Couverture de RSR_122

Article de revue

Théologie et sciences religieuses à l'enseigne de la sécularisation. D'une dualité à déplacer

Les RSR mises en perspective

Pages 181 à 199

Notes

  • [1]
    Intégrer un moment herméneutique dans la gestion d’une tradition religieuse demeure bénéfique si cela opère une prise de distance à l’égard d’orthodoxies closes ou de fondamentalismes. Il n’empêche qu’il y a souvent une tâche aveugle, à l’interne, sur le pourquoi, le en quoi et le en vue de quoi on se rapporte à tel texte – et sur ce que veut dire se référer –, comme s’il y avait là évidence et que s’y résumait l’exercice de pensée que le christianisme a historiquement entendu sous théologie, que ce soit chez les Pères, les docteurs médiévaux ou encore diverses dispositions apparues avec les Temps modernes ; je réserve ici l’attention qu’on peut porter à ce que cachent les textes et les tient (leur disruption interne et du coup leur résistance à simple appréhension conceptuelle ou à pur renvoi à de l’événementiel originel), alors à intégrer dans un ensemble problématisant et réflexif plus large (Heinz Wismann en donne une thématisation plus qu’instructive dans Penser entre les langues, A. Michel, Paris, 2012, p. 17ss., 40ss., 44, 48-71, 90ss., 127ss., 142-153), mais ce n’est justement pas ce que, le plus souvent, on entend par herméneutique dans les contextes ici en cause.
  • [2]
    C’est dans ce contexte que l’on accordera une attention à l’acte de croire, ainsi qu’au genre et à la catégorie du récit, comme l’a passablement fait Joseph Moingt (cf. aussi les deux numéros des RSR 73/1-2, 1985, consacrés à « Narrativité et théologie ») ; le vocabulaire de l’acte revient d’ailleurs dans le titre de sa contribution qui ouvre le dossier publié à l’occasion du Centenaire des RSR : Recherches de science religieuse 1910-2010, Théologies et vérité au défi de l’histoire (introd. et éd. par Pierre Gibert et Christoph Theobald), Peeters, Leuven, 2010, p. 9-31.
  • [3]
    Dans le livre du Centenaire des RSR, Dominique Julia, caractérise bien certains aspects des positions qu’habite Michel de Certeau, « Réflexions d’un historien sur une coupure majeure », p. 71-80, ici, p. 78-80.
  • [4]
    J’ai repris et explicité ce point dans Du religieux, du théologique et du social. Traversées et déplacements, Cerf, Paris, 2012 ; cf. aussi le collectif (dont une contribution de Joseph Moingt), Philippe Gonzalez et Christophe Monnot (éd.), Le religieux entre science et cité. Penser avec Pierre Gisel, Labor et Fides, Genève, 2012.
  • [5]
    C’est la question de cette réduction qui se tenait derrière mon texte, « Place, fonction et forme de la théologie », RSR 96/4, 2008, p. 503-526.
  • [6]
    Est ici touché – Joseph Moingt l’a souvent explicité – le fait du croire et ses diverses problématisations au cours de notre histoire ; je m’y suis attaché avec Serge Margel : Serge Margel, La force des croyances. Les religions du livre et le destin de la modernité, Hermann, Paris, 2009 ; Pierre Gisel (éd.), Les constellations du croire. Dispositifs hérités, problématisations, destin contemporain, Labor et Fides, Genève, 2009 ; Pierre Gisel et Serge Margel (éd.), Le croire au cœur des sociétés et des cultures, Brepols, Tournai, 2011.
  • [7]
    J’ai toujours souligné la pertinence de la question de la théologie naturelle (sans en défendre les modalités mises en avant à Vatican I) ; dans notre contexte de débat, Jean-Marie Donegani écrit, significativement à mes yeux, que « l’ordinaire du croire contemporain peut être perçu comme une théologie naturelle qui demande à être pensée », « Sociologie des religions et théologie », dans le dossier du Centenaire des RSR, op. cit., p. 33-43, ici p. 42.
  • [8]
    À l’encontre d’une dominante thomiste ; cf. à ce propos la citation d’Henri de Lubac en exergue de la contribution de Pierre Lathuilière au dossier du Centenaire des RSR, « L’intégrisme contre la théologie », ibid., p. 45-58.
  • [9]
    On sait que les RSR furent entraînées dans ces remous, cf. Étienne Fouilloux, « Dans la tourmente (1946-1951) », in ibid., p. 149-157. Rappelons que le Surnaturel de Lubac est aujourd’hui remis à l’honneur dans la Radical Orthodoxy, une école qui, à sa manière, est le geste d’une validation d’un patrimoine et des visions qui l’accompagnaient.
  • [10]
    Expression peu heureuse au demeurant ; Schleiermacher l’appelait « théologie philosophique », les post-hégéliens protestants « théorie de la religion », le catholicisme des premiers temps de la modernité « spéculative » ; elle était auparavant autrement à l’œuvre, en termes de sagesse peu ou prou spirituelle : la théologie y était une philosophie, et la philosophie était alors théosophique (cf. Philippe Capelle-Dumont [éd.], Philosophie et théologie. Anthologie II, Cerf, Paris, 2009, p. 9-41 ; Jean-Yves Lacoste, « La théologie et la tâche de la pensée », dans le dossier du Centenaire des RSR, op. cit., p. 213-226 ; Patrick Royannais, « Penser philosophiquement la théologie », RSR 98/1, 2010, p. 11-30) ou selon un ordre métaphysique portant les chemins possibles d’un « accomplissement » de l’être.
  • [11]
    Cela dit même si doit être repris, validé et pensé, ce qui se tient derrière l’instance que la pastorale peut marquer, autre que l’application d’un corps de doctrine, comme le souligne Christoph Theobald parlant d’un « principe de pastoralité », La réception du Concile Vatican II, t. I, Cerf, Paris, 2009, p. 891.
  • [12]
    Relevons ce qu’écrit Joseph Moingt à propos du « statut de la vérité en christianisme » : il faut se demander « ce qu’est une vérité ainsi dénommée, quelle est sa nature […]. C’est le plus redoutable problème auquel devra faire face la théologie de ce siècle » (plus bas, il écrit qu’il convient de « répondre en raison à la question de la vérité »), « L’acte de croire aujourd’hui et l’acte théologique », dans le dossier du Centenaire des RSR, op. cit., p. 9-31, ici p. 29. Cf. aussi Christoph Theobald, « Les Recherches et l’avenir de la théologie chrétienne », in ibid., p. 345-368, ici p. 356-362.
  • [13]
    Rappelons que, dans notre contexte de débat, l’histoire est la première des sciences humaines, même si elle a pu servir à domestication (soulignent son caractère central l’« Introduction » et le titre du volume du Centenaire des RSR, Théologies et vérité au défi de l’histoire).
  • [14]
    Ce fut central dans ce qui a traversé la Faculté de théologie de Lausanne et son passage, de fait, à une Faculté de sciences des religions, cf. mon Traiter du religieux à l’Université. Une dispute socialement révélatrice, Antipodes, Lausanne, 2011.
  • [15]
    Un terme problématique et néanmoins toujours significativement convoqué, cf. Claude Prudhomme, « Occident », in Olivier Christin (éd.), Dictionnaire des concepts nomades en sciences humaines, Métallier, Paris, 2010, p. 343-361.
  • [16]
    Pour un survol historique, cf., dans le dossier du Centenaire des RSR, op. cit. : pour 1910-1960, le texte de Joseph Lecler, « Le cinquantenaire des Recherches », p. 121-147 (reprise d’un texte publié en 1960), avec le complément que fournit Étienne Fouilloux, « Dans la tourmente (1946-1951) » ; pour l’ensemble du centenaire, « Un siècle de Recherches, quelle dynamique pour l’avenir ? », de Pierre Vallin, p. 159-167, ainsi que l’interview de Joseph Moingt, « Les Recherches de science religieuse entre 1968 et 1997 », p. 169-188. On ajoutera, vu notre thème, Jean-Marc Aveline, « Théologie chrétienne des relations interreligieuses », p. 305-317, et, en prolongement, les numéros 94/4, 2006, et 96/3, 2008 (« Dossier : La théologie des religions » [1], dont l’éditorial, p. 489-491, et la page 497, et [2]), ainsi qu’un Bulletin de « Théologies des religions », dès les années 2000, confié d’abord à Jean-Marc Aveline, puis à Geneviève Comeau (1er Bulletin, 95/2, 2007, p. 311-326).
  • [17]
    Sur quelques données historiques sur ce point, cf. Christoph Theobald, « Cent ans de recherches en science religieuse », RSR, 98/3, 2010, p. 323-328, ici p. 324.
  • [18]
    Cf., dans le dossier du Centenaire des RSR, le texte, déjà cité, de Joseph Lecler, ici p. 125, 129.
  • [19]
    D’ailleurs, la partie III du livre du Centenaire des Recherches s’intitule : « Théologie et sciences religieuses [au pluriel] au XXIe siècle », traitant de la philosophie, de l’histoire (de la Bible et du christianisme) et de la culture (les sciences dures, les religions, les arts et la morale).
  • [20]
    Cf. son Le christianisme comme style. Une manière de faire de la théologie en postmodernité, Cerf, Paris, 2007, 2 vol., p. 179, 182-184 (également p. 10s., 54).
  • [21]
    Cf. ibid., p. 230s.
  • [22]
    Ibid., p. 564 (en lien avec Troeltsch, et cf. p. 705) ; cf. p. 568 : « une transformation globale de la théologie ».
  • [23]
    Cf. Id., « Les Recherches et l’avenir de la théologie chrétienne », op. cit., ici p. 385.
  • [24]
