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Article de revue

La mondanisation du salut

Pages 345 à 363

Notes

  • [1]
    Seul l’orphisme primitif, proposant une vision pessimiste de la vie humaine conçue comme un châtiment mérité par des fautes antérieures, développe une vision du salut comme délivrance du cycle des réincarnations et de la longue errance dans le cercle des générations. Cf. A. Boulanger, Orphée. Rapports de l’orphisme et du christianisme, coll. Christianisme, F. Rieder, Paris, 1925.
  • [2]
    Irénée, Contre les hérésies, III, 10, 3 et IV, 20, 7 ; Athanase, Trois discours contre les Ariens, 1, 39.
  • [3]
    J. Pohier, Quand je dis Dieu, Seuil, Paris, 1977.
  • [4]
    K. Löwith, Histoire et salut. Les présupposés théologiques de la philosophie de l’histoire, tr. fr., Gallimard, Paris, 2002.
  • [5]
    J.-B. Metz, Pour une théologie du monde, tr. fr., Cerf, Paris, 1971.
  • [6]
    T. Luckmann, The Invisible Religion : The Problem of Religion in Modern Societies, MacMillan, New York, 1970.
  • [7]
    H. Blumenberg, La légitimité des Temps modernes, tr. fr., Paris, Gallimard, 1999.
  • [8]
    C. Schmitt, « Drei Stufen historisher Sinngebung », Universitas. Zeitschrift für Wissenschaft, Kunst und Politik, V-8, (août 1950), p. 927-931.
  • [9]
    E. Husserl, Méditations cartésiennes. Introduction à la phénoménologie, tr. fr., Vrin, Paris, 1992.
  • [10]
    M. Heidegger, Être et temps, tr. fr., Gallimard, Paris, 1986.
  • [11]
    F. Gogarten, Destin et espoir du monde moderne, tr. fr., Casterman, Tournai, 1970.
  • [12]
    K. Rahner, Mission et grâce I, Vingtième siècle, siècle de grâce ? Fondements d’une théologie pastorale pour notre temps, tr. fr., Mame, Paris, 1962.
  • [13]
    D. Bonhoeffer, Résistance et soumission. Lettres et notes de captivité, tr. fr., Labor et Fides, Genève, 2006.
  • [14]
    J.-B. Metz, La foi dans l’histoire et dans la société. Essai de théologie fondamentale et pratique, tr. fr., Cerf, Paris, 1979.
  • [15]
    G. Gutierrez, Théologie de la libération, tr. fr., Lumen Vitae, Bruxelles, 1974.
  • [16]
    74 % des catholiques pratiquants réguliers conçoivent Dieu comme une force ou une énergie, 20 % le conçoivent comme un être avec lequel ils peuvent entretenir une relation personnelle. Sondage CSA/Le Monde des religions, octobre, 2006.
  • [17]
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  • [18]
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  • [19]
    R. Rorty, L’homme spéculaire, tr. fr., Seuil, Paris, 1990, p. 300.
  • [20]
    Y. Lambert, « Le devenir de la religion en Occident », Futuribles, 260, janvier 2001, p. 23-38.
  • [21]
    Sondage CSA/Le Monde des religions, octobre 2006.
  • [22]
    Dans l’enquête valeurs de 2008, parmi les 18-24 ans, 35 % croient au paradis et 25 % à l’enfer.
  • [23]
    Dès l’enquête européenne de 1990 on constatait que parmi les jeunes de 18-24 ans 53 % de ceux qui croyaient à la résurrection disaient croire également à la réincarnation.
  • [24]
    T. Walter, The Eclipse of Eternity. A Sociology of the Afterlife, MacMillan, Houndmills-Londres, 1996.
  • [25]
    J. Seguy, « L’approche wébérienne des phénomènes religieux » in R. Cipriani, M. Macioti (eds.), Omaggio a Ferrarotti, Studi e Ricerche, Siares, 1989.
  • [26]
    F. - A. Isambert, Rite et efficacité symbolique, Cerf, Paris, 1979.
  • [27]
    M. Senellart, Les arts de gouverner. Du regimen médiéval au concept de gouvernement, Paris, coll. Des Travaux, Seuil, 1995.
  • [28]
    M. Oakeshott, Rationalism in Politics and Others Essays, Liberty Fund, Indianapolis, 1991, p. 60.
  • [29]
    G. Agamben, Homo Sacer. Le pouvoir souverain et la vie nue, tr. fr., Seuil, Paris, 1997.
  • [30]
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  • [31]
    C. Larmore, The Morals of Modernity, Cambridge University Press, New York and Cambridge, 1996.
  • [32]
    J. Skorupski, Ethical Explorations, Oxford University Press, New York, 1999.
  • [33]
    J. Raz, The Morality of Freedom, Oxford, Oxford University Press, New-York, 1986.
  • [34]
    W. A. Galston, Liberal Purposes, Cambridge University Press, Cambridge, 1991.
  • [35]
    S. Clarke, « Consequential Neutrality Revivified », in D. Weinstock and R. Merrill (eds.), Political Neutrality : a Re-evaluation, Palgrave/MacMillan, Basingstoke, 2012.
  • [36]
    M. Onfray, Traité d’athéologie, Grasset, Paris, 2005, p. 86.
  • [37]
    Ibid., p. 94.
  • [38]
    A. Comte-Sponville, L’esprit de l’athéisme. Introduction à une spiritualité sans Dieu, Albin Michel, Paris, 2006, p. 80.
  • [39]
    Ibid., p. 217.
  • [40]
    Ibid., p. 151.
  • [41]
    Ibid., p. 185.
  • [42]
    L. Ferry, M. Gauchet, Le religieux après la religion, Grasset, Paris, 2004, p. 60-61.
  • [43]
    L. Ferry, P. Barbarin, Quel devenir pour le christianisme ? Salvator, Paris, 2009, p. 29.
  • [44]
    L. Ferry, P. Barbarin, op. cit., p. 96-97.
  • [45]
    L. Ferry, Vaincre les peurs. La philosophie comme amour de la sagesse, Odile Jacob, Paris, 2006, p. 19.
  • [46]
    S. Zizek, La marionnette et le nain. Le christianisme entre perversion et subversion, tr. fr., Seuil, Paris, 2006, p. 110-111.

1La question du salut est bien évidemment centrale dans la plupart des religions mais elle dépend de l’anthropologie qui la soutient. On peut ainsi opposer de ce point de vue le salut proposé par le védisme ou le bouddhisme et celui promis par le judaïsme et le christianisme. Dans un cas, le salut ne suppose aucune subjectivation et cherche le dépouillement de l’âme de tout intérêt et de tout désir, l’abolition de la conscience et la dépersonnalisation conduisant à l’extinction nirvanique. Dans l’autre, sont mis en relation un sujet sauvé, l’homme pécheur, et un sujet sauveur, le Messie attendu ou advenu et reconnu.

2Par ailleurs, la notion de salut comporte deux dimensions qui ne sont pas également honorées selon les religions, l’une négative, celle de délivrance, et l’autre positive, celle de plénitude. Selon la première, il s’agit d’être libéré de maux, qu’ils soient de nature matérielle (maladie, infortune, mort) ou spirituelle (péché, mal, monde). Selon la seconde, il s’agit d’obtenir un bien, une perfection d’être, le plus souvent donné comme définitif : la vie éternelle.

