Notes
-
[1]
P. J. Crutzen, « Geology of Mankind », Nature 415 (2002), p. 23.
-
[2]
W. Steffen et al., « The Anthropocene: Are Humans Now Overwhelming the Great Forces of Nature? », Ambio 36/8 (2007), p. 614.
-
[3]
Dans son livre de 1926, il relevait un « lien évident » entre les phénomènes biologiques et « tout le mécanisme cosmique » (V. Vernadsky, La Biosphère, « Points », Seuil, Paris, 2002, p. 58).
-
[4]
P. Teilhard de Chardin, « L’hominisation » (1925), in Œuvres, tome III, Seuil, Paris, p. 91.
-
[5]
Cité dans M. Lussault, L’Avènement du Monde. Essai sur l’habitation humaine de la Terre, Seuil, Paris, 2013, p. 27.
-
[6]
Ph. Descola, « Humain, trop humain », Esprit 420, décembre 2015, p. 8.
-
[7]
J.-P. Deléage, Une histoire de l’écologie, « Points », Seuil, Paris, 1994, p. 294.
-
[8]
C. Larrère, « Anthropocène : le nouveau grand récit », Esprit 420 décembre 2015, p. 46-55, p. 46-47.
-
[9]
Ibid., p. 48.
-
[10]
H.-S. Afeissa, La fin du monde et de l’humanité. Essai de généalogie du discours écologique, PUF, Paris, 2014, p. 19-20.
-
[11]
Cf. l’article de Frédéric Rognon dans ce numéro.
-
[12]
L. T. White, « The Historical Roots of our Ecologic Crisis », Science 155 (1967), p. 1203-1207 (tr. fr. dans : D. Bourg, Ph. Roch (Éds.), Crise écologique, crise des valeurs ? Défis pour l’anthropologie et la spiritualité, Labor et Fides, Genève, 2010).
-
[13]
Pour une discussion, on se reportera à I. G. Barbour (Éd.), Western Man and Environmental Ethics; Attitudes Toward Nature and Technology, « Addison-Wesley series in history », Addison-Wesley Pub. Co, Reading, 1973 et Bourg, Roch (Éds.), op. cit.
-
[14]
K. Rahner, Est-il possible aujourd’hui de croire ? Dialogue avec les hommes de notre temps, tr. fr. Ch. Muller, Mame, Tours, 1966, p. 71. On peut penser aussi au célèbre ouvrage de J.-B.Metz, L’homme, l’anthropocentrique chrétienne : pour une interprétation ouverte de la philosophie de Saint Thomas, Mame, Paris, 1968, défendant la thèse que « la forme de pensée grecque est cosmocentrique, celle de Thomas est anthropocentrique » (p. 48). Voir à ce propos : Cf. J.-L. Souletie, « L’anthropocentrique chrétienne au défi de la crise écologique » in J.-N. Pérès (éd.), L’avenir de la Terre, un défi pour les Églises, DDB, Paris, 2010, p. 109-144.
-
[15]
I. Delio, The Unbearable Wholeness of Being: God, Evolution and the Power of Love, Orbis Books, Maryknoll, 2013, p. 37.
-
[16]
A. Jeannière, « Le christocentrisme du Milieu divin » in Ch. Silvestre de Sacy, Cl. Cuénot (Éds.), Le message spirituel de Teilhard de Chardin. Colloque sur le Milieu divin, Seuil, Paris, 1970, p. 195.
-
[17]
Cf. F. Euvé, « Théologie de la nature », RSR 98/2 (2010), p. 267-290 ; Id, « Le cosmos », in B. Bourgine (dir.), La margelle du puits. Adolphe Gesché, une introduction, Éd. du Cerf, Paris, 2013, en particulier p. 344-349.
-
[18]
É. Charmetant, « Écologie profonde et spiritualité: un lien si fort », RETM.HS (2018), p. 105 (cet article est une présentation rapide mais très claire des grands penseurs de ce courant).
-
[19]
Ibid., p. 108.
-
[20]
J. Lovelock, La Terre est un être vivant : l’hypothèse Gaïa, tr. fr. P. Couturiau, Chr. Rollinat, « Champs », Flammarion, Paris, 1993, p. 19.
-
[21]
Ibid, p. 21.
-
[22]
B. Latour, Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique, La Découverte, Paris, 2015, p. 180.
-
[23]
Ibid, p. 50.
-
[24]
D. Lecourt, « Introduction », in G. Cohen-Tannoudji, Les constantes universelles, « Pluriel », Hachette, Paris, 1998, p. 22.
-
[25]
Cf. Chr. Theobald, « L’enseignement social de l’Église selon le pape François », NRT 138/2 (2016), p. 273-288. C’est aussi un changement de « style » qui est engagé, chaque personne devient l’interlocuteur d’une conversation.
-
[26]
La première partie du Milieu divin est intitulée « Divinisation des activités ».
-
[27]
Le théologien luthérien américain P. Santmire fut l’un des premiers à s’affronter à la thèse de White. Son premier article est paru en 1968 (« I-Thou, I-It, and I-Ens », JR 67/3, p. 260-273). Voir aussi son livre : Brother Earth; Nature, God, and Ecology in Time of Crisis, T. Nelson, New York, 1970. On trouve ensuite J. Moltmann, Gott in der Schöpfung : ökologische Schöpfungslehre, Kaiser, München, 1985 ; L. Boff, Ecologia, mundialização, espiritualidade: a emergência de um novo paradigma, Atica, Sao Paolo, 1993, etc.
-
[28]
A. Gesché, Dieu pour penser. IV. Le cosmos, Éd. du Cerf, Paris, 1994, p. 14.
-
[29]
Voir en particulier : R. Hooykaas, Religion and the Rise of Modern Science, Scottish Academic Press, Edinburgh/London, 1972 ; E.M. Klaaren, Religious Origins of Modern Science: Belief in Creation in Seventeenth-century Thought, Eerdmans, Grand Rapids, 1977. Plus récemment : M. Blay, Dieu, la nature et l’homme : l’originalité de l’Occident, A. Colin, Paris, 2013.
-
[30]
A. Gesché, op. cit., respectivement p. 26 et 29.
-
[31]
Ibid, p. 58.
-
[32]
Ibid, p. 40.
-
[33]
Ibid, respectivement p. 72 et 76.
-
[34]
Ibid, p. 189.
-
[35]
J. Moltmann, Dieu dans la création : traité écologique de la création, tr. fr. M. Kleiber, CF 146, Éd. du Cerf, Paris, 1988, p. 123.
-
[36]
Somme contre les Gentils, III, 70, 7.
-
[37]
Sur la Physique d’Aristote, II, 14 (cité dans LS 80).
-
[38]
Cf. M.J. Dodds, Unlocking Divine Action: Contemporary Science & Thomas Aquinas, CUAP, Washington, 2012, p. 48.
-
[39]
On n’abordera pas ici la question de l’animal, qui fait l’objet de nombreux travaux théologiques récents. Voir en particulier C. Deane-Drummond, The Wisdom of the Liminal: Evolution and other Animals in Human Becoming, Eerdmans, Grand Rapids, 2014.
-
[40]
C’est aussi une manière de défendre l’égale dignité de toutes les personnes humaines. Il ne faudrait pas que la défense des espèces animales menacées prenne le pas sur la justice sociale (LS 90). L’écoute du « cri de la terre » s’accompagne de celle du « cri des pauvres ».
-
[41]
Une position vigoureusement soutenue par le théologien australien D. Edwards : « Every Sparrow that Falls to the Ground: the Cost of Evolution and the Christ-event », Ecotheology 11/1 (2006), p. 103-123.
