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Article de revue

Médecines du sport, sports de médecins : Quand les biographies sportives s'invitent dans le jeu des carrières professionnelles

Pages 129 à 169

Notes

  • [1]
    Perie, Henri. 2007. « Chronique d’une médecine escamotée. La médecine du sport : 1921 – 2001 », Cinésiologie 2007, n° 235, 46ème année, p. 116.
  • [2]
    Rozenblat, Marc. 2002. « “Médecins spécialistes du sport” : tissons des liens ! », Cinésiologie 2002, n° 202, 41ème année, p. 35.
  • [3]
    Cité in Maitrot, Eric. 2003. Les scandales du sport contaminé, enquête sur les coulisses du dopage, Paris, Editions Flammarion.
  • [4]
    Propos recueillis lors d’une soirée de formation médicale continue animée, entre autres, par Serge Simon, et organisée dans le cadre d’une croisière fluviale (18 novembre 2004).
  • [5]
    Pour une réflexion sur les liens entre la médecine et le dopage sportif, voir Waddington, Ivan. 2005. « Le dopage sportif, la responsabilité des praticiens médicaux », STAPS, n° 70, p. 9-23 ; Salle, Loïc ; Lestrelin, Ludovic ; Basson, Jean-Charles. 2006. « Le Tour de France 1998 et la régulation du dopage sportif : reconfiguration des rapports de force », STAPS, n° 73, p. 9-23e ; Brissoneau, Christophe ; Le Noe Olivier. 2006. « Construction d’un problème public autour du dopage et reconnaissance d’une spécialité médicale », Sociologie du travail, n° 48, p. 487-508.
  • [6]
    La très grande visibilité des affaires de dopage dans l’espace social global explique certainement qu’à ce jour cette part infime de la médecine du sport soit la plus étudiée. Objet de recherche à la mode, le danger immédiat réside dans le manque de distanciation qui conduit à fonder a priori en problématique sociologique, un problème social.
  • [7]
    « Bouger pour être en bonne santé », slogan imposé aujourd’hui à certains publicitaires, semble clairement rejoindre ce que Pierre Aïach identifie comme une « idéologie de la santé », organisée selon « les préceptes de l’évangile hygiéniste » et qui tend à envahir l’ensemble du champ social. Voir Aiach, Pierre. 1998. « Les voies de la médicalisation », in Aiach, Pierre ; DelanoË, Daniel (Dir.). L’ère de la médicalisation. Ecce homo sanitas, Paris, Anthropos.
  • [8]
    Barrault, Denys. 2007. « Médecin du sport expert ou traitant ? », Cinésiologie 2007, n° 233-234, 46ème année, p. 77.
  • [9]
    Barrault, Denys. 2008. « L’exercice de la médecine dans une fédération », Cinésiologie 2008, n° 238, 47ème année, p. 33.
  • [10]
    En quelque sorte, ces travaux antérieurs serviront ici de « mémoire » au sens où celle-ci est évoquée par Robert Castel : « lorsque le passé se dérobe et que l’avenir est indéterminé, il [faut] mobiliser notre mémoire pour essayer de comprendre le présent ». Voir : Castel, Robert. 2003. Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Collection Folio essais, p 72.
  • [11]
    Weber, Eugen. 1980. « Gymnastique et sport en France à la fin du XIXe siècle : Opium des classes ? », in Ehrenberg, A., Aimez-vous les stades ?, Recherches n° 43, p. 201.
  • [12]
    El Boujjoufi, Taïeb. 2005. L’investissement médical en éducation physique. Etude des conditions de formation d’une position collective (1880-1950), Thèse de doctorat en STAPS, Université de Paris-Nanterre, p. 21-22.
  • [13]
    Charpier, Francis. 2004. Aux origines de la médecine du sport, Thèse de doctorat en STAPS, Université Lyon 1, p. 21.
  • [14]
    Roger, Anne. 2003. L’entraînement en athlétisme en France (1919-1973) : une histoire de théoriciens ?, Thèse de doctorat en STAPS, Université Lyon 1, p. 6.
  • [15]
    Richard, George-André. 1922. « L’assemblée générale du 18 janvier 1922 », Bulletin de la SMEPS, n° 1, 1ère année.
  • [16]
    Marque commerciale déposée, Ovomaltine désigne une boisson soluble fabriquée à base de cacao et de malt d’orge.
  • [17]
    Inventeur de la « méthode sportive », il écrira même que « l’amélioration du rendement est un gage de régénération ». Dr. Bellin du Coteau, Marc. 1930. La méthode sportive. Gymnastique et sports, extrait du traité d’éducation physique, tome deuxième.
  • [18]
    El Boujjoufi, Taïeb. Op. cit. p. 16.
  • [19]
    Defrance, Jacques. 1998. « La naissance de l’éducation physique : entre médecine et enseignement », Société et Représentations, n° 7, p. 449-463. Defrance, Jacques ; El Boujjoufi, Taïeb. 2005. « Construction sociale d’une “compétence médico-sportive” entre holisme et spécialisation (années 1910-1950) », Regards Sociologiques, n° 29, p. 75-93.
  • [20]
    El Boujjoufi, Taïeb. Op. cit. p. 165.
  • [21]
    Roger, Anne. Op. cit. p. 124.
  • [22]
    El Boujjoufi, Taïeb. Op. cit. p. 165.
  • [23]
    Dr. Bellin du Coteau, Marc. 1930. La valorisation humaine, extrait du traité d’éducation physique, tome premier.
  • [24]
    Dr. Bellin du Coteau, Marc. 1930. La méthode sportive. Gymnastique et sports, extrait du traité d’éducation physique, tome deuxième.
  • [25]
    Arnaud, Pierre. 1992. « Repères pour une histoire des politiques d’équipements sportifs », Lyon, Spirales, n° 5, Le sport et la ville.
  • [26]
    Roger, Anne. Op. cit. p. 125-126.
  • [27]
    Durry, Jean. 1997. « Tissié et Coubertin », in Coubertin et l’Olympisme : Questions d’avenir. Actes du Congrès du Havre, 17-20 Septembre 1997, Université du Havre, p. 75-86.
  • [28]
    Dr. Tissie, Philippe. 1907. « Coups de ciseaux. Education physique et hygiène sociale », Revue des jeux scolaires et d’hygiène sociale, n° 3-4.
  • [29]
    Pour reprendre un terme utilisé par Norbert Elias. Voir Elias, Norbert ; Dunning, Eric. 1994. Sport et Civilisation, la violence maîtrisée, Paris, Fayard.
  • [30]
    Dr. Diffre, Henri. 1927. « Une observation de cœur forcé », Journal de Médecine de Paris, n° 2-10, 46ème année, p. 31-32.
  • [31]
    Voir, d’une part : Pinell, Patrice. 2005. « Champ médical et processus de spécialisation », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 156-157, p. 4-36 et d’autre part : Defrance, Jacques. 1995. « L’autonomisation du champ sportif. 1890-1970 », Sociologie et Sociétés, vol. 27, n° 1, p. 15-31.
  • [32]
    Pour un aperçu complet des repères chronologiques qui caractérisent l’histoire de cet espace professionnel du début du siècle à nos jours, voir Perie, Henri. 2007. « Chronique d’une médecine escamotée. La médecine du sport : 1921-2001 », Cinésiologie 2007, n° 235, 46ème année, p. 106-138.
  • [33]
    Entretien réalisé le jeudi 17 mars 2005.
  • [34]
    Les lois Mazeaud de 1975 et Avice de 1984, font figure de cadre juridique important du point de vue de l’organisation du sport en France à cette période. Elles précisent par exemple l’obligation du contrôle médical, l’obtention d’un certificat de non contre-indication à la pratique sportive devenant alors un préalable à toute souscription de licence sportive fédérale.
  • [35]
    Avec en particulier la féminisation des études en médecine. Lapeyre, Nathalie ; Le Feuvre, Nicky. 2005. « Féminisation du corps médical et dynamiques professionnelles dans le champ de la santé », Revue Française des Affaires Sociales, 59(1), p. 59-82. Voir également : Defrance, Jacques. 2000. « La politique de l’apolitisme. Sur l’autonomisation du champ sportif », Politix, vol. 13, n° 50, p. 13-27.
  • [36]
    Sur ce point, voir d’une part : Muel-Dreyfus, Francine. 1984. « Le fantôme du médecin de famille », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 54, septembre et d’autre part : Jaisson, Marie. 2002. « L’honneur perdu du médecin généraliste », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 143, p. 31 – 35.
  • [37]
    L’étude statistique réalisée récemment sur les 613 médecins de la Région des Pays de la Loire indiquant bénéficier d’une compétence en médecine du sport montre que la grande majorité des répondants (530 individus) ont été formés à la médecine du sport au cours des années 1980 (68 % des médecins ont ainsi été formés entre 1980 et 1988).
  • [38]
    Entretien réalisé le 20 mars 2005.
  • [39]
    Pour être tout à fait complet sur cette instrumentalisation de la médecine du sport à des fins publicitaires et économiques, il faudrait également évoquer la pratique de certains chirurgiens qui utilisent cette compétence liée au sport pour renforcer leurs légitimités et donc nécessairement leurs clientèles. Les sportifs de très haut niveau deviennent autant de trophées qu’il est de bon ton d’afficher dans ses faits d’armes. Cette publicisation en actes est particulièrement efficace, au point de réduire parfois l’ensemble d’une carrière à une opération : « celui qui a opéré le genou de Zidane » par exemple.
  • [40]
    Magnin, Pierre ; Cornu, Jean-Yves. 1997. Médecine du sport. Pratiques du sport et accompagnements médicaux, Paris, Ellipses.
  • [41]
    Salle, Loïc. 2004. Le gouvernement du dopage en France. Entre pouvoirs publics, acteurs sportifs, et médecins. La production de la loi de 1999 comme illustration, Thèse de doctorat en STAPS, Université de Rouen, p. 275.
  • [42]
    Pour une analyse de l’ingérence de l’Etat français dans les affaires sportives, voir : Faure, Jean-Michel ; Suaud, Charles. 1999. Le football professionnel à la française, Paris, Presses Universitaires de France.
  • [43]
    Fleuriel, Sébastien. 2004. Le sport de haut niveau en France. Sociologie d’une catégorie de pensée, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, Collection Sports, Cultures, Sociétés.
  • [44]
    Perie, Henri. Op. cit. p. 133.
  • [45]
    Entretien réalisé le 13 septembre 2007.
  • [46]
    Ce fichier recense tous les professionnels de santé qui sont tenus de faire enregistrer leur diplôme auprès de la D.D.A.S.S. de leur département d’exercice. Le Code de la Santé Publique précise d’ailleurs l’obligation pour les professionnels de santé dont l’exercice est réglementé, de faire enregistrer auprès du Préfet leur diplôme ou leur autorisation d’exercer. Ce répertoire est géré par les D.D.A.S.S. et la coordination régionale (échelon statistique D.R.A.S.S.) permet de centraliser les informations auprès de la D.R.E.E.S. (Département des Méthodes et des Systèmes d’Information). Une mise à jour permanente est assurée d’après les renseignements donnés par les inscrits eux-mêmes et la collecte auprès de certains établissements publics du département. Un contrôle systématique de chaque fichier est prévu tous les deux ans par l’envoi à chaque praticien d’une fiche à corriger extraite du répertoire. Ainsi, les médecins, lorsqu’ils doivent « remplir la feuille de renseignements correspondant à la profession », doivent faire figurer les divers diplômes médicaux obtenus. C’est donc par le biais de ce feuillet professionnel contenu dans les fichiers ADELI que nous a été fournie la liste de tous les médecins du département 44 « ayant une compétence liée au sport » au 14 mars 2006. A l’issue d’une première diffusion, et d’une relance, le taux de réponse avoisine les 68 %, soit 155 répondants sur 230.
  • [47]
    Au point de retrouver dans les discours de ces praticiens des thématiques proches de celles développées par les « romanciers anthropologues de la race humaine » dans le cadre de « l’hygiénisme social » français du début du siècle. Sur une toile de fond où la science se confond avec la morale, là où les activités physiques devaient servir à combattre l’alcoolisme, la dépravation, la neurasthénie ou la phtisie par exemple, elles sont aujourd’hui appelées au secours des fléaux sociaux modernes que sont l’obésité, la sédentarité et certaines formes de diabète. Un médecin généraliste, « ennemi du gros », après avoir beaucoup réfléchi à la façon d’amener massivement les personnes obèses à la pratique sportive (ce à quoi elles sont selon lui « souvent opposées »), en conclura, non sans dépit, que l’unique solution serait de les payer…
  • [48]
    Pour reprendre le terme utilisé par Defrance, Jacques. 1976. « Esquisses d’une histoire sociale de la gymnastique (1760-1870) », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 12.
  • [49]
    « Faire tourner le service » suppose notamment la captation d’un nombre élevé de sportifs, de très haut niveau de préférence, car ils augmentent la visibilité de la structure et sont financièrement plus intéressants car les examens obligatoires sont plus nombreux et plus coûteux.
  • [50]
    Entretien du 18 mars 2008.
  • [51]
    Entretien du 20 mai 2008.
  • [52]
    Entretien du 4 juin 2008.
  • [53]
    Entretien du 28 mai 2008.
  • [54]
    Entretien du 16 mars 2005.
  • [55]
    Entretien du 5 avril 2005.
  • [56]
    Entretien du 29 septembre 2007.
  • [57]
    Entretien du 11 octobre 2007.
  • [58]
    Entretien du 20 mai 2008.
  • [59]
    Entretien du 04 juin 2008.
  • [60]
    Voir : Bourdieu, Pierre. 1987. Programme pour une sociologie du sport, Paris, Choses dites, Les éditions de minuit.
  • [61]
    Wacquant, Loïc. 1989. « Corps et âme. Notes ethnographiques d’un apprenti boxeur », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 80, novembre.
  • [62]
    Entretien réalisé le 11 mai 2004.
  • [63]
    Entretien réalisé le 24 avril 2004.
  • [64]
    Entretien réalisé le 10 avril 2003.
  • [65]
    Pour reprendre le terme de Papin, Bruno. 2000. Sociologie d’une vocation sportive. Conversion et reconversion des gymnastes de haut niveau, Thèse de doctorat en sociologie, Université de Nantes.
  • [66]
    Notes ethnographiques du mardi 27 mars 2007.
  • [67]
    Entretien réalisé le 10 avril 2003. La proximité familiale au sport de haut niveau, doublée d’une trajectoire sportive personnelle modeste, atteste d’un rapport au sport suffisant pour créer la « passion sportive », mais suppose en contrepartie une adhésion moins forte aux normes qui composent l’univers de la haute performance car cet apprentissage n’aura pas été fait corps (contrairement au médecin du pôle de gymnastique qui a lui-même évolué à un très haut niveau de pratique).
  • [68]
    Sur les 10 médecins du sport dont l’activité principale se déroule en milieu hospitalier, les 5 praticiens qui travaillent dans un service de médecine du sport ont un rapport au sport extrêmement limité (un n’a jamais pratiqué d’activités physiques en club, une autre a uniquement pratiqué la danse dans sa jeunesse, une troisième a fait un peu de voile pour le plaisir, le quatrième a fait beaucoup de sports différents, « tous à peu près aussi mal les uns que les autres, et tous pendant des durées relativement courtes », et enfin le dernier a « commencé à courir en 4éme année de médecine pour éliminer l’excès de poids accumulé depuis le début de [son] cursus universitaire »). Parmi les 5 autres, seuls les deux chirurgiens orthopédistes et un médecin rééducateur ont évolué à un bon niveau sportif (autrement dit, ceux qui ne gèrent pas le suivi des athlètes de haut niveau…).
  • [69]
    En effet, s’il est établi que cette médecine du sport de « cabinet » peut être lue dans le contexte très spécifique de transformation de la médecine généraliste depuis les années 1970, il n’en reste pas moins que tous les généralistes ne s’y forment pas, et que le rapport au sport reste déterminant dans ce « choix ». Sur les 10 médecins de ce type interviewés, tous ont été pratiquants réguliers, aucun à haut niveau. Il est d’ailleurs intéressant de constater dans leurs discours la prégnance d’une vision du sport enchantée, mêlée à la « peur » du milieu de la haute performance. (« monde qui fait peur » ; « mécanismes obscurs » ; « subir des pressions »…)
  • [70]
    Papin, Bruno. 2007. Conversion et reconversion des élites sportives. Approche socio-historique de la gymnastique artistique et sportive, Paris, L’Harmattan.
  • [71]
    Freidson, Eliot. 1984. La profession médicale, Paros, Payot.
  • [72]
    Everett Hugues parle ici de « profession haute ». « Les professions hautes sont constituées de métiers bien établis, à fort statut, particulièrement respectés. Elles détiennent de ce fait un ensemble de privilèges et de droits à des positions et à des biens. Elles bénéficient, dans la hiérarchie des activités, d’une crédibilité et d’une légitimité peu contestées. La médecine a été considérée au XXe siècle comme le symbole de la profession prestigieuse ». Cité par Peneff, Jean. 2005. La France malade de ses médecins, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, Le Seuil.
  • [73]
    Certains évoquent une confusion des rôles pour qualifier la position de ces médecins. Plutôt que de parler de confusion, qui laisse entendre une forme de duperie du monde sportif envers des médecins tombés dans le piège de leur instrumentalisation, il semble préférable de trouver un terme plus fidèle aux processus actifs, et aux représentations engagées par les agents eux-mêmes. Aboutissement logique d’une trajectoire individuelle, bien plus que d’une confusion, il s’agit d’une adhésion.
  • [74]
    Notes ethnographiques du mardi 26 août 2006.
  • [75]
    Viaud, Baptiste. « L’apprentissage de la gestion des corps dans la formation des jeunes élites sportives. Les paradoxes de la médecine du sport ? », Revue Internationale d’Education Familiale, n° 24. A paraître, 1er semestre 2009.
  • [76]
    Cette problématique n’est pas sans rappeler le très célèbre procès de civilisation de Norbert Elias, dans lequel la « pacification des mœurs » résulte simultanément d’une élévation des contraintes sociales [qui peuvent correspondre ici à l’autonomisation du champ sportif] et d’un renforcement de « l’auto-contrainte » [que l’on retrouve dans l’apprentissage de la résistance à la douleur, favorisé par l’action de l’entourage sportif, et en l’occurrence du médecin du sport]. Elias, Norbert. 1973 [1939]. La civilisation des mœurs, Paris, Calman-lévy.
  • [77]
    Entretien réalisé le 1er novembre 2006.
  • [78]
    Quel que soit le milieu sportif dans lequel des investigations ont été menées, il a été possible de repérer empiriquement cette technique de normalisation de la douleur. Ainsi, par exemple, ce footballeur professionnel, lorsqu’il discute avec un de ces coéquipiers qui vient de se blesser à l’entraînement et qui attend le « doc », lui explique qu’en ce qui le concerne, il évolue avec une « douleur récurrente de la cheville », mais « pas grave » puisque résultant « selon les médecins », du fameux cas de la « cheville du footeux ». Ou encore, ce jeune gymnaste qui souffre du poignet gauche et qui se voit renvoyé à l’entraînement par le médecin du pôle, après avoir diagnostiqué une ostéochondrose, « pathologie classique et normale d’un gymnaste en devenir, à laquelle on peut pas grand-chose ».
  • [79]
    Cette dépossession médicale des corps n’est que relative dans la mesure où chaque nouvelle occasion de consultation invite à de nouvelles évaluations. Si la douleur augmente par exemple trop significativement, au point de stopper physiquement l’activité sportive, le diagnostic pourra évoluer d’une semaine à l’autre, et se clore en dernier lieu par un arrêt médical. La poursuite de l’entraînement comme critère d’évaluation médicale (parmi d’autres) témoigne là aussi de l’imprégnation des normes sportives dans le jugement médical.
  • [80]
    De ce point de vue, il ne semble pas exagéré de parler ici d’hyperconsommation médicale de la part des sportifs.
  • [81]
    Notes ethnographiques du 10 mai 2007.
  • [82]
    Entretien du 18 mars 2008.
  • [83]
    Entretien du 11 mai 2004.
  • [84]
    Notes ethnographiques du vendredi 14 mars 2008.
  • [85]
    Notes ethnographiques du mardi 05 février 2008.
  • [86]
    Entretien du 18 mars 2008.
  • [87]
    Entretien du 20 mai 2008.
  • [88]
    Entretien du 16 mars 2005.
  • [89]
    Entretien du 18 mars 2008, complété par les notes ethnographiques du mardi 5 février 2008.
  • [90]
    Notes ethnographiques du mardi 29 avril 2008.
  • [91]
    Entretien du 25 mars 2008, réalisé avec un des cadres techniques du pôle.
  • [92]
    Entretien du 16 mars 2005.
  • [93]
    Entretien réalisé le mardi 15 mars 2005.
  • [94]
    Entretien réalisé le 11 mai 2004.
  • [95]
    Notes ethnographiques du mardi 19 juin 2007.
  • [96]
    Entretien du 4 juin 2008.
  • [97]
    Entretien du 18 mars 2008.
  • [98]
    Bourdieu, Pierre. 2000 [1972]. Esquisse d’une théorie de la pratique, Paris, Editions du seuil.

