Notes
-
[1]
O. Spengler, Le déclin de l’Occident, trad. fr., Gallimard, Paris, 1948.
-
[2]
A. Toynbee, L’histoire, trad. fr., Payot, Paris, 1996. Sur la conception qu’avait Toynbee de la crise occidentale, cf. M. Perry, Arnold Toynbee and the crisis of the west, University Press of America, Washington D.C., 1982.
-
[3]
S. Huntington, Le choc des civilisations, trad. fr., Odile Jacob, Paris, 2007.
-
[4]
Une démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois, comme le montre l’histoire », Jean-Paul II, Veritatis splendor, no 101.
-
[5]
71% des Français sont d’accord avec la proposition suivante : « C’est à chacun de définir sa religion indépendamment des Églises ». Sondage CSA/Le Monde/La Vie/L’Actualité religieuse dans le monde/Forum des communautés chrétiennes, janvier 1994.
-
[6]
83% des Français disent tenir compte avant tout de leur conscience personnelle dans les grandes décisions de leur vie, 1% seulement affirmant tenir compte avant tout des positions de leur Église, et le degré de pratique ne fait pas varier la diffraction des réponses. Sondage CSA/Le Monde/La Vie/L’Actualité religieuse dans le monde/Forum des communautés chrétiennes, janvier 1994.
-
[7]
Seulement 13% des Français estiment qu’il y a des lignes directrices parfaitement claires pour savoir ce qui est bien et ce qui est mal. European Values Suvey, 2008.
-
[8]
M. Safouan, La Parole ou la Mort. Comment une société humaine est-elle possible ?, Seuil, Paris, 1993, p. 103.
-
[9]
Jean-Paul II, Redemptor hominis, 1979, no 21 ; Centesimus annus, 1991, nos 17 et 46.
-
[10]
M. Schneider, Big Mother. Psychopathologie de la vie politique, Odile Jacob, Paris, 2002 : « Si nous ne changeons pas l’État et notre rapport à lui, la démocratie disparaîtra peut-être sous la tyrannie de l’opinion, l’évitement de la contrainte et l’illusion que tout dans nos vies peut être choisi. Si nous ne restaurons pas des références symboliques donnant du sens au vivre ensemble, la confusion des différences fondatrices n’en produira que davantage de violences », p. 311. La même critique de l’État compassionnel se trouve chez S. Trigano, La démission de la République, PUF, Paris, 2003. Sur ces questions voir la synthèse de M. Tort, Fin du dogme paternel, Aubier, Paris, 2005.
-
[11]
J.-P. Lebrun, Un monde sans limites. Essai pour une clinique psychanalytique du social, Erès, Ramonville Sainte-Agne, 1997, p. 145.
-
[12]
C. Melman, L’homme sans gravité. Jouir à tout prix, Denoël, Paris, 2002, p. 154.
-
[13]
D. Dumas, Sans père et sans parole : la place du père dans l’équilibre de l’enfant, Hachette Littérature, Paris, 1999, p. 27.
-
[14]
A. Garapon, D. Salas, La Justice et le Mal, Odile Jacob, Paris, 1997, p. 53.
-
[15]
Dans la même veine, Dany-Robert Dufour estime que les hommes ont vocation à l’assujettissement à un Sujet dominant, leur caractère néoténique (i.e. l’homme naît prématurément et son développement est plus lent que celui des singes supérieurs) et leur prise dans la structure trinitaire du langage les conduisant à tomber sous la juridiction des instances qu’ils inventent pour leur libération : « quelle que soit sa forme, il existe toujours un tiers, plus ou moins lointain, qui figure ce que serait l’autorité d’un mâle dominant ». Cf. « Portrait du grand Sujet », Raisons politiques, mai 2001, p. 9-25.
-
[16]
P. Legendre, L’amour du censeur. Essai sur l’ordre dogmatique, Seuil, Paris, 1974, p. 64-71.
-
[17]
P. Legendre, Le désir politique de Dieu : étude sur les montages de l’État et du droit, Fayard, Paris, 2005, p. 52.
-
[18]
M. Balmary, « Les Lois de l’Homme », Études, 375, juillet-août 1991, p. 45-58.
-
[19]
Platon, La République, Livre VIII, 562 c.
-
[20]
G. Dietterlen, Essai sur la religion Bambara, PUF, Paris, 1950.
-
[21]
F. Héritier, « L’identité Samo », in L’identité. Séminaire dirigé par Claude Lévi-Strauss, Grasset, Paris, p. 51-71.
-
[22]
M. Griaule, « Nouvelles recherches sur la notion de personne chez les Dogon », Journal de psychologie normale et pathologique, 40, 1947, p. 425-431.
-
[23]
M. Leenhardt, Do Kamo la personne et le mythe dans le monde mélanésien, Gallimard, Paris, 1937. On trouve le même type de pluralisation de l’identité individuelle chez les Baruya étudiés par Maurice Godelier : « toutes ces identités sont des cristallisations en chaque individu de différents types de rapports aux autres » dans Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l’anthropologie, Albin Michel, Paris, 2007, p. 181.
-
[24]
Voir à ce sujet, P. Descola, Par-delà nature et culture, Gallimard, Paris, 2005, p. 268-279.
-
[25]
P. Singer, Animal Liberation, Random House, New York, 1989.
-
[26]
J. Baird Callicott, In Defense of the Land Ethic. Essays in Environmental Philosophy, State University of New York Press, Albany, 1989.
-
[27]
Au bout de cet examen par l’anthropologie des rapports entre nature et culture, c’est cette différence même qu’il semble possible de remettre en cause : « La notion même de culture est un artefact créé par notre mise entre parenthèses de la nature. Or il n’y a pas plus de cultures – différentes ou universelles – qu’il n’y a de nature universelle. Il n’y a que des natures-cultures, et ce sont elles qui offrent la seule base de comparaison possible. » B. Latour, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, La Découverte/Poche, Paris, 1997, p. 140.
-
[28]
B.-H. Lévy, Être juif, Verdier, Paris, 2004, p. 34.
-
[29]
B.-H. Lévy, Le meurtre du Pasteur, Verdier, Paris, 2002, p. 38 et 252.
-
[30]
Ibid., p. 312-313.
-
[31]
Ibid., p. 298.
-
[32]
« L’individu-roi est celui qui est né de la victoire du droit, du Droit naturel propre à la pensée moderne. Or cette victoire du droit est corrélative d’une défaite de la Loi (…). Le droit c’est ce conatus, ce désir d’être, cette branche de l’arbre qui croît, sans faire attention à quoi que ce soit d’autre (…). Le droit – le droit comme naturel –, c’est, fondamentalement, cette expansion sans limite de l’individu. (…) L’individu suppose donc ici le meurtre du Pasteur, c’est-à-dire qu’il n’est individu-roi que parce qu’il est mouton sans troupeau, c’est-à-dire parce qu’il n’y a pas de Pasteur. » A. Finkielkraut, B.-H. Lévy, Le Livre et les livres. Entretiens sur la laïcité, Verdier, Paris, 2006, p. 135.
-
[33]
J.-C. Milner, Les penchants criminels de l’Europe démocratique, Verdier, Paris, 2003, p. 46.
-
[34]
Ibid., p. 104.
-
[35]
Ibid., p. 111.
-
[36]
Ibid., p. 120.
-
[37]
Ibid., p. 125.
-
[38]
M. Foucault, « “Omnes et singulatim” : vers une critique de la raison politique », in Dits et écrits, vol. II, « Quarto », Gallimard, Paris, 2001, p. 953-980.
-
[39]
M. Foucault, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France. 1977-1978, Gallimard/Seuil, Paris, 2004. Leçon du 1er mars 1978, p. 195-232.
-
[40]
Dans un ouvrage paru une première fois en 1969 sous le pseudonyme d’André Stéphane, deux psychanalystes tiennent la thèse que le christianisme serait une solution d’évitement et non de résolution de l’Œdipe. Par sa négation ou sa relégation dans un rôle subalterne du père charnel, il constituerait une religion de l’adolescent narcissique écartant le vrai père au profit d’un père idéalisé et imaginaire avec lequel il peut s’identifier. Le mépris du réel, propre au christianisme au contraire du judaïsme, gît pour ces auteurs dans la mise en doute de l’existence du père charnel. Jésus qui a libéré l’homme du joug de la loi – et prêché, adolescent, dans le temple –, est l’image même du désir d’évitement de la maturation ; les miracles rapportés dans les évangiles imagent la suppression des lois de la nature et la réalisation fantasmatique du désir ; l’évocation du royaume des cieux est la précipitation du futur dans le présent et l’occultation narcissique du délai nécessaire à la structuration du désir. B. Grinberger, J. Chasseguet-Smirgel, L’univers contestationnaire, In Press Éditions, Paris, 2004.
-
[41]
http://www.eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/discours-d-ouverture-de-l-assemblee-pleniere-d-avril-2013-16283.html. On sait que l’épiscopat français a mobilisé dans son combat contre le « mariage pour tous » l’expertise de quelques moralistes qui tels Xavier Lacroix ou Véronique Margron, ou psychanalystes comme Jacques Arènes ou Marie Balmary, ont affiché une même détermination contre l’effacement supposé de la différence sexuelle dans nos sociétés libérales et permissives.
-
[42]
On se souvient que Bonald en 1796 opposait à « l’état sauvage » de la démocratie la société naturelle formée par les rapports nécessaires dérivant de la volonté commune à Dieu et à l’homme. L. de Bonald, Théorie du pouvoir politique et religieux, UGE, Paris, 1966, p. 30.
- [43]
-
[44]
Théorie explicitement condamnée par le Vatican. Cf. Conseil Pontifical pour la Famille, Gender, la controverse, Téqui, Paris, 2011.
-
[45]
M. Mead, Mœurs et sexualité en Océanie, trad. fr., Plon, Paris, 1963 ; R. Stoller, Sex and Gender. On the Development of Masculinity and Feminity, Science House, New York, 1968 ; J. Money, A. Ehrhardt, Man & Woman, Boy & Girl, John Hopkins University Press, Baltimore, 1972 ; J. Butler, Gender Trouble. Feminism and the Politics of Subversion, Routledge, New York, 1990. L’évidence de l’antécédence du sexe sur le genre a été mise à mal par les travaux de l’historien américain Thomas Laqueur qui a analysé le passage d’un modèle antique et médiéval dans lequel les organes génitaux masculins et féminins étaient considérés comme les deux pôles opposés d’un continuum à une seule dimension, à un modèle de la différence des sexes qui ne s’est inventé qu’au XVIIe siècle dans lequel les organes génitaux des deux sexes sont perçus comme ayant chacun une nature distincte et incommensurable. En montrant que la manière dont nous percevons les organes génitaux ne s’est élaborée que dans la modernité tardive, Laqueur ébranlait le présupposé d’une base naturelle des sexes sur laquelle le genre viendrait se surajouter. T. Laqueur, La fabrique du sexe. Essai sur le corps et le genre en Occident, trad. fr., Gallimard, Paris, 1992.
-
[46]
Le texte de la Commission Théologique Internationale, À la recherche d’une éthique universelle : nouveau regard sur la Loi naturelle, désigne explicitement, dans les paragraphes 30 et 31 du premier chapitre, le volontarisme moderne comme une des origines principales de la perversion de la vision traditionnelle de la Loi naturelle : « Contre le naturalisme qui tendait à assujettir Dieu aux lois de la nature, il [le volontarisme] souligne de façon unilatérale l’absolue liberté de Dieu, au risque de compromettre sa sagesse et de rendre arbitraires ses décisions. De même, contre l’intellectualisme, soupçonné d’assujettir la personne humaine à l’ordre du monde, il exalte une liberté d’indifférence conçue comme pur pouvoir de choisir les contraires, au risque de déconnecter la personne de ses inclinations naturelles et du bien objectif. » http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/cti_documents/rc_con_cfaith_doc_20090520_legge-naturale_fr.html. La critique la plus radicale de la modernité sous l’espèce du volontarisme est avancée par l’école théologique de Cambridge : J. Milbank, Theology and Social Theory : Beyond Secular Reason, Backwell, Londres, 1990.
-
[47]
« Qu’on le veuille ou non, dans notre langue “le mariage” comme signifiant renvoie toujours à l’union d’un homme et d’une femme comme signifié. Vouloir ouvrir le mariage aux homosexuels, c’est changer l’ordre sémantique (…) et jeter la confusion dans le jugement éthique (…). Si l’on désigne par “mariage” une union soit de personnes de même sexe soit de sexe différent, c’est faire dire au mot une chose et son contraire. » G. Médevielle, http://www.eglise.catholique.fr/actualites-et-evenements/dossiers/le-mariage-pour-tous-/-ouvrir-le-mariage-c-est-changer-l-ordre-semantique--15475.html. Commentant l’article du code civil québécois qui pose depuis 2002 que « Lorsque les parents sont tous deux de sexe féminin, les droits et obligations que la loi attribue au père, là où ils se distinguent de ceux de la mère, sont attribuées à celle des deux mères qui n’a pas donné naissance à l’enfant », M. Balmary s’insurge contre le mésusage du mot « mère » qui « dans toutes les langues de la terre » signifie « femme qui a donné naissance à un ou plusieurs enfants ». M. Balmary, « Mariage pour tous, la parole en danger », La Vie, 1er février 2013.
