Notes
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[1]
Cf. la bibliographie à la fin de cet article, avec les sigles des œuvres de Grégoire. — Pour la réception de l’œuvre grégorienne, voir Breukelaar 1994, p. 13-21, et Heinzelmann 1994, p. 1 sv. pour la réception moderne; pour la tradition manuscrite ibid., pp. 167-175, et Bourgain, Heinzelmann 1997. Pour l’interprétation du « testament spirituel » de l’évêque au dernier chapitre des Histoires (Hist. X 31), avec le catalogue des œuvres littéraires, voir Heinzelmann 2003, pp. 15-23; ibid. p. 16, n. 7, la définition des agiographa des Écritures dans le prologue de Jérôme au livre des rois, connue de Grégoire.
-
[2]
Cf. Heinzelmann, Grégoire de Tours « père de l’histoire de France » ? (1994).
-
[3]
Cf. Hist. I prol., p. 5, « De subpotatione vero huius mundi evidenter chronicae Eusebii Caesariensis episcopi ac Hieronimi presbiteri prolocuntur et rationem de omni annorum serie pandunt. Nam et Horosius diligentissime haec inquaerens, omnem numerum annorum ab initio mundi usque ad suum tempus in unum colligit. Hoc etiam et Victurius cum ordine paschalis solemnitates inquirere fecit. Ergo et nos scriptorum supra memoratorum exemplaria sequentes… ». Voir Guenée 1980, pp. 147 sv. « La maîtrise du temps »; pour l’importance d’Orose d’après la tradition manuscrite cf. ibid. p. 250.
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[4]
Hist. II, prol., p. 36, « Sic et Eusebius, Severus Hieronimusque in chronicis atque Horosius et bella regum et virtutes martyrum pariter texuerunt ». Les autres occurrences: I prol. (cf. note précédente), I 6. 41, II 9, V prol.; clans la partie hagiographique: Liber de virlutibus s. Iuliani 7, p. 118, GC 1, p. 298, De cursu 3, p. 408.
-
[5]
Un ms. portant la version de l’abréviateur du VIIe siècle retient le litre historia aeclesiastica (B5, VIIe-VIIIe s.), cf. Hist., p. 1 ligne 42, ainsi que le tardif Al (fin XIe s.), ibid, ligne 22, et les mss carolingiens C1 (corr., ibid., p. 3 ligne 32), C1a (ecclesiastica historia Francorum, ibid. p. 1 ligne 25), C3 (ibid., p. 3 ligne 32/3).
-
[6]
Hist. I prol. (voir n. 3, avec Jérôme, Orose, Victurius), I 36 (avec Jérôme), II prol. (voir n. 4), et IX 15 sur la mort de l’hérétique Arius, « quem proiecisse in secessum exta historiograffus narravit Eusebius », en se référant à HE X 14, ce qui correspond à la continuation de Rufin; Grégoire a encore utilisé le texte de l’HE d’Eusèbe-Rufin dans Hist. I 22-29. Eusebi historia est citée VP 6, 1, p. 230, et un long extrait de HE VII 14 se trouve GM 20, p. 50.
-
[7]
Hist. I prol., p. 3, « Illud etiam placuit propter eos, qui adpropinquantem finem mundi disperant, ut, collectam per chronicas vel historias anteriorum annorum summam, explanitur aperte, quanti ab exordio mundi sint anni ». — Brown 2000, pp. 17 sv., a proposé une traduction différente de disperare: plutôt « to expect no longer » que « who are losing hope », arguant que Grégoire a déploré que personne donna de l’attention à cet événement futur; de toutes les occurrences du terme dans les Hist. (VI 30, p. 298 1.5; VI 35, p. 305 1.14; X 11, p. 494 1.21 et 495 1.1; X 15, p. 504 1.18) seul Hist. IV 12 (p. 142 1.36, net; accipiebat instrumenta desperans) pourrait aller dans ce sens. Le Nouveau Gaffiot fait effectivement état de deux significations de « desperare » (sens absolu « perdre l’espérance »): 1, transitif « ne plus compter sur », 2, intransitif « désespérer, perdre toute espérance »; il est vrai que pour la première signification qui, par sa teneur didactique, s’accorde mieux aux desseins de Grégoire, on s’attendrait plutôt à disperant de et non à un accusatif.
-
[8]
Cf. Pietri 1982, p. 575. Pour le maniement de la chronologie par Grégoire, voir encore Breukelaar 1994, pp. 299-305.
-
[9]
Hist. X 31, p. 537.
-
[10]
Pour le premier projet de Grégoire qui avait d’abord prévu une œuvre historique en quatre livres, voir Heinzelmann 1994, pp. 96-102.
-
[11]
Hist. IV 51, pp. 189-190; cf. Pietri 1982, p. 576 n. 74 et Breukelaar 1994, p. 178-183 et pp. 299 sv.
-
[12]
CD XXII 30, vol. 37, pp. 716 sv. — Voir Guenée 1980, pp. 149 sv. D’après Breukelaar 1994, p. 181, « Gregory phased history in terms of this theory (scil. des six âges du monde, par Augustin) and conceived his own times accordingly », ce qui est au moins étonnant.
-
[13]
CD XXII 30, vol. 37, pp. 716-718, « haec tamen septima erit sabbatum nostrum, cuius finis non erit vespera, sed dominicus dies velut octavus aeternus, qui Christi resurrectione sacratus est, aeternam non solum spiritus, verum etiam corporis requiem praefigurans »; Hist. I 23, « Dominicain vero resurrectionem die prima facta credimus, non septimam, sicut multi putant. Hic est dies resurrectionis domini nostri Iesu Christi, quem nos propriae dominicum pro sancta eius resurrectione vocamus. Hic primus lucem vidit in principio, et hic primus Dominem resurgentem contemplare meruit de sepulchro ». — On remarquera que Grégoire, dans ce deuxième et ultime décompte des Histoires, a bien choisi la Résurrection comme césure et non, comme dans la première périodisation, la Passion; pour l’actualité et l’importance de la théologie du dimanche pour Grégoire, et à son époque (théologie du sabbat), voir Heinzelmann 1994, p. 163.
-
[14]
Pietri 1982, p. 580; ibid. p. 581 il est encore question d’ « une ère strictement tourangelle » d’après laquelle certains événements sont datés (dans le recueil des miracles de saint Martin [VM]).
-
[15]
Noé Hist. I 4 « Dominus… Noe fidelissimum ac peculiarem sibi suique lipus speciem praeferentem… in arca reservavit »; Abraham Hist. I 7 « hic est Abraham initium fidei nostrae »; Salomon Hist. I 13 « hic Salomon aedificavit templum nomini Domini »; pour les ères voir dans le texte.
-
[16]
Voir Breukelaar 1994, pp. 175-178, concernant des expressions comme nostrum tempus ou nostra tempora, ou encore novum tempus et novissima saecula; Heinzelmann 1994, pp. 116-118 et passim, avec le parallélisme des Histoires d’Orose: pendant que pour ce dernier le seuil des ’temps modernes’ était l’époque du Christ (placée à la césure entre le sixième et septième livre de ses Histoires), chez Grégoire, cette même fonction, à la fin du premier livre, était prise par Martin, figure du Christ; voir n. 36.
-
[17]
Hist. I prol., p. 5 ligne 9 sv., « Noster vero finis ipse Christus est, qui nobis vitam aeternam, si ad eum conversi fuerimus, larga benignitate praestabit ».
-
[18]
Breukelaar 1994, p. 305 avait déjà relevé une teneur augustinienne de ce passage de Grégoire et renvoyé à CD XXII 30; la valeur donnée au terme principium pour le Christ dans le premier chapitre des Histoires montre encore l’utilisation directe de l’Apocalypse de Jean par Grégoire, cf. ci-dessous. — Il y a encore plus de convergence entre les passages de l’Enarratio in psalmos augustinienne, Ps. LVI 2, « In finem. Finis Christus est… Finis ergo propositi nostri Christus est… et haec est perfectio nostra, ad ilium pervenire… Ipse ergo et exemplum nobis vivendi proposuit in hac vita, et praemium vivendi dabit in futura vita », et le Traité sur le Psautier de Grégoire (Tract.), MGH I-2, p. 424, « Illi autem (scil. Psalmi) qui In finem inscribuntur perfectionem bonorum operum ostendunt, quia hic finis dissimilis est aliis finibus, cum illi habent terminum, hic replimentum: Finis enim legris est Christus… ad iustitiam omni credenti » (la même citation de Rom. 10,4 se trouve Enarratio in psalmos LIV 1 ).
-
[19]
Hist. I prol., p. 3, « Scripturus bella regum cum gentibus adversis, martyrum cum paganis, eclesiarum cum hereticis, prius fidem meam proferre cupio, ut qui legerit me non dubitet esse catholicum ».
-
[20]
Hist. I prol., p. 4, « Et omnia quae a 318 episcopis Nicaene instituta sunt credo fideliter »; Heinzelmann 1992, pp. 543 sv., Idem, Grégoire de Tours « père de l’histoire de France » ? (1994), p. 29 n. 34. Une recherche des sources de ce texte manque toujours.
-
[21]
Hist. I prol., p. 3, « natum a patre, non factum, non post tempora, sed ante cunctum tempus semper fuisse cum patre »; l’argument du temps, essentiel dans la discussion avec les Ariens, est encore souligné dans la puissante condamnation qui suit (ibid., p. 4): « Ceux qui disent ’Il fut [un temps] quand il n’était pas’, je les rejette avec horreur et j’atteste qu’ils sont en dehors de l’église »: la formule vient du symbole de Nicée, peut-être transmise par l’Histoire Tripartite de Cassiodore (cf. PL 69, col. 928).
-
[22]
Hist. I prol., p. 4, « Credo, Christum hunc verbum esse patris, per quem facta sunt omnia. Hunc verbum carne factum credo, cuius passionem mundus redemptus est… »; cf. Jo. 1,1 et 1,14. Les mêmes versets bibliques sont au centre du premier prologue des dix livres hagiographiques, In gloria martyrum (GM), cf. Heinzelmann 2003, pp. 35-36, et Grégoire les utilise dans une discussion avec l’hérétique Agila, Hist. V 43, p. 250.
-
[23]
Voir déjà le titre de HE-Rufin, p. 3, « Quod deus et dominus et creator omnium ac dispensator universorum ipse sit secundum ea quae in lege et prophetis scripta sunt »; ibid. I 2,3, p. 13 avec la citation explicite de Jo. 1, 1.3. Pour l’HE voir Bovon 1967, pp. 129-130, 133-134.
-
[24]
Hist. I 1, pp. 5-6, « Principio Dominus caelum terramque in christo suo, qui est omnium principium, id est in Filio suo, formavit, qui post creata mundi totius elementa… hominem ad suam imaginem similitudinemque plasmavit et insufflavit in faciem eius spiraculum vitae, et factus est in animam viventem (1. Cor. 15,45) ».
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[25]
Apo. 1,8; voir aussi 22,13 ego A et ? primus et novissimus principium et finis.
-
[26]
Heinzelmann 1994, pp. 69 sv., 113 sv.; voir ci-dessous.
-
[27]
Voir Nautin 1973, p. 93 (spécialement pour l’importance du témoignage de Prov. 8,22, où la Sagesse, identifiée au Christ préexistant, déclare: « Dieu m’a créée principe de ses voies »), mais surtout O’Loughlin 1998, p. 131 sur la liaison étroite entre Gen. 1,1 et Jo. 1,1, à partir d’Origène; cf. encore VL, à partir des versions de Gen. 1,1. Pour Grégoire, ses sources ont pu être Jérôme, Questiones Hebraicae in Genesim 1,1, PL 23, col. 938 sv., « Magis itaque secundum sensum quam secundum verbi translationem de Christo accipi potest: qui tam in ipsa fronte Geneseos, quae caput librorum omnium est, quam etiam in principio Joannis evangelistae, coeli et terrae conditor approbatur. Unde et in Psalterio [Ps. 39,9] de seipso ait: In capitulo libri scriptum est de me, id est, in principio Geneseos », ou encore Eucher de Lyon, Instructionum libri duo, éd. C. Wotke, Vienne, 1894 (Corpus script. Eccl. Lat., 31 ), lib. I, De psalmorum libro, XIIII, pp. 91 sv., « Quid indicat illud, quod legitur in psalmo: in capite libri scriptum est de me ? Ex persona hoc dicitur saluatoris de quo scribitur: in principio creauit deus caelum et terram, id est, in filio, aut certe illud: in principio erat uerbum et uerbum erat apud deum et deus erat uerbum »; et ibid., lib. I, De Genesi, i, p. 66, « in principio, hoc est, in filio, quia per filium fecit deus pater caelum et terram… omnia enim per filium operatus est, quia omnia per ipsum facta sunt, et sine ipso factum est nihil [Jo. 1,3] ».
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[28]
Voir la note précédante avec les citations de Jérôme et d’Eucher; pour Grégoire voir son traité sur les Psaumes (Tract., p. 426), où il donne à Ps. 39 le diapsalma: « Quod ipse (scil. Christus) in capite Testamenti Veteris sit scriptus »; voir aussi, dans le prologue de la Vie des saints Ursus et Leobatius (VP XVIII, p. 283): « Legiferi vatis oraculum (scil. Moïse), cum de principio principium fandi sumpsisset ».
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[29]
« Et ipse Dominus utriusque conditor Testamenti… ait: Venite, benedicti, percipite praeparatum vobis regnum a constitutione mundi » [Mat. 25,34], Grégoire, Vie de saint Nizier de Lyon, prol., VP VIII, p. 240.
-
[30]
HE-Rufin I 2,3-5, p. 13, « … in quibus evidenter mandantis personam patris et filii operantis expressit ».
-
[31]
Cf. CD XI 9, vol. 35, p. 60, « Cum enim dixit Deus: Fiat lux (ce sont les anges qui ont été faits participants de la lumière éternelle) quod est ipsa incommutabilis sapientia Dei, per quam facta sunt omnia, quem dicimus unigenitum Dei filium… quod est verbum Dei, per quod et ipsi et omnia facta sunt »; voir ensuite ibid. XI 32, « … In principio (fecit Deus caelum et terram), non ita dictum tamquam primum hoc factum sit, cum ante fecerit angelos, sed quia omnia in sapientia fecit, quod est Verbum eius et ipsum scriptura principium nominavit (sicut ipse in evangelio Iudaeis quaerentibus quis esset respondit se esse principium)… Cum enim ita dicitur: In principio fecit Deus caelum et terram, ut Pater fecisse intellegatur in Filio, sicut adtestatur psalmus, ubi legitur: Quam magnificata sunt opera tua Domine ! omnia in sapientia fecisti [Ps. 103,24] ».
-
[32]
Hist. III prol., p. 96, « David vaticinatur in psalmum, orans innovari se per spiritum rectum, nec sibi auferri spiritum sanctum, atque se confirmari per spiritum principalem. Magnum et hic ego cerno mistirium, quod scilicet, quem heretici minorem adserunt, principalem vox prophetica nuntiavit ». Pour cette exégèse de Ps. 50,12-14 (spiritus rectus — spiritus sanctus — spiritus principalis), identifiant le principalis au Fils (le minor des hérétiques), et non au Père, cf. Heinzelmann 2004, p. 779 n. 44; la Sagesse qui n’est pas rappelée Hist. I 1, se trouve tout de même dans le diapsalma pour Ps. 48 (voir ci-dessous). — Pour le Christ-Créateur chez Grégoire, voir encore Hist. V 43, p. 250, et surtout la liste des diapsalmata dans son traité sur les Psaumes (Tract., p. 425-7), pour Ps. 32: « Quod in ipso (ipse = le Christ), qui est verbum Patris, caeli virtutesque eorum firmati sunt »; Ps. 39 (voir n. 28); Ps. 48: « Quod ipse sit sapientia Patris, quae prophetae locuntur »; Ps. 73: « Quod ipse creaverit cuncta aelementa quae cernimus »; Ps. 99 (cf. Heinzelmann 2004, p. 773 n. 12): « Quod ab ipso facti, ipsi debeamus iubilare servire et psallere »; Ps. 148: « Quod ipsius iussu cuncta vel facta sint vel creata ».