-
[42]
Le thème de la créativité est central dans la métaphysique d’Alfred North Whitehead.
-
[43]
A. Gesché, Le cosmos, op. cit. p. 64.
-
[44]
Ibid., p. 106.
-
[45]
Cf. D. Fergusson, Creation, Eerdmans, Grand Rapids, 2014, p. 63.
-
[46]
Cf. D. Edwards (Éd.), Earth Revealing, Earth Healing: Ecology and Christian Theology, Liturgical Press, Collegeville, 2001.
-
[47]
Plus explicitement dans : C. Gunton, The Triune Creator: A Historical and Systematic Study, Eerdmans, Grand Rapids, 1998 ; A. Ganoczy, La Trinité créatrice : synergie en théologie, CF 233, Éd. du Cerf, Paris, 2003 ; J.A. Bracken, The World in the Trinity: Open-Ended Systems in Science and Religion, Fortress Press, Minneapolis, 2014. La théologie de la création de Moltmann est explicitement trinitaire.
-
[48]
D. Edwards, How God Acts: Creation, Redemption, and Special Divine Action, « Theology and the sciences », Minneapolis Fortress Press,, 2010, p. 43.
-
[49]
Dans F. Euvé et al. (Éds.), L’action créatrice. Ce qu’en dit la théologie, DDB, Paris, 2012, resp. p. 176 et 186. Parler de l’altérité divine en termes spatiaux n’est pas très heureux. L’exprimer comme « distance infinie entre la nature et le Créateur » (LS 88) rend plus difficile d’envisager l’horizon de communion.
-
[50]
A. Gesché, Dieu pour penser. V. Le sens, Éd. du Cerf, Paris, 2003, p. 53.
-
[51]
M. Kehl, « Et Dieu vit que cela était bon » : une théologie de la Création, tr. fr. J. Hoffmann, CF 264, Éd. du Cerf, Paris, 2008, p. 345.
-
[52]
Basile, Sur le Saint Esprit, SC 17, Éd. du Cerf, Paris, 1947, p. 317.
-
[53]
M. Kehl, op. cit., p. 346.
-
[54]
W. Pannenberg, Théologie systématique. T. 2, tr. fr. O. Riaudel, CF 279, Éd. du Cerf, Paris, 2011, p. 30.
-
[55]
M. Kehl, op. cit., p. 346.
-
[56]
Pour une comparaison des deux, voir C. Rubini, Il divenire della creazione. In dialogo con Karl Rahner e Jurgen Moltmann, Città Nuova, Roma, 2013.
-
[57]
F. Revol, Le concept de création continuée dans l’histoire de la pensée occidentale, Institut Interdisciplinaire d’Études Épistémologiques, Vrin/Fac. Catholique de Lyon, Paris/Lyon, 2017.
-
[58]
Déjà invoquée par H. de Dorlodot dans sa défense de Darwin : Le darwinisme au point de vue de l’orthodoxie catholique, Bruxelles, 1921
-
[59]
Laudato si’ mentionne aussi cette présence : « L’Esprit de Dieu a rempli l’univers de potentialités qui permettent que, du sein même des choses, quelque chose de nouveau puisse surgir ».
-
[60]
A. Gesché, Le sens, op. cit., p. 11.
-
[61]
A. Gesché, Dieu pour penser. III. L’homme, Éd. du Cerf, Paris, 1993, p. 53.
1Le terme d’« anthropocène » a été proposé par le chimiste néerlandais Paul Jozef Crutzen dans un billet de la revue Nature du 3 janvier 2002 [1]. Le raisonnement procédait du constat d’un effet croissant des activités humaines sur l’environnement terrestre, que ce soit sur le plan de la pollution, du réchauffement climatique, de l’érosion de la biodiversité, etc. À ses yeux, c’était le signe d’une nouvelle ère géologique, succédant à l’holocène. Il proposait d’en situer le début au commencement de l’ère industrielle, plus précisément en 1784, l’année où James Watt inventa la machine à vapeur. Désormais, l’humanité devenait une force géologique capable de « rivaliser avec les grandes forces de la Nature et d’entraîner la Terre vers une terra incognita planétaire » [2].
2Crutzen reconnaissait ne pas être le premier à relever l’impact significatif de l’humanité sur le fonctionnement du système terre. Dans son article de 2002, il mentionnait le géologue italien Antonio Stoppani qui, en 1873, parlait de l’humanité comme d’une « nouvelle force tellurique comparable en puissance et en universalité aux plus grandes forces de la terre ». Il mentionnait aussi les travaux de Vladimir Vernadsky [3] ainsi que les réflexions de Pierre Teilhard de Chardin sur la noosphère, une notion qui désigne « l’enveloppe pensante de la Biosphère » qui serait « du même ordre de grandeur » que cette dernière [4]. D’autres références peuvent être apportées. Dès 1778, Buffon écrit dans Les Époques de la Nature : « La face entière de la Terre porte aujourd’hui l’empreinte de la puissance de l’homme » [5]. Pour Alexandre de Humboldt, la terre est un grand organisme vivant dont l’humanité est partie prenante [6]. Dans la même ligne, le chimiste James Lovelock, inspiré par Vernadsky, forgera en 1970 l’« hypothèse Gaïa » pour rendre compte de manière précise de l’ensemble des interdépendances qui lient l’humanité au fonctionnement de la planète Terre dans toutes ses composantes, biologiques aussi bien que géologiques et atmosphériques.
3La nouveauté du diagnostic récent vient de ce qu’à la différence des auteurs cités à l’instant, nous envisageons l’impact de l’activité humaine sur l’environnement terrestre comme surtout négatif. À l’instar de bien des penseurs des Lumières, Humboldt se réjouissait des capacités acquises par l’humanité qui lui permettraient de rendre la terre plus habitable pour les générations futures. Notre sentiment actuel est inverse : du fait d’une activité qui ne connaît aucune limite, la terre deviendrait de moins en moins habitable. La puissance déployée par le génie humain pour « maîtriser » la nature dans le but de l’« humaniser » se retourne contre lui.
4C’est donc la notion d’interdépendance qui vient au premier plan. Cela rejoint ce que la vision écologique du monde souligne comme caractéristique essentielle du vivant. L’écologie est au premier chef la « science des interrelations du vivant, de l’homme et de la nature » [7]. Comme discipline scientifique, elle se forge au moment où l’on perçoit qu’on ne peut comprendre un organisme sans le situer dans l’ensemble des relations qu’il entretient avec son environnement. La perspective écologique impose une vision d’ensemble qui prend en compte toutes les composantes du monde.
5Un autre point mérite d’être souligné d’emblée. Paul Crutzen termine son billet de Nature en affirmant que nous nous dirigeons désormais vers une « terra incognita ». L’entrée dans l’anthropocène signifie le caractère à la fois irréversible (rien ne sera plus comme avant) et non-prédictible de l’évolution future de la planète. À l’encontre de la vision moderne qui, s’appuyant sur un modèle mécanique analytique, postulait la prédictibilité au moins potentielle des systèmes physiques, nous devons réintégrer le paramètre temporel, c’est-à-dire reconnaître la dimension historique, non seulement pour la vie humaine mais, plus largement, pour l’évolution du monde dans son ensemble. « Histoire » et « nature » se rencontrent à nouveau. L’anthropocène serait donc, pour Catherine Larrère, faisant écho à Michel Serres, un nouveau « grand récit ». Son succès ne viendrait pas d’un constat factuel mais de « sa pertinence pour fournir une référence globale à nos actions, qui soit susceptible de leur donner un sens » [8].