    « Les Recherches de science religieuse entre 1968 et 1990. Interview de Joseph Moingt », op. cit., p. 169-188, ici p. 187. Voir aussi son Dieu qui vient à l’homme, t. I : Du deuil au dévoilement de Dieu, t. II : De l’apparition à la naissance de Dieu (II/1. Apparition, et II/2. Naissance), Cerf, Paris, 2002, 2005 et 2007, p. II/910-931, présentant une exposition de ce « nouveau paradigme » que serait la « théologie des religions », et p. II/932-951, au titre d’un « examen critique » centré sur l’ambiguïté du mot « religion » (cf. aussi p. I/97ss. et p. I/477-482).
  • [25]
    Dès la fondation de la Revue, on compte un « Bulletin d’Histoire comparée des religions » et un intérêt pour ce domaine ; le premier des numéros proposait d’ailleurs, en 1910, un article intitulé « Qoran et tradition. Comment fut composée la vie de Mahomet » (cf. Joseph Lecler, « Le cinquantenaire des Recherches », op. cit., p. 132, 135). En 1923, qui marque le départ d’un nouvel élan, on annonce, et cela verra effectivement le jour dès la même année, un « Bulletin » d’« Histoire des religions », qui sera complété « par des Bulletins plus spéciaux, tels que de la Préhistoire, des Religions assyrienne et babylonienne […] », n° 1923/1, p. 5 (on pourra aussi noter, ultérieurement, des articles sur les sagesses, les religions ou les civilisations chinoise ou indienne). Joseph Lecler signalera dans « Le cinquantenaire des Recherches », op. cit., p. 141, que « les travaux sur l’histoire des religions » « sont – à l’exception des bulletins – en régression constante depuis la mort du P. de Grandmaison », l’expliquant par le fait que « l’histoire des religions n’était plus en 1930 le champ de bataille qu’elle était en 1910 ».
  • [26]
    Notons que Jean-Marc Aveline aura rappelé que Grandmaison est lecteur de Troeltsch.
  • [27]
    Cf. les noms de Georges Morel, René Virgoulay, Paul Olivier, Jean Greisch et d’autres ; le sanctionnent aussi, entre autres parutions, les « Dossiers » : « Dire ou taire Dieu », 67/3-4, 1979, « L’expérience de la vérité », 88/1, 2000, « Résister au mal », 90/1, 2002, ou « Philosopher en théologie », 98/1, 2010.
  • [28]
    C’est le titre en 1961, 1963, 1964, 1966 et 1968.
  • [29]
    67/1, 1979, 73/1-2, 1985, 73/3, 1985, et 82/1, 1994 ; voir aussi 64/4, 1976, et 66/4, 1978.
  • [30]
    72/2, 1984, et 79/2-3, 1991.
  • [31]
    On peut y ajouter le « Dossier » : « Le statut des énoncés dogmatiques aujourd’hui », 94/1, 2006, et 95/4, 2007, une question centrale en théologie, mais qui n’est rien sans sociohistoire, ni sans philosophie du religieux.
  • [32]
    On pourra y ajouter les trois numéros autour du Un certain Juif Jésus de John P. Meier, 96/2, 97/3 et 99/1, 2008, 2009 et 2011 ou, auparavant, « L’exégèse et la théologie devant Jésus le Christ », 87/3, 1999 et 88/4, 2000, ainsi qu’un « Dossier » sur Saint Paul, 90/3, 2002, et 94/3, 2006, centrés sur les types de lecture et les réceptions.
  • [33]
    Voir aussi « Langage et sacrement. Un bilan de Théologie Sacramentaire », 91/2, 2003.
  • [34]
    Relevons aussi la forte présence du « Judaïsme ancien » qu’assurent les riches « Bulletins » ad hoc d’André Paul depuis le début des années 1970 (en collaboration avec Katell Berthelot depuis peu). On notera aussi une responsabilité en « Judaïsme moderne » confiée à Dominique Bourrel (jusqu’en 1989).
  • [35]
    Comme on peut dire que les questions théologiques doivent être portées en philosophie (sur l’interface entre théologie et philosophie, cf. Patrick Royannais dans « Penser philosophiquement la théologie », op. cit.).
  • [36]
    Dans un tout autre contexte, reprenant les questions portées par les marxismes, mais intégrant les déplacements socioculturels contemporains – avec, ici, leurs incidences dans le champ politique –, Jacques Rancière met aussi le concept de « scène » en position stratégique centrale, cf. La méthode de l’égalité. Entretien avec Laurent Jeanpierre et Dork Zabunyan, Bayard, Paris, 2012, p. 107, 122, 124 et 151 (cf. aussi p. 61, 66, 98s., 127, 150, 220, 233).
  • [37]
    On a vu que les RSR ont plutôt évité d’entrer dans une telle perspective, tout particulièrement Joseph Moingt.
  • [38]
    J’ai repris cette perspective dans « De quoi le retour du motif religieux est-il le nom ? », in Jacques Ehrenfreund et Pierre Gisel (éd.), Religieux, société civile, politique, Antipodes, Lausanne, 2012, p. 301-320.
  • [39]
    Sur ce point, je me permets de renvoyer à mon petit livre Qu’est-ce qu’une religion ? Vrin, Paris, 2007.
  • [40]
    Touchant le déplacement à enregistrer sur ce point dans le champ des théologies, cf. le chapitre V « De Bultmann à aujourd’hui. Ou d’un déplacement quant à la question de Dieu », de mon Du religieux, du théologique et du social, op. cit.
  • [41]
    On aura ici reconnu trois modes qu’on peut respectivement typologiser comme islamique, chrétien et juif, mais sachant qu’il y a des variations sur chacune des données religieuses concernées, ainsi que touchant les mises en œuvre des thématiques indiquées.
  • [42]
    Sur ces points, cf. le collectif que j’ai dirigé avec Isabelle Ullern, Le déni de l’excès. Homogénéisation sociale et oubli des personnes, Hermann, Paris, 2011.
  • [43]
    Cela pour dire le contemporain, mais Ferdinand Tönnies, Georg Simmel, Max Weber et d’autres avaient, au début du XXe siècle déjà, mis en avant des phénomènes qui font la modernité : dissolution de liens de vie ancestraux, marchandisation généralisée et fétichisation vampirisante, fonctionnalisation bureaucratique et rationalité instrumentale ; cf. à ce propos Aurélien Berlan, La Fabrique des derniers hommes. Retour sur le présent avec Tönnies, Simmel et Weber, La Découverte, Paris, 2013.
  • [44]
    Pour ce qui est ici en cause et en jeu, une lecture de Slavoj Zizek ou de Peter Sloterdijk, tous deux continuateurs hétérodoxes de l’École de Francfort, peut donner à penser ; cf. le chapitre II, « Quel effacement de transcendance dans la société contemporaine ? », de mon Du religieux, du théologique et du social, op. cit.
  • [45]
    Il y a là une polarité à dépasser en reprenant chacun des deux termes en cause, le repli sur un subjectif arbitraire et la sanction donnée, de fait ou assumée, à des savoirs restrictifs, non quant à leur extension, mais quant aux modes d’interrogation déployés (notons qu’il y aurait là à penser et à mettre en œuvre des opérations transversales aux disciplines constituées).
  • [46]
    On devra ici notamment construire une théorie de l’humain et en répondre, renvoyer au strict biologique « naturel » ne suffisant pas ou s’avérant inadéquat.
  • [47]
    On le fera par-delà les partitions usuelles, en l’occurrence plutôt paresseuses, y compris dans le champ des théologies.
  • [48]
    Transversale, pour commencer, aux diverses disciplines qui font le quotidien du travail en théologie (exégèse, histoire, sciences sociales, etc.), mais, plus largement, transversale aussi au travail mené en matières humaines et sociales, comme le soutient une part de la présente contribution.
  • [49]
    Rappelons que c’est le titre du « Dossier » que présente le no 98/1, 2010.
  • [50]
    Notons bien qu’autant je souligne l’importance de ce qui à mes yeux s’impose ici (et qui reprend une tâche de « théologie fondamentale et lui donne forme à sa manière), autant cela n’épuise ni n’entraîne toute la tâche de la théologie, même si l’ensemble de son exercice pourra en être affecté, indirectement, en chacun des aspects, voire des ordres, alors engagés.
  • [51]
    On touche ici à la question du marcionisme, en principe refusé dans l’Église pour dire un accomplissement interne tant du réel que d’une inscription dans du récit et de la symbolisation historiques (le fait du créé et une « ancienne Alliance » sont ainsi participants du constitutif), mais faisant toujours retour dans l’histoire chrétienne effective, que ce soit sur des modes catholiques ou protestants (pour l’un de ces derniers et en modernité, cf. Harnack, que je relis dans le chapitre VI, « Deux postures différentes dans la lecture du christianisme : Harnack et Troeltsch », de mon Du religieux, du théologique et du social, op. cit.). On notera que cette thématique se tient au cœur de la modernité sociopolitique, ainsi chez Schmitt (cf. Tristan Storme, Carl Schmittt et le marcionisme. L’impossibilité théologico-politique d’un œcuménisme judéo-chrétien ? Cerf, Paris, 2008) ou, à mon sens, Alain Badiou, attaché au seul surgissement, événementiel, de la nouveauté, que ce soit celle de l’Apôtre Paul coupant avec le judaïsme, ou celle de la Révolution coupant avec les anciens régimes.
  • [52]
    Est en jeu, on l’aura compris, la question de ce que, dans la perspective esquissée, on fait des « figures de références » et de la « mémoire ». Je m’y suis exercé à propos du Christ Jésus dans le dernier chapitre de mon Du religieux, du théologique et du social, op. cit. : « Quelle messianité en acte donne à voir la figure de l’homme Jésus ? » (avec, p. 265, no 2, des reprises de formulations très précises de Joseph Moingt en matière du « fait chair » central en christianisme) ; la troisième et dernière partie de l’ouvrage avait d’ailleurs pour titre : « Que faire de la Bible et que faire de Jésus. Mémoire et figures de référence ».