-
[33]
Voir, par exemple, Hist. V 11, p. 205, un évêque s’adressant aux Juifs: « ut- … Christum, filium viventis Dei, prophetica et legali auctoritate promissum, corde purissimo in sacris litteris contemplarent »; pour les témoignages de l’Ancien Testament voir surtout le prologue Hist. III, avec la Trinité reconnue d’Abraham, Jacob, Moïse, Aaron et David (série reprise Hist. V 43, p. 6 sv., augmentée d’Isaac et de Salomon et du témoignage de tous les patriarches, prophètes, et de la loi) et les autres grands chapitres « théologiques » de Grégoire: VI 5 (Grégoire à un Juif: « ego… de tuis libris testimonia praebens »), VI 40 (à un Arien).
-
[34]
Gibert 1992, p. 97.
-
[35]
Cf. Heinzelmann 2004, p. 773 n. 12.
-
[36]
Voir ci-dessus n. 16 et VM II 43, p. 174, saint Martin étant appelé « novus Heliseus saeculo nostro », et VM III 22, p. 188, où il est « Israel nostri temporis »; voir surtout sa place privilégiée dans le décompte final des années du monde (Hist. X 31), où son « ère » correspond à des césures aussi importantes que le déluge, le passage de la Mer rouge, et la Résurrection.
-
[37]
Hist. I, litres de chapitre, p. 2; seuls les chap. 1 7 et 18 (resumé des différents royaumes du monde et mention de la fondation de Lyon sous Auguste) ne concernent pas directement la vie, la passion, la résurrection et l’ascension du Christ.
-
[38]
Tyconius, éd. Cazier 1976, p. 268, « Prima regula est de domino et eius corpore: quae de uno, ad unum loquitur, atque in una persona, modo caput, modo corpus ostendit; … Proinde notandum in scripturis quando specialiter caput scribitur, quando caput et corpus, aut quando ex utroque transeat ad utrumque… ». Les Règles du donatiste Tyconius (édition par F. C. Burkitt, Cambridge 1894) doivent leur renommé surtout à la réception par Augustin (De doctrina Christiana, livre III); il en existe un épitomé attribué par Cazier 1976 à Jean Cassien; parmi les utilisateurs se trouvent Eucher, Cassiodore et Isidore de Séville (Sentences, livre I).
-
[39]
Hist. I 1, p. 5-6, « Cuius dormienti ablata costa, millier Ewa creata est. Nec dubium enim est, quod hic primus homo Adam, antequam peccaret, tipum Redemptoris domini praetulisset. Ipse enim in passionis sopore obdormiens, de latere suo dum aquam cruoremque producit, virginem inmaculatamque eclesiam sibi exhibuit, redemptam sanguine, latice emundatam, non habentern maculam aut rugam [Eph. 5,27] ».
-
[40]
Le titre de ce premier chapitre des Histoires est « De Adam et Ewa ». Dans ce premier livre de l’œuvre, Éve n’est pas seulement lipus de l’Église, mais également de la femme pécheresse, cf. Hist. I 44, p. 29, « in concupiscentiam viri succendens, novam Evam effecit ». Une certaine liberté dans l’application de ses typologies se révèle aussi pour la typologie de l’Église, vierge en Hist. I et 47, mère en Hist. 1 4.
-
[41]
Cette relation entre création de l’homme, la passion, le baptême et l’Église, Grégoire a pu la trouver chez Avit de Vienne, « De initio mundi », appelé Hist. II 34 De mundi principio (sic: voir le changement significatif du titre par Grégoire), voir ibid. les vers 165-169, « Protinus exiliens manauit uulnere lympha,/qua uiuum populis iam tum spondente lauacrum/fluxit martyrium signans et sanguinis unda./Inde quiescenti, gemina dum nocte iaceret,/de lateris membro surgens ecclesia nupsit ». L’édition de Nicole Hecquet-Noti (Sources chrétiennes 444), p. 150 sv. n. 3, renvoie au modèle de Prudence: Tituli 166, Cath. 9, 86-7 (« hinc cruoris fluxit unda, lympha parte ex altera ;/lympha nempe dat lavacrum, tum corona ex sanguine est »), Perist. 8,15-18 (« ipse loci est dominus laterum cui uulnere utroque/hinc cruor effusus fluxit et inde latex »); on remarquera pourtant l’absence du rôle primordial du Christ dans la création chez Avit (malgré la citation du Verbe, vers 14 et 27, et de la Sagesse, vers 51) qui attribue la création à l’œuvre du Père, Pater omnipotens qui jette soporem sur Adam et lui reprend une côte, crée Éve et l’unit à son mari: « Istius indicium somni mors ilia secuta est, / sponte sua subiit sumpto quanm corpore Christus » (vers 160. 161); ensuite, ce n’est qu’en renvoyant à cette Passion que le baptême est cité.
-
[42]
Hist. I 4, pp. 6-7, « … non ambigo, quod species illa arcae tipum matris gessisset aeclesiae. Ipsa enim inter fluctus et scupulos huius saeculi transiens, nos ab inminentibus malis materno gestamini fovens… ». Voir le diapsalma de Ps. 23 de Trad., p. 425, « quod ipse [scil. Christus] ecclcsiam suam sanguine suo redemptam collocet super fluctus saeculi », qui relie les typologies de Hist. I 1 et 14.
-
[43]
Hist. I 10, pp. 12 sv.. « Nec enim dubium est quod transitus ille maris vel columna nubis lipum gesserit nostri baptismatis, dicente beato Paulo apostolo… [1 Cor. 10,1.2] Columna vero ignis lypum sancti Spiritus praetulit ».
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[44]
Heinzelmann 2003, pp. 54-59, présente une analyse très détaillée de cette réécriture de l’hypotexte GC 31, où on ne trouvera pas les notions-clé sponsus, sponsa, inmaculatus, ni Christus (rappelé à neuf reprises en Hist. I 47) ou encore paradisus, qui renvoie en Hist. I 47 à la mention du paradis en Hist. I 1 !
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[45]
Hist. I prol., p. 4, « De fine vero mundi ea sentio quae a prioribus didici, Antechristum prius esse venturo… ».
-
[46]
Cf. Heinzelmann 1994, pp. 69-78; Idem, Grégoire de Tours « père de l’histoire de France » ? (1994), pp. 38 sv.
-
[47]
Hist. X 1, p. 477, « Sed quia eclesia Dei absque rectorem esse non poterat. Gregorium diaconem plebs omnis elegit ». L’intérêt de Grégoire était surtout la présentation du saint qui était Grégoire, et de son sermon tenu en 590 qui traite des sujets qui sont au cœur du dixième livre: la possibilité d’une mort subite pour tous, la pénitence, la prière et des rogations (processions); de plus, l’insistance sur l’église apostolique de Rome a pu préparer la recapitulatio des évêques de Tours clans le dernier chapitre de ce livre, des évêques dont le premier est justement envoyé par un évêque — non cité — de Rome.
-
[48]
Hist. X 25, p. 517, « Initia sunt enim haec dolorum [Mat. 24,8] iuxta illud quod Dominus ait in euangelio: Erunt pestilentiae et fames et terrae motus per loca; et exurgent pseudochristi et pseudoprophetae et dabunt signa et prodigia in caelo, ita ut electos in errore mittant [Marc. 13,22], sicut praesenti gestum est tempore ». — On relèvera l’accord parfait, d’après Grégoire, du texte des Écritures et des conditions de l’histoire actuelle.
-
[49]
Pour les détails des chapitres 1, 10, 13, 16-17, 19, 23-25, 30, voir Heinzelmann 1994, pp. 69-78 et Idem, Grégoire de Tours « père de l’histoire de France » ? (1994), p. 38 sv.
-
[50]
Le premier évêque de Tours, saint Catien, est un des « septem viri episcopi ordenati ad praedicandum in Galliis missi » dont parle Hist. I 30, p. 22, et qui rappellent la Cité de Dieu XVII 4, concernant les sept églises dont parle l’apôtre Jean signifiant la plenitudo d’une seule Église (universelle).
-
[51]
« Aliquotiens unum tempus in multas diuidet partes, quarum singulae totum tempus sint (…) sunt enim istae partes recapitulationis ab initio usque in finem », l’édition de Tyconius par F.C. Burkitt (1894) est cité d’après Cazier 1976, p. 282 n. 76 qui donne des exemples (ibid., n. 77): « … ab Adam usque ad Noe, id est mundi reparationem, X generationes, quod est omne tempus; et a Noe usque ad Abraham X generationes, nam et C anni quibus arca fabricata est omne tempus est quo Ecclesia fabricatur… ». D’après Cazier 1976, p. 283, Tyconius propose encore une autre récapitulation qui serait une futura similitudo, continuant par tous les textes permettant de découvrir l’Antéchrist dans le monde. Chez Augustin et dans la version gauloise des Règles, recapitulatio est plutôt ramenée à son sens rhétorique, rappel, cf. Cazier 1976, p. 284-5.
-
[52]
Hist. X 31, p. 537. Dans la première récapitulation Hist. IV 51, la Passion est logiquement à la place de la Résurrection, voir ci-dessus.
-
[53]
CD XV 1, vol. 36, p. 34, « … ipsius generis humani, quod in duo genera distribuimus, unum eorum qui secundum hominem, alterum eorum, qui secundum Deum vivunt; quas etiam mystice appellamus civitates duas, hoc est duas societates hominum ».
-
[54]
Voir pour la suite Heinzelmann 1997, pp. 76-78, avec plus de détails.
-
[55]
L’initium fidei nostrae (d’après Rom. 4,16 ou Gal. 3,7) devient principium fidei nostrae en VP VIII 1, p. 241 (voir ci-dessus sur le Christ en tant que principium); voir le « noster » qui renvoie à l’époque de Grégoire. — Pour la théophanie devant Abraham « ad ilicem Mambre », voir l’HE-Rufin I 2,7, p. 15, qui identifie aussi le Christ, sans parler pourtant de la vision de l’Incarnation et de la Passion; cf. aussi Bovon 1967, p. 132, pour l’HE d’Eusèbe.
-
[56]
Hist. I 7, p. 9, « Hic (scil. Abraham) accepit repromissiones. Huic se Christus dominus noster nasciturum ac pro nobis passurum in victimae conmutationem monstravit, ipso in euangeliis sic dicente: Abraham exullavit ut videret diem meum; et vidit, et gavisus est » [Jo. 8,56]. — Le développement assez long sur les promesses de Dieu et la foi d’Abraham (initium fidei nostrae) paraît prendre en considération la troisième règle de Tyconius (voir n. 38), « de promissis et lege », qui met l’accent, dans la tradition de la condamnation de la loi par saint Paul, sur la foi, cf. Cazier 1976, pp. 276 sv. et p. 277-9 à propos de la version augustinienne (« de spiritu et littera », De doctrina christiana III) et celle de l’épitomé gaulois (éd. ibid. p. 269).
-
[57]
Hist. I 15, p. 15, « Sed haec captivitas (scil. à Babylon) typum illius captivitatis, ut puto, gerit, in qua anima peccatrix abducitur, quam nisi Zorobabil, id est Christus, liberaverit, horribiliter exsulavit ». Comme Zorobabel a aussi restitué le temple aux Juifs, Grégoire répond par une typologie qui s’étend jusqu’à son époque à lui: voir n. 98.
-
[58]
Cf. Gibert 1992, pp. 92 sv.
-
[59]
Cf. Hist. I 26; 27; 28 (2 fois); 29; 30 (2 fois, dont: « ob dominici nominis confessionem »); 31; 35.
-
[60]
Cf. Heinzelmann 1994, p. 131, 148 (avec les notes 50 sv.), 222 n. 77.
-
[61]
Pour la différence des dix livres « hagiographiques » des dix livres d’Histoires chez Grégoire de Tours, voir Heinzelmann 200.3, p. I 7. — Pour la terminologie de Grégoire concernant ecclesia/ecclesiae, ecclesia(e) Dei, voir Heinzelmann 1994, pp. 141-150.
-
[62]
Cf. Cazier 1976, p. 274-6, l’édition de l’épitomé (qui suit très largement Augustin) ibid., pp. 268 sv.
-
[63]
Hist. I 1, « Or, ces premiers hommes, qui vivaient heureux parmi les délices du paradis, trompés par l’astuce du serpent, enfreignent les préceptes divins; chassés du séjour des anges, ils sont commis aux peines de ce monde ».
-
[64]
Pour l’importance des compositions avec « novus » (premier), ou « verus », etc., pour une typologie, voir Suntrup 1984, pp. 54 sv. — La suppression du nom, dans le but de rendre au récit une portée plus générale, est une méthode appliquée plusieurs fois par Grégoire; voir, parmi beaucoup d’autres, la lettre de l’évêque Eugène (de Carthage) aux chrétiens de son église (Carthage) devenant une lettre à tous les chrétiens, dans un sens typologique, par la suppression du nom de lieu (Hist. II 3, pp. 41 sv.).
-
[65]
Pour l’interprétation des noms dans une perspective typologique, comme pour « Babel » ou « Esau », voir Haubrichs 1975.
-
[66]
Hist. II prol., « Prosequentes ordinem temporum, mixte confuseque tam virtutes sanctorum quam strages gentium memoramus. Non enim inrationabiliter accipi puto, se filicem beatorum vitam inter miserorum memoremus excidia, (cum idem non facilitas scriptoris, sed temporum series praestitit) »; pour une interprétation détaillée voir Heinzelmann 1994, pp. 109-113 et passim; Idem 1992, p. 544.
-
[67]
Après, Grégoire enchaîna encore les exemples de trois rois burgonds ariens qui auraient également perdu vie et leur salut, affirmation fausse au moins dans deux cas.
-
[68]
Heinzelmann 1994, p. 110.
-
[69]
« David quem Fortem manu dicut », Hist. II prol. (d’après le Liber interpretationis Hebraicorum nominum de Jérôme, cf. Hist. p. 36 n. 1); Clovis: Hist. II 12, p. 62, « Hic (scil. Clovis) fuit magnus et pugnatur egregius ».
-
[70]
Gontran: cf. Heinzelmann 1994, pp. 49-57, spec. pp. 196 sv. n. 32 pour le parallélisme Gontran-Ézéchias.
-
[71]
VP III (Vita Abrahae abbatis), I, p. 223, « quasi novus Helias »; VM II 43, p. 174, « proferamus novum Heliseum saeculo nostro, qui cadaver defuncti vivum remisit a monumento »; VM III 22, p. 188, « (Martin) Israel nostri temporis »; le fail d’avoir ressuscité des morts donne ailleurs l’occasion à Grégoire de présenter Martin comme le type du Christ lui-même qui avait ressuscité, comme lui, trois morts: voir VJ 30, p. 126; Hist. X 31, p. 527; GC 4 (évocation de Lazare), p. 301, et Heinzelmann 2003, pp. 32-35.
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[72]
Cf. Heinzelmann 1992, passim.
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[73]
Hist. VI 46, p. 319.
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[74]
Cf. Heinzelmann, Grégoire de Tout s « père de l’histoire de France » ? (1994).