Introduction

1

« Le médecin du sport doit posséder les connaissances cliniques et la sagesse pour écouter, analyser les besoins et les comportements de chacun [des] sportifs. Il les accompagne, apportant les repères objectifs de ses explorations fonctionnelles et le soutien d’une présence discrète. Lorsqu’il lui semble nécessaire, il doit savoir s’opposer aux excès de travail que l’athlète s’impose ou qui lui sont imposés. L’objectif du médecin, c’est la maintenance et la sauvegarde de la santé. L’objectif prioritaire du mouvement sportif, c’est la performance sportive sur laquelle élus et entraîneurs sont jugés. Les situations résultantes ne peuvent être que complexes ».
Henri Périé (Inspecteur Général Honoraire, Ancien Chef des Services Médicaux au Ministère de la Jeunesse et des Sports) [1]

2Dans son invitation à « tisser des liens » adressée à ses confrères en 2002, le docteur Marc Rozenblat décrivait ainsi la complexité et le flou caractérisant, selon lui, le secteur de la « médecine du sport » : « Un grand nombre de médecins se revendiquent ‘‘médecin du sport’’. Médecins généralistes, médecins à exercices particuliers, médecins spécialistes et chirurgiens, qu’ils soient libéraux ou hospitaliers, tous diplômés du CES (Certificat d’études spéciales) ou de la Capacité de médecine du sport, revendiquent ainsi cette spécificité de leur pratique professionnelle en médecine du sport. » [2] A y regarder de près, l’espace français de la médecine du sport apparaît effectivement extrêmement brouillé tant il rassemble sous une même étiquette générique des réalités fort différentes. Entre pluralité des lieux d’exercice, des pratiques, des trajectoires et des identités professionnelles, l’hétérogénéité des acteurs de la médecine du sport est assurément bien opaque pour l’observateur profane ; surtout au moment précis où le débat public dans lequel les médecins du sport sont principalement engagés renvoie à la problématique générale du dopage.

3Les grandes figures médiatiques de la médecine du sport, à l’image de Jean-Pierre de Mondenard, ancien médecin du cyclisme en rupture de ban avec un milieu qu’il juge dévoyé, véritable chevalier servant d’un sport qu’il imagine « propre » et qui regrette que « les vrais responsables-coupables du dopage ne [soient] jamais poursuivis ni sanctionnés [3] » ou de Serge Simon, actuel médecin national du rugby et ancien pilier international, qui juge pour sa part que la lutte contre le dopage est une chimère car « la pratique d’aide à la performance [est] inhérente à la pratique sportive [4] », ne renseignent finalement que très peu sur la configuration de l’espace professionnel de la médecine du sport. Conséquence directe de la politique sportive des années 1960 qui fait entrer la France dans les prémices de la lutte contre le doping, la médecine se voit alors attribuer un rôle spécifique de contrôle, et prend son essor dans la surveillance des conduites jugées déviantes [5]. Mais il serait risqué de confondre la problématique du dopage avec la réalité de la médecine du sport, comme si l’une et l’autre étaient nécessairement liées. Bon nombre de médecins du travail ou de médecins urgentistes viennent gonfler les rangs des agents de contrôle du dopage, ne limitant ainsi en aucun cas l’usage de cette médecine coercitive aux seuls médecins du sport. En outre, on assiste actuellement à une forte « démédicalisation » de cette fonction, l’Agence Française de Lutte contre le Dopage (AFLD) ayant récemment décidé, pour faire face à la pénurie des vocations, d’ouvrir le recrutement des futurs contrôleurs aux infirmiers, étudiants de médecine en troisième cycle ou kinésithérapeutes. L’analyse de cet exercice ne saurait donc être suffisante pour éclairer les dynamiques professionnelles propres à la médecine du sport et ne sera plus abordée dans la suite de ce travail [6]. Toutefois, les confrontations régulières et bruyantes sur le thème du dopage permettent de poser les bases d’un questionnement sociologique dans la mesure où les débats publics conduisent à s’interroger sur la rencontre entre la médecine et le sport, deux univers sociaux dont la congruence ne saurait être prise pour une évidence.

4Si la médecine se retrouve parfaitement dans le discours politique récurrent du « sport-santé » repris en chœur par un grand nombre de médecins généralistes [7], qu’en est-il du rapport que ses praticiens entretiennent avec le sport d’élite compris ici comme une entreprise de conquête de performances a priori peu soucieuse des dommages corporels collatéraux (parfois dramatiques) dont peuvent toujours être victimes les athlètes confirmés ou en devenir ? Quelle peut être la mission d’un médecin au cœur d’une structure de formation au haut niveau où les atteintes à l’intégrité corporelle des sportifs sous la forme de déformations ou de blessures sont fréquentes ? Si le soin occupe indéniablement une place centrale dans l’activité des médecins du sport, il reste que la thérapeutique rejoint bien souvent l’expertise et l’évaluation proprement sportives. L’instrumentalisation de la médecine au service du projet sportif et de la performance a ainsi obligé le Syndicat National des Médecins du Sport (SNMS) à dénoncer cette « collusion de fonctions » et à reconnaître que « trop souvent, [les médecins du sport] se mettent dans des situations indéfendables en semblant ignorer, par exemple, le Code de déontologie [8] ». De fait, l’écart peut se révéler particulièrement grand entre ce médecin du sport, cardiologue et praticien hospitalier, qui contrôle l’aptitude cardiaque d’un sportif de haut niveau à l’hôpital dans le cadre de son suivi médical obligatoire, et cet autre médecin, généraliste, salarié d’un club de football professionnel, qui prodigue, certes, ses soins aux footballeurs mais réalise aussi des visites médicales d’aptitudes lors de transferts de joueurs aux fins de vérifier leurs potentialités. Manifestement conscient de ce type d’écart, Denys Barrault, président du SNMS, ne manquait d’ailleurs pas de s’interroger, en 2007, sur l’identité professionnelle des praticiens spécialistes du sport : « Nous [avons] l’impression d’une confrontation entre deux milieux très distincts, celui du sport et celui de la médecine, chacun ayant ses habitudes et ses valeurs. Le médecin du sport […] connaît les deux milieux et aurait tendance à prendre le parti de l’un ou de l’autre en fonction des circonstances. Le médecin du sport est-il surtout médecin ou surtout sportif ? » [9]

5Prenant acte de l’existence d’une « médecine du sport » schématiquement tiraillée entre une médecine « pour le sport », « pour le sportif » ou « pour l’individu », cette analyse entend finalement apporter une contribution originale à la connaissance de l’univers spécifique de la médecine du sport en France. A cette fin, seront convoqués dans un premier temps les résultats de diverses analyses socio-historiques qui ont traité de ce sujet, en ce qu’ils permettent d’inscrire l’hétérogénéité présente de cet espace professionnel dans un passé fait de luttes de concurrence et de légitimité [10]. Puis, à partir de mesures statistiques, de séries d’entretiens et d’observations ethnographiques réalisées sur un terrain bien délimité, il s’agira de caractériser, du double point de vue quantitatif et qualitatif, la réalité hic et nunc de cet exercice médical. Dans la suite de l’exposé une place privilégiée sera accordée au poids des biographies sportives des médecins enquêtés et à leurs effets induits sur les pratiques médicales. A terme, il s’agira moins de décrire les propriétés des individus à partir des propriétés de l’espace que de décrire les propriétés de l’espace à partir des propriétés individuelles. La représentation idéal-typique de ce « paysage social » permettra ainsi de caractériser les médecines du sport diverses et leurs lieux d’exercice respectifs sur la base des différentes formes de socialisations médicales et sportives doublement mobilisées par les praticiens.

I – Sport, Médecine, et médecines du sport, une hétérogénéité historique…

6Le détour par le passé est ici envisagé en ce qu’il permet d’éclairer le caractère originel de l’hétérogénéité propre à cet espace professionnel. La collusion des fonctions au cœur même de la pratique des professionnels de santé, entre encadrement médical et encadrement sportif, est en effet consubstantielle de son invention. A ce titre, l’hygiénisme du début du XXe siècle ne doit pas être considéré uniquement dans une visée médicale, mais également dans son rapport avec des intérêts proprement sportifs.

a – La friction originelle des fonctions

7Née en France dans la seconde moitié du XIXe siècle, et plus particulièrement dans les années 1880, la médecine de l’activité physique n’émerge que dans un contexte où la mise en mouvement des corps acquiert sa légitimité et devient objet et enjeu de luttes. Plusieurs cultures corporelles cohabitent en effet, chacune ayant son lot de promoteurs qui s’opposent farouchement pour imposer leur vision du monde respective. Entre les gymnastiques, présentes sur le territoire national depuis le XVIIIe siècle, et les sports modernes, nouveaux venus importés de Grande-Bretagne à partir des années 1860, les valeurs et les normes sont diamétralement opposées. La concurrence est ouverte et les prises de position des acteurs sont souvent fort tranchées [11]. Les premiers médecins qui s’intéressent à l’activité physique s’inscrivent également dans cet épisode conflictuel où il est nécessaire d’opérer un certain nombre de « choix ». Du reste, vont apparaître très tôt nombre d’oppositions autour de la définition de ce que doit être le Médecin de l’Education Physique et des Sports. Entre le praticien qui prône pour tous le mouvement contrôlé et discipliné propre à la gymnastique militaire d’Amoros et celui qui défend l’émulation et le caractère ludique des sports modernes britanniques à l’égard des jeunes gens, le fossé est immense. Taïeb El Boujjoufi ne s’y trompe d’ailleurs pas lorsqu’il cherche à « mesurer les forces de frottement entre le champ médical et le champ des activités physiques et sportives » et montre que les « techniques d’exercice corporel […] sont un lieu de ressources pouvant participer au façonnage d’identités professionnelles concurrentes » [12]. Le consensus hygiéniste ne doit en effet pas occulter la question des intérêts particuliers. Si ce début de XXe siècle représente l’âge d’or de la physiologie, c’est également le sacre de l’hygiénisme et de la « régénération de la race » dans les discours médicaux. Dans une troisième République encore marquée par la défaite de Sedan et désireuse d’assurer son emprise et sa stabilité, l’hygiène est un outil politique de premier ordre. Il n’est dès lors pas étonnant de constater que cette préoccupation colore l’ensemble des pratiques discursives médicales. Mais s’il est de rigueur d’évoquer son appétence pour la morale hygiéniste, les moyens et méthodes convoqués par les médecins en fonction de leurs propres aspirations sont variables et interrogent cette déclaration d’intention consensuelle qui ne fédère pas l’ensemble des pratiques médico-sportives.