6À l’égard de l’avenir, d’un avenir reconnu comme à la fois imprédictible et souvent menaçant, l’approche « anthropocénique » du monde peut conduire à adopter deux attitudes [9]. La première, qui semble être celle de Paul Crutzen lui-même, s’inscrit dans le prolongement de la modernité : une technologie humaine plus élaborée, grâce à la « géoingénierie », permettra de venir à bout des nuisances qu’une technologie plus rudimentaire avait causées. La seconde est nettement moins optimiste. Il s’agit de « penser toutes choses sous l’hypothèse de la possibilité permanente de l’apocalypse » ou, selon l’expression de Karl Jaspers, « à l’ombre de la bombe » [10]. L’action se borne à limiter au maximum l’impact des activités humaines (revenant à des techniques anciennes et réduisant la population mondiale) en se préparant à une catastrophe plus ou moins inéluctable. Entre l’utopie techniciste des premiers et le catastrophisme des seconds, sans doute y a-t-il à rechercher une attitude de sagesse qui tente de tracer sa route sans arrogance ni désespérance. La tradition chrétienne pourrait-elle y aider ?
7Ces considérations ne peuvent laisser indifférente la réflexion théologique qui se trouve placée devant un double défi. Le premier se situe sur le plan de l’anthropologie. Sur le fond de la solidarité biologique, comment dire le « propre de l’homme », créé « à l’image et à la ressemblance de Dieu » [11] ? Le second relève d’une théologie du salut. Faut-il insister sur la fatalité inéluctable d’une catastrophe cosmique provoquée par les mauvaises actions de l’humanité, et s’en remettre à la seule grâce surnaturelle ? Ou pouvons-nous encore faire fonds sur les ressources de l’humanité, voire de l’ensemble des créatures, qui peuvent contribuer à la résolution de cette crise ?
8La théologie de la création est sollicitée. L’encyclique Laudato si’, qui se veut une contribution à la réflexion afin de sauvegarder la « maison commune », fait reposer sa parole d’espérance sur la contemplation de Dieu créateur du monde. Issu d’une origine divine, voulu par un Dieu bon, le monde ne peut pas retourner au néant. Par ailleurs, dans sa reprise de l’action créatrice de Dieu, l’encyclique souligne, bien davantage que les textes magistériels antérieurs, la « valeur propre » de toutes les créatures. Chacune contribue, à sa façon, à l’action commune.
9Pour dessiner les traits d’une théologie de la création à l’âge de l’anthropocène, il nous faudra d’abord revenir aux modèles qui se trouvent à l’arrière-plan de la manière avec laquelle l’homme de la modernité se rapporte au monde, en relevant leurs résonances théologiques. Cela permettra de dégager en creux les principes qui doivent guider la réflexion : une action créatrice conçue comme conjointe (à partir d’une théologie trinitaire) et ouverte, comme une création continuée qui donne naissance à une histoire. On retrouvera ainsi les deux éléments schématiquement dégagés de la notion d’anthropocène : interdépendance des composantes du monde et historicité de la nature.
Le modèle mécanique de la modernité
10Dans un célèbre article qui a donné le branle à une réflexion théologique renouvelée qui prenne en compte la problématique écologique, l’historien américain Lynn White défend la thèse que le christianisme, au moins sous sa forme occidentale majoritaire (il excepte la spiritualité franciscaine), a créé les conditions propices à l’émergence d’une attitude prédatrice sur la nature [12]. Le christianisme accorderait à l’humanité un privilège considérable, qui en ferait la religion « la plus anthropocentrique qui soit ».
11Nous ne discuterons pas en détail la thèse de White, souvent commentée (et parfois caricaturée) [13], mais un rapprochement est curieux avec une conférence quasiment contemporaine de Karl Rahner, dans laquelle il emploie l’expression de « tournant anthropocentrique » de la théologie en affirmant que
l’homme d’aujourd’hui est un homme qui est devenu un sujet, un sujet doté d’une responsabilité réelle (et non plus simplement théorique) ; un homme qui vient de réaliser, dans son commerce avec les choses (et non plus simplement au plan des idées et de sa vie religieuse), une vraie révolution copernicienne, le passage du cosmocentrisme à l’anthropocentrisme. [14]
13De tels rapprochements, hors contexte, sont dangereux ! Mais la concomitance des propos est instructive d’un changement d’époque. Pour Rahner, il s’agissait de se démarquer d’une anthropologie excessivement pessimiste, obsédée par la déchéance de l’humanité du fait du péché originel et plaçant le salut dans la seule dépendance des commandements de Dieu et de l’Église. Vatican II avait déjà opéré ce tournant, qu’un Teilhard de Chardin appelait de ses vœux depuis plusieurs décennies : redonner toute sa valeur à la liberté humaine et à sa capacité d’agir sur le monde.
14On voit bien la difficulté de la question : l’humanité a-t-elle un statut particulier qui la distingue de ce qui n’est pas elle et que la modernité appellera « nature » ? La distinction entre « nature » et « culture » semble bien propre à la civilisation occidentale dont la marque chrétienne ne peut pas être ignorée.
15C’est le tournant de la modernité qui voit s’instaurer de manière beaucoup plus forte le dualisme que relève et dénonce Lynn White. Le modèle mécanique qui devient avec Galilée et Descartes le paradigme dominant de la nouvelle physique établit une coupure nette entre l’ordre humain de la liberté et l’ordre naturel de la nécessité. Le monde n’est plus l’organisme animé des Anciens (un thème qui revient d’ailleurs à la mode à l’époque de la Renaissance comme l’atteste l’œuvre de Giordano Bruno) ; il est une grande machine au fonctionnement déterminé par des lois immuables. La connaissance de ses rouages permet d’en modifier le fonctionnement. La force de ce paradigme est l’efficacité qu’il confère à l’action humaine puisque les processus physiques sont supposés aussi prédictibles que le lancement d’un projectile dont on connaît la position et la vitesse initiales. De l’inerte, il s’étendra ultérieurement au vivant et même à l’intelligence que l’on cherchera à « artificialiser ».
16L’apport attendu d’un tel modèle est d’assurer la liberté de l’esprit humain à l’égard de toute dépendance extérieure. Par sa connaissance des mécanismes d’une nature dont on postule le fonctionnement déterminé (et non plus capricieux), il en acquiert une maîtrise potentiellement totale. Le paradoxe, plusieurs fois relevé par des auteurs comme Jacques Ellul ou Ivan Illich, est le retournement qui s’opère dans le fonctionnement effectif de la technologie moderne : d’instrument de libération attendue, elle devient instrument d’asservissement. Non seulement l’homme se trouve expulsé de la nature, « tsigane » en marge de l’univers selon la vigoureuse image de Jacques Monod, mais il tombe sous la coupe des outils qu’il a forgés. C’est donc la technologie qui devient la source des malheurs de l’humanité.
De la machine à l’organisme
17La perspective écologique prend nettement le contrepied du modèle mécanique de la science moderne. C’était déjà le cas de la vision évolutive du vivant, du moins tant qu’elle n’est pas reprise dans un schéma qui ne connaît que « hasard et nécessité ». Il n’est pas certain que le schéma darwinien soit la meilleure réponse aux apories du mécanicisme, surtout lorsque la génétique renoue avec une recherche de « mécanismes » (qu’ils soient entachés de hasard ne suffit pas à retourner la situation). Mais, chez des esprits moins préoccupés de ces mécanismes, la vision évolutive peut ouvrir un horizon historique. Telle est sans doute la visée d’un Teilhard de Chardin lorsqu’il découvre « une nature passionnément vivante, vibrante, imprégnée d’énergie et de croissance » [15] dans laquelle l’amour est une « force cosmique ». Abel Jeannière l’avait bien relevé : « Teilhard a pris l’histoire au sérieux » [16].
