club européen.

46On ne peut exclure que la mobilisation des supporteurs et les déclarations publiques de Martine Aubry et de Pierre Mauroy, répétant à l’envi qu’il n’y avait pas d’autres solutions, et celles de M. Seydoux, menaçant d’abandonner le club si le projet était annulé, largement relayés par les médias régionaux, aient fini par peser sur les juges [74]. En effet, le 16 décembre 2004, une majorité d’entre eux refusent de suivre les conclusions du commissaire du gouvernement prônant l’annulation du permis [75], tout en décidant, comme par compensation, d’annuler pour vice de forme le vote de la communauté urbaine portant transfert de propriété du stade Grimonprez-Jooris [76], obligeant celle-ci à procéder à un nouveau vote, lequel sera organisé le 28 janvier 2005. Au total ce n’en est pas moins une victoire pour les supporteurs et les élus lillois qui, pour fêter l’événement, invitent les premiers à une retransmission d’un match du LOSC sur grand écran à l’hôtel de Ville (voir encadré). Cette initiative manifeste la collusion entre l’équipe municipale et les supporteurs du LOSC et l’enrôlement de ces derniers par le maire de Lille qui arbore pour l’occasion, tout comme ses principaux adjoints et Pierre Mauroy, une écharpe aux couleurs du club. À cette occasion, elle se félicite de la « grande victoire de l’intérêt général sur les intérêts particuliers » et brandit la menace d’une action en justice contre les associations pour « recours abusif ».

« On a gagné ! »

« Dès le rendu du verdict du tribunal administratif, Martine Aubry a pris l’initiative d’inviter les Lillois à suivre la rencontre Ajaccio-Lille diffusée sur écran géant à l’hôtel de ville le samedi suivant. Le maire a été relayé par le collectif « Un stade et vite ! » à l’origine de la pétition de soutien à Grimonprez-Jooris II, qui a appelé les supporteurs à faire symboliquement à pied et en chantant le trajet entre le stade et la mairie. Regroupés derrière une banderole, ils étaient près de 500 à se rendre en cortège jusqu’au grand carré de l’hôtel de ville où les attendaient Martine Aubry, Pierre Mauroy et de nombreux élus. D’autres amateurs de foot les ont rejoints jusqu’au début du match. Ambiance bon enfant à la mairie qui avait installé une friterie et offrait des boissons. Des dizaines d’écharpes brandies fièrement, des acclamations, des “merci Martine” ou “Martine avec nous !” ont ponctué les discours du maire, du président de Lille Métropole et du président des supporteurs, Luc Firome. Applaudissements également après les interventions par téléphone depuis la Corse de Michel Seydoux et de son entraineur Claude Puel. »
Extrait du journal municipal Lille magazine, n° 23, janvier 2005, p. 27.

47Sûre de son succès, Martine Aubry accorde quelques jours plus tard une grande interview à L’Équipe, titrée « Je veux un grand club ». Elle y justifie d’abord son choix : « Pour moi, le foot, c’est notre culture. Une ville qui ignore ses racines ne se construit pas. Et pour moi le LOSC fait partie des racines de Lille. […] Il n’y a pas une grande métropole qui n’a pas une grande équipe de foot. » Elle félicite ensuite les supporteurs qui « nous ont beaucoup aidés pour le stade ». Enfin elle s’immisce dans la politique du club en critiquant vertement Francis Graille et Luc Dayan pour avoir « vidé les caisses », et interpelle Michel Seydoux sur sa politique de recrutement (« S’il laisse partir Bodmer à la fin de la saison, c’est un scandale »), en l’avertissant : « Maintenant qu’on a cet outil public (le nouveau stade), l’opinion publique peut peser sur les actionnaires qui vendent des joueurs, qui n’achètent plus rien. […] Les dirigeants sauront qu’on a l’opinion avec nous, pour qu’ils ne se laissent pas aller à s’en mettre plein les poches [77]. »

48L’enrôlement des supporteurs et l’immixtion dans la politique du club qu’opère Martine Aubry va vite se retourner contre elle. L’annonce, par les associations opposées à l’agrandissement, de leur intention de faire appel de la décision du tribunal administratif refroidit l’enthousiasme des supporteurs, d’autant que dès le 11 février 2005, la Cour d’appel de Douai interdit le démarrage des travaux. La décision de la Ville de Lille et de la Communauté urbaine de faire appel de ce jugement devant le Conseil d’État, prise après avoir sondé les représentants des supporteurs [78], et la suite favorable qui lui est donnée en avril, ne font pas disparaître les doutes car au fur et à mesure la liste des motifs d’annulation évoqués par les différents rapporteurs s’allonge. Beaucoup des messages postés sur le site « Allez le LOSC » témoignent de ces doutes et critiques grandissantes à l’encontre des responsables politiques, à l’exemple des trois messages suivants du 11 et 12 février 2005 qui émanent de supporteurs vivant, pour les deux premiers, en Île-de-France, pour le troisième en Suisse :

49

« En faisant un pourvoi en cassation, la mairie sait parfaitement qu’elle va à l’échec sur la décision du jour, c’est uniquement une astuce pour calmer la colère des supporteurs. Je ne comprends toujours pas l’intérêt de la part de la Mairie de Lille d’avoir organisé un show à l’américaine (la conférence de presse avec les élus décorés aux couleurs du LOSC) et une régalade des supporteurs (bières et match sur écran géant) alors que les décisions d’aujourd’hui (appel suspensif, conseil d’état) étaient fortement envisageables à l’époque. Un litige se gagne rarement en 1re instance. Pourquoi tout ce “cirque” en décembre ? de l’incompétence ? de l’inconscience ? ou coup de bluff pour essayer d’impressionner les assos anti-GJ ? les 3 peut-être. »

50

« Çà fait depuis pas mal d’années que la mairie nous promet ce stade. Et là, alors qu’elle savait qu’il y avait des associations très bien organisées, elle ne bétonne pas son dossier. De plus, Aubry n’avait-elle pas déclaré que la mairie attaquerait les associations pour recours abusif ? Foutaise… Tout çà coûte cher à la ville mais risque aussi de coûter cher en termes d’avenir du LOSC ! Moi je dis qu’il faut rester INDÉPENDANT de la mairie. Mettre une écharpe du LOSC par démagogie ne veut pas dire que la mairie supporte le LOSC. D’ailleurs Seydoux avait d’autres ambitions… Et Aubry l’a envoyé balader. Ça en dit long sur son engouement pour le foot. C’est sûr que LILLE 2004 c’est mieux pour elle… Bref on est bien mal barré cette fois. Ma position est celle-ci. J’aurais aimé GJII mais si c’est impossible alors que tout le monde se réunisse et étudie un autre site. Mieux vaut un stade que pas du tout ! Il y a urgence ! »