8La totalité des travaux sur le sujet s’accorde pour identifier la décennie d’après Seconde guerre mondiale comme le jalon historique qui marque le passage d’une médecine hygiéniste à une médecine de la performance. Francis Charpier explique ainsi dans sa thèse : « Concernant ses premiers développements, nous considérons que les médecins de l’éducation physique et du sport développent une conception hygiénique et sanitaire de l’éducation physique et du sport et ne s’inscrivent pas directement dans une logique sportive d’amélioration des performances des athlètes. » [13] Ce qui rejoint le propos d’Anne Roger qui apparie hygiénisme et médecins à la première moitié du XXe siècle, puis performance et entraîneurs à la seconde [14]. Si effectivement la division du travail sportif et le degré d’autonomisation du champ sportif n’autorisent pas, dans un premier temps, la centration sur la performance, l’hygiénisme ne nous semble pas nécessairement être un frein majeur à l’optimisation du rendement sportif. Au contraire, peut-être serait-il plus juste de considérer l’imposition hygiéniste comme l’un des prémices de la rationalisation sportive des années 1960. Et lorsque Marc Bellin du Coteau, le « médecin champion [15] » de la Société de Médecine de l’Education Physique et des Sports (SMEPS) créée en 1921, invite les athlètes à boire du lait, à éviter la viande le lendemain d’une compétition et à consommer de l’Ovomaltine pour majorer leurs performances [16], il paraît clair que le moralisme hygiéniste n’est pas le seul rôle que les médecins proches du milieu sportif endossent [17]. Ainsi, une fois dépassé ce consensus politique collectivement partagé dans les discours médicaux, la question des intérêts particuliers reste. Et comme l’exprime parfaitement Taïeb El Boujjoufi, dans un contexte de concurrence médicale accrue (du fait de l’explosion démographique de la population des praticiens dans les années 1920), l’ouverture d’un nouveau domaine attise les convoitises et autorise le placement de médecins divers. Il identifie ainsi plusieurs positions médicales aux intérêts divergents qui vont de la médecine orthopédique poursuivant des visées thérapeutiques à une médecine réalisée en laboratoire portée à « scientifiser » l’exercice physique tout en passant par une médecine commerciale proposée dans les établissements privés de remise en forme [18]. Ainsi, dès les années 1920, période des « héros sportifs », l’hétérogénéité de l’espace médico-sportif se dessine et les biographies individuelles ouvrent des possibilités professionnelles fort différentes.

9La médecine des activités physiques, selon qu’elle se réalise dans une salle de remise en forme, dans un service hospitalier de rééducation motrice, dans les laboratoires des différents Instituts Régionaux d’Education Physique (IREP) ou encore dans les clubs sportifs, n’est pas partout la même et surtout n’est pas véhiculée par des médecins aux profils sociaux identiques [19]. Si certains réalisent des carrières hospitalo-universitaires sans disposer d’un passé de sportif accompli, d’autres au contraire parviennent à convertir leur capital sportif dans le monde médical, à l’image du docteur Olivier qui deviendra directeur de l’IREP de Paris, après avoir été membre de l’équipe française d’escrime de 1905 à 1914 et avoir remporté une médaille d’or aux Jeux Olympiques de Londres de 1908 (il participera également à la création du Paris Université Club en 1905 (PUC) et en sera le tout premier président) [20]. De même Marc Bellin du Coteau, proche du milieu athlétique, « est un ancien athlète de haut niveau, membre de l’équipe de France, spécialiste du 400 mètres. Champion de France sur la distance en 1903 et 1904 […], il établit lors de son deuxième titre, un record de France en 50 secondes qui perturbe les données médicales de l’époque. Il obtient ensuite une sélection en équipe de France pour les Jeux hors série de 1906 à Athènes » [21]. « Chargé de la ‘‘préparation olympique’’ des athlètes en vue des Jeux olympiques de 1920, il donne des cours de formation de moniteurs d’éducation physique au PUC et à la Fédération d’Athlétisme » [22]. Ce praticien, qui n’hésite pas à rendre hommage à « l’expérience du maquignon [23] », travaille par exemple à « l’amélioration physiologique du rendement musculaire par la majoration du facteur souplesse » [24]. Enfin, il est à l’initiative de la création du Stade de France en 1936, dans « la perspective de l’organisation de la Coupe du Monde de football en 1938 à Paris » [25].

10Il n’est dès lors pas étonnant de constater, avec Anne Roger, que des médecins plus éloignés biographiquement du milieu sportif se distinguent des orientations des médecins champions. « Maurice Boigey est lui aussi médecin, mais il n’est pas ancien sportif de haut niveau. […]. Contrairement à Bellin du Coteau […] il semble plus sensible à l’éducation physique en général et au rôle qu’elle pourrait jouer dans l’amélioration de la race. […]. Ses préoccupations sont donc, dans un premier temps, davantage centrées sur l’amélioration de la santé générale des individus et le ralentissement du vieillissement, que sur l’amélioration sportive des athlètes » [26]. De même, le docteur Philippe Tissié, en rupture de ban avec le sport moderne et ses organisateurs et convaincu lors d’un voyage en Suède des bienfaits de la gymnastique selon les préceptes de Ling [27], deviendra son émule français et entrera en conflit avec bon nombre de médecins et scientifiques de l’époque [28].

11Ainsi, il ne sera pas nécessaire d’attendre la « sportivisation » [29] d’après Guerre pour assister à la participation de plusieurs médecins aux « affaires sportives », la présence sur le stade et l’engagement associatif interrogeant déjà l’identité de ces praticiens. Entre la réflexion interne au monde médical sur le « cœur forcé » du sportif, par exemple, et la présidence d’un club qui encadre de jeunes sportifs de niveau élevé, l’ambigüité et le risque de collusion des fonctions étaient manifestement déjà existant dès les premiers commencements [30].

b – Le cabinet, le club, l’hôpital

12La seconde moitié du XXe siècle ne fera que renforcer une hétérogénéité naissante. Pour de multiples raisons qui ne peuvent toutes être évoquées ici, l’hyperspécialisation du champ médical et l’autonomisation progressive du champ sportif ont été responsables de la constitution de plusieurs médecines du sport distinctes [31]. Parmi les évènements marquants de cette période, on peut retenir la création en 1949 du CES de médecine et biologie du sport appliquée à l’EPS, qui inscrira durablement cet exercice dans une qualité de compétence et non de spécialité, alors même que s’ouvre à Paris en 1951 la première chaire de biologie appliquée à l’EP et aux sports, confiée au Professeur Chailley-Bert. Si l’on ajoute à cela la création, en 1952, du Syndicat National des Médecins du Sport, tout porte à penser que cette période marque le début d’un renforcement et d’une structuration de l’espace de la médecine du sport selon plusieurs axes de développement, qui se cristalliseront progressivement autour de trois lieux d’exercice emblématiques : en cabinet, à l’hôpital, et dans les structures sportives elles-mêmes [32].

Vers une médecine du sport de cabinet

13Pratiquée par un grand nombre de médecins généralistes sur le mode du : « une corde de plus à mon arc dans ma pratique quotidienne [33] », l’activité « médecine du sport » est un prisme utile pour lire les évolutions récentes et nécessaires de la médecine générale. Dans une période de légalisation du sport en France [34], de massification de la pratique de la médecine et de diffusion de la pratique sportive [35], la certification en médecine du sport se présente comme un moyen de diversification et en conséquence d’augmentation des actes médicaux réalisables. Elle donne ainsi à ces professionnels la possibilité de toucher une clientèle la plus large possible dans un contexte de dilution de l’image traditionnelle du « médecin de famille » [36], comme en témoigne à sa mesure le pic extrêmement important de médecins formés à cette compétence dans les années 1980 [37]. De plus, un décret de 1977 relatif au contrôle médical des activités physiques et sportives a provoqué une importante inquiétude, agitant un temps l’obligation pour les médecins de posséder le CES de médecine du sport. Un médecin généraliste ayant passé la formation de médecine du sport en 1981-82, explique de la sorte les raisons de cette orientation : « Je n’étais pas sûr d’apprendre grand chose, mais la médecine évoluait à l’époque vers une médecine de compétences et de diplômes, et c’était probablement un bon moyen de parfaire une clientèle et de travailler avec les différentes associations sportives locales. » [38] Les acteurs d’une telle médecine du sport, axés sur des enjeux économiques de constitution ou de transformation d’une clientèle et d’inscription au sein d’une société locale, affichent des trajectoires sans grands rapports avec les autres types de carrières professionnelles qui composent l’espace social particulier de la médecine du sport. Il en va de même concernant leur pratique professionnelle qui reste au premier chef une médecine préventive et d’aptitude [39].

Vers une médecine du sport hospitalière

14La création d’une seconde chaire spécialisée à Bordeaux en 1961 (primitivement occupée par le Professeur Rougier), la fondation du premier laboratoire de toxicologie du sport en 1965 et la délivrance dès 1969 du CES de biologie et de médecine du sport dans plus de dix grandes universités françaises, ont participé à renforcer la légitimité de la médecine du sport à l’hôpital. Suite à la réforme de 1959, qui instaure le plein temps hospitalier, il faudra en effet attendre le début des années 1970 pour voir créée à Lyon la première consultation médico-sportive au sein d’un service hospitalier puis le premier Centre de Médecine du Sport [40]. Les médecins du sport hospitaliers peuvent être des spécialistes, mais spécialisés dans d’autres domaines (pneumologie, cardiologie, etc.) qui font office de support à leurs activités liées aux activités physiques et sportives. Les diverses lois qui encadrent le statut de sportif de haut niveau et imposent un suivi médical obligatoire ont également renforcé cette médecine du sport spécifique, dans la mesure où bon nombre d’examens nécessitent un dispositif matériel incompatible avec la pratique libérale. Bien que largement organisé et structuré autour des rapports de force traditionnellement présents dans le monde de la recherche, cet exercice médical se veut également préventif, d’expertise (recherche de pathologies, mais également aide à l’entraînement), de contrôle et de soins. Pourtant, si cette branche particulière de la médecine du sport existe toujours en 2008, Loïc Sallé rappelle très justement dans son travail de thèse, « qu’après une forte croissance entre les années 1940 et les années 1980, la discipline connaît une lente dégradation depuis deux décennies. La suppression des chaires de médecine du sport en 1983 entraîne la perte de son assise académique, le déficit de formation des praticiens, [et] le désengagement progressif de l’hôpital public […], jusqu’à observer une réduction du potentiel hospitalo-universitaire d’environ 50 % entre 1990 et 2000 » [41].

Vers une médecine du sport dans les structures sportives

15Suite à plusieurs déconvenues sportives majeures (telles que les Jeux Olympiques de Rome par exemple) et à la prise de conscience du poids politique que représente un athlète qui gagne, l’Etat a cherché à structurer le sport de haut niveau en France de façon à améliorer les conditions de production des champions et à s’assurer une visibilité internationale par le biais de podiums et de médailles [42]. Ainsi, la politique sportive des cinquante dernières années s’est engagée dans un processus de rationalisation de la pratique d’élite qui suppose une division du travail sportif plus nette que par le passé. La révolution des structures de formation, avec la création en 1974 des sections sport-études, puis des pôles Espoirs et France en 1995 [43], s’accompagne d’une clarification des tâches et des rôles de chacun. Si le statut du sportif de haut niveau s’inscrit progressivement dans la loi, l’entraîneur, le kinésithérapeute ou encore le préparateur physique apprennent à définir les limites de leurs compétences respectives dans un projet commun d’amélioration des performances. Il en est de même pour le médecin du sport salarié au sein des structures de formation des athlètes. En 1978, 20 postes de médecins des équipes nationales sont affectés aux fédérations [44]. En 1987, le premier contrat de médecin salarié par un club de football professionnel est signé au Football Club de Nantes (FCN) par le docteur Bryand [45]. Il s’agit là d’une médecine de soins et d’expertise.

II – Les médecines du sport actuelles : socialisations médicales et raisons d’agir…

16Les tensions originelles qui accompagnent l’invention de la médecine de l’exercice corporel sous la troisième République en France, entre perspectives de santé et intérêts sportifs, sont déjà responsables, malgré le consensus hygiéniste, d’une hétérogénéité de pratiques. L’analyse socio-historique de la structuration progressive de cet espace permet d’appréhender les lieux d’exercice différenciés sur lesquels vont venir se cristalliser autant de manières d’être et de penser, que de rapports au sport et à la médecine. En cabinet, à l’hôpital ou au cœur d’un club sportif, que signifie aujourd’hui pour un médecin de prendre place sur ces différents univers ? Comment s’opère la distribution de ces positions ? Existe-t-il des déterminants sociaux susceptibles d’expliquer les positions et les éventuelles oppositions entre ces praticiens ?

a – Une « spécialité » de médecins généralistes

17Une série d’entretiens réalisés auprès de médecins du sport exerçant dans la région des Pays de la Loire a d’abord contribué à démontrer le caractère éclaté d’un exercice médical partagé entre les jeux et les enjeux de deux champs distincts, celui du sport et celui de la médecine, ainsi que l’existence de praticiens qui ne jouaient pas le même jeu en fonction des lieux d’exercice précédemment évoqués. Trois figures ont en effet rapidement émergé, confirmant la construction de l’espace de la médecine du sport autour du cabinet, de l’hôpital et des structures sportives de formation et d’encadrement des athlètes. Afin de préciser et d’affiner ces premiers constats, il était indispensable d’avoir accès au talon sociologique de l’ensemble de ces praticiens, mais également à leurs conditions professionnelles de travail, aux actes médicaux réalisés, à leurs représentations de la profession et enfin à leurs rapports au sport (niveaux de pratique passés, présents, proximité familiale au sport de haut niveau, etc.). Pour ce faire, un questionnaire a été proposé aux 230 médecins du sport de Loire-Atlantique qui, ayant déclaré être titulaires de la compétence de médecine du sport auprès de la Direction Départementale des Affaires Sanitaires et Sociales, étaient recensés à ce titre dans les fichiers Automatisation des listes (ADELI) [46]. Le traitement de l’ensemble de ces données a confirmé une structuration de l’espace extrêmement spécifique. Les informations fournies par la DDASS indiquent clairement que la médecine du sport est d’abord une affaire de médecins généralistes. Seuls 15 % des praticiens déclarent une activité spécialisée (soit 36 individus sur 230). Les spécialités les plus représentées sont la médecine du travail et la médecine physique et réadaptation (MPR), qui rassemblent chacune 6 individus sur le département, puis la cardiologie avec 5 praticiens, la psychiatrie et l’anesthésie avec 3 médecins chacune et enfin la chirurgie orthopédique, la radiologie, la stomatologie, la pédiatrie, l’ophtalmologie, la pneumologie et la rhumatologie avec un ou deux représentants. Il n’est donc pas étonnant de constater que 79 % de la population générale des médecins du sport de Loire Atlantique déclarent exercer une activité libérale dans la mesure où les médecins généralistes, surreprésentés, pratiquent majoritairement la médecine du sport dans leurs cabinets. Pour autant, la DDASS demande aux médecins d’indiquer leur activité principale sans préciser l’éventualité d’une pratique mixte. Ainsi, un médecin généraliste salarié d’un club professionnel de football (contrat stipulant 25 heures de présence hebdomadaire au sein du centre sportif) qui exerce le reste du temps au sein d’un cabinet, fera figurer sur les fichiers professionnels son activité libérale sans mentionner son activité salariée. Il en va de même pour un médecin généraliste qui effectue des vacations au sein d’un service hospitalier de médecine du sport.