18Un bon nombre de travaux scientifiques récents tentent de redonner son importance à la notion de temporalité et à faire percevoir le monde comme en histoire. Ce n’est pas le lieu d’en donner ici une présentation détaillée [17]. On relèvera l’aspect épistémologique, dans la mesure où les nouvelles théories physiques mettent en question le postulat de pure extériorité ou d’objectivité intégrale de l’observateur. La connaissance est par nature bornée par un « horizon », ce qui fait signe vers une démarche davantage dialogale.
19L’écologie marque à l’évidence un déplacement significatif à l’égard d’une vision anthropocentrique du monde, ce dans quoi la seule « défense de l’environnement » reste encore trop proche. L’enjeu n’est pas seulement d’assurer le bien-être de l’humanité dans un environnement non pollué, ni même sa survie en écartant toute catastrophe climatique. Il s’agit de prendre conscience que le dualisme moderne qui oppose l’homme à une nature mécanisée ne rend pas justice à ce que sont en vérité les diverses composantes, humaines et non humaines, du monde.
20À titre d’exemple, on s’arrêtera ici sur le courant d’« écologie profonde », promu en particulier par le philosophe norvégien Arne Naess (1912-2009), inventeur du vocable. L’anthropologie qu’il propose est radicalement relationnelle, la relation interhumaine se généralisant à l’ensemble de la biosphère à partir de la notion centrale de « vie » : « L’homme est invité à prendre conscience de l’interdépendance de sa vie avec le reste de la biosphère » [18]. D’autres penseurs développent des perspectives semblables. Pour Aldo Leopold (1887-1948), auteur du bestseller Almanach d’un comté des sables (1943), l’« éthique de la terre » (land ethics) élargit les frontières de la communauté à laquelle appartient l’homme. Sol, eau, plantes, animaux et terre dans son ensemble y appartiennent. À sa suite, John Baird Callicott (né en 1941) précise les soubassements métaphysiques et éthiques d’une vision à la fois écologique et évolutionniste qui rejette « une vision mécanique du monde » et abandonne « une vision atomiste du monde au profit d’une vision organiciste et holiste » [19].
21Cela rejoint les travaux scientifiques de James Lovelock, déjà mentionnés. Son postulat exprime que « la biosphère est une entité autorégulatrice dotée de la capacité de préserver la santé de notre planète en contrôlant l’environnement chimique et physique » [20]. C’est pourquoi
nous et tous les êtres vivants faisons partie intégrante d’un vaste organisme qui possède dans son ensemble le pouvoir de conserver à notre planète ses caractéristiques vitales. [21]
23Gaïa est donc une entité complexe dont les propriétés d’ensemble ne sont pas déductibles des propriétés des entités qui la composent, lithosphère, biosphère, océans, atmosphère, etc. Une « logique circulaire » est à l’œuvre, qui n’est pas sans rappeler le principe de la cybernétique.
Une vision globale ?
24Il a été dit que la perspective écologique orientait l’esprit vers une vision « holistique » du monde. Est-ce à dire que le regard lui resterait extérieur, qu’au lieu de se contenter d’analyser les diverses composantes du cosmos, on pourrait le saisir dans un même geste synthétique ? L’écologie serait-elle la « science des sciences », fournissant le grand schéma que l’éclatement croissant des disciplines scientifiques a renoncé à bâtir ?
25Bruno Latour met vigoureusement en garde à l’encontre d’une telle tentation qui ne fait que pousser à l’extrême l’illusion du savant moderne : occuper la « place de Dieu » et englober du même regard l’infiniment grand et l’infiniment petit, le plus proche et le plus lointain. S’il reprend de Lovelock le concept de « Gaïa » qui dit, comme on l’a vu, l’interdépendance des diverses composantes du système terre, son insistance est placée sur la pluralité de ces instances, à l’encontre d’une vision qui ne retiendrait que la « sphère » : « Celui qui regarde la Terre comme un Globe se prend toujours pour un Dieu. » [22] Si l’on peut faire cette analogie, la figure de la sphère serait remplacée par celle du « polyèdre » chère au pape François. Dans son encyclique Laudato si’, il présente la multiplicité des créatures comme une bénédiction qu’il faut préserver, car elle révèle « l’inépuisable richesse de Dieu » (LS 86). Les instances entrent dans une composition toujours changeante du fait qu’elles représentent chacune, dans leur singularité de sujet, une « puissance d’agir » (agency). La « nature » n’est plus un concept englobant. Elle n’est plus un déterminant préalable que l’on pourrait subsumer sous des « lois » immuables. Nous sommes face à « l’altérité vertigineuse des existants » [23].
26Le christianisme est ainsi invité à quitter la position de surplomb, symétrique d’ailleurs de celle du scientifique moderne (le « point de vue de Dieu » selon une expression de Dominique Lecourt [24]), pour s’investir dans une conversation polycentrique.
Le « tournant cosmologique » de la théologie
27La valorisation de l’interdépendance de toutes les composantes du monde rejoint le « tout est lié » de l’encyclique Laudato si’. De ce fait, son anthropologie sous-jacente marque une inflexion significative par rapport à celle de Gaudium et spes [25]. On se souvient que la constitution pastorale, très significative de l’apport du Concile, qualifiait l’homme de « centre et sommet (vertex) de la création » (GS 12, 1). Tandis que ce texte présentait la position éminente de l’homme comme un point d’accord entre « croyants et incroyants » (id.), dans un étonnant et certainement volontaire parallélisme, Laudato si’ affirme qu’« aujourd’hui croyants ou non croyants, nous sommes d’accord sur le fait que la terre est essentiellement un héritage commun dont les fruits doivent bénéficier à tous » (LS 93). En 1965, les pères conciliaires valorisaient le travail par lequel l’humanité contribue à la réalisation du Règne de Dieu :
Les chrétiens sont bien persuadés que les victoires du genre humain sont un signe de la grandeur divine et une conséquence de son dessein ineffable.
29Sans doute prenaient-ils garde de ne pas identifier « progrès humain » et « croissance du Règne de Dieu ». Mais, dans une perspective manifestement inspirée par la pensée de Pierre Teilhard de Chardin [26], ils établissaient une certaine relation entre les deux. Ce que l’humanité réalise ne se limite pas à l’accomplissement moral d’un « devoir d’état » ni à l’« intention droite ». Le résultat de l’action a une valeur que l’on peut qualifier de salutaire.
30Depuis lors, – on l’a rappelé – des voix se sont élevées en nombre croissant pour relever les effets pervers d’une technique censée libérer l’humanité de sa dépendance à l’égard de la nature. L’impact de cela sur la réflexion théologique a commencé à se faire sentir à la suite de la conférence de l’historien américain Lynn White. Mais il a fallu attendre les années 1980 pour voir apparaître les premiers impacts significatifs [27].
31De ce fait, la théologie plus récente cherche à effectuer son « tournant cosmologique ». Pour Adolphe Gesché, bon représentant de ce courant, la notion de création fournirait « une occasion de respecter et d’écouter le cosmos en lui-même et pour lui-même, loin de toute maîtrise et exploitation » [28]. C’est en effet la notion de maîtrise qui apparaît en position centrale. On a vu que la science moderne conférait à l’humanité une capacité de domination sur le monde garantie par un modèle mécanique prédictif. La nature est artificialisée au profit de l’humanité.