Quelle disposition des données et questions ?

1Notre colloque s’affiche à l’enseigne de la sécularisation. Avec, à l’arrière-plan, la question des sciences religieuses d’une part, de la théologie de l’autre. Distinguées donc ; voire opposées. Mais distinguées selon une partition rapidement – trop rapidement – énoncée : approche « agnostique » pour les premières, « confessante » pour la seconde.

2Poser ainsi le décor du débat est sans surprise. Mais il me paraît que le débat doit être déplacé et, pour ce faire, qu’il doit être inscrit dans une perspective à la fois historique et problématisante.

3Ne pas décentrer la partition en cause serait sanctionner la vision évolutionniste d’une sécularisation unilinéaire passant d’un modèle où la religion, de forme intégrative, subordonne tout l’espace de la vie humaine – donc le civil et le politique – à l’avènement d’une raison autonome liée à la vision d’un homme « universel » et « naturel » disaient les Lumières européennes, « générique » dirait la gauche hégélienne, mais de toute manière un sujet connaissant et ordonnant le monde à partir de lui-même et des idéaux qu’il peut se donner, hors tout fondement religieux extrinsèque. Sur l’autre pôle, ne pas décentrer la partition en cause conduirait à sanctionner que la théologie – ou l’exercice théologique – n’a une pertinence qu’en ce qu’elle est liée à de la « conviction », privée et subjective, certes irréductible en son ordre, mais finalement arbitraire, tout au plus validée au plan de l’ouverture de sens qu’elle peut esquisser et défendre, un sens parmi d’autres bien sûr. Bref, un exercice théologique replié sur une position principiellement et exclusivement herméneutique, parce qu’articulée à des fondements particuliers et investis pour eux-mêmes [1], hypostasiés à l’interne, même si, à l’externe, sont heureusement reconnus un irréductible pluralisme et de la liberté religieuse.

4Déplacer le débat, c’est, d’abord, ne pas s’en tenir à ces partitions convenues. Dont les termes seraient pris tels quels, sans problématisation suffisante à l’interne. Déplacer le débat, c’est opérer un pas-en-arrière, ou, plutôt, un pas-de-côté. Parce que la proximité aveugle. Et que le pas-de-côté peut mettre le présent en perspective, donner du relief, faire apparaître des dispositions de fond et du coup des agencements inaperçus. La question n’est pas, et ici pas plus qu’ailleurs, de choisir entre des positions opposées, bonnes ou mauvaises selon les camps en présence – ni même d’y apporter des correctifs –, des positions qu’on refuse ou des positions auxquelles on adhère et auxquelles on tient parce qu’y seraient liées nos identités. Foncièrement, la question à poser est : qu’est-ce qui nous « arrive » aujourd’hui ? et de situer ainsi le présent, le monde et l’humain dans une histoire complexe, faite de donnes multiples, une histoire pluridimensionnelle aussi, et de toute façon traversée d’« intérêts », d’affects et de désirs divers et diversement disposés. Une histoire qui nous a faits, à laquelle nous sommes assignés. En un mot emprunté tant à Nietzsche qu’à Foucault, il y aura à ouvrir une perspective « généalogique ». Dont construire la scène, en lien à des enjeux, à élucider et à penser.

5Déplacer le débat, ce sera dès lors focaliser l’attention sur des processus à l’œuvre – sur des pratiques aussi [2] –, sur des constructions effectives – des déconstructions et des ripostes –, des marginalisations et des effets pervers, ou tout au moins non voulus, mais toujours symptomatiques et significatifs. Le regard portera sur les jeux d’institutionnalisation, de désinstitutionnalisation et de recomposition, avec ce qui les travaille, ce qui s’y laisse capter à chaque fois, ce qui s’en transforme, ce qui s’en exorbite. Pour évoquer la mémoire d’un des acteurs, direct ou indirect, des Recherches du dernier quart du XXe siècle, on se trouve ici proche de Michel de Certeau [3]. Il y a des dispositifs à exhiber, qui commandent partitions et positions. Comme il y a des trajectoires à retracer, des trajectoires de motifs et de types d’agencement. Les sujets en sont faits. Les Églises de même, ou autres groupes analogues.

Le rapport sciences religieuses et théologie, un lieu symptomatique

Un présent à interroger

6Partons du rapport entre sciences religieuses et théologie. Il est sous-jacent à l’ensemble de notre rencontre, et il est l’un des lieux, probablement typique, où l’on voit se cristalliser de la sécularisation : perte du théologique, alors posé comme lié aux Églises et à leurs « systèmes de croyances », et entrée dans la science profane ; fin du monopole aussi, ou de la domination, d’un paradigme religieux parmi d’autres (ici, chrétien, ou au moins monothéiste) et ouverture à une pluralité pouvant déboucher sur simple juxtaposition. Ce qui « arrive » à la théologie et aux sciences religieuses dans cette conjoncture, ou comment elles se disposent ou ne se disposent pas, offre dès lors un bon terrain d’observation et d’interrogation possible.

7Il convient de préciser ou de souligner que quand je parle du rapport entre sciences religieuses et théologie, j’entends par théologie un exercice propre de la pensée – une manière de travailler et de s’interroger –, non un type de discours disant une représentation du monde orientée [4]. Que ce dernier champ, celui d’expressions croyantes, voire doctrinales, ou de systématisations théologiques, soit un objet dont puissent – doivent – s’emparer les sciences religieuses, comme elles se sont emparées des champs de la ritualité, de la symbolique ou des cristallisations institutionnelles, ne fait pas problème à mon sens. Mais on ne touche là qu’une face de ce qu’on a traditionnellement entendu par théologie, et c’est l’autre face qui m’importe ici, une face qui, en sciences religieuses, apparaît le plus souvent niée ou invalidée. Et s’il y a réduction de l’amplitude traditionnellement assumée par la théologie, c’est que s’est en fait opérée une substitution (il y aura à s’interroger sur les suites de l’invalidation de l’exercice de pensée traditionnellement porté par la théologie : substitution ? mais comment et pour quoi ? ou transformation, et donc reprise ? mais, là aussi, comment et en quoi ? ou encore redistribution plus radicale du terrain ? mais alors à élucider et penser, sans quoi la substitution risque d’aller tout simplement avec perte).

8Notons qu’aujourd’hui, on retrouve à l’œuvre, mutatis mutandis, la même réduction du côté des croyants et des institutions religieuses. La théologie y apparaît en effet reportée sur un intellectus fidei, au sens restrictif qu’a pris l’expression dans le sillage de la « théologie dialectique » protestante, ou dans une veine finalement « traditionaliste » en catholicisme [5]. On n’est plus ici dans la conjoncture qui fut celle des Pères, plus non plus dans celle du Moyen Âge. Peut-être parce que la fides dont la théologie est l’intellectus a été subrepticement réduite. N’y est plus d’abord en cause un sujet engagé dans le monde, faisant l’expérience du monde et de soi – et alors aux prises avec de l’altérité et pouvant se comprendre comme procès –, mais l’adhésion à une proposition [6].

9Entrer dans une telle stratégie de repli, consciente ou non, s’inscrit vraisemblablement dans l’histoire d’un échec du projet de théologie naturelle mis en avant à Vatican I en tension critique avec la modernité rationaliste [7]. Une stratégie de repli conduisant au mieux à la redécouverte et la valorisation possible d’un patrimoine. En l’occurrence, le patrimoine se révèlera heureusement plus riche et plus diversifié qu’attendu (les Pères, une relecture du Moyen Âge aussi [8]), et même lourd de déplacements possibles en termes d’approfondissement réflexif, jusqu’à inquiéter une vision autrement traditionaliste (la « nouvelle théologie » des années 1938-1950, condamnée, et, fut l’un des approfondissements indiqués, le Surnaturel d’Henri de Lubac en 1946, controversé [9]). Le repli incriminé devait pacifier, mais même sur le terrain de la croyance, les donnes en cause ne se laissent pas domestiquer. La sortie de crise sera finalement pastorale, avec Vatican II. Non sans manque au plan de ce qu’on appelle aujourd’hui « théologie fondamentale » [10], les questions du statut même et de la fonction de la théologie étant insuffisamment remises sur le métier [11], de même que celles de ce qu’il en est anthropologiquement et socialement du croire, modes d’institutionnalisations compris, et bien sûr du type de vérité qui peut lui être lié [12].

Pluriconfessionnalité ou décentrement du religieux ?

10Invitant à focaliser sur ce qu’il en est du rapport entre sciences religieuses et théologie, j’ai précisé que j’entendais ici par théologie un exercice propre de la pensée, non un discours donnant une représentation du monde orientée, ce que la théologie a proposé et propose aussi par ailleurs et qui a sa validité en son ordre. Si la précision avait son importance, c’est que parler de sciences religieuses en milieu universitaire et en rapport à la théologie peut de fait convoquer deux thématiques différentes. À distinguer dès l’abord si l’on veut correctement baliser l’interrogation, discerner les enjeux, circonscrire les données et les défis.

11La première thématique en cause est celle de champs religieux autres que celui de la théologie chrétienne. On s’occupera du coup de religions orientales ou antiques, de l’islam ou de la Chine, de nouveaux mouvements religieux ou de spiritualités désinstitutionnalisées. S’ouvre ici un horizon pluriconfessionnel, qui décentre le christianisme et certaines des manières qu’il a eues de pratiquer la théologie ; et se noue, par-delà, un moment de confrontation ou de dialogue interreligieux pouvant être en outre l’occasion – ou non – d’une « théologie des religions » (peu ou prou : une théologie chrétienne des religions ou une théologie des religions à partir d’une position marquée de christianisme).

12Mais la thématique en cause peut aussi être celle d’une appréhension différente du religieux. Où l’on ne considérera pas les religions ou autres confessions pour elles-mêmes, fût-ce pour les faire dialoguer ou à fins de comparaison. Où on les rapportera plutôt, dans le traitement proposé et avec les méthodes que cela suppose, à ce tiers que représentent le social ou l’anthropologique et, par-delà, formulé selon une thématique classique en christianisme, au réel, au monde, au créé. Un tiers qui décale toute religion, tout dialogue religieux du coup, et toute histoire de leurs traditions à chacune. On verra du coup mieux que, de ces histoires mêmes, il y a des ruptures et des discontinuités, liées à des enjeux différents à chaque fois, qui peuvent nous être en outre profondément étrangers. Des ruptures et des discontinuités que les constructions identitaires internes sous-estiment. Pratiquée pour elle-même, l’histoire [13] s’avère ici être d’abord l’épreuve d’une « perte », disait à juste titre Michel de Certeau.