-
[75]
Pour Tyconius voir n. 38; Cazier 1976, pp. 279-281 (pour Tyconius et Augustin), pp. 269-270 l’édition de l’épitomé gaulois (« Quarta regula est de specie et genere, per quam pars pro toto et totum pro parte accipitur… Et saepe transitus fit de genere ad speciem, de specie ad genus, quemadmodum dominus, ad Babyloniam loquens, transit ad universum mundum dicens: "et disperdam omnem terram…" »). — Un exemple parmi bien d’autres où Grégoire a appliqué cette règle, est l’adresse de l’évêque Eugène de Carthage à ses diocésains, voir ci-dessous, n. 64.
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[76]
Hist. II 10; V 11. 43. 44; VI 5. 40; X 13. Voir Heinzelmann 1994, index des chapitres cités. — Pour mes recherches du vocabulaire grégorien j’ai utilisé surtout Suntrup 1984, la Concordance de l’Historia Francorum de Grégoire de Tours, par Denise St-Michel, 2 vol., Montréal, [1979], et le CD-Rom MGH 3.
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[77]
77. Hist. II. 4 (2 fois). 9. 10 (2 fois). 15; pour le terme et ses synonymes forma-figura, sacramentum, mysterium, voir Hamman 1991, pp. 138-142. Pour Grégoire, voir encore indicium, cf. Hist. X 13, p. 496, « manifestum fuit resurrectionis indicium, quod Helisei ossa tangens extinctum cadaver virtutis effectu revixerit ».
-
[78]
Il y a 29 occurrences de mysterium dont 23 sont hagiographiques. Voir p. ex. l’exégèse des sources de Grenoble qui produisent en même temps de l’eau et du feu, De cursu I 4, p. 412, « O admirabile potentiae divinae misterium ! Una vena fontis et ignis producit et latices, scilicet ut cognoscant omnes dominationi eius et refrigerium gloriosae vitae et indicium aeternae mortis adsistere, intellegantque, incendiis licentiam esse non datam ad nocendum corpus humanum, quod post judicium, si peccato obnoxium fuerit, accepturi erunt perpetualiter exurendum »; voir encore Tract., p. 424, où il voit un mysterium dans la tripartition du Psautier (en trois parties de 50 psaumes), dont la première partie concerne la rémission des crimes, la deuxième l’espoir du royaume céleste, et la troisième la certitude d’obtenir le royaume dans l’Église.
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[79]
Hist. V 23, p. 230 (« circolus ille, qui pluviam plerumque significat, circa eam [scil. lunam] apparuit. Sed quae haec figuraverint, ignoramus); V 43, p. 252 ([fidem] « quam omnes patriarchae, prophetae sive lex ipsa vel oraculis caecinit vel sacrificiis figuravit »); VI 5, pp. 268 sv. ([le peuple juif] « non intellegit ecclesiastica mystiria in suis sacrificiis figurata »); VI 34, p. 305; GM 92, p. 100; VM II 19, p. 166; De cursu 9, p. 410 (certains éléments naturels « ignem infernalem figurant », comme l’Étna); ibid. 11, p. 410; ibid. 12, p. 411 (la résurrection du phénix « resurrectionem humanam valde figurat et ostendit); voir aussi Hist. I 10, (saeculum) « quod figuraliter mare dicitur ».
-
[80]
Voir ostendere, manifestare, pronuntiare, docere, praedicare (ou praedicere), (de) monstrare, designare, conplere, implere, conparare, etc.
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[81]
Cf. Hist. I 10, p. 12, « Quas nos divisiones (scil. de la Mer rouge) spiritaliter et non secundum littera intellegere oportit ». Pour « spiritalis/ spiritaliter » il y a 37 occurrences dans l’œuvre grégorienne, dont six historiques, et tout spécialement dans le Traité sur le Psautier, avec 12 occurrences (voir note suivante). — Pour « intellegere/ intellectus », voir spécialement Hist. II 10, pp. 59 sv., avec une exégèse de l’histoire païenne des Francs (avant Clovis): « Quid si intellegere potuissent, quae pro vituli conflatilis veneratione Israheliticum populum ultio subsecuta coupraesseret… », et, en finissant, « Haec autem generatio Francorum non intellexit primum; intellexerunt autem postea, sicut sequens historia narrat ». Voir aussi Hist. V 43, p. 252, « fides, quam… Salomon praedicavit in intellectu ».
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[82]
Tract., p. 424, « Illi sane qui res gestas secundum litteram narrant veritatem spiritalis intellegentiae cognoscuntur habere ».
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[83]
De cursu 11, p. 410, « quae Dominus spiritalis doctrinae sator de profecto verborum suorum, quae in populos iaciebat, parabolice commutavit, dicens… ».
-
[84]
Hist. I 16, p. 15; la même formule Hist. V 11, p. 205 (« Christum., prophetica et legali auctoritate promissum », et « nobis prophetarum vocibus repromissum »), VI 5, p. 268.
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[85]
« ut, relicto velamine legis Moysaicae, spiritaliter lecta intellegerent et Christum… in sacris litteris contemplarent », Hist. V 11, p. 205; voir aussi VI 5, où Grégoire parle cinq fois de « propheta tuus », en apportant, devant le Juif Priscus, une vingtaine de citations prophétiques (et psalmiques).
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[86]
Voir Hist. III prol., p. 96, avec tous ceux qui ont reconnu la Sainte Trinité, à partir d’Abraham, Jacob, Moïse, Aaron, David; un argument semblable se trouve Hist. V 43, p. 252, avec les mêmes témoins, augmentés d’Isaac et de Salomon, et continuant: « [la fides trinitaire] quam omnes patriarchae, prophetae sive lex ipsa vel oraculis caecinit vel sacrificiis figuravit; quam et nunc praesens suffragatur Martinus noster vel possidit in pectore vel ostendit in opere ».
-
[87]
« Vates » 5 occurrences (Élie, Jérémie, deux fois Moïse); « vaticinia » 2 fois; « vaticinari » 5 (ois; « oraculum/-a » 9 occurrences, et 7 comme synonyme de « temple », dans De cursu.
-
[88]
Voir Heinzelmann 2004, p. 775 n. 21-23; cf. Gibert 1992, p. 100, pour les Psaumes et la Sagesse inclus dans « la Loi et les Prophètes ».
-
[89]
« Praedicatio » comme message évangélique (voir Hamman 1991, p. 143) Hist. I 15. 46, VP II, p. 219 (euangelica praedicatio), VP XVIII, p. 284 (dona praedicationum); entre « praedicare » (« annoncer, prêcher ») et « praedicere » (« dire d’avance »), la décision paraît souvent difficile (Hamman 1991, ibid.): en ce qui concerne Grégoire, voir p. ex., Hist. III prol., p. 96, la Trinité que Jacob « praedicat in benedictionem » (comme V 43, p. 252, la foi du Christ que « Salomon praedicavit in intellectu »), et Hist. X 13, p. 496, « qui resurrectionem futuram praedicatis », et Hist. I 5, p. 5, « a Deo praedicetur » ou X 1, p. 479, « ut enim profeta teste praedictum est »; il y a un exemple négatif de quelqu’un qui diabolicis artibus « praedicebat enim futura », Hist. X 25, p. 518.
-
[90]
Hist. VI 40, p. 311, « Deo autem Patri haec necessitas fuit Filium mittendi ad terras, ut ostenderit Deum, ut, quia mundus prophetis et patriarchis atque ipse Latori legis non crediderat, saltum vel Filio crediderit ».
-
[91]
Voir encore les verbes « inplere/ implere » (11 occurrences), et « conplere/ complere »; p. ex. GM 87, p. 97, « impletumque est illud Salomonis proverbium… », et Hist. I 20, p. 17, « ut veterum vatum conplerentur oracula ». Dans la plupart des cas, c’est pourtant un verset du Nouveau Testament qui s’ « accomplit ».
-
[92]
Tract., pp. 425 sv.; à partir du deuxième Psaume, le mol « ostendit » doit être suppléé à chaque phrase.
-
[93]
De cursu 9, p. 410; pour la fonction des grands miracles de la nature chez Augustin et Grégoire, voir Heinzelmann 2002, pp. 44, 51. — Pour « ostendere » dans le contexte typologique de phénomènes de la nature, voir encore Hist. X 13, p. 499 (« Haec ostendunt et illa quae iaceuntur semina terris »), et ibid., « Hanc enim resurrectionem et illa quae cernimus elementa demonstrant » (des arbres qui perdent les feuilles et les récupèrent au printemps), GM 30, p. 55 (« Per id enim, quae sit fertilitas anni sequentis, ostenditur »), De cursu 12, p. 41 1 (« quod miraculum [du phénix] resurrectionem humanam valde figurat et ostendit… »).
-
[94]
Le Christ: Hist. VI 40, p. 311, « sed sic praedicavit Patrem in saeculo, ut et se virtutibus ostenderit Deum »; Martin: Hist. V 43, p. 252; voir aussi VM II 43, p. 174, « O quotiens hic prophetarum et sublimium virorum virtutes, quas olim gestas legimus, renovari miramur ! Sed quid inquam ? Quod hi multi fecerunt viventes in saeculo, hic solus cotidie renovat etiam post sepulchrum ». — Cf. Heinzelmann 2002, pp. 46-57, et Idem 2003, pp. 32-35, pour la situation de « réécriture » des miracles du Christ, par Martin.
-
[95]
« Ostendere » se retrouve 66 fois dans l’œuvre (sans les diapsalmala), avec 19 occurrences dans les Histoires; « manifestare /manifestum est »: 60 occurrences dont 10 dans les Histoires. Voir encore « docere », avec une signification comparable, p. ex. Hist. X 13, p. 496, « sed et Ezechiel profeta, cum… reformatum hominem enarraret, manifestissime resurrectionem futuram edocuet ».
-
[96]
Cf. Heinzelmann 2002, passim.
-
[97]
Voir encore ibid., Hist. I 7, p. 9, « Hic ergo Abraham accepit signum circumcisionis, ostendens, ut quod ille gessit in corpore, nos portemus in corde… ».
-
[98]
Voir n. 57; la typologie Zorobabel-Christ en Hist. I 15 y est expliquée par le temple que le Christ construit en « nous », c’est-à-dire en Grégoire et ses contemporains: « Ipse enim (scil. le Christ) sibi in nobis templum, in quo dignetur habitare, constituat, in quo fides ut aurum luceat, in quo eloquium praedicationis ut argentum splendeat, in quo omnia visibilis templi illius ornamenta in nostrorum sensuum honestate clariscant ». Pour la métaphore répandue de l’argent correspondant à l’eloquium, et de l’or, au sensus spiritualis, voir Spitz 1972, pp. 191 (et sv.); dans le cas présent, Grégoire a du avoir comme modèle Jérôme, Comm. in prophetas minores, In Aggaeum, 2, lignes 212-221 (Corpus christ. Series latina, 76A), « sed ego argentum, quo domus dei ornatur, existimo eloquia scripturarum… et aurum quod in occulto sanctorum sensu., et splendet vero lumine dei, quod et apostolum de Sanctis, qui super fundamentum christi aedificant, sensisse perspicuum est, aurum, argentum, lapides pretiosos, ut in auro sensus occultus sit, in argento sermo decens, in lapide pretioso, opera deo placentia ».
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[99]
Pour la construction d’une typologie par l’ajout d’un adjectif possessif ou démonstratif, voir Suntrup 1984, p. 56; pour Grégoire, cf. Heinzelmann 1992, p. 540-542 (ibid. 24 pour saint Martin).
-
[100]
Voir, p. ex. Hist. IV 20, p. 153, « ibatque Chlotharius rex tamquam novus David contra Absolonem filium pugnaturus », ou VI 45, p. 317, « tantusque planctus in urbe Parisiaca erat, ut plancto conpararetur Aegyptio ».
1 – Introduction: Quelques fausses pistes
1La réception extrêmement perturbée de l’œuvre de l’évêque Grégoire de Tours, mort en 594 après une dernière rédaction dans les derniers mois de son existence d’une œuvre composée pendant toute sa vie d’évêque, a très longtemps obscurci une bonne compréhension de ses desseins d’auteur. Aujourd’hui il faut reconnaître qu’il a voulu explicitement léguer ses écrits sous la forme d’un ensemble cohérent en vingt livres. Il appelle les dix premiers historia(e), tandis que l’autre moitié, avec un nombre égal de livres, inclut sept livres de miracles, un autre comprenant vingt biographies de saints, un traité sur le Psautier et un livre sur les temps de la louange de Dieu, créateur des grands miracles de la nature. Il paraît justifié de qualifier d’hagiographique cette seconde partie de l’œuvre, à laquelle nous reviendrons, d’autant plus que les Psaumes, d’après saint Jérôme auquel Grégoire fait référence, appartiennent aux livres « hagiographiques » de la Bible [1].
2Mais revenons aux livres historiques de Grégoire qui, une génération après sa mort déjà, ont connu une nouvelle édition par un abréviateur. Il n’a pas seulement élagué substantiellement les six premiers livres historiographiques, il a encore entièrement supprimé les quatre derniers et, de plus, détaché les historiae du contexte que constitue l’ensemble des vingt livres grégoriens: de la sorte il a franchi le pas le plus important qui a fait passer d’une histoire ecclésiastique originelle — comme nous allons le voir — à une historia Francorum dont l’intérêt sera dorénavant profondément lié à l’intérêt de la postérité pour les origines et le développement de l’empire franc [2]. Cette réception « intéressée » des Histoires s’est très largement imposée jusqu’aujourd’hui: l’importance factuelle des récits grégoriens pour une connaissance des Mérovingiens a ainsi radicalement supplanté les ambitieux desseins théologiques et exégétiques de l’auteur.
3Dans cette nouvelle optique, il n’est guère étonnant que la question des modèles de Grégoire n’ait pas trouvé l’intérêt qu’elle mérite. L’énorme succès des Historiarum adversum paganos libri VII d’un Orose au Moyen Âge, lié à la revendication qu’a cet auteur de présenter le premier une histoire « universelle » — partant des débuts du monde, et pas seulement de l’époque d’Abraham et de son contemporain le roi Ninus [3] —, semblait indiquer que cette œuvre ait pu jouer ce rôle de modèle principal pour les Histoires de Grégoire, d’autant plus que ce dernier n’a pas manqué de mettre en évidence son prédécesseur à plusieurs reprises. Orose est effectivement cité neuf fois dont trois fois de manière privilégiée dans des prologues historiques: son œuvre y apparaît, avec les Chroniques d’Eusèbe-Jérôme et Victurius d’Aquitaine, comme source pour le calcul des années du monde, mais surtout, au prologue du livre II, en tant que référence pour la méthode prônée par Grégoire de narrer des événements profanes au même titre que les miracles des saints [4]; une telle affirmation a sans doute pu suggérer à un public peu avisé que l’auteur récusait le genre de l’histoire ecclésiastique [5].