51

« Désolé mais sur ce coup-là, la mairie et son équipe s’en tamponne le coquillard mais alors… velu… les gars, il faut se réveiller sur ce coup là ! Le dossier du stade, c’est le cadet des soucis de ces incapables… pour le moment, ils sont en train de se partager le magot des retombées médiatiques de LILLE 2004 et que la ville soit dotée d’un stade digne de ce nom est vraiment inintéressant pour leur futur proche. Si seulement le club pouvait gagner quelque chose cette année et vous les verriez tous rappliquer devant les médias avec l’écharpe du club sur l’épaule alors qu’ils ne vont jamais au stade ! ! (et encore, ils sont invités, paradent avec tout le monde alors qu’ils ne sauraient même pas quelle équipe sur le terrain est la lilloise ! ! ! !). Moi, si j’habitais encore la région, lors des élections, je ne voterai pas pour eux ! ! »

52De leur côté, les supporteurs qui continuent de soutenir le projet municipal le font de plus en plus au nom d’arguments réalistes :

53

« On soutient GJ2 car on sait qu’on aura pas mieux mais c’est vrai qu’un stade sur un autre site aurait été plus “logique”… Mais comme c’est GJ2 ou rien, défendons le projet actuel de toutes nos forces… »
(site « Allez le LOSC », 26 février 2005)

54Des fissures apparaissent également du côté des élus. Le 12 février 2005, tandis que la Ville de Lille annonce qu’elle se pourvoit en cassation, Marc-Philippe Daubresse, premier vice-président de LMCU, ministre délégué au Logement, prend position pour un autre site et annonce qu’il se fait fort de trouver des crédits d’État pour la construction d’un nouveau stade pourvu que celui-ci se situe dans une zone prioritaire de la politique de la Ville. De son côté, le président du LOSC réclame qu’on travaille sans tarder à une solution alternative, une prise de position qui rompt l’alliance conclue avec la mairie un an et demi plus tôt. Plus que jamais la question du stade alimente les tribunes de la presse régionale et polarise le débat politique. Entre février et juillet 2005, le premier quotidien régional, Voix du Nord lui consacrera pas moins de quatorze « unes » et commanditera même un sondage sur le sujet qui révèlera que 44 % des métropolitains et 57 % des Lillois interrogés s’intéressent au débat [79].

55La politisation est maximale après le jugement de fond de la Cour d’appel de Douai qui annule le permis de construire début juillet. Ce jugement décrédibilise définitivement la parole de la maire de Lille qui concentre d’autant plus les critiques qu’elle décide de faire appel de la décision devant le Conseil d’État, contre l’avis Pierre Mauroy, lequel se rallie contraint et forcé à cette initiative tout en annonçant la reprise des études sur les sites alternatifs [80]. Pour imposer l’abandon de la solution GJ2, les dirigeants du club entrent alors en conflit ouvert avec les autorités politiques : le jour du jugement, Michel Seydoux prend position pour un « Stadium bis », c’est-à-dire pour un stade jouxtant le Stadium Nord où joue désormais le LOSC, dans le cadre d’un partenariat public-privé. Les élus de l’opposition multiplient de leur côté des propositions alternatives. Face à l’obstination de Martine Aubry de freiner la recherche d’une solution alternative, les responsables du club multiplient les menaces et les provocations. Dans une interview au Monde, l’entraîneur Claude Puel, jusqu’ici plutôt réservé, déclare :

56

« On nous a menés en bateau sur la question du nouveau stade. Visiblement, le football n’est pas assez important à Lille pour que l’on ait envie de le développer, mais il semble toutefois intéressant pour faire l’objet de querelles politiques au sein des collectivités. […] Il faut d’urgence un consensus fort autour du club, et mener une réflexion de fond sur ce que pourrait apporter un grand club de football à la troisième métropole de France, en termes de notoriété, de retombées économiques. […] Il faut se positionner très vite sur la construction ferme et définitive d’un nouveau stade. L’idéal serait peut-être à Villeneuve-d’Ascq, juste à côté du Stadium Nord, puisque le terrain appartient à la communauté urbaine et que les autorisations seraient plus rapides à obtenir. Il y a d’autres projets, mais il faut des actes. […] Dans trois ans, il nous faut un stade [81]. »

57Réponse du berger à la bergère, la municipalité tente de s’opposer juridiquement à la prise du contrôle de la marque « LOSC » par le club [82]. Dans ce contexte, les dirigeants du LOSC, forts des succès de leur équipe qui a terminé à une brillante deuxième place et décroché sa qualification pour la Ligue des champions et qui se voit contrainte, faute de stade homologué, de jouer au Stade de France, lancent, le 27 septembre, une campagne publicitaire sans précédent confiée à l’agence Publicis. La presse, régionale et nationale (L’Équipe, Le Monde, Libération, Le Figaro), publie une pleine page figurant un panneau d’entrée de la ville de Lille avec en dessous deux panneaux barrés symbolisant un ballon de foot pour l’un et un drapeau de l’Union européenne pour l’autre. Justifiant ce coup, Michel Seydoux déclare que « Grimonprez-Jooris II est mort né, quelle que soit la décision du Conseil d’État ». Il attaque nommément Martine Aubry : « Que souhaite-t-elle ? Que je m’en aille, pour placer un employé municipal qu’elle pourra diriger. Elle pense que le LOSC appartient encore à la mairie » et lance un ultimatum : « Si aucune réponse n’intervient dans les semaines qui viennent, nous serons contraints de prendre des décisions irréversibles » et de ne pas exclure de construire un stade en dehors du périmètre de la Communauté urbaine [83]. Ce coup est vécu comme une transgression par les acteurs politiques locaux, une « remise en cause de leur autorité politique » selon les mots mêmes de Pierre Mauroy qui sort de sa réserve lors du conseil de communauté du 13 octobre 2005 :

58

« “Jamais quelqu’un ne s’est permis de mettre en cause une autorité politique comme elle a été mise en cause ! Jamais !”, fulmine un Pierre Mauroy rouge de colère. “C’est une injustice incroyable !” Et l’ancien maire de Lille de puiser dans ses souvenirs sous le beffroi. “Qu’est-ce qu’on a dépensé pour le LOSC… Ah ! Les fins de mois du LOSC, qui voulait acheter des joueurs mais qui n’avait pas d’argent.” Dans son élan, le président de LMCU va jusqu’à confier à une assemblée hilare que l’urgence l’obligea plusieurs fois à signer le chèque d’abord, et à le soumettre au conseil ensuite… “À cette époque, on avait un LOSC en deuxième division et des millions qui montaient en première [84] !” »

59La perte de patience de Pierre Mauroy est d’autant plus grande que les supporteurs se déchainent contre Martine Aubry et, dans une moindre mesure, contre lui, sur leur site internet mais aussi dans les tribunes où ils brandissent, par pancartes et banderoles interposées, la menace d’utiliser leur bulletin de vote lors des prochaines municipales. Reprenant la symbolique utilisée par l’affiche publicitaire du LOSC, ils introduisent l’effigie de Martine Aubry au milieu d’un cercle barré. Les supporteurs accusent les élus de les avoir instrumentalisés et trompés.

