Couverture de RSR_115

Article de revue

L'Herméneutique de Vatican II

Réflexions sur la face cachée d'un débat

Pages 45 à 63

Notes

  • [1]
    Ce collectif de recherche regroupa une trentaine de chercheurs. En plus de tenir six séminaires de recherche dans les divers établissements universitaires engagés, il tint trois colloques?: un premier, à l’Institut catholique de Paris, en octobre 2005?; un deuxième, à l’Université Laval (Québec), en mars 2008, et un troisième à l’Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve), en novembre 2010. Les travaux de ces assises ont conduit à trois publications?: P. Bordeyne et L. Villemin (dir.), Vatican II et la théologie. Perspective pour le XXIe siècle, Cerf, Paris, 2006?; G. Routhier et G. Jobin (dir.), L’Autorité et les autorités. L’herméneutique théologique de Vatican II, Cerf, coll. Unam Sanctam nouvelle série, 3, Paris, 2010 et J. Famerée (dir.), Vatican II comme style, coll. Unam sanctam, à paraître aux éditions du Cerf. Ce projet a conduit également à la présentation de deux mémoires de maîtrise à l’Université Laval.
  • [2]
    Novo millenio ineunte (6 janvier 2001), 57 (DC 98 [2001], 88).
  • [3]
    La recherche comportait un champ ecclésiologique dont l’axe majeur était l’interprétation de Lumen gentium à partir du thème « les évêques et la communion des Églises », un champ d’éthique théologique, dont l’axe majeur était l’interprétation de Gaudium et spes à partir du thème « morale et anthropologie?: la constitution du sujet éthique », et un champ de théologie fondamentale dont l’axe majeur était l’interprétation de Dei Verbum à partir du thème « Histoire et Révélation ».
  • [4]
    Quelques années plus tard, pour les besoins de son propos, le pape Benoît XVI a ramené à deux types opposés les herméneutiques de Vatican II, l’herméneutique de la continuité et de la discontinuité, proposant alors une troisième voie, l’herméneutique de la réforme. En pratique, on peut retracer d’autres propositions et l’herméneutique qui a été faite du concile et de ses enseignements n’est pas réductible à ces deux formes.
  • [5]
    La Bulle se lit ainsi?: Trad. Denzinger-Hünermann, n° 1849, p. 484. La traduction des mots entre crochets est reproduite à partir de Hefele, p. 637.
  • [6]
    Je pense en particulier au commentaire allemand publié sous la direction de H. Vorgrimler dans le LThK et traduit en anglais (1967) ainsi qu’au commentaire francophone paru sous la direction de Y. Congar dans la collection Unam Sanctam (nos 51-75). À cela, il faut ajouter les commentaires particuliers. Je ne fais qu’en signaler quelques-uns?: celui sur la Constitution sur la liturgie paru dans la revue La Maison Dieu (nos 76 et 77) en 1963 et 1964, ceux sur Lumen gentium de G. Philips (L’Église et son mystère au IIe concile du Vatican, Desclée, 1968) et U. Betti (La dottrina sull’episcopato nel Vaticano II, Citta’Nuova, 1968), ceux sur Gaudium et spes (G. Barunà, dir., L’Église dans le monde de ce temps, Desclée de Brouwer, 1968, édition originale en portugais, et K. Rahner et al., L’Église dans le monde de ce temps, Mame, Paris, 1967), etc. Il ne faudrait pas oublier les commentaires de nature plus populaire, notamment ceux publiés par les éditions ouvrières.
  • [7]
    Pour les grands colloques théologiques, on verra A. Schönmetzer (dir.), Acta congressus internationalis de theologia concilii Vaticani II, Typis Polyglottis Vaticanis, Roma, 1968?; L.K. Shook et G.M. Bertrand (dir.), La théologie du renouveau – Texte intégral des travaux présentés au Congrès international de Toronto, Fides – Le Cerf (« Cogitatio Fidei » 34 et 35), 2 vol., Montréal – Paris, 1968, et J.H. Miller (ed.), Vatican II?: an interfaith appraisal. International Theological Conference, University of Notre Dame Press, Notre Dame, 1966.
  • [8]
    On verra la critique que fait K. Schelkens de cette position dans l’introduction à son ouvrage Catholic Theology of Revelation on the Eve of Vatican II. A Redaction History of the Schema De fontibus revelationis (1960-1962), Brill, Leiden, 2010, p. 1-8.
  • [9]
    Ces synopses sont souvent accompagnées des relationes, parfois des interventions et des modi sur les divers textes.
  • [10]
    Le Commentaire de Lumen gentium de Gérard Philips représenterait l’exception.
  • [11]
    « Les lois ecclésiastiques doivent être comprises selon le sens propre des mots dans le texte et le contexte?; si le sens demeure douteux et obscur, il faut recourir aux lieux parallèles s’il y en a, à la fin et aux circonstances de la loi, et à l’esprit du législateur » (c. 17).
  • [12]
    Voir en particulier les études de J.W. O’Malley, « Erasmus and Vatican II?: interpreting the Council », dans A. Melloni et al. (dir.), Cristianesimo nella storia. Saggi in onore di Giuseppe Alberigo,, Il Mulino, Bologna 1996, p. 195-212 et « Vatican II?: Did Anything Happen?? », Theological Studies, 67 (2006), sp. p. 17-33, repris dans J.W. O’Malley et al., Vatican II. Did Anything Happen??, Continuum, New York, 2007. Voir aussi mes études « El Concilio Vaticano II como estilo », Iglesia Viva, 227 (2006-3), p. 23-44 et « Il Vaticano II come stile », La Scuola cattolica, CXXXVI/1 (2008), p. 5-32.
  • [13]
    Voir en particulier C. Theobald, « Le concile et la “forme pastorale” de la doctrine », dans B. Sesboüé et C. Theobald (dir.), La parole du Salut, Desclée, Paris, 1996, p. 470-510 et La réception du concile Vatican II. I. Accéder à la source, Cerf, coll. Unam Sanctam, Paris, 2009, en particulier la troisième et la quatrième parties, p. 281-701.
  • [14]
    « En pleine fidélité au concile du Vatican », La foi et le temps, 10 (1980), p. 274-309 et « Trois caractéristiques de l’Église postconciliaire », Bulletin de théologie africaine, 3 (1981), p. 233-245.
  • [15]
    « Points de vue pour le synode extraordinaire », dans Le synode extraordinaire. Célébration de Vatican II, Cerf, Paris, 1985, p. 653-654?; Kirche – wohin gehst du?? Die bleibende Bedeutung des II. Vatikanischen Konzils, Paderborn, 1986, p. 22-32?; « Hermeneutische Prinzipien zur Auslegung des Vatikanum II », in G.W. Hunold et W. Korff (dir.), Die Welt für morgen?: Ethische Herausforderungen im Anspruch der Zukunft. Festschrift für F. Böckle, München, 1986, p. 413-425 et « Le défi de Vatican II qui demeure?: à propos de l’herméneutique des affirmations du Concile », dans La théologie et l’Église, Cerf, Paris, 1990, p. 411-423. Voir mon article sur cette importante contribution?: « L’ecclésiologie catholique dans le sillage de Vatican II. La contribution de Walter Kasper à l’herméneutique de Vatican II », Laval théologique et philosophique, 60, 1 (2004), p. 1-38.
  • [16]
    « Continuité et innovation dans l’ecclésiologie de Vatican II », dans G. Alberigo (dir.), Les Églises après Vatican II. Dynamisme et prospective, Beauchesne, Paris, 1981, p. 91-116 et « Vers une nouvelle phase de réception de Vatican II. Vingt ans d’herméneutique du Concile », dans G. Alberigo et J.-P. Jossua (dir.), La réception de Vatican II, Cerf, Paris, 1985, p. 43-64.
  • [17]
    Entretien sur la foi, Fayard, Paris, 1985, sp. p. 27-48 et Les Principes de la théologie catholique?: Esquisse et matériaux, Téqui, Paris, 1985 (original allemand 1982), sp. p. 423-440.
  • [18]
    C’est le cas, par exemple, de W. Kasper. Ces principes ou critères sont repris de manière synthétique dans le « Rapport final » de l’assemblée extraordinaire du Synode des évêques en 1985.
  • [19]
    On verra mon article « L’Assemblée extraordinaire de 1985 du synode des évêques?: moment charnière de relecture de Vatican II dans l’Église catholique », dans P. Bordeyne et L. Villemin (dir.), Vatican II et la théologie. Perspectives pour le XXIe siècle, Cerf, Paris, p. 61-88. Toutefois, on observe d’autres entreprises concurrentes qui veulent également diriger l’interprétation du concile.
  • [20]
    Nous pensons notamment au magistère du pape Paul VI. Voir Paolo VI, « Nel Cono di Luce del Concilio ». Discorsi e documenti (1965-1978), M. Vergottini (ed.), Istituto Paolo VI, Brescia, 2006, 480 p.
  • [21]
    Celle-ci a été conduite par A. Marchetto qui critiqua très sévèrement, parfois de manière outrancière, l’interprétation du concile mise en avant par G. Alberigo. Voir « Il Concilio Vaticano II?: considerazioni su tendenze ermeneutiche dal 1990 ad oggi », Archivum Historiae Pontificiae, 38 (2000), p. 275-286. Voir aussi son ouvrage Il Concilio ecumenico Vaticano II. Contrappunto per la sua storia, Libreria editrice vaticana, Roma, 2005. On peut regretter le ton polémique de l’ouvrage qui se ramène à une critique de l’œuvre accomplie par l’équipe qui participa à l’histoire de Vatican II plutôt que la proposition d’une véritable contribution, originale et positive, à l’histoire du concile. L’auteur est plus préoccupé de démolir le travail des autres (sans toujours l’avoir bien compris), que de se risquer lui-même à un travail d’historien du concile.
  • [22]
    G. Alberigo, et c’est là son mérite, a mis en avant des critères d’interprétation du concile. Voir « Critères herméneutiques pour une histoire de Vatican II », dans M. Lamberigts et C. Soetens (dir.), À la veille du Concile Vatican II. Vota et réactions en Europe et dans le catholicisme oriental, Bibliotheek van de Faculteit der Godgeleerdheid, Leuven, 1992, p. 12-23 et « Vatican II et son héritage », Études d’histoire religieuse, 63 (1997), p. 7-24. Ceci dit, il laissa à ses collaborateurs un grand espace de liberté dans le traitement du sujet qui leur était confié. C’est là mon expérience et celle aussi de plusieurs autres collaborateurs. Jamais il ne fit pression pour que nous interprétions dans un sens déterminé les événements qu’il nous revenait de couvrir. Il faut avoir connu également la liberté des discussions et des débats lors des colloques qui accompagnaient la rédaction de la Storia del concilio. On n’avait pas affaire à une école au sens étroit du terme et appliquer la notion d’« École de Bologne » au groupe qui a participé à cette histoire procède de la reconstruction a posteriori et témoigne de l’ignorance du climat de liberté académique dans lequel s’est réalisée cette histoire.
  • [23]
    On peut ainsi consulter J.A. Komonchak, « The-Pope-and-the-interpretation-of-the-Council », http://www.commonwealmagazine.org/blog/?p=1158 ainsi que « Benedict XVI on the Interpretation of Vatican II », Verbo Veritatis, et « Novelty in Continuity. Pope Benedict’s interpretation of Vatican II », America, février 2009.