4Quant à l’Histoire ecclésiastique (HE) d’Eusèbe de Césarée, son influence sur Grégoire semble moins patente au premier coup d’œil. Si l’évêque de Tours a nommé la Chronique de l’évêque de Césarée à quatre reprises, en l’associant particulièrement aux Chroniques de Jérôme et de Sulpice Sévère, il ne fit expressément mention de l’Histoire ecclésiastique que dans son œuvre hagiographique, d’ailleurs en taisant indûment le nom de Rufin [6]. D’après ces citations, le rôle d’Eusèbe pour Grégoire s’expliquerait par ses seules préoccupations chronologiques qui, accentuées de manière exagérée, ont plutôt brouillé la bonne compréhension de ses desseins. Il est vrai que dès le prologue du premier livre l’historien de Tours paraît se préoccuper de ceux qui adpropinquantem finem mundi disperant, c’est-à-dire ceux « qui se désintéressent de la fin du monde » — traduction préférable à: « qui perdent espoir à l’approche de la fin du monde » —, et c’est pour eux qu’il se propose de comptabiliser les années du monde depuis l’origine [7]. Une telle comptabilité n’a de sens qu’en référence à une théorie « qui assigne au monde une durée bien précise, déterminée par analogie avec la semaine génésiaque: aux six jours de la Création doivent correspondre six millénaires d’histoire, puisque < mille ans sont comme un jour aux yeux du Seigneur > [8]. Quand, dans sa dernière récapitulation des années du monde, Grégoire se situe donc lui-même dans la 5792e année du monde [9], on peut prendre ce constat pour une consolation ou pour une menace, le début de la Parousie en l’année 6000 étant relativement proche ou distant.
5Mais, selon toute apparence, Grégoire est loin d’avoir adopté une forme stricte de millénarisme. Un premier indice dans ce sens tient à son emploi assez libre des différentes périodes (ères) des années mondiales, dans les deux grandes récapitulations des Histoires, à la fin des quatrième et dixième livres [10]. Ainsi, si nous laissons de côté les problèmes de la durée exacte de chaque ère, pour le premier décompte des années jusqu’au Christ, Grégoire connaît six périodes ou ères qui approchent d’assez près du modèle des chroniques d’Eusèbe et de Jérôme [11]: a principio (Eusèbe-Jérôme: Adam) — diluvium; diluvium — Abraham; Abraham — egressus ex Aegipto; egressus — aedificatio templi Salomonis; aedificatio templi — dissolatio templi et transmigrate in Babilonia; transmigratio — passio Domini; après cela suivent quatre autres césures avec la mort de saint Martin et la mort des rois Clovis, Theudebert, Sigebert, qui correspondent chaque fois à la fin d’un livre (livres I à IV).
6Par contre, au dernier chapitre du dernier livre des Histoires (X 31 ), se trouve une récapitulation bien différente: a principio — diluvium, diluvium — transitus in mari Rubro (= egressus ex Aegipto), transitus — resurrectio dominica, resurrectio — transitus sancti Martini, transitus — vingt-et-unième année épiscopale de Grégoire, ce qui ne fait que trois ères seulement de la Création à la Résurrection. En faisant abstraction, pour le moment, de la signification typologique de ces ères différentes, nous constatons que Grégoire paraît avoir consciemment évité la périodisation en six âges — suivant la semaine génésiaque — proposée par Augustin à la fin de sa Cité de Dieu, périodisation largement adoptée au moyen âge, d’après laquelle le sixième et dernier âge avait commencé avec la venue du Christ [12]. À part le fait que Grégoire était sans doute hostile à toute périodisation trop restrictive, il avait une sérieuse raison théologique de se séparer du Père de l’Église africain: si, pour ce dernier, dans la présentation de sa théorie sur les six âges du monde au dernier chapitre de la Cité de Dieu, le septième jour du repos divin représente aussi le jour de dimanche et de la résurrection du Christ, pour Grégoire au contraire, c’était au premier jour de la Création qu’il fallait préserver ces deux significations [13].
7En comparant les deux récapitulations de l’œuvre grégorienne, on constate en dénominateur commun la place privilégiée réservée à la césure que représente la mort de saint Martin. En expliquant l’ « ère martinienne », Luce Pietri a parfaitement reconnu la spécificité de cette césure, mais en l’attribuant à une « ère locale de caractère religieux », introduite pour « des raisons d’ordre purement pratique » [14]. Dans ces conditions il lui a été interdit de reconnaître le rôle primordial de Martin en tant que figure principale du Christ, au même titre que, par exemple, Noé, Abraham ou Salomon qui, eux aussi, sont associés à une ère [15]; que, dès lors, la mort de Martin soit traitée en véritable seuil des temps modernes pour l’histoire générale, ne peut plus étonner [16].
8C’est notre auteur lui-même qui livre l’ultime réponse à la question posée antérieurement concernant la fin du monde. Après s’être référé au verdict des Écritures selon lequel seul le Père connaît la date et l’heure de cette fin (Marc. 13,32), il arrive à la conclusion: « car notre finalité à nous c’est le Christ lui-même, qui nous procurera avec une large bienveillance, si nous nous convertissons à lui, la vie éternelle » [17]. En jouant sur les significations du mot finis, comme Augustin l’avait déjà fait à la fin de la Cité de Dieu, Grégoire a donc finalement rendu caduques toutes les spéculations sur la fin des temps, et proposé le remplacement par un principe ou une finalité salutaire [18].
2 – Le Christ fondement et finalité des structures typologiques
9L’élément primordial du prologue programmatique aux dix livres d’histoires est pourtant la confession de foi de l’auteur, évêque de Tours, et il le dit d’emblée: « Au moment d’écrire les guerres des rois contre les peuples ennemis, des martyrs contre les païens, des Églises contre les hérétiques, je désire d’abord proclamer ce que je crois, pour que ceux qui me liront ne doutent pas de mon orthodoxie » [19]. Cette confession ou, mieux, proclamation de foi se fonde finalement sur l’autorité des « 318 évêques de Nicée », sans dépendre directement du symbole de Nicée ou d’un autre symbole connu de l’époque [20]. Le sens de ce texte substantiel devient vite évident: un premier bref « credo in Deum patrem omnipotentem » est suivi de formules nettement plus développées sur le Fils, l’Esprit Saint, la Sainte Trinité. Pour Grégoire, l’intérêt essentiel était la présentation appropriée du Fils, « né du Père sans être créé, non pas dans le temps, mais étant toujours dès avant tout temps avec le Père » [21]. Cette référence au temps précède de manière habile l’évocation de ce que l’on peut appeler le texte-clé pour Grégoire, le début de l’Évangile de Jean: « Je crois que le Christ est ce Verbe du Père par qui ont été faites toutes choses. Je crois que ce Verbe s’est fait chair, que par sa passion le monde a été racheté (…) » [22]. Cette approche fait apparaître un premier parallélisme avec l’HE d’Eusèbe dans la traduction de Rufin, car là aussi, le premier chapitre, en guise de prologue, avait insisté sur le rôle primordial du Christ dans la Création et, ainsi, dans l’histoire [23].
10Commence alors le premier chapitre des Histoires de Grégoire: « Au commencement, le Seigneur, sous la forme de son Christ qui est le commencement et le fondement de tout, c’est-à-dire sous la forme de son Fils, forma le ciel et la terre. Après la création de tous les éléments du monde, il (…) modela un homme à son image et à sa similitude, insuffla sur son visage le souffle de vie, et l’homme devint une âme vivante » [24]. Ce qui frappe d’entrée c’est la double occurrence d’un mot clé qui est, après le finis (fin/finalité) du prologue précédant dont il a déjà été question, le terme principium (commencement/ fondement), en tant qu’équivalent du Christ.
11Ensemble, les deux termes évoquent le texte de l’Apocalypse ego sum A et ? principium et finis dicit Dominus Deus qui est et qui erat et qui venturus est Omnipotens [25]: les structures entières des dix livres historiques de l’évêque de Tours seront conçues en fonction de ce modèle, avec un premier livre traitant des origines et un dernier, eschatologique, de la fin de l’histoire [26].
12En ce qui concerne sa description de la Création et du rôle du Christ-Créateur, Grégoire a donc fait appel à une importante tradition patristique qui associe le premier verset de la Genèse au début de l’Évangile de Jean, comme il a déjà été dit [27]: de la sorte le Christ, nommé au début de l’Ancien Testament [28], est présenté comme véritable « Seigneur fondateur des deux Testaments » [29]. Rufin, dans sa traduction de l’HE eusébienne, avait simplement donné la citation de Jean 1,1.3 (In principio erat verbum…), et renvoyé au témoignage de Moïse (Gen. 1,26) et de David (Ps. 32,6.9) pour une collaboration entre le Père et le Fils lors de la Création [30]. Mais Augustin déjà, quand il raconta l’exortus de l’histoire des deux cités à partir du onzième livre de la Cité de Dieu, tenait à exposer d’abord l’identité du Fils avec le Verbe et la Sagesse de Dieu et le principium lors de la Création [31]. Pour ses Histoires enfin, Grégoire a encore fortement accentué le rôle du Christ qu’il n’hésite pas, dans le prologue du livre III, à qualifier de spiritus principalis de la Trinité, en opposition d’ailleurs avec une partie importante de la tradition patristique [32]. Dans cette veine, il s’est d’abord employé, aidé de l’exégèse patristique, à mettre en évidence les prophéties vétéro-testamentaires ayant trait à la préexistence et à la venue du Seigneur, pour présenter ensuite la vérité des évangiles comme une preuve irréfutable de la validité des Écritures autant que de l’historicité du Verbe de Dieu incarné [33]. De cette façon il rend évident que « le Christ est celui qui accomplit les Écritures comme, inversement, les Écritures sont accomplies par Lui » [34]. La liste des 150 diapsalmata qui font partie du Traité sur le Psautier de Grégoire, assignant de manière surprenante un sens christique à la totalité des 150 Psaumes, permet d’y découvrir une revendication tout à fait comparable [35].
13Quant à historicité de la venue du Seigneur, l’historien l’a encore exprimée par la structure particulière donnée à son premier livre. Dans un ensemble de 48 chapitres présentant l’histoire chronologiquement, dont le premier commence par la Création et le dernier s’achevant à la mort « dans le Christ » de saint Martin, figure du Christ et du début de « l’époque moderne » [36], les chapitres traitant de l’existence charnelle du Christ occupent le milieu entier, du chapitre 16 (« Nativité du Christ ») à 24 (« Ascension du Seigneur et mort violente de Pilate et d’Hérode ») [37]. Le début et le milieu du livre étant réservés au Christ, la fin du livre avec un saint Martin qui « feliciter migravit ad Christum » prend toute sa signification.
3 – L’intervention du Christ dans l’histoire: l’Église
a – Ecclesia inmaculata
14La première des sept règles de Tyconius sur la bonne manière de lire les Écritures, que Grégoire a pu connaître dans une version originale, dans la « doctrine chrétienne » de saint Augustin, ou d’après l’épitomé gaulois, relève le fait que, dans les Écritures, le Christ est parfois présenté en tant que tête, parfois en tant que corps, c’est-à-dire identifié à l’Église [38]. Cette règle essentielle s’applique pleinement au premier chapitre des Histoires de Grégoire de Tours, texte lourdement chargé de typologies qui s’avéreront significatives par la suite. Car après avoir identifié le Christ-Verbe de Dieu comme principe créateur, Grégoire continue ainsi: « Tandis qu’il dormait (scil. Adam), il (scil. le Christ) lui retira une côte: ce fut la création de la femme, Éve. Et il n’y a point de doute que ce premier homme Adam, avant qu’il ne péchât, présentait le type du Seigneur rédempteur. En effet, lorsque celui-ci s’endormit dans le sommeil de la passion, en faisant couler de son flanc du sang et de l’eau il produisit de lui-même la vierge immaculée qui est l’Église, rachetée par le sang, purifiée par l’eau, sans tache ou ride, c’est-à-dire lavée par l’eau pour ôter toute tache, et étendue sur la croix pour ôter toute ride » [39].
15En conséquence, une première typologie se réfère à Adam, type du Seigneur, et une deuxième à la création de la femme représentée par Éve et signifiant l’Église immaculée [40], établie donc lors de la Création et rachetée par la Passion [41]. Cette typologie de l’Église sera relayée par d’autres dans ce premier livre des Histoires, et au-delà :
- chap. 4, « Le déluge » (titre): lors du déluge, le Seigneur a préservé dans l’arche « Noe fidelissimum ac peculiarem sibi suique tipus speciem praeferentem »; cette arche, qui « nous protège comme une mère des dangers qui nous menacent », représente le type de la « mère Église » [42].
- chap. 10, « Passage de la Mer rouge » (titre): le passage de la Mer Rouge et la colonne de nuée préfigurent le baptême (et la colonne de feu préfigure l’Esprit Saint) [43]; les « divisions » de la Mer rouge signifient les différents mérites du chrétien qui lui ouvrent l’accès à l’Église du Christ, et d’abord à ceux « qui renati per baptismum, inmaculati ab omni inquinamentum carnis [2 Cor. 7,1] perdurare usque ad vitae praesentis exitum possunt ». Le terme inmaculatus renvoie, en tant qu’épithète de l’Église, au chapitre 1 et à l’avant-dernier chapitre du livre I.
- chap. 47, « Chasteté des deux amants » (titre): à partir d’une « histoire vraie », Grégoire propose un récit dans lequel une jeune vierge, figure de la virgo inmaculata ecclesia du premier chapitre, se présente, le jour de son mariage et devant son futur époux, comme sponsa de son sponsus Iesus Christus, désirant garder son corps inmaculatum. La raison d’être de cette réécriture habilement composée, présentée à l’origine sous une forme plus concise dans un contexte hagiographique, est manifeste: il était nécessaire de conclure de manière programmatique un premier livre illustrant le sujet de l’Église immaculée [44], thème majeur de ce livre dont le présent chapitre est l’avant-dernier, le dernier étant réservé à saint Martin dont il sera encore question.
16En ce qui concerne la césure suivante, la mort de saint Martin, l’explication est encore en rapport étroit avec le premier chapitre des Histoires et la création d’Adam en tant que tipus du Christ. Cette typologie fondamentale qui spécifie et explique celle de l’Église dont elle fait manifestement partie, lui donne son caractère d’alliance originelle entre Dieu et l’homme, et donne ainsi sa structure la plus importante aux Histoires: en conformité absolue avec les duo genera du genre humain dans la Cité de Dieu augustinienne, vivant soit « secundum hominem », soit « secundum Deum » [53], toute la narration historique de Grégoire se nourrit de l’opposition entre ceux qui resteront les « types » du Seigneur, les saints, et les autres miseri qui se détournent de la voie originelle.
17Là encore, le premier livre offre comme un terrain exemplaire à l’histoire où se suivent chronologiquement les « types » du Seigneur, désignés plus ou moins explicitement en tant que tels [54]. Ainsi le chap. 3 « De Enoch iusto », puis le chap. 4 du déluge et de Noé qui présente le type du Christ de la même façon que l’arche celui de l’Église, ou encore Abraham, initium fidei nostrae [55], à qui le Christ a révélé son Incarnation et sa Passion (chap. 7) [56]. Suivent Jacob dilectus Dei, et Joseph qui, lui aussi, présente tipum Redemptoris (chap. 9); mais Moïse (chap. 10), Iosué (chap. 11), David et Salomon (chap. 13) ne reçoivent pas une distinction analogue. Le dernier cité est « Zorobabil, id est Christus » (chap. 15), car il a libéré le peuple de Dieu de la captivité babylonienne comme le Christ a libéré l’anima peccatrix [57].