Banderole déployée lors des matchs du LOSC à l’automne 2005

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Banderole déployée lors des matchs du LOSC à l’automne 2005

e – Épilogue : Retour du consensus au prix fort

60En cet automne 2005, le consensus autour du projet « GJ2 » a donc bel et bien volé en éclats. La menace visant à faire croire que « ce sera GJ2 ou rien » n’est plus crédible, comme finit par l’admettre elle-même Martine Aubry avant même le verdict final du Conseil d’État [85]. Les contraintes découlant des règles régissant l’institution communautaire, co-gérée par la droite et la gauche, et de l’alliance politique entre le maire de Lille et le président de la communauté urbaine ne suffisent plus à souder les acteurs politiques autour de cette ligne. Désavoués par la justice, pris entre les feux croisés des dirigeants et des supporteurs et des associations de défense du patrimoine et l’environnement, les défenseurs du projet ont perdu tout crédit. Face à la mise en péril du « consensus communautaire » et de son autorité, Pierre Mauroy se voit contraint pour maintenir sa position arbitrale de se désolidariser de Martine Aubry et d’accélérer la recherche d’une solution alternative.

61Cette situation de crise remet en cause toutes les justifications mais aussi toutes les croyances qui avaient conduit à adopter la solution GJ2. Elle contraint les acteurs à improviser dans l’urgence. Les règles de fonctionnement habituelles de l’institution communautaire fondées sur le donnant-donnant sont brisées. Pour calmer la colère des supporteurs, vent debout contre le manque de confort du Stadium, Pierre Mauroy promet que des crédits seront engagés pour la couverture des tribunes [86]. Surtout, il met en place une commission chargée d’examiner des solutions alternatives où sont représentés tous les présidents de groupe mais également les dirigeants du club et des représentants des supporteurs. La présidence en est confiée à Michelle Demessine [87]. Pour la première fois, un projet intercommunal de grande ampleur échappe au seul contrôle des seuls élus et fait l’objet d’une attention médiatique exceptionnelle. L’absence de disponibilités foncières, les marges financières restreintes de l’institution, les difficultés juridiques du partenariat public-privé ne sont subitement plus présentées comme des obstacles. Tout se passe comme s’il fallait en priorité et au plus vite laver l’humiliation et sauver le consensus communautaire : un stade vite, à n’importe quel prix !

62Cette désectorisation du problème produit une situation de surenchère dont vont profiter les dirigeants du LOSC [88]. Associés à la décision, ces derniers obtiennent très vite l’accord des élus sur le principe d’un nouveau stade d’au moins 40 000 places et d’un partenariat public-privé [89]. Ils sont suivis en cela par le président de la Chambre de commerce, Bruno Bonduelle, et par de nombreux élus d’opposition qui voient dans ce dernier dispositif une façon d’éviter d’augmenter les impôts et l’endettement. Cependant, la localisation de l’équipement nourrit un débat très vif à propos duquel les élus ne sont pas les seuls à intervenir. Le président de la Chambre de commerce de Lille y prend une part active, en plaidant pour un grand stade structurant, proche de l’aéroport de Lille, au sud de Lille, une option à laquelle se rallie le groupe GADEC de la communauté urbaine mais que fustigent les Verts qui stigmatisent un stade inaccessible en transport en commun. Pour leur part, les représentants des grandes villes de la métropole, s’y opposent farouchement ne voulant en aucun cas d’une nouvelle zone commerciale concurrente de celle de leur territoire respectif. Éric Quiquet, leader des Verts à la mairie de Lille et à la communauté urbaine, le dit sans ambages dans la presse : « À Lesquin, le problème n’est pas le stade lui-même, mais ce qu’on veut faire autour. […] Je ne vois pas Pierre Mauroy accepter un projet qui va fragiliser les centres-villes de Roubaix et de Tourcoing. Nous nous battons face à l’attractivité d’autres territoires, nous n’allons pas organiser notre propre concurrence… » [90] Les élus lillois du centre et de l’UMP, mais aussi les Verts et l’adjoint lillois au logement, le socialiste Alain Cacheux, plaident de leur côté pour un stade en ville dans le quartier défavorisé en rénovation de Lille-Sud, une solution qui a l’inconvénient de ne pas permettre l’implantation connexe d’activités commerciales permettant à d’éventuels financeurs privés d’opérer un rapide retour sur investissement.

63L’anticipation des risques de protestation des riverains, les contraintes découlant du schéma commercial de la métropole adopté en 2003, le souci de tenir des délais de livraison raisonnables pour éviter le mécontentement des supporteurs et limiter le manque à gagner du LOSC en termes de recette, vont largement conditionner le choix du site retenu en mars 2006 à une écrasante majorité (85 %) : le site dit de la « Borne de l’espoir » à cheval sur les communes de Lezennes et de Villeneuve d’Ascq à l’est de Lille. Celui-ci ne figurait pas dans la liste des sites étudiés en 1999, ni même dans la première liste mentionnée en juillet 2005 par Pierre Mauroy. On peut en déduire qu’il est une solution de compromis, prise sous pression [91], qui permet de concilier l’urgence (le terrain en question appartient déjà à la LMCU et ne nécessite donc aucune procédure d’expropriation), le refus par la majorité des élus de la création d’un nombre trop important de nouveaux commerces tout en permettant d’attirer des investisseurs privés (il jouxte la plus grande zone commerciale de la métropole) et les risques de recours (il est éloigné d’un monument classé et d’une zone d’habitation trop dense [92]).

64Cette décision ne fera pas taire les polémiques publiques qui portent désormais entre les élus sur la taille du stade, le montage financier et le choix du consortium chargé de réaliser l’opération. La localisation est pour sa part contestée par une association de riverains, « Les deux sous du Stade », constituée à Lezennes en 2007 et qui dénonce également, son coût, mettant en difficulté les maires des villes concernées à l’approche des municipales de 2008. Elle déposera en 2010 un recours contre le permis de construire. Les grandes surfaces avoisinantes vont également protester contre un projet synonyme pour elles de manque à gagner, tout comme l’association Nord-Nature qui dénoncera l’utilisation de terres radioactives pour boucher les nombreuses catiches du terrain. Les Verts ne cesseront de vitupérer contre un choix précipité et exorbitant ; ils en feront un thème de leur campagne municipale partout où ils seront présents lors des municipales de 2008. Les supporteurs et les dirigeants du LOSC, beaucoup plus discrets, continuent pour leur part de faire pression sur les élus communautaires pour que le projet ne soit pas retardé. Le football continuera ainsi d’occuper l’agenda politique local. Ce n’en est pas moins en toute discrétion que se déroulent les longues négociations sur les modalités de financement et le montage juridique du projet de mars 2006 à fin 2009. Le choix de l’opérateur fait notamment l’objet de tractations discrètes qui débouchent sur la sélection surprise d’un outsider, le groupe Eiffage, approuvé par 84 % des voix [93]. Le coût de ce choix pour LMCU est estimé à 14 millions d’euros par an pendant 31 ans contre 10,2 millions pour le projet porté par le groupe Bouygues. Pour atténuer les critiques, Martine Aubry, qui remplace par Pierre Mauroy à la tête de LMCU en 2008, tout en reprenant à son compte un projet dont elle avait largement été exclue, rouvre les négociations pour tenter de faire baisser la facture. Elle s’emploie à obtenir des financements complémentaires du Conseil régional (45 millions d’euros), du Conseil général (pour les travaux d’aménagement routier nécessaire) et de l’État dans le cadre de la candidature française pour l’organisation de l’Euro 2016 et à renégocier avec le consortium privé le partage des bénéfices. Les coûts d’aménagement routiers aux abords du stade sont également réduits [94]. C’est donc dans un contexte de « congratulation générale », comme le titre la presse régionale, que le chantier du stade peut enfin être inauguré en septembre 2008 devant un parterre de 450 invités, dont de nombreux dignitaires du sport français [95]. Oubliées les querelles qui ont alimenté pendant près d’une décennie l’espace public local. Les représentants du monde du sport, du monde politique et du monde économique affichent leur unanimité et célèbrent les vertus du sport en général et du football en particulier. Lyrique, Martine Aubry, célèbre un stade qui « va être unique, plus unique que les autres ne le sont, et d’abord parce qu’il est beau. Il sera magnifique, polyvalent, sécurisé, confortable et extrêmement accessible. » Pour le maire de Lille, ce « projet d’importance, comme l’arrivée du TGV », offrira « un écrin au LOSC », mais est aussi « conçu pour être un lieu de vie, où les femmes et les hommes se rencontrent », « un site touristique comme le Stade de France ». En janvier 2011, les dernières ombres qui pèsent sur la réalisation du stade disparaîtront définitivement après que les juges eurent repoussé les différents recours contre le permis de construire. Le football et son stade peuvent ainsi s’effacer en douceur de l’agenda politique en laissant au contribuable une facture considérable, impossible à chiffrer avec précision, faute d’informations précises sur les pénalités versées aux entreprises engagées dans le projet GJ2, mais aussi compte tenu des aléas pesant sur le montant réel de la redevance que LMCU devra acquitter au consortium chargé de gérer le grand stade. Cette facture en tout état de cause dépasse les 400 millions d’euros et lie le sort du LOSC et de Lille Métropole pendant 31 ans.