  • [24]
    Voir Vraie et fausse réforme dans l’Église, Cerf, Paris, 19682, p. 301 ss. Congar, fin connaisseur de Newmann, distingue alors entre l’adaptation-développement et l’adaptation-innovation, la première procédant d’un retour en profondeur au principe et à la tradition, un ressourcement en quelque sorte.
  • [25]
    Sur la question du rôle des intérêts en herméneutique, voir en particulier le débat entre Gadamer et Habermas, spécialement l’ouvrage de Habermas sur Connaissance et intérêt, Gallimard, 1976 [1968].
  • [26]
    Je me réfère ici explicitement à l’expression de Benoît XVI qui parle de « discontinuité à divers niveaux » qui ne signifie pas une discontinuité avec le principe de l’enseignement de l’Église.
  • [27]
    Voir P. Roy, Le Coetus internationalis patrum. Un groupe d’opposants au sein du concile Vatican II, thèse de doctorat (Université Laval et Université Lyon III), Première partie, « La préhistoire du Coetus Internationalis Patrum ».
  • [28]
    Voir G. Routhier, « L’Assemblée extraordinaire de 1985 du synode des évêques?: moment charnière de relecture de Vatican II dans l’Église catholique », p. 61-88.
  • [29]
    Voir P. Bourdieu, « Le marché des biens symboliques », L’Année sociologique 22 (1971), p. 49-126.
  • [30]
    Voir G. Routhier, « The Hermeneutic of Reform as a Task for Theology » à paraître en 2012 dans le Irish Theological Quarterly.
  • [31]
    À leurs yeux, l’enseignement et les réformes mis en avant par Vatican II étaient clairement en « rupture » avec la tradition. Il s’agit là d’un thème permanent dans la littérature traditionnaliste au cours des années 1968-1980. De plus, l’affirmation suivant laquelle, après le concile, on se trouverait en présence d’une « nouvelle Église » est souvent reprise. On la trouve clairement dans un texte de Mgr Lefebvre daté du 21 novembre 1974, texte d’une rare violence, publié quelques jours à peine après la visite apostolique ordonnée par la commission de cardinaux instituée par Paul VI pour traiter du problème posé par la Fraternité Saint Pie X, et qui prélude à la première rupture représentée par la suspense a divinis qui interviendra le 22 juillet 1976. Il écrivait alors?: « Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et ses traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité. Nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante qui s’est manifestée clairement dans le concile Vatican II et après le concile dans toutes les réformes qui en sont issues. […] Aucune autorité, même la plus élevée dans la hiérarchie, ne peut nous contraindre à abandonner ou à diminuer notre foi catholique clairement exprimée et professée par le Magistère de l’Église depuis dix-neuf siècles. […] Cette Réforme étant issue du libéralisme, du modernisme, est tout entière empoisonnée?; elle sort de l’hérésie et aboutit à l’hérésie, même si tous ses actes ne sont pas formellement hérétiques. Il est donc impossible à tout catholique conscient et fidèle d’adopter cette Réforme et de s’y soumettre de quelque manière que ce soit. » Suivant cette rhétorique, il y a deux sujets-Église et l’enseignement de l’Église se partage entre le magistère des dix-neuf premiers siècles et un nouveau magistère. Plus explicite encore, des propos attribués à Mgr Lefebvre à la suite de la suspense a divinis, rapportés par son biographe, Bernard Tissier de Mallerais?: « En définitive, cette suspense me prive de dire la messe… nouvelle, de donner les sacrements nouveaux. On me demande l’obéissance à “l’Église conciliaire”, comme l’appelle Mgr Benelli. Mais cette Église conciliaire est une Église schismatique, parce qu’elle rompt avec l’Église catholique de toujours. Elle a ses nouveaux dogmes [la dignité de la personne], son nouveau sacerdoce, ses nouvelles institutions, son nouveau culte, déjà condamnés en maints documents officiels et définitifs ». Voir aussi son homélie lors des ordinations de juin 1976 qui conduira à la suspense a divinis?: « Cette nouvelle messe est un symbole, une expression d’une foi nouvelle, d’une foi moderniste », B. Tissier De Mallerais, Marcel Lefebvre, une vie, Clovis, 2002, p. 513. Ou encore?: « Le concile, tournant le dos à la Tradition et rompant avec l’Église du passé, est un concile schismatique » (p. 514).
  • [32]
    On verra « Mgr Marcel Lefebvre et le Vatican sous le pontificat de Jean-Paul II. I. – Jusqu’à la mort du cardinal Seper », Itinéraires, 265 bis, août 1982, 68 p.
  • [33]
    « Je déclare également adhérer aux paroles prononcées par Sa Sainteté Jean-Paul II au sujet du concile pastoral Vatican II, le 6 [sic] novembre 1979?: “qu’il faut l’interpréter à la lumière de toute la Sainte Tradition et sur la base du magistère constant de l’Église” ».
  • [34]
    B. Tissier de Mallerais, op. cit., p. 529.
  • [35]
    C’est largement ce que fait J. W. O’Malley, par exemple, quand il dégage la rhétorique propre de Vatican II en situant ses textes dans l’ensemble du corpus constitué par les textes des 21 conciles généraux de l’Occident ou en situant Vatican II dans l’histoire du long XIXe siècle, comme le fait le premier chapitre de son ouvrage L’événement Vatican II, Lessius, Bruxelles, 2011.
  • [36]
    F. Nault, « Comment parler des textes conciliaires sans les avoir lus?? », dans G. Jobin et G. Routhier (dir.), L’autorité et les autorités. L’herméneutique théologique de Vatican II, Cerf, Paris, 2010, p. 229-246.
  • [37]
    Voir la lettre de Paul VI à Mgr Lefebvre du 11 octobre 1976?: « Vous vous dites soumis à l’Église, fidèle à la Tradition, par le seul fait que vous obéissez à certaines normes du passé, dictées par les prédécesseurs de celui auquel Dieu a conféré aujourd’hui les pouvoirs donnés à Pierre. C’est dire que, sur ce point aussi, le concept de “Tradition” que vous invoquez est faussé. La Tradition n’est pas une donnée figée ou morte, un fait en quelque sorte statique qui bloquerait, à un moment déterminé de l’histoire, la vie de cet organisme actif qu’est l’Église, c’est-à-dire le corps mystique du Christ. Il revient au Pape et aux conciles de porter un jugement pour discerner dans les traditions de l’Église ce à quoi il n’est pas possible de renoncer sans infidélité au Seigneur et à l’Esprit Saint – le dépôt de la foi – et ce qui au contraire peut et doit être mis à jour, pour faciliter la prière et la mission de l’Église à travers la variété des temps et des lieux, pour mieux traduire le message divin dans le langage d’aujourd’hui et mieux le communiquer, sans compromission indue. La Tradition n’est donc pas séparable du Magistère vivant de l’Église, comme elle n’est pas séparable de l’Écriture sainte ».
  • [38]
    On sait que, à la suite d’une réunion à Solesmes, en juin 1964, les membres du Coetus décidèrent d’envoyer une supplique à Paul VI pour lui faire part de leurs craintes devant certaines expressions équivoques relevées dans les schémas (sur l’Église, sur l’œcuménisme et sur la liberté religieuse) à l’étude. Les Acta reproduisent quelques copies de cette lettre (AS VI/III, 243-245?; AS III/I, 678-679 et dans les Acta Secretariae generalis, AS VI/III, 339-340). Le 15 novembre, après que la Commission doctrinale eut communiqué l’expansio modorum du chapitre III du De Ecclesia précédé de la Nota explicativa, ils désiraient revenir à la charge en demandant au pape, dans un projet de lettre qu’il n’a pas été nécessaire d’envoyer, d’« ordonner?: que la Déclaration préliminaire, […], soit inscrite soit au début soit à la fin de la dite Constitution, comme fournissant d’une manière unique l’interprétation authentique et vraie de son sens. Que si cela n’était pas fait, il ne serait pas permis à la conscience de notre charge d’être favorables par notre “Placet” à l’approbation de cette Constitution ». Avant le vote (16 novembre 1964, 123e Congrégation générale), le Secrétaire général fit la lecture d’une Notification relative à la qualification théologique des enseignements contenus dans la Constitution. Cette notification reprenait la réponse donnée par la Commission doctrinale le 6 mars 1964. On sait que, dans un modus qu’il avait déposé, le Coetus demandait l’addition de la phrase suivante à la fin du numéro dix-huit?: « Ce synode cependant, désirant conserver son caractère pastoral, n’a pas l’intention de trancher les questions jusqu’ici discutées librement entre théologiens catholiques ». La Commission ne crut pas devoir amender son texte. Elle se contenta de renvoyer aux règles générales qu’elle avait énoncées en mars 1964 (AS III/VIII, 56). À la suite de ces deux sauvegardes, le peritus de Mgr Lefebvre écrivait que l’on avait obtenu par cette note explicative ce que l’on voulait?: « Il est sûrement déplorable, et sans exemple, qu’un texte conciliaire ne se soutienne pas par lui-même, et ait besoin d’une note extrinsèque pour être interprété. Cependant c’est un immense soulagement, et probablement le maximum de ce qu’on peut espérer. Le Souverain Pontife, pour la première fois, rompt le silence et marque ses intentions. […] Avec la “note explicative”, il ne reste rien de la collégialité comme système, d’une prétendue “structure collégiale” de l’Église. À cette heure de ce jour, il semble donc que nos longs, nos douloureux, nos obstinés labeurs aient attiré la pitié divine et le regard de la Sainte Vierge. Il ne semble pas possible que la Constitution, quoique boiteuse, quoique médiocre, quoique retenant des griffures de collégialisme, ne recueille pas demain un “Placet” presque unanime. » P. Roy, Le Coetus internationalis patrum…, p. 859-863.
  • [39]
    Voir la Notification lue par le Secrétaire général du Concile lors de la 171e Congrégation générale, le 15 novembre 1965, sur la qualification de la doctrine exposée dans le Schéma de Constitution soumis aux votes.
  • [40]
    On connaît la querelle autour de l’intitulé du Schéma XIII. Finalement, on inséra une note au début du texte.
  • [41]
    « subito dopo il Concilio, la creazione d’una Supercommissione di poche persone competenti e fedelissime alla Santa Chiesa per la interpretazione autentica delle Costituzioni, Decreti, Dichiarazioni del Concilio Ecumenico Vaticano II, sotto la immediata autorità del Papa, ogni qual volta sorgesse qualche dubbio si verificasse un abuso », AS VI/IV, 668-669.
  • [42]
    Voir P. Roy, Le Coetus internationalis patrum…, p. 1382.