18Significativement, l’utilisation du terme « tipus » s’arrête avec l’Incarnation, car c’est « selon la personne du Christ et selon les principaux événements de sa vie » que s’impose l’intelligence des Écritures [58]. Pour qualifier la mort des apôtres, martyrs et autres imitateurs du Christ qui se succèdent dans cette deuxième partie du premier livre, Grégoire reprend régulièrement l’expression « pro Christi nomine », qui répond ainsi à l’utilistion de tipus dans la série précédant la venue du Christ, même quand le texte de Jérôme ou de Rufin lui servant de modèle est dépourvu de ces mots [59]. Enfin vient saint Martin qui a droit à trois titres de chapitre, « Nativité de saint Martin et invention de la Croix » (36), « Venue de saint Martin » (39), « Mort de saint Martin » (48). La portée christologique y est flagrante. Déjà le premier titre en témoigne, qui répond à l’intitulé du chap. 16, « Nativité du Christ », associé à la découverte du symbole principal du Seigneur; le symbolisme christique de la lumière mis en valeur au chap. 39, appliqué à Martin, est aussi évident que le « filiciter migravit ad Christum » du dernier chapitre du livre [60]: Martin est pour Grégoire le type le plus parfait du Christ, son activité terrestre et sa mort signifiant une véritable nouvelle époque pour l’histoire de l’Église du Christ.
b – L’Église « mélangée », « entremêlée et confondue »
19L’Église immaculée étant un sujet moins historique que plutôt hagiographique [61], restait un dernier pas à faire. Tyconius a complété sa première règle sur « le Seigneur et son Corps » par une deuxième, à laquelle il attribuait une importance encore plus grande; « le Corps du Seigneur en deux parts » (« de domini corpore bipertito »); ce qu’Augustin changea en « de domini corpore vero atque permixto », exprimant ainsi l’idée selon laquelle les (futurs) exclus du Jugement ne font partie du Corps du Christ, c’est-à-dire de l’Église, que temporairement [62].
20Quant à Grégoire, tout à la fin de son premier chapitre si lourd de typologies ecclésiales, il ajoute une phrase — presque insignifiante — sur le péché originel [63]. Pour lui sans doute, Adam et Éve, en tant que tipus du Christ et de l’Église, n’étaient plus disponibles pour une nouvelle typologie, négative de surcroît. De ce fait, c’est surtout l’histoire de Caïn et Abel au chapitre 2 qui sert de point de départ à une typologie des exclus de l’Église: tout en taisant les noms des deux frères qui ne sont cités que dans l’intitulé, Grégoire raconte qu’un d’eux, en tant que novus parecida, s’est dressé contre son frère, l’accablant, le dominant, l’abattant. Et il enchaîne directement (chap. 3): « À partir de là, le genre humain entier s’est mis à commettre des crimes des plus exécrables… ».
21La suppression significative des deux noms de personne, qui transforme des individus en « types », et l’emploi de la formule « premier parricide », sont les signes de la nouvelle typologie établie par Grégoire [64], celle des miseri ou exclus du Jugement futur. Après Caïn et l’humanité entière, ce sera le tour de Chus, « primus idolatriae adinventor » (chap. 5), des constructeurs de Babel, «hoc est confusio » (chap. 6), d’Esau « qui Edom, id est terrenus » (chap. 8) [65], de Pilate et Hérode (chap. 24), Néron (chap. 25), et de la série des empereurs persécuteurs.
22Le concept grégorien d’une Église mélangée trouvera son expression programmatique, si l’on peut dire, aux prologues des livres II et III des Histoires. « Suivant l’ordre du temps, nous rappelons de manière entremêlée et confondue (mixte confuseque) les miracles des saints autant que les massacres des peuples. En effet, je ne pense pas qu’il soit absurde de rappeler la vie heureuse des saints au milieu des malheurs des misérables… » [66]. La dichotomie exprimée dans les deux phrases sera ensuite illustrée par l’exemple de cinq configurations précises, toutes empruntées des quatre livres des Rois (historiae regum Israheliticorum); dont les deux premiers couples seront ensuite « actualisés », ou « accomplis » selon la terminologie typologique, dans le prologue du livre III qui se tourne expressément vers l’histoire récente, nostra tempora.
23Prologue du livre II: sous le prophète Samuel le juste, (le prêtre) Phinée le sacrilège a péri; sous (le roi) David, le païen Goliath a succombé; sous le prophète Élie, auteur de grands miracles, existèrent des misères variées; sous Ézéchias, roi distingué par Dieu, Jérusalem dut souffrir des maux; sous le prophète Élisée qui ressuscita même des morts, existèrent de grandes misères dans le peuple d’Israël.
24Prologue du livre III: Arius, inventor de la « secte inique » des Ariens, périt lamentablement, tandis que saint Hilaire, défenseur de la Sainte Trinité, fut exilé, mais put retourner dans sa patrie et entrer dans le paradis; Clovis, confessant la Sainte Trinité, vaincra et étendra son royaume sur la Gaule entière, tandis qu’Alaric qui la niait, allait perdre la vie et, de plus, sa vie éternelle [67].
25L’auteur des Histoires cherche indiscutablement à constituer des couples biblico-historiques portant une signification typologique, et se focalise sur deux types de personnages, rois et prophètes/évêques. Cette recherche est d’autant plus évidente que les « types » sont bien identifiables dans l’actualité de l’œuvre grégorienne: Phinée, figure biblique de second ordre, mais savamment « aménagée » comme figure « sacrilège » [68], sera l’archi-hérétique Arius, comme Samuel sera saint Hilaire de Poitiers, comme Goliath se retrouvera en Alaric et « David Main forte » en l’egregius pugnatur Clovis [69]. De la même façon, le bon roi Gontran accomplira le type du roi Ézéchias [70], comme les prophètes Élie et Élisée se retrouveront en tant que « novus Helias » et « novus Heliseus » dans les saints Abraham (abbé de Saint-Cyr) et Martin de Tours [71].
26La focalisation sur les « types » du roi et de l’évêque ou du prophète reste un trait caractéristique des dix livres historiques [72] qui s’achèvent souvent avec un chapitre portant sur la mort d’un roi, après celle d’un évêque (Martin) au livre I: II, obitus de Clovis, III, obitus de Theudebert, IV, obitus de Sigebert; enfin VI, interitus de Chilpéric (annoncé à la fin du livre V), du « Néron et Hérode de notre temps » [73] dont la mauvaise mort (interitus) marque l’appartenance à la catégorie des miseri. Mais si la mise en évidence des recteurs de la société — rois et évêques — et de leurs qualités propres réclame effectivement une place privilégiée dans l’argumentation historique de Grégoire, le sujet du peuple de Dieu et de ses misères autant physiques que morales, restera prédominant: la dichotomie annoncée au prologue du livre II, celle des prophètes ou saints de Dieu opposés à une multitude de miseri, est incontestablement le véritable enjeu des Histoires. La suite des chapitres alternant « mixte confuseque » les sujets « hagiographiques » et les plus profanes, ne fait qu’exprimer pleinement la mixité de l’Église du Christ avant le Jugement. Quant au royaume franc qui, dans les siècles suivants, parut être la matière propre de l’œuvre qu’on intitula à tort « Historia Francorum » [74], il ne correspond guère plus en vérité, et malgré la pleine adhésion à ce royaume de l’auteur des Histoires, qu’à une manière de vivre socialement dans l’Église du Christ. Dans sa quatrième règle « de specie et genere », Tyconius et après lui Augustin et d’autres ont bien montré comment, dans les Écritures, l’occurrence de la ville de Jérusalem ou du peuple juif par exemple, peut dépasser la signification de cette seule ville ou de ce seul peuple, qu’elle pouvait atteindre le « genre », c’est-à-dire le Christ etson Église [75].
4 – Le vocabulaire des typologies grégoriennes: prophéties et accomplissements
27Indiscutablement, de la manière la plus systématique, Grégoire fait usage d’un vocabulaire typologique au premier livre des Histoires. Mais l’exposition de son idéologie typologique trouve encore d’autres moments forts; ce sont, si nous laissons de côté les dix livres hagiographiques avec le Traité sur le Psautier et De cursu stellarum ratio, les prologues aux livres I à III des Histoires, puis le dixième livre qui est doté d’une fonction eschatologique, et une série de chapitres particulièrement chargés de théologie traitant des problèmes du paganisme, de l’hérésie (arienne), de la religion juive, ou de la résurrection corporelle [76].
28C’est exclusivement au premier livre que l’auteur a réservé le terme tipus/ typos [77], pour illustrer le procédé d’exégèse historique qu’il allait présenter à ses lecteurs. Parmi les équivalents du terme tipus il a fait l’emploi, surtout dans les livres hagiographiques, de mysterium (misterium), le plus souvent synonyme de « signification christique », ce qui inclut les « mysteria missarum » ou le « mysterium dominici corporis » [78]. Par contre, on ne retrouve pratiquement pas chez lui le substantif « figura », mais bien le verbe « figurare » au sens de « représenter, signifier », tandis que « significare » prend davantage la valeur d’ « indiquer » [79]; une multitude d’autres formes verbales dont il sera encore question peuvent encore porter des valeurs ou significations typologiques [80]. Plus généralement, une compréhension spirituelle de l’histoire, dépassant l’intelligence secundum littera, est souvent indiqué par les termes « spiritalis/spiritaliter » et « intellegere » qui sont assez fréquemment utilisés par l’évêque de Tours [81]. Dans son Traité sur le Psautier il a pu affirmer que les versets psalmiques « qui racontent les faits selon le sens littéral, détiennent, comme on le sait, la vérité du sens spirituel » [82], ce qui lui a donné l’occasion d’interpréter la totalité des 150 psaumes dans la seule perspective de celui qui est « spiritalis doctrinae sator » [83].
29Quand on parcourt le panorama du vocabulaire typologique de Grégoire, en prenant en compte l’importance des occurrences, il est aisé d’identifier deux grands sujets autour desquels s’organisent les termes les plus importants: il s’agit, d’une part, des témoignages des prophètes de l’Ancien Testament rendus au Christ et à son rôle futur, et d’autre part, des réalisations garanties par la venue du Seigneur, relayé par ses successeurs ou représentants, les saints.
30Le Christ de Grégoire s’avère être essentiellement le « Dominus patriarcharum prophetarum vocebus repromissus » [84], ce que l’auteur a exprimé de manière répétitive, et d’abord devant des Juifs qu’il renvoie à « leur prophète » (propheta tuus) en les exhortant à relire « leurs » Écritures sans le « voile de la loi » [85]. Mais il s’adresse en premier lieu à son public chrétien, pour lequel il maintient que le Christ est le véritable Seigneur de toute l’histoire, bien présent avant l’Incarnation et reconnaissable pour les fidèles, comme le prouve une série de témoignages [86]. Subséquemment, Grégoire parle 58 fois de « propheta/profeta » dans son œuvre, dont 44 fois dans les Histoires seulement, 23 fois avec une citation des Écritures; un relevé plus complet des citations prophétiques pourra sans doute encore renforcer ce tableau. Parmi les prophètes, dénommés également par le terme « vates » et prononçant des « oracula/vaticinia » [87], se trouvent en bonne place Moïse et surtout David en tant qu’auteur inspiré des Psaumes [88]. Les verbes les plus caractéristiques de la typologie prophétique, à côté de « vaticinari », sont « praedicare » ou « praedicere » [89], « pronuntiare », et « praevidere ».
31« Mais il y avait nécessité pour Dieu le Père d’envoyer le Fils sur terre, afin qu’il montre la présence de Dieu (ut ostenderit Deum), car, comme le monde n’a pas donné foi aux dires des prophètes, des patriarches et au porteur de la loi, qu’il croie à tout le moins le Fils » [90]. Cette citation reflète non seulement la situation typologique dès l’Incarnation, mais elle donne encore, pour l’historien qu’était Grégoire, l’explication du sens de l’existence terrestre du Christ et de ses imitateurs, les saints. Les mots « ut ostenderit Deum » sont ainsi parfaitement appropriés à faire fonction de devise pour les Histoires, et le verbe « ostendere » (« montrer, faire comprendre, prouver ») est bien révélateur de l’accomplissement des promesses prophétiques [91]. De là vient que, conséquemment, chacun des 150 diapsalmata du Traité sur le Psautier contienne le mot ostendit: 1, « Primus psalmus ostendit, quod ipse (scil. le Christ) sit lignum vitae », 2, « Secundus (ostendit), quod ipse… », et ainsi de suite [92]. La nature, avec ses grands miracles, offre une preuve visible, quotidienne, de l’existence de Dieu Créateur de toute chose; ces miracles « in locupletatione ostenduntur muneris, ut est commotio oceani et fructus terrae; alia vero in ostensione proferuntur virtutis, ut est sol, luna, stellae, Phinix » [93].
32Quant aux miracles des saints, c’est le Christ lui-même qui en a procuré le modèle « en faisant comprendre, par des miracles, qu’il est Dieu »; il est suivi par saint Martin qui « (fidem) ostendit in opere » [94], réalisant une longue série de miracles dans la foi au Christ auteur de miracles, précédant ainsi le nombre impressionnant de saints qui peuplent l’œuvre de Grégoire de Tours, dans les parties historique et hagiographique. C’est Dieu qui, au tombeau d’un de ses saints, « virtutem magnam ostendit », ou « multa miracula ostendit », formules qui se trouvent de manière plus ou moins identiques 37 fois dans l’œuvre, et 27 fois en associant virtus ou miraculum avec le terme « manifestare » [95].
33Si Grégoire a tellement mis l’accent sur les saints et leurs miracles à son époque, c’était dans l’intention de signaler l’omniprésence actuelle de Dieu et de son Église [96]. Une telle recherche de l’actualité fait comprendre l’importance d’un saint Martin, figure du Christ il est vrai, mais en même temps figure d’une nouvelle époque, d’une ère du monde, dans laquelle les signes vivants de l’Église apparurent en grand nombre aux tombeaux des martyrs et autres saints. Du point de vue de la méthode typologique, la référence à l’Église de l’époque contemporaine de Grégoire a pu se faire par l’emploi de moyens assez subtils, dès le premier livre des Histoires. Ainsi, l’arche présentant le type de l’Église, « nous protège comme une mère des dangers qui nous menacent » (chap. 4), ce qui implique la continuité ininterrompue de cette Église; il en est de même pour Abraham « initium fidei nostrae », auquel se révèle « Christus dominus noster » (chap. 7) [97], pour le passage de la Mer rouge, « type de notre baptême » (chap. 10), ou encore pour le temple que le Christ construit « in nobis », à l’instar de Zorobabil (chap. 15) [98]. De manière générale, l’emploi de l’adjectif possessif par Grégoire se réfère souvent à l’Église, comme dans les exemples précédents, ou comme dans les expressions « notre foi », « notre religion », « nos Pâques », voire « notre Prudence » et surtout, à neuf reprises, « noster Martinus » [99]. Les références à l’Église et aux Écritures qui l’attestent se révèlent ainsi innombrables, sans parler des comparaisons fréquentes de personnes ou d’événements avec leurs « types » racontés par les Écritures [100], ou encore des nombreuses citations tirées de ces Écritures.
5 – Conclusions
34Il paraît désormais facile de répondre à la question du modèle des Histoires de Grégoire: elles constituent sans aucun doute une histoire de l’Église du Christ. Il est vrai aussi que l’évêque de Tours a du s’inspirer de l’Histoire Ecclésiastique d’Eusèbe d’après la traduction de Rufin, surtout en ce qui concerne le rôle primordial du Christ pour l’histoire, malgré les développements considérables de la christologie — dont Grégoire a tenu compte — entre le IVe et le VIe siècle. Par contre, Grégoire a sans doute été également inspiré par d’autres prédécesseurs, comme Orose et, plus encore, Augustin.
35D’une manière plus importante, et plus systématique, que tous ses précurseurs, l’évêque de Tours a fait usage de la typologie christique pour structurer son œuvre, en se référant au Christ principium et finis, les deux termes comprenant la totalité de l’histoire, dès la Création — conçue à partir du double témoignage de la Genèse et de l’Évangile de Jean — jusqu’à la fin eschatologique. Conformément à une importante tradition patristique, exprimée de manière exemplaire dans le manuel de Tyconius concernant la bonne compréhension des Écritures, Grégoire a associé une deuxième typologie à celle du Christ, celle de l’Église sous ses deux formes, l’Église immaculée et l’Église mélangée.
