Notes
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[1]
Gassendi est malheureusement méconnu en France. Sur l’importance de son œuvre dans la pensée voir Antonia Lolordo, Pierre Gassendi and the Birth of Early Modern Philosophy, Cambridge University Press, Cambridge, 2007.
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[2]
On trouve un développement de cette philosophie de la nature dans l’œuvre de Bernard Bolzano qui écrit : « La première de ces opinions d’école, autrefois soutenues par les physiciens et dont on doit se débarrasser aujourd’hui, est l’hypothèse d’une matière morte ou complètement inerte, dont les parties simples, si tant est qu’elle en ait, identiques les unes aux autres et éternellement invariables, ne possèdent pas de forces propres, sauf celle que l’on appelle la force d’inertie. Ce qui est réel agit nécessairement et dispose donc de forces utiles à son action », Les Paradoxes de l’infini, trad. fr. par Hourya Sinaceur, « Les Sources du savoir », éd. du Seuil, Paris, 1993, p. 167.
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[3]
Dans le langage commun le terme énergie désigne ce qui permet d’effectuer un travail, de fabriquer de la chaleur ou de la lumière et de produire un mouvement. En physique, c’est une grandeur scalaire, exprimée en ML2T-2 (Joules). L’énergie est la mesure unifiée des différentes formes de mouvement. On distingue d’une manière générale l’énergie cinétique qui correspond à la mesure du mouvement des particules de matière, et l’énergie potentielle qui correspond à la mesure du mouvement des particules virtuelles assurant les interactions, c’est-à-dire à l’origine des forces. Ce sont les bosons médiateurs : le graviton pour la force gravitationnelle, le photon pour la force électromagnétique, les bosons W+, W- et Z0 pour l’interaction faible, et les gluons pour l’interaction forte. Un apport important de la physique est la conservation de l’énergie dans les systèmes fermés. Ce principe empirique a été validé. La loi de la conservation de l’énergie découle de l’homogénéité du temps. Elle énonce que le mouvement ne peut être créé et ne peut être annulé : il peut seulement passer d’une forme à une autre. Afin de donner une caractéristique quantitative des formes de mouvement qualitativement différentes considérées en physique, on introduit les formes d’énergie qui leur correspondent.
-
[4]
Cf. Lydia Jaeger, Lois de la nature et raisons du cœur, Peter Lang, Berne, 2007.
-
[5]
« Nous serons plus tard obligés de reconnaître que la seule distinction à établir entre les espèces et les variétés bien tranchées consiste seulement en ce que l’on sait ou que l’on suppose que ces dernières sont actuellement reliées les unes aux autres par des gradations intermédiaires, tandis que les espèces ont dû l’être autrefois » L’Origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie, Garnier-Flammarion, Paris, 2008, p. 558 ; de même, en conclusion du chapitre VIII : « Il n’y a pas de distinction fondamentale entre espèces et variétés » (p. 342).
-
[6]
Darwin est bien conscient de l’importance de cette rupture avec ses grands prédécesseurs ; il écrit dans une lettre à son ami le botaniste Joseph Hooker : « Je me suis engagé depuis mon retour [de mon voyage à travers le monde] dans un travail très présomptueux. […] Au moins quelques lueurs ont émergé, et je suis maintenant presque entièrement convaincu (assez à l’opposé de l’opinion initiale que j’avais en débutant) que les espèces ne sont pas (c’est comme confesser un meurtre) immuables », cité par Jean-Claude Ameisen, Dans la lumière et les ombres : Darwin et le bouleversement du monde, Fayard/Seuil, Paris, 2008, p. 20.
-
[7]
Sur ce thème, cf. Arthur O. Lovejoy, The great Chain of Being, A Study of the History of an Idea, « The William James Lectures delivered at Harvard University », 1933, Harvard University Press, Cambridge, 1936.
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[8]
Cf. Nancey Murphy and William Stoeger, editors, Evolution & Emergence. Systems, Organisms, Persons, Oxford University Press, Oxford, 2007. Cet ouvrage nous semble un des plus clairs sur la question de l’émergence. Une première partie est philosophique ; la deuxième est scientifique et la troisième théologique.
-
[9]
Sur ce point, voir Jean Gayon, L’éternel retour de l’eugénisme, « Science, histoire et société », PUF, Paris, 2006.
-
[10]
Le choix d’éliminer des zygotes porteurs de tare génétique peut avoir une influence sur l’ensemble du pool génétique d’une population donnée, soit pour écarter une maladie, soit pour privilégier un certain type d’humanité. Les problèmes philosophiques posés par cette technicisation de la pratique médicale eugéniste sont étudiés par Dominique Lecourt, Humain, post-humain, « Science, histoire et société », PUF, Paris, 2003.
-
[11]
Ces thèses sont synthétisées dans l’ouvrage encyclopédique dirigé par Boris Cyrulnik, Si les lions pouvaient parler. Essai sur la condition animale, « Quarto », Gallimard, Paris, 1998. Elles sont explicitées et vulgarisées par Jean-François Dortier, L’Homme, cet étrange animal… Aux origines du langage, de la culture et de la pensée, éd. Sciences humaines, Paris, 2004 ; Pascal Picq, Nouvelle histoire de l’Homme, Perrin, Paris, 2005 ; Frans de Waal, Le Singe en nous, Fayard, Paris, 2005. Pour une analyse critique, voir Intelligence animale, intelligence humaine, Colloque sous la direction de Michel Delsol, Bernard Felz, Marie-Claire Groessens, Vrin, Paris, 2008.
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[12]
Sur ce point, voir notre étude : « En quête du propre de l’Homme », Revue Thomiste, 2009, n° 2, p. 253-307. Dans cette étude nous relevons l’importance d’une étude philosophique qui dénote bien la manière dont les sciences humaines et les sciences de la vie s’accordent pour récuser non seulement le dualisme, mais la reconnaissance d’une transcendance de l’être humain par rapport au monde animal ; Jean-Marie Schaeffer, La Fin de l’exception humaine, « NRF essais », Gallimard, Paris, 2007.
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[13]
Le premier à avoir avancé cette idée fut l’Abbé de Condillac.
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[14]
Cf. Pierre Kerszberg, L’Ombre de la nature, Cerf, Paris, 2009.
-
[15]
Par exemple, au moment de son prix Nobel, Gilles Cohen-Tannoudji, La Matière-espace-temps, Fayard, Paris, 1986.
-
[16]
Les philosophes spécialistes de sa pensée sont souvent et à bon droit agacés par cette reprise fondée sur quelques fragments.
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[17]
Telle est l’attitude d’Einstein ; elle est étudiée en détail dans Max Jammer, Einstein and Religion. Physics and Theology, Princeton University Press, 1999, p. 44-46 et rapidement située par Jacques Merleau-Ponty, Einstein, « Figures de la science », Flammarion, Paris, 1993, p. 254-256.
-
[18]
Albert Einstein, Œuvres choisies, t. 5 : Science, éthique, philosophie, « Sources du savoir », Seuil/CNRS, Paris, 1991. On trouve dans cet ouvrage le poème écrit à la gloire de Spinoza, qui commence par « Combien j’aime cet honnête homme… », p. 247.
-
[19]
Texte cité dans Ilse Rosenthal-Schneider, Reality and Scientific Truth, Wayne State University Press, Detroit, 1980, p. 99.
-
[20]
Une anthologie de citations est donnée dans l’ouvrage édité à l’Université hébraïque de Jérusalem, Albert Einstein, Pensées intimes, « Anatolia », éd. du Rocher, Paris, 2000. Voici quelques extraits de lettres : « Tout homme sérieusement impliqué dans la recherche scientifique devient convaincu qu’un esprit se manifeste à travers les lois de l’Univers – un esprit largement supérieur à celui de l’homme. […] De cette manière, la recherche scientifique conduit à un sentiment religieux d’un genre spécial, qui est en vérité tout à fait différent de la religiosité de quelqu’un de plus naïf » (p. 139) ; « Je n’ai pas trouvé de meilleure expression que « religieux » pour qualifier la confiance en la nature rationnelle de la réalité, pour autant qu’elle est accessible à la raison humaine. Chaque fois que ce sentiment fait défaut, la science dégénère en un empirisme dénué d’inspiration » (p. 142) ; ou encore : « Je ne crois pas en un Dieu personnel et je ne l’ai jamais caché. Bien au contraire, je l’ai exprimé clairement. S’il y a quelque chose en moi qui peut être qualifié de religieux, c’est l’admiration sans limites pour la structure du monde, pour autant que la science soit en mesure de la révéler » (p. 144).
-
[21]
Bernard D’Espagnat, À la recherche du réel : le regard d’un physicien, Bordas, Paris, 1981 ; Une incertaine réalité : le monde quantique, la connaissance et la durée, Gauthier-Villars, Paris, 1986 ; Le Réel voilé, analyse des concepts quantiques, Fayard, Paris, 1994 ; Traité de physique et de philosophie, Odile Jacob, Paris, 2002.
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[22]
Cf. Maurice Thiron, Les Mathématiques et le réel, « IREM-Histoire des mathématiques », Ellipses, Paris, 1999.
-
[23]
Comme l’atteste la réception du prix Templeton. B. D’Espagnat écrit : « Ce qui me rapproche quelque peu de Spinoza, c’est qu’il n’admet qu’une seule substance, qui est Dieu, qui est perçue (ou conçue), soit comme matière (ou étendue), soit comme esprit ; ce qui rapproche un peu le Dieu spinozien de mon réel voilé, que nous percevons, soit sous les apparences d’objets, soit sous celles d’états de conscience. Mais ce qui m’en éloigne, c’est qu’il considère cette substance comme connaissable », Le Monde des religions, janvier-février 2010, p. 25.
-
[24]
Cf. François Clarac et Jean-Pierre Ternaux, Encyclopédie historique des neurosciences, De Boeck, Bruxelles, 2008 ; Jean Delacour, Une introduction aux neurosciences cognitives, De Boeck, Bruxelles, 1998.
-
[25]
John L. Bradshaw, Évolution humaine : une perspective neuropsychologique, De Boeck, Bruxelles, 2003.
-
[26]
Michael S. Gazzanika, Richard B. Ivry, George Morgan, Neurosciences cognitives. La biologie de l’esprit, De Boeck, Bruxelles, 2001.
-
[27]
Cf. L’anthologie : Philosophie de l’esprit, t. I : Psychologie du sens commun et sciences de l’esprit, t. II : Philosophie de l’esprit, Vrin, Paris, 2003 ; elle offre des extraits des principaux auteurs nord-américains qui donnent un aperçu de la naturalisation de l’esprit, entendons l’explication par causes naturelles comprises comme relevant de la biologie, de la physiologie ou de la sociologie. La linguistique joue un rôle important puisque la communication langagière est considérée comme médiation structurante.
-
[28]
Francisco Varela, Invitation aux sciences cognitives, Seuil, Paris, 1988 ; Autonomie et connaissance. Essais sur le vivant, Seuil, Paris, 1989 ; L’Inscription corporelle de l’esprit, Seuil, Paris, 1993 ; Dormir, rêver, mourir. Explorer la conscience avec le Dalaï Lama, Nil édit., Paris, 1998.
-
[29]
Antonio R. Damasio, Spinoza avait raison : joie et tristesse, le cerveau des émotions, Odile Jacob, Paris, 2003.
-
[30]
Sur la notion d’émergence, voir Anne Fagot-Largeault, L’Émergence, dans Philosophie des sciences, t. II, « Folio-Essais », Gallimard, Paris, 2002, p. 939-1047.
-
[31]
En particulier dans Principes de la philosophie, Première partie, article 28.
-
[32]
La notion de mesure est un concept clé du travail mathématique. Elle généralise les notions élémentaires d’intégration de fonctions continues à tout le champ de l’analyse de la topologie et de la géométrie.
-
[33]
La théologie naturelle doit beaucoup à Newton et à des œuvres comme Derham, The Physico-theology et Ray, The Wisdom of God manifested in the works of the Creation.
-
[34]
L’expression traduit imago Dei utilisée par Leibniz à raison de la simplicité des lois mathématiques et de leur unité. Sur cette expression voir Véronique Le Ru, La Nature miroir de Dieu. L’ordre de la nature reflète-t-il la perfection du Créateur ?, « Cahiers d’histoire et de philosophie des sciences », Vuibert, Paris, 2009.