18Pourtant, ces praticiens ne partagent sans doute pas les mêmes représentations du métier. Aussi est-il extrêmement difficile de mesurer l’étendue exacte de chacun des sous-groupes de médecins du sport. Il est évident que la médecine hospitalière est celle qui regroupe le nombre le plus réduit de praticiens. Seuls 13 médecins indiquent avoir pour activité principale une pratique hospitalière (soit à peine 6 %), dont 6 généralistes, 3 cardiologues, un pédiatre, un stomatologue et un médecin rééducateur. 6 spécialistes travaillent à temps plein en clinique (soit moins de 3 %), dont deux chirurgiens orthopédiques, deux anesthésistes, un stomatologue et un ophtalmologue. 4 praticiens (soit moins de 2 %) travaillent exclusivement dans des centres de thalassothérapie. Encore une fois, ne figurent ici que les médecins qui ont déclaré posséder une compétence en médecine du sport, tous ne l’ont sans doute pas fait et certains l’ayant fait n’en font dans la réalité qu’un usage extrêmement limité. Sur les 207 individus restant, 35 pratiquent la médecine dans des structures qui n’entretiennent que peu, voire pas de liens possibles avec cette compétence liée au sport, telles que la Mutualité Sociale Agricole, SOS médecin ou encore un Service Départemental d’Incendie et de Secours. Restent les 172 praticiens qui indiquent exercer de manière libérale, sans évoquer d’éventuelles pratiques mixtes, empêchant ainsi de différencier les médecins du sport qui restent en cabinet de ceux qui réalisent des vacations hospitalières ou encore de ceux qui se déplacent sur les terrains sportifs. Bref, les données de la DDASS se sont révélées insuffisantes à ce niveau pour mesurer le degré réel d’investissement de chacun de ces médecins et pour comprendre les modalités de la structuration de l’espace.

19Les 155 réponses obtenues suite à la diffusion du questionnaire n’ont pas apporté de réelles précisions. Si l’on apprend par exemple que 81 praticiens n’entretiennent aucun lien avec une quelconque institution sportive, 42 indiquent travailler en collaboration avec un club, 23 dans une fédération, 15 dans une ligue, et 10 au sein d’un comité départemental (un même praticien pouvant occuper plusieurs de ces fonctions), il reste difficile de déterminer la hauteur de l’implication du médecin dans ces diverses institutions. Parmi les praticiens qui ont indiqué une collaboration avec un club sportif, on pouvait trouver un médecin ayant été sollicité une fois par un club de boxe local pour la surveillance d’une compétition tout autant qu’un praticien salarié depuis vingt ans par un club de football professionnel. Logiquement, l’investissement variable de chaque médecin du sport renvoie à un continuum de positionnements, dont la distribution ne peut être objectivée qu’au prix d’une catégorisation issue de l’analyse. Les résultats de l’enquête permettent ainsi de distinguer clairement trois pôles distincts et de poids variable, qui divisent l’espace autour des différents lieux d’exercice déjà identifiés. Les médecins du sport de cabinet, qui travaillent régulièrement avec les associations sportives locales (sur le mode du « bon service rendu entre voisins » et dans une logique de démonstration de soi qui n’est pas sans lien avec des stratégies de conquête ou de renforcement sur un territoire local), représentent sans conteste le groupe le plus étendu. Viennent ensuite ceux qui mettent leur compétence médicale au service des filières sportives de sélection et d’encadrement des athlètes d’un bon niveau d’expertise (il s’agit des médecins de pôles, de centres de formations, d’équipes, etc.). Puis, dans un dernier temps, la médecine du sport hospitalière est celle qui regroupe le nombre le plus faible de praticiens (malgré la réalisation de vacations par des médecins généralistes). Cette vision approximative de l’espace n’est pas satisfaisante en l’état. Le recueil de données quantitatives, s’il pourra apporter plus tard des informations importantes sur les trajectoires sportives et professionnelles des médecins du sport, doit ici céder la place à une analyse plus fine.

20Des entretiens approfondis ont donc été entrepris dans chacun des groupes de médecins préalablement identifiés. Dans ce cadre, dix médecins du sport de cabinet qui possèdent la compétence de médecine et biologie du sport, mais ne l’utilisent que dans le contexte libéral, ont été interrogés, ainsi que onze praticiens ayant une fonction dans un pôle, centre de formation, fédération ou encore club professionnel, et enfin dix médecins exerçant en milieu hospitalier. L’enjeu était double. Découvrir d’éventuelles récurrences dans les intérêts, les manières d’être, d’agir et de légitimer chacune de ces positions, puis tester leurs perméabilités. Peut-on être à la fois praticien hospitalier et médecin dans une structure sportive de haut niveau ? Si tel est le cas quels sont les effets produits ? Inversement, en cas d’incompatibilité, quels sont les déterminants responsables d’une telle exclusivité de placement ?

b – La préservation de la santé à l’épreuve des intérêts particuliers

21Pour l’ensemble des médecins interrogés, les raisons d’agir évoquées renvoyaient essentiellement à la préservation de la santé. Pour les uns, travailler à l’hôpital est un gage de meilleure prise en charge sanitaire des sportifs car il s’agit d’un espace neutre, dégagé des pressions de l’entourage sportif. Pour les autres, compte tenu de l’urgence du calendrier sportif, un athlète, pour être bien soigné, doit être vite soigné, ce qui suppose la présence du médecin au plus près du quotidien du sportif et sa mise au service de la structure qui l’encadre. Enfin, pour les derniers, la pratique de la médecine du sport en cabinet renvoie à des problématiques générales de santé publique ; les conseils, l’évaluation de l’aptitude, la prescription, la modification ou parfois même l’interdiction de la pratique physique étant perçus comme autant de missions salutaires à l’échelle de la population [47]. Ainsi, s’ils se défendent tous de respecter leur serment d’Hippocrate, on perçoit sans difficultés les fossés qui les séparent. Différences d’autant plus identifiables que les occupants de chaque position entretiennent dans leurs pratiques discursives des rapports de dérision réciproques [48], rapports dont la finalité n’est autre que l’imposition de la définition légitime de la « bonne médecine du sport ». Et pour accéder aux fondements de chacun de ses exercices médicaux particuliers, il est apparu utile d’interroger le (ou les) mode(s) de gratification du praticien qui a aussi valeur de justification du placement. Sur cette question, les écarts se creusent et mettent au jour des logiques fort différentes.

22Si pour le responsable d’une unité hospitalière de médecine du sport d’un important CHU, cardiologue de formation, il s’agit dans un premier temps « de faire tourner le service [49] », cette médecine lui a également ouvert un domaine de recherche dans lequel il s’est spécialisé et « s’est fait son nom » [50]. Pour les médecins généralistes employés par le CHU pour réaliser des vacations dans le service de médecine du sport, les satisfactions sont diverses. Si pour l’un, la participation au « monde de la recherche » lui paraît être une source intense de gratification [51], l’autre expliquera avoir posé sa candidature dans une stratégie de rapprochement familial, suite à son non-recrutement dans le service de rééducation de ce même CHU. Ce dernier fera d’ailleurs part de son intérêt limité pour la médecine qu’il réalise au sein de ce service, évoquant une certaine lassitude face à une activité qu’il perçoit comme « très répétitive » [52]. Un chirurgien orthopédiste ayant la compétence de médecine du sport, chef d’un service de traumatologie en milieu hospitalo-universitaire, par un jeu initial d’interconnaissances, a opéré un grand nombre de joueurs de football professionnels, ce qui lui « a valu d’avoir son nom dans l’Equipe » et d’asseoir solidement sa réputation dans le milieu sportif. Des athlètes de la France entière sont venus à sa rencontre. Sa plus grande fierté est d’avoir réussi à s’imposer sur ce registre sans pour autant faire partie de l’élite parisienne. Car « à cette époque-là [les années 1980], un sportif de haut niveau se faisait opérer sur Paris [53] ».

23Un médecin généraliste maintenant, dont l’activité médicale liée au sport s’est longtemps résumée aux consultations classiques en cabinet, s’investit aujourd’hui dans un club de handball, car « deux de [ses] enfants pratiquent ce sport à un bon niveau ». Engagé de façon bénévole pour le suivi ponctuel d’équipes et les petits conseils donnés sur le bord des terrains, rémunéré à la vacation pour la présence sur des tournois, il participe également à la surveillance ponctuelle de compétitions de Horse-ball car « [sa] fille fait du cheval » [54].

24De même, un jeune médecin généraliste est particulièrement satisfait d’avoir obtenu cette compétence en médecine du sport qui, selon lui, par le jeu du bouche à oreilles, et par son inscription en lettres capitales sur sa plaque, a eu un effet publicitaire positif sur le rajeunissement d’une clientèle âgée (rachetée à un médecin en fin de carrière) [55]. Enfin, pour terminer un tour d’horizon qui n’a pas la prétention d’être complet, mais qui vise à éclairer la diversité des modes de légitimation des placements de ces praticiens, le cas des médecins du sport qui évoluent au plus près des élites sportives doit également être évoqué.

25Le médecin des Equipes de France de handball a commencé à travailler avec la fédération en 1996, suivait l’équipe de France A féminine, et c’est le titre de vice-championne du monde en 1999 qui a permis de pérenniser son poste à temps partiel en 2000. Le départ du médecin sur la filière homme lui a permis d’obtenir le poste à temps complet à la fédération en 2005 (ce qui est très rare). Si, comme pour les autres, la santé fait dans son cas office de discours obligé (« l’intérêt pour le sport et le sportif, c’est de placer l’individu au cœur de son projet médical »), il expliquera être guidé dans sa pratique par deux échéances sportives majeures, « le mondial 2007, et les Jeux Olympiques de 2008 ». Les grandes victoires, et les médailles sont à ses yeux des récompenses inestimables qui justifient les efforts, le temps consacré, et les déplacements incessants [56]. De même, le médecin d’un pôle de gymnastique, qui réalise une demi-journée de consultations par semaine sur le lieu d’entraînement des douze jeunes espoirs masculins, déclare vouloir améliorer le suivi médical des athlètes de haut niveau, ayant lui-même pâti d’une prise en charge insuffisante lors de son ancienne pratique gymnique d’élite. En outre, sa satisfaction personnelle est de permettre à des jeunes de réaliser des performances dans les meilleures conditions possibles. « Quand tu suis un gamin depuis deux, trois ans, et qu’il devient Champion de France, c’est pas rien ! » [57]

26Bien qu’il soit assez aisé de distinguer plusieurs perspectives non exclusives, qu’elles soient économiques (remplir un service hospitalier, transformer ou fidéliser une clientèle de cabinet…), scientifiques (engager des protocoles de recherche, mettre au point de nouvelles techniques chirurgicales…), familiales (saisir une opportunité professionnelle pour se rapprocher de son foyer, suivre ses enfants…) ou enfin sportives (être le médecin d’une équipe de France, aller aux JO de Pékin…), ces raisons d’agir différenciées ne se croisent pas nécessairement et justifient que l’on s’intéresse aux faits susceptibles de les déterminer.

Un suivi ethnographique du suivi médical
Les pratiques réelles de médecins du sport aux fonctions et statuts différenciés, ont rendu nécessaires l’organisation de situations d’observation originales. Ainsi, le recueil de données ethnographiques aura successivement porté sur :
  1. Les consultations individuelles entre le médecin et les douze athlètes d’un pôle espoir de gymnastique, lors de la visite médicale hebdomadaire au sein du gymnase où se déroulent les entraînements (sur une durée d’un an).
  2. Le travail quotidien des deux médecins d’un club professionnel de football (à raison de trois à quatre demi-journées de présence hebdomadaire au cœur du centre sportif, pendant 6 mois).
  3. L’exercice du médecin des équipes de France de handball au cours d’un stage de sélection de l’équipe A féminine, ainsi que lors d’un tournoi international préparatoire au Mondial 2007, qui s’est déroulé à Dunkerque en novembre 2007.
  4. L’activité des quatre praticiens hospitaliers d’un service de médecine du sport et d’exploration vasculaire (à raison de deux à trois journées par semaine, pendant 6 mois).
Il aurait été important de mener des observations dans l’intimité des cabinets de praticiens qui utilisent leur compétence liée au sport dans le strict cadre de leurs pratiques libérales. Mais la part déclarée de sportifs parmi leur clientèle (85 % des médecins libéraux possédant cette compétence indiquent avoir moins de 25 % de « sportifs » dans leur patientèle), ainsi que la fréquence peu élevée d’utilisation des actes médicaux liés à la médecine du sport (66 % des praticiens évoqués déclarent faire usage de cette compétence moins d’une fois par semaine), impliqueraient l’observation d’un nombre très important de pathologies extra-sportives. Cet exercice, trop minime dans la pratique globale de ces médecins libéraux, ne justifie donc pas le déploiement d’une enquête ethnographique contraignante. Ainsi, sur ce dernier aspect, seules seront convoquées les données issues du questionnaire et des entretiens.

III – Quand Hippocrate fait du sport…

a – Lieux d’exercice et rapports au sport

27Porter les couleurs d’un club sportif, en partager l’histoire, pratiquer le tutoiement mutuel systématique et ne pas hésiter à manifester un humour piquant à l’égard des athlètes (qui est une pratique courante dans le milieu sportif où il habituel de se « chambrer »), sont autant de marques qui caractérisent la position des médecins au service des structures sportives de haut niveau. Le « doc » n’est pas un médecin comme les autres, la fréquence de ses visites, sa présence sur le lieu sportif, et la proximité entretenue avec le reste de l’équipe sportive en font un individu à part, parfois un « ami ». Le médecin d’un club professionnel de football entretient des relations extrêmement étroites avec certains joueurs, au point de les voir en dehors du centre sportif ou, lorsque leurs familles sont en visite, d’embrasser femme et enfants tout en les appelant chaleureusement par leurs prénoms. De même, le médecin du pôle de gymnastique s’est forgé une véritable sphère amicale dans ce milieu, en témoignent ses actuels voyages au ski « avec les gens du club », ainsi que les nombreux repas et sorties partagés avec cette « grande famille ».