1En 2003, trois universités francophones (l’Institut catholique de Paris, l’Université catholique de Louvain et l’Université Laval) joignaient leurs forces pour conduire un projet de recherche sur l’herméneutique théologique de Vatican II [1]. La création de ce groupe interuniversitaire de recherche reposait sur la conviction que l’avenir du catholicisme se joue notamment sur l’interprétation que l’on va donner au concile Vatican II, appelé à servir de boussole fiable à l’Église sur sa route au cours du troisième millénaire, suivant l’expression du pape Jean-Paul II [2]. L’objectif de ce réseau de recherche n’était pas de définir et de promouvoir une position herméneutique ni de faire école dans le domaine. À l’origine, les théologiens de nos divers établissements constataient qu’à la suite du prodigieux investissement sur l’histoire du concile Vatican II qui avait caractérisé la décennie 1990, la recherche se déplaçait de plus en plus sur le terrain de l’herméneutique du concile. Ce déplacement leur semblait appeler un investissement plus soutenu de la part des théologiens. De plus, une première lecture de la situation nous conduisait à penser que l’herméneutique était de plus en plus utilisée comme arme par ceux qui s’opposaient au concile. En d’autres mots, plutôt que de rejeter le concile, on se montrait désormais disposé à l’accepter à la condition de l’interpréter de manière minimaliste et d’en désamorcer les intuitions les plus vives. L’interprétation devenait ainsi un moyen d’en réduire les enseignements en les privant de leur vigueur et de leur force. Ce repositionnement stratégique, que l’on peut plus clairement percevoir à partir de 1985, tendait alors à occuper de plus en plus de place, si bien qu’une recherche sur l’herméneutique du concile devenait une question de plus en plus importante.

2Cette recherche, honorant la dimension interdisciplinaire de la théologie [3], partait du constat que les herméneutiques de Vatican II étaient nombreuses et variées [4]. En effet, un premier examen nous conduisait à conclure que les productions théologiques, les pratiques ecclésiales et les documents magistériels véhiculaient, de manière plus ou moins explicite, des interprétations non seulement diverses mais parfois opposées ou concurrentes, de Vatican II. Se posait alors la question?: quels sont les raisons d’une telle diversité?? Nous faisions, au point de départ, plusieurs hypothèses. La première voulait que, au cours des quarante dernières années, on ait pratiqué, suivant les périodes, davantage tel ou tel type d’herméneutique. La deuxième présupposait que le type de formation des divers interprètes conduisait à des pratiques herméneutiques différentes. La troisième se demandait si les contextes culturels n’étaient pas un facteur pouvant conduire à des orientations herméneutiques diverses. Nous avions aussi fait l’hypothèse que l’appartenance à un réseau de relecteurs conditionnait l’herméneutique que l’on pouvait faire de Vatican II. Enfin, la cinquième hypothèse supposait que les outils et les méthodes herméneutiques mises en œuvre étaient en mesure d’orienter différemment les pratiques herméneutiques des différents lecteurs.

3Pour chacun des dossiers (théologie fondamentale, éthique théologique, ecclésiologie), les chercheurs étaient amenés à recueillir une bibliographie significative, suffisamment abondante pour représenter une grande diversité de positions herméneutiques. Il s’agissait ensuite de faire l’analyse de ces diverses pratiques herméneutiques, non seulement en vue de faire émerger divers types d’herméneutiques de Vatican II, mais surtout de dégager les éléments qui conduisent à telle ou telle position herméneutique. En finale, le projet visait à évaluer l’herméneutique dont Vatican II a fait l’objet et à dégager les enjeux théologiques de ces diverses pratiques.

4Un examen dans la durée de l’herméneutique de Vatican II permettait non seulement de saisir la grandes diversité les pratiques herméneutiques mises en œuvre, mais également de périodiser l’évolution de ces pratiques. L’enquête menée a montré que les premières pratiques herméneutiques mises en œuvre au cours des années qui suivirent la clôture du concile témoignent d’un grand consensus au sujet de l’interprétation du concile. Elles associent généralement magistère et théologiens et mettent souvent l’accent sur la nouveauté dont est porteur l’enseignement du concile. Par ailleurs, la discussion sur l’herméneutique du concile est quant à elle plus tardive – elle commence dans les années 1980 –, et son apparition est liée, si je puis dire, à un changement de « contexte politique ».

Des pratiques herméneutiques pionnières

5Ainsi, depuis l’approbation des textes conciliaires, les commentateurs, surtout les théologiens mais aussi les évêques et les responsables des différents organismes chargés de les mettre en œuvre, n’auront de cesse d’interpréter les textes adoptés. À ce chapitre, nous sommes loin de la situation qui a prévalu aux lendemains du concile de Trente où l’interprétation des décrets conciliaires était réservée à l’autorité suprême, la Bulle Benedictus Deus (26 janvier 1564) interdisant la publication, sans la permission expresse du pape, de commentaires ou de toute autre interprétation des décisions du concile?:

6

« En outre, afin d’éviter le désordre ou la confusion qui pourraient naître s’il était permis à tout un chacun de publier, comme il l’entend, ses propres commentaires et interprétations des décrets du concile, Nous ordonnons à tous, en vertu de notre autorité apostolique […, sous peine d’interdit de l’entrée de l’Église, et à tous les autres quels qu’ils soient, sous peine d’excommunication encourue par là-même], que personne n’ait l’audace de publier sans notre autorisation des commentaires, gloses, annotations, explications, et toute autre forme d’interprétation des décrets de ce concile, de quelque manière que ce soit. [5] »

7La collaboration des évêques et des théologiens lors du concile Vatican II trouvera un prolongement dans le rôle important joué par les théologiens dans l’interprétation du concile. Cette interprétation, qui s’exprime surtout à travers la publication de grands commentaires [6] et la tenue d’importants colloques [7], comporte plusieurs traits similaires. D’une part, le recours à l’histoire de la rédaction est constant et cette méthode conduit naturellement à révéler les différences de positions, d’orientations et de formes entre les textes élaborés au cours de la phase préparatoire et les textes votés, le rejet des schémas préparatoires au cours de la première session constituant la ligne de partage des eaux et devenant ainsi une clef interprétative du concile [8]. De plus, cette pratique herméneutique fondée sur la reconstruction de l’iter de la rédaction des textes montre quelle position perd ou gagne graduellement du terrain au long des débats conciliaires. Enfin, une telle pratique indique la réception progressive des mouvements réformateurs préconciliaires et le refus d’une manière de faire de la théologie ou de certaines positions théologiques. Par la suite, ce travail de reconstruction de l’iter des textes a conduit à l’élaboration de synopses qui constituèrent un des principaux outils herméneutiques [9]. D’autre part, l’herméneutique pratiquée est rarement le commentaire mot à mot ou paragraphe par paragraphe des textes conciliaires [10]. On dégage d’abord la structure des textes, leurs grands axes et leurs articulations, puis on aborde les thèmes principaux ou les concepts structurant la réflexion. C’est à la lumière de la construction d’ensemble (examen des titres, des parties et des chapitres) que l’on interprète les passages particuliers et c’est en les situant dans la systématique d’ensemble que sont interprétés les énoncés particuliers.

8En somme, ces pratiques herméneutiques obéissent aux deux principes généraux classiques qui caractérisent l’herméneutique des textes magistériels?: les textes (ou les énoncés) doivent être lus et interprétés dans leur contexte historique et littéraire, principe du reste repris dans le Code de droit canonique et qui s’applique mutatis mutandis aux textes magistériels et aux textes législatifs [11].

9De plus, on l’aura remarqué, cette pratique herméneutique spontanée ou « non réfléchie » peut être qualifiée d’herméneutique de l’intention. En effet, on s’accorde pour croire que l’examen de l’histoire du texte, ses évolutions dont rendent compte les relationes ou l’expansio modorum, nous met en contact avec l’intention de l’auteur et, de ce fait, nous indique le sens du texte, celui-ci ne s’offrant plus à l’interprétation, mais devenant ainsi apparemment transparent en lui-même et parfaitement clair. On était d’autant plus tenté d’adopter cette manière de penser que les commentateurs étaient souvent des acteurs du concile, proches de leur rédaction. Pour eux, le sens du texte était immédiat et évident.