-
[35]
Martin Heidegger a usé de la richesse du terme grec physis pour introduire le dépassement de l’ontique. Il écrit en effet : « Nous laissons encore sans traduction le mot fondamental phusis. Nous ne disons pas natura ou Nature, parce que ces mots sont trop équivoques et chargés – et pour tout dire parce qu’ils ne reçoivent leur force nominative que d’une interprétation très particulière et très orientée de la phusis. Nous n’avons en fait aucun mot pour penser en une parole le mode de déploiement de la phusis telle qu’il a été clarifié jusqu’ici. Nous tentons de dire Aufgang – la levée de ce qui se dresse en s’ouvrant – mais nous restons impuissants à donner sans intermédiaire à ce mot la plénitude et la détermination dont il aurait besoin », Questions II, Gallimard, Paris, 1968, p. 208-209.
-
[36]
Les spéculations cosmologiques sur les « multivers » restent dans ce cadre, puisqu’ils sont construits selon des exigences rationnelles présentes dans la science construite dans notre univers.
-
[37]
On lui doit le célèbre apologue du promeneur qui trouve une montre sur la plage et qui conclut qu’une telle œuvre n’est pas le fruit de la nature, mais de l’industrie humaine et l’attestation de la transcendance de l’intelligence d’un concepteur ; ainsi le spectacle du monde conduit à reconnaître sa création par « le grand horloger ».
-
[38]
Il écrit dans son autobiographie : « Pour passer l’examen de Bachelier, il était également nécessaire de posséder Les Évidences du christianisme de Paley et sa Philosophie morale. J’y mis un grand soin, et je suis convaincu que j’aurais pu transcrire la totalité des Évidences avec une correction parfaite, mais non bien sûr dans la langue de Paley. La logique de ce livre, et je puis ajouter, de sa Théologie naturelle, me procura autant de plaisir qu’Euclide. L’étude attentive de ces ouvrages, sans rien essayer d’apprendre par cœur, fut la seule partie du cursus académique qui, comme je le sentais alors et comme je le crois encore, se révéla de quelque utilité pour l’éducation de mon esprit. Je ne me préoccupais pas à cette époque des prémisses de Paley ; m’y fiant d’emblée, j’étais charmé et convaincu par la longue chaîne de son argumentation. » (Autobiographie, Seuil, Paris, 2008, p. 43).
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[39]
Darwin l’expose clairement : « Le vieil argument d’une finalité dans la nature, comme le présente Paley, qui me semblait autrefois si concluant, est tombé depuis la découverte de la loi de sélection naturelle. Désormais nous ne pouvons plus prétendre que la belle charnière d’une coquille bivalve doive avoir été faite par un être intelligent, comme la charnière d’une porte par l’homme. Il ne semble pas qu’il y ait une plus grande finalité dans la variabilité des êtres organiques ou dans l’action de la sélection naturelle, que dans la direction où souffle le vent » (Autobiographie, op. cit., p. 83).
-
[40]
Face à cette question, il est bon d’entendre cette remarque de Paul Ricœur dans son traité sur le Mal ; ce philosophe dénonce le malheur de la théologie quand elle ne tient pas compte « de ce que la tâche de penser Dieu et de penser le mal devant Dieu peut ne pas être épuisée par nos raisonnements conformes à la non contradiction et à notre penchant pour la totalisation systématique » (Lectures 3, édit. du Seuil, Paris, p. 212).
-
[41]
Autobiographie, op. cit., p. 87.
-
[42]
Darwin a eu dix enfants, dont deux sont décédés – ce qui l’a conduit à récuser la notion piétiste de Providence.
-
[43]
Notons que si Darwin reste dans une problématique religieuse, la philosophie rationnelle française opère une réduction analogue ; elle ne le fait pas en matière religieuse, mais en matière métaphysique. La notion de nature est dépouillée de toute dimension métaphysique ; on ne parle plus d’essence de la nature, mais d’économie de la nature. Le passage est clairement dit dans Henri Poincaré, La Science et l’hypothèse, Flammarion, Paris, 1968 (1902), et par Werner Heisenberg, La Nature dans les sciences physiques, Gallimard, Paris, 1962 ; la nature n’a pas pour eux de sens métaphysique, mais seulement conceptuel.
-
[44]
Cet enracinement dans le monde de la souffrance porte certains auteurs à renouer avec la tentation gnostique. Plusieurs auteurs thématisent le processus cosmique dans cette perspective. Un astrologue, Michel Cassé, le fait sans réserve. Mais ce n’est sans doute qu’une coïncidence de vocabulaire et une certaine naïveté dans Du vide et de la création, Odile Jacob, Paris, 1993.
-
[45]
Xavier Le Pichon, Aux racines de l’homme : de la mort à l’amour. Un regard nouveau sur l’émergence de l’espèce humaine, Renaissance, Paris, 2007.
-
[46]
Dans The Descent of Man (1871).
-
[47]
Dominique Lambert, Comment les pattes viennent au serpent ? Essai sur la l’étonnante plasticité du vivant, Flammarion, Paris, 2002.
-
[48]
Jürgen Habermas, L’Avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral ?, Gallimard, Paris, 2002 ; Jean Gayon, L’éternel Retour de l’eugénisme, « Science, histoire et société », PUF, Paris, 2006.
-
[49]
Cf. Claude Debru, Le Possible et les biotechnologies, « Science, histoire et société », PUF, Paris, 2003.
-
[50]
Dominique Lecourt, Humain, post humain. La technique et la vie, « Science, histoire et société », PUF, Paris, 2003.
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[51]
Cf. Jean Gayon et Daniel Jacobi, L’éternel Retour de l’eugénisme, PUF, Paris, 2006.
-
[52]
Théodore Dobzhansky, L’Homme en évolution, Flammarion, Paris, 1966 : « L’homme a été doté non d’une morale et de valeurs, mais de la faculté de les acquérir. Les valeurs de l’homme sont les produits de sa culture non de son génotype », p. 388.
-
[53]
Cf. Pierre Gibert, L’Inconnue du Commencement, Seuil, Paris, 2007.
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[54]
Thème bien connu de la Deep Ecology.
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[55]
« L’art imite la nature – hè teknè mimeîtai phusin », Aristote, Physique, II, 2, 194 a 21. Cette expression aristotélicienne est importante pour définir la spécificité de l’action humaine ; elle s’enracine dans les lois de la nature, mais elle fait ce que la nature ne peut faire quand elle est laissée à elle-même. Un satellite ne viole pas les lois de la pesanteur quand il se libère de l’attraction de la Terre. En ce sens, les lois de la science sont impératives. Ceci vaut pour le monde des vivants pour qui les lois de la biologie s’imposent de manière stricte. Mais la réalisation est d’un autre ordre. Telle est la spécificité humaine : un pouvoir faire autre chose que ce qui est imposé. C’est en ce sens que l’on peut parler de réflexion : l’humanité est vis-à-vis de la nature dans une position d’altérité.
-
[56]
Cf. Pierre Lena, Sur les traces du vivant, de la terre aux étoiles, Le Pommier, Paris, 2002.
-
[57]
Nous avons développé cet aspect de l’anthropologie pour servir de base à une christologie renouvelée. Le corps du Christ est lui aussi microcosme du macrocosme ; lorsqu’il ressuscite commence un monde nouveau qui transforme en gloire les éléments du monde ancien. La nouvelle création est un épanouissement des richesses de la première création dont tous les éléments sont repris. Jean-Michel Maldamé, Le Christ et le cosmos, Vrin, Paris, 2001 et Le Christ pour l’univers, « Jésus et Jésus-Christ », Desclée, Paris, 2000.
-
[58]
Sur la valeur de ce principe, voir Dominique Lambert et Jacques Demaret, Le Principe anthropique : l’homme est-il le centre de l’univers ?, Armand Colin, Paris, 1994.
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[59]
La perspective est développée par Simon Conway Morris, The Deep Structure of Biology, Templeton Fondation Press, 2009.
-
[60]
Ces arguments sont repris dans un autre sens par les tenants de l’Intelligent Design dans les travaux de Michael Behe, La Boîte noire de Darwin, Renaissance, Paris, 2009.
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[61]
Il n’est pas exact de raisonner comme le font les adeptes du fine tuning puisqu’on ne sait pas ce qui se serait passé si les conditions initiales avaient été autres, mais en fonction de ce qui est on peut juger de ce qui fut.
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[62]
Sur ce thème voir, Pierre Hadot, Le Voile d’Isis. Essai sur l’histoire de l’idée de Nature, « nrf-essais », Gallimard, Paris, 2004.
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[63]
Thème anthropologique développé par Denis Vasse, Le Temps du désir, Seuil, Paris, 1969.
1C’est une grande surprise pour les universitaires français : le magistère de l’Église catholique met au premier plan de son enseignement moral la notion de loi naturelle. Il le fait pour un usage interne, en rappelant aux fidèles la doctrine traditionnelle, mais aussi avec le souci de s’adresser à la « société civile », censée pouvoir entendre un propos enraciné dans une source non confessionnelle. Un de ses objectifs est de montrer que le fondement de ses propositions éthiques ne se réduit pas à la Bible, ni à la dogmatique. Beaucoup sont étonnés. Pour les juristes, la référence à la loi naturelle est sortie du champ de la culture moderne. Les biologistes sont conscients de la plasticité du vivant. Les physiciens se gardent d’absolutiser leurs modèles, tant en physique quantique qu’en cosmologie. Quant aux sciences humaines, elles sont si diversifiées dans leurs approches que la référence à un socle universel leur semble plus que problématique. Aussi le projet de traiter de la nature en lien avec la culture moderne est-il un défi. Il sera ici conduit en se souvenant d’une parole de Jacques Maritain relevant que toute métaphysique vieillit à raison de la physique qui la sous-tend. Pour cette raison, la première partie sera consacrée à ce que l’on appelle traditionnellement « philosophie de la nature » pour dégager une notion confirmée par l’approche scientifique ; la deuxième traitera de l’image de la nature qui en résulte et la troisième s’attachera à ce qui est spécifiquement humain.
Philosophie des sciences et de la nature
2Dans le monde universitaire, il est traditionnel de parler de « sciences de la nature ». Certains esquivent l’expression et parlent de « sciences dures » par opposition aux « sciences humaines » ; cette épithète métaphorique exprime un certain scientisme réduisant la raison et la rigueur à l’expérimentation et au calcul. D’autres s’obstinent à dire « sciences exactes » à raison de la rigueur mathématique de leur langage ; là encore l’usage d’une mathématique probabiliste ou non linéaire a mis à mal cette expression. La reprise de l’expression ancienne est pourtant habituelle parce qu’elle note que la science s’attache à un donné qui n’est pas le fait de l’activité humaine, la nature. Tel est le premier sens du mot nature dans le langage universitaire : ce qui est face aux scientifiques en quête de l’intelligibilité du monde par les sciences qui prennent en compte tel ou tel aspect, de l’astronomie à la géologie, de la biologie à la cosmologie… et aussi de l’anthropologie à la sociologie. Il y a alors lieu de s’interroger sur le sens même du mot donné, comme le font les philosophes modernes héritiers de la phénoménologie. Le terme renoue avec la métaphysique soucieuse de relever que s’il y a un « donné », il convient de s’interroger sur la donation, voire sur un donateur de sens ou d’être.