3Dans la religion grecque traditionnelle, certains dieux sont supposés sauveurs, comme Zeus ou Athéna, mais les faveurs qu’ils procurent sont de l’ordre de la bonne fortune ou du bien-être [1]. Il en est de même dans le judaïsme ancien lorsqu’il s’agit de préserver l’homme des dangers ou de soutenir le peuple élu dans les épreuves de son histoire. Quant au christianisme, si cette dimension négative du salut se retrouve bien dans les synoptiques, en revanche l’évangile de Jean, les épîtres pastorales et les Actes, décernant le titre de sauveur au Christ, développent du salut sa dimension positive donnée comme réception plénière du bien. Le Nouveau Testament présente ainsi l’homme comme sauvé de la maladie, de la dette, de la possession et même de la mort, mais le propre de la sotériologie chrétienne est d’être à la fois eschatologique et messianique. Dessinant un telos de l’humanité, le salut chrétien vient d’un autre et non de soi-même. Il ne célèbre, contrairement aux sagesses antiques ou à certaines philosophies modernes, ni l’autarcie ni l’ataraxie. Il n’ouvre pas à la maîtrise de soi mais à la réception et à l’altérité, la dépendance consentie à un salut venu d’ailleurs étant le fondement de l’acte de foi dans le Christ sauveur. Les caractères de ce salut lui donnent une ampleur exceptionnelle. Il est individualiste et non holiste, il est universel et non particulier, il est total et non partiel : « Le Christ est venu pour tous les hommes et pour notre salut ». Délivrant l’humanité du péché, c’est-à-dire du ratage de sa finalité (hamartein), la rédemption présente deux aspects : l’un est objectif et statique car advenu une fois pour toute par la mort et la résurrection de Jésus ; l’autre est subjectif et dynamique, processus inauguré par le Christ mais restant pour chacun à poursuivre, actualiser et accomplir.

4Le schème de la rédemption associé à l’idée chrétienne du salut fait certes appel à la notion de divinisation de la condition humaine, selon les vues d’Irénée et d’Athanase [2], mais il emporte aussi la notion de satisfaction, c’est-à-dire de réparation d’une offense, la fondant davantage sur la passion que sur la résurrection du Christ. Cet aspect juridique et sacrificiel de la rédemption, développé dans le christianisme latin et médiéval, a alimenté, notamment au XIXe siècle, une religion doloriste aujourd’hui largement étrangère à nos mentalités. Mais de cette insistance sur le volet rédempteur de la conception chrétienne du salut on peut garder l’enseignement que celui-ci ne s’obtient pas par la puissance et la volonté mais par la faiblesse et même l’anéantissement, rappelant la nécessaire antériorité de la mort sur la résurrection. Il faut ajouter que ce schéma du salut chrétien repose sur l’affirmation « ta foi t’a sauvé » c’est-à-dire que l’adhésion sincère et profonde au caractère salvifique de la mort et de la résurrection du Christ suffit à faire bénéficier le croyant des effets de cette rédemption. Même si cette question est, on le sait, au cœur de la polémique entre protestants et catholiques, il reste que pour les uns et pour les autres la foi possède un caractère performatif. Or cette question est au cœur de certaines interrogations des théologies contemporaines sur la réalité ou non de ce qui est cru, l’affirmation de la performativité de la foi pouvant conduire à négliger le caractère historique et factuel de la résurrection [3]. On peut insister enfin, à la suite des théologiens de la libération, sur la portée libératrice non seulement de la mort et de la résurrection du Christ mais aussi de la pratique salvifique du Jésus pré-pascal qui est une sorte d’immanentisation de la notion chrétienne du salut en ce qu’elle insiste sur tout ce qui est de l’ordre de l’ordinaire et conduit à un témoignage et à un engagement en faveur de la justice et de la paix ici-bas.

Salut et mondanisation

5L’immanentisation du salut s’attache moins au caractère divin ou non de celui qui l’opère qu’à la transformation immédiate de la vie et de l’être de ceux qui en bénéficient.

6D’un autre côté, le terme de mondanisation permet de considérer que les actes et les paroles sont rétribués ou sanctionnés dès maintenant, indépendamment de leur influence sur le destin individuel ou collectif post mortem. « Mondanisation » est un terme utilisé par des auteurs, philosophes comme Karl Löwith [4], théologiens comme Jean-Baptiste Metz [5], ou sociologues comme Thomas Luckmann [6] qui ont en vue ce trait identitaire de la sécularisation qui consiste à rabattre la signification de la vie humaine et de son histoire, collective ou individuelle, sur l’ici-bas.

7Si ce terme appartient en propre au théorème de la sécularisation, tel qu’il a été exprimé de manière lapidaire par Schmitt dans sa première théologie politique de 1922, il signifie aussi, conformément à ce théorème, que l’identité de ce monde moderne et sécularisé est à chercher dans ses origines théologiques.

8On sait que c’est ce trait du théorème de la sécularisation qui a été stigmatisé et critiqué par Blumenberg comme étant un discrédit, un déni profond de l’originalité de ce monde, un refus de croire dans l’affirmation de son auto-fondation et de son autonomie à l’égard de ses racines religieuses [7].

9Ce qu’affirme Löwith dans son entreprise de rétrocession de la philosophie moderne de l’histoire en direction de l’eschatologie chrétienne, c’est bien la réalité de la sécularisation et son ancrage néanmoins dans la vision chrétienne du temps et de son accomplissement. L’histoire du monde pour Löwith est une théodicée et la ruse hégélienne de la raison est le concept rationnel pour désigner la Providence.

10Carl Schmitt, commentant Löwith, insiste sur le fait que, dans cette entreprise de lecture rétrocessive, il n’y a aucune « neutralisation de l’ancien au niveau de l’actuel » [8]. En d’autres termes, selon la lecture donnée par Schmitt de la thèse de Löwith, l’eschatologie chrétienne est toujours en œuvre même au cœur de la modernité sécularisée. Et ce que déplore Löwith est ce qui réjouit Schmitt.

11Si l’on prend au sérieux cette thèse, il faut se demander, au-delà de la seule philosophie de l’histoire, ce que signifie une mondanisation du salut. Et ce que serait alors ce salut moderne qui, conformément au théorème de la sécularisation, garderait tous les traits de l’eschatologie chrétienne.

12Un salut reçu, total et universel. Une délivrance du péché et même de la mort. À tout le moins de la mort psychique. L’horizon eschatologique du salut chrétien, c’est la réconciliation : redécouverte de la filiation divine des hommes et de leur fraternité universelle. Ce salut pour le christianisme s’origine donc évidemment dans une transcendance et trouve son efficacité dans la reconnaissance de cette transcendance.

13Pour saisir en quoi la mondanisation du salut, propre à l’âge séculier, peut concerner encore l’intuition chrétienne, il faut d’abord poser que la mondanéité n’est pas l’équivalent simple de l’immanence, qu’elle n’est pas une négation, un reniement, un refus de la transcendance. Interroger ensuite la possible continuité entre les fins dernières et les fins actuelles.

La mondanisation n’est pas éclipse de la transcendance

14C’est un motif philosophique que l’on trouve affirmé à la fois chez des philosophes tels que Husserl et Heidegger, ou des théologiens comme Bonhoeffer, Gogarten, Rahner ou Metz.