28A l’inverse, la présence en blouse blanche devant le champion, la faible répétition du colloque singulier (il est en effet rare qu’un sportif de haut niveau vienne plus de deux fois par an dans un service de médecine du sport), le vouvoiement mutuel systématique et la distance respectueuse entre deux individus qui se connaissent peu (distance renforcée par l’ambiance hospitalière susceptible d’impressionner les athlètes), sont autant de marques qui caractérisent la position des praticiens hospitaliers. L’échange ne se diffuse pas hors de l’hôpital et le médecin garde l’image traditionnelle du scientifique exerçant en laboratoire. L’un d’eux, à la question d’une éventuelle translation des relations médicales en relations amicales, expliquera ainsi : « On ne peut pas le faire avec des sportifs de haut niveau si on est amené à les revoir. Ce n’est pas bien. Après, on n’aurait pas l’objectivité pour les revoir comme il faut. On ne soigne pas ses amis ! » [58] Un second, qui se considère « expert » et ne voudrait pas risquer de « se prostituer au sport » en se mettant au service d’un club, réalise malgré tout très ponctuellement quelques surveillances de compétitions équestres (il s’agit de rendre service à des connaissances issues de « [ses] racines agricoles »). Lorsque sont évoqués les éventuels liens entretenus avec les cavaliers présents, il explique : « Maintenant, je commence à les connaître, ils me domestiquent eux aussi, je suis dans le paysage. Mais sans plus. Ils savent qu’ils peuvent compter sur moi, mais c’est tout. C’est un peu curieux les rapports, parce que quand on est sur un terrain, comme ça, et bien vous êtes quand même associé un peu au père la poisse. Mais, en même temps, ce qui est passionnant, c’est l’organisation d’un concours. […] Monter sur des chevaux, c’est quand même extraordinaire, quoi ! (Rires). Comment se fait-il qu’en France il existe autant de haras ? […]. C’est un peu surréaliste. Bon, les Polonais, depuis qu’ils se sont faits écrasés par Hitler, on a compris que cela ne servait plus à grand-chose pour la guerre hein ! » [59] On voit poindre ici des visions de la médecine et du sport qui renvoient de façon plus générale à des visions du monde fort différentes et qui tiennent pour une large part aux dispositions diversement incorporées par les professionnels de santé cités. S’inscrire de façon harmonieuse dans un projet sportif basé sur la production d’une performance ou, à l’inverse, sentir son intégrité professionnelle littéralement « souillée » dès lors que l’on exerce sur le terrain sportif est à ce titre particulièrement significatif.

29Comment expliquer de tels écarts ? Dans son « programme pour une sociologie du sport », Pierre Bourdieu propose de considérer l’espace des sports de façon dynamique [60]. Si le goût sportif est à l’évidence une construction sociale, le « choix » d’une pratique sportive et la façon de s’y engager corporellement participent à la construction identitaire. Loïc Wacquant, en poursuivant dans cette voie, montre très clairement la façon dont l’appartenance à une salle de boxe dans le contexte très particulier des ghettos noirs américains permet de se construire une « place dans la société locale » et d’élargir ainsi la « structure de chances de vie offertes » [61]. Au regard de l’ensemble des données recueillies, il apparaît que le niveau de pratique ainsi que la proximité familiale à l’espace du sport de haut niveau pèsent fortement dans l’accès différencié aux diverses médecines du sport distinguées dans la première partie de ce travail. Assez logiquement, le degré d’inculcation, d’incorporation, des valeurs proprement sportives, joue un rôle déterminant dans la construction des identités tant sociales que professionnelles. Ainsi, le placement sur la médecine du sport qui encadre le sport de haut niveau, au plus près des sportifs eux-mêmes, nécessite une vision du monde spécifique qui n’est autre que celle qui structure l’espace du sport d’élite. C’est là que se cristallise l’ensemble des écarts entre les discours, les représentations et les pratiques des divers agents selon leur « bagage dispositionnel ». Le chef d’un service de médecine du sport, qui dénonce le risque de confusion des rôles dès lors que le médecin est trop proche du milieu sportif, et qui admet mal la caution apportée par certains de ses confrères sur le terrain de la haute performance, précisera « détester la compétition en tant que compétition au niveau sportif » (car « la compétition est déjà dans la vie professionnelle » [62]). A l’inverse, le médecin responsable du pôle espoir de gymnastique, considère que la remise en cause du volume d’entraînement des jeunes athlètes est une hérésie : « Moi, j’attends qu’on me dise que c’est dangereux, 24 heures par semaine, c’est dangereux pour la santé, donc on n’a plus le droit de s’entraîner 24 heures. Mais, à ce moment-là, il faut dire aussi, on n’aura plus de médailles… On ne peut pas dire en même temps on veut avoir des médailles et puis dire que c’est plus possible de s’entraîner 24 heures. Si on veut des médailles, faut s’entraîner ! [63] » Enfin, un médecin de campagne généraliste, dont l’acquisition de la compétence de médecine du sport était clairement orientée vers des stratégies de conquête d’un territoire local et de transformation d’une clientèle, lorsqu’il donne les raisons de sa « moindre activité liée à la médecine du sport », livre aussi les représentations et les actes qui caractérisaient sa pratique : « Je suis vieux… Donc j’ai autre chose à faire que d’aller passer… attends, quand je faisais les courses hippiques, je partais le matin à 7 heures le dimanche, et je revenais le soir vers 23 heures… Et donc, je faisais 16 heures sur le terrain. Hop, dès qu’un mec se casse la gueule, il faut courir, le soigner, s’occuper aussi des spectateurs qui se faisaient piquer par une guêpe, un mec qui a glissé, qui a avalé un truc de travers, qui faisait une crise d’asthme. Non, au fil du temps, faut laisser les jeunes faire. [64] »

b – Le poids des dispositions sportives dans le « choix » de se former

30Ces trois médecins, qui symbolisent trois activités professionnelles et trois visions du monde éloignées, voire opposées, ont été formés de manière identique à la médecine du sport (diplôme, volume horaire de la formation, matières d’enseignement, etc.). La pierre d’achoppement sur laquelle viennent se briser leurs biographies individuelles est bel et bien représentée par le rapport entretenu au sport. Le chef de service hospitalier n’a pratiqué les activités sportives que sur le mode du loisir dans des proportions limitées, là où le responsable médical du pôle espoir de gymnastique a été lui-même gymnaste de haut niveau (Nationale 2), et dont le beau-frère n’est autre qu’un éminent gymnaste français ayant marqué la scène sportive internationale dans le passé. Sa sphère familiale est en outre intimement liée au « monde extra-ordinaire » du sport de haut niveau [65]. Son mariage avec une gymnaste et sa participation de l’intérieur à plusieurs championnats du monde de gymnastique (au championnat du monde de Rotterdam, en 1987, « Oh là là, la java ! Comme il y avait mon beau-frère qui faisait partie de l’équipe de France, on squattait leur piaule. On dormait à 15 dans un petit dortoir… (Rires). Ah, ce sont des supers souvenirs ! [66] ») illustrent par eux-mêmes la construction de son rapport au monde et les conditions de sa perpétuelle réactivation.

31Enfin, le médecin de campagne généraliste, dont le frère a fait partie un temps de l’équipe de France de rugby à 13 (petite fédération sportive) a, quant à lui, papillonné de sports en sports (rugby à 15, ski, équitation, tennis) sans jamais réussir véritablement à y développer un haut niveau (« j’ai jamais été comme mon frère dans l’équipe de France ou comme mon autre frère qui faisait partie d’une équipe de gymnastique agrée et qui faisait les championnats de France ! J’ai fait de la compétition, mais, …, raisonnablement [67] »). Ainsi, s’il semble que le jeu hospitalier ne nécessite pas spécifiquement le passage par une « carrière » sportive fournie, dans les autres cas, le rapport au sport est déterminant [68].

32Pour ces médecins généralistes qui s’inscrivent dans des stratégies locales, le degré d’inculcation des valeurs sportives n’est pas forcément élevé, mais suffisant pour créer la « passion sportive », celle-là même qui est à l’origine du « choix » de l’orientation professionnelle vers la médecine du sport [69]. A l’inverse, ceux qui se positionnent dans le champ très fermé du sport d’élite sont ceux qui ont profondément incorporé les valeurs sportives et qui ont eux-mêmes subi les « techniques d’inculcation de l’habitus du champion [70] ». Sur les quatre médecins observés au sein même des structures sportives de haut niveau qui les emploient (football, gymnastique et handball), tous ont été pratiquant de la discipline sportive qu’ils encadrent médicalement (dont trois à un niveau d’expertise élevé), trois ont été entraîneurs, et le quatrième est toujours juge. La sensibilité non démentie pour le jeu sportif s’explique en partie par la persistance de leur activité au plus profond du champ sportif de haut niveau. Ce placement spécifique leur permet, en effet, d’en partager les temps (perpétuelle adaptation de l’activité médicale aux contraintes du calendrier sportif, gestion de la santé dans l’urgence), les lieux (ils éprouvent un besoin quasiment vital d’être sur le « terrain », seule possibilité de « faire partie de la famille »), mais aussi les réseaux de sociabilité (les repas, les voyages réservés aux membres du club sportif, etc., sont autant de moments où le médecin renforce ses liens avec l’univers sportif).

33Ainsi, le faible pouvoir structurant de la formation en médecine du sport permet à chacun de (re)définir sa propre pratique selon des systèmes de valeurs antérieurement incorporés, et autorise dès lors la prolifération des discours, représentations, et pratiques caractéristiques de cet exercice médical particulier. Eliot Freidson rappelle très justement que la stabilisation d’une profession dépend de la capacité des agents à se mettre d’accord sur le code commun qui définit, par écrit ou simplement par « expériences vécues », les limites de ce qu’il est acceptable de faire ou non [71]. Le serment d’Hippocrate, le Code de la santé publique et le Code de déontologie sont autant de normes qui ont participé à la stabilisation de l’espace médical global et qui ont permis à cette profession d’acquérir à terme un statut dont la très forte légitimité n’est que rarement remise en cause [72]. A l’inverse, on constate l’absence de tout code commun en médecine du sport, ce qui favorise la multiplicité des carrières médico-sportives envisageables et rend impossible l’accès de cet exercice au rang de « spécialité » médicale pourtant revendiqué par certains praticiens hospitaliers en quête de reconnaissance institutionnelle.

34En effet, entre code sportif et code médical, les logiques dominantes qui organisent la pratique des médecins ne semblent pas toutes importées directement des amphithéâtres et des laboratoires. Quand le prestige sportif devient moteur de l’activité médicale, la question des effets induits sur les pratiques professionnelles des médecins se pose légitimement. De la même façon, qu’advient-il lorsque le suivi hospitalier légal des athlètes de haut niveau est assuré par des professionnels de santé complètement étrangers aux valeurs de ce milieu extra-ordinaire ?

IV – Le sportif de haut niveau, champion ou sujet d’expérimentation ?

a – Entre l’honneur de la médaille …

35L’adhésion biographique des médecins à un ensemble de valeurs ascétiques toutes entières tendues vers la réalisation de performances de plus en plus élevées place de fait le praticien dans la chaîne de production de la victoire [73]. Il ne s’agit pas simplement de prévenir une blessure pour ne pas entraver le quotidien sportif, mais bien plus de participer à la construction des « habitus » sportifs. Etre sportif de haut niveau ne relève évidemment pas d’une élection « génético-divine », mais bien d’un long processus marqué par une série de stratégies plus ou moins conscientes qui symbolisent le passage du monde ordinaire au monde extra-ordinaire de la haute performance.

36La séparation d’avec la famille dès le plus jeune âge, la scolarité dans des centres spécialement adaptés aux sportifs de haut niveau dont l’emploi du temps est différent de celui des autres enfants, la quantité d’entraînement, les répétitions quasi-« pavloviennes » des techniques sportives, etc., sont autant de marques d’un processus d’intériorisation, d’incorporation des valeurs et des codes propres à cet espace spécifique. Et le médecin du sport tient une place importante parmi les agents qui produisent ces dispositions physiques et mentales à la haute performance, par des techniques largement non conscientes de banalisation de la blessure et de normalisation de la douleur. Là où un médecin classique s’évertuerait à arrêter ces jeunes athlètes régulièrement, de manière à ce que les corps se reposent et que les douleurs disparaissent, les médecins du sport observés, et plus particulièrement le médecin de ce pôle de gymnastique, sont justement là « pour faire une activité de tri et éviter qu’ils ne soient toujours rendu chez un toubib pour n’importe quoi. Parce que sinon, ils seraient tout le temps arrêtés ! [74] » Et, lorsqu’il précise son rôle dans le centre sportif, il livre finalement une part de son positionnement social global : « Alors, en gym, on a un peu de chance parce que, soit c’est le haut du corps, soit c’est le bas qui va pas. Donc, si c’est le haut, eh bien on essaye de ne pas s’en servir. Je veux dire…, il y a suffisamment d’agrès et de choses à faire pour pouvoir continuer à s’entraîner ! » Comme le montre l’emploi du « on » d’appartenance, il est manifeste que ce médecin s’identifie fortement à l’univers du sport d’élite. Il se vit et se pense de façon inclusive relativement à l’espace sur lequel il exerce la médecine.

37Là où l’entraîneur est actif dans la production chez les jeunes athlètes d’un habitus conforme aux normes et aux valeurs qui structurent l’espace de la haute performance, le médecin du sport placé dans ce même espace va participer à sa manière à la production d’un rapport au corps spécifiquement adapté. Centrés sur une pratique physique ultra contraignante et un rythme de vie ascétisé responsable d’une inévitable « érosion des corps » [75], la question du néophyte relative aux athlètes d’un tel niveau serait certainement celle des conditions qui rendent « vivables » une telle existence. Comment un adolescent d’ une quinzaine d’années peut-il, par exemple, trouver de quelconques avantages dans la répétition quotidienne de gestes sportifs contraignants et souvent douloureux ? Il s’agit d’un effet propre à cette sphère séparée du sport de haut niveau. Le plaisir, la satisfaction, bref, le sentiment d’être « à sa place », proviennent de la réponse du sportif aux exigences de son milieu, autrement dit de son respect des normes en vigueur. La victoire sportive en est l’élément le plus directement visible, mais d’autres déterminants sont également en jeu. L’amélioration technique d’une position de main à la barre fixe, la tenue d’un gainage pendant une durée déterminée lors d’un mouvement au sol, l’amélioration technique d’un geste défensif, tel que le tacle, etc., sous le regard des entraîneurs et de ses partenaires lors des entraînements, constitue au même titre que la victoire un élément de satisfaction propre à renforcer l’identification dans une logique de corps.

38Or, pour répondre aux exigences de ce milieu, il faut d’abord en accepter les règles. Et l’une des règles fondamentales est celle qui consiste à accepter la douleur et la blessure comme étant des caractéristiques « normales » de la vie d’un athlète. C’est à ce niveau que se situe le rôle de production d’un habitus sportif de champion de la part du médecin du sport. Il s’agit pour lui de rendre ces douleurs et blessures normales et donc, à terme, acceptables [76]. Conscient des contradictions que sa position médico-sportive suppose et de leurs effets sur sa pratique médicale auprès d’une équipe professionnelle de football de ligue 1, ce médecin expliquera, dès les premiers échanges, la spécificité de la médecine du sport qui, selon lui, ne se contente pas de prendre en charge des individus sains, potentiellement malades ou blessés, mais « produit [également] de la pathologie » [77]. C’est aussi dans ce cadre que s’inscrit le discours du médecin du pôle de gymnastique face aux très nombreuses sollicitations des athlètes qui viennent le trouver chaque semaine pour lui faire part de leurs douleurs inhérentes à la pratique gymnique. La part la plus importante de son activité professionnelle au sein du pôle consiste en la prise en charge des petites blessures et douleurs des gymnastes. Ce qu’il appelle lui-même, par une euphémisation qui n’est pas sans rapport avec la banalisation, une activité de « petite bobologie ».