Conclusion

65Les projets de construction de stade faisant appel à des financements privés portés par certains grands clubs sont souvent présentés comme une manière pour leurs dirigeants d’anticiper le désengagement des collectivités soumises à la fois à une diminution de leurs capacités financières et à la pression croissante d’une partie des électeurs de moins en moins prêts à accepter que l’argent public subventionne des sociétés privées brassant des centaines de millions d’euros. Le cas lillois montre qu’en pratique les collectivités territoriales demeurent des partenaires indispensables sans lesquelles les actionnaires des clubs ne peuvent pas grand-chose, même si ces derniers disposent de davantage de moyens de pression qu’hier. Confrontées aux critiques d’une partie de leurs électeurs et de certains groupes et à une réduction de leurs marges de manœuvre financières, celles-ci semblent avoir trouvé une double parade : transférer d’une part, la propriété et le financement des équipements vers les établissements intercommunaux, et d’autre part, leur construction et leur gestion à des consortiums privés dans le cadre de partenariats public-privé. Ainsi les acteurs publics locaux peuvent-ils continuer à financer le sport marchand en évitant les pièges d’une politisation de la question, c’est-à-dire en occultant l’ampleur de leur engagement financier qui pourrait donner prise à la controverse. Au total, le cas lillois semble indiquer qu’on assiste davantage à une reconfiguration des relations entre les collectivités et les dirigeants de club qu’à une distanciation.

66La dépolitisation de la question du financement des grands équipements sportifs est facilitée par le cadrage que se voient contraints d’adopter les militants s’opposant à la construction de nouveaux stades. À Lille comme ailleurs en France, ces derniers ne remettent pas en cause leur pertinence mais leur localisation et plus rarement l’ampleur du financement public qui leur est consacré. Ils le font partiellement à raison des motivations qui les amènent à s’engager (défendre leur cadre de vie proche) mais aussi pour des raisons tactiques : éviter de provoquer la réaction hostile de supporteurs qui disposent de ressources d’autant plus importantes qu’ils sont souvent aidés par les clubs qu’ils soutiennent et qui peuvent aisément rendre visible leur mécontentement lors de la retransmission des matchs. Au total, la politisation du football n’apparaît donc que très fugace. La remise en cause de l’opportunité de la construction ou de la rénovation de tel ou tel stade semble condamnée, pour être efficace, à ne jamais déboucher sur une remise en cause du financement public des stades en général.


Mots-clés éditeurs : politique locale, Lille, politisation, football, mobilisation collective, mise à l'agenda