-
[48]
M. Foucault, Les mots et les choses, Gallimard, Paris, 1966. C’est, de même, sur une conception conventionnelle du langage que Hobbes appuie sa théorie de la représentation, à la fois linguistique et politique. Cf. Y. Ch. Zarka, La décision métaphysique de Hobbes : conditions de la politique, Vrin, Paris, 1987.
-
[49]
G. Steiner, Réelles présences : les arts du sens, Gallimard, Paris, 1991.
-
[50]
M. Godelier, Métamorphoses de la parenté, Fayard, Paris, 2004.
-
[51]
E. E. Evans-pritchard, Sorcellerie, oracles et magie chez les Azandé, trad. fr., Gallimard, Paris, 1972 ; Les Nuer, trad. fr., Gallimard, Paris, 1994. Le mariage entre femmes est connu d’autres sociétés telle que celle des Yoriba du Nigéria. Cf. C. Lévi-strauss, « Problèmes de société : excision et procréation assistée », in Nous sommes tous des cannibales, Seuil, Paris, 2013, p. 81-101.
-
[52]
S. Lallemand, « Le b.a-ba africain », Autrement, 1984, no 6, p. 180-186. Cité par F. Hurstel, « La fonction paternelle, question de théorie ou : des lois à la Loi », in Le Père. Métaphore paternelle et fonctions du père : l’Interdit, la Filiation, la Transmission, Denoël, Paris, 1989, p. 235-262.
-
[53]
E. Leach, Critique de l’anthropologie, trad. fr., PUF, Paris, 1968.
-
[54]
F. Héritier, Masculin/Féminin. La pensée de la différence, O. Jacob, Paris, 1996.
-
[55]
C. Alès, C. Barraud, Sexe relatif ou sexe absolu ?, Éds. de la MSH, Paris, 2001.
-
[56]
I. Théry, La distinction de sexe. Une nouvelle approche de l’égalité, O. Jacob, Paris, 2007, p. 238.
-
[57]
Ibid., p. 542.
-
[58]
Comme l’écrit Lévi-Strauss, « il faut beaucoup d’égocentrisme et de naïveté pour croire que l’homme est tout entier réfugié dans un seul des mondes historiques et géographiques de son être, alors que la vérité des hommes réside dans le système de leurs différences et de leurs communes propriétés », C. Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Plon, Paris, 1962, réed. Agora Pocket, p. 297.
-
[59]
Cette relativisation va très loin puisque, comme l’ont montré les travaux d’anthropologie psychanalytique, ce ne sont pas seulement les formes de famille et de sexualité qui sont diverses mais la structure même de la personnalité que ces formes engendrent. Ainsi, chez les Marquisiens étudiés par Ralph Linton, l’absence de restrictions à la consommation sexuelle entre adultes et même entre enfants produit une société où l’on ne connaît ni conflits œdipiens ni névroses dues à la frustration. Cf. R. Linton, Le fondement culturel de la personnalité, trad. fr., Dunod, Paris, 1965. Pour un commentaire et une systématisation de ces observations anthropologiques, cf. A. Kardiner, L’individu dans sa société. Essai d’anthropologie psychanalytique, trad. fr., Gallimard, Paris, 1969.
-
[60]
P. Brown, Le renoncement à la chair : virginité, célibat et continence dans le christianisme primitif, trad. fr., Gallimard, Paris, 1995 ; S. Elm, Virgins of God : The Making of Asceticism in Late Antiquity, Oxford University Press, Oxford/New York, 1994. « Du IIe au XXe siècle, la recherche du plaisir sexuel est vigoureusement condamnée, et ce que nous appelons l’amour reste à peu près étranger à la problématique du mariage (…) le mariage est procréation et toute recherche du plaisir en mariage fait de l’accouplement un adultère. », J.-L. Flandrin, Le sexe et l’Occident. Évolution des attitudes et des comportements, Seuil, Paris, 1981, p. 101-102.
-
[61]
P. Legendre (dir.), « Ils seront deux en une seule chair. » Scénographie du couple humain dans le texte occidental, van Balberghe Librairie, Bruxelles, 2004. Voir également, A. Burguière, « Querelle de famille… autour de la parenté », Travail, genre et sociétés, 2005/2, no 14, p. 172-184.
-
[62]
J.-P. Pierron, Le climat familial. Une poétique de la famille, Cerf, Paris, 2009, p. 64.
-
[63]
N. Luhmann, Amour comme passion. De la codification de l’intimité, trad. fr., Aubier, Paris, 1990.
-
[64]
Commission Théologique Internationale, À la recherche d’une éthique universelle, nouveau regard sur la loi naturelle, Cerf, Paris, 2009. La naturalisation des conventions est un procédé habituel de légitimation des institutions : « La plupart des institutions établies sont à même, face à une contestation, d’appuyer leur prétention à la légitimité sur leur adéquation à la nature de l’univers », M. Douglas, Comment pensent les institutions, trad. fr., La Découverte, Paris, 2004, p. 81.
-
[65]
I. Théry, La distinction de sexe, op. cit., p. 588.
-
[66]
P. Legendre, Sur la question dogmatique en Occident, Fayard, Paris, 1999.
-
[67]
E. Balibar, « De la critique des droits de l’homme à la critique des droits sociaux », in B. Binoche, J.-P. Clero (éd.), Bentham contre les droits de l’homme, PUF, Paris, 2007, p. 258.
-
[68]
I. Wallerstein, L’universalisme européen : de la colonisation au droit d’ingérence, trad. fr., Demopolis, Paris, 2008.
-
[69]
Conception réfutée en 1952 par Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, Gallimard, Paris, 1987, p. 35-40.
-
[70]
A. Badiou, Le siècle, Seuil, Paris, 2005, p. 11.
-
[71]
A. Badiou, L’éthique : essai sur la conscience du mal, Hatier, Paris, 1993, p. 24-25.
-
[72]
H. Arendt, L’impérialisme, trad. fr., Seuil, Paris, 2002, p. 288.
-
[73]
G. Agamben, Homo sacer. Le pouvoir souverain et la vie nue, trad. fr., Seuil, Paris, 1997, p. 137-146.
-
[74]
P. Hassner, La terreur et l’empire, Seuil, Paris, 2003.
-
[75]
J. Rawls, Paix et démocratie. Le droit des peuples et la raison publique, trad. fr., La Découverte, Paris, 2006. J. Habermas, Morale et communication, trad. fr., Cerf, Paris, 1986.
-
[76]
R. Rorty, Conséquences du pragmatisme, trad. fr., Seuil, Paris, 1993. La position rortyenne qui conduit à un relativisme radical a été combattue notamment par Bernard Williams dans La fortune morale. Moralité et autres essais, trad. fr., PUF, Paris, 1994 et dans L’éthique et les limites de la philosophie, trad. fr., Gallimard, Paris, 1990.
-
[77]
M. J. Oakeshott, Rationalism in Politics and Others Essays, Liberty Fund, Indianapolis, 1991.
-
[78]
M. Sandel, Le libéralisme et les limites de la justice, trad. fr., Seuil, Paris, 1999 ; C. Taylor, Multiculturalisme, différence et démocratie, trad. fr., Flammarion, Paris, 1997 ; A. Mac Intyre, Quelle justice, quelle rationalité ?, trad. fr., PUF, Paris, 1993.
-
[79]
S. Hauerwas, Le Royaume de Paix. Une initiation à l’éthique chrétienne, trad. fr., Bayard, Paris, 2006, p. 182.
-
[80]
« Tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : voilà la Loi et les Prophètes » (Mt 7, 12).
-
[81]
Chr. Theobald, Le christianisme comme style. Une manière de faire de la théologie en post-modernité, Cerf, Paris, 2007, t. 2, p. 814.
-
[82]
Ibid., p. 104.
-
[83]
Il est important de ne pas confondre catholicité et universalité : « les chrétiens sont pleinement unis entre eux dès lors qu’ils partagent la même foi, et cela serait vrai même s’ils n’étaient qu’une infime minorité. » M. Fédou, « Comment penser la catholicité de l’Église ? », in M. Fédou (dir.), L’Église catholique dans le monde : entre unité et diversité, Médiasèvres, Paris, 2012, p. 7-25, citation p. 9.
-
[84]
J.-B. Metz, « Unité et pluralité : problèmes et perspectives de l’inculturation », Concilium, 224, 1989, p. 87-96.
-
[85]
A. J. Greimas, Du sens, Seuil, Paris, 1970.
-
[86]
« Nul savoir biologique ne permet à l’homme et à la femme de poser, et à plus forte raison, de résoudre l’énigme de leur sexualité. Il s’agit donc là d’une fausse évidence qui, bien loin d’éclairer la question de la différence sexuelle pour chaque homme et chaque femme, ne fait, au contraire, que la redoubler par la faille qu’elle ouvre entre savoir sur la sexualité et vérité de la sexualité ; » L. Beirnaert, Aux frontières de l’acte analytique. La Bible, saint Ignace, Freud et Lacan, Seuil, Paris, 1987, p. 144. Est-il besoin de rappeler que Louis Bernaert était jésuite, théologien et psychanalyste ?
-
[87]
Il est important de ne pas confondre la crise contingente du catholicisme avec la crise permanente de la foi : « La crise de la foi ne peut s’analyser seulement comme une crise de société, celle d’une génération ou d’une époque, mais comme une crise permanente, tenant à la structure même de l’acte de foi qui est réponse à une parole de jugement portée sur l’existence de chacun. » J.-L. Souletie, La crise, une chance pour la foi, Ed. de l’Atelier, Paris, 2002, p. 54.
-
[88]
Ce qui n’implique nullement de renoncer à l’idée d’une unité du genre humain. Cf. à ce propos, E. Leach, L’unité de l’homme et autres essais, trad. fr., Gallimard, Paris, 1980 ; G. Lenclud, L’universalisme ou le pari de la raison, Seuil/Gallimard, Paris, 2013.
-
[89]
J. N. Shklar, The Faces of Injustice, Yale University Press, New Haven, 1990. Cherchant désespérément quelles peuvent être les valeurs ultimes que l’on se doit de préserver à tout prix, le dernier Horkheimer énumère « l’autonomie de la personne individuelle, l’importance de l’individu, certains aspects de sa culture ». Et il reste, selon lui, à conserver dans le malheur du monde quelques intuitions détenues par les traditions religieuses telles que « la justice et la bonté de Dieu ». M. Horkheimer, « La théorie critique hier et aujourd’hui », in Théorie critique. « Essais », trad. fr., Payot, Paris, 1978, p. 355-369, citation p. 359.
1Tout à la fois irruption de la discontinuité et ouverture à l’inédit, la crise est un moment décisif dans lequel se révèlent de manière dialectique l’historicité du sens et la caducité de la tradition, le jugement du présent et la quête d’un ailleurs ou d’un au-delà. La crise peut ainsi apparaître comme l’identité même du moderne en ce que la conscience du soi et la construction du nous s’y déploient hors de tout fondement absolu, en ce que le caractère démocratique et libéral de nos sociétés se présente comme un arrangement pratique destiné à gérer l’indétermination des fins politiques issue de l’assomption du pluralisme moral et de l’évanouissement de l’hétéronomie. C’est ainsi que nombre d’analyses de la crise culturelle que traverseraient nos sociétés trouvent leur inspiration dans le rejet du caractère indéterminé, immanent et relatif de l’organisation politique des Modernes.
2Les interrogations récentes sur la crise des démocraties contemporaines ne peuvent manquer de rappeler l’ambitieux et volumineux brûlot de Spengler paru en deux tomes en 1918 et 1922 [1]. Cette « esquisse d’une morphologie de l’histoire universelle », comme l’indiquait le sous-titre de l’ouvrage, déployait la thèse d’un « déclin de l’Occident », l’appuyant entre autres symptômes sur les transformations de la religion et de la politique. La religion s’effondre au profit d’une nouvelle religiosité résignée et syncrétique tandis qu’une morale plébéienne s’empare des individus tentés d’esquiver le destin par la prévoyance, la paix et le bonheur. La politique est minée par l’égalité niveleuse, le parlementarisme et la démocratie, et déprise de l’État qui était organisation de la vie totale par rapport à un ordre. L’Occident se perd ainsi dans le triomphe du marché et dans la spéculation financière qui se développent au détriment de la production, conduisant à une mondialisation des échanges où sombrent les identités primordiales et les objectifs transcendants qui donnaient autrefois sens à la vie.