10Par ailleurs, cette pratique herméneutique induisait une certaine rupture, au moins, entre l’avant et l’après concile, même si la lecture des textes conciliaires se faisait à la lumière de la tradition, les commentaires, comme les textes du concile du reste, reportant cet enseignement sur l’horizon de la longue tradition, en particulier de la tradition patristique, mettant ainsi en perspective les développements récents de la théologie. Ceci dit, comme le souligna Henri de Lubac, la farouche résistance opposée à toute modification des textes élaborés au cours de la phase préparatoire finit par donner un caractère révolutionnaire à la victoire de ceux qui réclamaient une nouvelle manière de parler et un enseignement renouvelé sur plusieurs questions. La sensation de rupture s’enracine donc dans cette opposition tranchée au renouveau de l’enseignement de l’Église sur les rapports entre l’Église et l’État, l’œcuménisme, la collégialité épiscopale, la liberté religieuse, etc.

11Enfin, cette herméneutique, attentive aux retournements et aux développements survenus au cours du concile, sensible aussi à la manière de parler, de prendre en compte le récepteur et de s’intéresser aux situations concrètes dans lesquelles se trouvent les personnes et la famille humaine, a contribué à mettre en valeur « l’esprit de Vatican II », celui-ci ne pouvant naturellement pas être détaché de la lettre des textes, mais ne se comprenant pas en dehors de l’histoire du concile. Certes, cette notion était porteuse d’une part d’ambiguïté, mais elle s’avérait tout de même utile pour nommer quelque chose de capital?: un texte est bien plus que la somme de ses énoncés et il ne peut se comprendre en dehors de son contexte d’énonciation. Aujourd’hui, on approche davantage cette réalité à l’aide de la notion de style [12], fondée sur l’étude de la rhétorique particulière repérable dans les textes de Vatican II, ou du concept de pastoralité [13] défini comme la prise en compte du destinataire au moment de l’élaboration du discours. Ainsi, l’approche historico-critique abondamment pratiquée dans les années qui suivirent immédiatement le concile s’enrichit d’autres approches, en particulier des approches pragmatiques, au cours des dernières années.

Une réflexion sur l’herméneutique de Vatican II

12L’herméneutique du concile, un jour considérée comme allant-de-soi, allait devenir objet de réflexion au cours des années 1980. Cette réflexion tardive connaît quatre périodes. Une première, fort brève, est dominée par G. Thils qui publie deux essais sur la question au début des années 1980 [14]. Ces publications, dans des revues qui n’ont pas un large rayonnement, ne font pas de vagues et trouvent finalement assez peu d’écho. La deuxième période se concentre autour de l’assemblée extraordinaire du Synode des évêques en 1985. Elle est dominée par la réflexion de W. Kasper, secrétaire général de cette assemblée, qui publie alors plusieurs essais sur le sujet [15]. Il faut joindre à cet ensemble la réflexion d’un autre théologien allemand, H.J. Pottmeyer [16], et celle du cardinal J. Ratzinger [17]. Cette phase « allemande » est déterminante. C’est à ce moment que s’amorce réellement une réflexion sur l’herméneutique de Vatican II avec le souci de dégager des critères pouvant en guider la mise en œuvre. Toutefois, on observe que se développe en même temps un effort pour proposer [18], sinon pour contrôler, l’interprétation du concile [19]. Certes, le magistère avait joué jusque-là un rôle non négligeable dans l’interprétation du concile [20], mais désormais certains organes du gouvernement ecclésial semblaient vouloir la contrôler davantage et imposer, à travers plusieurs textes, une interprétation du concile et de ses textes. De plus, deux textes viennent en quelque sorte s’imposer comme des filtres entre Vatican II et les lecteurs contemporains?: le Code de droit canonique (1983) et le Catéchisme de l’Église catholique (1992). Aucun de ces textes cependant ne semblait vouloir, au moins à l’origine, se substituer au concile.

13Une troisième période s’ouvre avec la publication de La Storia del Concilio au début des années 1990 et la polémique italienne [21] à laquelle a conduit cet important travail mené dans un climat de tolérance et ouvert au pluralisme des perspectives [22]. Enfin, une quatrième période est inaugurée par le discours remarqué de Benoît XVI à la curie, le 22 décembre 2005. À partir de ce moment-là, l’herméneutique de Vatican II, qui semblait consensuelle au cours des deux décennies qui suivirent la clôture du concile, apparaît de plus en plus conflictuelle et l’interprétation du concile devient, pour ainsi dire, un champ de bataille où se déroulent des escarmouches qui ne sont pas toujours à la hauteur des attentes des fidèles ou des formes académiques.

14Le discours de Benoît XVI n’a pas atteint son but qui était le dépassement d’une fausse opposition entre rupture et continuité par la proposition d’une troisième voie?: une herméneutique de la réforme. Des esprits polémiques s’emparèrent de certains éléments de ce discours pour accuser leurs adversaires d’être de vilains partisans d’une herméneutique de la rupture et pour couvrir de l’autorité pontificale leur opposition à la Storia del concilio, ce qui provoqua, en retour, une réplique à la hauteur des attaques. Cet enfermement dans un débat stérile vient notamment du fait que l’on n’a retenu de ce discours que l’opposition qu’il y aurait entre une herméneutique de la continuité et une herméneutique de la discontinuité. On s’empressa alors d’identifier tel ou tel groupe à un type ou l’autre d’herméneutique et de brandir comme un étendard le discours du pape vite instrumentalisé et récupéré dans son propre arsenal pour la poursuite de combats parfois étrangers aux préoccupations du pape. Le risque était de s’enfermer dans un binôme et de construire une opposition entre deux camps.

15Il faut souligner tout de suite que la construction dialectique du discours prêtait le flanc à un tel usage puisqu’il reconstruisait de manière schématique le champ plus complexe de l’interprétation de Vatican II en définissant deux camps opposés. Cependant, se limiter à ce seul aspect conduisait à une lecture réductrice du discours du pape dont le propos était justement de dépasser cette opposition entre deux camps pour proposer une troisième voie, l’herméneutique de la réforme, proposition qui fut finalement assez peu reprise par la suite. En effet, la dialectique du discours pontifical était à trois termes (thèse – antithèse – synthèse) et pas simplement à deux termes. De plus, une lecture qui ne retenait que l’opposition entre continuité et rupture négligeait toute la dernière partie du discours pontifical, toute en nuances et en subtilité, où le pape réfléchit à l’évolution de la doctrine, évolution faite « de continuité et de discontinuité à divers niveaux » ou de « nouveauté dans la continuité ». Cette évolution est particulièrement repérable dans un ensemble constitué de « trois cercles de questions » qui « forment une unique question » puisqu’elles se rattachent toutes au « rapport entre l’Église et le monde moderne ». L’interprétation la plus équilibrée et la plus nuancée de ce discours me semble offerte par J.A. Komonchak dans des articles peu cités, publiés dans les revues Commonweal et America[23].

16Ainsi, on peut regretter que le discours de Benoît XVI ait été interprété en fonction de divers intérêts ou des combats menés par des groupes rivaux. Dans ce contexte, on s’est emparé de ce discours comme une bannière pour mener ses combats plutôt que comme une invitation en faveur d’un approfondissement de l’herméneutique de Vatican II qui pourrait conduire à une véritable réforme de l’Église catholique, réforme « par un retour au principe et à la tradition », pour emprunter les catégories de Congar [24], ou dans la continuité qui intègre la nouveauté, suivant les termes de Benoît XVI.

Une politisation du débat

17Parmi les conclusions que l’on peut tirer du cycle de recherche conduit par ce groupe interuniversitaire, c’est la place de plus en plus grande qu’occupent « les intérêts » [25] dans le débat sur l’herméneutique du concile, élément qui finit par le polluer jusqu’à l’empoisonner. Je parlerai ici de politisation du débat.

18Au point de départ, nous avions fait l’hypothèse que les diverses herméneutiques pouvaient être commandées par les outils, les méthodes ou les approches herméneutiques mises en œuvre par les différents lecteurs ou que les horizons philosophiques, historiques ou théologiques avaient pu déterminer les pratiques de lecture de Vatican II et de ses enseignements. Certes, cela n’est sans doute pas étranger aux différentes lectures que l’on a faites du concile. Ainsi, on peut constater que ceux qui fréquentent les sciences historiques ont généralement une pratique herméneutique qui met en relief les « différents niveaux de discontinuité » [26] que permet d’observer l’iter de la rédaction des textes conciliaires et l’histoire du concile prise dans son ensemble. Leurs outils sont les synopses et leur méthode est principalement l’histoire de la rédaction des textes. Ces outils et ces méthodes permettent de repérer les ruptures de style et de fond. Cette « discontinuité » ou évolution est aussi bien perceptible lorsque les textes conciliaires sont situés dans un contexte plus large et qu’ils sont situés dans l’ensemble de l’enseignement de l’Église catholique des deux derniers siècles. Par ailleurs, ceux qui ont adopté le « paradigme » du langage et qui se saisissent autrement de la question de l’herméneutique de Vatican II arrivent à des conclusions similaires. Ici, l’acte d’énonciation, autant que l’énoncé, est considéré. L’approche de J.W. O’Malley sur la rhétorique particulière de Vatican II est suggestive à ce niveau, de même que les études de C. Theobald sur la « pastoralité » de Vatican II. Ceci dit, malgré ces approches différentes, il n’y a pas en principe de désaccord de fond entre les tenants de l’une ou l’autre approche?; cela se vérifiant dans notre groupe de recherche, certains étant plus familiers avec une approche historique et d’autres avec une approche par les théories du langage.

19À l’évidence, la formation des divers interprètes, je pense ici surtout au milieu de formation et à leur appartenance à divers réseaux [27], est certainement en cause. De même la position institutionnelle occupée par les divers acteurs n’est pas négligeable, la lutte pour le contrôle de l’herméneutique du Concile demeurant, si je puis dire, un classique dans le genre [28]. Comme l’a montré Bourdieu, il y a toujours, dans un champ social donné, une lutte entre plusieurs acteurs appartenant à différents champs, acteurs qui collaborent entre eux bien qu’étant également en concurrence [29]. C’est là ce que l’on peut observer. Toutefois, en arrière-plan demeure des « idéologies », des « intérêts » et des « mobiles politiques » qui viennent brouiller les cartes ou parasiter le débat.