39Si l’ensemble des actes est réalisé avec tout le sérieux que l’on peut attendre de la part d’un médecin, il n’en reste pas moins qu’un très grand nombre de douleurs et blessures ne sont pas traitées. Où plutôt, elles sont prises en compte, surveillées, mais banalisées. Trois façons non exclusives de procéder à la banalisation d’une douleur peuvent être distinguées.

  1. D’abord par son déni le plus total : « T’as mal où ? [Au talon]. Et sinon ?… »
  2. Par un report du diagnostic de façon à ce que la douleur s’arrête d’elle-même ou que le gymnaste « s’y fasse » : « Quoi de neuf ? [J’ai toujours mal à la cuisse]. Bon, bah on verra ça la semaine prochaine si t’as toujours mal, mais ça m’a pas l’air méchant. »
  3. Par la normalisation de la douleur, technique qui consiste à indiquer au gymnaste qui souffre que cette douleur est, de l’avis médical, « une douleur normale en gymnastique ».
Ainsi, à l’issue d’un entretien avec Kévin (Gymnaste de 16 ans qui souffre depuis le début de la saison d’une douleur récurrente de l’épaule droite), le médecin du pôle explique : « il existe plein de douleurs en gymnastique qu’on ne voit nulle part ailleurs. En fait, je pense que ce sont des douleurs normales d’adaptation à la pratique de la gym à un haut niveau ». Dans la logique de la résistance à la souffrance corporelle évoquée supra et qui constitue une des valeurs fondamentales de l’espace de la haute performance, le médecin participe lui-même à l’inscription de la douleur dans la norme. Chacun dans sa discipline sportive, ces médecins identifient des « douleurs normales d’adaptation à la pratique du sport à un haut niveau » et repèrent cliniquement la « cheville du footballeur », le « poignet du gymnaste », le « rachis du cavalier », etc. [78]

40La douleur est donc identifiée, reconnue par « l’expert en ce domaine » comme étant une douleur avec laquelle il faut vivre pour continuer à produire de la performance. Dans ces conditions, le sportif concerné par un tel diagnostic ne peut y échapper. Les rapports entre l’institution et son organisation médicale condamnent ici l’athlète à se voir dépossédé de son propre corps [79].

41Cette participation à la production des habitus sportifs suppose de la part du médecin une présence et une disponibilité importantes à l’égard du milieu sportif, qui peut conduire en certains cas à une multiplication effrénée du nombre de consultations à l’image des 92 consultations qui ont eu lieu au sein d’un club de football professionnel sur la saison sportive 2006 – 2007 (pour un effectif de 28 joueurs de Ligue 1) en entraînant un « bilan médical » plus approfondi. A raison de deux à trois examens complémentaires (du type radiographie, échographie, IRM, etcetera) pour chacune de ces consultations, il faut compter environ 230 examens en une année, soit plus de 8 examens par joueurs ! La prise en charge est donc maximale [80]. Cette fois, les athlètes se servent de ces ressources dans leurs propres intérêts. Il n’est par exemple pas rare que les sportifs (même professionnels) utilisent la caution médicale pour tenter de se soustraire à une séance d’entraînement lorsque la fatigue se fait trop intense. C’est la fameuse « petite élongation des adducteurs » dont les footballeurs professionnels parlent entre eux en souriant dans les couloirs du centre sportif. Suffisamment inquiétante pour que le médecin stoppe l’activité pour une journée, mais pas suffisamment grave pour exiger d’éventuels examens complémentaires qui trahiraient le parfait état physique du sportif, elle permet d’éviter les entraînements du début de semaine sans remettre en cause la participation au match du week-end [81].

b – … et la satisfaction de la « trouvaille »

42A l’opposé, le décalage biographique qui caractérise les praticiens hospitaliers, et qui les place à distance des valeurs de l’espace sportif d’élite, a son propre lot d’effets. Il est particulièrement frappant de constater avec quelle fréquence les sportifs de haut niveau rencontrés dans le service de médecine du sport observé étaient agacés par ces visites obligatoires à l’hôpital. Au-delà de l’attente à laquelle ils ne sont plus familiers, du temps que prennent les nombreux examens (entre la consultation clinique, le bilan diététique, l’entretien psychologique, les épreuves d’effort…, le sportif reste environ une demi-journée dans le service), de la peur des hôpitaux et du souvenir souvent amer que la précédente épreuve d’effort a laissé dans bon nombre d’esprits (contrairement aux cyclistes professionnels, les cavaliers et les parachutistes de haut niveau sont particulièrement récalcitrants à l’idée de réaliser une épreuve maximale sur ergocycle), la raison même de leur présence les inquiète. Car si ce suivi longitudinal a été rendu obligatoire en France pour préserver la santé des athlètes (en diagnostiquant d’éventuelles anomalies cardiaques, il s’agissait de réduire par exemple les accidents sportifs mortels), dans la pratique, la visite à l’hôpital est vécue comme un évènement susceptible de mettre fin à une carrière (si le médecin déclare le sportif inapte).

43Plusieurs sportifs interrogés isolément déclareront ne pas hésiter à mentir sur leur alimentation, leurs antécédents médicaux familiaux, leurs passés traumatologiques, etc. Cette médecine leur paraît inutile face aux avantages incomparables que leur apportent les médecins de club ou de pôle. D’inutile, elle peut même rapidement devenir handicapante. En effet, même si les praticiens rappellent qu’ils ne sont ni payés à la consultation, ni aux résultats, il demeure que le temps consacré à des examens extrêmement méticuleux, qui s’accompagnent nécessairement de « la volonté de trouver quelque chose », aboutissent à des diagnostics dont la prudence peut être exagérée. Une très légère bascule du bassin ou un pied un peu creux chez un adolescent sportif deviennent autant « d’ensellure lombaire » et de « valgus prononcé », qui ne manquent pas d’inquiéter familles et enfants. Au-delà du bien-fondé médical de ce type d’examen, et de l’expertise importante nécessaire pour repérer cliniquement de telles déformations, la traduction en prescription éclaire le décalage qui existe entre le professionnel de santé et le terrain sportif. De là naissent de nombreuses incohérences, telles que prescrire des semelles orthopédiques à porter pendant l’entraînement à de jeunes gymnastes qui s’entraînent pieds nus, ou encore tenter d’initier le port du protège-dents dans une section sportive de basket-ball pour les jeunes portant un appareil d’orthodontie… Tout ceci n’est possible que dans la mesure où la logique médicale est dominante et que le travail réalisé par les médecins n’a de valeur que dans l’espace où il s’effectue : l’hôpital. Cette fois, le processus d’instrumentalisation est inverse. Il s’agit de recruter une clientèle de sportifs la plus vaste possible de façon à faire prospérer le service hospitalier. Lorsque la direction d’un CHU demande des comptes au responsable de l’unité hospitalière de médecine du sport sur des examens non facturés (qui est une conséquence de l’opacité administrative de la structure hospitalière), ce dernier s’engage dans une réflexion sur l’évolution du service. Victime de son succès, la clientèle reçue est désormais trop importante pour le nombre de médecins employés. Une des hypothèses envisagées serait à l’avenir de privilégier l’accueil des sportifs de haut niveau au détriment des jeunes athlètes engagés dans des sections sportives départementales ou régionales, car plus rentable financièrement pour l’hôpital (« On a besoin de prouver qu’on fait rentrer de l’argent pour pouvoir justifier nos vacations » [82]). De même, le sportif de haut niveau, humain surhumain, est une véritable aubaine du point de vue de la recherche sur les « limites supérieures de la condition humaine » [83].

44La présence assidue au sein d’un CHU a permis d’observer à quel point le désir de « trouvaille scientifique » l’emporte sur les attentes du sportif (bénéficier de conseils pour l’entraînement, obtenir un certificat d’aptitude, sortir rapidement du CHU, etc.), et tend à dépersonnaliser les rapports entretenus avec les patients. Ainsi, par exemple, un vendredi à l’hôpital, le deuxième sportif de la matinée est arrivé. Il est en salle d’effort. Dans le couloir, le médecin le présente comme un ancien cycliste (vétéran) qui avait arrêté sa pratique pendant quatre ans à la suite de la mort subite d’un ami sur son vélo (ce qui avait d’ailleurs provoqué chez lui un malaise vagal) et qui a repris depuis six mois. Il souhaite réaliser la course Paris / Bordeaux, et veut être sûr que tout va bien avant de se lancer. L’équipe hospitalière procède à une mesure de l’indice de pression systolique au niveau des chevilles (IPSC) de façon à contrôler l’état des artères. Les résultats montrent l’existence d’un petit souffle à gauche : « Rien d’inquiétant, ne vous en faites pas. On fait de l’hyper prévention, là ! ». Le médecin explique pourtant à l’infirmière devant le patient : « Par contre, ce monsieur peut intéresser [notre responsable d’unité] dans le cadre de sa recherche sur les cyclistes de plus de 50 ans. » [84] Un autre jour, un jeune motocycliste de haut niveau vient à l’hôpital pour la première fois dans le cadre du suivi longitudinal obligatoire. L’examen clinique et l’entretien psychologique terminés, le sportif est invité à se rendre dans une salle d’effort. On y réalise les différents tests habituels. De nombreuses personnes sont déjà présentes dans la pièce (un étudiant en nutrition sportive, la diététicienne, l’infirmière, et nous-mêmes), lorsque le responsable du service et le médecin surgissent à leur tour. Le « chef » demande au sportif : « Alors, il paraît que vous avez une hypertrophie du mollet ? » Le médecin émet l’hypothèse du « pied qui freine » et demande : « Y en a beaucoup d’hypertrophies chez les motards ? » « Hyper trop quoi ? J’en sais rien, moi ! », répond le jeune homme étonné. Le responsable du service lance alors : « Il faut le noter ça ! Ça serait intéressant de voir si on le retrouve chez d’autres motards. » Cette discussion s’arrêtera là, et le jeune motard repartira en ayant plus ou moins bien assimilé les raisons de cette émulation autour de son mollet, étrangement plus épais que l’autre [85]

c – Le mélange des fonctions, un pragmatisme inconfortable

45Dans le cadre de ce double processus d’instrumentalisation de la médecine par le sport ou du sport par la médecine, il existe des mécanismes complexes qui brouillent les régularités précédemment évoquées. En effet, comment comprendre qu’un praticien hospitalier, dont le rapport au sport de haut niveau est extrêmement distant, puisse être le médecin d’un pôle espoir de handball ? Inversement, les déterminants sociaux mis au jour doivent-ils être remis en cause dans la mesure où certains praticiens, qui n’ont de sportif que la compétence en médecine du sport, acceptent malgré tout de sacrifier plusieurs week-ends par an pour assurer l’encadrement médical de compétitions importantes à la demande du milieu sportif ? En fait, cette perméabilité n’est qu’apparente, et représente l’issue extrême du phénomène d’instrumentalisation. Le moyen le plus efficace d’augmenter son emprise et de renforcer sa légitimité n’est-il pas d’investir d’autres terrains ? Ainsi faut-il comprendre les raisons pour lesquelles un praticien hospitalier, responsable d’une unité de médecine du sport, a été pendant six ans le médecin de l’équipe de France de course en ligne en canoë-kayak. Malgré un passé sportif inexistant, c’est par le biais d’un collègue travaillant dans un autre CHU et déjà investi dans la fédération de ce sport, que ce poste lui a été proposé. Au moment où le service se stabilisait et recevait majoritairement de jeunes athlètes de niveau modéré, il était extrêmement intéressant, stratégiquement, de commencer à côtoyer la sphère du haut niveau, d’autant qu’à cette époque il y avait un centre de formation de la fédération française de kayak proche géographiquement du CHU. L’équipe venait ainsi régulièrement dans le service [86]. De même, un médecin qui n’a jamais pratiqué le sport en compétition et dont l’activité principale se déroule à l’hôpital, est depuis plusieurs années le médecin d’un pôle de handball. Retracer l’historique de l’encadrement médicalisé de cette structure sportive de formation des élites permet d’en comprendre les raisons. Ce pôle était encadré médicalement par un jeune remplaçant en médecine générale qui, lors de son installation en cabinet, a mis un terme à cette collaboration. Suite à plusieurs tentatives infructueuses de recrutement d’un médecin dans les alentours du centre d’entraînement, les dirigeants se sont tournés vers le service de médecine du sport du CHU le plus proche, dans lequel les athlètes venaient déjà réaliser les batteries de tests obligatoires. Le responsable du service, conscient des enjeux du moment (il était question que ce pôle déménage dans une ville voisine, qui possédait un service concurrent de médecine du sport), a demandé à l’un de ses médecins d’en prendre la charge. Pas franchement convaincu de l’intérêt d’une telle fonction, le praticien « [s’est] finalement attaché aux jeunes du pôle », et prend aujourd’hui la mesure du service rendu : « ça nous fait quand même quarante personnes qui viennent deux fois par an au CHU ! Et ça nous fait en gros dix VO2 [mesure du débit d’oxygène consommé lors d’un effort] par an ! » [87]

46Enfin, en ce qui concerne ces médecins choisis par le milieu sportif d’élite en dépit d’une appétence reconnue pour les valeurs qui le caractérisent, le principe est identique. Le nombre de médecins « ajustés » aux attentes sportives n’étant pas par définition extensible à l’infini, le milieu de la haute performance cherche le médecin providentiel et n’hésite parfois pas à éclaircir les rangs des médecins généralistes au tamis à grandes mailles. C’est de cette façon qu’un médecin du sport de cabinet a été « démarché » dans un premier temps par un club de course à pied dans lequel il « connaît des gens » et pour qui il a accepté de réaliser ponctuellement des surveillances d’épreuves. Rapidement, la présence de ce médecin sur le terrain a été relayée dans le milieu sportif local, provocant des sollicitations diverses. A l’exemple « des gens de la boxe [qui] sont venus [le] voir, parce qu’ils ne trouvaient pas de médecins pour surveiller leurs combats ». Par « manque de temps », il déclinera nombre de ces propositions. Puis, ses deux fils se sont lancés dans le handball, et sa fille dans l’équitation. Les dirigeants de chacun de leurs clubs se sont rapidement tournés vers lui pour bénéficier de conseils, ainsi que de son aide dans l’encadrement médical des compétitions. Difficile de refuser dans ces conditions, il est désormais le référent d’un tournoi de sand-ball de grande réputation, et encadre plusieurs compétitions de horse-ball par an [88]. Ainsi, sans que ce praticien ait lui-même incorporé « l’habitus du champion », la présence de ses enfants dans l’espace sportif suffit à justifier son placement et permet aux dirigeants sportifs de l’utiliser comme ressource.