13Dans la seconde des deux thématiques ouvertes, on se trouvera plus extérieur à ce qui, le plus souvent, a fait le théologique. C’est qu’on ne focalise pas d’abord sur l’objet dont parlent les croyants, ni non plus sur les sujets croyants comme tels. Sauf à investir les médiations positives qui s’en offrent – celles de discours, de pratiques, de socialités –, mais, comme médiations justement, elles se trouvent alors rapportées à autre chose qu’à la seule croyance, les objets qui la polarisent et les sujets qui s’y engagent.

14Disons le tout net, le premier des axes – la pluriconfessionnalité – a certes son importance. Et on l’occupera volontiers aujourd’hui dans la ligne d’ouverture marquée à Vatican II, de la proclamation de la liberté religieuse à la reconnaissance de valeurs positives hors du champ catholique, ainsi dans d’autres confessions chrétiennes, dans le judaïsme spécifiquement, et au-delà encore. Mais c’est le second axe qui, pour notre thématique, me paraît décisif. Et c’est sur cet axe que se marquent les déplacements les plus déterminants dans les questionnements et du coup les diagnostics quant au présent, quant à ce dont nous venons et quant à ce qui nous arrive, ainsi que les contestations les plus fortes. Comme c’est là que ce qu’il en est ou peut en être d’un exercice théologique est le plus mis au défi [14]. Un défi qui ne pourra être relevé qu’au prix de forts déplacements, pris sur soi et assumés, donc pensés, et de modifications d’importance, tant quant à la lecture du passé – l’histoire, mêlée, du christianisme et de ce qu’on a pu appeler l’Occident [15] – que quant à la tâche à prendre en charge dans le contemporain et aux manières de la baliser. Tout cela sous un horizon d’interrogation qui soit bien celui du monde et selon un axe de questionnement qui soit bien celui de l’humain, non celui d’un repli, ici sur le religieux et ses diversités, ce qui est bien sûr déjà mieux qu’un repli sur la seule Église et ce qui, à terme, ne peut pas laisser tout à fait indemne.

Les cent années des Recherches. Relecture partielle et orientée

15Comment les Recherches ont-elles de fait pris place dans le double ordre de questions évoqué, la diversité religieuse d’une part, le déplacement que requiert un type d’interrogation nouveau porté sur le religieux de l’autre, avec ce qui le sous-tend et qui commande à ses déploiements [16] ?

16Avant toute chose, prenons le titre. Quand même intrigant. Au moins aujourd’hui et en pays laïc. À l’oral, et face à un interlocuteur qui ne connaît pas les Recherches, ne faut-il pas en effet toujours préciser le singulier, faute de quoi apparaît dans le dialogue plutôt l’horizon de la 5e section de l’École pratique des Hautes Études, section dite de « sciences religieuses », au pluriel, justement créée deux décennies avant que ne naisse le projet des RSR et en antithèse à la théologie séculaire de la Sorbonne qui était, elle, catholique ? Recherches de science religieuse, au singulier donc [17]. Faut-il dès lors entendre, transposé froidement et brutalement, Recherches de théologie catholique ? De fait non. Car cela voudrait dire qu’on est en doctrine. Un lieu que, consciemment, la Revue naissante ne vise pas à occuper. D’abord parce qu’il l’est déjà, par d’autres revues [18]. Mais, plus profondément, on ne le veut pas parce qu’on entend faire autre chose, que recouvre justement le syntagme science religieuse, et qu’on aura vocation à le faire au lendemain de la crise moderniste et sous cet horizon. Faire de la science donc, historique et positive pour aller vite, et non de la théologie à proprement parler : faire de la science, pour dire le mode, et faire de la science religieuse pour dire le champ d’exercice, le singulier marquant qu’il y en a en principe une (comme on a, encore aujourd’hui, des revues d’histoire – de science historique donc – ou de philosophie et de psychologie, chaque fois au singulier, même si, concrètement, on a chaque fois affaire à des histoires, à des philosophies et à des psychologies). De la « science religieuse ». On ne le dirait plus ainsi aujourd’hui [19]. D’abord parce que le religieux convoque des sciences diverses, sociologique, psychologique, anthropologique ou autre. En outre parce qu’en ce contexte surtout, on sent bien que le singulier ne peut qu’entraîner une vision trop unitaire, et du coup le triomphe d’un point de vue ou d’une position (si le sous-entendu du titre Recherches de science religieuse n’est pas Recherches de théologie catholique, il pourrait bien être Recherches de science religieuse catholiques [ou Recherches catholiques de science religieuse] ou Recherches d’une science catholique du religieux).

17Le profil relevé ne doit probablement pas être sous-estimé. Sur le fond, on rejoint ce qu’a souvent dit Christoph Theobald, le rédacteur en chef actuel, spécialiste de la crise moderniste au demeurant (de fait liée à l’apparition de sciences profanes dans le champ religieux), lorsqu’il valide les sciences humaines et sociales en une position tierce qui décale les discours tant théologiques que philosophiques et leurs dialogues [20]. C. Theobald coupe ainsi avec tout débat opposant, polairement, position catholique et position laïque, attirant l’attention sur le déplacement qui voit une interrogation porter sur la « production » des discours, religieux et autres [21], ainsi que sur les « changements de paradigme » alors à l’œuvre [22]. En profondeur, s’il y a débat avec des sciences religieuses, c’est parce que le christianisme est désormais « exculturé » [23].

18On toucherait donc là, pour le meilleur – un meilleur qui n’est pas toujours le lot partagé de tous –, le profil et l’héritage propres des Recherches. Joseph Moingt, le rédacteur en chef de 1969 à 1997, y aurait été fidèle à sa manière quand, comptant la « théologie des religions » au nombre des « déficiences » possibles de la Revue, il confesse que, de fait, ses « positions personnelles » l’en ont « éloigné » [24]. Dit positivement, c’est que primait, pour lui, le décalage dû au monde même et à l’humain comme tel, avec l’entrée en sciences humaines et sociales que cela entraînait, faite d’attention à la culture, au social, au séculier.

19Je ne vais pas revenir ici sur les cinquante premières années des RSR, bien documentées dans le livre du Centenaire. Je souligne simplement qu’on y occupe principiellement le terrain indiqué, plus historique que doctrinal, plus inscrit au cœur des sciences telles qu’elles se font, à commencer par l’histoire, que voué à des positions autocentrées. Cela dit, parmi ces savoirs historiques et positifs, avec leurs évolutions et les questions qui en sourdent, notamment en matière de doctrine, la Revue est aussi ouverte sur d’autres expressions religieuses ou sur de l’ethnologique, dès le départ présents [25], et à l’horizon se tiennent bien de l’histoire comparée des religions et de la philosophie de la religion [26]. Touchant cette dernière, on dira que la Revue y portera une attention qui s’est poursuivie jusqu’aujourd’hui [27], mais il convient d’intégrer, et cela me paraît être tout spécialement le cas avec les RSR, que les frontières entre réflexions de philosophie de la religion (parfois de philosophie générale), de théologie (qu’elle soit historique ou fondamentale), de certaines mises en œuvre de sciences humaines aussi, sont poreuses, voire inadéquates et à déclasser (où inscrire, par exemple, les textes d’un Michel de Certeau ?).

20À partir des années 1960, par-delà des textes qui peuvent s’inscrire dans le champ d’une histoire ou histoire comparée des religions et poursuivre ainsi ce qu’on a noté au départ de la Revue (une suite des articles d’Édouard des Places sur la « Philosophie religieuse des Grecs » [28], quelques chroniques d’islamologie [29], ou encore quelques mises au point relatives aux religions orientales, aux plans de leur histoire et de leur théologie) [30], il convient d’enregistrer, dès la fin de la décennie, la livraison de numéros thématiques significatifs à mon sens. Je note à ce propos :

  • des numéros sur l’Église vue comme réalité sociale, ainsi : « Stratégies d’Église dans le champ social. Approches sociologiques du fait religieux » (64/3-4, 1977), « Un corps pour l’Église » (79/2-3, 1991), voire « Le christianisme dans la mondialisation » (86/1, 1998) [31] ;
  • des retours sur l’histoire comme décentrante, tels « Histoire et théologie » (58/4, 1970), « Apologétique et théologie fondamentale. Autour de la Lettre (1896) de Maurice Blondel » (86/4, 1998), ou « L’Aufklärung dans la théologie » (72/3 et 4, 1984) et « Science des religions ou théologie ? Ernst Troeltsch aujourd’hui » (88/2, 2000) ; à quoi on peut ajouter trois numéros sur Michel de Certeau, deux avec le sous-titre « Le voyage mystique » (76/2-3, 1988) et le troisième « “Le marcheur blessé” » (91/4, 2003) ; notons encore les « Pratiques historiennes » (73/3, 1985) ; on notera également ici une forte présence de la question du rapport aux sciences historiques appliquées à la Bible, non pour en enregistrer les résultats (ce n’est pas directement la vocation de la revue), mais en vue d’en tirer et d’en penser les enseignements au plan d’une réflexion théologique de fond, y compris dans ce qui peut s’en retourner de questionnement à valoir au plan même de ce qui fait la pratique de l’exégèse critique (voir les « Dossiers » : « La réception des Écritures inspirées », 92/1 et 93/4, 2004 et 2005, « Le théologien commentateur des Écritures », 95/3, 2007 [32]) ;
  • l’examen de données religieuses positives, ici chrétiennes, mais traitées selon des regards de sciences humaines ou de type anthropologique : « Le sacré » (57/4, 1969), « L’acte de croire » (77/1-2, 1989), « Enjeux du rite dans la modernité » (78/3-4, 1990) et « Les sacrements de Dieu » (75/2-3, 1987) [33], ou encore « Le fil de la transmission » (81/1-2, 1993) ;
  • des numéros s’inscrivant plus franchement dans le champ des religions, « Religions à l’épreuve de la modernité » (63/1-2, 1975), « Matteo Ricci en Chine (1582-1610) » (72/1, 1984), « Aperçus sur le fait juif » (66/4, 1978), « Croisées du Judaïsme » (74/4, 1986) ou « Relectures du judaïsme » (85/2, 1997) [34], sans compter des chroniques d’« islamologie » (67/1, 1979, 73/1-2 et 73/3, 1985 ; cf. aussi 64/4, 1976), un terrain qu’amplifient les deux numéros signalés ci-dessus en note 16 : « Dossier : La théologie des religions » (94/4, 2006, et 96/3, 2008).