15Pour Husserl, l’être du monde est transcendant à la conscience. Toute transcendance se constitue uniquement dans la vie de la conscience, et cette vie de la conscience porte en elle-même l’unité de sens constituant ce monde [9]. Pour Heidegger, la mondanéité est de l’ordre du spirituel et la transcendance peut être définie comme être dans le monde. N’étant pas situé en face de l’homme et n’englobant pas la totalité des existants, le monde est l’a priori concret de l’existence en ce qu’il la détermine comme finitude [10]. De même, pour Gogarten, le monde n’est pas une structure close enveloppant l’humanité mais une création de Dieu permettant l’autonomie de l’homme. C’est la foi chrétienne qui a opéré la mondanisation du monde, fracturant le cosmos éternel, et permis la liberté de l’homme vis-à-vis du monde et sa souveraineté sur lui. La mondanisation c’est le fait que l’existence est de part en part historique, à vivre dans la responsabilité et l’autonomie [11]. Pour Rahner, le christianisme connaît dans le régime de sécularisation une situation diasporique qui est une nécessité inhérente à l’histoire du salut. Lorsque l’Église entreprend elle-même la sécularisation, elle communique au monde la grâce de Dieu et cette réalité humaine et chrétienne est accomplie par le monde lui-même sous sa propre responsabilité et hors de toute tutelle de l’Église [12]. Pour Bonhoeffer, le motif dernier du christianisme areligieux dans un monde devenu majeur développe la même thèse d’une compatibilité native entre l’autonomie et la foi chrétienne. La thèse de la compatibilité entre la foi chrétienne et la mondanéité du monde repose sur la critique bien connue de la religion comme rétromondanité qui saute par-dessus le monde et l’histoire. Au contraire, pour le christianisme, l’autonomie de l’homme est le pendant de l’impuissance intramondaine de Dieu [13]. Pour Metz, la mondanisation du monde est à sa racine un événement chrétien. Le monde mondain est dédivinisé, humanisé, confié à la responsabilité de l’homme. Cette autonomie du monde trouve son origine dans l’incarnation même. Et l’on sait que pour Metz le projet d’une théologie politique correspond au souci de développer dans ce monde devenu autonome les dimensions publiques et sociales du message chrétien, en assumant dans ce contexte le passage du christologique à l’anthropologique et de l’eschatologique au politique [14].

16Ces quelques rappels peuvent nous persuader que le thème de la mondanisation est certainement un élément central des réflexions philosophiques et théologiques sur la modernité. Il s’agit de désigner par là ce choix de ne chercher le sens de la vie, le poids des valeurs, l’orientation des désirs que dans leur fécondité actuelle, sans se soucier comme en d’autres temps de ce qu’il peut advenir de l’âme au-delà de cette vie. Mais cette recherche du bien par l’homme vivant ne se fait pas nécessairement hors de toute référence à une réalité transcendante, hors de toute quête d’un au-delà du connu, d’un au-dessus du monde. La tension du sujet vers les limites du monde est un mouvement existentiel qui honore la réalité du connu et en brise dans le même temps la saisie captive, la possession sans reste.

La continuité entre les fins dernières et les fins actuelles

17La théologie contemporaine, de Rahner ou de Metz, affirme que la grâce de Dieu est présente en toute réalité et tend de manière dynamique vers son propre accomplissement.

18L’eschatologie dit quelque chose sur aujourd’hui et non seulement sur demain, sur la dynamique de la grâce de Dieu dès maintenant à l’œuvre dans la création et l’histoire. Elle articule l’avenir de la promesse divine et l’avenir de l’action humaine au sein de l’histoire. L’histoire du salut c’est l’anticipation du Royaume. Ici l’on pense aux théologies de la Libération, à Gustavo Gutierrez en particulier, pour qui la croissance du Royaume est un processus qui se réalise historiquement dans la lutte contre l’oppression, dans la réalisation de l’homme et la communion totale [15].

19L’eschatologie a ainsi une fonction prophétique mais aussi critique de tous les pouvoirs humains. C’est le sens du motif de la « réserve eschatologique » du christianisme propre à Metz.

20Tout ceci nous indique que, dans la pensée contemporaine, les fins dernières non seulement ne sont pas séparées des fins actuelles, mais qu’elles se réalisent par anticipation dans celles-ci. Parce qu’elles sont conçues d’abord comme des indications prophétiques de l’avènement du Royaume, il devient possible de se désintéresser de toutes les spéculations sur l’au-delà pour se concentrer sur le sens de l’ici-bas. Le salut se vivant dès aujourd’hui, on assiste à une inversion du schéma traditionnel sur le rapport entre cette vie présente et la vie ultérieure. Puisque, dans cette perspective, Dieu ne vient pas à la fin compléter la création de l’extérieur, puisque c’est l’histoire tout entière, et tout entière réalisée par les hommes, qui porte la marque du salut, l’eschatologie devient prolongement de l’anthropologie, l’eschaton accomplissant ce qui est déjà donné dans les expériences présentes de la grâce. On peut alors, plus loin, se désintéresser de la portée des actes posés ici et maintenant sur le destin des âmes après la mort pour au contraire utiliser les images de la parousie, de la vision béatifique, de la vie éternelle pour orienter et juger l’histoire présente en termes de salut individuel ou collectif.

Salut mondain et croire pragmatique

21Ayant considéré jusqu’à présent les déterminations philosophiques et théologiques de la mondanisation, on a pu se convaincre que celle-ci ne se confondait pas avec l’immanentisation et n’impliquait pas nécessairement l’éclipse de la transcendance. La thématique des fins dernières peut être réinterprétée en termes de guide pour l’action et de critère de jugement de l’histoire humaine jusqu’à engager à une inversion du rapport entre fins dernières et fins actuelles, transformant en déchet mythique tout un pan de la dogmatique chrétienne. Il reste à envisager maintenant quelle conception du salut est aujourd’hui dominante et quel rapport elle entretient avec les modalités contemporaines du croire. Ici il faut se référer aux données issues des enquêtes sociologiques. Les résultats sont tous concordants, quel que soit le pays considéré, et le triomphe de cette religion mondaine se vérifie à trois traits.

Subjectivisme et dépersonnalisation

22Le subjectivisme est l’attitude, dominante aujourd’hui, qui consiste à considérer que c’est au sujet individuel de choisir ce qui lui convient en matière de croyances et de pratiques. On refuse à toute autorité extérieure le pouvoir de décider du croyable et du praticable. Les institutions religieuses ont perdu leur pouvoir recteur et ne sont perçues que comme des réservoirs de sens à la disposition des individus sans sanction ni obligation. Elles peuvent être aussi dispensatrices de marques symboliques et même de biens de salut à la demande des individus, par exemple sous la forme de rites de passage.