3Au-delà d’analyses qui, en dépit d’un ton apocalyptique, peuvent paraître à bien des égards prophétiques – on pense en particulier à la massification et à la mondialisation censées régir le nouvel ordre social –, ce qui est mis en question par le verdict de Spengler touche à l’universalisme contestable de l’Occident chrétien. C’est une thèse proche que déploie Arnold Toynbee, établissant un lien entre l’effondrement des civilisations et l’expansion des religions universalistes [2]. Mais c’est, plus près de nous, Samuel Huntington qui, avec le succès que l’on sait, s’est penché sur la crise mondiale due aujourd’hui au choc des civilisations [3]. Pour le politiste de Harvard, l’hégémonie culturelle que l’Occident a imposée au monde pendant quatre cents ans, et qui s’est étrangement brisée avec la dernière mondialisation, a été assise sur le mythe d’une civilisation universelle, due moins au développement de l’industrie qu’à la diffusion d’un message de salut personnel, issu du christianisme. Et la destitution de l’Occident, loin de se réduire aux désordres de son économie, tient à son « suicide culturel », exprimé par le déclin moral et l’effondrement de la foi. D’une crise des valeurs à une crise d’identité, l’Occident est confronté aujourd’hui non seulement à la concurrence extérieure des autres cultures mais aussi à l’émiettement interne dû aux replis identitaires des communautarismes et au syncrétisme religieux du plus grand nombre, symptôme caractéristique des civilisations déclinantes. La thèse d’Huntington n’est donc pas univoque : il invite les puissances occidentales à renoncer à leur universalisme impérialiste, mais il insiste sur la nécessité de préserver et de revivifier leurs traditions spécifiques afin de les rendre plus attrayantes pour le reste du monde.
4La crise qui semble aujourd’hui frapper l’Occident est une crise d’identité. Son modèle culturel, longtemps tenu pour celui de la plus haute humanité, et pour cette raison universalisable, est maintenant confronté à la réalité d’un monde pluriel dans lequel diverses conceptions de l’homme sont en concurrence. Le christianisme est touché par l’éclatement du « marché des biens de salut », son monopole étant contesté à l’intérieur comme à l’extérieur des pays où il a longtemps bénéficié de la prégnance de son système d’emprise. La différence chrétienne devient une particularité alors que son message se veut universel. Et son universalisme, longtemps conjugué à celui de la civilisation occidentale, doit être maintenant interrogé afin de n’être pas confondu avec l’expansion du capitalisme et de la mondialisation marchande. Plus loin, son anthropologie, et notamment sa conception de la famille et de la sexualité, est mise à mal par les avancées de la science et les évolutions conjointes de la culture. Le dilemme du christianisme se ramène à deux questions simples mais cruciales, entées sur le problème de la différence : doit-il renoncer à son universalisme pour cultiver sa spécificité jusqu’à un repli identitaire faisant signe vers le communautarisme ? Doit-il rester arrimé à une anthropologie ramassée sur le paradigme de la différence sexuelle, maintenant une idéologie familiariste aujourd’hui remise en cause par les transformations des identités contemporaines ?
5L’indétermination des fins politiques propre à la démocratie moderne apparaît comme une révolution dans l’histoire occidentale puisque le pouvoir y a toujours été justifié non seulement par la sacralité de son origine et de sa dévolution mais aussi par son ordination à une fin extérieure, objective et immuable. Cette révolution, si elle s’apparente à une conquête de la liberté sur les dictées de la tradition religieuse, n’est pas dénuée de dangers et semble même à certains grosse de l’aliénation totalitaire, donnée ainsi moins comme la négation de la démocratie que comme son inéluctable et pervers accomplissement [4].
6Tocqueville parlait de l’intérieur, disant que la démocratie peut s’accorder avec l’emprise de la religion sur l’individu, mieux, que cette emprise est nécessaire à la préservation du lien social et politique. Démocrate d’un certain genre, Schmitt trouvait dans la fondation théologique et morale du politique l’assurance d’une démocratie forte, distinguée du libéralisme. Convaincu que l’origine de la souveraineté procède du Créateur et échappe à toute saisie humaine, Maistre récusait à la fois la tyrannie et la démocratie qui ne peuvent trouver en elles le sens de la mesure. Il faut donc une limite à la volonté des hommes, un en-deçà de la politique qui ne soit pas à leur disposition et règle leurs passions, une butée incontestable et inaccessible qui ordonne leurs désirs : la religion, la morale, la filiation. Mais la démocratie peut-elle s’accorder avec l’idée de limite ?
7On peut entrer dans la compréhension de cette crise contemporaine du christianisme, comme de la civilisation qui l’a porté, en privilégiant trois questions qui traversent aujourd’hui les débats concernant l’identité anthropologique de nos sociétés démocratiques et libérales : le sujet aux prises avec l’assomption de l’individu, la différence contrariée par la priorité de l’égalité, l’universalisme concurrencé par la montée des particularismes.
Crise du sujet
8Lorsque les contempteurs de la modernité libérale la qualifient d’individualiste, c’est le plus souvent pour associer ce trait à l’égoïsme et au repli sur soi, et le considérer comme le signe que nos sociétés présentent des symptômes d’anomie et d’intempérance. On peut certes concevoir l’individualisme comme un simple concept descriptif désignant, au contraire du holisme, l’antécédence ontologique et politique de la partie sur le tout, antécédence que traduit la fiction du contrat social. Mais cette description et cette fiction possèdent une charge axiologique et polémique puisque, historiquement, elles ont constitué un argument opposé dès la fin du Moyen Âge aux fondements religieux et politiques de l’ordre ancien et une revendication non plus simplement du consentement au pouvoir mais de sa désignation. Aujourd’hui, il reste quelque chose de cette origine polémique et argumentative de l’individualisme en ce que celui-ci implique que la société est au service de l’individu et que les groupes auxquels il se rattache – famille, nation, Église – n’ont de valeur qu’en tant qu’ils contribuent à son bien propre. Quant aux traditions, elles sont conçues non plus comme des sources d’appartenance prescrivant des manières d’être, de penser et d’agir, mais seulement comme des ressources symboliques à la disposition des individus pour construire leur identité, sans aucune obligation ni sanction [5]. La donne individualiste conduit ainsi à une dévalorisation de tout ce qui, dans la tradition, apparaît comme fixité, obligation, prévalence de l’origine, et surtout comme système d’emprise contraignant la liberté personnelle [6]. Les traditions, notamment spirituelles, n’apparaissent dignes d’intérêt qu’à l’aune de l’utilité qu’elles sont susceptibles de procurer aux individus et c’est en ce sens que l’individualisme conduit à la désinstitutionalisation du croire, celui-ci n’étant plus ancré que dans l’expérience et confirmé davantage par le témoignage que par l’autorité [7].
Désir et Loi
9Si certains auteurs opposent la notion de sujet à celle d’individu, c’est précisément pour remettre en cause la validité du processus social que l’on vient de décrire et dévaluer l’anthropologie qui le légitime. Car, à rebours de la logique libertaire et égoïste emportée par la notion d’individu, celle de sujet invoque aussitôt un processus de conformation et de structuration dans lequel la liberté est contenue par les traditions et les institutions. Le sujet, au contraire de l’individu, est supposé ne pas constituer une entité solitaire et souveraine, repliée sur le privé et possiblement rétive à la socialité, mais réalisée au contraire dans la communication intersubjective et ouverte à la recherche commune du bien. La notion de sujet paraît ainsi à ses promoteurs mieux rendre compte de la vocation humaine en ce que, au contraire de l’individu, le sujet possède une dimension langagière et vocative, ses choix étant soumis à l’approbation d’autrui et son identité accomplie sur la base d’un rapport non plus réflexif à soi mais complémentaire avec autrui.
10Cette donne anthropologique arrime le concept d’identité à la pragmatique du langage : la parole est ici considérée, par sa dimension vocative, comme l’origine et le fondement de la conscience qui donne à la personne sa consistance. Être de langage, le sujet est inséré dans des structures qui le précèdent et l’obligent, et son humanité même est considérée comme redevable de cette « castration » première qui lui interdit la toute-puissance, « car aucune parole n’a autorité pour tracer les lois mêmes de la parole : puisqu’il lui faut justement se soutenir de ces lois, et non pas de l’ordre moral ou légal qui y trouve plutôt ses assises pour avoir autorité. C’est de cette impossibilité que naît la nécessité de faire appel à l’Inégal, au hors-commun, sinon au surnaturel, bref à un être qui assigne sa limite à la rivalité ou avec lequel celle-ci, sauf folie, s’arrête [8] ».
11La conception du sujet comme être de désir assujetti à la Loi, comme « parlêtre » tenu par le signifiant, comme fils dans l’ombre de l’Autre, tous ces thèmes et même ces termes de la pensée lacanienne ne sont pas sans évoquer les énoncés du magistère romain se proposant de rappeler « la grammaire de l’humain » et la nécessaire ordination de la liberté à la vérité [9]. Le propre d’un certain discours magistériel, qu’il s’autorise du savoir psychanalytique ou de la vérité religieuse, est d’évaluer l’évolution des sociétés démocratiques-libérales contemporaines à partir d’une matrice d’interprétation de l’humain donnée pour indépassable et en quelque sorte anhistorique. Ici, on invoque le Nom-du-Père ou la Loi du signifiant et non Dieu ou la Loi naturelle, mais l’effet recherché est le même qui consiste à prononcer des jugements sans appel sur l’évolution des mœurs et surtout leur reconnaissance juridique qui viendraient ébrécher l’ordre symbolique, attenter à la Vie et violer l’identité même de l’Homme. Toute cette rhétorique s’appuie sans relâche sur l’autorité du dogme paternel, sur cette foi mâtinée de science selon laquelle l’entrée en humanité et la construction du Sujet trouvent leur fondement dans le signe du Père, celui qui, par l’ordination du désir à la Loi et la castration symbolique, assure la sortie de l’indifférenciation et l’accès au devenir. On stigmatisera alors la dérive maternaliste de l’État qui, renonçant à son rôle de séparateur symbolique, se contente de répondre à toutes les demandes et de protéger du Réel les citoyens devenus ses enfants [10]. On dénoncera la confusion des places que viennent consacrer les lois sur l’autorité parentale conjointe ou le choix du patronyme [11]. On pourfendra le pouvoir que s’arroge la majorité démocratique de modifier à sa guise les interdits et les limites, sortant ainsi du patriarcat, seule forme socio-symbolique qui rende possible l’exercice de la paternité et par là l’accès du sujet à la génitalité [12]. On moquera les députés qui en votant la loi sur l’autorité parentale en 1970 se sont soumis aux désirs de leurs épouses [13]. On ira jusqu’à donner la pédophilie et les meurtres d’enfants comme le résultat de l’égalité démocratique qui détruit l’axe vertical de l’ordre paternel [14].
12Cette anthropologie intransigeante donne source à la critique des désordres auxquels conduirait la démocratie, soumise à la dérive pulsionnelle et oublieuse des lois fondatrices de l’ordre symbolique, et elle permet de donner la constitution des sujets comme une entreprise politique.
13Car, si l’instauration du sujet ne vient que de sa rencontre avec la loi, il faut que celle-ci ne soit pas voulue mais subie, et penser dès lors ce que Pierre Legendre appelle « le montage de la dogmaticité » et le rôle de l’institution dans la construction des hommes. L’impératif anthropologique de différenciation, cet interdit de la fusion que le sujet ne peut s’infliger à lui-même, c’est l’institution, le tiers-social qui est seul en mesure d’en prendre en charge la gestion [15]. Instituer le sujet, au contraire de ce que poserait l’individualisme, c’est rendre pensable la soumission et interdire la demande absolue qui est toujours de manière cachée une demande incestueuse de retour à l’indifférencié. Et pour interdire la demande absolue, il faut pouvoir se présenter non pas comme l’absolu soi-même ou comme le tout, mais comme l’interprète d’une tierce résolution dans laquelle l’interprète est lui-même tenu [16].
14La donne anthropologique est donc une entreprise politique puisque l’État est ce qui fait tenir l’homme debout [17], et le non-respect de ses dictées conduit nécessairement à des catastrophes tout à la fois anthropologiques et politiques. Les droits de l’homme ne sont pas une politique car, si l’on veut assurer la fraternité, il faut d’abord installer le règne du père, ce qui est affaire non de droits mais de Loi [18].