Une expression au singulier
3En premier lieu, il importe de relever que la notion de nature est employée au singulier, tandis que les sciences sont plurielles. Cette manière de parler atteste un choix qui, pour être ancien, n’est pas caduc. Parler au singulier et dire « la nature » signifie que l’on accorde une unité à ce qui devient objet de science ; le pluriel, attribué aux sciences, atteste la multiplicité des regards portés sur ce donné, en fonction de la méthode d’étude et de la problématique propre à telle ou telle science. Cette reconnaissance de l’unité est au fondement de la pensée occidentale. Dans l’univers sacralisé du paganisme, les événements étaient régis par la volonté d’êtres divins. Le comportement humain devait s’adapter à leur vouloir d’autant plus confus qu’il était le fruit d’un antagonisme qui rendait l’avenir imprévisible. La multiplicité des dieux était en effet source de confusion, puisque leurs intérêts, voire leurs passions, les plaçaient en conflit. Leur multiplicité était aussi renforcée par la possibilité de prendre diverses formes, tant par ruse que par nécessité. Les rites exprimaient le besoin de conjurer les forces actives dans le monde par soumission, ruse ou sacrifices pour conjurer leur malveillance et appeler leur bienveillance. La correspondance du céleste et du terrestre, thématisée par l’astrobiologie, universalisait cette attitude. La naissance de la culture philosophique, scientifique et politique a rompu avec cette tradition. La réalité a été comprise comme régie par une exigence de rationalité exprimée par les termes de nomos et de logos. La loi et la raison devenaient les maîtres mots de la conduite humaine appelée à être en harmonie avec un ordre premier inscrit en toute chose, tant sur la Terre que dans les cieux. Cette nouvelle vision se voit dans le fait que l’on est passé de l’appellation de tout (to pan), à celle de kosmos, c’est-à-dire de totalité harmonieuse, parce que réglée par les lois de l’univers. Le langage humain s’adaptait à cette vision du monde qui pouvait légitimement entreprendre d’en donner une représentation ordonnée et structurée ; cette démarche était possible grâce à un langage conforme aux exigences de la communication entre les hommes, selon une exigence de vérité, entendue comme accord entre la pensée et le réel et plus encore comme manifestation d’une raison immanente. L’usage du singulier dans le terme de nature est le fruit de cette décision fondatrice de la pensée occidentale, devenue bien commun de l’humanité.
4Cette unité, exprimée par le singulier, a été un point commun à toutes les grandes philosophies. Leurs débats se sont fondés sur la commune conviction que le tout est un cosmos et qu’il y a une correspondance entre l’esprit humain et l’ordre de l’univers. Le platonisme la voit dans la perfection du chiffre et dans la transcendance de l’idée. L’aristotélisme la pense dans l’articulation des causes dans une même finalité. Le stoïcisme l’exprime en termes de participation et de communion. Ces options donnent des visions du monde fort différentes, mais toutes sont d’accord pour reconnaître que le donné, ce que l’être humain trouve devant lui en venant au monde, est structuré par un ordre immanent. Cet acte de penser s’accorde à une conception du divin marquée par le primat de l’un. L’unité a une dimension religieuse, celle qui a permis la rencontre et une certaine osmose entre l’hellénisme et la pensée biblique, dans le judéo-hellénisme d’abord, puis chez les Pères de l’Église. Cette rencontre était-elle définitivement acquise ?
5La découverte du monde par les Européens a brisé avec une image simplifiée de l’unité des cultures et des civilisations. Cette rupture a été renforcée par l’expérience politique dès le début du XXIe siècle, où des mondes culturels, qui s’effaçaient devant la domination occidentale, se dressent avec assurance (voire arrogance comme l’islam radical) contre la prétention à l’universalité de la pensée occidentale. Cette remise en cause ne vaut pas pour le savoir scientifique, dont le langage formel est étranger aux représentations culturelles et religieuses les plus partagées. Pour cette raison, il faut noter l’importance de la « théologie naturelle » qui reprend à son compte les intentions de la quête stoïcienne d’une « religion naturelle », comme fondement de l’œcumène. Quelle est la philosophie de la nature sous-jacente à la science moderne ?
Contingence et probabilité
6La science classique, inaugurée au XVIIe siècle par les travaux de Galilée, reposait sur une nouvelle mécanique, dite « mécanique rationnelle ». Celle-ci faisait droit au « principe d’inertie », dont la formulation rigoureuse a été donnée par Gassendi et la reconnaissance philosophique obtenue par Descartes [1]. Pour elle, la matière est inerte et la science reste une cinématique. Leibniz le premier a récusé cette vision et introduit une dynamique [2] ; mais cette référence ne changeait pas sa vision d’ensemble de la nature centrée sur la notion de matière. C’est avec la physique du XXe siècle que la science a profondément changé, et que le terme énergie est devenu le maître-mot de la physique [3]. Ce changement de conceptualisation est attesté par la célèbre expression d’Einstein, qui est comme la clef de voûte de la mécanique relativiste ; elle exprime l’équivalence entre la masse et l’énergie (E = mc2) ; la matière est une forme particulière de l’énergie. Ce mot signifie au plan philosophique que le fond de toute chose est l’énergie, dans un sens différent de celui qu’il avait chez Aristote où il désignait ce qui relevait de l’action de la forme. Le terme « énergie » est maintenant employé pour nommer le fond des choses. La construction des grands accélérateurs de particules est au service d’une ambition : accéder à ce fond dont le modèle standard de la physique quantique rend imparfaitement raison.
7Ce changement de repère ultime pour le monde observable par les moyens de la science a une incidence sur la notion de loi. Celle-ci n’est plus une règle infaillible à laquelle sont soumis des éléments ultimes (l’atome était imaginé à l’instar d’un système solaire en réduction), mais l’expression du dynamisme de ces éléments doués d’une capacité d’action et d’interaction. La loi cesse d’être l’invariant absolu que certains identifiaient avec la pensée de Dieu [4]. Les analyses d’Émile Boutroux dans La Contingence des lois de la nature (thèse de 1874) sont devenues très actuelles. Les perspectives induites par la mécanique quantique récusent la vision déterministe. Celle-ci est remplacée par une vision statistique des interactions causales et, par le fait même, accorde le primat au devenir.
8Cet élément venu de la physique fondamentale est confirmé par la théorie de l’évolution. La notion était jusqu’alors liée à la notion de finalité, puisque Kant, en adoptant la vision mécaniste de Newton, avait placé les vivants hors du jeu des forces physiques. Il avait gardé la notion de finalité comme trait caractéristique. La théorie de l’évolution introduit une perspective aléatoire dans l’agencement des facteurs qui président à la formation des espèces – transformisme ou spéciation. Si Darwin était resté dans l’ignorance de ce qui fonde la variation dans la transmission de la vie, la génétique a donné par la suite une explication et, de ce fait, elle a écarté toute idée de finalité au processus vital qu’elle étudie. Le changement de paradigme repose sur un point précis : la notion d’espèce. Darwin avait bien conscience que la notion d’espèce devait être repensée [5]. Il avouait avoir l’impression de commettre une sorte de parricide à l’égard de ses grands prédécesseurs, en l’occurrence Linné, quand il plaçait les espèces au même niveau conceptuel que les variétés dans une arborescence qui traçait des continuités dans l’arbre généalogique des vivants [6]. La notion d’espèce ne se réfère pas à un invariant, transmis inéluctablement, mais à la caractérisation d’une population donnée située dans un contexte particulier et dans une dynamique propre de reproduction. Il s’agit bien d’un paradigme au sens strict, puisque la notion ne se limite pas à la pratique taxonomiste ; elle a une implication philosophique. Elle a aussi une répercussion théologique, puisque la notion d’espèce était présentée depuis saint Augustin comme ce que Dieu pensait en créant le monde – idée platonicienne appliquée au récit de la Genèse. La notion théologique de création, étroitement liée à l’idée de séparation dans le premier récit fondateur de la Bible (Gn 1, 1-2, 4a), est tenue à distance. Le changement de paradigme à propos de la notion d’espèce donne à penser une continuité entre tous les vivants ; l’adage natura non facit saltum joue un autre rôle que dans la biologie aristotélicienne et dans la vision de la grande chaîne des vivants chez Leibniz [7] ; il marque l’unité des vivants et le primat du devenir dans l’explication de la vie. Une confirmation de ce changement est donnée par le fait que la notion d’émergence prend une importance décisive dans l’explication scientifique [8]. La philosophie de la nature repose désormais sur le principe que tout doit être compris comme le fruit d’une histoire. La notion de genèsis, sous la forme francisée de genèse, s’impose en tout domaine : cosmogenèse, biogenèse et anthropogenèse. Sans attendre, il faut relever l’importance de ce primat du devenir pour l’humanité, dont on perçoit tout de suite que le principe de continuité dépasse la prétention à être mise à part dans l’étude scientifique.
L’humanité parmi les vivants
9Un des principes de la théorie de l’évolution est que l’humanité ne doit pas être exclue de l’arbre de vie, ni dispensée de vivre selon les mêmes lois que les autres vivants. Il en résulte une dimension nouvelle de l’anthropologie. Dans le cadre d’une pensée articulée à la mécanique rationnelle, Descartes avait séparé les deux « substances » fondamentales, la matière et l’esprit ; les animaux étaient réduits à être des machines et l’homme, « maître et possesseur de la nature », situé dans une position royale. Dans la perspective de Kant où les vivants étaient caractérisés par la finalité, la vie humaine était plus haute à raison de sa vie morale ou religieuse. Dans une pensée dominée par l’idée de devenir, l’anthropologie est déplacée. D’une part, l’être humain n’est plus une exception dans le monde des vivants. La population humaine est une parmi d’autres. Le principe de continuité impliqué dans la théorie de l’évolution se voit dans trois disciplines nouvelles : la génétique, l’éthologie et l’écologie.
101) Les connaissances en génétique apportent des éléments nouveaux qui n’exemptent pas les humains de devoir assumer la plasticité des vivants. L’aspect le plus connu est constitué par les thérapies géniques à raison des campagnes de recherche de fonds pour traiter des maladies héréditaires liées à des « erreurs » de copie des gènes parentaux, ou à la transmission des « tares » inscrites dans le génome. L’intervention sur le génome humain peut se faire lorsque l’on procède à une fécondation in vitro. L’équipe médicale peut analyser le génome du zygote, discerner s’il y a ou non une tare et tenter une intervention qui permettra d’éradiquer une maladie incurable autrement. Les débats éthiques sont importants à ce propos et ils se placent dans la perspective de la critique de l’eugénisme [9] ; ils ne doivent pas occulter ce qui relève de l’anthropologie fondamentale : on ne peut définir biologiquement la nature humaine comme un invariant. Certes pour qu’il y ait une évolution significative, il faut de très nombreuses générations (plusieurs milliers au minimum) et l’avenir immédiat de l’humanité n’est pas en cause – encore qu’à raison de la puissance technique en matière médicale, la question soit posée [10]. En tout état de cause, il faut prendre en compte la variabilité de la population humaine d’autant que la puissance de l’intervention sur le génome dès sa conception peut modifier plus rapidement une population que ne peut le faire la succession des générations.
112) Le deuxième élément qui remet en cause les séparations tranchées de l’âge classique vient de l’éthologie. Cette discipline s’est rapidement développée et depuis un demi-siècle les observations, tant en laboratoire ou dans les élevages que dans les sites encore sauvages, ont conduit à cesser d’opposer le comportement des animaux et ceux des humains. L’éthologie se présente comme une science qui saisit dans le monde des animaux proches de l’homme des aptitudes qui ne sont pas fondamentalement différentes de celles des humains. On relève chez certains « animaux supérieurs » des comportements jusque-là considérés comme faisant partie du « propre de l’homme », à savoir : prise en charge des nouveaux-nés, apprentissage auprès des parents, invention de moyens d’action qui sont de l’ordre de l’outil, communication par des systèmes de signes qui relèvent déjà d’une structure langagière, voire un comportement altruiste [11]. Tout cela conduit à parler d’intelligence animale. La question est posée de savoir s’il s’agit d’une différence de nature ou de degré entre l’intelligence humaine et celle des animaux [12]. L’idée dominante est qu’il s’agit seulement d’une différence de degré [13] ; elle est certes très importante, mais il y a une continuité réelle. La difficulté de saisir temporellement les débuts de l’humanité confirme cette vision où les seuils ne sont pas clairement perceptibles.
123) Le troisième aspect de la considération nouvelle de la place de l’humanité dans le monde des vivants vient de l’écologie. La notion de système est dominante et la population humaine est considérée comme une population parmi d’autres dont le rôle est analysé selon les mêmes méthodes et jugé selon les mêmes critères. Il apparaît alors que l’humanité est considérée comme une population soumise aux exigences d’équilibre et de coopération qui s’imposent à toutes les espèces, au sein de la bio-diversité. La revendication écologique n’est pas seulement motivée par la survie de l’espèce humaine, mais aussi par les droits des autres vivants. L’humanité n’a pas de droits absolus sur les autres populations ; elle est étroitement insérée dans l’arbre des vivants, une espèce parmi d’autres.
13Ainsi la science actuelle, dans ses grands axes, porte-t-elle une philosophie de la nature où le paradigme de l’évolution est dominant. La notion de processus implique la continuité et la variabilité. La philosophie immanente à la théorie scientifique de l’évolution est présente dans cette vision qui ne se limite pas au monde des vivants, car elle englobe aussi la cosmologie. Le modèle standard est un modèle évolutif ; la compréhension de la nature humaine s’inscrit dans ce cadre.