32À ce propos, plusieurs historiens avaient relevé l’incidence de schèmes théologiques à l’origine de la science moderne comme physique mathématique élaborée selon un modèle mécanique [29]. En résumé, l’idée est la suivante : la Renaissance fait revenir une représentation organique du monde dont Dieu serait « l’âme ». Sous l’influence d’une redécouverte de la littérature antique, un certain panthéisme se diffuse, dont la pensée de Giordano Bruno est l’une des expressions les plus significatives. Une réaction se serait alors produite dans certains milieux chrétiens, tirant profit du modèle mécanique d’univers pour exprimer la transcendance divine à l’égard du monde représentée selon un schéma d’extériorité spatiale. Comme l’écrit Newton à la fin des Principia, Dieu n’est pas l’âme du monde, il en est le « seigneur » (dominus).
33Quoi qu’il en soit des débats d’historiens, c’est l’insistance sur la notion de puissance et la conception de la relation entre Dieu et le monde, le Créateur et la créature, en termes de domination, qui apparaît au premier plan. La représentation de la création est celle d’une fabrication dans laquelle le concepteur a la maîtrise totale de son objet, selon les images répandues du « grand architecte » ou de l’« horloger ». Puisque l’homme est créé à l’image de Dieu, la porosité des attributs d’omniscience et de toute-puissance contribuera à exalter les qualités humaines. Les termes se nourrissent mutuellement dans un va-et-vient où le cosmos est oublié dans sa consistance propre : « une théologie trop crispée sur l’homme court le danger de rendre insensiblement Dieu à notre image et ressemblance », car l’homme « a infiniment besoin du cosmos pour être homme » [30].
L’action créatrice
34Avant de revenir sur la capacité d’action de l’ensemble des créatures et sur leur contribution à l’accomplissement de l’action créatrice, il nous faut nous arrêter sur cette dernière. Que signifie « créer » pour Dieu si l’on veut se démarquer du schème de fabrication qui valorise l’extériorité du Créateur à l’égard des créatures, attribuant la seule activité au premier et la passivité réceptrice aux secondes ? Nous suivrons encore le théologien de Louvain.
35À ses yeux, la désertion du monde par l’homme des temps modernes et l’acosmisme de la pensée moderne ont réduit la richesse inépuisable des choses à « la monotone exécution sans autonomie d’une dictée venant d’ailleurs » [31]. La domination sans partage que l’homme moderne pense exercer sur la nature reproduit la conception d’un Dieu « tout-puissant » qui dirigerait de l’extérieur sa création, sans lui accorder aucune autonomie.
36Adolphe Gesché plaide pour un renversement à l’égard de l’idée classique que le Créateur ne saurait être affecté par une création qui dépend entièrement de lui. L’acte créateur serait davantage le premier moment d’une entrée en relation de plusieurs instances : « Il y aurait dans le geste créateur, non simplement position de l’autre, mais “contre-position” de soi : Dieu accepte d’être atteint par ce qu’il crée » [32]. La grandeur du Créateur consiste justement à « autoriser » cet espace d’expression : « Créer, ce n’est pas tout dicter et disposer d’avance, mais ouvrir un champ et un espace d’autonomie », car « dans la nature même du geste créateur se trouve intégrée la part créatrice laissée, d’intention, de principe, à ce qui est créé, pour qu’il mérite d’ailleurs ainsi vraiment d’être appelé créé, et non fabriqué. » [33]
37Il reprend l’adage attribué à l’évêque Frederick Temple et que l’on trouve aussi volontiers sous la plume de Teilhard de Chardin : « Dieu ne fait pas tant les choses qu’il fait les choses se faire ». La création initiale ne détermine pas plus le déroulement ultérieur des choses que la mise au monde d’un enfant ne fixe ce que sera le cheminement singulier de son existence.
Dieu, si l’on peut dire, n’a créé qu’en germe, in principio, in semine, en structures de capacité. Il a lancé le monde par un “simple” commandement (fiat lux), il l’a ordonné à la fois par cet ordre d’intelligence qu’est le Logos et par cet ordre d’invitation qu’est son commandement. Au monde et à nous de faire le reste. [34]
39Si l’on veut mettre l’accent sur l’autonomie des créatures, on peut aborder l’action divine sous l’angle de l’autolimitation de la puissance. C’est une lecture possible de l’arrêt « sabbatique » de la création au septième jour. Cela rejoint la thématique, répandue dans la théologie contemporaine, de la kénose divine, de son retrait ou de sa « discrétion ». Ce registre, comme on sait, fut mis en avant par Hans Jonas à partir de la notion cabalistique de « tsimtsoum », mais dans un contexte différent (l’apparente inaction divine face au mal absolu). Il fut repris par Jürgen Moltmann pour dire que, dans ce « retrait » ou dans cette « autolimitation », Dieu rend possible la création : « il “crée” en laissant être, en mettant en place et en se retirant » [35]. Cette perspective fait droit à la revendication d’autonomie de l’acteur humain et rejoint à certains égards la préoccupation des pères conciliaires.
40Thomas d’Aquin avait déjà fourni quelques propositions suggestives qui permettent d’aller plus loin que l’image du simple « retrait » du Créateur, en suggérant une communication d’être. L’immensité de la bonté divine fait « vouloir [que Dieu communique] aux choses sa ressemblance, non seulement quant au fait d’être, mais aussi quant au fait d’être cause d’autres choses » [36]. L’enjeu était de montrer que les créatures ont une action authentique. Que les phénomènes du monde trouvent leur origine ultime en Dieu n’empêche pas de considérer l’action des « causes secondes ». Chaque entité contribue à l’accomplissement de l’action, mais chacune dans son ordre propre. Il emploie même une image significative, reprise dans Laudato si’ :
Comme si l’artisan constructeur de navires pouvait accorder au bois de pouvoir se modifier de lui-même pour prendre la forme du navire. [37]
42La créature n’est pas un simple instrument passif ; elle possède une capacité d’agir, une « agency » pour reprendre le mot de Bruno Latour.
43L’image est suggestive mais reste instrumentale. Elle est insuffisante s’il s’agit de mettre en valeur une action commune. Elle met encore trop l’accent sur la cause efficiente au détriment des causes formelle ou finale [38]. On conçoit l’action comme une action sur, de même que la connaissance scientifique doit rester objective, c’est-à-dire détachée de son objet. Développer le registre de la communication invite à faire intervenir une théologie trinitaire de la création, un thème insuffisamment développé dans la théologie classique. Parler d’une « œuvre commune » serait insuffisant si l’on ne soulignait pas suffisamment ce qui circule entre les personnes divines : non pas ce qu’elles ont en commun mais ce qu’elles partagent mutuellement de leurs « propriétés ». Nous reviendrons plus loin sur la dimension trinitaire d’une théologie de la création.
La « valeur propre » des créatures
44Ce qui vient d’être dit au sujet de l’action créatrice concerne au premier chef la personne humaine et sa capacité d’action. Ne peut-on pas généraliser cela à l’ensemble des créatures, tout en respectant leurs spécificités [39] ? Cette question difficile reste encore peu abordée dans le champ théologique. On ne pourra donner que quelques brèves indications.