23Parallèlement à ce processus de subjectivation se développe une dépersonnalisation de ce qui est cru. Ainsi, la figure d’un Dieu personnel, propre à la tradition judéo-chrétienne, se défait au profit de l’image d’un Dieu, force impersonnelle, champ d’énergie interne ou esprit présent en toute chose. Et ceci se vérifie non seulement chez les populations plus ou moins détachées de l’Église mais même chez les plus pratiquantes [16]. À mesure que se répand cette conception d’un Dieu impersonnel, s’effondre celles d’un Dieu-juge, d’un Dieu-père ou d’un Dieu-sauveur. Ce phénomène est régulièrement vérifié par toutes les enquêtes dont on dispose mais le sens de cette transformation doit être précisé. On pourrait en effet supposer que le subjectivisme du croyant appelle une subjectivation de ce qui est cru, les déterminations du croire affectant de la même manière les deux pôles de la croyance. S’il n’en est rien, si l’affirmation de la subjectivité croyante s’accompagne d’une dépersonnalisation de ce qui est cru, c’est probablement que le discours sur Dieu ou adressé à Dieu vise moins une réponse directement opérante qu’un examen de soi, une introspection personnelle dont les effets sont attendus de sa seule effectuation. Comme l’indique une enquête sur la prière des jeunes, celle-ci est avant tout de nature psychologique en ce que l’effet recherché consiste dans la stimulation de l’individu à réussir, à se réaliser, à surmonter ses propres difficultés [17]. Le récit de soi que l’on fait en présence de Dieu est une recherche d’un réajustement de l’action, une pensée efficace qui conduit à évacuer l’angoisse en identifiant en soi-même la source de ses difficultés. Loin de toute reconnaissance d’une faute, cette introspection vise à déceler les imperfections dont on souffre et à les dépasser par une meilleure compréhension de soi. Cette subjectivation extrême de la croyance et de la pratique est ainsi en profonde connivence avec la dépersonnalisation de l’instance devant laquelle le sujet s’examine et se recentre.

Pragmatisme et conséquentialisme

24La sécularisation contemporaine se marque par ce qu’on appelle une « pragmatisation des croyances » : l’indice d’acceptation d’une croyance réside dans le jugement personnel que l’on porte sur son utilité ici-bas. Il s’agit de la faire sienne, non à partir d’un souci d’adhésion à une doctrine ou d’une volonté d’appartenance à un groupe, mais plutôt à partir d’un besoin de donner un sens à la vie et de trouver dans le support de la croyance une ressource pour mieux vivre. C’est l’ancienne conception du rapport à la vérité qui est ici bousculé. Ce qui rend vrai un énoncé croyant n’est plus sa correspondance à une réalité extérieure (comme dans l’ancienne conception adéquationnelle) mais son efficacité propre et les conséquences qu’il emporte (c’est la conception dite cohérentiste) [18].

25La justification des croyances tient à leur utilité qui est vérifiée par l’expérience : les croyances ne renvoient plus nécessairement à un objet immuable ou à une tradition, elles contribuent seulement à la construction de l’identité des sujets et sont évaluées à l’aune de la satisfaction qu’elles procurent. L’un des principaux représentants de ce courant philosophique, Richard Rorty, peut ainsi écrire : « Si Newton est préférable à Aristote ce n’est pas parce que ses discours correspondent mieux à la réalité mais simplement parce que Newton nous permet de mieux nous débrouiller dans l’existence. Rien alors ne distingue plus la religion de la science. [19] » On retrouve ici la question déjà signalée de l’efficacité performative de la foi, par exemple en la résurrection du Christ, indépendamment de sa réalité historique. Mais l’on peut aussi ajouter que cette performativité de la foi rend obsolète l’ancienne partition entre science et religion, entre savoir et croire.

26La pragmatisation contemporaine du croire touche évidemment au cœur la question des fins dernières. Celle-ci devient l’objet d’une croyance vague, détachée de tout enseignement et de tout savoir, dont la cohérence est moins dogmatique que psychologique. Disons tout d’abord que cette question des fins dernières est l’une de celles qui suscitent le plus de méconnaissance ou d’indifférence. Lors de la préparation d’une enquête sur le pluralisme moral et religieux en Europe, il a fallu abandonner les questions sur la notion chrétienne de salut parce que, dans le pré-testage du questionnaire, celles-ci n’avaient été comprises que par un tiers des enquêtés [20].

27C’est sur ce point que l’hétérodoxie ne cesse de se répandre depuis plusieurs dizaines d’années. Aujourd’hui, la foi en la résurrection des morts n’est partagée que par 10 % des catholiques déclarés, chez lesquels la croyance la plus répandue (53 %) tient que « il y a quelque chose après la mort, mais on ne sait pas quoi » [21].

28Ensuite, les pourcentages de croyance au paradis sont toujours plus élevés que ceux portant sur la croyance dans l’enfer [22], tout simplement parce qu’il est plus réconfortant de croire en l’un plutôt qu’en l’autre. De même, on pourra croire à la fois à la résurrection et à la réincarnation, manifestant par là, sans aucun souci de cohérence dogmatique, d’une part son espoir d’une vie qui ne finit pas, d’autre part son ignorance de ce que peut signifier, précisément, résurrection ou réincarnation [23].

29Enfin, disons que cette question du salut éternel est largement délaissée par les jeunes. Dans une enquête auprès des étudiants de l’université de Louvain, seuls 2 % des répondants considèrent comme prioritaire de « croire en Dieu et d’être sauvé ». Les items privilégiés étant l’amour, l’harmonie avec soi-même et la liberté.

30C’est ainsi la dimension sotériologique traditionnelle du christianisme qui est dévaluée, notamment dans sa logique de rachat sacrificiel, au profit de préoccupations centrées sur l’ici-bas et l’accomplissement mondain [24].

Probabilisme et métaphorisation

31Aujourd’hui, le croire s’exprime sur un mode possibiliste ou probabiliste. La croyance se présente davantage comme une probabilité plutôt que comme une certitude. C’est une manière de manifester l’effondrement de la modalité autoritaire et intégraliste de la croyance et la pluralisation des sources du vrai, mais aussi de signifier la pertinence et la légitimité d’une énonciation personnelle ouverte à la communication et à l’échange. Ce mode de croire possibiliste ou probabiliste, typiquement moderne, n’est pas le signe d’un triomphe du rationalisme mais plutôt de l’évidence et de la légitimité du pluralisme. On croit ainsi parce que cela nous convient mais on sait qu’il y a d’autres types de croyances, d’autres religions et qu’elles ne sont sans doute pas moins plausibles que la nôtre. En rappelant que le relativisme est aujourd’hui la conviction de plus de 80 % de la population, conduisant à estimer qu’il n’y a pas une religion plus vraie qu’une autre.

32Quant à ce que certains sociologues nomment la métaphorisation du religieux [25], il consiste en ceci que le salut autrefois confié à la foi religieuse est donné comme relevant d’autres sources de sens et de pratiques : l’art ou la science, la santé ou la sexualité. Et les religions elles-mêmes se trouvent soumises à ce travail de métaphorisation par intellectualisation, spiritualisation et éthicisation toujours plus poussées des croyances sur lesquelles elles reposent. C’est, selon Weber, un des traits constitutifs de la modernité religieuse.

33Concernant notre sujet, on voit bien comment beaucoup de conceptions des fins dernières se situent à cheval entre le surnaturalisme et l’analogie. Et ce travail de métaphorisation peut être assumé par les religions elles-mêmes. On le constate par exemple dans les transformations qui ont été apportées par l’Église catholique au rituel des malades en 1972. Transformations qui ont cherché à spiritualiser des significations anciennes. Ainsi, la référence au combat de Jésus-Christ avec le démon au chevet du mourant a été remplacée par l’image de la communauté rassemblée autour du Christ et du malade. Ce glissement des significations conduit à se demander si, du point de vue des fonctions sémantiques, Jésus-Christ conserve son rôle de sujet actif ou s’il devient un pur destinateur ou même la figure des principes actifs qu’il connote [26].

34Tout ceci nous indique que la question de la modernité religieuse peut être ramenée à celle des modalités du croire. Ainsi, la religion métaphorique n’est pas un dérivé affadi de la religion authentique mais un mode spécifique d’articulation du croire dans l’univers culturel de la modernité.