47Pour autant, cette hyper-instrumentalisation qui mélange biographies sportives et lieux d’exercices en faisant fi des règles courantes dans l’espace médico-sportif, n’est pas sans produire certaines résistances de la part des individus eux-mêmes. Ces sortes de montages sociologiques dans lesquels des individus prennent place sur des positions mal ajustées à leurs dispositions sont nécessairement difficiles à tenir. Des conflits éclatent et des transformations s’opèrent. Le responsable de l’unité hospitalière, médecin de l’équipe de France de course en ligne, a décidé de mettre un terme à cette activité (« de mon point de vue, ils ne m’ont pas viré, c’est moi qui suis parti »), parce qu’il « commençait à être un peu mal à l’aise avec [ses] compétences médicales qui n’étaient plus du tout adaptées ». « Avec le travail que je faisais ici [à l’hôpital], il était devenu impossible pour moi de continuer à faire ce travail. Parce que je me suis axé sur des perspectives de recherche très spécialisées, […] qui m’ont fait passer dans un autre domaine, à un autre niveau. Ce qui fait qu’à la fin, je crois que je n’étais même plus bon pour faire ce travail. Donner des antibiotiques pour une angine, je ne suis même plus sûr de savoir faire ça encore correctement, quoi. » [89] De même, le médecin dont l’activité principale se déroule à l’hôpital, et qui a accepté de suivre le pôle de handball, menace, « depuis deux ou trois ans déjà », les dirigeants de la structure de mettre un terme à leur collaboration. Cette fois, c’est sûr, le praticien ne se rendra plus dans le lycée des jeunes athlètes, se plaignant de l’exigence beaucoup trop forte du milieu sportif (les demandes répétées de déplacements et d’augmentation du temps de présence de la part des cadres du pôle, doublée d’une sur-sollicitation téléphonique, sont vécues comme un véritable harcèlement), de son aspect trop compétitif (le médecin comprend le projet basé sur la recherche de performance, mais n’adhère pas à un système dans lequel la rentabilité sportive prend le pas sur l’humain), ainsi que du manque de poids de sa parole médicale (ces consignes n’étant effectivement pas toujours respectées). Les relations avec le pôle sont tendues. Les dirigeants savent qu’ils ne trouveront pas d’autre médecin dans l’immédiat et laissent traîner la situation, espérant ainsi un apaisement. Du côté hospitalier, le responsable de l’unité, lors d’une réunion de service, explique qu’il ne souhaite pas que le médecin stoppe son activité au pôle (qui accélérerait le départ de la structure vers un autre CHU et leur ferait perdre 40 individus. « Il ne faut pas lâcher le pôle, ces jeunes sont des sportifs de haut niveau, ils nous rapportent énormément ! »). Les négociations s’engagent. Le médecin précise qu’il n’est pas contre l’idée de s’occuper des jeunes du pôle, mais à l’unique condition que ce suivi soit réalisé exclusivement à l’hôpital, seul endroit où « on fait de la bonne médecine » [90]. Là aussi, la forme de la relation se transforme, pour aboutir à un montage plus acceptable pour un individu en position inconfortable (la forme se conforme aux réalités biographiques et professionnelles). Le pôle se résigne, accepte cette idée d’un suivi uniquement hospitalier (tout en expliquant en aparté : « encore une fois, ce sont les jeunes qui vont en pâtir, car l’incompatibilité des emplois du temps signifiera le sacrifice du temps scolaire » [91]), et décide de se mettre à la recherche d’un kinésithérapeute susceptible de se déplacer deux fois par semaine de façon à combler sur place le départ du médecin.

48Enfin, en ce qui concerne les médecins peu impliqués sportivement dans leurs histoires individuelles, ayant été démarchés par le milieu sportif, et qui, pour diverses raisons, ont accepté de suivre une équipe ou de se déplacer sur des compétitions, il est également difficile de tenir le rôle sur la longue durée. Dans la plupart des cas rencontrés, cette mise à disposition se clôt par un abandon. Et toujours, c’est le rapport au temps qui pose problème. La distance avec les normes et valeurs de la haute performance rend la chronophagie du milieu sportif et le manque à gagner rapidement insupportables. « Surveiller une compétition de course à pied le dimanche, je le fais de façon anecdotique parce que je connais les gens d’un club. Mais, très vite, on vous demande d’être là tous les dimanches, et tout ça, pour 20, 30 euros ? C’est sans commune mesure avec ma journée normale ! Donc, j’ai dit stop. » [92]

Conclusion

49Plurielles et complexes, les médecines du sport se vivent aussi bien au plus profond d’un cabinet médical rural, que dans les méandres du paysage mécanisé d’un laboratoire hospitalier, ou encore dans la petite salle de pause des entraîneurs, la porte ouverte sur le gymnase où s’exercent quotidiennement de jeunes sportifs de haut niveau. Chacune de ces pratiques spécifiques, accompagnées de leur lot de discours et de représentations, sont portées par des médecins aux profils différenciés.

50Si, dans les années 1980, une très large partie d’entre eux s’est formée à la médecine du sport dans un contexte médical favorisant le poly-exercice de médecins généralistes en crise de légitimité, et dans un contexte sportif où la prolifération de la législation a agité un temps l’obligation de compétence pour la signature des certificats de non-contre indication à la pratique sportive, il n’en reste pas moins que certains médecins se sont engagés plus spécifiquement dans l’univers extra-ordinaire du sport d’élite pour certains, et dans la recherche médicale pour d’autres.

51Ainsi, ce médecin de campagne explique son rapport à la médecine du sport et livre la perception qu’il a de son propre positionnement au sein de cet espace. « Moi, vous savez, la médecine du sport, je l’ai surtout faite pour ma pratique de médecin généraliste. D’ailleurs, j’avais fait aussi le CES de médecine du travail, dont je ne me suis jamais servi. Donc la médecine du sport, en fait, c’est que dans mon cabinet pour les gens qui viennent me voir pour les certificats de sport. Parce que j’ai jamais été sportif vraiment de bon niveau moi, donc le milieu du sport de haut niveau, c’est un milieu qui me fait un peu peur. Et pour ceux qui bossent à l’hôpital, qui écrivent des choses, moi je n’ai pas du tout le niveau pour parler avec ces gens-là ! » [93] A l’inverse, ce chef de service hospitalier de médecine du sport qui voit dans les sportifs d’élite de véritables « formules 1 » capables d’aller à l’extrême, trouve un intérêt important dans l’investigation physiologique et psychologique de ces individus en laboratoire, car « ils nous apprennent des choses extrêmement importantes sur le fonctionnement limite du corps humain », tout en rappelant les dangers d’une activité par définition « pathogène » qu’il faut surveiller et dénoncer, plutôt que cautionner « comme le font certains confrères sur le terrain » [94]. Dès lors, engagés dans une lutte pour la définition de la compétence médico-sportive, la réponse des médecins impliqués au cœur des structures produisant les champions sportifs ne se fait guère attendre, à l’image de ce médecin de pôle de gymnastique qui explique, pour légitimer sa présence dans un univers où les corps sont soumis à rude épreuve : « Ils s’entraînent trop, ils se blessent trop, OK ! Mais on n’est pas là pour juger les gens ! […] Moi, si tu me demandes si je trouve ça bien qu’ils s’entraînent autant, je te dirai non ! Mais je ne suis pas là pour ça. On est là pour soigner, pas pour juger ! Et puis, s’ils veulent des médailles, c’est comme ça que ça marche, il faut bien qu’ils s’entraînent ! Un mec qui a un cancer du poumon parce qu’il a trop fumé, bon bah on n’est pas là pour le juger. Fumer, c’est une connerie. Alors quoi ? On arrête de le soigner ? » [95]

52Prévenir, soigner et évaluer sont effectivement les missions officielles déléguées aux médecins du sport ayant en charge le suivi du sport de haut niveau. Pour autant, les observations réalisées et leur répétition dans le temps, ont permis de montrer la façon dont ces agents, selon leurs lieux d’exercice, poursuivent des intérêts souvent forts différents. Certains participent à la chaîne de production de la performance en s’inscrivant pleinement dans les stratégies de banalisation de la blessure et de normalisation de la douleur propres à l’espace sportif, là où d’autres utilisent le suivi des athlètes à des fins proprement médicales (« Moi, mon dada, c’est le bassin et le pied » [96]) ou de recherches (« Etudier les maladies artérielles à partir des cyclistes est très utile, car ces pathologies sont surdéveloppées dans cette population » [97]).

53Il est désormais clair que ces positions professionnelles différenciées, qui s’actualisent sur des terrains eux-mêmes fort éloignés, sont intimement liées au mélange toujours original des socialisations médicales et des dispositions sportives incorporées. Dans le déroulement ultérieur des carrières professionnelles, si la médecine du sport à l’hôpital ne nécessite pas la valorisation d’un capital sportif important et dépend plus largement d’intérêts et d’enjeux propres à la médecine, une pratique physique minimale reste à l’origine du « choix » des médecins généralistes souhaitant diversifier leur pratique médicale de cabinet, et la pratique sportive à un niveau élevé représente le trait commun le plus caractéristique des médecins du sport mettant leur compétence au service de l’amélioration des performances. Faisant partie de la « grande famille » depuis des années, ces médecins ont incorporé les valeurs de ce milieu séparé et cautionnent, par leur position même au sein de ses structures, les conditions de vie des athlètes nécessaires à l’obtention de la victoire sportive. Pour autant, il ne s’agit pas ici de diaboliser ces praticiens qui soutiennent la rationalisation sportive en convoquant de manière extrêmement utilitariste leur art. Cette analyse, fondée sur la théorie des espaces sociaux, n’entend pas dénoncer ici une forme d’hypocrisie fondamentale de médecins peu soucieux de se détourner d’Hippocrate [98]. Loin d’être les « docteurs Mabuse » du sport moderne, individus obscurs aux commandes d’une machination machiavélique de transformation et d’assujettissement des corps, tout l’enjeu de ce travail aura été de montrer que les diverses formes de participation au jeu sportif tiennent aux positions occupées dans un espace médico-sportif dont l’autonomie n’est que très relative. Entre Sport et Médecine, l’autonomisation d’une Médecine du sport semble aujourd’hui bien compromise.