45L’encyclique Laudato si’ parle d’une « valeur propre » des créatures, distincte de la valeur (utilitaire, esthétique, etc.) que peut leur conférer l’humanité (LS 33, 69, 76…). Cette valeur n’est pas antinomique de la reconnaissance d’une certaine spécificité humaine, une « dignité infinie » (LS 65). La personne humaine est constituée dans son être propre par l’amour d’un autre, amour authentique car respectueux de la singularité irréductible de chaque personne, voulue pour elle-même et non pas en vue d’une autre fin [40]. Mais, si c’est la relation à un autre qui confère à la personne sa singularité, cette relation constitue un tissu universel dans lequel sont englobées toutes les créatures. Le statut de créature porte une dimension relationnelle qui se décline sur différents registres (pour l’être humain, Dieu, le prochain et la terre, selon LS 66). L’ensemble de ces relations doit faire système, la détérioration de l’une entraînant celle des autres. « Les différentes créatures, voulues en leur être propre, reflètent, chacune à sa façon, un rayon de la sagesse et de la bonté infinies de Dieu » (LS 69, qui cite le n° 339 du Catéchisme de l’Église catholique). Chaque créature, pas seulement humaine, est voulue par Dieu pour elle-même [41]. Elle est « l’objet de la tendresse du Père, qui lui donne une place dans le monde » (LS 77). Chacune « a une fonction et aucune n’est superflue » (LS 84).
46Ne peut-on pas aller de la « valeur propre » de chaque créature à la reconnaissance de sa capacité d’action et de participation à l’œuvre créatrice ? Pour Adolphe Gesché, la liberté humaine apparaît comme une expression spécifique de la créativité diffuse dans l’univers [42]. La création
manifesterait tout entière, d’un bout à l’autre de la chaîne, une capacité fondamentale, « élémentale » de liberté, un devoir constitutif d’invention qui constituerait la charte même de toute la réalité […] il n’y a pas lieu de voir la singularité de l’homme comme une exceptionnalité en rupture et aux dépens du reste de la nature, mais bien plutôt comme l’accomplissement d’un vœu de même nature, diffus dans l’ensemble de la création, mais nulle part accompli comme en l’homme. [43]
48Le cosmos n’est donc plus le lieu d’une perfection figée, déjà réussie et sans plus aucune attente. La création est traversée d’une structure immanente d’autogénèse et d’invention, et qui prend même avec l’homme le nom d’une structure de liberté.
49Cela marque-t-il un retour au cosmocentrisme antique ? Certaines objections chrétiennes à l’encontre de l’écologie mettent en avant un risque de « naturalisme » qui s’y attache. Nous serions revenus au panthéisme de la Renaissance, contre lequel s’était élevé le modèle mécanique de la science moderne. N’étant plus le « seigneur du monde », Dieu en serait-il de nouveau l’« âme » ? Sommes-nous en danger de perdre le bénéfice de ce que l’anthropocentrisme moderne apportait dans le champ de la liberté ? Une différence tient à la reconnaissance d’une histoire du cosmos, idée étrangère au cosmocentrisme antique, dont la visée est la contemplation des principes permanents de l’être. Or, parler d’histoire, c’est invoquer le jeu de libertés. On peut éprouver alors quelque réticence à reconnaître une dimension proprement historique à la nature physique, préférant réserver cette notion à la seule humanité. Mais ce serait en rester au dualisme moderne que la sensibilité écologique tente de rejeter.
50Le rôle propre de l’humanité serait alors de préserver les capacités d’action des autres créatures contre ce qui pourrait les menacer :
Pré-server cette terre, c’est maintenant sauve-garder d’avance la destinée de cette terre. Très concrètement, c’est y préserver ce que j’appelle les structures de capacité qui y sont déposées en germe et dont la présence en elle, dès maintenant, va bien au-delà de la figure qui passe. [44]
Une théologie trinitaire
52La théologie classique abordait le thème de la création dans la perspective d’un monothéisme strict. Si l’on reconnaissait la distinction intratrinitaire des personnes, l’accent était mis sur l’unité de l’action ad extra, davantage référée à la nature divine comme telle, autrement dit à ce que les personnes ont en commun. Les polémiques modernes ont renforcé la dérive « déiste » du traitement de la création, renvoyé plus volontiers dans le champ philosophique que dans le champ théologique et préférant la permanence de l’ordre naturel aux péripéties de l’histoire biblique du salut [45]. Dans le champ de la théologie trinitaire, l’époque médiévale avait débattu de la notion d’« appropriation », jugée insuffisante par des théologiens contemporains comme laissant finalement peu d’espace d’autonomie à l’action des personnes [46]. Plusieurs tentatives ont été récemment proposées pour redonner à la théologie de la création sa dimension trinitaire [47].
53L’approche trinitaire permet de ne pas concevoir l’action divine comme celle d’un agent unique sur un objet. Il s’agit plutôt d’une action conjointe qui respecte l’autonomie de chaque instance tout en les rassemblant vers un accomplissement de communion. Une théologie trinitaire est une manière de rejeter un « monocentrisme » exclusif au profit d’un modèle « polycentrique » qui reconnaît que la pluralité de ces centres est en relations mutuelles. Cela revient aussi à adopter la perspective de l’autocommunication divine : le Créateur ne fait pas que partager quelques-uns de ses attributs à ses créatures ; il se communique lui-même à elles dans ce qui peut aller jusqu’à une désappropriation de soi. Les récits évangéliques, qui doivent toujours nous servir de guides, nous montrent comment Jésus fait participer ses disciples à sa propre action, au point de pouvoir ultimement se retirer pour que, sous la mouvance de l’Esprit, ils puissent accomplir des actions « plus grandes encore » (Jn 14, 12). Les « actes de puissance » (dunameis) ne sont pas des affirmations d’une toute-puissance exclusive, mais ils visent à rétablir les capacités d’action (cf. la guérison de l’homme à la main desséchée en Mc 3, 1-6). La création sera vue alors davantage sous l’angle de la cause formelle que sous celui de la cause efficiente, dominante dans la théologie classique comme dans la pensée moderne :
Dieu crée en communiquant sa propre réalité divine et en faisant d’elle un élément constitutif dans l’accomplissement de chaque créature. [48]
55On retrouve la conjonction étroite que Karl Barth établissait entre la création et l’alliance : la seconde étant le « fondement interne » de la première. L’alliance suppose la distinction des sujets, l’affirmation de la transcendance divine. Seul le « Tout-Autre » peut entrer en alliance véritable avec sa créature. Emmanuel Durand reprend la même idée, lorsque, dans sa réflexion sur l’action divine, après avoir insisté sur « la transcendance radicale de Dieu », il affirme que « l’acte créateur est foncièrement un acte d’alliance, en vue d’une amitié plus élevée encore » [49]. Adolphe Gesché précise en affirmant que l’autre est
justement celui qui, par son altérité même, m’appelle, me convoque et ainsi me fait sortir de l’enfermement sur moi-même. Paradoxalement, l’altérité est part constitutive de l’identité. [50]
57Une approche trinitaire de l’œuvre créatrice s’appuie sur la confession de foi du deuxième concile de Constantinople (553) :
Il y a un seul Dieu et Père, de (ex) qui sont toutes choses, un seul Seigneur Jésus-Christ, par (dia) qui sont toutes choses, un seul Esprit Saint, en (en) qui sont toutes choses.
59Cette triple dimension dit d’abord l’origine unique, le Père qui est à l’initiative de l’action créatrice. Le monde a sa source dans l’amour du Père : il est le prolongement dans la finitude de la donation de soi du Père, éternelle et intérieure à la divinité, dont le Fils se reçoit. « La Parole éternelle dans laquelle le Père se dit lui-même est la condition de possibilité de la Parole par laquelle Dieu appelle le monde à exister » [51].
60Cela dit ensuite la médiation : le Père veut agir par le Fils, qui est présenté comme le Verbe, la Parole, le Logos. Comme l’écrit saint Basile,
Aussi est-ce par lui que tout a été fait […] non pas qu’il ait un rôle instrumental ou servile à remplir, mais parce qu’en créant il accomplit la volonté du Père. [52]
62Cet accomplissement se fait en toute liberté, car la communion des personnes suppose leur distinction :
C’est de cette relation du Fils au Père que la création reçoit la marque de sa distinction véritable de Dieu et de sa consistance propre dans et par rapport à Dieu. [53]
64C’est de cette « libre auto-distinction du Fils à l’égard du Père », que l’existence indépendante d’une création distincte de Dieu tire son fondement [54]. Enfin, l’Esprit est la présence divine au sein du monde qui l’anime vers son accomplissement.