Instrumentalisation du salut et pastorat

35Si le subjectivisme est une donnée constitutive de l’anthropologie contemporaine, il ne faut pas pour autant penser que le sujet est aujourd’hui absolument libre de faire son salut comme il l’entend, hors de toute prescription et de toute interdiction. Le terme « sujet » désigne certes l’existant conscient de soi, l’être parlant qui peut dire « je » et affirmer ainsi sa liberté et la conscience de sa liberté. Mais il désigne aussi celui qui est au-dessous, l’être soumis à une autorité. Or la pensée et la politique libérales ont aujourd’hui développé une conception très ambigüe du sujet qui mêle les deux aspects et autorise le pouvoir à se préoccuper du salut de chacun, même contre sa propre volonté. Le pastorat ancien, issu de la conception chrétienne du gouvernement, consistait à conduire les âmes au salut éternel. Le roi était « prêtre en son royaume » et avait pour devoir de donner à son peuple les moyens d’être sauvé, le regimen étant, selon le De Regno de St Thomas, la conduite du navire au bon port [27]. Progressivement, sous l’effet de la longue sécularisation, le bien commun devient « commun profit » puis intérêt général et la vocation du gouvernement ne concerne plus que la paix intérieure et le développement des richesses. Il faut dire aussi que la finalité de la politique devient l’objet d’interrogations et de disputes, l’unanimité religieuse ayant fait place à la célébration du pluralisme. Utilisant la métaphore thomiste du marin pour décrire l’activité gouvernementale, Michael Oakeshott peut écrire qu’en régime de modernité l’entreprise politique ne consiste plus qu’à maintenir le navire à flot sur une mer sans rivages [28]. Mais, comme l’a montré Foucault, la pastoralité gouvernementale ne disparaît pas à l’époque moderne : elle change seulement de nature et de finalité. Il s’agit maintenant de gérer les populations comme un stock de richesses, et c’est la vie elle-même qui devient l’objet du pouvoir. Cette « biopolitique », c’est-à-dire l’implication croissante de la vie naturelle de l’homme dans les mécanismes et les calculs du pouvoir, serait le ressort secret de la politique moderne et aujourd’hui le nerf du néo-libéralisme.

36À partir de ce constat de Foucault, Giorgio Agamben peut écrire que « c’est seulement parce que la vie biologique et ses besoins sont devenus partout le fait politiquement décisif que l’on peut comprendre la rapidité, autrement inexplicable, avec laquelle les démocraties parlementaires se sont transformées au cours de notre siècle, en États totalitaires [29] ». Le jugement peut apparaître outré mais il a le mérite tout de même de poser de manière frontale la question d’une possible instrumentalisation du salut et par là de son dévoiement par des instances de pouvoir.

37En effet, si l’État est le serviteur du marché au lieu d’en être l’arbitre, et à cette fin se transforme en recteur des conduites, sommant chaque sujet d’être l’entrepreneur de soi-même, il doit définir ce qu’est une vie accomplie, en l’occurrence une vie conforme à ce qu’attend la société de ses membres. Le salut de chacun passe par sa responsabilisation et c’est bien par la célébration du souci de soi et non de la sollicitude envers autrui que le néolibéralisme peut à la fois définir les normes de l’inclusion et celles de l’exclusion et poser dans le même temps que chacun est libre parce qu’il est responsable. On atteint ici à un dévoiement radical du salut tant celui-ci est rabattu de force sur le mondain et l’immanent. Bien sûr l’État sauve et sauvegarde (les biens culturels, les espèces menacées, les équilibres économiques ou écologiques, etc.) mais dans le même temps il donne une définition normée de l’existence individuelle à laquelle chacun est contraint de se conformer pour être reconnu. L’accomplissement est défini extérieurement à chacun et la plénitude d’être est ramenée à la logique du même et du conforme. Il y a toujours un dessein sauveur mais celui-ci, loin d’être proposé par un tout autre et accepté en toute liberté, devient le spectre d’une conformité sans relation.

38La perversion extrême du salut est accomplie par le paternalisme sournois auquel a de plus en plus recours l’État néolibéral. Le paternalisme n’est pas mauvais en soi, sa valeur dépendant des finalités qu’il se donne. C’est une attitude du pouvoir, à la fois bienveillante et autoritaire, qui consiste à imposer une domination sous couvert de protection désintéressée. Il s’agit de faire le bien d’autrui, éventuellement contre son gré, en lui déniant les capacités cognitives ou morales nécessaires à la poursuite et l’obtention de ce bien. Il s’agit donc d’abord d’une relation asymétrique dans laquelle à la surveillance de l’un, disposant de la sagesse et du pouvoir, répond la dépendance de l’autre, supposément dépourvu de la capacité à être un sujet libre et conscient. La relation du père à ses enfants, modèle d’une autorité naturelle, bienveillante et incontestable, a longtemps été privilégiée, notamment par la pensée traditionaliste et contre-révolutionnaire, comme la figure idéale d’un pouvoir juste car ordonné au bien de l’assujetti.

39Si la pensée paternaliste apparaît consubstantielle au pouvoir d’Ancien régime et peut même trouver sa place dans une métaphore organique où chaque composant singulier concoure au même œuvre sans tension ni rivalité, elle devient plus difficile à exprimer dès lors que l’anthropologie politique des Modernes suppose que la société et le pouvoir ne naissent que de la rencontre entre les volontés d’individus dont la liberté est native et imprescriptible. C’est pourtant bien dans ce cadre moderne que la pensée paternaliste a connu son renouveau, lorsqu’elle fut incarnée au XIXe siècle par le patronat industriel, souvent d’origine chrétienne, et encore davantage lorsqu’elle inspira certaines politiques de l’État-providence dans la seconde moitié du XXe siècle, notamment en matière de santé publique et de régulation des mœurs.

40Chercher à protéger les gens d’eux-mêmes ou à faire leur bien contre leur volonté peut être l’attitude responsable d’un pouvoir pastoral dont l’autorité repose sur une inspiration savante ou sur une source religieuse. Mais, parce que ce type de pouvoir accentue l’intervention coercitive de l’État dans la sphère privée et exerce sa tutelle sur les comportements jugés déraisonnables de certains individus, il semble à première vue incompatible avec le respect des principes de liberté et d’égalité au fondement du libéralisme. Plus encore, la conception d’un pouvoir recteur des conduites semble contredire l’idéal de neutralité sur lequel s’accordent la plupart des penseurs libéraux, convaincus que l’intuition fondatrice de cette pensée tient au respect du pluralisme et à la déliaison du pouvoir à l’égard de toute conception particulière de la vie bonne.

41Pourtant, on assiste aujourd’hui dans les États libéraux à la prolifération de dispositions légales prétendant protéger l’individu non plus des atteintes de ses semblables mais des dommages qu’il pourrait s’infliger à lui-même en raison de ses penchants, de ses passions et, plus largement, de son incapacité à discerner son bien propre. Qu’il s’agisse de prophylaxie médicale, de répression de la prostitution ou de certaines conduites sexuelles considérées comme déviantes, de pénalisation de l’usage de drogues, de l’euthanasie, ou même du suicide dans certains pays, toujours il s’agit d’affirmer le pouvoir politique comme recteur des conduites, de discipliner les populations et de les conformer à un modèle univoque de l’autonomie et de la responsabilité. Accompagnant ou précédant cette évolution de l’action publique, une ample réflexion a, depuis un certain nombre d’années, agité les théoriciens politiques se réclamant du libéralisme afin de déterminer si l’identité même de cette pensée réside dans sa neutralité ou s’il est possible d’en développer une version téléologique et substantielle dans laquelle serait justifiée la promotion d’un bien commun au nom même de l’idéal d’autonomie sur lequel tous s’accordent.