Date de mise en ligne : 29/01/2013

https://doi.org/10.3917/rsss.005.0193

Notes

  • [*]
    Professeur de science politique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, CRPS – Centre de recherches politiques de la Sorbonne (UMR 8057).
  • [1]
    Defrance J., 2000. « La politique de l’apolitisme. Sur l’autonomisation du champ sportif », Politix. Revue des sciences sociales du politique, n° 50, p. 13.
  • [2]
    Ibid., p. 25.
  • [3]
    Cf., Callède, Jean-Paul. 2002. « Les politiques du sport », L’Année sociologique, vol. XLII, n° 2, p. 437-457.
  • [4]
    Cf. Wahl, Alfred. 1990. « Le mai 68 des footballeurs français », Vingtième siècle, n° 26, p. 73-82. On peut aussi évoquer le cas de certaines campagnes de boycott des grandes manifestations sportives. Voir sur ce dernier point le récent article de Contamin, Jean-Gabriel ; Le Noé, Olivier. 2010. « La coupe est pleine Videla ! Le Mundial 1978 entre politisation et dépolitisation », Le Mouvement social, n° 230, janvier-mars, p. 27-46.
  • [5]
    Cobb, Roger W. ; Elder, Charles D. 1983 [1972]. Participation in American Politics. The Dynamics of Agenda-Building, Baltimore and London, The Johns Hopkins University Press, p. 85-86. Les deux agendas sont bien entendu en partie liés et Cobb et Elder remarquent notamment que la perception d’un problème comme politique dépendra fréquemment de la capacité à le définir comme ressortissant du domaine de l’action légitime du gouvernement.
  • [6]
    Cf. notamment Brohm, Jean-Marie. 1993. Les meutes sportives. Critique de la domination, Paris, L’Harmattan ; Brohm, Jean-Marie ; Perelman, Marc. 2006. Le football, une peste émotionnelle. La barbarie des stades, Paris, Gallimard, col. « Folio actuel » et Vassort, Patrick. 2002 [1999]. Football et politique. Sociologie historique d’une domination, Paris, L’Harmattan, coll. « Logiques sociales ».
  • [7]
    Cf. Duret, Pascal ; Trabal, Patrick. 2001. Le sport et ses affaires. Une sociologie de la justice de l’épreuve sportive, Paris, Métailié ; Loirand, Gildas. 2001. « De l’avantage de dénoncer l’affairisme sportif », in Basson, Jean-Charles (dir.), Sport et ordre public, Paris, La documentation française, p. 235-249 ; Loirand, Gildas. 2006. « La perversion des valeurs sportives par les forces du marché. Pour une sociologie critique d’une critique sociologique », in Lazuech, Gilles ; Moulévrier, Pascale (dir.), Contributions à une sociologie des conduites économiques, Paris, L’Harmattan, p. 317-329.
  • [8]
    Sur ce point, cf. Dermit-Richard, Nadine. 2002. « Pourquoi interdire ou limiter le financement du sport professionnel par les collectivités locales ? », in Charrier, Dominique ; Durand, Christophe (dir.). Le financement du sport par les collectivités locales. Des ambitions politiques aux choix budgétaires, Actes des Ve Journées « Management du sport », Voiron, Presses universitaires du sport, p. 72-82.
  • [9]
    Revenue au pouvoir, la droite ne se ralliera à cette idée qu’en 2006 sous la pression de la commission européenne.
  • [10]
    « Pour préserver l’éthique sportive et la valeur éducative du sport, il faut préserver aussi la base associative du système. À cet égard, la proposition de loi ne va pas assez loin et nous défendrons des amendements visant à renforcer la place des associations sportives. » AN, débats du 17 juin 1999 ; http://www.assemblee-nationale.fr/11/débats/1998-1999
  • [11]
    « Permettre aux collectivités d’utiliser l’argent du contribuable pour financer le sport professionnel privera le sport amateur – qui en a pourtant bien besoin – des ressources correspondantes », ibid.
  • [12]
    Ibid. On peut rapprocher ces propos du constat dressé par J.-M. Faure et Ch. Suaud : « On pourrait transposer à propos du football les débats qui ont cours sur l’internationalisation ou la mondialisation de l’économie. Toutes choses égales par ailleurs, on trouve une opposition entre les tenants d’un système national qui invoquent les valeurs universelles du sport et ceux qui s’appuient sur la réalité marchande […] pour s’en remettre aux règles du marché mondial, en guise de politique sportive. Les faits montrent que cette opposition est plus idéologique que réelle et que la radicalité des propos qu’elle alimente n’est pas à la hauteur de sa pertinence. » Faure, Jean-Michel ; Suaud, Charles. 1999. Le football professionnel à la française, Paris, PUF, col. « Sociologie d’aujourd’hui », p. 254.
  • [13]
    Concernant le football, la Ville de Strasbourg fait cependant exception. Elle a retiré sa candidature à l’organisation des matchs de la Coupe du Monde de 1998 comme, récemment, à celle de l’Euro 2016, imitée en cela par Nantes.
  • [14]
    Ils ont ainsi obtenu que les travaux déjà engagés soient suspendus pendant un an. Un nouveau permis a été déposé et validé par le Tribunal administratif à la condition expresse que d’importantes indemnités destinées à dédommager les riverains leur soient versées.
  • [15]
    À l’instar d’Adeline Hazan, alors candidate PS déclarée à la mairie pour 2008, qui a apporté son soutien aux supporteurs rémois. http://www.reimsvdt.com/090910delaune.htm
  • [16]
    Sur la notion de « scandale », voir la mise au point de De Blic, Damien ; Lemieux, Cyril. 2005. « Le scandale comme épreuve. Éléments de sociologie pragmatique », Politix. Revue des sciences sociales du politique, n° 71, p. 9-38.
  • [17]
    Les subventions sont, à compter de cette date, limitées aux missions d’intérêt général remplies par les associations adossées aux clubs devenus sociétés anonymes à objet sportif (SAOS) et leur montant global est plafonné en fonction du volume du budget des clubs et de le part qu’y représentent les salaires versés.
  • [18]
    Pierre Favre insiste sur le caractère factice de l’émergence de nombreux problèmes dans l’espace politique, lesquels sont rapidement pris en charge par des « instances de captation » qui les requalifient dans des termes techniques et administratifs. À bien des égards, le financement des grands équipements sportifs relève de cette catégorie. Cet article tente d’en éclairer les raisons. Favre, Pierre. 1992. « L’émergence des problèmes dans le champ politique », in Favre, Pierre (dir.). Sida et politique. Les premiers affrontements (1981-1987), Paris, L’Harmattan, coll. « Dossiers Sciences humaines et sociales », p. 5-37.
  • [19]
    « D’après l’exposé des motifs de la délibération du 10 octobre 2003, donc antérieure au transfert effectif, le coût prévisionnel de l’agrandissement était évalué à 47 860 940 € TTC, non compris le coût d’aménagement des abords évalué à 11 M€ HT. » Rapport de la Chambre régionale des comptes, 2010, p. 7.
  • [20]
    P. Mauroy a commencé sa carrière élective dans son territoire d’origine, le Hainaut-Cambrésis, dans le sud du département du Nord. Il est « parachuté » à Lille en 1971 à l’âge de 43 ans. Nommé premier adjoint, P. Mauroy remplace A. Laurent démissionnaire en avril 1973. Le scénario se reproduira en 1995 lorsque P. Mauroy fera venir à Lille M. Aubry pour, à terme, le remplacer.
  • [21]
    Sur la rivalité entre A. Notebart et P. Mauroy et les enjeux liés à l’aménagement de Villeneuve d’Ascq, cf., Giblin-Delvallet, Béatrice. 1990. La région, territoires politiques. Le Nord-Pas-de-Calais, Paris, Fayard, p. 212-233.
  • [22]