36Dans le contexte du vocabulaire typologique employé dans les Histoires, le résultat le plus étonnant était d’abord la forte présence des « Prophètes »; leur rôle s’est révélé essentiel pour présenter un Christ maître de toute l’histoire, mais encore davantage pour souligner les promesses faites par Dieu, et réalisées par la venue du Fils. Cet accomplissement des prophéties, donnée fondamentale de l’histoire et prêtant de ce fait un rôle majeur à la méthode typologique de l’historiographie grégorienne, l’évêque de Tours l’a exprimé essentiellement par les termes « ostendere » et « manifestare »; il s’en est servi en même temps pour désigner les manifestations miraculeuses à son époque (« nostra tempora ») auprès les tombeaux des saints, « types » du Christ et en tant que tels, bénéficiaires privilégiés des promesses prophétiques. Cette donnée explique l’accent mis sur saint Martin en tant que figure au seuil des « temps modernes », période de l’Église du Christ à laquelle l’évêque Grégoire a consacré son intérêt particulier.
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- Heinzelmann, Martin, « La réécriture hagiographique dans l’œuvre de Grégoire de Tours », dans La réécriture hagiographique dans l’Occident médiéval. Transformations formelles et idéologiques, sous la dir. de Monique Goullet et Martin Heinzelmann, Stuttgart: Thorbecke, 2003, pp. 15-70 (Beihefte der Francia, 58).
- Heinzelmann, Martin, « Le Psautier de Grégoire de Tours », dans Retour aux sources. Textes, études et documents d’histoire médiévale offerts à Michel Parisse, Paris: Picard, 2004, pp. 771-786.
- L’historiographie de l’Église des premiers siècles, sous la direction de Bernard Pouderon et Yves-Marie Duval. Préface de Michel Quesnel, Beauchesne, Paris 2001 (Théologie historique, 114).
- Meinhold, Peter, Geschichte der kirchlichen Historiographie, t. 1, Freiburg, München, 1967.
- Nautin, Pierre, « Genèse 1,1-2, de Justin à Origène », dans In principio. Interprétations des premiers versets de la Genèse,Études Augustiniennes, Paris 1973, pp. 61-9.3.
- O’loughlin, Thomas, Teachers and Code-Breakers: The Latin Genesis Tradition, 430-800, Brepols, Turnhout 1998 (Instrumenta patristica, 35).
- Pietri, Luce, « La succession des premiers évêques tourangeaux: essai sur la chronologie de Grégoire de Tours », Mélanges de l’École Française de Rome. Moyen Âge— Temps Modernes, 94, 1982, pp. 551-619.
- Spitz, Hans-Jörg, Die Metaphorik des geistigen Schriftsinns. Ein Beitrag zur allegorischen Bibelauslegung des ersten christlichen Jahrtausends, Fink, München 1972 (Münstersche Mittelalter-Schriften, 12).
- Suntrup, Rudolf, « Zur sprachlichen Form der Typologie », dans Geistliche Denkformen in der Literatur des Mittelalters, publ. par Klaus Grubmülller, Ruth Schmidt-Wiegand, Klaus Speckenbach, Fink, München 1984, pp. 23-68 (Münstersche Mittelalter-Schriften, 51 ).
- Thlamon, Françoise, « Écrire l’histoire de l’Église: d’Eusèbe de Césarée à Rufin d’Aquilée », dans L’historiographie de l’Église des premiers siècles, pp. 207-235.
- Verbum et signum. T. 1 Beiträge zur mediävistischen Bedeutungsforschung, publ. par Hans Fromm, Wolfgang Harms, Uwe Ruberg (Friedrich Ohly zum 60. Geb.), Fink, München 1975.
Notes
-
[1]
Cf. la bibliographie à la fin de cet article, avec les sigles des œuvres de Grégoire. — Pour la réception de l’œuvre grégorienne, voir Breukelaar 1994, p. 13-21, et Heinzelmann 1994, p. 1 sv. pour la réception moderne; pour la tradition manuscrite ibid., pp. 167-175, et Bourgain, Heinzelmann 1997. Pour l’interprétation du « testament spirituel » de l’évêque au dernier chapitre des Histoires (Hist. X 31), avec le catalogue des œuvres littéraires, voir Heinzelmann 2003, pp. 15-23; ibid. p. 16, n. 7, la définition des agiographa des Écritures dans le prologue de Jérôme au livre des rois, connue de Grégoire.
-
[2]
Cf. Heinzelmann, Grégoire de Tours « père de l’histoire de France » ? (1994).
-
[3]
Cf. Hist. I prol., p. 5, « De subpotatione vero huius mundi evidenter chronicae Eusebii Caesariensis episcopi ac Hieronimi presbiteri prolocuntur et rationem de omni annorum serie pandunt. Nam et Horosius diligentissime haec inquaerens, omnem numerum annorum ab initio mundi usque ad suum tempus in unum colligit. Hoc etiam et Victurius cum ordine paschalis solemnitates inquirere fecit. Ergo et nos scriptorum supra memoratorum exemplaria sequentes… ». Voir Guenée 1980, pp. 147 sv. « La maîtrise du temps »; pour l’importance d’Orose d’après la tradition manuscrite cf. ibid. p. 250.
-
[4]
Hist. II, prol., p. 36, « Sic et Eusebius, Severus Hieronimusque in chronicis atque Horosius et bella regum et virtutes martyrum pariter texuerunt ». Les autres occurrences: I prol. (cf. note précédente), I 6. 41, II 9, V prol.; clans la partie hagiographique: Liber de virlutibus s. Iuliani 7, p. 118, GC 1, p. 298, De cursu 3, p. 408.
-
[5]
Un ms. portant la version de l’abréviateur du VIIe siècle retient le litre historia aeclesiastica (B5, VIIe-VIIIe s.), cf. Hist., p. 1 ligne 42, ainsi que le tardif Al (fin XIe s.), ibid, ligne 22, et les mss carolingiens C1 (corr., ibid., p. 3 ligne 32), C1a (ecclesiastica historia Francorum, ibid. p. 1 ligne 25), C3 (ibid., p. 3 ligne 32/3).
-
[6]
Hist. I prol. (voir n. 3, avec Jérôme, Orose, Victurius), I 36 (avec Jérôme), II prol. (voir n. 4), et IX 15 sur la mort de l’hérétique Arius, « quem proiecisse in secessum exta historiograffus narravit Eusebius », en se référant à HE X 14, ce qui correspond à la continuation de Rufin; Grégoire a encore utilisé le texte de l’HE d’Eusèbe-Rufin dans Hist. I 22-29. Eusebi historia est citée VP 6, 1, p. 230, et un long extrait de HE VII 14 se trouve GM 20, p. 50.
-
[7]
Hist. I prol., p. 3, « Illud etiam placuit propter eos, qui adpropinquantem finem mundi disperant, ut, collectam per chronicas vel historias anteriorum annorum summam, explanitur aperte, quanti ab exordio mundi sint anni ». — Brown 2000, pp. 17 sv., a proposé une traduction différente de disperare: plutôt « to expect no longer » que « who are losing hope », arguant que Grégoire a déploré que personne donna de l’attention à cet événement futur; de toutes les occurrences du terme dans les Hist. (VI 30, p. 298 1.5; VI 35, p. 305 1.14; X 11, p. 494 1.21 et 495 1.1; X 15, p. 504 1.18) seul Hist. IV 12 (p. 142 1.36, net; accipiebat instrumenta desperans) pourrait aller dans ce sens. Le Nouveau Gaffiot fait effectivement état de deux significations de « desperare » (sens absolu « perdre l’espérance »): 1, transitif « ne plus compter sur », 2, intransitif « désespérer, perdre toute espérance »; il est vrai que pour la première signification qui, par sa teneur didactique, s’accorde mieux aux desseins de Grégoire, on s’attendrait plutôt à disperant de et non à un accusatif.
-
[8]
Cf. Pietri 1982, p. 575. Pour le maniement de la chronologie par Grégoire, voir encore Breukelaar 1994, pp. 299-305.
-
[9]
Hist. X 31, p. 537.
-
[10]
Pour le premier projet de Grégoire qui avait d’abord prévu une œuvre historique en quatre livres, voir Heinzelmann 1994, pp. 96-102.
-
[11]
Hist. IV 51, pp. 189-190; cf. Pietri 1982, p. 576 n. 74 et Breukelaar 1994, p. 178-183 et pp. 299 sv.
-
[12]
CD XXII 30, vol. 37, pp. 716 sv. — Voir Guenée 1980, pp. 149 sv. D’après Breukelaar 1994, p. 181, « Gregory phased history in terms of this theory (scil. des six âges du monde, par Augustin) and conceived his own times accordingly », ce qui est au moins étonnant.
-
[13]
CD XXII 30, vol. 37, pp. 716-718, « haec tamen septima erit sabbatum nostrum, cuius finis non erit vespera, sed dominicus dies velut octavus aeternus, qui Christi resurrectione sacratus est, aeternam non solum spiritus, verum etiam corporis requiem praefigurans »; Hist. I 23, « Dominicain vero resurrectionem die prima facta credimus, non septimam, sicut multi putant. Hic est dies resurrectionis domini nostri Iesu Christi, quem nos propriae dominicum pro sancta eius resurrectione vocamus. Hic primus lucem vidit in principio, et hic primus Dominem resurgentem contemplare meruit de sepulchro ». — On remarquera que Grégoire, dans ce deuxième et ultime décompte des Histoires, a bien choisi la Résurrection comme césure et non, comme dans la première périodisation, la Passion; pour l’actualité et l’importance de la théologie du dimanche pour Grégoire, et à son époque (théologie du sabbat), voir Heinzelmann 1994, p. 163.
-
[14]
Pietri 1982, p. 580; ibid. p. 581 il est encore question d’ « une ère strictement tourangelle » d’après laquelle certains événements sont datés (dans le recueil des miracles de saint Martin [VM]).
-
[15]
Noé Hist. I 4 « Dominus… Noe fidelissimum ac peculiarem sibi suique lipus speciem praeferentem… in arca reservavit »; Abraham Hist. I 7 « hic est Abraham initium fidei nostrae »; Salomon Hist. I 13 « hic Salomon aedificavit templum nomini Domini »; pour les ères voir dans le texte.
-
[16]
Voir Breukelaar 1994, pp. 175-178, concernant des expressions comme nostrum tempus ou nostra tempora, ou encore novum tempus et novissima saecula; Heinzelmann 1994, pp. 116-118 et passim, avec le parallélisme des Histoires d’Orose: pendant que pour ce dernier le seuil des ’temps modernes’ était l’époque du Christ (placée à la césure entre le sixième et septième livre de ses Histoires), chez Grégoire, cette même fonction, à la fin du premier livre, était prise par Martin, figure du Christ; voir n. 36.
-
[17]
Hist. I prol., p. 5 ligne 9 sv., « Noster vero finis ipse Christus est, qui nobis vitam aeternam, si ad eum conversi fuerimus, larga benignitate praestabit ».
-
[18]
Breukelaar 1994, p. 305 avait déjà relevé une teneur augustinienne de ce passage de Grégoire et renvoyé à CD XXII 30; la valeur donnée au terme principium pour le Christ dans le premier chapitre des Histoires montre encore l’utilisation directe de l’Apocalypse de Jean par Grégoire, cf. ci-dessous. — Il y a encore plus de convergence entre les passages de l’Enarratio in psalmos augustinienne, Ps. LVI 2, « In finem. Finis Christus est… Finis ergo propositi nostri Christus est… et haec est perfectio nostra, ad ilium pervenire… Ipse ergo et exemplum nobis vivendi proposuit in hac vita, et praemium vivendi dabit in futura vita », et le Traité sur le Psautier de Grégoire (Tract.), MGH I-2, p. 424, « Illi autem (scil. Psalmi) qui In finem inscribuntur perfectionem bonorum operum ostendunt, quia hic finis dissimilis est aliis finibus, cum illi habent terminum, hic replimentum: Finis enim legris est Christus… ad iustitiam omni credenti » (la même citation de Rom. 10,4 se trouve Enarratio in psalmos LIV 1 ).
-
[19]
Hist. I prol., p. 3, « Scripturus bella regum cum gentibus adversis, martyrum cum paganis, eclesiarum cum hereticis, prius fidem meam proferre cupio, ut qui legerit me non dubitet esse catholicum ».
-
[20]
Hist. I prol., p. 4, « Et omnia quae a 318 episcopis Nicaene instituta sunt credo fideliter »; Heinzelmann 1992, pp. 543 sv., Idem, Grégoire de Tours « père de l’histoire de France » ? (1994), p. 29 n. 34. Une recherche des sources de ce texte manque toujours.
-
[21]
Hist. I prol., p. 3, « natum a patre, non factum, non post tempora, sed ante cunctum tempus semper fuisse cum patre »; l’argument du temps, essentiel dans la discussion avec les Ariens, est encore souligné dans la puissante condamnation qui suit (ibid., p. 4): « Ceux qui disent ’Il fut [un temps] quand il n’était pas’, je les rejette avec horreur et j’atteste qu’ils sont en dehors de l’église »: la formule vient du symbole de Nicée, peut-être transmise par l’Histoire Tripartite de Cassiodore (cf. PL 69, col. 928).
-
[22]
Hist. I prol., p. 4, « Credo, Christum hunc verbum esse patris, per quem facta sunt omnia. Hunc verbum carne factum credo, cuius passionem mundus redemptus est… »; cf. Jo. 1,1 et 1,14. Les mêmes versets bibliques sont au centre du premier prologue des dix livres hagiographiques, In gloria martyrum (GM), cf. Heinzelmann 2003, pp. 35-36, et Grégoire les utilise dans une discussion avec l’hérétique Agila, Hist. V 43, p. 250.
-
[23]
Voir déjà le titre de HE-Rufin, p. 3, « Quod deus et dominus et creator omnium ac dispensator universorum ipse sit secundum ea quae in lege et prophetis scripta sunt »; ibid. I 2,3, p. 13 avec la citation explicite de Jo. 1, 1.3. Pour l’HE voir Bovon 1967, pp. 129-130, 133-134.
-
[24]
Hist. I 1, pp. 5-6, « Principio Dominus caelum terramque in christo suo, qui est omnium principium, id est in Filio suo, formavit, qui post creata mundi totius elementa… hominem ad suam imaginem similitudinemque plasmavit et insufflavit in faciem eius spiraculum vitae, et factus est in animam viventem (1. Cor. 15,45) ».
-
[25]
Apo. 1,8; voir aussi 22,13 ego A et ? primus et novissimus principium et finis.
-
[26]
Heinzelmann 1994, pp. 69 sv., 113 sv.; voir ci-dessous.