14Lorsqu’il faut recourir à une notion globale, le concept de nature apparaît dans un sens qui n’est plus celui de la science classique. Faut-il y renoncer ? Certains philosophes le pensent en plaçant le concept de nature hors du champ de la réflexion métaphysique [14]. Nous pensons au contraire que les éléments nouveaux fondés sur l’expérience invitent à repenser le concept et à accepter le risque de reconnaître une pensée unifiée et pour cela, voir quelle conception de la nature en général est proposée par cette philosophie de la nature.
Rationalité et créativité dans la nature
15La notion de nature employée au singulier est métaphysique. Elle ne peut être ramenée à une vision unique dans le souci de son enracinement dans l’expérience humaine où la science joue un rôle important. Les publications scientifiques sont très sobres. Elles se contentent de l’étude d’un problème particulier ; cette limitation ne permet pas de voir les implications philosophiques puisque le résultat est très spécialisé. Or les scientifiques qui occupent le premier plan sont souvent sollicités pour écrire des ouvrages d’ensemble sur leurs travaux ou sur leur discipline [15]. C’est alors que l’on voit paraître leur philosophie. La lecture des traités écrits par les savants montre qu’elle est une prise de position philosophique ; qu’elle soit souvent implicite n’enlève rien à leur valeur. L’usage du terme « nature » en manifeste les grandes orientations : reconnaissance que c’est un donné premier au sens où ce n’est pas le fruit de l’industrie humaine et usage du singulier attestant la conviction de l’unité.
La mère nature
16Nombre de scientifiques utilisent le terme nature comme sujet des opérations et actions observées. La formulation de base consiste à dire : « la nature a fait… ». Souvent dans les traités où il est question de la vie, on trouve l’expression : « l’évolution a fait… ». Ainsi la nature est quasi substantialisée, voire personnifiée, et considérée comme puissance qui produit ce qui est donné. Ce vocabulaire renoue avec le sens originel du terme de nature. Le terme français transcrit le latin natura qui vient du verbe nascor, naître, traduisant le grec physis venant lui aussi de la racine verbale signifiant « naître » ou encore « tenir son origine de ». La notion de naissance renvoie à une image maternelle et l’on peut ainsi voir une reprise d’une longue tradition philosophique.
17La nature est le principe immanent compris comme source de l’énergie sous toutes ses formes. Le mot ne se limite pas à la physique, il prend un statut ontologique à partir des analogies tirées de la maternité. Ce sens matriciel est le fruit du principe selon lequel la science se doit de donner une explication exhaustive et qu’il ne convient pas d’introduire d’autres acteurs comme dans la mentalité magique ou religieuse. Ce principe engage bien des esprits à une philosophie de style moniste. Il est significatif que sur ce point nombre de scientifiques en quête d’une justification ontologique de leur travaux se réfèrent à Spinoza. Il est clair que leur connaissance de Spinoza n’est pas celle du spécialiste [16] ; pourtant leur lecture n’est pas superficielle, dans la mesure où ils ont perçu que le monisme est une justification de leur travail et des principaux résultats de leur recherche qui sont ainsi unifiés [17]. Nous citerons trois manières de le faire significatives de conceptions différentes de la nature, unifiée par une perspective moniste.
181) Nul n’ignore qu’Einstein se référait à Spinoza [18]. Celui-ci se présentait aux yeux d’Einstein comme un modèle de juif émancipé vis-à-vis des observances, libre dans la conduite de sa recherche, indépendant de toute inféodation politique. Cette prégnance ne saurait faire oublier que la raison fondamentale est liée à une forme religieuse de rationalité. Elle apparaît quand Einstein écrit : « Mes conceptions sont proches de celles de Spinoza : admiration pour la beauté, et foi en la simplicité logique de l’ordre et de l’harmonie que nous ne pouvons appréhender qu’avec humilité et de façon seulement imparfaite [19] ». Ainsi la conviction scientifique rejoint le sentiment religieux – ce qui est souvent évoqué dans les manuels d’apologétique soucieux de récuser l’athéisme [20]. La référence à la nature comme puissance ordonnée est ici inscrite dans la philosophie déterministe de la science classique et participe donc d’une idée de la nature comme puissance d’ordre et d’harmonie, exprimée par le terme de structure.
192) La référence à Spinoza apparaît dans un autre contexte, avec l’apparition de la mécanique quantique. On le voit dans l’itinéraire de Bernard d’Espagnat, dont les livres passent d’une analyse scientifique à une interrogation philosophique [21]. Ce scientifique, qui a joué un rôle important dans la physique du XXe siècle, témoigne bien de l’interrogation d’une génération formée dans le cadre d’une physique déterministe qui se demandait si la nouveauté apportée par la mécanique quantique était un déni de la rationalité. B. d’Espagnat voit bien qu’il faut renoncer à une compréhension naïve de l’adéquation entre le réel et la formulation mathématique [22]. Il reconnaît la distance en employant la notion de « réel voilé ». Cette expression exprime une double conviction : la réalité donnée est incontestablement autre que ce que la pensée humaine conçoit, la connaissance scientifique est une approche qui ne saurait prétendre à l’exhaustivité mais plus encore, elle appelle une interrogation métaphysique sur la racine de ses pouvoirs. La réponse donnée à ces questions n’est pas univoque, car B. d’Espagnat emprunte des voies différentes : le platonisme, puis le kantisme pour arriver à privilégier Spinoza dont le rationalisme interprété religieusement lui convient [23]. Le concept de nature apparaît alors comme la source de cette profondeur inaccessible qui rend raison tout à la fois de son unité et de sa puissance créatrice de formes nouvelles qui répondent à l’action humaine. En effet la mécanique quantique change la physique en obligeant à ne plus se limiter de la recherche d’une description extérieure, mais à penser le monde en terme d’action ; le physicien n’est pas un observateur neutre, il est devenu un acteur, puisque ce qu’il voit change parce qu’il le regarde.
203) Les neurosciences sont un autre domaine du savoir scientifique [24]. Là encore, la réalité échappe à la saisie du rationalisme positiviste. Le champ des neurosciences est en plein essor et il est difficile de tracer une typologie des diverses approches. On discerne cependant, dans la diversité des présentations, le reflet des grandes options philosophiques de la tradition. Le matérialisme des idéologues du XVIIIe siècle est toujours présent ; mais d’autres philosophies apparaissent, toutes soucieuses de surmonter le dualisme hérité de la tradition cartésienne. Le champ du savoir ne cesse d’augmenter et les neurosciences entendent expliquer non seulement les mécanismes de la perception, de la mémoire, du traitement de la connaissance selon un modèle issu de l’informatique ; elles s’appliquent à d’autres formes de connaissance, à la production des images et des représentations, mais aussi aux émotions. Un élément important de l’étude est lié à la théorie de l’évolution : le cerveau est le fruit de l’évolution des êtres vivants. Le cerveau est à la fois le moteur et l’effet de la croissance de la complexité telle qu’elle apparaît avec le genre homo pour culminer avec homo sapiens [25]. Une première perspective est clairement réductionniste : l’esprit est ramené à l’heureux fonctionnement physiologique de l’organe cerveau [26]. Une autre, pour rendre raison de cette créativité, fait référence à une globalité. Ce peut être un système socio-culturel. Elle est exprimée en référence à un principe universel [27]. Francisco Varela cite des thèmes issus des religions orientales [28]. Antonio Damasio se présente comme disciple de Spinoza [29]. Il trouve chez lui l’unité entre les savoirs et les méthodes au nom d’une rationalité immanente. Une même énergie fondamentale habite la réalité qui se déploie au cours de l’évolution et mène à la conscience puis à la pensée.
21De ces trois champs du savoir actuel et des philosophies revendiquées par des auteurs bien connus, nous voyons paraître une idée de la nature qui réactualise ce qu’exprimait la tradition romantique : la nature est une puissance d’engendrement. Elle est posée comme source et fin de la réalité qui se présente comme une forme particulière de l’énergie. Comme la source est unique, la diversité des réalisations peut être unifiée et les passages expliqués sans difficulté majeure. Le concept d’émergence ne se contente pas d’être descriptif, il devient explicatif au plan ontologique [30]. Un même dynamisme est à l’œuvre. Ce dynamisme est auto-référé – ce qui est problématique aux yeux de ceux qui s’inscrivent dans une autre philosophie de la nature.
La nature en elle-même
22Une autre perspective se présente. Nous pouvons la saisir dans une expression du langage commun qui présente la réflexion comme un effort pour saisir « la raison des effets ». L’expression relève de la science classique où la causalité joue un rôle majeur. La causalité est entendue comme l’influence d’un être sur un autre, dans une action de transformation manifestée dans le temps mais d’abord ontologique. La cause donne à l’effet d’être ce qu’il est sous le rapport où elle agit.
23La notion de cause a été employée à la naissance de la science à partir de l’expérience de l’action humaine. Elle relève la différence entre un principe d’action et ce qui ne se produirait pas sans lui. La reconnaissance d’un enchaînement d’actions ne se contente pas de la seule description : la relation de la cause à l’effet est source d’interrogation.
24La notion de causalité fonde la science qui récuse les explications magiques, ou l’explication par des êtres mystérieux que la qualification de surnaturel renvoie à l’irréel ou à l’invérifiable. La cause met en lien les éléments constitutifs de ce qui est observé. La causalité est entendue au sens ontologique comme constitution de l’être. Elle répond aux questions qui permettent de dire pleinement ce qu’est un être.
25Dans la perspective ancienne, quatre aspects sont relevés. Le premier dit ce « en quoi » l’entité considérée est faite ou « ce dont » elle provient ; le deuxième « ce que c’est », et l’exprime dans une définition qui le distingue et le détermine dans sa différence ; le troisième « qui l’a fait », façonné ou produit ; le quatrième, enfin, dit « ce pourquoi » elle est faite. Dans cette métaphysique, les quatre causes sont inséparables, et plus encore, ordonnées entre elles ; la causalité finale est « cause des causes ». Cette conception est grosse d’une vision de la nature. Celle-ci est comprise non seulement comme une production ordonnée de ce qui est selon des lois, mais elle introduit une hiérarchie. La nature est alors une totalité ordonnée – et conformément à l’idéal grec de rationalité et d’intelligibilité les formes les plus frustes sont ordonnées à celles qui sont supérieures et doivent leur être soumises. La nature est l’œuvre du principe premier qui est pur esprit, « pensée de la pensée ». Elle est orientée vers lui. La théologie fondée sur la Bible n’a pas eu de peine à entrer dans cette perspective. On voit dans cette disposition la marque de la sagesse du créateur à qui on dit : « Tu as tout disposé avec nombre, mesure et poids » (Sg 10, 20) en une formulation qui assume les grands systèmes philosophiques de l’hellénisme.
26Cette conception de la nature a été récusée, non seulement à cause des abus qui usaient de la causalité de manière intempestive, mais aussi parce que le critère de vérité scientifique a changé. La mathématisation de la science a opéré une rupture. Or, comme le montre bien la lecture de Descartes [31], la transcription exclusive en langage mathématique a pour effet de donner comme fondement au savoir un acte de mesure [32]. Les lois ne sont plus définies en fonction d’une finalité, mais d’une régularité universelle. La notion de nature qui en découle est marquée par ce que l’on peut appeler le fonctionnalisme, au sens où la nature est vue comme une mécanique dont il faut connaître les rouages (selon l’analogie dominante au moment où l’horloge marquait le sommet de la perfection technologique). Cette image de la nature est présente dans la théologie naturelle telle qu’elle s’est élaborée dans la pensée anglo-saxonne [33]. La nature devient dans cette perspective « un miroir de Dieu [34] ». En effet, en mettant à jour l’ordre et les lois de la nature, la nature s’accorde avec le monothéisme. Les principes et voies manifestent la perfection et la sagesse de Dieu ; la science en découvre les voies.
27Le déplacement du savoir s’est poursuivi avec le développement d’une physique fondamentale non déterministe et l’usage de modèles mathématiques non linéaires. La nature n’est plus vue comme une mécanique déterminée ; elle est ouverte sur l’imprévu. La notion de chaos déterministe l’explicite. La nature est ainsi présentée comme un système ouvert dont l’avenir n’est pas déterminé à l’avance. Le paradigme historique apporte du nouveau. Mais il ne signifie pas un renoncement à une conceptualisation qui repose toujours sur la conviction que la nature est une écriture chiffrée bien plus vaste que le langage mathématique. Cette écriture est pressentie plus qu’explicitée ; mais l’idée demeure qu’il sera possible d’y accéder en restant dans le champ de la raison.