    Sur les luttes d’institutions qui accompagnent la mise en place de la communauté urbaine de Lille, cf., Desage, Fabien. 2005. Le consensus communautaire contre l’intégration intercommunale. Séquences et dynamiques d’institutionnalisation de la communauté urbaine de Lille (1964-2003), thèse pour le doctorat de science politique, Université Lille 2. Sur la notion de leadership territorial, cf., Smith, Andy ; Sorbets, Claude (dir.). 2003. Le leadership politique et les territoires. Les cadres d’analyse en débat, Rennes, Presses universitaires de Rennes.
  • [23]
    Une nouvelle piste d’athlétisme, sans gradins, sera ensuite construite aux abords du stade par l’armée.
  • [24]
    L’évolution des normes en matière d’accueil du public ramènera la capacité du stade dans les années 1990 à 17 000 places.
  • [25]
    En plus du non respect des prescriptions de la commission des sites et de l’architecte des Bâtiments de France, le stade est construit sur une zone définie par le Plan d’occupation des sols de 1973 comme « inconstructible ». En déposant un nouveau permis de construire en 2003 prévoyant d’augmenter la capacité et la hauteur du stade de 15 mètres à 32 mètres, la municipalité s’est d’elle-même exposée à ce que les mêmes arguments soient utilisés par d’éventuels plaignants. De fait, c’est par ces moyens de droit (proximité avec un monument historique, problèmes d’évacuation du public, incompatibilité avec les plans d’urbanisme) que le projet sera invalidé par la justice administrative en 2005.
  • [26]
    Le LOSC draine au cours des années 1970, 9 900 spectateurs en moyenne par match, 8 800 au cours de la décennie 1980 et 8 300 dans les années 1990.
  • [27]
    L’arrêt Bosman de 1995 ne fait que l’accélérer.
  • [28]
    Faure J.-M. ; Suaud C., 1999, p. 129 et sq.
  • [29]
    Le LOSC cumulerait alors un passif de plus de 110 millions de francs que la Ville a accepté de prendre pour moitié à sa charge. Libération, 29.04.1999. « La ville a fait son devoir, allant jusqu’à garantir des emprunts importants, la région a apporté sa contribution. On me demande plus encore. Je réponds : nous ne pouvons aller plus loin », écrit P. Mauroy dans un livre bilan publié quelques mois avant les élections municipales de 1995. Mauroy, Pierre. 1994. Parole de Lillois, Paris, Lieu commun, p. 115.
  • [30]
    Ancien major de l’École supérieure de commerce de Lille, il dirige la filiale régionale de la Compagnie générale de chauffe (groupe CGE).
  • [31]
    Bernard Roman, adjoint aux finances, dauphin désigné de P. Mauroy jusque l’arrivée de M. Aubry, qui supervise le dossier, confirme devant la presse l’urgence de privatiser le club en avril 1999 : « Si le LOSC devait être en D1 dès la saison prochaine, il faut que la privatisation soit faite. En l’état actuel, personne ne pourrait assumer cette remontée. Il nous faudrait un budget de 80 millions de francs ; nous ne les aurons pas tant que l’équipe ne sera pas dans le secteur privé. » Libération, 29.04.1999.
  • [32]
    Le Monde, 15.12.1999.
  • [33]
    Lors du bureau du conseil de la communauté urbaine du 16 novembre 2001 consacré en bonne part au choix du site du futur stade, M. Aubry, nouvelle maire de Lille, indique qu’« il est clair que nous n’aurions pas trouvé de repreneur, il faut bien le dire, si nous ne nous étions pas engagés sur un grand stade […] et tous les repreneurs avaient posé cette condition ». Compte rendu du bureau du conseil de la communauté, 16 novembre 2001, p. 14.
  • [34]
    Durand C. ; Ravenel L., 2002. « Sports professionnels et collectivités locales : la fin d’une époque ? », in Charrier D., Durand C. (dir.), op. cit., p. 91.
  • [35]
    En dépit d’une baisse de la taxe d’habitation décidée en 2000, son taux (21,59 %) reste très supérieur au taux moyen des villes de plus de 100 000 habitants (16,24 %).
  • [36]
    Code général des collectivités territoriales, article L. 5215-20.
  • [37]
    Le transfert sera autorisé par le préfet le 1er janvier 2002 après que tous les conseils municipaux eurent donné leur accord au cours de l’année 2001.
  • [38]
    Quatre sites sont envisagés, tous désormais sur le territoire de Lille depuis que la commune de Lomme a fusionné avec Lille : Hellemmes, l’ancienne gare de triage Saint-Sauveur à Lille, les friches de l’usine métallurgique FivesCail, la zone dite du « Grand but » à Lomme.
  • [39]
    Rappelons que le transfert d’un équipement d’une collectivité à une autre n’est pas un transfert de charge mais au contraire un transfert de patrimoine et doit, en conséquence, être compensé financièrement.
  • [40]
    Compte-rendu du Bureau du conseil de la communauté urbaine de Lille, 16 novembre 2001, p. 11. M. Aubry, au cours de la même réunion, évoquant la situation au moment de la cession du club en 1999, rappelle qu’« à l’époque, la Commission des sites [du ministère de la Culture], comme l’Armée (cela faisait deux oppositions) ne paraissent pas favorables à l’extension » tandis que P. Mauroy affirme qu’à l’époque, il n’envisageait pas une autre solution que le Stadium « même s’il en coûtait davantage d’argent ».
  • [41]
    La décision de déménager une partie du régiment hébergé dans la Citadelle à Douai a facilité cette cession.
  • [42]
    Sur l’importance de cette manifestation dans la stratégie de reconnaissance locale et régionale de M. Aubry, cf. Lefebvre, Rémi. 2004. « La difficile notabilisation de Martine Aubry à Lille. Entre prescriptions de rôles et contraintes d’identité », Politix. Revue des sciences sociales du politique, n° 65, p. 119-146.
  • [43]
    Trente huit millions d’euros contre 70 pour le Stadium et 90 à 150 pour le « grand stade » selon l’étude des services communautaires de 2001.
  • [44]
    Compte-rendu du bureau du conseil de la Communauté urbaine de Lille, 18 juin 2001, p. 13.
  • [45]
    Le candidat de l’UMP, Christian Decocq, est le seul à avoir officiellement affiché lors de sa campagne sa volonté de rénover le stade Grimonprez-Jooris. Quant aux alliés Verts de la majorité, bien que le stade ne soit pas mentionné dans l’accord de gestion passé avec le PS, leur soutien est acquis car ils refusent par principe un équipement situé en périphérie afin de limiter les déplacements automobiles et car ils ont obtenu la garantie qu’en compensation, d’importants crédits soient votés pour rénover le parc de la Citadelle et que la Communauté urbaine développe un nouveau moyen de transport, le tram-train, dont la première ligne devrait longer le site.
  • [46]
    L’absence de la présence de la question du stade dans la campagne électorale est confirmée par un sondage réalisé par l’Institut CSA le 1er février 2001 pour le compte de la presse régionale auprès d’un échantillon de 605 personnes représentatif de la population inscrite sur les listes électorales de Lille. Interrogés sur les enjeux qui détermineront leur vote, le projet d’un stade de football n’est mentionné que par 1 % des répondants sur une liste comptant douze thèmes.
  • [47]
    Pour qu’un équipement sportif devienne « communautaire », il faut un vote préalable de toutes les communes membres de la communauté.
  • [48]
    L’assemblée communautaire compte 170 conseillers représentant 87 communes (1,1 million d’habitants). À la suite des municipales de 2001, la gauche compte 80 élus (60 PS et apparentés, 10 PCF, 10 Verts), le FN 3, 4 sont non inscrits. Sur les 83 conseillers modérés ou de droite, seuls 33 ont une étiquette politique (RPR, UDF ou DL), les 50 autres se retrouvent au GADEC qui se définit comme « apolitique ».
  • [49]
    PV de la séance du conseil de la communauté urbaine de Lille, 16 novembre 2001, p. 9. Dans une interview à L’Équipe le 27 janvier 2001, le directeur sportif du LOSC, Pierre Dréossi ne disait pas autre chose : « Le projet le plus logique à l’heure actuelle est l’agrandissement de Grimonprez-Jooris, avec, d’ici quatre ou cinq ans, un stade ultramoderne ailleurs. »