Penser au cœur des sciences religieuses une interrogation héritée du théologique

21Le champ des sciences religieuses – ou sciences des religions – doit être investi. Par des représentants des diverses disciplines de sciences humaines et sociales pour commencer. Il doit l’être délibérément et sans réserve. Mais il y a aussi, à mon sens, à y inscrire, à l’interne et selon ce qui définit ce champ, les questions qu’a pu porter la théologie dans notre histoire [35]. Ce qui n’est pas toujours aperçu, ni toujours accordé.

22Une telle tâche n’est en effet, d’abord, pas spontanément perçue, encore moins assumée, du côté de théologies liées d’une manière ou d’une autre à l’institution ecclésiale. C’est qu’on y est plus occupé à valider une identité interne, qui n’exclut certes pas qu’on en pense une portée positive pour le monde, mais la question en jeu n’est justement pas là : elle est celle de savoir à partir de quel espace de données et de problèmes on élabore un penser. Relevons par ailleurs qu’il n’est même pas toujours sûr que, du côté de ces théologies, on sache encore bien travailler les affirmations croyantes comme des manières de répondre de données et de questions humaines plus larges, sur fond de différentes dispositions de l’humain dans le monde, ce qui, soit dit au passage, obligerait à préciser le statut de ces affirmations et à en expliciter les enjeux en termes délibérément humains et sociaux.

23En même temps, du côté des sciences religieuses, la nécessité – et la légitimité – de porter dans leur champ de travail des questions historiquement prises en charge par la théologie n’est, le plus souvent, pas accordée. C’est qu’on y est beaucoup occupé à se démarquer de la théologie, d’abord en ce qu’elle est confessionnellement cristallisée – et donc attachée à une donne particulière, habitée d’une manière qu’on pense spontanément mais indûment extensive –, mais aussi en ce que la théologie accorde une primauté aux thématiques du croire et de la transcendance sans s’apercevoir que cela même est lié à une posture spécifique dans l’histoire et les cultures, plus que ne l’imaginent les chrétiens. La démarcation requise primant, aux plans historique, psychologique et institutionnel, on en reste le plus souvent, du côté des sciences religieuses, à un refus sourcilleux, sans interrogation généalogique plus différenciée, y compris d’ailleurs, pour commencer, quant à ce que furent les formes effectives du christianisme, vu dans ses vingt siècles d’histoire s’entend et non réduit aux seuls types de positionnement qui furent les siens avec les Temps modernes. On y est en outre particulièrement soucieux de montrer que toute position religieuse – plus globalement culturelle, sociale ou politique au demeurant –, toute tradition du coup, relève de constructions ressortissant à des stratégies complexes et engagées face à des défis différents à chaque fois. Emblématiquement, on soulignera ainsi qu’il n’y a ni christianisme, ni islam, mais des christianismes ou des islams, faits de donnes diverses selon les situations effectives et changeantes, sauf à « essentialiser ».

24Loin de moi – précisons-le au passage, et nettement – l’idée de contester ces jeux de constructions, ou de « négociations » diraient les anthropologues, toujours reprises en fonction de situations différentes et alors faites d’éléments hétérogènes et d’acculturations. Ce qui se donne comme religions ne constitue pas des blocs qu’il y aurait à étudier pour eux-mêmes, afin d’élargir sa connaissance du monde. Ou sa culture. Toute donne religieuse est au contraire à rapporter à des réalités autres, largement anthropologiques et sociales, dont elle n’est qu’une scène[36]. En ce sens, le religieux n’est ni le lieu d’un dernier mot, surplombant, ni même l’occasion d’un champ d’expressions autonome. Mais s’il y a scène, non seulement les affirmations qui s’y profilent peuvent être « déconstruites » – elles sont secondes –, mais la scène même peut, et à mon sens doit, être lue comme lieu de symptômes et comme un lieu à partir duquel se développent des effets.

25Restons sur la scène religieuse pour dire que ne s’y donnent pas que des éléments et des faits à connaître. Il y a certes à savoir, et ce savoir doit être approfondi et amplifié ; notamment à l’encontre de ce qu’on a pu diagnostiquer comme « analphabétisme religieux », socialement et humainement dommageable. Mais il y a aussi, en matière religieuse, à penser. Et c’est peut-être ce qui, dans notre postmodernité contemporaine, sceptique pour ce qui touche aux réalités sociales et culturelles – et d’abord occupée à valider et à défendre la tolérance sur fond d’une conscience accusée de pluralismes historiques et autres –, s’avère rester le plus en panne.

26Précisons, pour éviter un nouveau malentendu, ou ce qui serait une fausse piste à mes yeux, que penser ce qui se passe et qui peut se nouer avec le religieux ne conduit pas à en répondre en termes d’expérience spécifique, renvoyée à ce qui ferait l’humain en sa profondeur. Ce serait en fin de compte autonomiser cette dimension et ce qui s’en exprime [37], ne pas se donner non plus les moyens de prendre la mesure des différences qui s’y articulent historiquement, y compris dans le fait que n’existe ni dans toutes les cultures, ni à tous les moments de l’histoire, du religieux distinguable du politique, du social, du culturel.

27Prendre ici en charge une tâche de la pensée ne pourra, à mon sens, que passer par une mise en perspective généalogique, liée à un présent circonscrit et aux problèmes qu’on peut y faire voir. Cette généalogie est à construire, comme est à construire la problématologie dont elle marquera une traversée [38].

28Esquissons-en quelques moments-clés. Il y a d’abord à s’expliquer quant à ce qu’est ou ce qu’il faut entendre par religion. On le fera en sachant que, sous religion, on n’a pas toujours renvoyé à un « système de croyances », selon ce qu’on entend spontanément dès le début des Temps modernes, et que, par exemple, même en christianisme autorisé, on a pu faire auparavant une différence entre, d’une part, la « religion » comme « vertu humaine » inscrite dans une disposition sous le rapport au cosmos vu en ce qu’il dépasse l’humain – et alors hors problématique croyante – et, d’autre part, le « croire » ou la « foi » comme vertu théologale, transversale au rapport que l’humain noue avec les choses du monde ou à la manière dont il en « use » ou en « jouit ». Et on le fera en enregistrant en même temps que sont aujourd’hui délibérément flottantes les frontières qui pourraient délimiter ce qui relève ou non du religieux [39] – avec les difficultés que cela peut entraîner en matière de traitement social, voire politico-juridique –, religion pouvant se confondre avec, ou se muer en « équilibre de vie », « sagesse », « spiritualité », celle-ci fût-elle dite athée.

29Les sciences religieuses contemporaines aiment souligner que le fait d’une « religion » n’existe ni partout ni toujours, qu’entre autres données, il est lié au christianisme et qu’il faut donc en déconstruire la catégorie. Ce qui, assurément, décentre et ouvre sur la multiplicité des dispositions qui sont celles de l’humain. Mais n’y a-t-il pas à penser, sur ce point justement, ce qui nous « arrive » aujourd’hui et de quoi c’est le symptôme, quant à notre présent, quant à ce dont nous venons, quant à ce que nous nous construisons du passé et quant à ce qui nous en arrive ? Et ne convient-il pas de remettre en même temps sur le métier l’examen des tâches qui nous sollicitent, des possibles qui y sont liés, avec leurs risques et leurs chances (et en quoi ces possibles sont, à chaque fois, l’un et/ou l’autre) ?

30Il y aurait ensuite – ici toujours donné à titre d’exemple – à ouvrir, sur le même mode, une interrogation quant à ce qui dépasse l’humain ou l’excède et quant à la manière d’en répondre, de le symboliser ou d’y renvoyer. On le fera en sachant, avec les sciences religieuses contemporaines, qu’en appeler ici à « transcendance », à « absolu », à « inconditionné », voire à « infini », n’est qu’une manière d’en rendre compte [40]. Et que même dans les monothéismes, cette manière varie – mais, cela, ce sont plutôt les théologiens qui le savent, fût-ce pour en faire des usages divers –, et qu’elle varie même assez foncièrement, comme cela se fait voir dès qu’on creuse la question de comment on y rapporte le monde et l’humain (le lieu des « causes secondes » pour recourir à un vocabulaire traditionnel en christianisme), la question de comment on y rapporte les symboliques et autres institutions croyantes aussi, et dès lors la question de en quoi et comment la transcendance est « principe » (principe simple et de dépendance directe, au moins de droit ? ou dissymétrie, et alors pour un dif-férer ? voire irréductible étrangeté ? [41]).

31On aura compris qu’il y a là une interrogation et un penser à mener sur chacune des traditions religieuses qui en appellent à transcendance, avec leurs jeux d’altérité et de réduction, d’analogies et d’appropriations, de confiscations et de dénis. On le fera à la fois en sachant que se tient en ces matières une gamme de procès plus large que ce qu’imagine une modernité n’inscrivant pas son présent dans une généalogie suffisamment différenciée, et en n’oubliant pas qu’il y a encore de tout autres manières de jouer de ce qui se tient en excès de l’humain – et alors sans convoquer la thématique d’une transcendance –, et que ces manières mêmes ne sont en outre pas sans faire retour au cœur même des traditions dites monothéistes. Et on le fera au gré d’une lecture tendue du comment se nouent nos sociétés contemporaines, souvent occupées à dénoncer les perversions d’un appel à transcendance, mais en même temps en quasi-déni de ce qui excède l’humain (de la différence foncière, à commencer par celle que cristallisent la vie même, l’univers, la chair du monde et des corps) et en proie à une sourde homogénéisation (d’où une difficulté à articuler et à faire fructifier les différences internes de l’humain, dans ses conditions de vie réelles, abandonné qu’on se trouve à une visée subreptice d’assimilation et à une condamnation directe ou indirecte de l’inintégrable) [42].