-
[27]
Voir Nautin 1973, p. 93 (spécialement pour l’importance du témoignage de Prov. 8,22, où la Sagesse, identifiée au Christ préexistant, déclare: « Dieu m’a créée principe de ses voies »), mais surtout O’Loughlin 1998, p. 131 sur la liaison étroite entre Gen. 1,1 et Jo. 1,1, à partir d’Origène; cf. encore VL, à partir des versions de Gen. 1,1. Pour Grégoire, ses sources ont pu être Jérôme, Questiones Hebraicae in Genesim 1,1, PL 23, col. 938 sv., « Magis itaque secundum sensum quam secundum verbi translationem de Christo accipi potest: qui tam in ipsa fronte Geneseos, quae caput librorum omnium est, quam etiam in principio Joannis evangelistae, coeli et terrae conditor approbatur. Unde et in Psalterio [Ps. 39,9] de seipso ait: In capitulo libri scriptum est de me, id est, in principio Geneseos », ou encore Eucher de Lyon, Instructionum libri duo, éd. C. Wotke, Vienne, 1894 (Corpus script. Eccl. Lat., 31 ), lib. I, De psalmorum libro, XIIII, pp. 91 sv., « Quid indicat illud, quod legitur in psalmo: in capite libri scriptum est de me ? Ex persona hoc dicitur saluatoris de quo scribitur: in principio creauit deus caelum et terram, id est, in filio, aut certe illud: in principio erat uerbum et uerbum erat apud deum et deus erat uerbum »; et ibid., lib. I, De Genesi, i, p. 66, « in principio, hoc est, in filio, quia per filium fecit deus pater caelum et terram… omnia enim per filium operatus est, quia omnia per ipsum facta sunt, et sine ipso factum est nihil [Jo. 1,3] ».
-
[28]
Voir la note précédante avec les citations de Jérôme et d’Eucher; pour Grégoire voir son traité sur les Psaumes (Tract., p. 426), où il donne à Ps. 39 le diapsalma: « Quod ipse (scil. Christus) in capite Testamenti Veteris sit scriptus »; voir aussi, dans le prologue de la Vie des saints Ursus et Leobatius (VP XVIII, p. 283): « Legiferi vatis oraculum (scil. Moïse), cum de principio principium fandi sumpsisset ».
-
[29]
« Et ipse Dominus utriusque conditor Testamenti… ait: Venite, benedicti, percipite praeparatum vobis regnum a constitutione mundi » [Mat. 25,34], Grégoire, Vie de saint Nizier de Lyon, prol., VP VIII, p. 240.
-
[30]
HE-Rufin I 2,3-5, p. 13, « … in quibus evidenter mandantis personam patris et filii operantis expressit ».
-
[31]
Cf. CD XI 9, vol. 35, p. 60, « Cum enim dixit Deus: Fiat lux (ce sont les anges qui ont été faits participants de la lumière éternelle) quod est ipsa incommutabilis sapientia Dei, per quam facta sunt omnia, quem dicimus unigenitum Dei filium… quod est verbum Dei, per quod et ipsi et omnia facta sunt »; voir ensuite ibid. XI 32, « … In principio (fecit Deus caelum et terram), non ita dictum tamquam primum hoc factum sit, cum ante fecerit angelos, sed quia omnia in sapientia fecit, quod est Verbum eius et ipsum scriptura principium nominavit (sicut ipse in evangelio Iudaeis quaerentibus quis esset respondit se esse principium)… Cum enim ita dicitur: In principio fecit Deus caelum et terram, ut Pater fecisse intellegatur in Filio, sicut adtestatur psalmus, ubi legitur: Quam magnificata sunt opera tua Domine ! omnia in sapientia fecisti [Ps. 103,24] ».
-
[32]
Hist. III prol., p. 96, « David vaticinatur in psalmum, orans innovari se per spiritum rectum, nec sibi auferri spiritum sanctum, atque se confirmari per spiritum principalem. Magnum et hic ego cerno mistirium, quod scilicet, quem heretici minorem adserunt, principalem vox prophetica nuntiavit ». Pour cette exégèse de Ps. 50,12-14 (spiritus rectus — spiritus sanctus — spiritus principalis), identifiant le principalis au Fils (le minor des hérétiques), et non au Père, cf. Heinzelmann 2004, p. 779 n. 44; la Sagesse qui n’est pas rappelée Hist. I 1, se trouve tout de même dans le diapsalma pour Ps. 48 (voir ci-dessous). — Pour le Christ-Créateur chez Grégoire, voir encore Hist. V 43, p. 250, et surtout la liste des diapsalmata dans son traité sur les Psaumes (Tract., p. 425-7), pour Ps. 32: « Quod in ipso (ipse = le Christ), qui est verbum Patris, caeli virtutesque eorum firmati sunt »; Ps. 39 (voir n. 28); Ps. 48: « Quod ipse sit sapientia Patris, quae prophetae locuntur »; Ps. 73: « Quod ipse creaverit cuncta aelementa quae cernimus »; Ps. 99 (cf. Heinzelmann 2004, p. 773 n. 12): « Quod ab ipso facti, ipsi debeamus iubilare servire et psallere »; Ps. 148: « Quod ipsius iussu cuncta vel facta sint vel creata ».
-
[33]
Voir, par exemple, Hist. V 11, p. 205, un évêque s’adressant aux Juifs: « ut- … Christum, filium viventis Dei, prophetica et legali auctoritate promissum, corde purissimo in sacris litteris contemplarent »; pour les témoignages de l’Ancien Testament voir surtout le prologue Hist. III, avec la Trinité reconnue d’Abraham, Jacob, Moïse, Aaron et David (série reprise Hist. V 43, p. 6 sv., augmentée d’Isaac et de Salomon et du témoignage de tous les patriarches, prophètes, et de la loi) et les autres grands chapitres « théologiques » de Grégoire: VI 5 (Grégoire à un Juif: « ego… de tuis libris testimonia praebens »), VI 40 (à un Arien).
-
[34]
Gibert 1992, p. 97.
-
[35]
Cf. Heinzelmann 2004, p. 773 n. 12.
-
[36]
Voir ci-dessus n. 16 et VM II 43, p. 174, saint Martin étant appelé « novus Heliseus saeculo nostro », et VM III 22, p. 188, où il est « Israel nostri temporis »; voir surtout sa place privilégiée dans le décompte final des années du monde (Hist. X 31), où son « ère » correspond à des césures aussi importantes que le déluge, le passage de la Mer rouge, et la Résurrection.
-
[37]
Hist. I, litres de chapitre, p. 2; seuls les chap. 1 7 et 18 (resumé des différents royaumes du monde et mention de la fondation de Lyon sous Auguste) ne concernent pas directement la vie, la passion, la résurrection et l’ascension du Christ.
-
[38]
Tyconius, éd. Cazier 1976, p. 268, « Prima regula est de domino et eius corpore: quae de uno, ad unum loquitur, atque in una persona, modo caput, modo corpus ostendit; … Proinde notandum in scripturis quando specialiter caput scribitur, quando caput et corpus, aut quando ex utroque transeat ad utrumque… ». Les Règles du donatiste Tyconius (édition par F. C. Burkitt, Cambridge 1894) doivent leur renommé surtout à la réception par Augustin (De doctrina Christiana, livre III); il en existe un épitomé attribué par Cazier 1976 à Jean Cassien; parmi les utilisateurs se trouvent Eucher, Cassiodore et Isidore de Séville (Sentences, livre I).
-
[39]
Hist. I 1, p. 5-6, « Cuius dormienti ablata costa, millier Ewa creata est. Nec dubium enim est, quod hic primus homo Adam, antequam peccaret, tipum Redemptoris domini praetulisset. Ipse enim in passionis sopore obdormiens, de latere suo dum aquam cruoremque producit, virginem inmaculatamque eclesiam sibi exhibuit, redemptam sanguine, latice emundatam, non habentern maculam aut rugam [Eph. 5,27] ».
-
[40]
Le titre de ce premier chapitre des Histoires est « De Adam et Ewa ». Dans ce premier livre de l’œuvre, Éve n’est pas seulement lipus de l’Église, mais également de la femme pécheresse, cf. Hist. I 44, p. 29, « in concupiscentiam viri succendens, novam Evam effecit ». Une certaine liberté dans l’application de ses typologies se révèle aussi pour la typologie de l’Église, vierge en Hist. I et 47, mère en Hist. 1 4.
-
[41]
Cette relation entre création de l’homme, la passion, le baptême et l’Église, Grégoire a pu la trouver chez Avit de Vienne, « De initio mundi », appelé Hist. II 34 De mundi principio (sic: voir le changement significatif du titre par Grégoire), voir ibid. les vers 165-169, « Protinus exiliens manauit uulnere lympha,/qua uiuum populis iam tum spondente lauacrum/fluxit martyrium signans et sanguinis unda./Inde quiescenti, gemina dum nocte iaceret,/de lateris membro surgens ecclesia nupsit ». L’édition de Nicole Hecquet-Noti (Sources chrétiennes 444), p. 150 sv. n. 3, renvoie au modèle de Prudence: Tituli 166, Cath. 9, 86-7 (« hinc cruoris fluxit unda, lympha parte ex altera ;/lympha nempe dat lavacrum, tum corona ex sanguine est »), Perist. 8,15-18 (« ipse loci est dominus laterum cui uulnere utroque/hinc cruor effusus fluxit et inde latex »); on remarquera pourtant l’absence du rôle primordial du Christ dans la création chez Avit (malgré la citation du Verbe, vers 14 et 27, et de la Sagesse, vers 51) qui attribue la création à l’œuvre du Père, Pater omnipotens qui jette soporem sur Adam et lui reprend une côte, crée Éve et l’unit à son mari: « Istius indicium somni mors ilia secuta est, / sponte sua subiit sumpto quanm corpore Christus » (vers 160. 161); ensuite, ce n’est qu’en renvoyant à cette Passion que le baptême est cité.
-
[42]
Hist. I 4, pp. 6-7, « … non ambigo, quod species illa arcae tipum matris gessisset aeclesiae. Ipsa enim inter fluctus et scupulos huius saeculi transiens, nos ab inminentibus malis materno gestamini fovens… ». Voir le diapsalma de Ps. 23 de Trad., p. 425, « quod ipse [scil. Christus] ecclcsiam suam sanguine suo redemptam collocet super fluctus saeculi », qui relie les typologies de Hist. I 1 et 14.
-
[43]
Hist. I 10, pp. 12 sv.. « Nec enim dubium est quod transitus ille maris vel columna nubis lipum gesserit nostri baptismatis, dicente beato Paulo apostolo… [1 Cor. 10,1.2] Columna vero ignis lypum sancti Spiritus praetulit ».
-
[44]
Heinzelmann 2003, pp. 54-59, présente une analyse très détaillée de cette réécriture de l’hypotexte GC 31, où on ne trouvera pas les notions-clé sponsus, sponsa, inmaculatus, ni Christus (rappelé à neuf reprises en Hist. I 47) ou encore paradisus, qui renvoie en Hist. I 47 à la mention du paradis en Hist. I 1 !
-
[45]
Hist. I prol., p. 4, « De fine vero mundi ea sentio quae a prioribus didici, Antechristum prius esse venturo… ».
-
[46]
Cf. Heinzelmann 1994, pp. 69-78; Idem, Grégoire de Tours « père de l’histoire de France » ? (1994), pp. 38 sv.
-
[47]
Hist. X 1, p. 477, « Sed quia eclesia Dei absque rectorem esse non poterat. Gregorium diaconem plebs omnis elegit ». L’intérêt de Grégoire était surtout la présentation du saint qui était Grégoire, et de son sermon tenu en 590 qui traite des sujets qui sont au cœur du dixième livre: la possibilité d’une mort subite pour tous, la pénitence, la prière et des rogations (processions); de plus, l’insistance sur l’église apostolique de Rome a pu préparer la recapitulatio des évêques de Tours clans le dernier chapitre de ce livre, des évêques dont le premier est justement envoyé par un évêque — non cité — de Rome.
-
[48]
Hist. X 25, p. 517, « Initia sunt enim haec dolorum [Mat. 24,8] iuxta illud quod Dominus ait in euangelio: Erunt pestilentiae et fames et terrae motus per loca; et exurgent pseudochristi et pseudoprophetae et dabunt signa et prodigia in caelo, ita ut electos in errore mittant [Marc. 13,22], sicut praesenti gestum est tempore ». — On relèvera l’accord parfait, d’après Grégoire, du texte des Écritures et des conditions de l’histoire actuelle.
-
[49]
Pour les détails des chapitres 1, 10, 13, 16-17, 19, 23-25, 30, voir Heinzelmann 1994, pp. 69-78 et Idem, Grégoire de Tours « père de l’histoire de France » ? (1994), p. 38 sv.
-
[50]
Le premier évêque de Tours, saint Catien, est un des « septem viri episcopi ordenati ad praedicandum in Galliis missi » dont parle Hist. I 30, p. 22, et qui rappellent la Cité de Dieu XVII 4, concernant les sept églises dont parle l’apôtre Jean signifiant la plenitudo d’une seule Église (universelle).
-
[51]
« Aliquotiens unum tempus in multas diuidet partes, quarum singulae totum tempus sint (…) sunt enim istae partes recapitulationis ab initio usque in finem », l’édition de Tyconius par F.C. Burkitt (1894) est cité d’après Cazier 1976, p. 282 n. 76 qui donne des exemples (ibid., n. 77): « … ab Adam usque ad Noe, id est mundi reparationem, X generationes, quod est omne tempus; et a Noe usque ad Abraham X generationes, nam et C anni quibus arca fabricata est omne tempus est quo Ecclesia fabricatur… ». D’après Cazier 1976, p. 283, Tyconius propose encore une autre récapitulation qui serait une futura similitudo, continuant par tous les textes permettant de découvrir l’Antéchrist dans le monde. Chez Augustin et dans la version gauloise des Règles, recapitulatio est plutôt ramenée à son sens rhétorique, rappel, cf. Cazier 1976, p. 284-5.
-
[52]
Hist. X 31, p. 537. Dans la première récapitulation Hist. IV 51, la Passion est logiquement à la place de la Résurrection, voir ci-dessus.
-
[53]
CD XV 1, vol. 36, p. 34, « … ipsius generis humani, quod in duo genera distribuimus, unum eorum qui secundum hominem, alterum eorum, qui secundum Deum vivunt; quas etiam mystice appellamus civitates duas, hoc est duas societates hominum ».
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[54]
Voir pour la suite Heinzelmann 1997, pp. 76-78, avec plus de détails.
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[55]
L’initium fidei nostrae (d’après Rom. 4,16 ou Gal. 3,7) devient principium fidei nostrae en VP VIII 1, p. 241 (voir ci-dessus sur le Christ en tant que principium); voir le « noster » qui renvoie à l’époque de Grégoire. — Pour la théophanie devant Abraham « ad ilicem Mambre », voir l’HE-Rufin I 2,7, p. 15, qui identifie aussi le Christ, sans parler pourtant de la vision de l’Incarnation et de la Passion; cf. aussi Bovon 1967, p. 132, pour l’HE d’Eusèbe.
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[56]
Hist. I 7, p. 9, « Hic (scil. Abraham) accepit repromissiones. Huic se Christus dominus noster nasciturum ac pro nobis passurum in victimae conmutationem monstravit, ipso in euangeliis sic dicente: Abraham exullavit ut videret diem meum; et vidit, et gavisus est » [Jo. 8,56]. — Le développement assez long sur les promesses de Dieu et la foi d’Abraham (initium fidei nostrae) paraît prendre en considération la troisième règle de Tyconius (voir n. 38), « de promissis et lege », qui met l’accent, dans la tradition de la condamnation de la loi par saint Paul, sur la foi, cf. Cazier 1976, pp. 276 sv. et p. 277-9 à propos de la version augustinienne (« de spiritu et littera », De doctrina christiana III) et celle de l’épitomé gaulois (éd. ibid. p. 269).
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[57]
Hist. I 15, p. 15, « Sed haec captivitas (scil. à Babylon) typum illius captivitatis, ut puto, gerit, in qua anima peccatrix abducitur, quam nisi Zorobabil, id est Christus, liberaverit, horribiliter exsulavit ». Comme Zorobabel a aussi restitué le temple aux Juifs, Grégoire répond par une typologie qui s’étend jusqu’à son époque à lui: voir n. 98.