20Il n’est pas étonnant que l’année 1985 marque l’inauguration d’une nouvelle étape dans la discussion sur l’herméneutique de Vatican II. Ce tournant est étroitement lié, on l’a montré par ailleurs [30], aux négociations qui avaient alors lieu entre Mgr Lefebvre et la Fraternité St Pie X, d’une part, et le Vatican, représenté par le cardinal Ratzinger, d’autre part. En effet, après avoir été l’un des principaux adeptes de l’herméneutique de la rupture [31], Mgr Lefebvre s’était converti, peu après l’élection de Jean-Paul II, à une herméneutique de la continuité, espérant, au moyen de ce revirement stratégique, parvenir à une réconciliation avec Rome. La première phase de négociation, conduite par le cardinal Seper, allait culminer avec l’envoi à Jean-Paul II, le 16 octobre 1980, d’un projet d’accord formulé par Mgr Lefebvre [32]. Dans ce projet, Mgr Lefebvre écrivait être disposé à accepter « le concile à la lumière de la tradition » [33]. Il s’agit là de la première tentative de compromis avancée par les traditionnalistes d’Écône. Celle-ci était fondée sur une approche herméneutique du concile radicalement différente de celle qu’ils avaient pratiquée jusque-là. S’appuyant sur une parole de Jean-Paul II, Mgr Lefebvre se déclarait prêt à souscrire au concile, à la condition de l’interpréter de manière assez différente de ce que l’on avait fait dans son mouvement jusque-là. Comme le précise le biographe de l’évêque d’Écône, Mgr Lefebvre entend appliquer « le critère de la tradition aux divers documents du concile pour savoir ce qui est à retenir, ce qui est à éclaircir et ce qui est à rejeter » [34]. Dans son esprit, l’interprétation du concile à la lumière de la tradition devait conduire à en corriger un certain nombre d’affirmations, voire à rejeter un grand pan de son enseignement.

21C’est à compter de ce moment-là, le début des années 1980 comme l’a indiqué notre périodisation, que l’on trouve un regain d’intérêt pour la question de l’herméneutique de Vatican II. À compter de cette date, les publications se succèdent, notamment au moment de l’Assemblée spéciale du Synode des évêques en 1985, moment où les négociations étaient parvenues à une étape cruciale.

22Si l’on veut mettre en perspective les diverses publications et prises de position qui alimentèrent le débat au cours de cette période, il faut relire la correspondance échangée entre le nouveau préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi et Mgr Lefebvre, correspondance qui passa pratiquement inaperçue à ce moment. Dans la première lettre qu’il adressait à Mgr Lefebvre (23 décembre 1982), le cardinal Ratzinger l’invitait à signer une Declaratio dont l’élément central était l’acceptation de Vatican II lu à la lumière de la tradition. Cette lettre ouvrait également le débat sur l’autorité des textes du concile et sur leur valeur et la portée doctrinale de ses enseignements qui ne comportaient pas de définitions. Malgré cette ouverture, dans sa réponse au pape Jean-Paul II (5 avril 1983), Mgr Lefebvre allait refuser de signer cette déclaration, revenant sur la conception qu’il se faisait de l’interprétation du concile à la lumière de la tradition?: « Quant au premier paragraphe concernant le Concile, j’accepte volontiers de le signer dans le sens que la Tradition est le critère de l’interprétation des documents, ce qui est d’ailleurs le sens de la note du Concile au sujet de l’interprétation des textes. Car il est évident que la Tradition n’est pas compatible avec la Déclaration sur la liberté religieuse […] ». Parmi les solutions avancées, celui-ci demandait « une réforme des affirmations ou expressions du Concile qui sont contraires au Magistère officiel de l’Église, spécialement dans la Déclaration sur la liberté religieuse, dans la Déclaration sur l’Église et le monde et dans le Décret sur les religions non chrétiennes, etc. ».

23Dans sa réponse du 20 juillet 1983, le cardinal Ratzinger revenait sur l’herméneutique de Vatican II qui devait être « interprété à la lumière de la Tradition catholique et compte-tenu des déclarations mêmes du Concile sur les degrés d’obligation de ses textes ». Il ajoutait?: « il faut noter que – en fonction des divers degrés d’autorité des textes conciliaires – la critique de certaines de leurs expressions, faite selon les règles générales de l’adhésion au Magistère, n’est pas exclue. Vous pouvez de même exprimer le désir d’une déclaration ou d’un développement explicatif sur tel ou tel point ». En conclusion, le cardinal préfet ouvrait encore davantage le jeu, rappelant qu’« il n’est pas exigé de vous que vous renonciez à la totalité de vos critiques du Concile et de la réforme liturgique. […] Si l’une ou l’autre expression vous cause des difficultés insurmontables, vous pouvez proposer ces difficultés?: les mots en eux-mêmes ne constituent pas des absolus?; mais leur contenu est indispensable ».

24Les échanges allaient se poursuivre en 1985 et, dans une lettre du 29 mai 1985, le cardinal Ratzinger insistait, réitérant son invitation à Mgr Lefebvre?: « vous pouvez exprimer le désir d’une déclaration ou d’un développement explicatif sur tel ou tel point. Mais vous ne pouvez pas affirmer l’incompatibilité des textes conciliaires – qui sont des textes magistériels – avec le Magistère et la Tradition ». En d’autres mots, on ne pouvait corriger les textes conciliaires ou les renier, mais il était permis de demander des explications complémentaires qui pourraient en expliciter le sens ou en donner une nouvelle interprétation. C’est à la lumière de ces échanges et tractations que l’on peut mieux comprendre les déclarations du cardinal Ratzinger sur Vatican II et son interprétation, dans son ouvrage-entrevue Entretien sur la foi publié quelques mois plus tard, et le débat herméneutique qui entoura la tenue de l’Assemblée spéciale du Synode, la même année. C’est également à la lumière de ces négociations que l’on peut mieux comprendre certaines interprétations du concile qui émailleront la vie de l’Église catholique au cours des années qui suivirent, notamment quelques textes publiés par la Congrégation pour la doctrine de la foi qui alimenteront la controverse.

25C’est en ce sens que j’ai parlé de politisation du débat car l’herméneutique du concile est ici subordonnée à une autre fin, celle d’aboutir dans ces négociations à lever la suspense a divinis qui pesait sur Mgr Lefebvre. Tout était alors tenté pour éviter le schisme, car les ordinations se profilaient déjà à l’horizon. Le contrôle pour imposer une herméneutique de Vatican II ne relevait plus de la discussion académique, mais était subordonné à des intérêts politiques.

L’herméneutique comme révélateur de positions a priori divergentes sur Vatican II

26Cette tentative d’orienter l’herméneutique de Vatican II en en minimisant la nouveauté et en en réduisant la portée a, par choc en retour, nourri la réaction qui, à l’inverse, a voulu en souligner le caractère épocal et en rappeler la nouveauté. De plus, un certain nombre de résistances au concile, qui s’étaient peu manifestées jusque-là, ont profité de la réserve « politique » qui s’exprimait à l’égard des innovations conciliaires pour venir grossir les rangs et manifester leur peu d’empressement à répondre aux appels à la réforme (à l’aggiornamento ou au renouveau de l’Église) lancés par le concile. Cette réaction, liée à la paresse ou à la routine, n’était que trop heureuse de s’associer à un discours qui proposait une interprétation minimaliste du concile, au nom d’une politique d’apaisement et d’un authentique souci de réconciliation. Enfin, d’autres encore devaient venir grossir le nombre de ceux qui voulaient revenir à des positions apparemment plus sûres. En effet, devant la perte de crédibilité de l’Église en Occident et les importantes mutations sociales et culturelles, ce qui devait entraîner un reflux du catholicisme dans nos sociétés, certains se sont mis à prendre peur, s’interrogeant même sur le bien-fondé des réformes conciliaires. Ne touchant pas encore la Terre promise et se sentant pris au piège dans le désert, ils se sont mis à murmurer, regrettant de s’être mis en marche un jour, à l’invitation du concile. Pour eux, le concile n’est pas la boussole fiable dont parlait Jean-Paul II, boussole capable d’orienter la marche de l’Église au cours du troisième millénaire, mais égare l’Église. Insécurisés, ils privilégient aujourd’hui une position de repli et de retour en arrière. L’interprétation globale qu’ils font de Vatican II est commandée par la peur suscitée par la situation présente de l’Église et la tentation sécuritaire qui répond à cette peur. Cette réaction sécuritaire peut également être partagée par les catholiques appartenant aux générations qui montent et qui éprouvent eux aussi un malaise dans la situation actuelle de l’Église et du monde. Confrontés au pluralisme qui développe une certaine incertitude au plan des croyances, ils apprécieraient se retrouver dans une situation où tout est bien défini et à sa place.

27Aussi, l’interprétation du concile ne dépend pas seulement du travail des textes conciliaires ou d’un travail plus général sur l’histoire du catholicisme, mais dépend dans une large mesure d’un agenda politique, d’une résistance atavique au changement, d’un réflexe sécuritaire, etc. Dans ces circonstances, le travail sur les textes conciliaires, lus dans leur contexte historique et leur contexte littéraire, et sur l’histoire du concile, mise en perspective en la cadrant plus largement dans l’histoire du catholicisme du siècle dernier, de manière à situer ces textes dans un ensemble de textes qui nous permettra de le distinguer pour ses traits caractéristiques [35], s’avère de plus en plus nécessaire. Or, ce travail a peu été pratiqué au cours des dernières années. En effet, alors que l’on s’épuise en discussions sur l’herméneutique de Vatican II, on doit avouer que la relecture de ses textes et la connaissance de son histoire est aujourd’hui moins pratiquée qu’au cours des premières décennies qui ont suivi la clôture de Vatican II. On pourrait se retrouver dans la situation absurde, évoquée par mon collègue François Nault, de parler abondamment des textes conciliaires et de leur herméneutique sans les avoir lus [36]. On se soumet alors, suivant le même auteur, à une « herméneutique institutionnelle » plutôt qu’à une « herméneutique textuelle » de Vatican II.