Le monde peut être entièrement différent de Dieu et lui être lié dans une unité incomparable parce que, dans l’espace de l’amour tri-un de Dieu, il a part au don de l’Esprit Saint. [55]
66La dominante patrocentrique conduit à valoriser la puissance créatrice, la maîtrise sur le monde, la soumission des créatures et le maintien de l’ordre cosmique. Un « rééquilibrage » christologique met en valeur l’autonomie de la personne humaine. Mais la dimension pneumatologique reconnaît la présence divine dans l’ensemble des composantes du monde. De ce point de vue, elle correspond davantage à l’âge de l’anthropocène et à la reconnaissance nécessaire des capacités actives de tous les êtres par-delà le dualisme des temps modernes.
67Pourtant, il est important de tenir ensemble les trois moments. L’intérêt actuel pour la pneumatologie, qui correspond à une « ontologie réticulaire » dépourvue de toute hiérarchie (très à la mode aujourd’hui), pourrait conduire à un manque de distinction des apports propres. Il ne faudrait pas en particulier opposer la dominante pneumatologique (présente par exemple chez Moltmann) à la dominante christologique (présente par exemple chez Rahner [56]). S’il importe de voir la présence active de Dieu dans toutes les créatures (pas seulement à titre de « vestiges » ou de « traces »), il faut conserver un « propre de l’homme », correspondant à la qualité d’« image », non à titre de privilège mais de responsabilité à l’égard des autres composantes du monde. C’est par la médiation de l’humain que les créatures peuvent grandir en autonomie et entrer plus authentiquement en relation de communion.
La création continuée
68L’action de l’Esprit soutient la notion de « création continuée » qui connaît une certaine fortune dans la théologie contemporaine [57]. Dans son souci de respecter la distinction essentielle entre Créateur et créatures et d’assurer la permanence d’une « nature » référentielle, la théologie classique répugnait à voir la dynamique créatrice encore à l’œuvre dans un monde profondément perverti par le péché originel. Sous l’influence de la vision évolutive du vivant et de la perception des interdépendances qu’apporte la perspective écologique, la théologie récente retrouve des données qui n’étaient pas absentes de la théologie la plus traditionnelle. Fabien Revol réveille la notion augustinienne de « raisons séminales » [58]. Il s’agit d’un « ensemble de potentialités » répandues par Dieu dans le cosmos, qui s’actualisent à divers moments de l’histoire [59].
69Cette réflexion accompagne le mouvement de la théologie récente qui va d’une philosophie de la nature, à la recherche de ses invariants, vers une histoire de l’alliance sous l’horizon d’un avenir encore ouvert. Le cosmos est conçu comme un ensemble dynamique, un processus historique dont le déroulement n’est pas inscrit dans les premiers instants. « Tout n’est pas déjà là, codifié ou sanctionné, chiffré ou déchiffré ; on plaide au contraire pour l’ouverture et l’invention » [60]. Il n’est plus possible d’opposer métaphysique et histoire.
70Mais l’avenir est devenu plus incertain. Sur le fond de la crise climatique et des menaces qui pèsent sur le devenir de la planète, il est bon de rappeler que la foi chrétienne est porteuse d’une espérance qui ne vise pas un « au-delà » en tous points différent du monde créé mais qui envisage un salut de ce monde. S’il convient de reconnaître que l’accès au salut nécessite une transformation radicale dans l’apparence des choses (un « ciel nouveau » et une « terre nouvelle »), il n’en reste pas moins qu’il s’agit du ciel et de la terre que Dieu a créés au commencement des temps. Le salut concerne aussi le monde physique. La foi chrétienne ne sera pertinente que si elle ouvre au monde une perspective qui ne relève pas de la seule connaissance du présent, qui ne cultive pas la nostalgie d’un âge d’or disparu, mais qui vise une destinée à venir. Elle « parle de ce qui n’est pas encore » [61]. Elle rappelle que la réalité du monde est orientée vers un accomplissement qui reste à venir.
Notes
-
[1]
P. J. Crutzen, « Geology of Mankind », Nature 415 (2002), p. 23.
-
[2]
W. Steffen et al., « The Anthropocene: Are Humans Now Overwhelming the Great Forces of Nature? », Ambio 36/8 (2007), p. 614.
-
[3]
Dans son livre de 1926, il relevait un « lien évident » entre les phénomènes biologiques et « tout le mécanisme cosmique » (V. Vernadsky, La Biosphère, « Points », Seuil, Paris, 2002, p. 58).
-
[4]
P. Teilhard de Chardin, « L’hominisation » (1925), in Œuvres, tome III, Seuil, Paris, p. 91.
-
[5]
Cité dans M. Lussault, L’Avènement du Monde. Essai sur l’habitation humaine de la Terre, Seuil, Paris, 2013, p. 27.
-
[6]
Ph. Descola, « Humain, trop humain », Esprit 420, décembre 2015, p. 8.
-
[7]
J.-P. Deléage, Une histoire de l’écologie, « Points », Seuil, Paris, 1994, p. 294.
-
[8]
C. Larrère, « Anthropocène : le nouveau grand récit », Esprit 420 décembre 2015, p. 46-55, p. 46-47.
-
[9]
Ibid., p. 48.
-
[10]
H.-S. Afeissa, La fin du monde et de l’humanité. Essai de généalogie du discours écologique, PUF, Paris, 2014, p. 19-20.
-
[11]
Cf. l’article de Frédéric Rognon dans ce numéro.
-
[12]
L. T. White, « The Historical Roots of our Ecologic Crisis », Science 155 (1967), p. 1203-1207 (tr. fr. dans : D. Bourg, Ph. Roch (Éds.), Crise écologique, crise des valeurs ? Défis pour l’anthropologie et la spiritualité, Labor et Fides, Genève, 2010).
-
[13]
Pour une discussion, on se reportera à I. G. Barbour (Éd.), Western Man and Environmental Ethics; Attitudes Toward Nature and Technology, « Addison-Wesley series in history », Addison-Wesley Pub. Co, Reading, 1973 et Bourg, Roch (Éds.), op. cit.
-
[14]
K. Rahner, Est-il possible aujourd’hui de croire ? Dialogue avec les hommes de notre temps, tr. fr. Ch. Muller, Mame, Tours, 1966, p. 71. On peut penser aussi au célèbre ouvrage de J.-B.Metz, L’homme, l’anthropocentrique chrétienne : pour une interprétation ouverte de la philosophie de Saint Thomas, Mame, Paris, 1968, défendant la thèse que « la forme de pensée grecque est cosmocentrique, celle de Thomas est anthropocentrique » (p. 48). Voir à ce propos : Cf. J.-L. Souletie, « L’anthropocentrique chrétienne au défi de la crise écologique » in J.-N. Pérès (éd.), L’avenir de la Terre, un défi pour les Églises, DDB, Paris, 2010, p. 109-144.
-
[15]
I. Delio, The Unbearable Wholeness of Being: God, Evolution and the Power of Love, Orbis Books, Maryknoll, 2013, p. 37.
-
[16]
A. Jeannière, « Le christocentrisme du Milieu divin » in Ch. Silvestre de Sacy, Cl. Cuénot (Éds.), Le message spirituel de Teilhard de Chardin. Colloque sur le Milieu divin, Seuil, Paris, 1970, p. 195.