15Il n’est pas difficile de reconnaître dans cette rhétorique du sujet les thèses les plus anciennes qui stigmatisent dans la démocratie le règne de l’illimitation et l’advenue d’un homme de l’apeiron, du sans fin. Car la logique égalitaire interdirait de hiérarchiser les biens et d’ordonner le désir. Platon, le premier, décrit ainsi l’homme démocratique comme celui « que son père n’a su élever » et dont « la vie ne connaît ni ordre ni nécessité ». Livré au jeu inchoatif du désir immédiat, l’homme de l’apeiron établit « une espèce d’égalité entre les plaisirs » et laisse son âme dépendante de ceux qui se présentent : « Il n’accueille ni ne laisse entrer dans la citadelle le juste discours qui vient lui dire que certains plaisirs procèdent de désirs beaux et honnêtes, et d’autres de désirs pervers, qu’il faut rechercher et honorer les premiers, réprimer et dompter les seconds ; à tout cela il répond par des signes d’incrédulité, et il soutient que tous les plaisirs sont de même nature et qu’on doit les estimer également [19]. »
16Pour cette pensée du sujet, l’homme vrai est constitué par un principe recteur et son désir n’est source de vie que s’il est soumis à une loi qui exprime sa nature. C’est cette conviction d’une ordination nécessaire de toute vie à une matrice objective et pérenne qui confère à cette pensée son caractère normatif et dogmatique, éliminant toute interrogation sur les contours possibles de la liberté et l’invention d’une existence inédite.
Nature et culture
17On peut ainsi repérer une crise du sujet occidental dans les critiques que ses défenseurs adressent à l’individualisme contemporain. Mais il y a une autre manière de saisir les traits de cette crise qui consiste à considérer les débats portant aujourd’hui sur l’extension légitime à donner à la notion de sujet.
18L’inspiration des chantres du sujet est naturaliste et c’est en cela que l’ontologie qu’ils mobilisent est au plus loin de l’artificialisme moderne. Mais c’est tout de même une ontologie qui pose la différence essentielle, héritée d’Aristote, entre l’homme et les autres vivants, au prétexte qu’il serait le seul être doté de langage. Traduit dans l’idiome lacanien, c’est par la castration langagière que l’enfant entrerait dans le monde de la loi du signifiant et deviendrait par-là pleinement humanisé et singularisé. Or, nous savons par les observations ethnographiques combien cette vision du monde est particulière. Ainsi, dans l’Afrique de l’Ouest, les Bambara ont une conception de l’homme comme composé de multiples personnes, les signes de chacune étant répartis entre le front, les yeux, la bouche, le nez, les oreilles, les sourcils et le menton [20] ; les Samo conçoivent chaque humain comme un « feuilletage de composantes élémentaires qui s’évanouissent à sa mort pour reconstituer une autre personne » [21] ; les Dogon voient la personne comme composée d’un corps et de huit âmes, d’un grand nombre de forces vitales et enfin d’un double animal. Tous ces éléments étant en mobilité constante font de l’individu un être différent chaque jour, ce que manifeste l’absence d’un nom ou d’un prénom unique pour les rassembler [22]. De même sait-on depuis la célèbre étude de Maurice Leenhardt sur la Nouvelle-Calédonie, publiée en 1937, qu’en langue houailou do kamo signifie « l’homme vrai », vraiment humain, et qu’il se définit uniquement par ses relations. Alors qu’en Occident la personne se définit en s’opposant aux autres personnes, là, l’individu n’a aucune existence, aucune réalité en dehors des rôles qu’il revêt successivement. Comme chez les Dogon, aucun nom ne vient subsumer ces rôles divers pour signifier la personnalité entière et, plus encore, la notion même d’un corps individuel soutenant les actions et les relations est absente des représentations canaques [23].
19Mais ce sont moins les observations anthropologiques qui viennent mettre à mal le caractère prétendument paradigmatique du sujet occidental que les considérations récentes sur l’extension possible de l’ontologie naturaliste à d’autres manifestations du vivant [24]. En effet, l’idéologie du sujet, qui autorise une critique aussi virulente de l’individualisme, repose tout à la fois sur une option naturaliste (l’homme possède une nature téléologique qui vient obliger chaque individu) et sur une option métaphysique (l’homme est un être de langage et en cela ouvert à l’intersubjectivité et à la responsabilité morale). Or, les nouvelles philosophies de l’environnement viennent contester cette extériorité abusive de l’homme vis-à-vis de la nature en cherchant à étendre à tout vivant la considération morale jusque-là attribuée aux seuls humains [25], ou en proposant de préserver la nature commune par le respect des interdépendances entre toutes ses composantes organiques [26]. Autrement dit, le naturalisme qui fonde la philosophie du sujet, et permet la critique de l’individualisme et de l’artificialisme, en vient à subvertir le cœur de cette pensée en contestant la prétendue exceptionnalité de l’homme comme être de langage et de loi.
20La question de l’identité et de la normativité de la nature est ainsi au cœur de la crise contemporaine du sujet [27]. Or, c’est pourtant sur l’ordre naturel et la Loi naturelle que les magistères psychanalytique et religieux appuient aujourd’hui leurs convictions et leurs dictées, avec une insistance particulière sur le paradigme de la différence sexuelle.
Crise de la différence
21La pensée du sujet est nécessairement arrimée à une pensée de la différence soumise à la dépossession induite par l’inscription dans l’ordre du père. Or, il semble à certains que le judaïsme, au contraire du christianisme, honore radicalement la soumission au principe paternel : « Le père, c’est celui auquel est attribué le pouvoir créateur qui me met dès l’origine dans la dépossession d’être. Je suis commandé. Comment puis-je continuer à “être né” (impératif de la création) ? En obéissant à la loi du père, l’impératif du commandement prolonge celui de la création [28]. » La politique, dans cette perspective, est un art royal, un art pastoral, qui repose sur « l’identité entre l’âme et la cité » et consiste dans une « puissance de subjectivation » [29]. Mais la démocratie moderne n’est que « l’empire du rien », la politique de « l’homme indéterminé » [30], issue du « meurtre de Dieu le Père dans la religion chrétienne [31] ». Ainsi se réalise l’aboutissement d’une longue sortie de l’horizon pastoral, propre à la tradition juive mais aussi à la philosophie platonicienne, horizon qui déterminait la conduite par le souverain de chaque sujet vers le salut et la justice. Ici, une nouvelle fois, la figure du sujet est opposée à celle de l’individu car le premier, au contraire du second, n’est pas un souverain au vouloir sans limites [32].
Limitation et illimitation
22On comprend alors que puisse apparaître une contrariété insurmontable entre le principe démocratique de l’illimitation et le principe juif de la limite. Lorsqu’elle est posée sous la forme d’un problème, la question juive appelle toujours une « solution finale » parce que « le nom juif est saisi au point de collision entre tout et pastout [33] ». Par là, on peut saisir la logique de cette croissance parallèle d’une société se présentant comme lieu de satisfaction de toute demande, en premier lieu touchant la sexualité, « demande des demandes », et d’un antisémitisme assis sur cette conviction que le nom juif « cisaille » précisément la demande [34]. Car ce que la pensée juive a donné en héritage à l’humanité, c’est le caractère fondateur et insurmontable pour tout être parlant de la quadriplicité masculin/féminin/parent/enfant [35] : « Rien ne prévaudra contre elle, dit le Juif, qu’il soit d’affirmation, d’interrogation ou de négation. Si rien ne prévaut contre elle, alors rien ne prévaudra contre le nom juif, dit le Juif, qu’il soit d’affirmation, d’interrogation ou de négation. Or le pari de la société moderne tient justement en cela : quelque chose peut et doit prévaloir contre la quadriplicité [36]. » C’est à elle que s’en prend aujourd’hui la poussée de l’illimitation qui bouleverse la science du vivant, disjoint la reproduction et la sexualité, affranchit de la contrainte de l’Autre pour installer le passage du Même au Même : « L’homme nouveau n’est plein que de vide. Il n’est ni homme ni femme, il n’a ni père ni mère ni enfant. Sa seule épouse est une forme, dont entre tout et pastout, il ignore la loi. Il a mis la quadriplicité hors de lui [37]. »
23Comme le rappelle Foucault [38], ce sont les Hébreux qui ont développé le thème pastoral : Dieu seul est le berger de son peuple et David, en tant que fondateur de la monarchie, est invoqué sous le nom de pasteur car Dieu lui a confié la mission de rassembler son troupeau. Or, le rôle du pasteur est de veiller au salut de chaque membre de son troupeau. Non pas simplement à son bien-être ou à sa survie, mais à son salut. Le christianisme a repris cette intuition en en accentuant les visées et les modalités. La relation entre le pasteur et ses brebis est devenue une relation de dépendance individuelle et complète et a donné la mortification pour but à toutes les techniques d’examen, de confession et d’obédience sur lesquelles reposait le pouvoir pastoral. Mais l’individualisation, mise en œuvre par le pastorat chrétien, inaugure un nouveau rapport à la vérité, découverte par le sujet, intérieure et secrète. Et le gouvernement pastoral suscite des contre-conduites qui, du gnosticisme à l’ascétisme, ont pour finalité la maîtrise individuelle et l’inaccessibilité au pouvoir extérieur [39].
24La pensée chrétienne a donc, au contraire du judaïsme, une relation ambivalente à la loi et promeut, au cœur même des dispositifs inspirés de la problématique pastorale, une conception du sujet qui permet de cultiver une évasion à l’égard de l’ordre des choses et une résistance envers la conformation qu’il appelle [40].
25Pourtant, aujourd’hui, c’est bien du côté de la hiérarchie catholique que l’on trouve les plus vifs contempteurs de la modification législative des assises du mariage et de la famille. À propos du « mariage pour tous », Mgr Vingt-Trois, lors de son discours d’ouverture de l’Assemblée plénière des évêques à Lourdes en novembre 2012, a condamné une vision de l’être humain méconnaissant la différence sexuelle qui ébranlerait un des fondements de notre société. Il a pour cela appuyé ses propos sur « la sagesse cumulée de notre civilisation » et « sa sortie progressive de la barbarie ». L’Église, soutient-il, ne cherche pas à imposer une conception particulière de l’existence mais « renvoie à ce que notre civilisation a déchiffré du sens de la vie humaine [41] ». Précisant sa pensée lors d’une conférence au Centre Saint Louis de Rome le 19 novembre 2012, il estime que maintenir la famille est un « besoin théologal » : « Si l’expérience familiale disparaissait de la conscience humaine, nous perdrions un moyen non seulement de parler, mais un moyen de comprendre quelque chose de ce qu’est Dieu et de ce qu’Il veut faire avec l’humanité ». L’opposition entre la barbarie et la civilisation est ainsi une ligne argumentaire fondamentale de la position de la hiérarchie catholique puisque, un peu plus tôt, Mgr Barbarin avait annoncé qu’après la légalisation du mariage entre homosexuels, c’est la polygamie qui viendrait et même l’interdit de l’inceste qui tomberait [42]. Et cette position est inspirée d’une vision de la nature humaine objectivement définie et ne relevant nullement de la volonté. Comme l’indique Mgr Dufour dans une formule révélatrice : « Nous ne cherchons pas d’abord à être ce que nous devenons, mais nous sommes appelés à choisir de devenir ce que nous sommes [43] ».
Sexualité et langage
26Ce qui est visé dans ces prises de position, au-delà de la conjoncture politique et médiatique française, c’est bien la théorie nouvelle du genre [44]. Margaret Mead avait montré à partir de son étude sur les Arapesh et les Mundugumor que les tempéraments ne dérivent pas directement du sexe biologique mais sont diversement construits selon les sociétés. La distinction entre le sexe anatomique et le « genre », considéré à la fois comme l’expérience subjective de soi en tant qu’homme ou femme et comme la construction sociale des rôles et attentes associés à ces dénominations, a ensuite été proposée par des psychanalystes et des sexologues jusqu’à ce que les féministes s’en emparent pour dénoncer la domination masculine [45].
27La théorie du genre est une manifestation particulièrement révélatrice du constructivisme et du subjectivisme modernes. Et ce sont eux que visent les positions de l’épiscopat français appuyé par l’expertise de certains psychanalystes. Car ce qui s’effondre avec la diffusion de ces théories, c’est l’idée même de nature qui viendrait obliger et déterminer les conduites humaines. Et c’est par là sans doute qu’elles apparaissent nocives pour une pensée catholique encore toute imprégnée de naturalisme et de réalisme et n’ayant jamais intégré la révolution nominaliste, volontariste et artificialiste, emblématique de la modernité [46].
28Or, très profondément et bien au-delà de la querelle superficielle sur le mariage homosexuel, c’est cette question de la visée ontologique et non copulative du verbe être qui est au cœur de la polémique. Ainsi, Geneviève Médevielle et Marie Balmary ne s’y trompent pas qui pourfendent dans le mariage homosexuel, l’une « le dépérissement du langage » et l’autre « un tournant de la parole » [47].