28Pour reprendre la lecture des textes conciliaires, plusieurs perspectives sont offertes, des approches davantage historico-critiques ou pragmatiques, des approches plus attentives au contenu des textes (les énoncés) ou à l’acte d’énonciation. Ces diverses approches, qui ont développé chacune leurs outils et leurs instruments d’analyse, ont montré leur fécondité. Il ne s’agit certainement pas des seules approches possibles. Par ailleurs, il est clair que la méthode de lecture doit être homogène au texte lu. Ainsi, procéder à la lecture des textes conciliaires en mettant en œuvre la méthode utilisée par la néo-scolastique est certainement se condamner à des contre-sens. En effet, cette méthode d’analyse développée dans un cadre intellectuel étranger aux textes conciliaires, cadre intellectuel dont ont voulu se distancer consciemment les pères conciliaires, n’est pas ajustée à ces textes. En somme, au risque de le pervertir, on ne peut pas interpréter un enseignement qui n’est pas formulé en termes juridiques ou dans le cadre des catégories scolastiques, en lui appliquant une méthode d’analyse qui n’est pas homogène à son objet.

Conclusion

29L’objectif des travaux du groupe interuniversitaire de recherche dont je viens de rendre compte n’était pas de proposer des critères herméneutiques devant servir à l’interprétation de Vatican II, encore moins de constituer une école soucieuse de mettre en avant une interprétation du concile. Il s’agissait plutôt d’identifier les divers types d’interprétation en circulation et d’arriver à comprendre les facteurs qui les déterminaient. Ce repérage nous a permis de mettre à jour les enjeux des diverses interprétations. Le facteur le plus déterminant, depuis le début des années 1980, nous semble être l’intérêt politique. L’interprétation de Vatican II est aujourd’hui utilisée soit pour favoriser un rapprochement avec un groupe dissident, au prix d’un affaiblissement de la force et de la portée de ses enseignements, soit pour abaisser l’autorité des décisions conciliaires, réviser ses textes ou en annuler simplement les enseignements. À ce jeu, c’est l’Église catholique qui est la grande perdante, puisque cette hésitation à endosser clairement le concile laisse dans une grande perplexité et dans un certain désarroi bon nombre de fidèles, encourage certains autres à montrer moins d’empressement à l’égard de ses enseignements et les engage à passer dans le camp de la résistance passive, scandalise certains autres qui croient que l’Église catholique n’a aucune volonté réformatrice et la quittent simplement, déçus et découragés, alimente enfin les positions radicales des réformateurs pressés et impatients. Ce manque de clarté quant à la résolution de promouvoir cet enseignement dans toute sa force et dans toute sa vigueur crée un espace de division à l’intérieur de l’Église et en diminue la crédibilité chez ses partenaires. Cette pusillanimité à s’engager clairement en faveur des enseignements conciliaires, les écornant au passage, fait également un grand tort au magistère de l’Église catholique, qu’on ne respecte pas puisqu’il minimise lui-même l’enseignement produit par un de ses organes les plus autorisés.

30La plus grande évolution que nous avons repérée en retraçant l’évolution de l’herméneutique de Vatican II tient essentiellement au fait que, au cours de la première période (avant les années 1980), l’interprétation du concile, réalisée par les théologiens et le magistère, soit celui des évêques ou du pape, était au service de la connaissance et de la promotion de son enseignement et voulait en favoriser la mise en œuvre. Les dissidents qui considéraient que Vatican II était en rupture avec la tradition et que ses réformes établissaient une « nouvelle Église » refusaient simplement de le recevoir. À partir des années 1980 toutefois, la même activité est mise au service d’une autre cause que la promotion des enseignements du concile, qui passe alors au second plan.

31Le problème ne dépend pas d’abord de l’approche herméneutique retenue, des méthodes d’interprétation privilégiées, du recours aux outils herméneutiques en circulation, ni même de la définition de critères herméneutiques. En amont, il y a le choix de laisser ou non le concile Vatican II nous interpeller dans toute sa vigueur et sa force. Le problème est en fait beaucoup plus important?: il s’agit de décider de la place qu’occuperont les enseignements de Vatican II dans l’ensemble de ceux produits par le magistère de l’Église catholique au cours des quatre derniers siècles. Puisque tout texte est inséré dans une série et occupe une place dans un ensemble de textes, la situation devant laquelle nous sommes aujourd’hui est de décider quelle place Vatican II occupera dans cette série et de choisir où nous allons le situer dans cet ensemble. En fait, dans le jeu auquel on se livre actuellement, derrière le paravent d’une discussion sur l’herméneutique de Vatican II, la discussion ne porte pas, au final, sur l’herméneutique, ses règles, ses méthodes, ses outils et ses critères. L’enjeu est ailleurs, lorsque l’on réclame une interprétation du concile à la lumière de la tradition.

32Paul VI avait eu la perspicacité d’identifier clairement cet enjeu et de lever le voile sur ce qui se cachait derrière ces requêtes. Dans sa lettre à Mgr Lefebvre, il lui reprochait de réfléchir et d’agir à partir d’une fausse conception de la tradition [37]. C’est donc l’idée de tradition qu’il nous faut travailler théologiquement si l’on veut arriver à situer Vatican II dans la « bibliothèque » que représente la série des textes du magistère de l’Église catholique depuis le XVIe siècle, et plus encore, depuis le XIXe. Depuis les débats conciliaires eux-mêmes, la pierre de touche des débats les plus délicats est le rapport de ces enseignements avec les textes pontificaux des siècles précédents. Du reste, Benoît XVI, dans son discours à la curie de l’année 2002, revient longuement sur la question en faisant un exposé sur l’évolution de la doctrine. Lui aussi, en mettant en avant l’évolution de la doctrine, faite « de continuité et de discontinuité à divers niveaux » ou de « nouveauté dans la continuité », situe l’enjeu, au-delà de cet équilibre subtil, au niveau de la théologie de la tradition.

33Il ne faut donc pas se tromper de débat, car le véritable enjeu n’est pas d’abord herméneutique. Ce mot à la mode sert plutôt à en voiler un autre plus ancien, la tradition. En effet, déjà au concile, on avait recours à la question de l’interprétation des textes lorsque l’on voulait désamorcer les textes conciliaires. On l’a fait principalement lors de la discussion sur la collégialité [38], lors de la discussion sur le De Revelatione[39]et lors de la discussion sur Gaudium et spes[40]. Encore avant la clôture du concile, le cardinal Ruffini écrivit à Paul VI, précisant que les cardinaux Ottaviani et Siri appuyaient sa démarche, pour lui demander d’affirmer l’autorité du magistère ordinaire du pape et réclamer, « immédiatement après le concile, la création d’une supercommission, composée de quelques personnes compétentes et reconnues pour leur très grande fidélité à la sainte Église qui, sous l’autorité immédiate du pape, serait appelée à interpréter de manière authentique les constitutions, décrets et déclaration du Concile Vatican II, chaque fois que surgiront quelque doutes ou pour réprimer un abus » [41]. Enfin, Mgr Lefebvre assignait comme but au groupe qu’il voulait former pour poursuivre le combat qu’avait engagé le Coetus, de lutter contre les interprétations du concile qui seraient contraires à la tradition et au magistère des papes du XIXe siècle [42].

34Dans tous les cas, on a invoqué l’interprétation du concile comme dernier recours lorsque, à défaut de faire des gains sur le fond et après avoir épuisé toutes les astuces de procédure prévues par le Règlement du concile, on cherchait une stratégie pour limiter la portée de ses enseignements. Aujourd’hui encore, le recours à l’herméneutique n’est rien d’autre que la dernière carte tenue par des dissidents qui n’ont de cesse de vouloir torpiller le concile à défaut de pouvoir le rejeter complètement.

35L’étude de l’herméneutique du concile doit donc aujourd’hui conduire les théologiens à un travail en profondeur sur la notion théologique de tradition et celle de développement de la doctrine. Plus en profondeur, c’est l’historicité du christianisme – question qui hante l’Église depuis la crise moderniste – qui mérite d’être reprise et celle de la réception toujours nouvelle de l’Évangile dans des contextes culturels changeants.