28La notion de nature ainsi présentée sous les trois formes rapidement mentionnées explicite le sens originel du terme. En effet, le mot nature vient du verbe naître et il signifie le processus de naissance. Il a donné la première notion explorée, celle de « mère nature ». Mais le verbe naître a un autre sens ; il dit le commencement de la vie d’un être qui restera lui-même tout au long des transformations de son existence. Il sera lui-même quoi qu’il fasse et quoi qu’il arrive. Le terme de nature désigne alors une identité fondatrice de toute activité comme principe d’action.
29Cette notion de nature prend un sens différent en fonction de la philosophie où elle est employée [35]. Dans la perspective qui accorde à la causalité un sens plénier, l’identité est une essence. Elle indique au plan ontologique la richesse de l’être et ce qui le constitue. La notion de nature prend un sens plus restreint dans le cadre de la science classique quand elle n’est plus pensée selon la finalité. Quand on reconnaît qu’elle est bien ordonnée, la référence transcendante se limite à l’ordre de l’esthétique. La nature est une œuvre d’art. Elle n’est pas référée à une finalité qui serait inscrite dans sa structure et dans son devenir. Dans le cadre de la vision évolutive de l’univers la nature est vue comme un système en tension vers une réalisation imprévisible à vue humaine, avec la conviction que ce qui vient sera toujours selon les deux exigences de rationalité et de créativité [36].
Amère nature
30La vision nouvelle sous le paradigme de l’évolution montre que la nature est un processus. Or sur ce point, la vision idéalisée de la thématique romantique qui voyait dans la nature une source de bonheur est fort contestable. L’évolution de Darwin sur ce point est très significative.
31La pensée religieuse de Darwin est enracinée dans la tradition de l’Église d’Angleterre, la théologie naturelle. Pour elle, l’intrication entre science et foi est structurelle, le théologien doit être scientifique et la science faire référence à Dieu. Lorsque le jeune Darwin cherchait sa voie au seuil d’une carrière scientifique, il avait suivi un cursus menant au statut de ministre de l’Église d’Angleterre et inscrit comme tel au Christ College de Cambridge, où l’on enseignait la théologie naturelle, à partir des manuels écrits par William Paley (1743-1805) [37]. Charles Darwin adhérait sans réserve à cette vision du monde [38]. Dans la philosophie de Paley, les diverses parties de l’univers sont bien articulées et chaque élément est au service de l’homme ; ainsi la nature témoigne d’un dessein (design). La perfection des adaptations de l’univers est une preuve de l’existence de Dieu. Le spectacle de la nature l’amène à y renoncer. La première raison est le rejet de la finalité, conformément à la conception habituelle de la science [39]. La deuxième raison, la plus décisive, est la souffrance. Darwin voit que l’adaptation n’est pas un principe d’harmonie, mais le fruit de la sélection et de la lutte. Or celle-ci est source de souffrance et de mort.
32Darwin reconnaît que l’omniprésence de la souffrance l’empêche de reprendre à son compte la philosophie religieuse de sa jeunesse [40]. « J’ai écrit dans mon Journal que, lorsqu’on se trouvait plongé dans l’immensité imposante d’une forêt brésilienne, « il n’était pas possible de donner une idée adéquate des sentiments élevés d’émerveillement, d’admiration et de dévotion qui remplissent l’esprit ». […] Mais aujourd’hui les scènes les plus grandioses n’entraîneraient chez moi aucune conviction ni sentiment de ce genre. […] L’état d’esprit que suscitaient autrefois en moi des scènes grandioses, intimement lié à la croyance en Dieu, ne différait pas essentiellement de ce que l’on appelle souvent le sens du sublime ; quelque difficulté qu’il y ait à expliquer la genèse de ce sens, il peut difficilement être avancé comme argument en faveur de l’existence de Dieu [41] ». Cette vision est aggravée et radicalisée par la souffrance due à la mort à 10 ans de sa fille aînée qu’il aimait tendrement [42]. Ainsi la vision de la nature comme harmonie est-elle remise en cause de manière radicale. La nature est un processus de transformation à propos duquel il importe de ne pas projeter des éléments subjectifs ou affectifs. À l’encontre de la théologie naturelle, Darwin affirme que la nature n’est pas source de connaissance de Dieu. Darwin se dit agnostique : la référence à Dieu est vaine [43].
33La question du mal dans la nature ne saurait être éludée. La position agnostique évacue la question. Sa démarche limite le champ de la pensée humaine au travail scientifique. Ce faisant, elle méconnaît comment la démarche scientifique construit sa visée du réel et donc qu’il y a une responsabilité dans toute œuvre de l’esprit – à commencer par les biotechnologies et les industries consommatrices d’énergie.
34La notion de mal demande examen. Elle invite à quitter le champ étroit d’un travail spécialisé et à poser la question dans une perspective générale. Elle renoue ainsi avec le concept de nature entendu au sens fort du terme selon la perspective qui considère que l’univers est en voie de transformation. Ce processus récuse la notion gnostique de chute originelle [44] ; la théorie de l’évolution, malgré ses limites, montre que le grand arbre de la vie retrace un passage vers une plus grande complexité. Comment juger de la valeur de la complexité ? Celle-ci se fait en fonction d’une certaine conception de la forme, de la relation et de l’unité d’un système et donc sur un horizon universel. C’est par rapport à cet horizon qui définit un ordre de perfection que la notion de mal apparaît. Elle est relative à un certain idéal de perfection. Parler de « mal de la nature » est le fait de celui qui juge que ce qui est n’est pas conforme à ce qui devrait être. Parler de catastrophe naturelle ou de mal repose sur l’estimation du caractère tolérable ou intolérable en fonction du point de vue humain choisi.
35La question du mal de la nature récuse l’attitude qui se tient dans la neutralité du savoir objectif. Elle récuse aussi la manière de s’enfermer dans l’immédiat. Elle oblige à reconnaître que la référence à la nature est corrélative de la manière dont l’homme se projette lui-même dans l’existence. C’est en fonction de l’estime de soi par le sujet humain qu’il regarde la nature. Une confirmation est donnée par le regard que Xavier Le Pichon porte sur la fragilité humaine. Dans un ouvrage de réflexion à partir de son approche du handicap [45], il radicalise des éléments épars dans l’œuvre de Darwin [46] pour situer dans l’apparition de l’humanité un changement radical dans la manière de considérer « les plus faibles ». La grandeur de l’homme vient de la manière dont il prend en charge les plus faibles et les plus démunis de ses proches.
36Cette prise de position invite à préciser que la notion de nature doit être considérée comme un processus inachevé. C’est une invitation à considérer l’avenir et tout particulièrement à s’interroger sur la place que l’homme y occupe. La question est de savoir si l’inachèvement est un non-sens ou bien une invitation à l’exercice de la responsabilité.
L’homme dans la nature
37Si la nature est un processus en cours et donc sous le signe de l’inachèvement, la création étant inachevée, l’action de l’homme est une mission dans la nature. Doit-il y apporter une dimension spirituelle dont la singularité se manifeste dans la distance prise avec les règles qui prévalent dans le monde animal ? Répondre implique que l’on accepte de placer l’être humain dans la nature : est-il inscrit comme les autres dans le continuum de la biogenèse, ou bien y a-t-il une rupture ? Si oui, comment la penser ? Nous retrouvons des éléments abordés dans la première partie lors de la reconnaissance de la plasticité du vivant [47].
La place de l’homme parmi les vivants
38L’humanité est inscrite dans le mouvement de la vie. Cette inscription conduit à une reconnaissance de la plasticité de l’être humain qui invite à renoncer avec une ontologie fixiste, contraire à l’observation scientifique. Le débat sur ce point se fait en matière de bioéthique [48], puisque les biotechnologies ne s’appliquent pas seulement au monde végétal et animal, mais aussi à l’être humain [49]. Ce point de vue ne saurait cacher que l’essentiel est la question ontologique : la nature humaine n’est pas invariante dans son socle biologique. L’humanité a la capacité de se modeler elle-même. La responsabilité repose sur l’usage de techniques qui utilisent l’ouverture des vivants sur la nouveauté. Dominique Lecourt note à ce propos : « Les sciences du vivant montrent aujourd’hui qu’il n’existe pas, qu’il n’a jamais existé dans l’être humain un noyau biologique intangible qu’on puisse baptiser « nature » pour l’ériger en référence absolue – donc intangible – des systèmes normatifs qui structurent notre société, par le droit et la politique [50]. » Cette situation révèle que la nature humaine est culture. Mais la culture est bien autre chose que la plasticité du génotype. Elle est la docilité à la pensée. La gestion des populations n’est pas imposée par le cours naturel des événements biologiques. La technique doit être considérée comme un instrument ; elle est au service d’un projet dont il convient de se demander ce qu’il est [51]. Dans cette perspective l’action que l’humanité fait pour améliorer son existence repose sur des principes et des valeurs qui lui sont propres et qui doivent être considérées pour elles-mêmes [52].
39La reconnaissance que la culture fait le propre de l’homme peut être confirmée par le fait que le point de départ de l’humanité reste insaisissable. Beaucoup s’en offusquent. Pourtant à la réflexion il ne peut en être autrement. En effet, le commencement – le premier instant de la durée d’un phénomène qui se déroule dans le temps – ne peut être repéré que lorsque le processus a duré un certain temps de manière à prouver son identité. C’est toujours rétrospectivement que l’on détermine un commencement [53]. Un point isolé ne peut être déclaré commencement puisque l’avenir est ignoré quand le phénomène n’est pas absolument déterminé – ce qui est le cas dans le monde des vivants soumis à une exigence historique. Il y a aussi une deuxième raison qui préside à cela : placer un commencement suppose un cadre qui contienne le phénomène et qui permette de le mesurer. Il faut que ce cadre soit apte à situer ce que l’on y mesure, tout à la fois homogène et extérieur. Ainsi le cadre historique de l’histoire des vivants est souvent lié à la géologie qui donne des repères extérieurs pour situer les fossiles retrouvés. Or quand il s’agit de l’humanité, la valeur des éléments datés scientifiquement n’est pas perçue hors d’un jugement sur la spécificité de l’humanité. On peut prendre des critères morphologiques, comme la station debout qui permet la libération de la main, le développement du cerveau et la communication face à face ; on peut aussi prendre comme critère l’outil dont l’usage atteste une maîtrise du temps (tenir compte de l’expérience passée et anticiper sur ce qui viendra), et une organisation rationnelle des activités ; d’autres prendront comme critère l’organisation sociale, la technologie (maîtrise de la parole…). D’autres préfèrent se situer d’emblée en des domaines spirituels (sépulture des morts, art…). Ainsi la décision du commencement dépend de la conception préalable que l’on projette sur le passé. Il faut donc parler de l’homme à partir du présent. Pour cette raison, l’engagement philosophique est premier et la science comme telle ne tranche pas la question de l’identité humaine, même si elle donne des informations que l’anthropologie doit prendre en compte. Ceci conduit à une interrogation : comment affirmer une différence de nature, sans ignorer les continuités retracées par la théorie de l’évolution ? Pour répondre nous pensons nécessaire de voir quel est le registre de pensée utilisé. Trois modèles se présentent ; ils peuvent être désignés par trois termes mathématiques qui s’accordent à la modélisation scientifique.
40Le premier est celui de l’isomorphisme. Il y a isomorphisme lorsque les structures sont identiques dans des ensembles mathématiques. Pour certains, en effet, l’inscription de l’humanité dans l’arbre construit grâce à la théorie de l’évolution est absolue. L’espèce humaine obéit aux mêmes lois : se reproduire, se nourrir, croître et lier des liens avec son environnement… La différence entre le monde humain et le monde animal est une différence de position dans l’espace et le temps. La différence est extérieure ; elle n’est pas structurelle. Dans ce cas, on passe sans difficulté du monde animal au monde humain. Ainsi les lois et les modèles de la génétique des populations s’appliquent adéquatement à l’humanité qui est une population parmi d’autres. La crise écologique fait que l’analyse de la place de l’humanité dans le monde a recours à cette figure : l’humanité est devenue l’espèce dominante ; elle doit donc reconnaître les droits et les devoirs des autres vivants [54].