-
[17]
Cf. F. Euvé, « Théologie de la nature », RSR 98/2 (2010), p. 267-290 ; Id, « Le cosmos », in B. Bourgine (dir.), La margelle du puits. Adolphe Gesché, une introduction, Éd. du Cerf, Paris, 2013, en particulier p. 344-349.
-
[18]
É. Charmetant, « Écologie profonde et spiritualité: un lien si fort », RETM.HS (2018), p. 105 (cet article est une présentation rapide mais très claire des grands penseurs de ce courant).
-
[19]
Ibid., p. 108.
-
[20]
J. Lovelock, La Terre est un être vivant : l’hypothèse Gaïa, tr. fr. P. Couturiau, Chr. Rollinat, « Champs », Flammarion, Paris, 1993, p. 19.
-
[21]
Ibid, p. 21.
-
[22]
B. Latour, Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique, La Découverte, Paris, 2015, p. 180.
-
[23]
Ibid, p. 50.
-
[24]
D. Lecourt, « Introduction », in G. Cohen-Tannoudji, Les constantes universelles, « Pluriel », Hachette, Paris, 1998, p. 22.
-
[25]
Cf. Chr. Theobald, « L’enseignement social de l’Église selon le pape François », NRT 138/2 (2016), p. 273-288. C’est aussi un changement de « style » qui est engagé, chaque personne devient l’interlocuteur d’une conversation.
-
[26]
La première partie du Milieu divin est intitulée « Divinisation des activités ».
-
[27]
Le théologien luthérien américain P. Santmire fut l’un des premiers à s’affronter à la thèse de White. Son premier article est paru en 1968 (« I-Thou, I-It, and I-Ens », JR 67/3, p. 260-273). Voir aussi son livre : Brother Earth; Nature, God, and Ecology in Time of Crisis, T. Nelson, New York, 1970. On trouve ensuite J. Moltmann, Gott in der Schöpfung : ökologische Schöpfungslehre, Kaiser, München, 1985 ; L. Boff, Ecologia, mundialização, espiritualidade: a emergência de um novo paradigma, Atica, Sao Paolo, 1993, etc.
-
[28]
A. Gesché, Dieu pour penser. IV. Le cosmos, Éd. du Cerf, Paris, 1994, p. 14.
-
[29]
Voir en particulier : R. Hooykaas, Religion and the Rise of Modern Science, Scottish Academic Press, Edinburgh/London, 1972 ; E.M. Klaaren, Religious Origins of Modern Science: Belief in Creation in Seventeenth-century Thought, Eerdmans, Grand Rapids, 1977. Plus récemment : M. Blay, Dieu, la nature et l’homme : l’originalité de l’Occident, A. Colin, Paris, 2013.
-
[30]
A. Gesché, op. cit., respectivement p. 26 et 29.
-
[31]
Ibid, p. 58.
-
[32]
Ibid, p. 40.
-
[33]
Ibid, respectivement p. 72 et 76.
-
[34]
Ibid, p. 189.
-
[35]
J. Moltmann, Dieu dans la création : traité écologique de la création, tr. fr. M. Kleiber, CF 146, Éd. du Cerf, Paris, 1988, p. 123.
-
[36]
Somme contre les Gentils, III, 70, 7.
-
[37]
Sur la Physique d’Aristote, II, 14 (cité dans LS 80).
-
[38]
Cf. M.J. Dodds, Unlocking Divine Action: Contemporary Science & Thomas Aquinas, CUAP, Washington, 2012, p. 48.
-
[39]
On n’abordera pas ici la question de l’animal, qui fait l’objet de nombreux travaux théologiques récents. Voir en particulier C. Deane-Drummond, The Wisdom of the Liminal: Evolution and other Animals in Human Becoming, Eerdmans, Grand Rapids, 2014.
-
[40]
C’est aussi une manière de défendre l’égale dignité de toutes les personnes humaines. Il ne faudrait pas que la défense des espèces animales menacées prenne le pas sur la justice sociale (LS 90). L’écoute du « cri de la terre » s’accompagne de celle du « cri des pauvres ».
-
[41]
Une position vigoureusement soutenue par le théologien australien D. Edwards : « Every Sparrow that Falls to the Ground: the Cost of Evolution and the Christ-event », Ecotheology 11/1 (2006), p. 103-123.
-
[42]
Le thème de la créativité est central dans la métaphysique d’Alfred North Whitehead.
-
[43]
A. Gesché, Le cosmos, op. cit. p. 64.
-
[44]
Ibid., p. 106.
-
[45]
Cf. D. Fergusson, Creation, Eerdmans, Grand Rapids, 2014, p. 63.
-
[46]
Cf. D. Edwards (Éd.), Earth Revealing, Earth Healing: Ecology and Christian Theology, Liturgical Press, Collegeville, 2001.
-
[47]
Plus explicitement dans : C. Gunton, The Triune Creator: A Historical and Systematic Study, Eerdmans, Grand Rapids, 1998 ; A. Ganoczy, La Trinité créatrice : synergie en théologie, CF 233, Éd. du Cerf, Paris, 2003 ; J.A. Bracken, The World in the Trinity: Open-Ended Systems in Science and Religion, Fortress Press, Minneapolis, 2014. La théologie de la création de Moltmann est explicitement trinitaire.
-
[48]
D. Edwards, How God Acts: Creation, Redemption, and Special Divine Action, « Theology and the sciences », Minneapolis Fortress Press,, 2010, p. 43.
-
[49]
Dans F. Euvé et al. (Éds.), L’action créatrice. Ce qu’en dit la théologie, DDB, Paris, 2012, resp. p. 176 et 186. Parler de l’altérité divine en termes spatiaux n’est pas très heureux. L’exprimer comme « distance infinie entre la nature et le Créateur » (LS 88) rend plus difficile d’envisager l’horizon de communion.
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[50]
A. Gesché, Dieu pour penser. V. Le sens, Éd. du Cerf, Paris, 2003, p. 53.
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[51]
M. Kehl, « Et Dieu vit que cela était bon » : une théologie de la Création, tr. fr. J. Hoffmann, CF 264, Éd. du Cerf, Paris, 2008, p. 345.
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[52]
Basile, Sur le Saint Esprit, SC 17, Éd. du Cerf, Paris, 1947, p. 317.
-
[53]
M. Kehl, op. cit., p. 346.
-
[54]
W. Pannenberg, Théologie systématique. T. 2, tr. fr. O. Riaudel, CF 279, Éd. du Cerf, Paris, 2011, p. 30.
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[55]
M. Kehl, op. cit., p. 346.
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[56]
Pour une comparaison des deux, voir C. Rubini, Il divenire della creazione. In dialogo con Karl Rahner e Jurgen Moltmann, Città Nuova, Roma, 2013.
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[57]
F. Revol, Le concept de création continuée dans l’histoire de la pensée occidentale, Institut Interdisciplinaire d’Études Épistémologiques, Vrin/Fac. Catholique de Lyon, Paris/Lyon, 2017.
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[58]
Déjà invoquée par H. de Dorlodot dans sa défense de Darwin : Le darwinisme au point de vue de l’orthodoxie catholique, Bruxelles, 1921
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[59]
Laudato si’ mentionne aussi cette présence : « L’Esprit de Dieu a rempli l’univers de potentialités qui permettent que, du sein même des choses, quelque chose de nouveau puisse surgir ».
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[60]
A. Gesché, Le sens, op. cit., p. 11.
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[61]
A. Gesché, Dieu pour penser. III. L’homme, Éd. du Cerf, Paris, 1993, p. 53.