42Dans une version minimale de cette tendance, certains économistes tels Cass Sunstein et Richard Thaler, en s’appuyant sur des recherches en psychologie, mettent l’accent sur les déficiences de rationalité des acteurs et sur la nécessité dès lors pour l’État de donner des « coups de pouce » (nudges) afin d’orienter les gens vers les choix rationnels qu’ils devraient faire et sont dans l’incapacité de faire en raison de la déficience de leurs informations et de leurs évaluations [30]. On tente ici d’assumer un paternalisme susceptible d’orienter les choix individuels vers des résultats qu’un État bienveillant estime bon pour eux. Mais, plus loin, d’autres penseurs posent ouvertement la question de décider si le libéralisme politique peut rester neutre dans un contexte de pluralisme axiologique. Si, pour Charles Larmore [31], le libéralisme est la pensée même du désaccord moral et doit reposer sur un principe de légitimité impartial, il est au contraire pour John Skorupski [32] ou Joseph Raz [33] un idéal fondé sur la prééminence de l’autonomie et par là énonce le propre de l’être humain. C’est d’ailleurs une telle conception qui a d’abord été affirmée par la Cour européenne des droits de l’homme dans sa décision du 17 février 2005 sur la sanction des pratiques sado-masochistes, puis réaffirmée ultérieurement, mais dans une décision contraire, énonçant la possibilité de s’adonner à des activités perçues comme dommageables ou dangereuses pour sa propre personne. On voit bien, par cet exemple crucial, qu’il est possible à partir du même caractère jugé principiel de l’autonomie humaine, soit considérer que celle-ci ne peut être soumise à une appréciation extérieure de type normatif, soit estimer que l’État libéral ne peut rester neutre à l’égard de pratiques qui semblent contrevenir à la rationalité de la vie humaine fondée sur une conception substantielle de l’autonomie.

43On perçoit aisément que la difficulté principale consiste ici pour les théoriciens libéraux à justifier de façon neutre la neutralité qu’ils préconisent dans le traitement par l’État des valeurs morales en compétition dans une société pluraliste. En effet, même si l’on rejette l’option libérale-perfectionniste, il faut encore déceler de quelle manière les valeurs neutres, telles que les principes de non-nuisance ou d’égal respect, sont susceptibles d’être opposées à toutes les conceptions traditionnelles et perfectionnistes en compétition dans la société pluraliste. On peut estimer qu’un accord sur des valeurs neutres n’aboutit qu’à un consensus mou et banal [34]. On peut aussi penser qu’il n’existe pas à proprement parler de valeurs neutres et que, dès lors, le libéralisme se doit d’être modérément perfectionniste, non par substantialisme mais par conséquentialisme, et promouvoir ainsi un corpus de valeurs qui soient susceptibles d’édifier une société libre, même si, évidemment, ces valeurs sont loin d’être neutres [35].

44On l’aura perçu par ce rappel des débats qui animent les théoriciens du politique, la question du salut, individuel et collectif, n’est pas aujourd’hui une question qui intéresse seulement les religions. Elle est au centre de l’identité morale de nos sociétés libérales et sécularisées. Parce que, même hors de toute référence à une révélation transcendante, même dans le cadre du pluralisme moral qui signe la donne séculière, il n’est pas possible de délaisser la question du telos humain et de ne pas s’interroger sur les voies du salut de chaque homme et de l’humanité.

Conclusion : sauver le salut ?

45C’est donc dans cette voie que se sont engagés nombre de philosophes plus ou moins médiatiques qui cherchent à sauver la notion de salut dans un monde prétendument sorti de la religion. L’entreprise est ambigüe et parfois confuse car il peut s’agir soit de délivrer le salut et l’accomplissement de l’homme de toute référence transcendante, soit de récupérer la notion de transcendance en l’enfermant tout entière dans les limites de l’immanence.

46La position de Michel Onfray a le mérite de la clarté qui, dans son réquisitoire sans mesure contre toute religion et son plaidoyer en faveur de l’athéisme, abandonne du même coup la question du salut au profit d’un hédonisme individuel et social évoluant sur le terrain de l’immanence pure : « souci des hommes, par eux, pour eux, et non par Dieu, pour Dieu. [36] » Le cœur du reproche adressé aux croyants touche à leur renoncement à la vie par crainte de la mort : « La vie leur paraît-elle invivable avec la mort pour inévitable fin ? Vite ils s’arrangent pour appeler l’ennemie à gouverner leur vie, ils veulent mourir un peu, régulièrement, tous les jours, afin, l’heure venue, de croire le trépas plus facile. Les trois religions monothéistes invitent à renoncer au vivant ici et maintenant sous prétexte qu’il faut un jour y consentir : elles vantent un au-delà (fictif) pour empêcher de jouir pleinement de l’ici-bas (réel). Leur carburant ? La pulsion de mort et d’incessantes variations sur ce thème [37] ». L’affaire est entendue. La croyance religieuse est pure illusion et sépare l’homme de sa propre vie. La question du bonheur doit être préférée à celle du salut. On peut toutefois, en partant des mêmes prémisses de la mondanisation contemporaine du monde, tenter encore de découvrir le sens de l’existence et même d’aborder le salut de l’homme, mais en distinguant la religion de la spiritualité et en rendant poreuses les frontières habituelles entre transcendance et immanence.

47André Comte-Sponville cherche ainsi à délier religion et spiritualité, condamnant la première pour sauver la seconde. Prenant acte de l’effondrement moderne des fondements absolus du vivre-ensemble, il ne peut consentir pourtant à abandonner la quête de sens qui protège de la barbarie. D’où cette recherche d’une « spiritualité sans Dieu », cet « absolu en acte et en personne », créateur et incréé, omniscient et omnipotent [38]. L’esprit de l’athéisme est alors « non l’Esprit qui descend, mais l’esprit qui s’ouvre (au monde, aux autres, à l’éternité disponible) et qui se réjouit [39] » ; il ouvre à l’amour en vérité et à l’amour de la vérité, mystique de l’immanence dans laquelle l’éternité devient présente aujourd’hui, ici-bas [40]. Et la question du salut devient alors elle-même dépendante de cette expérience d’éternité que chacun peut faire dans sa vie présente : « C’est ce qu’avait vu Wittgenstein : si l’on entend par éternité non la durée infinie mais l’intemporalité, alors il a la vie éternelle celui qui vit dans le présent. Comment s’étonner que l’idée même de la mort lui devienne indifférente ? Il est déjà sauvé, ou plutôt il n’y a plus personne à sauver : il n’y a plus que l’éternité actuelle ; il n’y a plus que l’éternité en acte. Comme le paradis, à côté semble dérisoire ! Comment l’éternité pourrait-elle être à venir ? Comment pourrions-nous l’attendre ou l’atteindre, puisque nous y sommes déjà [41] ? »