29Ces positions de la moraliste et de la psychanalyste reposent sur deux arguments. Le premier tient que le langage désigne de manière univoque une réalité précédente et qu’une relation de type ontologique doit s’établir entre les mots et les choses. Le second avance que dans toutes les cultures la distinction entre les sexes a le même sens et que la famille unit nécessairement un homme et une femme. Les deux arguments peuvent évidemment être interrogés…
30Tout d’abord, on sait depuis Foucault que le langage, s’il a d’abord été considéré comme une chose de nature faisant partie de la grande distribution des similitudes et des signatures, est depuis le XVIIe siècle envisagé comme une convention. Le sens ne se niche plus, préexistant, dans les êtres et dans les choses mais devient une entreprise à part entière d’autonomisation du sujet par rapport au monde [48]. Comme le montre Georges Steiner, la modernité occidentale réside dans la rupture du pacte de confiance entre le langage et le monde. La vérité du mot devient alors l’absence du monde et le meurtre de la chose. Le référent des mots se trouve toujours dans d’autres mots et c’est à l’intérieur même du langage que nous disposons de libertés de construction et de déconstruction, de mémoire et de projection si illimitées qu’en comparaison la réalité extérieure n’est rien d’autre qu’une sphère inaccessible [49].
31Si le langage est de l’ordre de la convention et ouvre à la polysémie, alors il est toujours possible à une communauté humaine de désigner par un même nom deux réalités différentes à certains égards et par exemple de considérer que le syntagme « mariage » va signifier non plus de manière restrictive l’institutionnalisation de l’union d’un homme et d’une femme en vue de la procréation mais l’institutionnalisation de l’union de deux personnes en vue de l’élevage des enfants.
32Ensuite, dire que dans toutes les cultures le mot désigne la même réalité est tout simplement contraire aux observations ethnographiques depuis longtemps connues. Toutes les sociétés ont établi des prescriptions et des interdictions concernant la sexualité, mais elles sont très diverses : chez les Baruya de Papouasie l’homosexualité est prescrite pour les jeunes hommes non mariés mais la masturbation interdite ; chez les Kasva de Nouvelle-Guinée, la sodomie est autorisée entre jeunes hommes non mariés mais pas la fellation ; chez les tribus australiennes où le mariage est tardif, l’homosexualité sous la forme du coït intercrural est autorisée entre beaux-frères et interdite entre frères [50]. Et concernant le mariage lui-même, on sait depuis les travaux d’Evans Pritchard [51] que les Azandé avaient institué le mariage entre hommes bien avant les récentes revendications des gays occidentaux, et surtout que les Nuer avaient inventé un mariage entre femmes qui venait bousculer l’usage traditionnel du vocabulaire. Une femme plus âgée et stérile se mariait à une autre femme. La première appelait la seconde « ma femme » tandis que la seconde nommait la première « mon mari ». Les enfants qu’avait l’épouse en couchant avec des hommes n’ayant le statut que de géniteurs appelaient la première femme « père » et la seconde « mère ». Chez les Mossi de Haute-Volta étudiés par S. Lallemand, chaque enfant a une dizaine de pères, la fonction paternelle étant divisée en plusieurs rôles de géniteur, de nourricier, d’éducateur tenus par des hommes distincts [52]. Le mariage Nyar, en Inde du Sud, consacrait l’union rituelle d’une femme avec un brahmane, ouvrant pour elle la possibilité d’engendrer des enfants avec de multiples partenaires qui n’en avaient pas la paternité sociale, celle-ci revenant à l’oncle maternel [53].
33Toute société est tissée de relations à la fois instituées et contingentes et, pour les sociétés sociocosmiques, la différence sexuelle ne revêt pas cette signification « naturelle » déterminant ce qu’est un homme ou une femme parce que l’individu ne revêt aucune identité substantielle mais est défini par un système de polarités relationnelles. Comme l’indique Françoise Héritier, la différence sexuelle constitue un alphabet avec lequel les cultures construisent des phrases différentes [54]. Ainsi, alors qu’en Occident les termes de parenté sont de sexe absolu (un père, une mère), dans nombre d’autres sociétés ils sont de sexe relatif, c’est-à-dire que c’est la relation qui est sexuée et non l’individu, le même mot désignant par exemple « ma sœur » si c’est un frère qui parle ou « mon frère » si c’est la sœur qui parle [55]. De même, la vision naturaliste de la différence sexuelle, construite à partir de la figure du couple procréateur, ignore toutes les relations sexuées ne relevant pas de l’accouplement et notamment toutes les relations de même sexe, qui sont dans certaines sociétés considérées comme nécessaires pour fabriquer des hommes.
34Certes, les sociétés sociocosmiques sont peut-être les plus attachées à définir des statuts et des rôles stricts à partir de la distinction masculin/féminin mais elles ne conçoivent jamais cette distinction comme relevant d’une binarité absolue des sexes : « La grande différence avec nos sociétés est que jamais l’appartenance de sexe n’apparaît comme un donné susceptible de séparer la société en deux grandes classes d’individus. En effet, ces sociétés ne croient ni au biologique ni à la sexualité comme à une sorte de socle originel ultime, une base en dernière instance. Elles croient aux relations signifiantes [56] ». Et si la plus grande rigueur règne dans le partage sexué de ces sociétés, jamais « cette distinction relative et relationnelle n’est attachée en quelque sorte naturellement au socle d’un corps ou d’un esprit mâle ou femelle : fréquents sont les rôles masculins joués par des femmes et les rôles féminins joués par des hommes, en particulier dans l’action rituelle. » Et ce travestissement « démontre avant tout la priorité donnée à la manière d’agir signifiante sur toute catégorisation substantielle des êtres [57]. »
35Autrement dit, le paradoxe de l’approche chrétienne-occidentale du sexe, reposant sur l’opposition binaire de l’identique et du différent, est qu’elle ne permet pas de comprendre que le statut sexuel se construit dans la relation.
Sexualité et christianisme
36Le détour anthropologique a toujours pour heureuse fonction de relativiser nos propres visions de l’homme et du monde [58]. Il y a de multiples manières de fabriquer l’humain et de construire la sexualité, le mariage et la famille [59]. La question qui se pose alors est de comprendre la raison qui pousse certains aujourd’hui à considérer la famille mononucléaire et hétérosexuelle comme la seule forme valide et normative d’un point de vue « anthropogénétique ».
37La vision chrétienne de la sexualité et de la famille s’est fixée très tôt à partir de deux choix stratégiques. D’une part, la valorisation de la continence a répondu à la nécessité pour les premiers chrétiens de se distinguer et de s’identifier par une pratique spécifique alors que les nouveaux convertis se trouvaient désemparés par l’invisibilité rituelle dans laquelle les plongeait le caractère universel et spirituel de cette nouvelle religion [60]. D’autre part, la lecture que fit très tôt le christianisme du « ils deviendront une seule chair » (Gn 2, 24), entendant par-là la fusion conjugale alors que les exégètes juifs y voyaient l’enfant engendré par l’homme et la femme, conduisit à cette conception de l’unicité et de l’indivision du couple, jusqu’à la transmutation de chaque conjoint. C’est ce qui explique les prescriptions et les interdits énoncés par l’Église entre le VIIIe et le XIIe siècle concernant le remariage des veuves, la pénitence imposée aux deux conjoints en cas d’adultère de l’un d’eux et bien sûr l’affirmation du caractère indissoluble du mariage [61]. Dans la chrétienté suivante, la famille est devenue une des figures de l’autorité, naturelle et fondée en transcendance : « La chrétienté a ainsi fini par faire, d’un modèle familial parmi d’autres, “le” modèle de la famille. La famille chrétienne est historiquement devenue l’équivalent de la famille traditionnelle, tirant de l’autorité de l’ancestral sa rigueur (…). Ce modèle sera d’autant plus normatif qu’il s’est présenté comme an-historique. [62] » La force de ce modèle familial dont l’apogée se situe au XIXe siècle tient à deux traits. Tout d’abord il est assis sur les intérêts patrimoniaux du groupe familial permettant aux mariages arrangés de préserver les différences de statut. C’est cette conception du mariage arrangé qui est battue en brèche à partir de la fin du XVIIIe siècle par l’individualisation croissante des rapports sociaux et l’autonomisation de la famille à l’égard de la parenté [63]. Ensuite, il s’ancre sur une certaine lecture de la loi naturelle. Mais une loi naturelle sur laquelle, en 2009, la Commission Théologique Internationale a invité les hommes de bonne volonté à poser un « nouveau regard », afin d’éviter notamment qu’elle se réduise à une « soumission résignée et toute passive aux lois physiques de la nature, alors que l’homme cherche plutôt, à juste titre, à maîtriser et orienter ces déterminismes », alors même que « au cours de son histoire, la théologie chrétienne a justifié trop facilement par la loi naturelle des positions anthropologiques qui, par la suite, sont apparues conditionnées par le contexte historique et culturel [64] ».
38Cette conception de la famille, située historiquement et pourtant normative, a donné à la complémentarité des sexes une connotation hiérarchique que la dynamique égalitaire de l’éthos démocratique est venue ensuite contrarier : « Avec l’égalité des sexes, ce modèle holiste n’est plus acceptable, et l’on voit apparaître une tout autre représentation : le couple duo, celui qui non pas “de deux ne fait qu’un” mais de “un et un, fait deux”. [65]» En France, la puissance paternelle a été remplacée par l’autorité parentale, l’égale dignité des filiations légitime et naturelle a été imposée et le divorce par consentement mutuel a affirmé le caractère contractuel du mariage. Toutes ces évolutions culturelles puis juridiques qui tiennent moins à une dissolution des mœurs qu’à l’irrésistible puissance de la valeur d’égalité dessinent pour le magistère religieux et psychanalytique la défaite du sujet mensongèrement autofondé et dès lors désymbolisé [66].
39Pourtant, s’il y a plusieurs manières de faire de l’homme, comment poser comme le fait l’Église catholique, que la forme de famille qu’elle défend, située historiquement et culturellement, est la seule valable et tenir dans le même temps la vocation universelle du message chrétien ?
La crise de l’universel
40Ce n’est pas parce que le monde moderne s’est établi sur la rupture de l’unité de foi et a valorisé, à partir de cette situation, le pluralisme des valeurs et des choix individuels que pour autant la question de l’unité et de l’universalité a cessé de se poser. L’Occident a développé une conception de l’universel justifiant par l’excellence de ses valeurs et de ses représentations leur extension jusqu’aux confins du monde. Et la crise de l’universel qui se manifeste de nos jours n’est que l’autre face de la crise d’identité de l’Occident. C’est en effet le cœur même de cette identité que visent des visions du monde concurrentes réfutant l’excellence prétendue de la conception occidentale de l’homme et de la société et critiquant le caractère hégémonique de sa prétention à l’universel. L’unité du monde a été pensée par l’Occident comme l’expansion légitime d’un modèle conjuguant les valeurs chrétiennes et leur traduction sécularisée dans l’impératif des droits humains et la conception libérale de l’ordre économique et juridique. Mais les droits de l’homme sont contestés en ce qu’ils ne seraient que le travestissement universaliste d’une vision particulière, occidentale, de la nature humaine. Et la mondialisation apparaît de plus en plus comme une unification mensongère et injuste sous la loi du marché et de la démocratie, conception particulière, occidentale de l’organisation sociale.
Humanité et inhumanité
41Selon Balibar, la citoyenneté induite par les Déclarations relève d’un « universalisme intensif » qui « se présente comme réfutation ou dénégation des différences ». Et, si le principe antique d’inclusion à la cité traçait une limite entre citoyen et non citoyen, l’universalisme intensif au contraire, posant que tout homme est un citoyen en puissance, réactive de nouvelles exclusions puisque les personnes qui n’entrent pas dans les catégories préétablies de l’humanité générique sont privées de tout droit : ce principe d’exclusion « vise désormais non les “étrangers” à la communauté des citoyens en général, mais les individus ou les groupes qui sont perçus ou déclarés “étrangers” à la norme d’humanité ou à sa réalisation complète : les femmes, les enfants, les criminels, les fous, les représentants des “races inférieures” etc. [67] ». Ainsi, tandis qu’est posée l’universalité du droit à la politique, la partition entre normal et anormal permet de rejeter dans l’inhumain toute minorité qui n’a pas gagné son droit à la différence dans l’égalité. Il faut donc convenir que le droit à la différence dans l’égalité ne peut s’affirmer que contre les droits de l’homme de la Déclaration, celle-ci ne présupposant qu’un homme générique et non des hommes singuliers.