  • [50]
    Cf., Desage F., 2006. op. cit., et Desage, Fabien. 2009. « Un régime de grande coalition permanente ? Éléments lillois pour une sociologie des “consensus” intercommunaux », Politix. Revue des sciences sociales du politique, n° 88, p. 133-161.
  • [51]
    Présentant la philosophie qui a guidé cette sélection, P. Mauroy reconnaît ce marchandage : « Chacun doit comprendre que chaque année, on amorcera non seulement un grand équipement mais également un équipement pour les villes moyennes et pour les communes plus petites […] afin que chacun puisse y trouver son compte. Ce n’est pas une contrepartie, mais un équilibre, chacun le comprend bien, pour satisfaire l’ensemble des communes de la Communauté urbaine. Par conséquent, si on donne le premier coup de pioche pour Grimonprez-Jooris, on en donnera également un pour le réseau des piscines. » PV du bureau de la communauté urbaine de Lille, 10 octobre 2003.
  • [52]
    Le coût global de la création de places assises, d’un cheminement sécurisé, de l’aménagement d’une salle VIP, d’une cabine abritant le PC sécurité, avec vidéosurveillance, d’une nouvelle sonorisation, d’un éclairage renforcé, de meilleures conditions de travail pour la presse, de places de parking supplémentaires, et de tarifs négociés avec la compagnie de transports Transpole, s’élèvera finalement à 6,7 millions d’euros en 2005.
  • [53]
    De Blic D., Lemieux C., 2005., op. cit., p. 14.
  • [54]
    Le principal quotidien régional, La Voix du Nord, consacre pas moins de cinq articles au projet d’agrandissement dans les jours qui suivent l’annonce de la décision de la commission les 7, 8-9, 11, 16 et 24 septembre.
  • [55]
    Le Monde, 17.09.2002.
  • [56]
    Le Figaro, 19.10.2002.
  • [57]
    Habitant du Vieux-Lille depuis 1994, usager régulier du site en tant que promeneur et jogger, j’ai pris réellement connaissance du projet par la lecture de l’article du Monde précité en septembre 2002. Indigné par l’absence totale d’informations et de débat publics préalables à la décision, ma colère fut à son comble après l’annonce de la décision du ministre de la Culture. Après avoir fait part de mon sentiment à plusieurs personnes de mon entourage, j’ai été informé par une voisine et amie, fin 2002, que certains habitants du quartier que je ne connaissais pas souhaitaient engager une action collective contre le projet. Après un premier contact pris à son magasin avec celui qui allait devenir le président de l’association, Pierre Courmont, je me suis trouvé convié à une première réunion informelle à son domicile réunissant une dizaine de personnes au cours de laquelle a été décidée la création de l’association. Constatant à la fois l’enthousiasme des membres, mais aussi une certaine difficulté à ordonner leurs arguments, j’ai proposé de m’occuper de la communication, ainsi que de la trésorerie. J’ai ainsi exercé jusqu’à la fin de l’affaire (2006) à la fois les tâches de porte-parole et de trésorier. Je n’avais eu jusqu’à cette date aucune implication associative ou politique à Lille.
  • [58]
    M. Seydoux, héritier de la famille Schlumberger et producteur de cinéma a pris une participation minoritaire de 34 % dans la société propriétaire du LOSC, SOCLE, en janvier 2001. Un an plus tard, il accroit sa participation et en devient le président après avoir racheté les parts de F. Graille, lequel engrange au passage de très substantiels bénéfices grâce aux droits télévisuels perçus sur les matchs européens et à la vente des principaux joueurs (Cygan, Cheyrou, Bakari, Ecker…). L. Dayan vendra à son tour ses parts en janvier 2004 à Isidore Partouche et à M. Seydoux qui devient alors l’actionnaire majoritaire du club avec 55 % des parts, 40 % étant détenu par I. Partouche, le PDG des casinos du même nom. M. Seydoux s’engage alors dans une politique de long terme en investissant 20 millions d’euros dans la construction d’un centre de formation et d’entraînement ultramoderne à Luchin.
  • [59]
    Conférence de presse de M. Seydoux, Lille, 23.05.2003.
  • [60]
    La Voix des sports, 03.02.2003.
  • [61]
    Gusfield, Joseph. 2009 [1981]. La culture des problèmes publics. L’alcool au volant : la production d’un ordre symbolique, Paris, Economica, sp. chap. 1.
  • [62]
    Principalement les deux grands quotidiens La Voix du Nord et Nord-Eclair, mais aussi la presse gratuite, 20 minutes-Lille, Métro, France 3 Nord-Pas-de-Calais et France Bleu. La presse nationale généraliste couvre en revanche peu l’événement en 2003, hormis L’Express qui consacre un article favorable à la cause des défenseurs du patrimoine intitulé « C’est Vauban qu’on assassine » dans son édition du 27 février 2003.
  • [63]
    Dans cette interview, C. Puel interpelle directement et violemment les pouvoirs locaux : « Je pose trois questions : 1. Veut-on réellement du football à Lille ? 2. Si oui, à quel niveau ? 3. Dans le cas contraire, est-on prêt à accepter de jouer dans ce que l’on appelle le “ventre mou”, voire même de subir une relégation ? » Il ajoute : « Grimonprez, IL correspond au mieux, à la septième ou à la huitième place. Dès lors, il m’est très difficile de “vendre” le projet lillois à mes joueurs ou à des recrues potentielles. Sincèrement, je ne comprends pas qu’on ne puisse pas construire un stade pouvant s’inscrire dans une optique européenne ! » La Voix du Nord, 22.05.2003.
  • [64]
    On s’inspire ici de la définition de Jacques Lagroye, pour qui la « politisation est une requalification des activités sociales les plus diverses qui résulte d’un accord pratique des agents sociaux enclins, pour de multiples raisons, à transgresser ou à remettre en cause la différenciation des espaces d’activités ». Si les acteurs politiques ne contrôlent pas ce processus de requalification, ils y jouent un rôle essentiel dans la mesure où ils peuvent s’y prêter activement ou tenter d’y résister. Une des stratégies classiques dont ils disposent pour « dépolitiser » un problème est de le soustraire au regard du public et de le qualifier de « technique ». Lagroye, Jacques (dir.). 2003. La politisation, Paris, Belin, coll. « Socio-histoires », p. 360.
  • [65]
    Dès décembre 2002, le secrétaire général de l’UMP du Nord, Thierry Lazaro, député UMP de la 6e circonscription, avait d’ailleurs été le premier à dénoncer l’« erreur » que constitue « l’extension du stade Grimonprez-Jooris » mais, significativement, il n’est pas élu dans la communauté urbaine et n’est donc pas tenu par l’accord de gestion passé entre P. Mauroy et M.-Ph. Daubresse. La Voix du Nord, 24.12.2002.
  • [66]
    « La folle semaine du LOSC », La Voix du Nord, 7 juin 2003.
  • [67]
    Preuve de l’importance de cet enjeu pour le club, la municipalité s’efforcera de s’y opposer juridiquement un an plus tard au moment même où celui-ci cessera de nouveau de soutenir le projet « GJ 2 ».
  • [68]
    Les mauvaises conditions de confort du Stadium, dont une partie des gradins ne sont pas couverts et dont la piste d’athlétisme altère la bonne visibilité des rencontres, contribueront à partir de l’été 2004 à alimenter l’impatience des supporteurs.
  • [69]
    « Duel de repreneurs pour un Lille en beauté. La ville doit privatiser le LOSC avant janvier », Libération, 27.11.1999.
  • [70]