41Le deuxième est celui de l’homologie. La notion est venue de la géométrie plane, où elle désigne un rapport entre longueur de segments définis par leur intersection avec des cercles. L’usage métaphorique du terme indique que l’on évalue la grandeur des ensembles comparés. Lorsqu’on reconnaît que l’humanité n’est pas une population comme les autres, la différence reste dans le même cadre, celui de la fonction ; par ses capacités, l’humanité a un pouvoir plus grand que les autres ; son action est plus efficace et elle est capable d’inventer. Le changement d’échelle ne change pas le rapport. La nature humaine n’a pas de transcendance.
42Le troisième est un rapport d’analogie. L’image mère est arithmétique ; il y a une égalité de rapports, mais chacun reste défini dans son domaine. Il peut donc y avoir une proportion entre des rapports, mais cela n’implique pas que les éléments soient du même ordre.
43Cette manière de voir la réalité est préférable, car elle rend mieux raison de ce qui est observé. Si « l’art imite la nature » [55], cette mimesis n’est pas isomorphisme, ni homologie, mais bien analogie. Le chemin de la pensée en quête de la spécificité de la nature humaine doit intégrer la différence. Le modèle analogique permet de ne pas écarter l’être humain du monde des vivants ; il situe le devenir de l’humanité dans les lois de la biologie ; mais il évite l’attitude réductionniste qui n’envisage la structure que par la considération de ses éléments. Situer l’humanité analogiquement par rapport aux autres espèces permet de reconnaître les exigences spécifiquement humaines. L’art n’imite pas la nature passivement ; il est novateur. Ainsi la créativité reconnue dans la première partie de cette étude se réalise en humanité, non seulement à une autre échelle, mais dans un autre ordre, dans une réelle altérité. Celle-ci doit être comprise non comme un changement d’échelle ou de situation, mais comme une différence de nature.
44Selon les deux premiers modèles, l’humanité n’est qu’un moment du mouvement dont elle est partie prenante. Elle doit le vivre dans la docilité selon le premier modèle, par invention selon le deuxième. Le troisième modèle introduit une autre dimension : l’humanité se situe en vis-à-vis de la nature. La position de l’homme dans le monde des vivants repose sur une « rupture instauratrice ». Nous pouvons alors reconnaître que ce qui est spécifique à la nature humaine est la pensée. Un seuil décisif est la réflexion ; celle-ci suppose la relation de l’individu à un autre que soi (dans la relation des parents aux enfants, dans le couple humain, dans la société…) ; la médiation de la parole est essentielle. La pensée use du langage, mais elle le transcende – ce qui n’a pas lieu dans la communication animale.
45La dimension ontologique de la notion de nature reconnaît l’objectivité de ce donné ; la nature humaine est liée à un logos qui prend forme de nomos pour exprimer des exigences normatives. Mais l’ouverture de l’être humain le situe au-delà des normes seulement biologiques ; elle le place devant l’exigence et le défi de son propre achèvement. La nature n’est pas un donné intangible, mais une ouverture plus large, au goût de l’infini – la philosophie moderne oscille entre l’insistance sur le respect de ce qui est donné et la nécessité de le surpasser. La notion moderne de personne tient ensemble ces deux exigences ontologiques : le respect et le dépassement de ce qui est donné pour devenir digne de son élan pour vivre.
46Pour cette raison, l’opposition entre le naturel et l’artificiel ne saurait être absolutisée. Le donné naturel est un matériau disponible à l’action humaine ; il doit être élaboré par l’art pour être utile à l’homme. C’est en fonction du bien de chaque être humain, en sa dignité irréductible, et de la société en sa justice, que se détermine la valeur du fruit de l’industrie humaine : outils, instruments de travail, aliments, médicaments… Ils ne sauraient être disqualifiés parce qu’artificiels.
Un accomplissement
47Ayant marqué la différence, il importe d’aller plus avant et de voir comment l’être humain occupe une place singulière dans le mouvement de la nature comprise sous le paradigme évolutionniste.
48Une première perspective paraît dans la cosmologie. Le modèle standard montre que l’univers observable se comprend comme un processus de complexification à partir d’un état d’énergie non matériel (dit vide quantique) qui voit la formation de la matière dans ses constituants élémentaires puis dans des ensembles (galaxies, étoiles, planètes…) qui permettent la formation des atomes plus riche de potentialité. Les matériaux ainsi constitués sont repris dans les êtres vivants [56]. L’image du corps humain « poussière d’étoiles » donne à penser au fait que la vie s’inscrit dans la continuité avec la cosmogenèse. Cette perspective nous permet de renouer avec un thème classique de la pensée occidentale, l’homme microcosme du macrocosme ou univers. En l’homme les éléments de l’univers sont présents, mais selon une proportion ou une structuration dont le principe vital, l’âme, est le principe organisateur [57]. Une telle perspective n’implique pas l’introduction de la finalité dans les sciences, comme le montre le débat sur le principe cosmologique anthropique [58].
49Un deuxième aspect est lié à la théorie de l’évolution. Sur ce point, la considération habituelle se limite au rapport entre l’humanité et ses ancêtres immédiats, au sens qu’ils se trouvent dans la branche où s’implante le phylum ou rameau humain. Il y a à la fois continuité et rupture. La différence est prise par les anthropologues selon des critères différents. Certains disent que c’est la parole, d’autres disent que c’est la pensée. D’une manière plus nette, à l’instar de Teilhard de Chardin, d’autres disent que l’hominisation consiste à franchir « le pas de la réflexion ». On peut alors élargir le propos et faire apparaître la singularité humaine en considérant l’ensemble des vivants. Il y a en effet des constantes dans les processus de la vie et dans la spéciation qui fait qu’il y a des parallélismes entre des vivants pour qui la séparation de la lignée originelle s’est faite il y a très longtemps [59]. Ainsi on peut relever des éléments dans des espèces fort éloignées de l’humanité dans leur généalogie qui peuvent être rapprochés sans artifice. On relève des ressemblances de l’humanité avec les oiseaux, les insectes sociaux et pas seulement avec les primates. Cette comparaison permet de mieux comprendre ce que l’humanité a en propre. Elle unit en elle des éléments réalisés par les vivants de manière parfois bien meilleure que le font les humains ; par exemple, reconnaître que les abeilles ne se trompent jamais dans la forme des rayons de leur ruche, ou que les oiseaux forment des couples d’une fidélité exemplaire, ou encore que les papillons migrateurs sont éminemment perspicaces dans leur orientation [60]… car ce qui caractérise l’être humain est alors de posséder tous ces éléments ensemble. Chaque aptitude est réalisée, mais comme elle coexiste avec d’autres son mode de réalisation est modifié et l’on constate que c’est mieux. Tel est le propre de l’homme. Il est un tout. On peut donc définir la nature humaine comme une aptitude à une action toujours ouverte sur la nouveauté ; elle est liberté dans la capacité de faire le meilleur en assumant toutes les capacités données tant par la « matière inerte » que par la « matière vivante ». La nature humaine est la capacité de créer et ainsi d’accomplir le vœu de la nature. Celle-ci est vue comme puissance de produire du neuf.
50Il devient alors possible de considérer que le mouvement de tension est la créativité relevée dans la deuxième partie. Le mouvement a produit un fruit. Il est alors possible de juger du mouvement à partir de son terme. Dans l’histoire de la vie, l’imprévu est reconnu comme tel. Mais une fois advenu, l’imprévisible détermine le sens du réseau de causes et d’effets dont il est l’effet [61]. Hannah Arendt l’a dit dans une expression célèbre : « L’événement illumine son propre passé, mais ne peut jamais en être déduit ». Dans la lumière de la présence de l’humanité parmi les vivants, il est possible de dire que la tension des vivants vers l’avant est porteuse d’une attente de réalisation nouvelle. Celle-ci aurait pu être autre ; mais, de fait, ce fut l’humanité qui advint telle qu’elle est, avec l’accès au monde de la pensée.
51La notion d’accomplissement, employée en théologie chrétienne pour dire le rapport entre le premier testament et le corpus des textes chrétiens fondateurs, peut être ici étendue analogiquement. Le rapport de continuité et de nouveauté, de prolongement et de rupture, peut être utilisé pour dire la place de l’humanité dans le monde des vivants en partant de ce qui lui est spécifique, la pensée.
52La nature humaine est donc un accomplissement du vœu de la nature. Elle est une réalisation des capacités latentes ; elle un visage irréductible à ce qui la porte, corps et âme. Il ne s’agit pas seulement d’échafaudage, mais bien de réalisation. La notion d’unité qui est présente dans le concept de nature trouve ici son explicitation. Or sur ce point la tradition présente deux voies. La première est de type volontariste ; elle tient que l’humanité est appelée comme le dit le récit de la Genèse à propos d’Adam, à soumettre la nature – à en être le calife dit le coran. Le sens littéral du texte est une justification de la révolution néolithique. Cette attitude a été radicalisée à l’âge classique quand l’homme s’est senti le devoir de devenir « maître et possesseur de la nature ». La nature est vue comme hostile à l’homme. Elle lui résiste et elle cache ses secrets [62].
53Il est une autre attitude : la contemplation. Le propre de l’homme est alors dans le désintéressement. La modernité envisage le rapport de l’homme à la nature au plan esthétique, dans les beaux arts, ou encore dans la vie de la pensée heureuse de découvrir du nouveau. J’ose aller plus avant et reconnaître que la grandeur de l’être humain est d’être « capax Dei ». L’esprit humain n’est pas que conscience de soi ; il est connaissance d’autrui. L’esprit humain n’est pas limité au semblable ; il n’est pas pris dans le cercle indéfini qui va du pareil au même. Il est porteur d’une dimension d’infini et par là ouvert sur la reconnaissance de Dieu. Il en résulte que la nature humaine est une capacité d’être en relation avec ce qui transcende les limites ; l’accomplissement est une ouverture vers l’infini. Il peut se thématiser dans le langage de la psychanalyse assurant qu’en humanité, il y a désir et non plus seulement besoin à satisfaire [63]. On peut le dire encore avec Rimbaud quand il témoigne d’une passion qui ne se contente pas de plaisirs immédiats : « Ô pureté ! Pureté ! C’est cette minute d’éveil qui m’a donné la vision de la pureté ! — Par l’esprit on va à Dieu ! »
La nature humaine comme appel
54La nature humaine est accomplissement. Dans le fragment se tient un tout qui est réalisé selon une forme spécifique. La notion d’accomplissement est liée à la notion d’histoire, dont la limite est de se contenter d’une référence au passé. Le terme doit donc être complété par une considération qui outrepasse ce qui est acquis pour se tourner vers le futur. Cet avenir n’est pas prévisible, comme le pense la vision déterministe du monde. Le futur est ouvert. On peut alors entendre cette situation comme le lieu d’un appel. La nature humaine n’est pas un donné figé : c’est un appel.
55Là encore, la perspective qui borne la nature humaine par une définition qui le fige perd l’attention au fait que la nature humaine se comprend par l’appel et donc sous la catégorie de la promesse. La promesse fait face à l’inconnu. Ainsi les sentiments qui fondent l’humanité ne sont pas seulement les sentiments de joie ou de satisfaction, mais aussi le regard sur l’avenir, le souci de ce qui viendra. On peut entendre ainsi la responsabilité humaine : n’être pas soumis aux mécanismes de la nature, mais anticiper et orienter l’action avec un horizon de dépassement.
56La nature humaine est marquée par une dimension spécifique faite de responsabilité et de générosité. C’est ce pouvoir qui constitue le propre de l’homme. On peut alors entendre la nature humaine non comme essence achevée dès le principe, mais comme tension vers une plénitude. L’être humain doit devenir humain par lui-même, « remis à son propre conseil », selon une expression de la Bible. Cette responsabilité se situe au croisement du souci de soi et du souci d’autrui.
57En premier lieu, tout être humain se doit de réaliser ses richesses potentielles en leur donnant un visage particulier. Il l’acquiert dans le groupe humain, famille et société, où il voit le jour. Ainsi, si tout être humain a devant lui les mêmes exigences (manger, marcher, parler, communiquer…) rien ne se fait sans éducation et il y a diversité de manières de les vivre ; cette diversité est le fruit de la multiplicité des représentations et des modes d’expression et de pensée. Leur détermination constitue une culture ; ce terme désigne le fruit de l’intériorisation de ce qui est donné pour devenir soi. Traditionnellement cet accès a été exprimé par le mot vertu, qui signifie la qualité humaine faite de compétence acquise ; par ce processus de construction de soi, un être advient dans la liberté à sa personnalité.