-
[58]
Cf. Gibert 1992, pp. 92 sv.
-
[59]
Cf. Hist. I 26; 27; 28 (2 fois); 29; 30 (2 fois, dont: « ob dominici nominis confessionem »); 31; 35.
-
[60]
Cf. Heinzelmann 1994, p. 131, 148 (avec les notes 50 sv.), 222 n. 77.
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[61]
Pour la différence des dix livres « hagiographiques » des dix livres d’Histoires chez Grégoire de Tours, voir Heinzelmann 200.3, p. I 7. — Pour la terminologie de Grégoire concernant ecclesia/ecclesiae, ecclesia(e) Dei, voir Heinzelmann 1994, pp. 141-150.
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[62]
Cf. Cazier 1976, p. 274-6, l’édition de l’épitomé (qui suit très largement Augustin) ibid., pp. 268 sv.
-
[63]
Hist. I 1, « Or, ces premiers hommes, qui vivaient heureux parmi les délices du paradis, trompés par l’astuce du serpent, enfreignent les préceptes divins; chassés du séjour des anges, ils sont commis aux peines de ce monde ».
-
[64]
Pour l’importance des compositions avec « novus » (premier), ou « verus », etc., pour une typologie, voir Suntrup 1984, pp. 54 sv. — La suppression du nom, dans le but de rendre au récit une portée plus générale, est une méthode appliquée plusieurs fois par Grégoire; voir, parmi beaucoup d’autres, la lettre de l’évêque Eugène (de Carthage) aux chrétiens de son église (Carthage) devenant une lettre à tous les chrétiens, dans un sens typologique, par la suppression du nom de lieu (Hist. II 3, pp. 41 sv.).
-
[65]
Pour l’interprétation des noms dans une perspective typologique, comme pour « Babel » ou « Esau », voir Haubrichs 1975.
-
[66]
Hist. II prol., « Prosequentes ordinem temporum, mixte confuseque tam virtutes sanctorum quam strages gentium memoramus. Non enim inrationabiliter accipi puto, se filicem beatorum vitam inter miserorum memoremus excidia, (cum idem non facilitas scriptoris, sed temporum series praestitit) »; pour une interprétation détaillée voir Heinzelmann 1994, pp. 109-113 et passim; Idem 1992, p. 544.
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[67]
Après, Grégoire enchaîna encore les exemples de trois rois burgonds ariens qui auraient également perdu vie et leur salut, affirmation fausse au moins dans deux cas.
-
[68]
Heinzelmann 1994, p. 110.
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[69]
« David quem Fortem manu dicut », Hist. II prol. (d’après le Liber interpretationis Hebraicorum nominum de Jérôme, cf. Hist. p. 36 n. 1); Clovis: Hist. II 12, p. 62, « Hic (scil. Clovis) fuit magnus et pugnatur egregius ».
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[70]
Gontran: cf. Heinzelmann 1994, pp. 49-57, spec. pp. 196 sv. n. 32 pour le parallélisme Gontran-Ézéchias.
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[71]
VP III (Vita Abrahae abbatis), I, p. 223, « quasi novus Helias »; VM II 43, p. 174, « proferamus novum Heliseum saeculo nostro, qui cadaver defuncti vivum remisit a monumento »; VM III 22, p. 188, « (Martin) Israel nostri temporis »; le fail d’avoir ressuscité des morts donne ailleurs l’occasion à Grégoire de présenter Martin comme le type du Christ lui-même qui avait ressuscité, comme lui, trois morts: voir VJ 30, p. 126; Hist. X 31, p. 527; GC 4 (évocation de Lazare), p. 301, et Heinzelmann 2003, pp. 32-35.
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[72]
Cf. Heinzelmann 1992, passim.
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[73]
Hist. VI 46, p. 319.
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[74]
Cf. Heinzelmann, Grégoire de Tout s « père de l’histoire de France » ? (1994).
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[75]
Pour Tyconius voir n. 38; Cazier 1976, pp. 279-281 (pour Tyconius et Augustin), pp. 269-270 l’édition de l’épitomé gaulois (« Quarta regula est de specie et genere, per quam pars pro toto et totum pro parte accipitur… Et saepe transitus fit de genere ad speciem, de specie ad genus, quemadmodum dominus, ad Babyloniam loquens, transit ad universum mundum dicens: "et disperdam omnem terram…" »). — Un exemple parmi bien d’autres où Grégoire a appliqué cette règle, est l’adresse de l’évêque Eugène de Carthage à ses diocésains, voir ci-dessous, n. 64.
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[76]
Hist. II 10; V 11. 43. 44; VI 5. 40; X 13. Voir Heinzelmann 1994, index des chapitres cités. — Pour mes recherches du vocabulaire grégorien j’ai utilisé surtout Suntrup 1984, la Concordance de l’Historia Francorum de Grégoire de Tours, par Denise St-Michel, 2 vol., Montréal, [1979], et le CD-Rom MGH 3.
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[77]
77. Hist. II. 4 (2 fois). 9. 10 (2 fois). 15; pour le terme et ses synonymes forma-figura, sacramentum, mysterium, voir Hamman 1991, pp. 138-142. Pour Grégoire, voir encore indicium, cf. Hist. X 13, p. 496, « manifestum fuit resurrectionis indicium, quod Helisei ossa tangens extinctum cadaver virtutis effectu revixerit ».
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[78]
Il y a 29 occurrences de mysterium dont 23 sont hagiographiques. Voir p. ex. l’exégèse des sources de Grenoble qui produisent en même temps de l’eau et du feu, De cursu I 4, p. 412, « O admirabile potentiae divinae misterium ! Una vena fontis et ignis producit et latices, scilicet ut cognoscant omnes dominationi eius et refrigerium gloriosae vitae et indicium aeternae mortis adsistere, intellegantque, incendiis licentiam esse non datam ad nocendum corpus humanum, quod post judicium, si peccato obnoxium fuerit, accepturi erunt perpetualiter exurendum »; voir encore Tract., p. 424, où il voit un mysterium dans la tripartition du Psautier (en trois parties de 50 psaumes), dont la première partie concerne la rémission des crimes, la deuxième l’espoir du royaume céleste, et la troisième la certitude d’obtenir le royaume dans l’Église.
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[79]
Hist. V 23, p. 230 (« circolus ille, qui pluviam plerumque significat, circa eam [scil. lunam] apparuit. Sed quae haec figuraverint, ignoramus); V 43, p. 252 ([fidem] « quam omnes patriarchae, prophetae sive lex ipsa vel oraculis caecinit vel sacrificiis figuravit »); VI 5, pp. 268 sv. ([le peuple juif] « non intellegit ecclesiastica mystiria in suis sacrificiis figurata »); VI 34, p. 305; GM 92, p. 100; VM II 19, p. 166; De cursu 9, p. 410 (certains éléments naturels « ignem infernalem figurant », comme l’Étna); ibid. 11, p. 410; ibid. 12, p. 411 (la résurrection du phénix « resurrectionem humanam valde figurat et ostendit); voir aussi Hist. I 10, (saeculum) « quod figuraliter mare dicitur ».
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[80]
Voir ostendere, manifestare, pronuntiare, docere, praedicare (ou praedicere), (de) monstrare, designare, conplere, implere, conparare, etc.
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[81]
Cf. Hist. I 10, p. 12, « Quas nos divisiones (scil. de la Mer rouge) spiritaliter et non secundum littera intellegere oportit ». Pour « spiritalis/ spiritaliter » il y a 37 occurrences dans l’œuvre grégorienne, dont six historiques, et tout spécialement dans le Traité sur le Psautier, avec 12 occurrences (voir note suivante). — Pour « intellegere/ intellectus », voir spécialement Hist. II 10, pp. 59 sv., avec une exégèse de l’histoire païenne des Francs (avant Clovis): « Quid si intellegere potuissent, quae pro vituli conflatilis veneratione Israheliticum populum ultio subsecuta coupraesseret… », et, en finissant, « Haec autem generatio Francorum non intellexit primum; intellexerunt autem postea, sicut sequens historia narrat ». Voir aussi Hist. V 43, p. 252, « fides, quam… Salomon praedicavit in intellectu ».
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[82]
Tract., p. 424, « Illi sane qui res gestas secundum litteram narrant veritatem spiritalis intellegentiae cognoscuntur habere ».
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[83]
De cursu 11, p. 410, « quae Dominus spiritalis doctrinae sator de profecto verborum suorum, quae in populos iaciebat, parabolice commutavit, dicens… ».
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[84]
Hist. I 16, p. 15; la même formule Hist. V 11, p. 205 (« Christum., prophetica et legali auctoritate promissum », et « nobis prophetarum vocibus repromissum »), VI 5, p. 268.
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[85]
« ut, relicto velamine legis Moysaicae, spiritaliter lecta intellegerent et Christum… in sacris litteris contemplarent », Hist. V 11, p. 205; voir aussi VI 5, où Grégoire parle cinq fois de « propheta tuus », en apportant, devant le Juif Priscus, une vingtaine de citations prophétiques (et psalmiques).
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[86]
Voir Hist. III prol., p. 96, avec tous ceux qui ont reconnu la Sainte Trinité, à partir d’Abraham, Jacob, Moïse, Aaron, David; un argument semblable se trouve Hist. V 43, p. 252, avec les mêmes témoins, augmentés d’Isaac et de Salomon, et continuant: « [la fides trinitaire] quam omnes patriarchae, prophetae sive lex ipsa vel oraculis caecinit vel sacrificiis figuravit; quam et nunc praesens suffragatur Martinus noster vel possidit in pectore vel ostendit in opere ».
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[87]
« Vates » 5 occurrences (Élie, Jérémie, deux fois Moïse); « vaticinia » 2 fois; « vaticinari » 5 (ois; « oraculum/-a » 9 occurrences, et 7 comme synonyme de « temple », dans De cursu.
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[88]
Voir Heinzelmann 2004, p. 775 n. 21-23; cf. Gibert 1992, p. 100, pour les Psaumes et la Sagesse inclus dans « la Loi et les Prophètes ».
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[89]
« Praedicatio » comme message évangélique (voir Hamman 1991, p. 143) Hist. I 15. 46, VP II, p. 219 (euangelica praedicatio), VP XVIII, p. 284 (dona praedicationum); entre « praedicare » (« annoncer, prêcher ») et « praedicere » (« dire d’avance »), la décision paraît souvent difficile (Hamman 1991, ibid.): en ce qui concerne Grégoire, voir p. ex., Hist. III prol., p. 96, la Trinité que Jacob « praedicat in benedictionem » (comme V 43, p. 252, la foi du Christ que « Salomon praedicavit in intellectu »), et Hist. X 13, p. 496, « qui resurrectionem futuram praedicatis », et Hist. I 5, p. 5, « a Deo praedicetur » ou X 1, p. 479, « ut enim profeta teste praedictum est »; il y a un exemple négatif de quelqu’un qui diabolicis artibus « praedicebat enim futura », Hist. X 25, p. 518.
-
[90]
Hist. VI 40, p. 311, « Deo autem Patri haec necessitas fuit Filium mittendi ad terras, ut ostenderit Deum, ut, quia mundus prophetis et patriarchis atque ipse Latori legis non crediderat, saltum vel Filio crediderit ».
-
[91]
Voir encore les verbes « inplere/ implere » (11 occurrences), et « conplere/ complere »; p. ex. GM 87, p. 97, « impletumque est illud Salomonis proverbium… », et Hist. I 20, p. 17, « ut veterum vatum conplerentur oracula ». Dans la plupart des cas, c’est pourtant un verset du Nouveau Testament qui s’ « accomplit ».
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[92]
Tract., pp. 425 sv.; à partir du deuxième Psaume, le mol « ostendit » doit être suppléé à chaque phrase.
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[93]
De cursu 9, p. 410; pour la fonction des grands miracles de la nature chez Augustin et Grégoire, voir Heinzelmann 2002, pp. 44, 51. — Pour « ostendere » dans le contexte typologique de phénomènes de la nature, voir encore Hist. X 13, p. 499 (« Haec ostendunt et illa quae iaceuntur semina terris »), et ibid., « Hanc enim resurrectionem et illa quae cernimus elementa demonstrant » (des arbres qui perdent les feuilles et les récupèrent au printemps), GM 30, p. 55 (« Per id enim, quae sit fertilitas anni sequentis, ostenditur »), De cursu 12, p. 41 1 (« quod miraculum [du phénix] resurrectionem humanam valde figurat et ostendit… »).
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[94]
Le Christ: Hist. VI 40, p. 311, « sed sic praedicavit Patrem in saeculo, ut et se virtutibus ostenderit Deum »; Martin: Hist. V 43, p. 252; voir aussi VM II 43, p. 174, « O quotiens hic prophetarum et sublimium virorum virtutes, quas olim gestas legimus, renovari miramur ! Sed quid inquam ? Quod hi multi fecerunt viventes in saeculo, hic solus cotidie renovat etiam post sepulchrum ». — Cf. Heinzelmann 2002, pp. 46-57, et Idem 2003, pp. 32-35, pour la situation de « réécriture » des miracles du Christ, par Martin.
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[95]
« Ostendere » se retrouve 66 fois dans l’œuvre (sans les diapsalmala), avec 19 occurrences dans les Histoires; « manifestare /manifestum est »: 60 occurrences dont 10 dans les Histoires. Voir encore « docere », avec une signification comparable, p. ex. Hist. X 13, p. 496, « sed et Ezechiel profeta, cum… reformatum hominem enarraret, manifestissime resurrectionem futuram edocuet ».
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[96]
Cf. Heinzelmann 2002, passim.
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[97]
Voir encore ibid., Hist. I 7, p. 9, « Hic ergo Abraham accepit signum circumcisionis, ostendens, ut quod ille gessit in corpore, nos portemus in corde… ».
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[98]
Voir n. 57; la typologie Zorobabel-Christ en Hist. I 15 y est expliquée par le temple que le Christ construit en « nous », c’est-à-dire en Grégoire et ses contemporains: « Ipse enim (scil. le Christ) sibi in nobis templum, in quo dignetur habitare, constituat, in quo fides ut aurum luceat, in quo eloquium praedicationis ut argentum splendeat, in quo omnia visibilis templi illius ornamenta in nostrorum sensuum honestate clariscant ». Pour la métaphore répandue de l’argent correspondant à l’eloquium, et de l’or, au sensus spiritualis, voir Spitz 1972, pp. 191 (et sv.); dans le cas présent, Grégoire a du avoir comme modèle Jérôme, Comm. in prophetas minores, In Aggaeum, 2, lignes 212-221 (Corpus christ. Series latina, 76A), « sed ego argentum, quo domus dei ornatur, existimo eloquia scripturarum… et aurum quod in occulto sanctorum sensu., et splendet vero lumine dei, quod et apostolum de Sanctis, qui super fundamentum christi aedificant, sensisse perspicuum est, aurum, argentum, lapides pretiosos, ut in auro sensus occultus sit, in argento sermo decens, in lapide pretioso, opera deo placentia ».
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[99]
Pour la construction d’une typologie par l’ajout d’un adjectif possessif ou démonstratif, voir Suntrup 1984, p. 56; pour Grégoire, cf. Heinzelmann 1992, p. 540-542 (ibid. 24 pour saint Martin).
-
[100]
Voir, p. ex. Hist. IV 20, p. 153, « ibatque Chlotharius rex tamquam novus David contra Absolonem filium pugnaturus », ou VI 45, p. 317, « tantusque planctus in urbe Parisiaca erat, ut plancto conpararetur Aegyptio ».