    Bondue, Jean-Pierre. 1987. « Le développement des hypermarchés dans le Nord-Pas-de-Calais : un défi à l’aménagement urbain et régional », Hommes et terres du Nord, n° 1, p. 11-18. L’affaiblissement du commerce de centre-ville a été particulièrement important à Roubaix, qui, sur la seule décennie 1990, a perdu plus de 30 000 m2 de surfaces commerciales. Paris, Didier ; Stevens, Jean-François. 2000. Lille et sa région urbaine. La bifurcation métropolitaine, Paris, L’Harmattan, coll. « Géographies en liberté », p. 79-82 et p. 211-217.
  • [71]
    Extrait du site « Un stade et vite ».
  • [72]
    Entretien avec un militant du PS, par ailleurs haut fonctionnaire au Conseil général du Nord.
  • [73]
    Claverie, Élisabeth. 1998. « La naissance d’une forme politique : l’affaire du Chevalier de la Barre », in Roussin, Philippe (dir.), Critique et affaires de blasphème à l’époque des Lumières, Paris, Honoré Champion, p. 185-260. Pour une application de cette opposition analytique au monde du sport, cf., Duret P., Trabal P., 2001. op. cit.
  • [74]
    P. Mauroy reconnait lui-même après le verdict : « C’est vrai, j’ai fait pression. Je devais prévenir tout le monde, même les juges que j’ai toujours respectés, que je n’avais pas de solution de rechange. » La Voix du Nord, 17.12.2004.
  • [75]
    Le commissaire du gouvernement a retenu deux motifs d’annulation : l’insuffisance de places de stationnement et les difficultés d’accès au stade. Saisie en référé, le 11 février 2005, la Cour d’appel de Douai décide d’interdire le démarrage des travaux en invoquant trois « doutes sérieux » différents : des modifications substantielles du projet final par rapport à celui présenté lors de l’enquête publique, le non respect du Plan d’occupation des sols (celui-ci limite à 13m50 les constructions sur le site alors que le stade culmine à 29m), et l’incompatibilité du stade avec le monument historique. Ce sont ces deux moyens qui conduiront à l’annulation définitive du permis de construire en juillet 2005, un jugement que validera le Conseil d’État en décembre de la même année.
  • [76]
    Au motif que le pourcentage des deux tiers de vote favorables a été comptabilisé en en prenant pas en compte les élus n’ayant pas pris part au vote.
  • [77]
    L’Équipe, 27.12.2004.
  • [78]
    Une réunion d’information à huis clos s’est tenue en mairie de Lille le 16 février 2005 avec les supporteurs à la suite de laquelle l’un de leurs porte-parole, Luc Firome, indique que « Pour la mairie, c’est Gimonprez-Jooris II ou rien, il n’y aura pas d’alternative », mais que pour sa part si cela reste la priorité n° 1, il espère voir envisager d’autres solutions. La Voix du Nord, 17.02.2005.
  • [79]
    Ce sondage réalisé auprès de seulement 301 individus a été publié dans La Voix du Nord, le 10.03.2005. Il fait apparaître une opinion clivée : 32 % considèrent que la suspension des travaux par la justice est une bonne chose, 39 % qu’elle est une mauvaise chose, 29 % n’ont pas d’avis.
  • [80]
    Le 12 juillet, « dans l’impossibilité d’estimer les délais dans lesquels le Conseil d’État se prononcera », le bureau de la communauté urbaine publie un communiqué annonçant que « l’agence de développement et d’urbanisme sera chargée d’étudier et d’évaluer la qualité des sites alternatifs » et « d’approfondir les conditions dans lesquelles pourrait être envisagé un montage public/privé pour financer le nouveau stade ». Lors de la même réunion, P. Mauroy s’en prend au « terrorisme lillois » pour stigmatiser l’entêtement de M. Aubry. « À Lille, le projet de grand stade sème la zizanie », Le Monde, 25.07.2005.
  • [81]
    Le Monde, 02.08.2005.
  • [82]
    La Voix du Nord, 02.07.2005 et 05.10.2005.
  • [83]
    « Michel Seydoux toujours au stade de la menace », La Voix du Nord, 28.09.2005. Les journalistes sportifs prennent fait et cause pour M. Seydoux, tel le populaire chroniqueur de RTL Eugène Sacomano qui, dans TV Mag, le 28 octobre 2005, la veille de la rencontre Lille-Manchester au Stade de France, publie une tribune intitulée : « Vite un stade pour Lille ! » France-Football, de son côté, consacre un long article de synthèse à l’affaire sous le titre : « Lille SDF » (23.08.2005)
  • [84]
    « Grand Stade : récit d’une colère annoncée », La Voix du Nord, 14.10.2005.
  • [85]
    « Martine Aubry “estomaquée” », La Voix du Nord, 07.10.2005.
  • [86]
    15 millions d’euros de crédits seront votés en février 2006 pour couvrir deux tribunes du Stadium. Pour convaincre les conseillers communautaires dont beaucoup dénoncent ce coût « disproportionné », P. Mauroy confie : « Nous devons remonter la pente pour la population. » Il promet « l’impatience grandissante » de la foule si la chose n’était pas adoptée. « Et si vous envoyez un pétard comme ça aux supporteurs du LOSC, vous allez dynamiter la décision du 17 mars », devant adopter le site du nouveau stade. La Voix du Nord, 11.02.2006.
  • [87]
    Elle se réunira à cinq reprises entre novembre 2005 et février 2006.
  • [88]
    On s’inspire ici très librement des catégories proposées par M. Dobry pour penser les situations de crise politique. Dobry, Michel. 1986. Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles, Paris, Presses de la FNSP.
  • [89]
    La reconstruction du Stadium Nord, envisagée comme la solution alternative la plus crédible jusqu’en 2004 et où 21,7 millions de travaux ont été réalisés depuis 2005 est désormais impossible, le LOSC se retrouvant sinon sans stade. Pas question, en effet, d’un retour à Grimonprez-Jooris. Sa mise aux normes de la LNF supposerait l’obtention d’un permis de construire que, compte tenu des décisions de justice en cours, personne n’envisage plus possible.
  • [90]
    La Voix du Nord, 07.02.2006.
  • [91]
    Cette pression est entretenue par le LOSC dont les dirigeants font de nouveau paraître un encart publicitaire dans la presse régionale la veille du vote de la communauté urbaine destiné à choisir le site du grand stade intitulé : « Le 17 mars, date capitale pour l’avenir du LOSC ! » On peut y lire : « Choisir un site ce n’est pas choisir un stade. » « Nous attendons que les débats du Conseil de Lille Métropole Communauté urbaine évoquent les caractéristiques du futur Grand Stade et que les élus affichent leur choix pour une véritable ambition : un Grand stade couvert de 50 000 places ; un vote de LMCU lors du dernier conseil de l’année 2006 pour une inauguration fin de saison 2008-2009. Ce qui est possible ailleurs doit l’être à Lille ! »
  • [92]
    C’est la raison pour laquelle très vite, la perspective de construire un nouveau stade près du Stadium de Villeneuve d’Ascq, proposée par M. Seydoux, est abandonnée car jugée trop proche du château de Flers.
  • [93]
    Le projet du groupe Eiffage est choisi contre celui porté par Bouygues en dépit d’un coût nettement supérieur au seuil maximal fixé par certains élus, en particulier les représentants des petites communes de l’ex-GADEC (rebaptisé Métropole Passions communes). Les conditions de ce choix feront l’objet d’une plainte par Éric Darques un citoyen membre fondateur de l’association Anticor, créée en 2002 sous l’égide du juge Éric Halphen, pour infraction au code des marchés publics.
  • [94]
    Les travaux d’aménagements d’accessibilité coûtent 111,5 M€ TTC, partagés entre Lille Métropole Communauté urbaine, l’État et le Conseil général du Nord, auxquels s’ajoutent les travaux d’aménagement des aires et ouvrages de stationnement évalués à 52 M€ TTC.
  • [95]
    « Congratulation générale pour l’inauguration du chantier », Nord-Éclair, 28.09.2010.

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