32Il y aurait enfin, comme troisième et ici dernier exemple, à s’interroger sur ce qu’il en est de l’humain : son inscription dans le monde, son rapport à soi et aux diverses formes d’extériorité dont on vient de dire qu’elles excèdent son être-sujet, les jeux d’activité et de passivité dans lesquels il est pris, de précédence et d’invention aussi, ou d’appartenance et de singularité. De ce fait d’inscription dans le monde, les sciences des religions et les théologies traitent beaucoup. Et une nouvelle fois, les sciences des religions décentrent alors ce que les théologies chrétiennes ont pu y investir en termes de pôles irréductibles et de lieux d’engagement. Concrètement, elles montrent la non-centralité du croire, quel qu’en soit le mode, dans le religieux ou les religions. On aura à en intégrer la donne et à en jouer, pour perdre quelques innocences en la matière, mais pour porter en même temps un regard sur les complexités peut-être inattendues qui, à un œil ainsi exercé, se donnent à voir sur l’éventail des postures chrétiennes effectives. Et il y aura à en instruire l’interrogation – et là encore dans une généalogie différenciée et de longue durée – à partir du présent et de ce qu’il y advient d’un sujet. Au cœur d’éclatements de divers ordres, d’une vampirisation envahissante, de spectralités saturantes, de sursauts aussi, volontiers tenus pour irrationnels, mais s’avérant néanmoins significatifs [43] ; et au cœur de difficultés autour des procès de l’identité, des rapports au temps et à l’espace, des différences (héritées ou non), de la transmission (de ce qui la structure et en permet un usage inventif). Il y aura à reconnaître que si cette thématique d’ensemble a indéniablement été l’objet de mobilisations abusives et de fantasmes divers, on ne saurait pour autant faire l’impasse sur ce qu’elle recouvre et qui lui est lié, ni, surtout, sur ce qui nous en arrive aujourd’hui et pourquoi [44].

33Là encore, une dualité de départ sera à déplacer. Non affirmer les droits d’une conviction, à côté de savoirs divers et toujours plus différenciés [45] ; mais inscrire, au cœur même de ce qui fait ces savoirs et leurs pratiques, une interrogation qui puisse, de l’intérieur, être véritablement déployée, exposée et traitée. Ce qui suppose, encore une fois, de la construction théorique, à valider en et selon une rationalité publique [46], au plan à la fois d’une généalogie à tracer et de la problématologie qui lui sera liée, dont elle est faite et qu’elle traverse sans la résorber. Et ce qui entraîne, vu ce qu’est notre présent, individuel et collectif, qu’on reprenne la réflexion touchant ce qui relève – légitimement, mais en quoi – de savoirs, et ce qui relève – légitimement, mais en quoi – d’un croire[47].

34Deux choses sont encore à préciser dans cette esquisse, pour éviter quelque malentendu.

35La première touche au geste entendant porter, au cœur du champ et des pratiques que balisent et balayent les sciences religieuses, un type d’interrogation qui a pu, dans notre histoire, être assumé par la théologie.

36Il y a en effet à préciser que l’exercice théologique n’est pas, stricto sensu, lié à une méthode qui lui serait propre. Il n’y a d’ailleurs pas non plus, notons-le au passage, une méthode de science des religions. L’exercice théologique est fait d’une interrogation transversale[48], entraînant aussi une interrogation sur le pourquoi se pose ou ne se pose pas telle question, et sur le comment elle se pose ou non, ou est différée, ou est objet de substitution, ou est transformée. Entre théologie et sciences religieuses, la différence n’est pas non plus de position. Foncièrement, la position engagée en théologie et les questions qui en sourdent sont celles de l’humain comme tel. On estimera plutôt qu’entre théologie et sciences religieuses, il y va de manière analogue à ce qu’il en est du rapport entre théologie et philosophie. Comme il y a à assumer aujourd’hui en philosophie des questions qui ont été portées par la théologie (ce qui suppose, réciproquement, qu’il y a à « philosopher en théologie » [49]), il y a en effet à assumer en sciences religieuses des questions qui ont été portées par la théologie (ce qui, réciproquement ici aussi, suppose qu’il y a à mener une interrogation sur le religieux et les religions en théologie). Loin donc de sanctionner certaines positions héritées, de part et d’autre, chez les théologiens et chez les représentants des sciences des religions (mais des positions héritées depuis quand, de qui et selon quels processus ?), il y a plutôt à remettre ces positions sur le métier et, comme indiqué, sur fond de généalogie différenciée et problématisante.

37La seconde précision sera pour souligner qu’entrer sur le terrain des sciences religieuses, même pour y porter le type d’interrogation évoqué, suppose, pour le travail théologique, un vrai décentrement [50]. On change de terrain. N’est en effet en cause ni une extension ni une addition, selon suturation. Du coup, les questions transposées, et alors reprises autrement, pourront être l’occasion de certaines radicalisations dans le type de regard et le questionnement.

38Je me limiterai ici à un seul aspect. On aura compris qu’entrer en sciences religieuses sanctionne la radicalité d’une prise en compte de l’histoire, avec les constructions dont elle est faite, ainsi que les procès qui les traversent. Ce à quoi on aura alors affaire, ce sera à des jeux de déplacements, avec ce qui s’y noue, s’y refuse, s’y affirme ; non à des données ou à des événements bruts. Il en ira ainsi en matière de christianisme, entre autres trajectoires historique possibles. Car c’est au plan de ce qui se dit et se vit comme tradition constituée que se donne ce qui est à problématiser et à penser. Sur ce point, les sciences religieuses reculent parfois. Pour laisser ce penser à d’autres ? aux croyants ? et parce qu’il n’y en aurait pas de traitement possible sans idéologisation ? Ce serait grave, pour tous, aussi vrai que l’humain, individuel et social, est aussi fait de traditions, de procès d’identité, de refus et d’affirmations.

39Le questionnement à développer – à inscrire là, pour commencer – peut venir du théologique, qui a quand même une expérience, et donc un savoir, de ces effectivités et de ce qui s’y tisse ou s’y trame. Il convient de souligner que l’interrogation portera là sur une donne qui est seconde – qui est faite de secondarité –, et elle la pensera à ce niveau-là. Ainsi, et pour illustrer le mode de ce qui est en jeu, un exemple : la question de savoir, avec un John F. Meier notamment, s’il y avait ou non un embryon d’ecclésialité autour de Jésus sera réputée ici complètement indifférente, mais non celle de l’éventail des positions à son propos, qui touchent à la construction des mémoires et aux rapports à ce qui peut valoir comme légitimation, avec ce qui en est significativement entraîné à chaque fois. Ou encore, et une nouvelle fois donné ici à titre d’exemple touchant au mode d’interrogation, un exemple de surcroît parallèle au premier : la question de savoir si Jésus a eu, ou non, des frères et des sœurs. Sur le terrain occupé, la question sera sans pertinence ni intérêt. Et en revanche s’avèrera bien instructive – à travailler dans ses déploiements et à penser quant aux enjeux qui y sont entraînés – une variété de positions touchant, sur leurs registres propres, le jeu des mémoires et les types de rapport à fondement : le jeu de l’absolu d’un commencement et de l’insertion dans des antécédences, le jeu des ruptures et des nouveautés avec, justement, comme toujours en ces cas-là, un jeu de virginités et de reprises [51].

40Ces exemples, rapidement évoqués, relèvent du champ de la christologie. On peut illustrer le déplacement en cause sur tout champ analogue interne à la positivité chrétienne. Mais, avec ces deux exemples, on est situé sur un moment de fait central en matière de christianisme. Le lieu, du coup, du meilleur et du pire ; et, en ce sens, un lieu particulièrement exemplaire, en ce que le christologique cristallise précisément – ou non – une voie parmi d’autres : une voie inscrite dans le champ religieux et, en même temps, une manière d’être humain dans le monde. À penser, comme telle, et dont apprécier, sur ce plan, les forces et les risques [52].

41Tel est donc, ici simplement esquissé, l’effet d’une prise en compte de sciences religieuses en théologie. Où, de fait, se radicalise la question de la prise en compte de l’histoire, mais d’une histoire non attachée aux seuls faits et données (tels quels, ils peuvent d’ailleurs être trop facilement domestiqués et appropriés, comme le montre une pente de la théologie chrétienne au XXe siècle), mais d’une histoire qui fait voir comment sont diverses et changeantes les manières de se rapporter au monde, d’être humains, d’être soi, de « négocier » avec ce qui nous échappe et qui, peut-être, nous tient, avec ses ambivalences. On aura compris qu’on a ici quitté la posture critique qu’avait illustrée une part du libéralisme protestant noué au XIXe siècle (une mouvance parallèle au modernisme catholique quant aux questions et aux défis, non dans les réponses), qui tendait à délégitimer les constructions historiques (doctrinales et institutionnelles) comme trahison d’une « origine » que la critique avait justement pour ambition de restituer (mais de restituer hors coordonnées proprement religieuses, symboliques et construites, ce qui, de fait, valait sécularisation). Ce qui est ici proposé s’articule au contraire, de bout en bout, sur les constructions historiques et ce qui s’y noue du « christianisme réellement existant » : c’est en dernière instance ce qui est en effet à évaluer. On le fera en ayant passé par les sciences humaines et sociales contemporaines, et le lecteur aura compris que n’est pas ici seulement en cause une démarcation d’avec la modalité critique du libéralisme protestant, mais d’avec une posture plus largement partagée en modernité, religieuse comme profane d’ailleurs, et encore aujourd’hui.