42C’est un raisonnement analogue que déploie Immanuel Wallerstein lorsqu’il fonde sa critique des droits humains sur l’analyse de la domination post-coloniale imposée par l’Occident au tiers-monde. C’est par l’invocation des droits de l’homme que les puissances du Nord légitiment la domination qu’elles exercent sur les autres peuples : leur universalisme n’est en réalité qu’un « universalisme européen [68] ». Cette idéologie est ainsi le masque que prend la domination face au principe concurrent de la diversité culturelle, l’affirmation tacite que certains peuples sont inférieurs à la civilisation occidentale donnée comme le point d’aboutissement de l’évolution sur une échelle du progrès [69].
43À la même veine appartient la critique qu’Alain Badiou formule contre les droits de l’homme considérés comme le support idéologique d’une domination capitaliste et parlementaire et le masque d’une restauration des privilèges [70]. Les droits de l’homme conduisent à éradiquer toute différence, à ne concevoir l’intégration que selon le modèle de l’individu libéral, à installer l’injustice avec le triomphe du « capitalo-parlementarisme » et à justifier par l’hypocrisie humanitaire la supériorité des pays occidentaux sur toutes les autres régions du monde, ignorées ou exploitées [71].
44Plus profonde encore apparaît la critique arendtienne de l’universalisme fondée sur l’argument que l’homme ainsi considéré est un « homme nu » dont les droits ne sont garantis par aucune instance. Ici, ce n’est pas la notion même d’universel qui est répudiée mais son insuffisance à réaliser l’égalité et la liberté de chaque homme lorsqu’il est défini seulement par ses droits abstraits [72]. Cette analyse est poursuivie par Agamben qui l’inscrit dans la problématique plus vaste de la détermination biopolitique de la souveraineté moderne [73]. Avec les Déclarations, la vie naturelle, qui dans le monde classique se distinguait de la vie politique, émerge dans la structure même de l’État et devient le fondement de sa légitimité. Dans la Déclaration de 1789, si la simple naissance est source de droit, le principe de naissance et celui de souveraineté s’unissent dans la figure du sujet souverain pour constituer le fondement de l’État-nation. C’est ce lien nécessaire entre naissance et nation, au principe de la souveraineté et de la citoyenneté modernes, qui est remis en question par la figure du réfugié.
45De ces deux dernières analyses découle une même conclusion : ou bien les droits de l’homme sont les droits de ceux qui appartiennent à une communauté nationale, de ceux qui ont des droits, et constituent une pure tautologie, ou bien ils sont les droits des hommes dépourvus d’appartenance particulière, et ils sont alors un mensonge. La dualité de l’homme et du citoyen est ainsi réduite au couple de l’illusion et de la réalité.
Mondialisation et fragmentation
46La notion de mondialisation exprime ce nouveau seuil des interdépendances et des échanges internationaux au-delà duquel l’identité même des unités qui participent à l’échange est modifiée et structurée par lui. C’est la pertinence du cadre national et étatique qui est remise en question, la dynamique commerciale homogénéisant progressivement les styles de vie et les standards culturels, et la médiatisation et l’information établissant une proximité planétaire et abolissant les distances et les différences. Si le moteur essentiel de cette uniformisation du monde est d’ordre économique et s’accompagne de globalisation financière et de déréglementation, d’autres dimensions ne sont pas absentes de ce processus, depuis la promotion du modèle politique de la démocratie libérale et des droits de l’homme jusqu’au développement de criminalités transfrontières avec l’explosion du marché de la drogue ou l’invention de formes de terrorisme apatride. La contestation du modèle libéral se mondialise également avec de nouvelles exigences transnationales de régulation économique, de reconnaissance sociale ou de développement durable.
47Tout ceci dessine les contours d’une globalisation pour le moins contradictoire et grosse de conflits. Et de fait, parallèlement à ce processus d’unification du monde sous l’empire du commerce, on assiste à sa fragmentation sous l’irruption d’une nouvelle anarchie entraînée par la chute des empires, la remise en cause du cadre national et la réaffirmation d’identités subétatiques. À tel point que certains auteurs opposent aujourd’hui à la mondialisation superficielle de l’économie, un néo-médiévalisme s’exprimant dans la prolifération de féodalités, sans autorité centrale ni règles communes, où règneraient l’arbitraire, la violence privée et la guerre civile auxquels la construction de l’État moderne au moment des guerres de religion avait justement prétendu mettre fin [74]. Un des ressorts de ce néo-médiévalisme réside dans les crispations communautaires dont le vecteur symbolique est souvent la religion, support identitaire qui fournit une légitimation aux groupes les plus violents et une bénédiction aux actes les plus inacceptables.
48Il est donc urgent de penser les conditions de l’universel dans ce monde apparemment unifié par une de ses activités mais dont on voit bien qu’elle ne suffit pas à dire et à réaliser ce qui fait que l’humanité est appelée à devenir une. Y a-t-il aujourd’hui une possibilité d’universel ? Et un universel qui ne soit pas globalisation et uniformité ?
49Au sein même du libéralisme, deux réponses s’opposent. La première pose, avec Rawls et Habermas, la possibilité d’un accord universel sur les normes de la justice ou de la communication [75]. La seconde renonce, avec Rorty et Oakeshott, à toute universalité. Rorty pense que le mieux est d’en rester à un ethnocentrisme assumé, réduit à notre communauté dont l’ouverture à l’altérité ne sera commandée que par la recherche d’une meilleure version de nous-mêmes [76]. Oakeshott estime que la norme morale n’est que la rationalisation a posteriori d’une norme sociale et que, dans la mesure où n’existe pour une société donnée aucun horizon de sens ni aucun objectif ultime, il ne s’agit plus de guider le navire au port, comme l’enseignait St Thomas, mais seulement de maintenir le navire à flot sur une mer sans ports ni rivages. Il ne s’agit pas d’organiser le changement mais de conserver les hommes tels qu’ils sont en respectant leurs préjugés irrationnels [77].
50Il faut, bien sûr, rappeler une troisième position qui se situe hors du camp libéral, celle du téléologisme communautarien qui donne la priorité au bien sur le juste et n’envisage la réalisation de l’individu qu’en tant que membre d’une tradition culturelle particulière. Privilégiant les différences sur la civilité commune et niant le principe libéral de la séparation, le communautarisme aboutit à la juxtaposition d’entités mono-culturelles et ne règle pas la coexistence de ces diverses communautés [78].
51Or, la tentation communautarienne est de plus en plus intense dans le monde chrétien. Un signe en est l’intérêt que suscitent des théologiens qui revendiquent la supériorité de leur foi et sa reconnaissance publique sans prendre en compte nullement les données constitutives de la reconnaissance qui consistent dans l’acceptation préalable d’un cadre de pensée commun. Ainsi, un auteur tel que Stanley Hauerwas, posant que la première tâche de l’Église est d’être l’Église, peut en venir à contester que l’éthique sociale chrétienne ait pour horizon de rendre le monde humain plus paisible et plus juste, et à rejeter le présupposé libéral selon lequel il existe des valeurs éthiques universelles [79].
52Pourtant, ce que le christianisme a déposé dans l’histoire du monde, c’est précisément une hospitalité élémentaire à la dignité de tout homme appelé à devenir fils de Dieu. La Règle d’or du christianisme [80], partagée avec d’autres traditions, repose sur une structure de réciprocité dont le formalisme même désigne l’épreuve d’universalisation par laquelle doit passer toute décision morale [81]. L’universalité dont est porteur le christianisme ne fait signe ni vers la conquête ni vers l’englobement, mais procède de l’attention absolue à chaque singularité.
Universalisme déterminant et universalisme réfléchissant
53Pour tenter de penser cette exigence sous le signe d’une recherche d’inspiration chrétienne, il faut rappeler que l’universel est aujourd’hui inatteignable dans le cadre d’un jugement de type déterminant (qui va de l’universel au particulier) et que, au contraire, il n’a de sens dans ce monde-ci que sur le mode du jugement réfléchissant (qui va du particulier à l’universel).
54C’est Michael Walzer qui a opposé, à partir d’une réflexion sur la Bible, deux universalismes. L’un est ce qu’il appelle « l’universel de la loi englobante », correspondant au jugement déterminant kantien, celui d’une loi unique valable pour tous les hommes et révélée à Israël, lumière des nations. C’est sans doute cet universalisme qui est le plus accessible à une conscience habitée par l’idée d’une nature humaine unique et par la nécessité de son prolongement juridique. Il n’est pas sûr pourtant que ce soit cet universalisme qui corresponde le mieux à l’état de notre monde aujourd’hui. Le second, en effet, est ce qu’il appelle un « universalisme réitératif », il correspond au jugement réfléchissant et procède à partir du caractère fondateur d’une expérience. Des valeurs considérées comme universelles, telles l’indépendance, l’autonomie ou la liberté, ont toutes des implications particularistes, mais si les actes d’autodétermination réitérés produisent un monde de différences, la force de l’universel réitératif tient à ce qu’il est un universalisme, le garant de la réitération étant lui-même universel. Ainsi, « tout comme nous sommes capables de reconnaître une histoire particulière comme la nôtre et une autre histoire comme celle de quelqu’un d’autre, et toutes deux comme des histoires humaines, nous sommes capables de reconnaître une manière particulière de comprendre l’autonomie et l’appartenance comme étant la nôtre et une autre manière de les comprendre comme étant celle de quelqu’un d’autre, quoique toutes deux conservent à nos yeux une signification morale [82]. »
55C’est évidemment ici que la différence chrétienne est confrontée à son devoir d’universalité [83]. Car, comme le rappelle Jean-Baptiste Metz, à un moment où se profile l’unification économique du monde, un défi est lancé au christianisme qui peut soit évoluer en direction du polyculturalisme et développer une théologie de l’inculturation dans laquelle il doit se reconnaître impuissant à gérer son unité a priori et autoritairement, soit lier son sort à celui de la civilisation occidentale et atteindre son universalité par l’intermédiaire de l’universalisation de cette civilisation dans sa version capitaliste et marchande, c’est-à-dire en instaurant finalement un rapport idolâtre avec une version particulière de son histoire [84].
56La « crise de la différence » que l’on constate aujourd’hui dans nos sociétés est inhérente à l’identité nativement critique de la modernité. Et il serait erroné de ne voir dans les positions catholiques en défaveur du mariage entre personnes du même sexe que la manifestation d’une traditionnelle méfiance envers le sexe et le plaisir et d’une non moins traditionnelle condamnation de l’homosexualité. Ce qui est en jeu plus profondément ici, c’est bien l’aversion du réalisme catholique envers le nominalisme et l’artificialisme des Modernes et sa répugnance à l’égard de la rupture du pacte de confiance entre les mots et les choses, entre l’ordre référentiel et celui du langage. La nature est toujours, pour la pensée catholique, le livre sacré dans lequel se trouve consignée la « grammaire de l’humain ». Parler de « grammaire » implique alors de ne pas superposer légèrement la structure grammaticale d’un texte et le contenu textuel généré par cette grammaire. Ainsi, la pensée religieuse et la théorie analytique convergent pour affirmer que l’être humain se construit dans l’apprentissage de la différence, mais encore doit-on s’entendre sur le sens qu’il convient de donner à cet impératif de différenciation et considérer qu’il relève du niveau grammatical et non pas textuel. On peut notamment, si l’on en croit les données anthropologiques, honorer cet impératif sans le réduire nécessairement à des différences sexuelles anatomiques. Il s’agit là seulement de distinguer entre un niveau superficiel et un niveau profond de différenciation. Si l’identité de chaque personne humaine doit être constituée sur la base d’une distinction d’avec autrui, si le rôle du père doit être distingué de celui de la mère, rien n’indique que cette différenciation des identités et des rôles doive être rabattue sur des différences anatomiques. Pour employer le langage de la sémiotique, on confond alors le niveau actoriel et le niveau actantiel, le niveau de la structure et celui du remplissage de la structure [85]. Et le paradoxe de la position catholique dans cette crise de la différence est de rater l’essentiel en arrimant sa défense universalisable de la différence à une version particulière de son effectuation. En faisant comme si la différence sexuelle revêtait l’évidence de la différence anatomique [86], en faisant de la forme de famille qu’elle défend l’alpha et l’oméga de l’institutionnalisation et de la consécration de la sexualité, l’Église en vient à conjuguer l’essence et l’universalité de son message à une forme particulière, historiquement et culturellement située, de sa mise en acte. Faire entrer l’homme intégralement sous une loi d’ensemble est une forme de pouvoir et c’est alors que la vocation catholique du christianisme peut apparaître comme le triomphe mensonger d’une particularité venant subvertir le projet d’une unité de l’homme et de l’histoire.