Date de mise en ligne : 15/11/2012

https://doi.org/10.3917/rsss.002.0129

Notes

  • [1]
    Perie, Henri. 2007. « Chronique d’une médecine escamotée. La médecine du sport : 1921 – 2001 », Cinésiologie 2007, n° 235, 46ème année, p. 116.
  • [2]
    Rozenblat, Marc. 2002. « “Médecins spécialistes du sport” : tissons des liens ! », Cinésiologie 2002, n° 202, 41ème année, p. 35.
  • [3]
    Cité in Maitrot, Eric. 2003. Les scandales du sport contaminé, enquête sur les coulisses du dopage, Paris, Editions Flammarion.
  • [4]
    Propos recueillis lors d’une soirée de formation médicale continue animée, entre autres, par Serge Simon, et organisée dans le cadre d’une croisière fluviale (18 novembre 2004).
  • [5]
    Pour une réflexion sur les liens entre la médecine et le dopage sportif, voir Waddington, Ivan. 2005. « Le dopage sportif, la responsabilité des praticiens médicaux », STAPS, n° 70, p. 9-23 ; Salle, Loïc ; Lestrelin, Ludovic ; Basson, Jean-Charles. 2006. « Le Tour de France 1998 et la régulation du dopage sportif : reconfiguration des rapports de force », STAPS, n° 73, p. 9-23e ; Brissoneau, Christophe ; Le Noe Olivier. 2006. « Construction d’un problème public autour du dopage et reconnaissance d’une spécialité médicale », Sociologie du travail, n° 48, p. 487-508.
  • [6]
    La très grande visibilité des affaires de dopage dans l’espace social global explique certainement qu’à ce jour cette part infime de la médecine du sport soit la plus étudiée. Objet de recherche à la mode, le danger immédiat réside dans le manque de distanciation qui conduit à fonder a priori en problématique sociologique, un problème social.
  • [7]
    « Bouger pour être en bonne santé », slogan imposé aujourd’hui à certains publicitaires, semble clairement rejoindre ce que Pierre Aïach identifie comme une « idéologie de la santé », organisée selon « les préceptes de l’évangile hygiéniste » et qui tend à envahir l’ensemble du champ social. Voir Aiach, Pierre. 1998. « Les voies de la médicalisation », in Aiach, Pierre ; DelanoË, Daniel (Dir.). L’ère de la médicalisation. Ecce homo sanitas, Paris, Anthropos.
  • [8]
    Barrault, Denys. 2007. « Médecin du sport expert ou traitant ? », Cinésiologie 2007, n° 233-234, 46ème année, p. 77.
  • [9]
    Barrault, Denys. 2008. « L’exercice de la médecine dans une fédération », Cinésiologie 2008, n° 238, 47ème année, p. 33.
  • [10]
    En quelque sorte, ces travaux antérieurs serviront ici de « mémoire » au sens où celle-ci est évoquée par Robert Castel : « lorsque le passé se dérobe et que l’avenir est indéterminé, il [faut] mobiliser notre mémoire pour essayer de comprendre le présent ». Voir : Castel, Robert. 2003. Les métamorphoses de la question sociale, Paris, Collection Folio essais, p 72.
  • [11]
    Weber, Eugen. 1980. « Gymnastique et sport en France à la fin du XIXe siècle : Opium des classes ? », in Ehrenberg, A., Aimez-vous les stades ?, Recherches n° 43, p. 201.
  • [12]
    El Boujjoufi, Taïeb. 2005. L’investissement médical en éducation physique. Etude des conditions de formation d’une position collective (1880-1950), Thèse de doctorat en STAPS, Université de Paris-Nanterre, p. 21-22.
  • [13]
    Charpier, Francis. 2004. Aux origines de la médecine du sport, Thèse de doctorat en STAPS, Université Lyon 1, p. 21.
  • [14]
    Roger, Anne. 2003. L’entraînement en athlétisme en France (1919-1973) : une histoire de théoriciens ?, Thèse de doctorat en STAPS, Université Lyon 1, p. 6.
  • [15]
    Richard, George-André. 1922. « L’assemblée générale du 18 janvier 1922 », Bulletin de la SMEPS, n° 1, 1ère année.
  • [16]
    Marque commerciale déposée, Ovomaltine désigne une boisson soluble fabriquée à base de cacao et de malt d’orge.
  • [17]
    Inventeur de la « méthode sportive », il écrira même que « l’amélioration du rendement est un gage de régénération ». Dr. Bellin du Coteau, Marc. 1930. La méthode sportive. Gymnastique et sports, extrait du traité d’éducation physique, tome deuxième.
  • [18]
    El Boujjoufi, Taïeb. Op. cit. p. 16.
  • [19]
    Defrance, Jacques. 1998. « La naissance de l’éducation physique : entre médecine et enseignement », Société et Représentations, n° 7, p. 449-463. Defrance, Jacques ; El Boujjoufi, Taïeb. 2005. « Construction sociale d’une “compétence médico-sportive” entre holisme et spécialisation (années 1910-1950) », Regards Sociologiques, n° 29, p. 75-93.
  • [20]
    El Boujjoufi, Taïeb. Op. cit. p. 165.
  • [21]
    Roger, Anne. Op. cit. p. 124.
  • [22]
    El Boujjoufi, Taïeb. Op. cit. p. 165.
  • [23]
    Dr. Bellin du Coteau, Marc. 1930. La valorisation humaine, extrait du traité d’éducation physique, tome premier.
  • [24]
    Dr. Bellin du Coteau, Marc. 1930. La méthode sportive. Gymnastique et sports, extrait du traité d’éducation physique, tome deuxième.
  • [25]
    Arnaud, Pierre. 1992. « Repères pour une histoire des politiques d’équipements sportifs », Lyon, Spirales, n° 5, Le sport et la ville.
  • [26]
    Roger, Anne. Op. cit. p. 125-126.
  • [27]
    Durry, Jean. 1997. « Tissié et Coubertin », in Coubertin et l’Olympisme : Questions d’avenir. Actes du Congrès du Havre, 17-20 Septembre 1997, Université du Havre, p. 75-86.
  • [28]
    Dr. Tissie, Philippe. 1907. « Coups de ciseaux. Education physique et hygiène sociale », Revue des jeux scolaires et d’hygiène sociale, n° 3-4.
  • [29]
    Pour reprendre un terme utilisé par Norbert Elias. Voir Elias, Norbert ; Dunning, Eric. 1994. Sport et Civilisation, la violence maîtrisée, Paris, Fayard.
  • [30]
    Dr. Diffre, Henri. 1927. « Une observation de cœur forcé », Journal de Médecine de Paris, n° 2-10, 46ème année, p. 31-32.
  • [31]
    Voir, d’une part : Pinell, Patrice. 2005. « Champ médical et processus de spécialisation », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 156-157, p. 4-36 et d’autre part : Defrance, Jacques. 1995. « L’autonomisation du champ sportif. 1890-1970 », Sociologie et Sociétés, vol. 27, n° 1, p. 15-31.
  • [32]
    Pour un aperçu complet des repères chronologiques qui caractérisent l’histoire de cet espace professionnel du début du siècle à nos jours, voir Perie, Henri. 2007. « Chronique d’une médecine escamotée. La médecine du sport : 1921-2001 », Cinésiologie 2007, n° 235, 46ème année, p. 106-138.
  • [33]
    Entretien réalisé le jeudi 17 mars 2005.
  • [34]
    Les lois Mazeaud de 1975 et Avice de 1984, font figure de cadre juridique important du point de vue de l’organisation du sport en France à cette période. Elles précisent par exemple l’obligation du contrôle médical, l’obtention d’un certificat de non contre-indication à la pratique sportive devenant alors un préalable à toute souscription de licence sportive fédérale.
  • [35]
    Avec en particulier la féminisation des études en médecine. Lapeyre, Nathalie ; Le Feuvre, Nicky. 2005. « Féminisation du corps médical et dynamiques professionnelles dans le champ de la santé », Revue Française des Affaires Sociales, 59(1), p. 59-82. Voir également : Defrance, Jacques. 2000. « La politique de l’apolitisme. Sur l’autonomisation du champ sportif », Politix, vol. 13, n° 50, p. 13-27.
  • [36]
    Sur ce point, voir d’une part : Muel-Dreyfus, Francine. 1984. « Le fantôme du médecin de famille », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 54, septembre et d’autre part : Jaisson, Marie. 2002. « L’honneur perdu du médecin généraliste », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 143, p. 31 – 35.
  • [37]
    L’étude statistique réalisée récemment sur les 613 médecins de la Région des Pays de la Loire indiquant bénéficier d’une compétence en médecine du sport montre que la grande majorité des répondants (530 individus) ont été formés à la médecine du sport au cours des années 1980 (68 % des médecins ont ainsi été formés entre 1980 et 1988).
  • [38]
    Entretien réalisé le 20 mars 2005.
  • [39]
    Pour être tout à fait complet sur cette instrumentalisation de la médecine du sport à des fins publicitaires et économiques, il faudrait également évoquer la pratique de certains chirurgiens qui utilisent cette compétence liée au sport pour renforcer leurs légitimités et donc nécessairement leurs clientèles. Les sportifs de très haut niveau deviennent autant de trophées qu’il est de bon ton d’afficher dans ses faits d’armes. Cette publicisation en actes est particulièrement efficace, au point de réduire parfois l’ensemble d’une carrière à une opération : « celui qui a opéré le genou de Zidane » par exemple.
  • [40]
    Magnin, Pierre ; Cornu, Jean-Yves. 1997. Médecine du sport. Pratiques du sport et accompagnements médicaux, Paris, Ellipses.
  • [41]
    Salle, Loïc. 2004. Le gouvernement du dopage en France. Entre pouvoirs publics, acteurs sportifs, et médecins. La production de la loi de 1999 comme illustration, Thèse de doctorat en STAPS, Université de Rouen, p. 275.
  • [42]
    Pour une analyse de l’ingérence de l’Etat français dans les affaires sportives, voir : Faure, Jean-Michel ; Suaud, Charles. 1999. Le football professionnel à la française, Paris, Presses Universitaires de France.
  • [43]
    Fleuriel, Sébastien. 2004. Le sport de haut niveau en France. Sociologie d’une catégorie de pensée, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, Collection Sports, Cultures, Sociétés.
  • [44]
    Perie, Henri. Op. cit. p. 133.
  • [45]
    Entretien réalisé le 13 septembre 2007.
  • [46]
    Ce fichier recense tous les professionnels de santé qui sont tenus de faire enregistrer leur diplôme auprès de la D.D.A.S.S. de leur département d’exercice. Le Code de la Santé Publique précise d’ailleurs l’obligation pour les professionnels de santé dont l’exercice est réglementé, de faire enregistrer auprès du Préfet leur diplôme ou leur autorisation d’exercer. Ce répertoire est géré par les D.D.A.S.S. et la coordination régionale (échelon statistique D.R.A.S.S.) permet de centraliser les informations auprès de la D.R.E.E.S. (Département des Méthodes et des Systèmes d’Information). Une mise à jour permanente est assurée d’après les renseignements donnés par les inscrits eux-mêmes et la collecte auprès de certains établissements publics du département. Un contrôle systématique de chaque fichier est prévu tous les deux ans par l’envoi à chaque praticien d’une fiche à corriger extraite du répertoire. Ainsi, les médecins, lorsqu’ils doivent « remplir la feuille de renseignements correspondant à la profession », doivent faire figurer les divers diplômes médicaux obtenus. C’est donc par le biais de ce feuillet professionnel contenu dans les fichiers ADELI que nous a été fournie la liste de tous les médecins du département 44 « ayant une compétence liée au sport » au 14 mars 2006. A l’issue d’une première diffusion, et d’une relance, le taux de réponse avoisine les 68 %, soit 155 répondants sur 230.
  • [47]
    Au point de retrouver dans les discours de ces praticiens des thématiques proches de celles développées par les « romanciers anthropologues de la race humaine » dans le cadre de « l’hygiénisme social » français du début du siècle. Sur une toile de fond où la science se confond avec la morale, là où les activités physiques devaient servir à combattre l’alcoolisme, la dépravation, la neurasthénie ou la phtisie par exemple, elles sont aujourd’hui appelées au secours des fléaux sociaux modernes que sont l’obésité, la sédentarité et certaines formes de diabète. Un médecin généraliste, « ennemi du gros », après avoir beaucoup réfléchi à la façon d’amener massivement les personnes obèses à la pratique sportive (ce à quoi elles sont selon lui « souvent opposées »), en conclura, non sans dépit, que l’unique solution serait de les payer…
  • [48]
    Pour reprendre le terme utilisé par Defrance, Jacques. 1976. « Esquisses d’une histoire sociale de la gymnastique (1760-1870) », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 12.
  • [49]
    « Faire tourner le service » suppose notamment la captation d’un nombre élevé de sportifs, de très haut niveau de préférence, car ils augmentent la visibilité de la structure et sont financièrement plus intéressants car les examens obligatoires sont plus nombreux et plus coûteux.
  • [50]
    Entretien du 18 mars 2008.
  • [51]
    Entretien du 20 mai 2008.
  • [52]
    Entretien du 4 juin 2008.
  • [53]
    Entretien du 28 mai 2008.
  • [54]
    Entretien du 16 mars 2005.
  • [55]
    Entretien du 5 avril 2005.
  • [56]
    Entretien du 29 septembre 2007.
  • [57]
    Entretien du 11 octobre 2007.
  • [58]
    Entretien du 20 mai 2008.
  • [59]
    Entretien du 04 juin 2008.
  • [60]
    Voir : Bourdieu, Pierre. 1987. Programme pour une sociologie du sport, Paris, Choses dites, Les éditions de minuit.
  • [61]
    Wacquant, Loïc. 1989. « Corps et âme. Notes ethnographiques d’un apprenti boxeur », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 80, novembre.
  • [62]
    Entretien réalisé le 11 mai 2004.
  • [63]
    Entretien réalisé le 24 avril 2004.
  • [64]
    Entretien réalisé le 10 avril 2003.
  • [65]
    Pour reprendre le terme de Papin, Bruno. 2000. Sociologie d’une vocation sportive. Conversion et reconversion des gymnastes de haut niveau, Thèse de doctorat en sociologie, Université de Nantes.
  • [66]
    Notes ethnographiques du mardi 27 mars 2007.
  • [67]
    Entretien réalisé le 10 avril 2003. La proximité familiale au sport de haut niveau, doublée d’une trajectoire sportive personnelle modeste, atteste d’un rapport au sport suffisant pour créer la « passion sportive », mais suppose en contrepartie une adhésion moins forte aux normes qui composent l’univers de la haute performance car cet apprentissage n’aura pas été fait corps (contrairement au médecin du pôle de gymnastique qui a lui-même évolué à un très haut niveau de pratique).
  • [68]
    Sur les 10 médecins du sport dont l’activité principale se déroule en milieu hospitalier, les 5 praticiens qui travaillent dans un service de médecine du sport ont un rapport au sport extrêmement limité (un n’a jamais pratiqué d’activités physiques en club, une autre a uniquement pratiqué la danse dans sa jeunesse, une troisième a fait un peu de voile pour le plaisir, le quatrième a fait beaucoup de sports différents, « tous à peu près aussi mal les uns que les autres, et tous pendant des durées relativement courtes », et enfin le dernier a « commencé à courir en 4éme année de médecine pour éliminer l’excès de poids accumulé depuis le début de [son] cursus universitaire »). Parmi les 5 autres, seuls les deux chirurgiens orthopédistes et un médecin rééducateur ont évolué à un bon niveau sportif (autrement dit, ceux qui ne gèrent pas le suivi des athlètes de haut niveau…).
  • [69]
    En effet, s’il est établi que cette médecine du sport de « cabinet » peut être lue dans le contexte très spécifique de transformation de la médecine généraliste depuis les années 1970, il n’en reste pas moins que tous les généralistes ne s’y forment pas, et que le rapport au sport reste déterminant dans ce « choix ». Sur les 10 médecins de ce type interviewés, tous ont été pratiquants réguliers, aucun à haut niveau. Il est d’ailleurs intéressant de constater dans leurs discours la prégnance d’une vision du sport enchantée, mêlée à la « peur » du milieu de la haute performance. (« monde qui fait peur » ; « mécanismes obscurs » ; « subir des pressions »…)
  • [70]
    Papin, Bruno. 2007. Conversion et reconversion des élites sportives. Approche socio-historique de la gymnastique artistique et sportive, Paris, L’Harmattan.
  • [71]
    Freidson, Eliot. 1984. La profession médicale, Paros, Payot.
  • [72]
    Everett Hugues parle ici de « profession haute ». « Les professions hautes sont constituées de métiers bien établis, à fort statut, particulièrement respectés. Elles détiennent de ce fait un ensemble de privilèges et de droits à des positions et à des biens. Elles bénéficient, dans la hiérarchie des activités, d’une crédibilité et d’une légitimité peu contestées. La médecine a été considérée au XXe siècle comme le symbole de la profession prestigieuse ». Cité par Peneff, Jean. 2005. La France malade de ses médecins, Paris, Les empêcheurs de penser en rond, Le Seuil.
  • [73]
    Certains évoquent une confusion des rôles pour qualifier la position de ces médecins. Plutôt que de parler de confusion, qui laisse entendre une forme de duperie du monde sportif envers des médecins tombés dans le piège de leur instrumentalisation, il semble préférable de trouver un terme plus fidèle aux processus actifs, et aux représentations engagées par les agents eux-mêmes. Aboutissement logique d’une trajectoire individuelle, bien plus que d’une confusion, il s’agit d’une adhésion.
  • [74]
    Notes ethnographiques du mardi 26 août 2006.
  • [75]
    Viaud, Baptiste. « L’apprentissage de la gestion des corps dans la formation des jeunes élites sportives. Les paradoxes de la médecine du sport ? », Revue Internationale d’Education Familiale, n° 24. A paraître, 1er semestre 2009.
  • [76]
    Cette problématique n’est pas sans rappeler le très célèbre procès de civilisation de Norbert Elias, dans lequel la « pacification des mœurs » résulte simultanément d’une élévation des contraintes sociales [qui peuvent correspondre ici à l’autonomisation du champ sportif] et d’un renforcement de « l’auto-contrainte » [que l’on retrouve dans l’apprentissage de la résistance à la douleur, favorisé par l’action de l’entourage sportif, et en l’occurrence du médecin du sport]. Elias, Norbert. 1973 [1939]. La civilisation des mœurs, Paris, Calman-lévy.
  • [77]
    Entretien réalisé le 1er novembre 2006.
  • [78]
    Quel que soit le milieu sportif dans lequel des investigations ont été menées, il a été possible de repérer empiriquement cette technique de normalisation de la douleur. Ainsi, par exemple, ce footballeur professionnel, lorsqu’il discute avec un de ces coéquipiers qui vient de se blesser à l’entraînement et qui attend le « doc », lui explique qu’en ce qui le concerne, il évolue avec une « douleur récurrente de la cheville », mais « pas grave » puisque résultant « selon les médecins », du fameux cas de la « cheville du footeux ». Ou encore, ce jeune gymnaste qui souffre du poignet gauche et qui se voit renvoyé à l’entraînement par le médecin du pôle, après avoir diagnostiqué une ostéochondrose, « pathologie classique et normale d’un gymnaste en devenir, à laquelle on peut pas grand-chose ».
  • [79]
    Cette dépossession médicale des corps n’est que relative dans la mesure où chaque nouvelle occasion de consultation invite à de nouvelles évaluations. Si la douleur augmente par exemple trop significativement, au point de stopper physiquement l’activité sportive, le diagnostic pourra évoluer d’une semaine à l’autre, et se clore en dernier lieu par un arrêt médical. La poursuite de l’entraînement comme critère d’évaluation médicale (parmi d’autres) témoigne là aussi de l’imprégnation des normes sportives dans le jugement médical.
  • [80]
    De ce point de vue, il ne semble pas exagéré de parler ici d’hyperconsommation médicale de la part des sportifs.
  • [81]
    Notes ethnographiques du 10 mai 2007.
  • [82]
    Entretien du 18 mars 2008.
  • [83]
    Entretien du 11 mai 2004.
  • [84]
    Notes ethnographiques du vendredi 14 mars 2008.
  • [85]
    Notes ethnographiques du mardi 05 février 2008.
  • [86]
    Entretien du 18 mars 2008.
  • [87]
    Entretien du 20 mai 2008.
  • [88]
    Entretien du 16 mars 2005.
  • [89]
    Entretien du 18 mars 2008, complété par les notes ethnographiques du mardi 5 février 2008.
  • [90]
    Notes ethnographiques du mardi 29 avril 2008.
  • [91]
    Entretien du 25 mars 2008, réalisé avec un des cadres techniques du pôle.
  • [92]
    Entretien du 16 mars 2005.
  • [93]
    Entretien réalisé le mardi 15 mars 2005.
  • [94]
    Entretien réalisé le 11 mai 2004.
  • [95]
    Notes ethnographiques du mardi 19 juin 2007.
  • [96]
    Entretien du 4 juin 2008.
  • [97]
    Entretien du 18 mars 2008.
  • [98]
    Bourdieu, Pierre. 2000 [1972]. Esquisse d’une théorie de la pratique, Paris, Editions du seuil.

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