42Enfin, s’il y a déplacement et peut-être radicalisation de la critique – mais en même temps l’ouverture d’un champ humain passionnant et décisif –, la réciproque est pour moi requise, et j’ai essayé d’en esquisser les traits : porter dans le champ des sciences religieuses une interrogation venant du théologique. Sur les deux aspects en cause, les Recherches de science religieuse ont été pour moi instructives, formatrices et selon beaucoup de consonances de fond.

Notes

  • [1]
    Intégrer un moment herméneutique dans la gestion d’une tradition religieuse demeure bénéfique si cela opère une prise de distance à l’égard d’orthodoxies closes ou de fondamentalismes. Il n’empêche qu’il y a souvent une tâche aveugle, à l’interne, sur le pourquoi, le en quoi et le en vue de quoi on se rapporte à tel texte – et sur ce que veut dire se référer –, comme s’il y avait là évidence et que s’y résumait l’exercice de pensée que le christianisme a historiquement entendu sous théologie, que ce soit chez les Pères, les docteurs médiévaux ou encore diverses dispositions apparues avec les Temps modernes ; je réserve ici l’attention qu’on peut porter à ce que cachent les textes et les tient (leur disruption interne et du coup leur résistance à simple appréhension conceptuelle ou à pur renvoi à de l’événementiel originel), alors à intégrer dans un ensemble problématisant et réflexif plus large (Heinz Wismann en donne une thématisation plus qu’instructive dans Penser entre les langues, A. Michel, Paris, 2012, p. 17ss., 40ss., 44, 48-71, 90ss., 127ss., 142-153), mais ce n’est justement pas ce que, le plus souvent, on entend par herméneutique dans les contextes ici en cause.
  • [2]
    C’est dans ce contexte que l’on accordera une attention à l’acte de croire, ainsi qu’au genre et à la catégorie du récit, comme l’a passablement fait Joseph Moingt (cf. aussi les deux numéros des RSR 73/1-2, 1985, consacrés à « Narrativité et théologie ») ; le vocabulaire de l’acte revient d’ailleurs dans le titre de sa contribution qui ouvre le dossier publié à l’occasion du Centenaire des RSR : Recherches de science religieuse 1910-2010, Théologies et vérité au défi de l’histoire (introd. et éd. par Pierre Gibert et Christoph Theobald), Peeters, Leuven, 2010, p. 9-31.
  • [3]
    Dans le livre du Centenaire des RSR, Dominique Julia, caractérise bien certains aspects des positions qu’habite Michel de Certeau, « Réflexions d’un historien sur une coupure majeure », p. 71-80, ici, p. 78-80.
  • [4]
    J’ai repris et explicité ce point dans Du religieux, du théologique et du social. Traversées et déplacements, Cerf, Paris, 2012 ; cf. aussi le collectif (dont une contribution de Joseph Moingt), Philippe Gonzalez et Christophe Monnot (éd.), Le religieux entre science et cité. Penser avec Pierre Gisel, Labor et Fides, Genève, 2012.
  • [5]
    C’est la question de cette réduction qui se tenait derrière mon texte, « Place, fonction et forme de la théologie », RSR 96/4, 2008, p. 503-526.
  • [6]
    Est ici touché – Joseph Moingt l’a souvent explicité – le fait du croire et ses diverses problématisations au cours de notre histoire ; je m’y suis attaché avec Serge Margel : Serge Margel, La force des croyances. Les religions du livre et le destin de la modernité, Hermann, Paris, 2009 ; Pierre Gisel (éd.), Les constellations du croire. Dispositifs hérités, problématisations, destin contemporain, Labor et Fides, Genève, 2009 ; Pierre Gisel et Serge Margel (éd.), Le croire au cœur des sociétés et des cultures, Brepols, Tournai, 2011.
  • [7]
    J’ai toujours souligné la pertinence de la question de la théologie naturelle (sans en défendre les modalités mises en avant à Vatican I) ; dans notre contexte de débat, Jean-Marie Donegani écrit, significativement à mes yeux, que « l’ordinaire du croire contemporain peut être perçu comme une théologie naturelle qui demande à être pensée », « Sociologie des religions et théologie », dans le dossier du Centenaire des RSR, op. cit., p. 33-43, ici p. 42.
  • [8]
    À l’encontre d’une dominante thomiste ; cf. à ce propos la citation d’Henri de Lubac en exergue de la contribution de Pierre Lathuilière au dossier du Centenaire des RSR, « L’intégrisme contre la théologie », ibid., p. 45-58.
  • [9]
    On sait que les RSR furent entraînées dans ces remous, cf. Étienne Fouilloux, « Dans la tourmente (1946-1951) », in ibid., p. 149-157. Rappelons que le Surnaturel de Lubac est aujourd’hui remis à l’honneur dans la Radical Orthodoxy, une école qui, à sa manière, est le geste d’une validation d’un patrimoine et des visions qui l’accompagnaient.
  • [10]
    Expression peu heureuse au demeurant ; Schleiermacher l’appelait « théologie philosophique », les post-hégéliens protestants « théorie de la religion », le catholicisme des premiers temps de la modernité « spéculative » ; elle était auparavant autrement à l’œuvre, en termes de sagesse peu ou prou spirituelle : la théologie y était une philosophie, et la philosophie était alors théosophique (cf. Philippe Capelle-Dumont [éd.], Philosophie et théologie. Anthologie II, Cerf, Paris, 2009, p. 9-41 ; Jean-Yves Lacoste, « La théologie et la tâche de la pensée », dans le dossier du Centenaire des RSR, op. cit., p. 213-226 ; Patrick Royannais, « Penser philosophiquement la théologie », RSR 98/1, 2010, p. 11-30) ou selon un ordre métaphysique portant les chemins possibles d’un « accomplissement » de l’être.
  • [11]
    Cela dit même si doit être repris, validé et pensé, ce qui se tient derrière l’instance que la pastorale peut marquer, autre que l’application d’un corps de doctrine, comme le souligne Christoph Theobald parlant d’un « principe de pastoralité », La réception du Concile Vatican II, t. I, Cerf, Paris, 2009, p. 891.
  • [12]
    Relevons ce qu’écrit Joseph Moingt à propos du « statut de la vérité en christianisme » : il faut se demander « ce qu’est une vérité ainsi dénommée, quelle est sa nature […]. C’est le plus redoutable problème auquel devra faire face la théologie de ce siècle » (plus bas, il écrit qu’il convient de « répondre en raison à la question de la vérité »), « L’acte de croire aujourd’hui et l’acte théologique », dans le dossier du Centenaire des RSR, op. cit., p. 9-31, ici p. 29. Cf. aussi Christoph Theobald, « Les Recherches et l’avenir de la théologie chrétienne », in ibid., p. 345-368, ici p. 356-362.
  • [13]
    Rappelons que, dans notre contexte de débat, l’histoire est la première des sciences humaines, même si elle a pu servir à domestication (soulignent son caractère central l’« Introduction » et le titre du volume du Centenaire des RSR, Théologies et vérité au défi de l’histoire).
  • [14]
    Ce fut central dans ce qui a traversé la Faculté de théologie de Lausanne et son passage, de fait, à une Faculté de sciences des religions, cf. mon Traiter du religieux à l’Université. Une dispute socialement révélatrice, Antipodes, Lausanne, 2011.
  • [15]
    Un terme problématique et néanmoins toujours significativement convoqué, cf. Claude Prudhomme, « Occident », in Olivier Christin (éd.), Dictionnaire des concepts nomades en sciences humaines, Métallier, Paris, 2010, p. 343-361.
  • [16]
    Pour un survol historique, cf., dans le dossier du Centenaire des RSR, op. cit. : pour 1910-1960, le texte de Joseph Lecler, « Le cinquantenaire des Recherches », p. 121-147 (reprise d’un texte publié en 1960), avec le complément que fournit Étienne Fouilloux, « Dans la tourmente (1946-1951) » ; pour l’ensemble du centenaire, « Un siècle de Recherches, quelle dynamique pour l’avenir ? », de Pierre Vallin, p. 159-167, ainsi que l’interview de Joseph Moingt, « Les Recherches de science religieuse entre 1968 et 1997 », p. 169-188. On ajoutera, vu notre thème, Jean-Marc Aveline, « Théologie chrétienne des relations interreligieuses », p. 305-317, et, en prolongement, les numéros 94/4, 2006, et 96/3, 2008 (« Dossier : La théologie des religions » [1], dont l’éditorial, p. 489-491, et la page 497, et [2]), ainsi qu’un Bulletin de « Théologies des religions », dès les années 2000, confié d’abord à Jean-Marc Aveline, puis à Geneviève Comeau (1er Bulletin, 95/2, 2007, p. 311-326).
  • [17]
    Sur quelques données historiques sur ce point, cf. Christoph Theobald, « Cent ans de recherches en science religieuse », RSR, 98/3, 2010, p. 323-328, ici p. 324.
  • [18]
    Cf., dans le dossier du Centenaire des RSR, le texte, déjà cité, de Joseph Lecler, ici p. 125, 129.
  • [19]
    D’ailleurs, la partie III du livre du Centenaire des Recherches s’intitule : « Théologie et sciences religieuses [au pluriel] au XXIe siècle », traitant de la philosophie, de l’histoire (de la Bible et du christianisme) et de la culture (les sciences dures, les religions, les arts et la morale).
  • [20]
    Cf. son Le christianisme comme style. Une manière de faire de la théologie en postmodernité, Cerf, Paris, 2007, 2 vol., p. 179, 182-184 (également p. 10s., 54).
  • [21]
    Cf. ibid., p. 230s.
  • [22]
    Ibid., p. 564 (en lien avec Troeltsch, et cf. p. 705) ; cf. p. 568 : « une transformation globale de la théologie ».
  • [23]
    Cf. Id., « Les Recherches et l’avenir de la théologie chrétienne », op. cit., ici p. 385.
  • [24]