Notes

  • [1]
    Ce collectif de recherche regroupa une trentaine de chercheurs. En plus de tenir six séminaires de recherche dans les divers établissements universitaires engagés, il tint trois colloques?: un premier, à l’Institut catholique de Paris, en octobre 2005?; un deuxième, à l’Université Laval (Québec), en mars 2008, et un troisième à l’Université catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve), en novembre 2010. Les travaux de ces assises ont conduit à trois publications?: P. Bordeyne et L. Villemin (dir.), Vatican II et la théologie. Perspective pour le XXIe siècle, Cerf, Paris, 2006?; G. Routhier et G. Jobin (dir.), L’Autorité et les autorités. L’herméneutique théologique de Vatican II, Cerf, coll. Unam Sanctam nouvelle série, 3, Paris, 2010 et J. Famerée (dir.), Vatican II comme style, coll. Unam sanctam, à paraître aux éditions du Cerf. Ce projet a conduit également à la présentation de deux mémoires de maîtrise à l’Université Laval.
  • [2]
    Novo millenio ineunte (6 janvier 2001), 57 (DC 98 [2001], 88).
  • [3]
    La recherche comportait un champ ecclésiologique dont l’axe majeur était l’interprétation de Lumen gentium à partir du thème « les évêques et la communion des Églises », un champ d’éthique théologique, dont l’axe majeur était l’interprétation de Gaudium et spes à partir du thème « morale et anthropologie?: la constitution du sujet éthique », et un champ de théologie fondamentale dont l’axe majeur était l’interprétation de Dei Verbum à partir du thème « Histoire et Révélation ».
  • [4]
    Quelques années plus tard, pour les besoins de son propos, le pape Benoît XVI a ramené à deux types opposés les herméneutiques de Vatican II, l’herméneutique de la continuité et de la discontinuité, proposant alors une troisième voie, l’herméneutique de la réforme. En pratique, on peut retracer d’autres propositions et l’herméneutique qui a été faite du concile et de ses enseignements n’est pas réductible à ces deux formes.
  • [5]
    La Bulle se lit ainsi?: Trad. Denzinger-Hünermann, n° 1849, p. 484. La traduction des mots entre crochets est reproduite à partir de Hefele, p. 637.
  • [6]
    Je pense en particulier au commentaire allemand publié sous la direction de H. Vorgrimler dans le LThK et traduit en anglais (1967) ainsi qu’au commentaire francophone paru sous la direction de Y. Congar dans la collection Unam Sanctam (nos 51-75). À cela, il faut ajouter les commentaires particuliers. Je ne fais qu’en signaler quelques-uns?: celui sur la Constitution sur la liturgie paru dans la revue La Maison Dieu (nos 76 et 77) en 1963 et 1964, ceux sur Lumen gentium de G. Philips (L’Église et son mystère au IIe concile du Vatican, Desclée, 1968) et U. Betti (La dottrina sull’episcopato nel Vaticano II, Citta’Nuova, 1968), ceux sur Gaudium et spes (G. Barunà, dir., L’Église dans le monde de ce temps, Desclée de Brouwer, 1968, édition originale en portugais, et K. Rahner et al., L’Église dans le monde de ce temps, Mame, Paris, 1967), etc. Il ne faudrait pas oublier les commentaires de nature plus populaire, notamment ceux publiés par les éditions ouvrières.
  • [7]
    Pour les grands colloques théologiques, on verra A. Schönmetzer (dir.), Acta congressus internationalis de theologia concilii Vaticani II, Typis Polyglottis Vaticanis, Roma, 1968?; L.K. Shook et G.M. Bertrand (dir.), La théologie du renouveau – Texte intégral des travaux présentés au Congrès international de Toronto, Fides – Le Cerf (« Cogitatio Fidei » 34 et 35), 2 vol., Montréal – Paris, 1968, et J.H. Miller (ed.), Vatican II?: an interfaith appraisal. International Theological Conference, University of Notre Dame Press, Notre Dame, 1966.
  • [8]
    On verra la critique que fait K. Schelkens de cette position dans l’introduction à son ouvrage Catholic Theology of Revelation on the Eve of Vatican II. A Redaction History of the Schema De fontibus revelationis (1960-1962), Brill, Leiden, 2010, p. 1-8.
  • [9]
    Ces synopses sont souvent accompagnées des relationes, parfois des interventions et des modi sur les divers textes.
  • [10]
    Le Commentaire de Lumen gentium de Gérard Philips représenterait l’exception.
  • [11]
    « Les lois ecclésiastiques doivent être comprises selon le sens propre des mots dans le texte et le contexte?; si le sens demeure douteux et obscur, il faut recourir aux lieux parallèles s’il y en a, à la fin et aux circonstances de la loi, et à l’esprit du législateur » (c. 17).
  • [12]
    Voir en particulier les études de J.W. O’Malley, « Erasmus and Vatican II?: interpreting the Council », dans A. Melloni et al. (dir.), Cristianesimo nella storia. Saggi in onore di Giuseppe Alberigo,, Il Mulino, Bologna 1996, p. 195-212 et « Vatican II?: Did Anything Happen?? », Theological Studies, 67 (2006), sp. p. 17-33, repris dans J.W. O’Malley et al., Vatican II. Did Anything Happen??, Continuum, New York, 2007. Voir aussi mes études « El Concilio Vaticano II como estilo », Iglesia Viva, 227 (2006-3), p. 23-44 et « Il Vaticano II come stile », La Scuola cattolica, CXXXVI/1 (2008), p. 5-32.
  • [13]
    Voir en particulier C. Theobald, « Le concile et la “forme pastorale” de la doctrine », dans B. Sesboüé et C. Theobald (dir.), La parole du Salut, Desclée, Paris, 1996, p. 470-510 et La réception du concile Vatican II. I. Accéder à la source, Cerf, coll. Unam Sanctam, Paris, 2009, en particulier la troisième et la quatrième parties, p. 281-701.
  • [14]
    « En pleine fidélité au concile du Vatican », La foi et le temps, 10 (1980), p. 274-309 et « Trois caractéristiques de l’Église postconciliaire », Bulletin de théologie africaine, 3 (1981), p. 233-245.
  • [15]
    « Points de vue pour le synode extraordinaire », dans Le synode extraordinaire. Célébration de Vatican II, Cerf, Paris, 1985, p. 653-654?; Kirche – wohin gehst du?? Die bleibende Bedeutung des II. Vatikanischen Konzils, Paderborn, 1986, p. 22-32?; « Hermeneutische Prinzipien zur Auslegung des Vatikanum II », in G.W. Hunold et W. Korff (dir.), Die Welt für morgen?: Ethische Herausforderungen im Anspruch der Zukunft. Festschrift für F. Böckle, München, 1986, p. 413-425 et « Le défi de Vatican II qui demeure?: à propos de l’herméneutique des affirmations du Concile », dans La théologie et l’Église, Cerf, Paris, 1990, p. 411-423. Voir mon article sur cette importante contribution?: « L’ecclésiologie catholique dans le sillage de Vatican II. La contribution de Walter Kasper à l’herméneutique de Vatican II », Laval théologique et philosophique, 60, 1 (2004), p. 1-38.
  • [16]
    « Continuité et innovation dans l’ecclésiologie de Vatican II », dans G. Alberigo (dir.), Les Églises après Vatican II. Dynamisme et prospective, Beauchesne, Paris, 1981, p. 91-116 et « Vers une nouvelle phase de réception de Vatican II. Vingt ans d’herméneutique du Concile », dans G. Alberigo et J.-P. Jossua (dir.), La réception de Vatican II, Cerf, Paris, 1985, p. 43-64.
  • [17]
    Entretien sur la foi, Fayard, Paris, 1985, sp. p. 27-48 et Les Principes de la théologie catholique?: Esquisse et matériaux, Téqui, Paris, 1985 (original allemand 1982), sp. p. 423-440.
  • [18]
    C’est le cas, par exemple, de W. Kasper. Ces principes ou critères sont repris de manière synthétique dans le « Rapport final » de l’assemblée extraordinaire du Synode des évêques en 1985.
  • [19]
    On verra mon article « L’Assemblée extraordinaire de 1985 du synode des évêques?: moment charnière de relecture de Vatican II dans l’Église catholique », dans P. Bordeyne et L. Villemin (dir.), Vatican II et la théologie. Perspectives pour le XXIe siècle, Cerf, Paris, p. 61-88. Toutefois, on observe d’autres entreprises concurrentes qui veulent également diriger l’interprétation du concile.
  • [20]
    Nous pensons notamment au magistère du pape Paul VI. Voir Paolo VI, « Nel Cono di Luce del Concilio ». Discorsi e documenti (1965-1978), M. Vergottini (ed.), Istituto Paolo VI, Brescia, 2006, 480 p.
  • [21]
    Celle-ci a été conduite par A. Marchetto qui critiqua très sévèrement, parfois de manière outrancière, l’interprétation du concile mise en avant par G. Alberigo. Voir « Il Concilio Vaticano II?: considerazioni su tendenze ermeneutiche dal 1990 ad oggi », Archivum Historiae Pontificiae, 38 (2000), p. 275-286. Voir aussi son ouvrage Il Concilio ecumenico Vaticano II. Contrappunto per la sua storia, Libreria editrice vaticana, Roma, 2005. On peut regretter le ton polémique de l’ouvrage qui se ramène à une critique de l’œuvre accomplie par l’équipe qui participa à l’histoire de Vatican II plutôt que la proposition d’une véritable contribution, originale et positive, à l’histoire du concile. L’auteur est plus préoccupé de démolir le travail des autres (sans toujours l’avoir bien compris), que de se risquer lui-même à un travail d’historien du concile.
  • [22]
    G. Alberigo, et c’est là son mérite, a mis en avant des critères d’interprétation du concile. Voir « Critères herméneutiques pour une histoire de Vatican II », dans M. Lamberigts et C. Soetens (dir.), À la veille du Concile Vatican II. Vota et réactions en Europe et dans le catholicisme oriental, Bibliotheek van de Faculteit der Godgeleerdheid, Leuven, 1992, p. 12-23 et « Vatican II et son héritage », Études d’histoire religieuse, 63 (1997), p. 7-24. Ceci dit, il laissa à ses collaborateurs un grand espace de liberté dans le traitement du sujet qui leur était confié. C’est là mon expérience et celle aussi de plusieurs autres collaborateurs. Jamais il ne fit pression pour que nous interprétions dans un sens déterminé les événements qu’il nous revenait de couvrir. Il faut avoir connu également la liberté des discussions et des débats lors des colloques qui accompagnaient la rédaction de la Storia del concilio. On n’avait pas affaire à une école au sens étroit du terme et appliquer la notion d’« École de Bologne » au groupe qui a participé à cette histoire procède de la reconstruction a posteriori et témoigne de l’ignorance du climat de liberté académique dans lequel s’est réalisée cette histoire.
  • [23]
    On peut ainsi consulter J.A. Komonchak, « The-Pope-and-the-interpretation-of-the-Council », http://www.commonwealmagazine.org/blog/?p=1158 ainsi que « Benedict XVI on the Interpretation of Vatican II », Verbo Veritatis, et « Novelty in Continuity. Pope Benedict’s interpretation of Vatican II », America, février 2009.
  • [24]