48Avec Luc Ferry, on entre dans une pensée qui, à partir du même présupposé de l’obsolescence avérée des religions, cherche toutefois à honorer pleinement la question du salut. Il faut tout d’abord assumer notre passé religieux et lui donner sens pour aujourd’hui en pensant autrement que les religions traditionnelles mais en dialogue avec elles. On sait d’ailleurs que Luc Ferry s’est plu à dialoguer avec le Cardinal Barbarin. Le point de départ de la réflexion de Ferry repose sur cette conviction que l’expérience humaine est fondamentalement définie sous le signe de la religion. Le substrat anthropologique qui soutient cette expérience est un investissement sur l’invisible. L’homme est un être tourné nativement vers l’invisible et requis par l’altérité. Cette donnée immédiate de la conscience tient à ce que l’homme parlant rencontre l’invisible dans ses mots et s’éprouve lui-même irréductiblement sous le signe de l’invisible parce qu’il ne peut pas ne pas penser qu’il y a autre chose en lui que ce qu’il voit, touche et sent [42]. Or, nos sociétés qui ont su établir, notamment avec les droits de l’homme, une morale fondée sur le respect d’autrui, n’ont pas donné de réponse satisfaisante aux questions existentielles, que l’on peut qualifier de spirituelles, touchant à l’amour, la mort, la vieillesse etc. Nos sociétés en sont donc, en termes de spiritualité, « quasiment au niveau zéro [43] ». Or ces questions font évidemment signe vers la quête de salut et exige de nous, modernes, de se réapproprier dans notre langue propre cette question qui a été définie par le christianisme en termes d’intersubjectivité (c’est le Christ qui nous sauve) et non de mondanité. C’est pour cette raison qu’il nous faut revenir à ce que la philosophie était dans l’Antiquité : une doctrine du salut. Nous devons être sauvés de la finitude et de la mort mais par la raison, par la lucidité plutôt que par Dieu et par la foi. Et les penseurs laïques du salut ne manquent pas, même parmi les plus matérialistes tels Spinoza ou Nietzsche. La béatitude, la sérénité, l’innocence du devenir : voilà les termes du salut tels que ces philosophes nous les enseignent, indiquant les voies de la vie bonne hors de toute illusion, en toute lucidité. Bien sûr, Ferry l’avoue, il préférerait le message du Christ… s’il était vrai. Mais aujourd’hui nous ne pouvons que nous en tenir à la quête d’un sens à échelle humaine, qui ne vise pas l’immortalité et ne passe ni par la foi ni par les dieux [44].

49Ainsi le salut est ici pensé dans le cadre de cette mondanisation radicale qui signe l’identité de notre temps : non plus « par la foi et par un Autre » mais « par la raison et par nous-mêmes [45] ».

50Le ressort fondamental de la recherche de Luc Ferry tient dans cet oxymore emprunté à Husserl de « transcendance dans l’immanence ». Il s’agit d’affirmer que la notion de transcendance n’est pas réductible à celle d’hétéronomie ou de dépendance radicale. Il y aurait ainsi, dans l’histoire de la pensée, deux grandes figures de la transcendance. La première se situerait en amont de la conscience humaine, avant et au-dessus d’elle. C’est notamment celle déployée par la Révélation chrétienne. La seconde, non moins religieuse que la première selon Ferry, est toutefois située en aval des expériences humaines, non plus dans le passé mais dans l’avenir, horizon inévitable et incontournable de nos expériences vécues que ce soit dans l’ordre de la vérité ou dans celui de l’éthique et de la culture. Nous découvrons ainsi des vérités que nous n’inventons pas. Cette transcendance dans l’immanence a une histoire qui s’enracine dans la philosophie transcendantale de Kant et se déploie dans la phénoménologie de Husserl : la vérité est fondée dans l’immanence à la subjectivité mais comme quelque chose qui transcende la particularité de chaque sujet. La révolution kantienne consiste en ceci que la moralité n’est pas fondée sur la religion mais que celle-ci se retrouve à l’horizon des actions morales, dans une problématique religieuse ouverte par les postulats de la raison pratique. Le religieux n’est plus dès lors l’hétéronomie et la dépossession mais l’horizon vers lequel tendent les expériences fondées sur l’autonomie individuelle. C’est ce qui permet à Ferry de parler, à la manière chrétienne de divinisation de l’humain et d’humanisation du divin.

51On peut pour finir s’appuyer sur un autre penseur du salut mondain, Slavoj Zizek, lorsqu’il estime que la Chute pour les chrétiens n’est pas vraiment une chute mais en elle-même son contraire, l’apparition de la liberté : « Il n’est pas de lieu d’où nous soyons tombés. L’existence précédant la Chute n’est que stupide existence naturelle. Notre tâche est donc non pas de retourner à une existence antérieure ‘supérieure’mais de transformer nos vies en ce monde (Le problème de la Chute est ainsi non pas qu’elle soit en elle-même une Chute, mais, précisément, qu’elle soit en elle-même, déjà un Salut que nous prenons par erreur pour une Chute. En conséquence, le Salut ne consiste pas à inverser la direction de la Chute, mais à reconnaître le Salut dans la Chute elle-même [46]. »

52Évidemment, toutes ces réflexions sur la mondanisation contemporaine du salut interrogent l’affirmation de la vocation salvifique de l’Église. On comprend que l’adage Hors de l’Église point de salut apparaisse aujourd’hui à nos contemporains comme irrecevable. Ce n’est pas ici le subjectivisme qui rend cette formule incompréhensible ou scandaleuse mais la conscience du pluralisme et le relativisme qui l’accompagne, puisque les enquêtes d’opinion nous indiquent que les deux formules qui reçoivent l’acquiescement du plus grand nombre sont « il n’a pas de religion plus vraie qu’une autre » et « c’est à chacun de définir sa religion indépendamment des Églises ». À partir de cette pragmatisation des croyances et du triomphe du critère d’utilité dans le choix des croyances, ce sont toutes les religions qui se trouvent relativisées par rapport à d’autres voies possibles de salut (sagesses diverses sans transcendance, techniques d’épanouissement personnel, et d’amélioration de son potentiel vital, etc.) L’essentiel étant dans ce contexte de mondanisation de réaliser sa vie ici-bas et selon des critères de réussite mondaine.

53L’interprétation de la modernité comme sortie du christianisme est inhérente aux théories de la sécularisation. Mais cette sortie du christianisme peut être interprétée soit comme on sort d’un pays, soit comme on sort de ses parents. Si le monde moderne et ses valeurs fondatrices sont issus du christianisme comme un enfant est issu de ses parents, alors il faut bien que le christianisme reconnaisse ce monde comme le sien. Certes, l’Église est habilitée à prononcer des jugements, à poser des oui et des non sur cette société, mais à partir de son appartenance au monde et non dans une position de surplomb. Cela implique qu’elle honore en partie au moins cette mondanisation du salut qui n’est pas étrangère à ses propres intuitions.

54La question alors pour l’Église est de parvenir à concilier le respect du pluralisme et la prétention à l’universel. Aujourd’hui l’universel a les couleurs de la mondialisation, c’est-à-dire les couleurs du marché. Et ce fut la grande espérance des Modernes, que l’économie nous libère de la politique comme de la religion. Que la paix soit accessible naturellement et involontairement. Or on commence à réaliser que la violence n’a pas été éradiquée par le triomphe de l’économie et du marché. C’est pourquoi cet universel porté par l’intuition judéo-chrétienne peut apparaître aujourd’hui comme une alternative aux promesses non tenues de la modernité. Cet universel est assis, selon J.-B. Metz, sur deux convictions tirées de l’héritage biblique : l’affirmation d’une conception du salut en termes de liberté et de justice pour tous et en termes de respect de l’autre dans son être autre.