    « Les Recherches de science religieuse entre 1968 et 1990. Interview de Joseph Moingt », op. cit., p. 169-188, ici p. 187. Voir aussi son Dieu qui vient à l’homme, t. I : Du deuil au dévoilement de Dieu, t. II : De l’apparition à la naissance de Dieu (II/1. Apparition, et II/2. Naissance), Cerf, Paris, 2002, 2005 et 2007, p. II/910-931, présentant une exposition de ce « nouveau paradigme » que serait la « théologie des religions », et p. II/932-951, au titre d’un « examen critique » centré sur l’ambiguïté du mot « religion » (cf. aussi p. I/97ss. et p. I/477-482).
  • [25]
    Dès la fondation de la Revue, on compte un « Bulletin d’Histoire comparée des religions » et un intérêt pour ce domaine ; le premier des numéros proposait d’ailleurs, en 1910, un article intitulé « Qoran et tradition. Comment fut composée la vie de Mahomet » (cf. Joseph Lecler, « Le cinquantenaire des Recherches », op. cit., p. 132, 135). En 1923, qui marque le départ d’un nouvel élan, on annonce, et cela verra effectivement le jour dès la même année, un « Bulletin » d’« Histoire des religions », qui sera complété « par des Bulletins plus spéciaux, tels que de la Préhistoire, des Religions assyrienne et babylonienne […] », n° 1923/1, p. 5 (on pourra aussi noter, ultérieurement, des articles sur les sagesses, les religions ou les civilisations chinoise ou indienne). Joseph Lecler signalera dans « Le cinquantenaire des Recherches », op. cit., p. 141, que « les travaux sur l’histoire des religions » « sont – à l’exception des bulletins – en régression constante depuis la mort du P. de Grandmaison », l’expliquant par le fait que « l’histoire des religions n’était plus en 1930 le champ de bataille qu’elle était en 1910 ».
  • [26]
    Notons que Jean-Marc Aveline aura rappelé que Grandmaison est lecteur de Troeltsch.
  • [27]
    Cf. les noms de Georges Morel, René Virgoulay, Paul Olivier, Jean Greisch et d’autres ; le sanctionnent aussi, entre autres parutions, les « Dossiers » : « Dire ou taire Dieu », 67/3-4, 1979, « L’expérience de la vérité », 88/1, 2000, « Résister au mal », 90/1, 2002, ou « Philosopher en théologie », 98/1, 2010.
  • [28]
    C’est le titre en 1961, 1963, 1964, 1966 et 1968.
  • [29]
    67/1, 1979, 73/1-2, 1985, 73/3, 1985, et 82/1, 1994 ; voir aussi 64/4, 1976, et 66/4, 1978.
  • [30]
    72/2, 1984, et 79/2-3, 1991.
  • [31]
    On peut y ajouter le « Dossier » : « Le statut des énoncés dogmatiques aujourd’hui », 94/1, 2006, et 95/4, 2007, une question centrale en théologie, mais qui n’est rien sans sociohistoire, ni sans philosophie du religieux.
  • [32]
    On pourra y ajouter les trois numéros autour du Un certain Juif Jésus de John P. Meier, 96/2, 97/3 et 99/1, 2008, 2009 et 2011 ou, auparavant, « L’exégèse et la théologie devant Jésus le Christ », 87/3, 1999 et 88/4, 2000, ainsi qu’un « Dossier » sur Saint Paul, 90/3, 2002, et 94/3, 2006, centrés sur les types de lecture et les réceptions.
  • [33]
    Voir aussi « Langage et sacrement. Un bilan de Théologie Sacramentaire », 91/2, 2003.
  • [34]
    Relevons aussi la forte présence du « Judaïsme ancien » qu’assurent les riches « Bulletins » ad hoc d’André Paul depuis le début des années 1970 (en collaboration avec Katell Berthelot depuis peu). On notera aussi une responsabilité en « Judaïsme moderne » confiée à Dominique Bourrel (jusqu’en 1989).
  • [35]
    Comme on peut dire que les questions théologiques doivent être portées en philosophie (sur l’interface entre théologie et philosophie, cf. Patrick Royannais dans « Penser philosophiquement la théologie », op. cit.).
  • [36]
    Dans un tout autre contexte, reprenant les questions portées par les marxismes, mais intégrant les déplacements socioculturels contemporains – avec, ici, leurs incidences dans le champ politique –, Jacques Rancière met aussi le concept de « scène » en position stratégique centrale, cf. La méthode de l’égalité. Entretien avec Laurent Jeanpierre et Dork Zabunyan, Bayard, Paris, 2012, p. 107, 122, 124 et 151 (cf. aussi p. 61, 66, 98s., 127, 150, 220, 233).
  • [37]
    On a vu que les RSR ont plutôt évité d’entrer dans une telle perspective, tout particulièrement Joseph Moingt.
  • [38]
    J’ai repris cette perspective dans « De quoi le retour du motif religieux est-il le nom ? », in Jacques Ehrenfreund et Pierre Gisel (éd.), Religieux, société civile, politique, Antipodes, Lausanne, 2012, p. 301-320.
  • [39]
    Sur ce point, je me permets de renvoyer à mon petit livre Qu’est-ce qu’une religion ? Vrin, Paris, 2007.
  • [40]
    Touchant le déplacement à enregistrer sur ce point dans le champ des théologies, cf. le chapitre V « De Bultmann à aujourd’hui. Ou d’un déplacement quant à la question de Dieu », de mon Du religieux, du théologique et du social, op. cit.
  • [41]
    On aura ici reconnu trois modes qu’on peut respectivement typologiser comme islamique, chrétien et juif, mais sachant qu’il y a des variations sur chacune des données religieuses concernées, ainsi que touchant les mises en œuvre des thématiques indiquées.
  • [42]
    Sur ces points, cf. le collectif que j’ai dirigé avec Isabelle Ullern, Le déni de l’excès. Homogénéisation sociale et oubli des personnes, Hermann, Paris, 2011.
  • [43]
    Cela pour dire le contemporain, mais Ferdinand Tönnies, Georg Simmel, Max Weber et d’autres avaient, au début du XXe siècle déjà, mis en avant des phénomènes qui font la modernité : dissolution de liens de vie ancestraux, marchandisation généralisée et fétichisation vampirisante, fonctionnalisation bureaucratique et rationalité instrumentale ; cf. à ce propos Aurélien Berlan, La Fabrique des derniers hommes. Retour sur le présent avec Tönnies, Simmel et Weber, La Découverte, Paris, 2013.
  • [44]
    Pour ce qui est ici en cause et en jeu, une lecture de Slavoj Zizek ou de Peter Sloterdijk, tous deux continuateurs hétérodoxes de l’École de Francfort, peut donner à penser ; cf. le chapitre II, « Quel effacement de transcendance dans la société contemporaine ? », de mon Du religieux, du théologique et du social, op. cit.
  • [45]
    Il y a là une polarité à dépasser en reprenant chacun des deux termes en cause, le repli sur un subjectif arbitraire et la sanction donnée, de fait ou assumée, à des savoirs restrictifs, non quant à leur extension, mais quant aux modes d’interrogation déployés (notons qu’il y aurait là à penser et à mettre en œuvre des opérations transversales aux disciplines constituées).
  • [46]
    On devra ici notamment construire une théorie de l’humain et en répondre, renvoyer au strict biologique « naturel » ne suffisant pas ou s’avérant inadéquat.
  • [47]
    On le fera par-delà les partitions usuelles, en l’occurrence plutôt paresseuses, y compris dans le champ des théologies.
  • [48]
    Transversale, pour commencer, aux diverses disciplines qui font le quotidien du travail en théologie (exégèse, histoire, sciences sociales, etc.), mais, plus largement, transversale aussi au travail mené en matières humaines et sociales, comme le soutient une part de la présente contribution.
  • [49]
    Rappelons que c’est le titre du « Dossier » que présente le no 98/1, 2010.
  • [50]
    Notons bien qu’autant je souligne l’importance de ce qui à mes yeux s’impose ici (et qui reprend une tâche de « théologie fondamentale et lui donne forme à sa manière), autant cela n’épuise ni n’entraîne toute la tâche de la théologie, même si l’ensemble de son exercice pourra en être affecté, indirectement, en chacun des aspects, voire des ordres, alors engagés.
  • [51]
    On touche ici à la question du marcionisme, en principe refusé dans l’Église pour dire un accomplissement interne tant du réel que d’une inscription dans du récit et de la symbolisation historiques (le fait du créé et une « ancienne Alliance » sont ainsi participants du constitutif), mais faisant toujours retour dans l’histoire chrétienne effective, que ce soit sur des modes catholiques ou protestants (pour l’un de ces derniers et en modernité, cf. Harnack, que je relis dans le chapitre VI, « Deux postures différentes dans la lecture du christianisme : Harnack et Troeltsch », de mon Du religieux, du théologique et du social, op. cit.). On notera que cette thématique se tient au cœur de la modernité sociopolitique, ainsi chez Schmitt (cf. Tristan Storme, Carl Schmittt et le marcionisme. L’impossibilité théologico-politique d’un œcuménisme judéo-chrétien ? Cerf, Paris, 2008) ou, à mon sens, Alain Badiou, attaché au seul surgissement, événementiel, de la nouveauté, que ce soit celle de l’Apôtre Paul coupant avec le judaïsme, ou celle de la Révolution coupant avec les anciens régimes.
  • [52]
    Est en jeu, on l’aura compris, la question de ce que, dans la perspective esquissée, on fait des « figures de références » et de la « mémoire ». Je m’y suis exercé à propos du Christ Jésus dans le dernier chapitre de mon Du religieux, du théologique et du social, op. cit. : « Quelle messianité en acte donne à voir la figure de l’homme Jésus ? » (avec, p. 265, no 2, des reprises de formulations très précises de Joseph Moingt en matière du « fait chair » central en christianisme) ; la troisième et dernière partie de l’ouvrage avait d’ailleurs pour titre : « Que faire de la Bible et que faire de Jésus. Mémoire et figures de référence ».
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