    Voir Vraie et fausse réforme dans l’Église, Cerf, Paris, 19682, p. 301 ss. Congar, fin connaisseur de Newmann, distingue alors entre l’adaptation-développement et l’adaptation-innovation, la première procédant d’un retour en profondeur au principe et à la tradition, un ressourcement en quelque sorte.
  • [25]
    Sur la question du rôle des intérêts en herméneutique, voir en particulier le débat entre Gadamer et Habermas, spécialement l’ouvrage de Habermas sur Connaissance et intérêt, Gallimard, 1976 [1968].
  • [26]
    Je me réfère ici explicitement à l’expression de Benoît XVI qui parle de « discontinuité à divers niveaux » qui ne signifie pas une discontinuité avec le principe de l’enseignement de l’Église.
  • [27]
    Voir P. Roy, Le Coetus internationalis patrum. Un groupe d’opposants au sein du concile Vatican II, thèse de doctorat (Université Laval et Université Lyon III), Première partie, « La préhistoire du Coetus Internationalis Patrum ».
  • [28]
    Voir G. Routhier, « L’Assemblée extraordinaire de 1985 du synode des évêques?: moment charnière de relecture de Vatican II dans l’Église catholique », p. 61-88.
  • [29]
    Voir P. Bourdieu, « Le marché des biens symboliques », L’Année sociologique 22 (1971), p. 49-126.
  • [30]
    Voir G. Routhier, « The Hermeneutic of Reform as a Task for Theology » à paraître en 2012 dans le Irish Theological Quarterly.
  • [31]
    À leurs yeux, l’enseignement et les réformes mis en avant par Vatican II étaient clairement en « rupture » avec la tradition. Il s’agit là d’un thème permanent dans la littérature traditionnaliste au cours des années 1968-1980. De plus, l’affirmation suivant laquelle, après le concile, on se trouverait en présence d’une « nouvelle Église » est souvent reprise. On la trouve clairement dans un texte de Mgr Lefebvre daté du 21 novembre 1974, texte d’une rare violence, publié quelques jours à peine après la visite apostolique ordonnée par la commission de cardinaux instituée par Paul VI pour traiter du problème posé par la Fraternité Saint Pie X, et qui prélude à la première rupture représentée par la suspense a divinis qui interviendra le 22 juillet 1976. Il écrivait alors?: « Nous adhérons de tout cœur, de toute notre âme à la Rome catholique, gardienne de la foi catholique et ses traditions nécessaires au maintien de cette foi, à la Rome éternelle, maîtresse de sagesse et de vérité. Nous refusons par contre et avons toujours refusé de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante qui s’est manifestée clairement dans le concile Vatican II et après le concile dans toutes les réformes qui en sont issues. […] Aucune autorité, même la plus élevée dans la hiérarchie, ne peut nous contraindre à abandonner ou à diminuer notre foi catholique clairement exprimée et professée par le Magistère de l’Église depuis dix-neuf siècles. […] Cette Réforme étant issue du libéralisme, du modernisme, est tout entière empoisonnée?; elle sort de l’hérésie et aboutit à l’hérésie, même si tous ses actes ne sont pas formellement hérétiques. Il est donc impossible à tout catholique conscient et fidèle d’adopter cette Réforme et de s’y soumettre de quelque manière que ce soit. » Suivant cette rhétorique, il y a deux sujets-Église et l’enseignement de l’Église se partage entre le magistère des dix-neuf premiers siècles et un nouveau magistère. Plus explicite encore, des propos attribués à Mgr Lefebvre à la suite de la suspense a divinis, rapportés par son biographe, Bernard Tissier de Mallerais?: « En définitive, cette suspense me prive de dire la messe… nouvelle, de donner les sacrements nouveaux. On me demande l’obéissance à “l’Église conciliaire”, comme l’appelle Mgr Benelli. Mais cette Église conciliaire est une Église schismatique, parce qu’elle rompt avec l’Église catholique de toujours. Elle a ses nouveaux dogmes [la dignité de la personne], son nouveau sacerdoce, ses nouvelles institutions, son nouveau culte, déjà condamnés en maints documents officiels et définitifs ». Voir aussi son homélie lors des ordinations de juin 1976 qui conduira à la suspense a divinis?: « Cette nouvelle messe est un symbole, une expression d’une foi nouvelle, d’une foi moderniste », B. Tissier De Mallerais, Marcel Lefebvre, une vie, Clovis, 2002, p. 513. Ou encore?: « Le concile, tournant le dos à la Tradition et rompant avec l’Église du passé, est un concile schismatique » (p. 514).
  • [32]
    On verra « Mgr Marcel Lefebvre et le Vatican sous le pontificat de Jean-Paul II. I. – Jusqu’à la mort du cardinal Seper », Itinéraires, 265 bis, août 1982, 68 p.
  • [33]
    « Je déclare également adhérer aux paroles prononcées par Sa Sainteté Jean-Paul II au sujet du concile pastoral Vatican II, le 6 [sic] novembre 1979?: “qu’il faut l’interpréter à la lumière de toute la Sainte Tradition et sur la base du magistère constant de l’Église” ».
  • [34]
    B. Tissier de Mallerais, op. cit., p. 529.
  • [35]
    C’est largement ce que fait J. W. O’Malley, par exemple, quand il dégage la rhétorique propre de Vatican II en situant ses textes dans l’ensemble du corpus constitué par les textes des 21 conciles généraux de l’Occident ou en situant Vatican II dans l’histoire du long XIXe siècle, comme le fait le premier chapitre de son ouvrage L’événement Vatican II, Lessius, Bruxelles, 2011.
  • [36]
    F. Nault, « Comment parler des textes conciliaires sans les avoir lus?? », dans G. Jobin et G. Routhier (dir.), L’autorité et les autorités. L’herméneutique théologique de Vatican II, Cerf, Paris, 2010, p. 229-246.
  • [37]
    Voir la lettre de Paul VI à Mgr Lefebvre du 11 octobre 1976?: « Vous vous dites soumis à l’Église, fidèle à la Tradition, par le seul fait que vous obéissez à certaines normes du passé, dictées par les prédécesseurs de celui auquel Dieu a conféré aujourd’hui les pouvoirs donnés à Pierre. C’est dire que, sur ce point aussi, le concept de “Tradition” que vous invoquez est faussé. La Tradition n’est pas une donnée figée ou morte, un fait en quelque sorte statique qui bloquerait, à un moment déterminé de l’histoire, la vie de cet organisme actif qu’est l’Église, c’est-à-dire le corps mystique du Christ. Il revient au Pape et aux conciles de porter un jugement pour discerner dans les traditions de l’Église ce à quoi il n’est pas possible de renoncer sans infidélité au Seigneur et à l’Esprit Saint – le dépôt de la foi – et ce qui au contraire peut et doit être mis à jour, pour faciliter la prière et la mission de l’Église à travers la variété des temps et des lieux, pour mieux traduire le message divin dans le langage d’aujourd’hui et mieux le communiquer, sans compromission indue. La Tradition n’est donc pas séparable du Magistère vivant de l’Église, comme elle n’est pas séparable de l’Écriture sainte ».
  • [38]
    On sait que, à la suite d’une réunion à Solesmes, en juin 1964, les membres du Coetus décidèrent d’envoyer une supplique à Paul VI pour lui faire part de leurs craintes devant certaines expressions équivoques relevées dans les schémas (sur l’Église, sur l’œcuménisme et sur la liberté religieuse) à l’étude. Les Acta reproduisent quelques copies de cette lettre (AS VI/III, 243-245?; AS III/I, 678-679 et dans les Acta Secretariae generalis, AS VI/III, 339-340). Le 15 novembre, après que la Commission doctrinale eut communiqué l’expansio modorum du chapitre III du De Ecclesia précédé de la Nota explicativa, ils désiraient revenir à la charge en demandant au pape, dans un projet de lettre qu’il n’a pas été nécessaire d’envoyer, d’« ordonner?: que la Déclaration préliminaire, […], soit inscrite soit au début soit à la fin de la dite Constitution, comme fournissant d’une manière unique l’interprétation authentique et vraie de son sens. Que si cela n’était pas fait, il ne serait pas permis à la conscience de notre charge d’être favorables par notre “Placet” à l’approbation de cette Constitution ». Avant le vote (16 novembre 1964, 123e Congrégation générale), le Secrétaire général fit la lecture d’une Notification relative à la qualification théologique des enseignements contenus dans la Constitution. Cette notification reprenait la réponse donnée par la Commission doctrinale le 6 mars 1964. On sait que, dans un modus qu’il avait déposé, le Coetus demandait l’addition de la phrase suivante à la fin du numéro dix-huit?: « Ce synode cependant, désirant conserver son caractère pastoral, n’a pas l’intention de trancher les questions jusqu’ici discutées librement entre théologiens catholiques ». La Commission ne crut pas devoir amender son texte. Elle se contenta de renvoyer aux règles générales qu’elle avait énoncées en mars 1964 (AS III/VIII, 56). À la suite de ces deux sauvegardes, le peritus de Mgr Lefebvre écrivait que l’on avait obtenu par cette note explicative ce que l’on voulait?: « Il est sûrement déplorable, et sans exemple, qu’un texte conciliaire ne se soutienne pas par lui-même, et ait besoin d’une note extrinsèque pour être interprété. Cependant c’est un immense soulagement, et probablement le maximum de ce qu’on peut espérer. Le Souverain Pontife, pour la première fois, rompt le silence et marque ses intentions. […] Avec la “note explicative”, il ne reste rien de la collégialité comme système, d’une prétendue “structure collégiale” de l’Église. À cette heure de ce jour, il semble donc que nos longs, nos douloureux, nos obstinés labeurs aient attiré la pitié divine et le regard de la Sainte Vierge. Il ne semble pas possible que la Constitution, quoique boiteuse, quoique médiocre, quoique retenant des griffures de collégialisme, ne recueille pas demain un “Placet” presque unanime. » P. Roy, Le Coetus internationalis patrum…, p. 859-863.
  • [39]
    Voir la Notification lue par le Secrétaire général du Concile lors de la 171e Congrégation générale, le 15 novembre 1965, sur la qualification de la doctrine exposée dans le Schéma de Constitution soumis aux votes.
  • [40]
    On connaît la querelle autour de l’intitulé du Schéma XIII. Finalement, on inséra une note au début du texte.
  • [41]
    « subito dopo il Concilio, la creazione d’una Supercommissione di poche persone competenti e fedelissime alla Santa Chiesa per la interpretazione autentica delle Costituzioni, Decreti, Dichiarazioni del Concilio Ecumenico Vaticano II, sotto la immediata autorità del Papa, ogni qual volta sorgesse qualche dubbio si verificasse un abuso », AS VI/IV, 668-669.
  • [42]
    Voir P. Roy, Le Coetus internationalis patrum…, p. 1382.
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