58La deuxième dimension de la responsabilité, le souci d’autrui, est inséparable de la première. Elle vient dans la réciprocité de l’appel à la vie et à son accueil inconditionnel dès la naissance. La relation à autrui est invitée à passer du stade où l’autre est relatif à soi (comme pourvoyeur de ses besoins) à celui où il est reconnu pour lui-même (avec un visage et un nom propre) dans une relation de solidarité et de prise en charge à raison de sa dignité. Ainsi la nature humaine est-elle projet de vie prenant forme particulière. Le terme de nature humaine ne quitte pas son enracinement dans tout ce qui permet de vivre : santé, nourriture, habitat… Cette relation est exprimée juridiquement en termes de droits fondamentaux et réfractés dans la multiplicité des droits.
59À ces éléments qui disent le fondement de toute éthique, il faut ajouter la remarque suivante : la nature humaine comme projet de vie se caractérise par une ouverture qui n’est pas rassasiée. Elle porte la marque de l’infini. Ainsi l’être humain n’est pas enfermé dans la relation avec ses semblables ; il est apte à rencontrer le divin. Si certains placent le divin dans la totalité de la nature sacralisée, voire divinisée, la tradition monothéiste a le souci de la référence à une source de l’être qui n’est pas un élément du monde ni sa totalisation. La reconnaissance d’un Dieu unique, créateur de tout ce qui est, est liée à l’aptitude et au désir de le connaître pour ce qu’il est. L’être humain est ainsi appelé à le connaître, à l’aimer et à se référer à lui librement dans une dimension nouvelle : l’ordre du surnaturel. Cet ordre est un don gratuit, comme toute relation entre personnes libres dans la réciprocité. La condition humaine est alors comprise en terme d’appel. Le don de la vie et son dépassement dans la relation avec un Dieu transcendant, loin d’être une violence, est un accomplissement ; la nature s’accomplit dans une participation à la vie divine.
60* * *
61Au terme de cette étude cherchant à articuler les divers aspects du savoir humain, il semble qu’elle puisse apporter des éléments à la réflexion théologique. Elle peut se dire par deux aspects.
62Le premier est de voir que l’humanité est placée à la charnière entre le monde de la matière vivante et celui de la pensée réfléchie. Elle est donc dans une position que l’on peut qualifier de sacerdotale. L’humanité est la voix de ce qui est sans voix. Elle est porteuse de la parole qui exprime ce que les autres vivants dépourvus de la capacité de parler ne peuvent dire. L’humanité est médiatrice et par elle l’univers s’exprime. L’enracinement matériel de l’humanité n’est pas une entrave à sa grandeur comme le donnent à penser les discours dualistes, mais le lieu d’une mission.
63Le second et de situer l’humanité dans une mission de salut, puisque la présence du mal est un défi. Dans l’épître aux Romains, Paul de Tarse voyait la création « en travail d’enfantement ». La métaphore de l’enfantement désigne dans le Nouveau Testament la Pâque de Jésus-Christ. La théologie de Paul permet de parler d’une « Pâque de l’univers » qui ne doit pas être séparée de tout l’effort humain pour accomplir et donner sens à ce qui advient dans le cours du temps. Sur ce point, les pages de Teilhard de Chardin revisitant et actualisant les textes cosmiques de Paul sont d’une brûlante actualité.
64Ainsi l’Homme, microcosme du macrocosme, est-il celui qui accomplit pour ouvrir sur l’eschatologie, ce temps où, pour la foi chrétienne, Dieu sera « tout en tous », non seulement les êtres humains, mais un cosmos réconcilié.
Notes
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[1]
Gassendi est malheureusement méconnu en France. Sur l’importance de son œuvre dans la pensée voir Antonia Lolordo, Pierre Gassendi and the Birth of Early Modern Philosophy, Cambridge University Press, Cambridge, 2007.
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[2]
On trouve un développement de cette philosophie de la nature dans l’œuvre de Bernard Bolzano qui écrit : « La première de ces opinions d’école, autrefois soutenues par les physiciens et dont on doit se débarrasser aujourd’hui, est l’hypothèse d’une matière morte ou complètement inerte, dont les parties simples, si tant est qu’elle en ait, identiques les unes aux autres et éternellement invariables, ne possèdent pas de forces propres, sauf celle que l’on appelle la force d’inertie. Ce qui est réel agit nécessairement et dispose donc de forces utiles à son action », Les Paradoxes de l’infini, trad. fr. par Hourya Sinaceur, « Les Sources du savoir », éd. du Seuil, Paris, 1993, p. 167.
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[3]
Dans le langage commun le terme énergie désigne ce qui permet d’effectuer un travail, de fabriquer de la chaleur ou de la lumière et de produire un mouvement. En physique, c’est une grandeur scalaire, exprimée en ML2T-2 (Joules). L’énergie est la mesure unifiée des différentes formes de mouvement. On distingue d’une manière générale l’énergie cinétique qui correspond à la mesure du mouvement des particules de matière, et l’énergie potentielle qui correspond à la mesure du mouvement des particules virtuelles assurant les interactions, c’est-à-dire à l’origine des forces. Ce sont les bosons médiateurs : le graviton pour la force gravitationnelle, le photon pour la force électromagnétique, les bosons W+, W- et Z0 pour l’interaction faible, et les gluons pour l’interaction forte. Un apport important de la physique est la conservation de l’énergie dans les systèmes fermés. Ce principe empirique a été validé. La loi de la conservation de l’énergie découle de l’homogénéité du temps. Elle énonce que le mouvement ne peut être créé et ne peut être annulé : il peut seulement passer d’une forme à une autre. Afin de donner une caractéristique quantitative des formes de mouvement qualitativement différentes considérées en physique, on introduit les formes d’énergie qui leur correspondent.
-
[4]
Cf. Lydia Jaeger, Lois de la nature et raisons du cœur, Peter Lang, Berne, 2007.
-
[5]
« Nous serons plus tard obligés de reconnaître que la seule distinction à établir entre les espèces et les variétés bien tranchées consiste seulement en ce que l’on sait ou que l’on suppose que ces dernières sont actuellement reliées les unes aux autres par des gradations intermédiaires, tandis que les espèces ont dû l’être autrefois » L’Origine des espèces au moyen de la sélection naturelle ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie, Garnier-Flammarion, Paris, 2008, p. 558 ; de même, en conclusion du chapitre VIII : « Il n’y a pas de distinction fondamentale entre espèces et variétés » (p. 342).
-
[6]
Darwin est bien conscient de l’importance de cette rupture avec ses grands prédécesseurs ; il écrit dans une lettre à son ami le botaniste Joseph Hooker : « Je me suis engagé depuis mon retour [de mon voyage à travers le monde] dans un travail très présomptueux. […] Au moins quelques lueurs ont émergé, et je suis maintenant presque entièrement convaincu (assez à l’opposé de l’opinion initiale que j’avais en débutant) que les espèces ne sont pas (c’est comme confesser un meurtre) immuables », cité par Jean-Claude Ameisen, Dans la lumière et les ombres : Darwin et le bouleversement du monde, Fayard/Seuil, Paris, 2008, p. 20.
-
[7]
Sur ce thème, cf. Arthur O. Lovejoy, The great Chain of Being, A Study of the History of an Idea, « The William James Lectures delivered at Harvard University », 1933, Harvard University Press, Cambridge, 1936.
-
[8]
Cf. Nancey Murphy and William Stoeger, editors, Evolution & Emergence. Systems, Organisms, Persons, Oxford University Press, Oxford, 2007. Cet ouvrage nous semble un des plus clairs sur la question de l’émergence. Une première partie est philosophique ; la deuxième est scientifique et la troisième théologique.
-
[9]
Sur ce point, voir Jean Gayon, L’éternel retour de l’eugénisme, « Science, histoire et société », PUF, Paris, 2006.
-
[10]
Le choix d’éliminer des zygotes porteurs de tare génétique peut avoir une influence sur l’ensemble du pool génétique d’une population donnée, soit pour écarter une maladie, soit pour privilégier un certain type d’humanité. Les problèmes philosophiques posés par cette technicisation de la pratique médicale eugéniste sont étudiés par Dominique Lecourt, Humain, post-humain, « Science, histoire et société », PUF, Paris, 2003.
-
[11]
Ces thèses sont synthétisées dans l’ouvrage encyclopédique dirigé par Boris Cyrulnik, Si les lions pouvaient parler. Essai sur la condition animale, « Quarto », Gallimard, Paris, 1998. Elles sont explicitées et vulgarisées par Jean-François Dortier, L’Homme, cet étrange animal… Aux origines du langage, de la culture et de la pensée, éd. Sciences humaines, Paris, 2004 ; Pascal Picq, Nouvelle histoire de l’Homme, Perrin, Paris, 2005 ; Frans de Waal, Le Singe en nous, Fayard, Paris, 2005. Pour une analyse critique, voir Intelligence animale, intelligence humaine, Colloque sous la direction de Michel Delsol, Bernard Felz, Marie-Claire Groessens, Vrin, Paris, 2008.
-
[12]
Sur ce point, voir notre étude : « En quête du propre de l’Homme », Revue Thomiste, 2009, n° 2, p. 253-307. Dans cette étude nous relevons l’importance d’une étude philosophique qui dénote bien la manière dont les sciences humaines et les sciences de la vie s’accordent pour récuser non seulement le dualisme, mais la reconnaissance d’une transcendance de l’être humain par rapport au monde animal ; Jean-Marie Schaeffer, La Fin de l’exception humaine, « NRF essais », Gallimard, Paris, 2007.
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[13]
Le premier à avoir avancé cette idée fut l’Abbé de Condillac.
-
[14]
Cf. Pierre Kerszberg, L’Ombre de la nature, Cerf, Paris, 2009.
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[15]
Par exemple, au moment de son prix Nobel, Gilles Cohen-Tannoudji, La Matière-espace-temps, Fayard, Paris, 1986.
-
[16]
Les philosophes spécialistes de sa pensée sont souvent et à bon droit agacés par cette reprise fondée sur quelques fragments.
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[17]
Telle est l’attitude d’Einstein ; elle est étudiée en détail dans Max Jammer, Einstein and Religion. Physics and Theology, Princeton University Press, 1999, p. 44-46 et rapidement située par Jacques Merleau-Ponty, Einstein, « Figures de la science », Flammarion, Paris, 1993, p. 254-256.
-
[18]
Albert Einstein, Œuvres choisies, t. 5 : Science, éthique, philosophie, « Sources du savoir », Seuil/CNRS, Paris, 1991. On trouve dans cet ouvrage le poème écrit à la gloire de Spinoza, qui commence par « Combien j’aime cet honnête homme… », p. 247.
-
[19]
Texte cité dans Ilse Rosenthal-Schneider, Reality and Scientific Truth, Wayne State University Press, Detroit, 1980, p. 99.
-
[20]
Une anthologie de citations est donnée dans l’ouvrage édité à l’Université hébraïque de Jérusalem, Albert Einstein, Pensées intimes, « Anatolia », éd. du Rocher, Paris, 2000. Voici quelques extraits de lettres : « Tout homme sérieusement impliqué dans la recherche scientifique devient convaincu qu’un esprit se manifeste à travers les lois de l’Univers – un esprit largement supérieur à celui de l’homme. […] De cette manière, la recherche scientifique conduit à un sentiment religieux d’un genre spécial, qui est en vérité tout à fait différent de la religiosité de quelqu’un de plus naïf » (p. 139) ; « Je n’ai pas trouvé de meilleure expression que « religieux » pour qualifier la confiance en la nature rationnelle de la réalité, pour autant qu’elle est accessible à la raison humaine. Chaque fois que ce sentiment fait défaut, la science dégénère en un empirisme dénué d’inspiration » (p. 142) ; ou encore : « Je ne crois pas en un Dieu personnel et je ne l’ai jamais caché. Bien au contraire, je l’ai exprimé clairement. S’il y a quelque chose en moi qui peut être qualifié de religieux, c’est l’admiration sans limites pour la structure du monde, pour autant que la science soit en mesure de la révéler » (p. 144).