55On sait qu’aujourd’hui la seule forme légitime de contrainte ne consiste plus dans une soumission indiscutable à une source hétéronome fondée en transcendance. Elle réside plutôt dans un accord de type transcendantal : « si nous voulons que, alors il faut que ». Le transcendantalisme contemporain édicte des règles et pose des limites à la volonté humaine, mais à partir de la volonté elle-même : si nous voulons.

56Ce que peut rappeler l’Église à propos des conditions d’accès au salut c’est le moment d’inconditionnalité préalable à l’énonciation de toute volonté. Par exemple, que la volonté d’épanouissement de l’individu est à la mesure de sa sollicitude pour autrui. Qu’il n’est pas possible de tout vouloir sauf à miner l’humanité même de ce vouloir. Il lui est donc possible de s’inscrire dans cette donne transcendantale, en rappelant que l’impératif d’humanisation est lui-même non pas l’objet de la volonté mais une condition de son exercice légitime.

Notes

  • [1]
    Seul l’orphisme primitif, proposant une vision pessimiste de la vie humaine conçue comme un châtiment mérité par des fautes antérieures, développe une vision du salut comme délivrance du cycle des réincarnations et de la longue errance dans le cercle des générations. Cf. A. Boulanger, Orphée. Rapports de l’orphisme et du christianisme, coll. Christianisme, F. Rieder, Paris, 1925.
  • [2]
    Irénée, Contre les hérésies, III, 10, 3 et IV, 20, 7 ; Athanase, Trois discours contre les Ariens, 1, 39.
  • [3]
    J. Pohier, Quand je dis Dieu, Seuil, Paris, 1977.
  • [4]
    K. Löwith, Histoire et salut. Les présupposés théologiques de la philosophie de l’histoire, tr. fr., Gallimard, Paris, 2002.
  • [5]
    J.-B. Metz, Pour une théologie du monde, tr. fr., Cerf, Paris, 1971.
  • [6]
    T. Luckmann, The Invisible Religion : The Problem of Religion in Modern Societies, MacMillan, New York, 1970.
  • [7]
    H. Blumenberg, La légitimité des Temps modernes, tr. fr., Paris, Gallimard, 1999.
  • [8]
    C. Schmitt, « Drei Stufen historisher Sinngebung », Universitas. Zeitschrift für Wissenschaft, Kunst und Politik, V-8, (août 1950), p. 927-931.
  • [9]
    E. Husserl, Méditations cartésiennes. Introduction à la phénoménologie, tr. fr., Vrin, Paris, 1992.
  • [10]
    M. Heidegger, Être et temps, tr. fr., Gallimard, Paris, 1986.
  • [11]
    F. Gogarten, Destin et espoir du monde moderne, tr. fr., Casterman, Tournai, 1970.
  • [12]
    K. Rahner, Mission et grâce I, Vingtième siècle, siècle de grâce ? Fondements d’une théologie pastorale pour notre temps, tr. fr., Mame, Paris, 1962.
  • [13]
    D. Bonhoeffer, Résistance et soumission. Lettres et notes de captivité, tr. fr., Labor et Fides, Genève, 2006.
  • [14]
    J.-B. Metz, La foi dans l’histoire et dans la société. Essai de théologie fondamentale et pratique, tr. fr., Cerf, Paris, 1979.
  • [15]
    G. Gutierrez, Théologie de la libération, tr. fr., Lumen Vitae, Bruxelles, 1974.
  • [16]
    74 % des catholiques pratiquants réguliers conçoivent Dieu comme une force ou une énergie, 20 % le conçoivent comme un être avec lequel ils peuvent entretenir une relation personnelle. Sondage CSA/Le Monde des religions, octobre, 2006.
  • [17]
    J. Janssen, J. de Hart, C. den Draak, « A Content Analysis of the Praying Practices of Dutch Youth », Journal for the Scientific Study of Religion, vol. 29 N°1, 1990, p. 99-107.
  • [18]
    M. Viau, La nouvelle théologie pratique, Editions paulines/Editions du Cerf, Montréal/Paris, 1993.
  • [19]
    R. Rorty, L’homme spéculaire, tr. fr., Seuil, Paris, 1990, p. 300.
  • [20]
    Y. Lambert, « Le devenir de la religion en Occident », Futuribles, 260, janvier 2001, p. 23-38.
  • [21]
    Sondage CSA/Le Monde des religions, octobre 2006.
  • [22]
    Dans l’enquête valeurs de 2008, parmi les 18-24 ans, 35 % croient au paradis et 25 % à l’enfer.
  • [23]
    Dès l’enquête européenne de 1990 on constatait que parmi les jeunes de 18-24 ans 53 % de ceux qui croyaient à la résurrection disaient croire également à la réincarnation.
  • [24]
    T. Walter, The Eclipse of Eternity. A Sociology of the Afterlife, MacMillan, Houndmills-Londres, 1996.
  • [25]
    J. Seguy, « L’approche wébérienne des phénomènes religieux » in R. Cipriani, M. Macioti (eds.), Omaggio a Ferrarotti, Studi e Ricerche, Siares, 1989.
  • [26]
    F. - A. Isambert, Rite et efficacité symbolique, Cerf, Paris, 1979.
  • [27]
    M. Senellart, Les arts de gouverner. Du regimen médiéval au concept de gouvernement, Paris, coll. Des Travaux, Seuil, 1995.
  • [28]
    M. Oakeshott, Rationalism in Politics and Others Essays, Liberty Fund, Indianapolis, 1991, p. 60.
  • [29]
    G. Agamben, Homo Sacer. Le pouvoir souverain et la vie nue, tr. fr., Seuil, Paris, 1997.
  • [30]
    C. Sunstein, R. Thaler, Nudge : Improving Decisions About Health, Wealth, and Happiness, Penguin, New York, 2008.
  • [31]
    C. Larmore, The Morals of Modernity, Cambridge University Press, New York and Cambridge, 1996.
  • [32]
    J. Skorupski, Ethical Explorations, Oxford University Press, New York, 1999.
  • [33]
    J. Raz, The Morality of Freedom, Oxford, Oxford University Press, New-York, 1986.
  • [34]
    W. A. Galston, Liberal Purposes, Cambridge University Press, Cambridge, 1991.
  • [35]
    S. Clarke, « Consequential Neutrality Revivified », in D. Weinstock and R. Merrill (eds.), Political Neutrality : a Re-evaluation, Palgrave/MacMillan, Basingstoke, 2012.
  • [36]
    M. Onfray, Traité d’athéologie, Grasset, Paris, 2005, p. 86.
  • [37]
    Ibid., p. 94.
  • [38]
    A. Comte-Sponville, L’esprit de l’athéisme. Introduction à une spiritualité sans Dieu, Albin Michel, Paris, 2006, p. 80.
  • [39]
    Ibid., p. 217.
  • [40]
    Ibid., p. 151.
  • [41]
    Ibid., p. 185.
  • [42]
    L. Ferry, M. Gauchet, Le religieux après la religion, Grasset, Paris, 2004, p. 60-61.
  • [43]
    L. Ferry, P. Barbarin, Quel devenir pour le christianisme ? Salvator, Paris, 2009, p. 29.
  • [44]
    L. Ferry, P. Barbarin, op. cit., p. 96-97.
  • [45]
    L. Ferry, Vaincre les peurs. La philosophie comme amour de la sagesse, Odile Jacob, Paris, 2006, p. 19.
  • [46]
    S. Zizek, La marionnette et le nain. Le christianisme entre perversion et subversion, tr. fr., Seuil, Paris, 2006, p. 110-111.
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