57Si l’on constate aujourd’hui une crise de la différence qui se manifeste intensément dans l’ébranlement de la forme traditionnelle de la famille, si l’on assiste à une crise de l’identité occidentale aux prises avec la sollicitation d’autres versions de l’humanité de l’homme, si l’on identifie une crise du catholicisme [87] à partir de son attachement intransigeant à des formes de socialité et d’institutionnalité contingentes, c’est que nous sommes entrés et installés dans le règne du relatif et de l’incommensurable, un règne qui défait toute prétention à l’hégémonie et à l’imposition d’un système d’emprise [88]. La concurrence généralisée des visions du monde, « le polythéisme des valeurs » dans lesquels Weber voyait l’essence de la modernité, dessinent l’enjeu d’un questionnement inédit sur la nature du bon et du juste. Et dans ce monde contemporain, sans rivages et sans ports, décrit par Oaekeshott, il ne nous reste le choix qu’entre cultiver une meilleure version de nous-mêmes et renoncer à tout universalisme, ou définir les termes les plus généraux d’une structure grammaticale anthropogénétique qui puissent subsumer toutes les versions particulières de l’humanité.
58Face à la concurrence des diverses conceptions du bien, le refus du repli communautaire et de l’indifférence à l’autre engagent à concevoir un universel paisible, réduit à l’évitement du mal. Habiter la crise et y trouver le salut implique de se défaire de toute aversion pour l’inédit et de se contenter d’une réflexion sur la manière dont les hommes peuvent être épargnés de la peur, de l’oppression et de la cruauté [89].
Notes
-
[1]
O. Spengler, Le déclin de l’Occident, trad. fr., Gallimard, Paris, 1948.
-
[2]
A. Toynbee, L’histoire, trad. fr., Payot, Paris, 1996. Sur la conception qu’avait Toynbee de la crise occidentale, cf. M. Perry, Arnold Toynbee and the crisis of the west, University Press of America, Washington D.C., 1982.
-
[3]
S. Huntington, Le choc des civilisations, trad. fr., Odile Jacob, Paris, 2007.
-
[4]
Une démocratie sans valeurs se transforme facilement en un totalitarisme déclaré ou sournois, comme le montre l’histoire », Jean-Paul II, Veritatis splendor, no 101.
-
[5]
71% des Français sont d’accord avec la proposition suivante : « C’est à chacun de définir sa religion indépendamment des Églises ». Sondage CSA/Le Monde/La Vie/L’Actualité religieuse dans le monde/Forum des communautés chrétiennes, janvier 1994.
-
[6]
83% des Français disent tenir compte avant tout de leur conscience personnelle dans les grandes décisions de leur vie, 1% seulement affirmant tenir compte avant tout des positions de leur Église, et le degré de pratique ne fait pas varier la diffraction des réponses. Sondage CSA/Le Monde/La Vie/L’Actualité religieuse dans le monde/Forum des communautés chrétiennes, janvier 1994.
-
[7]
Seulement 13% des Français estiment qu’il y a des lignes directrices parfaitement claires pour savoir ce qui est bien et ce qui est mal. European Values Suvey, 2008.
-
[8]
M. Safouan, La Parole ou la Mort. Comment une société humaine est-elle possible ?, Seuil, Paris, 1993, p. 103.
-
[9]
Jean-Paul II, Redemptor hominis, 1979, no 21 ; Centesimus annus, 1991, nos 17 et 46.
-
[10]
M. Schneider, Big Mother. Psychopathologie de la vie politique, Odile Jacob, Paris, 2002 : « Si nous ne changeons pas l’État et notre rapport à lui, la démocratie disparaîtra peut-être sous la tyrannie de l’opinion, l’évitement de la contrainte et l’illusion que tout dans nos vies peut être choisi. Si nous ne restaurons pas des références symboliques donnant du sens au vivre ensemble, la confusion des différences fondatrices n’en produira que davantage de violences », p. 311. La même critique de l’État compassionnel se trouve chez S. Trigano, La démission de la République, PUF, Paris, 2003. Sur ces questions voir la synthèse de M. Tort, Fin du dogme paternel, Aubier, Paris, 2005.
-
[11]
J.-P. Lebrun, Un monde sans limites. Essai pour une clinique psychanalytique du social, Erès, Ramonville Sainte-Agne, 1997, p. 145.
-
[12]
C. Melman, L’homme sans gravité. Jouir à tout prix, Denoël, Paris, 2002, p. 154.
-
[13]
D. Dumas, Sans père et sans parole : la place du père dans l’équilibre de l’enfant, Hachette Littérature, Paris, 1999, p. 27.
-
[14]
A. Garapon, D. Salas, La Justice et le Mal, Odile Jacob, Paris, 1997, p. 53.
-
[15]
Dans la même veine, Dany-Robert Dufour estime que les hommes ont vocation à l’assujettissement à un Sujet dominant, leur caractère néoténique (i.e. l’homme naît prématurément et son développement est plus lent que celui des singes supérieurs) et leur prise dans la structure trinitaire du langage les conduisant à tomber sous la juridiction des instances qu’ils inventent pour leur libération : « quelle que soit sa forme, il existe toujours un tiers, plus ou moins lointain, qui figure ce que serait l’autorité d’un mâle dominant ». Cf. « Portrait du grand Sujet », Raisons politiques, mai 2001, p. 9-25.
-
[16]
P. Legendre, L’amour du censeur. Essai sur l’ordre dogmatique, Seuil, Paris, 1974, p. 64-71.
-
[17]
P. Legendre, Le désir politique de Dieu : étude sur les montages de l’État et du droit, Fayard, Paris, 2005, p. 52.
-
[18]
M. Balmary, « Les Lois de l’Homme », Études, 375, juillet-août 1991, p. 45-58.
-
[19]
Platon, La République, Livre VIII, 562 c.
-
[20]
G. Dietterlen, Essai sur la religion Bambara, PUF, Paris, 1950.
-
[21]
F. Héritier, « L’identité Samo », in L’identité. Séminaire dirigé par Claude Lévi-Strauss, Grasset, Paris, p. 51-71.
-
[22]
M. Griaule, « Nouvelles recherches sur la notion de personne chez les Dogon », Journal de psychologie normale et pathologique, 40, 1947, p. 425-431.
-
[23]
M. Leenhardt, Do Kamo la personne et le mythe dans le monde mélanésien, Gallimard, Paris, 1937. On trouve le même type de pluralisation de l’identité individuelle chez les Baruya étudiés par Maurice Godelier : « toutes ces identités sont des cristallisations en chaque individu de différents types de rapports aux autres » dans Au fondement des sociétés humaines. Ce que nous apprend l’anthropologie, Albin Michel, Paris, 2007, p. 181.
-
[24]
Voir à ce sujet, P. Descola, Par-delà nature et culture, Gallimard, Paris, 2005, p. 268-279.
-
[25]
P. Singer, Animal Liberation, Random House, New York, 1989.
-
[26]
J. Baird Callicott, In Defense of the Land Ethic. Essays in Environmental Philosophy, State University of New York Press, Albany, 1989.
-
[27]
Au bout de cet examen par l’anthropologie des rapports entre nature et culture, c’est cette différence même qu’il semble possible de remettre en cause : « La notion même de culture est un artefact créé par notre mise entre parenthèses de la nature. Or il n’y a pas plus de cultures – différentes ou universelles – qu’il n’y a de nature universelle. Il n’y a que des natures-cultures, et ce sont elles qui offrent la seule base de comparaison possible. » B. Latour, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, La Découverte/Poche, Paris, 1997, p. 140.
-
[28]
B.-H. Lévy, Être juif, Verdier, Paris, 2004, p. 34.
-
[29]
B.-H. Lévy, Le meurtre du Pasteur, Verdier, Paris, 2002, p. 38 et 252.
-
[30]
Ibid., p. 312-313.
-
[31]
Ibid., p. 298.
-
[32]
« L’individu-roi est celui qui est né de la victoire du droit, du Droit naturel propre à la pensée moderne. Or cette victoire du droit est corrélative d’une défaite de la Loi (…). Le droit c’est ce conatus, ce désir d’être, cette branche de l’arbre qui croît, sans faire attention à quoi que ce soit d’autre (…). Le droit – le droit comme naturel –, c’est, fondamentalement, cette expansion sans limite de l’individu. (…) L’individu suppose donc ici le meurtre du Pasteur, c’est-à-dire qu’il n’est individu-roi que parce qu’il est mouton sans troupeau, c’est-à-dire parce qu’il n’y a pas de Pasteur. » A. Finkielkraut, B.-H. Lévy, Le Livre et les livres. Entretiens sur la laïcité, Verdier, Paris, 2006, p. 135.
-
[33]
J.-C. Milner, Les penchants criminels de l’Europe démocratique, Verdier, Paris, 2003, p. 46.
-
[34]
Ibid., p. 104.
-
[35]
Ibid., p. 111.
-
[36]
Ibid., p. 120.
-
[37]
Ibid., p. 125.
-
[38]
M. Foucault, « “Omnes et singulatim” : vers une critique de la raison politique », in Dits et écrits, vol. II, « Quarto », Gallimard, Paris, 2001, p. 953-980.
-
[39]
M. Foucault, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France. 1977-1978, Gallimard/Seuil, Paris, 2004. Leçon du 1er mars 1978, p. 195-232.
-
[40]
Dans un ouvrage paru une première fois en 1969 sous le pseudonyme d’André Stéphane, deux psychanalystes tiennent la thèse que le christianisme serait une solution d’évitement et non de résolution de l’Œdipe. Par sa négation ou sa relégation dans un rôle subalterne du père charnel, il constituerait une religion de l’adolescent narcissique écartant le vrai père au profit d’un père idéalisé et imaginaire avec lequel il peut s’identifier. Le mépris du réel, propre au christianisme au contraire du judaïsme, gît pour ces auteurs dans la mise en doute de l’existence du père charnel. Jésus qui a libéré l’homme du joug de la loi – et prêché, adolescent, dans le temple –, est l’image même du désir d’évitement de la maturation ; les miracles rapportés dans les évangiles imagent la suppression des lois de la nature et la réalisation fantasmatique du désir ; l’évocation du royaume des cieux est la précipitation du futur dans le présent et l’occultation narcissique du délai nécessaire à la structuration du désir. B. Grinberger, J. Chasseguet-Smirgel, L’univers contestationnaire, In Press Éditions, Paris, 2004.
-
[41]
http://www.eglise.catholique.fr/conference-des-eveques-de-france/textes-et-declarations/discours-d-ouverture-de-l-assemblee-pleniere-d-avril-2013-16283.html. On sait que l’épiscopat français a mobilisé dans son combat contre le « mariage pour tous » l’expertise de quelques moralistes qui tels Xavier Lacroix ou Véronique Margron, ou psychanalystes comme Jacques Arènes ou Marie Balmary, ont affiché une même détermination contre l’effacement supposé de la différence sexuelle dans nos sociétés libérales et permissives.
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[42]
On se souvient que Bonald en 1796 opposait à « l’état sauvage » de la démocratie la société naturelle formée par les rapports nécessaires dérivant de la volonté commune à Dieu et à l’homme. L. de Bonald, Théorie du pouvoir politique et religieux, UGE, Paris, 1966, p. 30.
- [43]
-
[44]
Théorie explicitement condamnée par le Vatican. Cf. Conseil Pontifical pour la Famille, Gender, la controverse, Téqui, Paris, 2011.
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[45]
M. Mead, Mœurs et sexualité en Océanie, trad. fr., Plon, Paris, 1963 ; R. Stoller, Sex and Gender. On the Development of Masculinity and Feminity, Science House, New York, 1968 ; J. Money, A. Ehrhardt, Man & Woman, Boy & Girl, John Hopkins University Press, Baltimore, 1972 ; J. Butler, Gender Trouble. Feminism and the Politics of Subversion, Routledge, New York, 1990. L’évidence de l’antécédence du sexe sur le genre a été mise à mal par les travaux de l’historien américain Thomas Laqueur qui a analysé le passage d’un modèle antique et médiéval dans lequel les organes génitaux masculins et féminins étaient considérés comme les deux pôles opposés d’un continuum à une seule dimension, à un modèle de la différence des sexes qui ne s’est inventé qu’au XVIIe siècle dans lequel les organes génitaux des deux sexes sont perçus comme ayant chacun une nature distincte et incommensurable. En montrant que la manière dont nous percevons les organes génitaux ne s’est élaborée que dans la modernité tardive, Laqueur ébranlait le présupposé d’une base naturelle des sexes sur laquelle le genre viendrait se surajouter. T. Laqueur, La fabrique du sexe. Essai sur le corps et le genre en Occident, trad. fr., Gallimard, Paris, 1992.