-
[21]
Bernard D’Espagnat, À la recherche du réel : le regard d’un physicien, Bordas, Paris, 1981 ; Une incertaine réalité : le monde quantique, la connaissance et la durée, Gauthier-Villars, Paris, 1986 ; Le Réel voilé, analyse des concepts quantiques, Fayard, Paris, 1994 ; Traité de physique et de philosophie, Odile Jacob, Paris, 2002.
-
[22]
Cf. Maurice Thiron, Les Mathématiques et le réel, « IREM-Histoire des mathématiques », Ellipses, Paris, 1999.
-
[23]
Comme l’atteste la réception du prix Templeton. B. D’Espagnat écrit : « Ce qui me rapproche quelque peu de Spinoza, c’est qu’il n’admet qu’une seule substance, qui est Dieu, qui est perçue (ou conçue), soit comme matière (ou étendue), soit comme esprit ; ce qui rapproche un peu le Dieu spinozien de mon réel voilé, que nous percevons, soit sous les apparences d’objets, soit sous celles d’états de conscience. Mais ce qui m’en éloigne, c’est qu’il considère cette substance comme connaissable », Le Monde des religions, janvier-février 2010, p. 25.
-
[24]
Cf. François Clarac et Jean-Pierre Ternaux, Encyclopédie historique des neurosciences, De Boeck, Bruxelles, 2008 ; Jean Delacour, Une introduction aux neurosciences cognitives, De Boeck, Bruxelles, 1998.
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[25]
John L. Bradshaw, Évolution humaine : une perspective neuropsychologique, De Boeck, Bruxelles, 2003.
-
[26]
Michael S. Gazzanika, Richard B. Ivry, George Morgan, Neurosciences cognitives. La biologie de l’esprit, De Boeck, Bruxelles, 2001.
-
[27]
Cf. L’anthologie : Philosophie de l’esprit, t. I : Psychologie du sens commun et sciences de l’esprit, t. II : Philosophie de l’esprit, Vrin, Paris, 2003 ; elle offre des extraits des principaux auteurs nord-américains qui donnent un aperçu de la naturalisation de l’esprit, entendons l’explication par causes naturelles comprises comme relevant de la biologie, de la physiologie ou de la sociologie. La linguistique joue un rôle important puisque la communication langagière est considérée comme médiation structurante.
-
[28]
Francisco Varela, Invitation aux sciences cognitives, Seuil, Paris, 1988 ; Autonomie et connaissance. Essais sur le vivant, Seuil, Paris, 1989 ; L’Inscription corporelle de l’esprit, Seuil, Paris, 1993 ; Dormir, rêver, mourir. Explorer la conscience avec le Dalaï Lama, Nil édit., Paris, 1998.
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[29]
Antonio R. Damasio, Spinoza avait raison : joie et tristesse, le cerveau des émotions, Odile Jacob, Paris, 2003.
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[30]
Sur la notion d’émergence, voir Anne Fagot-Largeault, L’Émergence, dans Philosophie des sciences, t. II, « Folio-Essais », Gallimard, Paris, 2002, p. 939-1047.
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[31]
En particulier dans Principes de la philosophie, Première partie, article 28.
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[32]
La notion de mesure est un concept clé du travail mathématique. Elle généralise les notions élémentaires d’intégration de fonctions continues à tout le champ de l’analyse de la topologie et de la géométrie.
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[33]
La théologie naturelle doit beaucoup à Newton et à des œuvres comme Derham, The Physico-theology et Ray, The Wisdom of God manifested in the works of the Creation.
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[34]
L’expression traduit imago Dei utilisée par Leibniz à raison de la simplicité des lois mathématiques et de leur unité. Sur cette expression voir Véronique Le Ru, La Nature miroir de Dieu. L’ordre de la nature reflète-t-il la perfection du Créateur ?, « Cahiers d’histoire et de philosophie des sciences », Vuibert, Paris, 2009.
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[35]
Martin Heidegger a usé de la richesse du terme grec physis pour introduire le dépassement de l’ontique. Il écrit en effet : « Nous laissons encore sans traduction le mot fondamental phusis. Nous ne disons pas natura ou Nature, parce que ces mots sont trop équivoques et chargés – et pour tout dire parce qu’ils ne reçoivent leur force nominative que d’une interprétation très particulière et très orientée de la phusis. Nous n’avons en fait aucun mot pour penser en une parole le mode de déploiement de la phusis telle qu’il a été clarifié jusqu’ici. Nous tentons de dire Aufgang – la levée de ce qui se dresse en s’ouvrant – mais nous restons impuissants à donner sans intermédiaire à ce mot la plénitude et la détermination dont il aurait besoin », Questions II, Gallimard, Paris, 1968, p. 208-209.
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[36]
Les spéculations cosmologiques sur les « multivers » restent dans ce cadre, puisqu’ils sont construits selon des exigences rationnelles présentes dans la science construite dans notre univers.
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[37]
On lui doit le célèbre apologue du promeneur qui trouve une montre sur la plage et qui conclut qu’une telle œuvre n’est pas le fruit de la nature, mais de l’industrie humaine et l’attestation de la transcendance de l’intelligence d’un concepteur ; ainsi le spectacle du monde conduit à reconnaître sa création par « le grand horloger ».
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[38]
Il écrit dans son autobiographie : « Pour passer l’examen de Bachelier, il était également nécessaire de posséder Les Évidences du christianisme de Paley et sa Philosophie morale. J’y mis un grand soin, et je suis convaincu que j’aurais pu transcrire la totalité des Évidences avec une correction parfaite, mais non bien sûr dans la langue de Paley. La logique de ce livre, et je puis ajouter, de sa Théologie naturelle, me procura autant de plaisir qu’Euclide. L’étude attentive de ces ouvrages, sans rien essayer d’apprendre par cœur, fut la seule partie du cursus académique qui, comme je le sentais alors et comme je le crois encore, se révéla de quelque utilité pour l’éducation de mon esprit. Je ne me préoccupais pas à cette époque des prémisses de Paley ; m’y fiant d’emblée, j’étais charmé et convaincu par la longue chaîne de son argumentation. » (Autobiographie, Seuil, Paris, 2008, p. 43).
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[39]
Darwin l’expose clairement : « Le vieil argument d’une finalité dans la nature, comme le présente Paley, qui me semblait autrefois si concluant, est tombé depuis la découverte de la loi de sélection naturelle. Désormais nous ne pouvons plus prétendre que la belle charnière d’une coquille bivalve doive avoir été faite par un être intelligent, comme la charnière d’une porte par l’homme. Il ne semble pas qu’il y ait une plus grande finalité dans la variabilité des êtres organiques ou dans l’action de la sélection naturelle, que dans la direction où souffle le vent » (Autobiographie, op. cit., p. 83).
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[40]
Face à cette question, il est bon d’entendre cette remarque de Paul Ricœur dans son traité sur le Mal ; ce philosophe dénonce le malheur de la théologie quand elle ne tient pas compte « de ce que la tâche de penser Dieu et de penser le mal devant Dieu peut ne pas être épuisée par nos raisonnements conformes à la non contradiction et à notre penchant pour la totalisation systématique » (Lectures 3, édit. du Seuil, Paris, p. 212).
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[41]
Autobiographie, op. cit., p. 87.
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[42]
Darwin a eu dix enfants, dont deux sont décédés – ce qui l’a conduit à récuser la notion piétiste de Providence.
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[43]
Notons que si Darwin reste dans une problématique religieuse, la philosophie rationnelle française opère une réduction analogue ; elle ne le fait pas en matière religieuse, mais en matière métaphysique. La notion de nature est dépouillée de toute dimension métaphysique ; on ne parle plus d’essence de la nature, mais d’économie de la nature. Le passage est clairement dit dans Henri Poincaré, La Science et l’hypothèse, Flammarion, Paris, 1968 (1902), et par Werner Heisenberg, La Nature dans les sciences physiques, Gallimard, Paris, 1962 ; la nature n’a pas pour eux de sens métaphysique, mais seulement conceptuel.
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[44]
Cet enracinement dans le monde de la souffrance porte certains auteurs à renouer avec la tentation gnostique. Plusieurs auteurs thématisent le processus cosmique dans cette perspective. Un astrologue, Michel Cassé, le fait sans réserve. Mais ce n’est sans doute qu’une coïncidence de vocabulaire et une certaine naïveté dans Du vide et de la création, Odile Jacob, Paris, 1993.
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[45]
Xavier Le Pichon, Aux racines de l’homme : de la mort à l’amour. Un regard nouveau sur l’émergence de l’espèce humaine, Renaissance, Paris, 2007.
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[46]
Dans The Descent of Man (1871).
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[47]
Dominique Lambert, Comment les pattes viennent au serpent ? Essai sur la l’étonnante plasticité du vivant, Flammarion, Paris, 2002.
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[48]
Jürgen Habermas, L’Avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral ?, Gallimard, Paris, 2002 ; Jean Gayon, L’éternel Retour de l’eugénisme, « Science, histoire et société », PUF, Paris, 2006.
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[49]
Cf. Claude Debru, Le Possible et les biotechnologies, « Science, histoire et société », PUF, Paris, 2003.
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[50]
Dominique Lecourt, Humain, post humain. La technique et la vie, « Science, histoire et société », PUF, Paris, 2003.
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[51]
Cf. Jean Gayon et Daniel Jacobi, L’éternel Retour de l’eugénisme, PUF, Paris, 2006.
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[52]
Théodore Dobzhansky, L’Homme en évolution, Flammarion, Paris, 1966 : « L’homme a été doté non d’une morale et de valeurs, mais de la faculté de les acquérir. Les valeurs de l’homme sont les produits de sa culture non de son génotype », p. 388.
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[53]
Cf. Pierre Gibert, L’Inconnue du Commencement, Seuil, Paris, 2007.
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[54]
Thème bien connu de la Deep Ecology.
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[55]
« L’art imite la nature – hè teknè mimeîtai phusin », Aristote, Physique, II, 2, 194 a 21. Cette expression aristotélicienne est importante pour définir la spécificité de l’action humaine ; elle s’enracine dans les lois de la nature, mais elle fait ce que la nature ne peut faire quand elle est laissée à elle-même. Un satellite ne viole pas les lois de la pesanteur quand il se libère de l’attraction de la Terre. En ce sens, les lois de la science sont impératives. Ceci vaut pour le monde des vivants pour qui les lois de la biologie s’imposent de manière stricte. Mais la réalisation est d’un autre ordre. Telle est la spécificité humaine : un pouvoir faire autre chose que ce qui est imposé. C’est en ce sens que l’on peut parler de réflexion : l’humanité est vis-à-vis de la nature dans une position d’altérité.
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[56]
Cf. Pierre Lena, Sur les traces du vivant, de la terre aux étoiles, Le Pommier, Paris, 2002.
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[57]
Nous avons développé cet aspect de l’anthropologie pour servir de base à une christologie renouvelée. Le corps du Christ est lui aussi microcosme du macrocosme ; lorsqu’il ressuscite commence un monde nouveau qui transforme en gloire les éléments du monde ancien. La nouvelle création est un épanouissement des richesses de la première création dont tous les éléments sont repris. Jean-Michel Maldamé, Le Christ et le cosmos, Vrin, Paris, 2001 et Le Christ pour l’univers, « Jésus et Jésus-Christ », Desclée, Paris, 2000.
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[58]
Sur la valeur de ce principe, voir Dominique Lambert et Jacques Demaret, Le Principe anthropique : l’homme est-il le centre de l’univers ?, Armand Colin, Paris, 1994.
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[59]
La perspective est développée par Simon Conway Morris, The Deep Structure of Biology, Templeton Fondation Press, 2009.
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[60]
Ces arguments sont repris dans un autre sens par les tenants de l’Intelligent Design dans les travaux de Michael Behe, La Boîte noire de Darwin, Renaissance, Paris, 2009.
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[61]
Il n’est pas exact de raisonner comme le font les adeptes du fine tuning puisqu’on ne sait pas ce qui se serait passé si les conditions initiales avaient été autres, mais en fonction de ce qui est on peut juger de ce qui fut.
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[62]
Sur ce thème voir, Pierre Hadot, Le Voile d’Isis. Essai sur l’histoire de l’idée de Nature, « nrf-essais », Gallimard, Paris, 2004.
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[63]
Thème anthropologique développé par Denis Vasse, Le Temps du désir, Seuil, Paris, 1969.