-
[46]
Le texte de la Commission Théologique Internationale, À la recherche d’une éthique universelle : nouveau regard sur la Loi naturelle, désigne explicitement, dans les paragraphes 30 et 31 du premier chapitre, le volontarisme moderne comme une des origines principales de la perversion de la vision traditionnelle de la Loi naturelle : « Contre le naturalisme qui tendait à assujettir Dieu aux lois de la nature, il [le volontarisme] souligne de façon unilatérale l’absolue liberté de Dieu, au risque de compromettre sa sagesse et de rendre arbitraires ses décisions. De même, contre l’intellectualisme, soupçonné d’assujettir la personne humaine à l’ordre du monde, il exalte une liberté d’indifférence conçue comme pur pouvoir de choisir les contraires, au risque de déconnecter la personne de ses inclinations naturelles et du bien objectif. » http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/cti_documents/rc_con_cfaith_doc_20090520_legge-naturale_fr.html. La critique la plus radicale de la modernité sous l’espèce du volontarisme est avancée par l’école théologique de Cambridge : J. Milbank, Theology and Social Theory : Beyond Secular Reason, Backwell, Londres, 1990.
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[47]
« Qu’on le veuille ou non, dans notre langue “le mariage” comme signifiant renvoie toujours à l’union d’un homme et d’une femme comme signifié. Vouloir ouvrir le mariage aux homosexuels, c’est changer l’ordre sémantique (…) et jeter la confusion dans le jugement éthique (…). Si l’on désigne par “mariage” une union soit de personnes de même sexe soit de sexe différent, c’est faire dire au mot une chose et son contraire. » G. Médevielle, http://www.eglise.catholique.fr/actualites-et-evenements/dossiers/le-mariage-pour-tous-/-ouvrir-le-mariage-c-est-changer-l-ordre-semantique--15475.html. Commentant l’article du code civil québécois qui pose depuis 2002 que « Lorsque les parents sont tous deux de sexe féminin, les droits et obligations que la loi attribue au père, là où ils se distinguent de ceux de la mère, sont attribuées à celle des deux mères qui n’a pas donné naissance à l’enfant », M. Balmary s’insurge contre le mésusage du mot « mère » qui « dans toutes les langues de la terre » signifie « femme qui a donné naissance à un ou plusieurs enfants ». M. Balmary, « Mariage pour tous, la parole en danger », La Vie, 1er février 2013.
-
[48]
M. Foucault, Les mots et les choses, Gallimard, Paris, 1966. C’est, de même, sur une conception conventionnelle du langage que Hobbes appuie sa théorie de la représentation, à la fois linguistique et politique. Cf. Y. Ch. Zarka, La décision métaphysique de Hobbes : conditions de la politique, Vrin, Paris, 1987.
-
[49]
G. Steiner, Réelles présences : les arts du sens, Gallimard, Paris, 1991.
-
[50]
M. Godelier, Métamorphoses de la parenté, Fayard, Paris, 2004.
-
[51]
E. E. Evans-pritchard, Sorcellerie, oracles et magie chez les Azandé, trad. fr., Gallimard, Paris, 1972 ; Les Nuer, trad. fr., Gallimard, Paris, 1994. Le mariage entre femmes est connu d’autres sociétés telle que celle des Yoriba du Nigéria. Cf. C. Lévi-strauss, « Problèmes de société : excision et procréation assistée », in Nous sommes tous des cannibales, Seuil, Paris, 2013, p. 81-101.
-
[52]
S. Lallemand, « Le b.a-ba africain », Autrement, 1984, no 6, p. 180-186. Cité par F. Hurstel, « La fonction paternelle, question de théorie ou : des lois à la Loi », in Le Père. Métaphore paternelle et fonctions du père : l’Interdit, la Filiation, la Transmission, Denoël, Paris, 1989, p. 235-262.
-
[53]
E. Leach, Critique de l’anthropologie, trad. fr., PUF, Paris, 1968.
-
[54]
F. Héritier, Masculin/Féminin. La pensée de la différence, O. Jacob, Paris, 1996.
-
[55]
C. Alès, C. Barraud, Sexe relatif ou sexe absolu ?, Éds. de la MSH, Paris, 2001.
-
[56]
I. Théry, La distinction de sexe. Une nouvelle approche de l’égalité, O. Jacob, Paris, 2007, p. 238.
-
[57]
Ibid., p. 542.
-
[58]
Comme l’écrit Lévi-Strauss, « il faut beaucoup d’égocentrisme et de naïveté pour croire que l’homme est tout entier réfugié dans un seul des mondes historiques et géographiques de son être, alors que la vérité des hommes réside dans le système de leurs différences et de leurs communes propriétés », C. Lévi-Strauss, La pensée sauvage, Plon, Paris, 1962, réed. Agora Pocket, p. 297.
-
[59]
Cette relativisation va très loin puisque, comme l’ont montré les travaux d’anthropologie psychanalytique, ce ne sont pas seulement les formes de famille et de sexualité qui sont diverses mais la structure même de la personnalité que ces formes engendrent. Ainsi, chez les Marquisiens étudiés par Ralph Linton, l’absence de restrictions à la consommation sexuelle entre adultes et même entre enfants produit une société où l’on ne connaît ni conflits œdipiens ni névroses dues à la frustration. Cf. R. Linton, Le fondement culturel de la personnalité, trad. fr., Dunod, Paris, 1965. Pour un commentaire et une systématisation de ces observations anthropologiques, cf. A. Kardiner, L’individu dans sa société. Essai d’anthropologie psychanalytique, trad. fr., Gallimard, Paris, 1969.
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[60]
P. Brown, Le renoncement à la chair : virginité, célibat et continence dans le christianisme primitif, trad. fr., Gallimard, Paris, 1995 ; S. Elm, Virgins of God : The Making of Asceticism in Late Antiquity, Oxford University Press, Oxford/New York, 1994. « Du IIe au XXe siècle, la recherche du plaisir sexuel est vigoureusement condamnée, et ce que nous appelons l’amour reste à peu près étranger à la problématique du mariage (…) le mariage est procréation et toute recherche du plaisir en mariage fait de l’accouplement un adultère. », J.-L. Flandrin, Le sexe et l’Occident. Évolution des attitudes et des comportements, Seuil, Paris, 1981, p. 101-102.
-
[61]
P. Legendre (dir.), « Ils seront deux en une seule chair. » Scénographie du couple humain dans le texte occidental, van Balberghe Librairie, Bruxelles, 2004. Voir également, A. Burguière, « Querelle de famille… autour de la parenté », Travail, genre et sociétés, 2005/2, no 14, p. 172-184.
-
[62]
J.-P. Pierron, Le climat familial. Une poétique de la famille, Cerf, Paris, 2009, p. 64.
-
[63]
N. Luhmann, Amour comme passion. De la codification de l’intimité, trad. fr., Aubier, Paris, 1990.
-
[64]
Commission Théologique Internationale, À la recherche d’une éthique universelle, nouveau regard sur la loi naturelle, Cerf, Paris, 2009. La naturalisation des conventions est un procédé habituel de légitimation des institutions : « La plupart des institutions établies sont à même, face à une contestation, d’appuyer leur prétention à la légitimité sur leur adéquation à la nature de l’univers », M. Douglas, Comment pensent les institutions, trad. fr., La Découverte, Paris, 2004, p. 81.
-
[65]
I. Théry, La distinction de sexe, op. cit., p. 588.
-
[66]
P. Legendre, Sur la question dogmatique en Occident, Fayard, Paris, 1999.
-
[67]
E. Balibar, « De la critique des droits de l’homme à la critique des droits sociaux », in B. Binoche, J.-P. Clero (éd.), Bentham contre les droits de l’homme, PUF, Paris, 2007, p. 258.
-
[68]
I. Wallerstein, L’universalisme européen : de la colonisation au droit d’ingérence, trad. fr., Demopolis, Paris, 2008.
-
[69]
Conception réfutée en 1952 par Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, Gallimard, Paris, 1987, p. 35-40.
-
[70]
A. Badiou, Le siècle, Seuil, Paris, 2005, p. 11.
-
[71]
A. Badiou, L’éthique : essai sur la conscience du mal, Hatier, Paris, 1993, p. 24-25.
-
[72]
H. Arendt, L’impérialisme, trad. fr., Seuil, Paris, 2002, p. 288.
-
[73]
G. Agamben, Homo sacer. Le pouvoir souverain et la vie nue, trad. fr., Seuil, Paris, 1997, p. 137-146.
-
[74]
P. Hassner, La terreur et l’empire, Seuil, Paris, 2003.
-
[75]
J. Rawls, Paix et démocratie. Le droit des peuples et la raison publique, trad. fr., La Découverte, Paris, 2006. J. Habermas, Morale et communication, trad. fr., Cerf, Paris, 1986.
-
[76]
R. Rorty, Conséquences du pragmatisme, trad. fr., Seuil, Paris, 1993. La position rortyenne qui conduit à un relativisme radical a été combattue notamment par Bernard Williams dans La fortune morale. Moralité et autres essais, trad. fr., PUF, Paris, 1994 et dans L’éthique et les limites de la philosophie, trad. fr., Gallimard, Paris, 1990.
-
[77]
M. J. Oakeshott, Rationalism in Politics and Others Essays, Liberty Fund, Indianapolis, 1991.
-
[78]
M. Sandel, Le libéralisme et les limites de la justice, trad. fr., Seuil, Paris, 1999 ; C. Taylor, Multiculturalisme, différence et démocratie, trad. fr., Flammarion, Paris, 1997 ; A. Mac Intyre, Quelle justice, quelle rationalité ?, trad. fr., PUF, Paris, 1993.
-
[79]
S. Hauerwas, Le Royaume de Paix. Une initiation à l’éthique chrétienne, trad. fr., Bayard, Paris, 2006, p. 182.
-
[80]
« Tout ce que vous désirez que les autres fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : voilà la Loi et les Prophètes » (Mt 7, 12).
-
[81]
Chr. Theobald, Le christianisme comme style. Une manière de faire de la théologie en post-modernité, Cerf, Paris, 2007, t. 2, p. 814.
-
[82]
Ibid., p. 104.
-
[83]
Il est important de ne pas confondre catholicité et universalité : « les chrétiens sont pleinement unis entre eux dès lors qu’ils partagent la même foi, et cela serait vrai même s’ils n’étaient qu’une infime minorité. » M. Fédou, « Comment penser la catholicité de l’Église ? », in M. Fédou (dir.), L’Église catholique dans le monde : entre unité et diversité, Médiasèvres, Paris, 2012, p. 7-25, citation p. 9.
-
[84]
J.-B. Metz, « Unité et pluralité : problèmes et perspectives de l’inculturation », Concilium, 224, 1989, p. 87-96.
-
[85]
A. J. Greimas, Du sens, Seuil, Paris, 1970.
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[86]
« Nul savoir biologique ne permet à l’homme et à la femme de poser, et à plus forte raison, de résoudre l’énigme de leur sexualité. Il s’agit donc là d’une fausse évidence qui, bien loin d’éclairer la question de la différence sexuelle pour chaque homme et chaque femme, ne fait, au contraire, que la redoubler par la faille qu’elle ouvre entre savoir sur la sexualité et vérité de la sexualité ; » L. Beirnaert, Aux frontières de l’acte analytique. La Bible, saint Ignace, Freud et Lacan, Seuil, Paris, 1987, p. 144. Est-il besoin de rappeler que Louis Bernaert était jésuite, théologien et psychanalyste ?
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[87]
Il est important de ne pas confondre la crise contingente du catholicisme avec la crise permanente de la foi : « La crise de la foi ne peut s’analyser seulement comme une crise de société, celle d’une génération ou d’une époque, mais comme une crise permanente, tenant à la structure même de l’acte de foi qui est réponse à une parole de jugement portée sur l’existence de chacun. » J.-L. Souletie, La crise, une chance pour la foi, Ed. de l’Atelier, Paris, 2002, p. 54.
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[88]
Ce qui n’implique nullement de renoncer à l’idée d’une unité du genre humain. Cf. à ce propos, E. Leach, L’unité de l’homme et autres essais, trad. fr., Gallimard, Paris, 1980 ; G. Lenclud, L’universalisme ou le pari de la raison, Seuil/Gallimard, Paris, 2013.
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[89]
J. N. Shklar, The Faces of Injustice, Yale University Press, New Haven, 1990. Cherchant désespérément quelles peuvent être les valeurs ultimes que l’on se doit de préserver à tout prix, le dernier Horkheimer énumère « l’autonomie de la personne individuelle, l’importance de l’individu, certains aspects de sa culture ». Et il reste, selon lui, à conserver dans le malheur du monde quelques intuitions détenues par les traditions religieuses telles que « la justice et la bonté de Dieu ». M. Horkheimer, « La théorie critique hier et aujourd’hui », in Théorie critique. « Essais », trad. fr., Payot, Paris, 1978, p. 355-369, citation p. 359.