2. Henry Mottu, Le geste prophétique. Pour une pratrique protestante des sacrements, Pratiques n? 17, Labor et fides, Genève, 1997, 285 p.
3. Giorgio Mazzanti, I sacramenti, simbolo e teologia, 1. Introduzione generale. Edizioni Dehoniane Bologna, 1997, 203 p.
4. Giorgio Mazzanti, I sacramenti, simbolo e teologia, 2. Eucaristia, Battesimo e Confermazione, Edizioni Dehoniane Bologna, 1998, 297 p.
5. Giuseppe Colombo, Teologia sacramentaria, « Quaestio » 6, Edizioni Glossa, Milano, 1997, 606 p.
6. Mary Catherine Hilkert, Naming grace — Preaching and the Sacramental Imagination, The Continuum Publishing Company, New-York, 1997, 252 p.
7. Andreas Merkt, Maximus I von Turin. Die Verkündigung eines Bischofs der frühen Reichskirche im zeitgeschichtlichen, gesellschaftlichen und liturgischen Kontext, Supplements to Vigiliae Christianae, Brill, Leiden — New-York — Köln, 1997, 342 p.
8. Giancarlo Perego, Un ministem « tutto spirituale ». La teologica del ministerio ordinato nel giansenismo lombardo tra illuminismo e liberalismo (1755-1855), Dissertatio, Series Romana — 18, Edizioni Glossa, Milano, 1997, 321 p.
9. Alphonse Borras et Bernard Pottier, La grâce du diaconat. Questions actuelles autour du diaconat latin, La Part-Dieu 2, Éditions Lessius, Bruxelles, 1998, 214 p.
10. Ernst Dassmann, Walter Fürst, Albert Gerhards, Helmut Merklein, Hans Waldenfels, Josef Wohlmuth, Projekttag Frauenordination, Kleine Bonner Theologische Reihe, Verlag Norbert M. Borengässer, Alfter, 1997, VI/82 p.
11. Pierre-Olivier Bressoud, Église et couple à petits pas. Vers une réévaluation théologique des formes de cohabitation contemporaines ?, Contributions fribourgeoises à la recherche familiale 5, Éditions Universitaires, Fribourg Suisse, 1998, 198 p.
12. Claude Barthe, Reconstruire la liturgie, Éditions François-Xavier de Guibert, Paris, 1997, 221 p.
13. François Tollu, L’Eucharistie. 20 siècles d’histoire. Textes en main, Cerf, Paris, 1998, 401 p.
14. Rudolf Pacik, « Last des Tages » oder « geistliche Nahrung » ? Das Stundengebet im Werk Josef Andreas Jungmans und in den offiziellen Reformen von Pius XII. bis zum II. Vaticanum, Studien zur Pastoralliturgie 12, Verlag Friedrich Pustet, Regensburg, 1997, 446 p.
15. Winfried Haunerland, Die Primiz, Studien zu ihrer Feier in der lateinischen Kirche Europas, Studien zur Pastoralliturgie 13, Verlag Friedrich Pustet, Regensburg, 1997, 564 p.
16. Andrea Bozzolo, La teologia sacramentaria dopo Rahner. Il dibattito e i problemi. Biblioteca di Scienze religiose 151, Libreria Ateneo Salesiano, Roma, 1999, 245 p.
11. Le paysage dans lequel se sont construits les édifices des sacrements chrétiens fut décrit et interprété au cours des siècles à l’aide de différentes notions-clés qui revêtaient le caractère de véritables paradigmes : mysterium-sacramentum (Tertullien), signum (Augustin), Signum efficax gratiae (Thomas), mystère du culte (Casel), « Ursakrament » et symboles réels (Rahner), corporéité de l’expression symbolique de l’expérience chrétienne (Chauvet), etc. O. Meuffels s’inscrit pour sa part dans la ligne de recherche qui suit le paradigme « communication ». Le fait que celui-ci soit à la mode n’explique que partiellement sa motivation. Pour lui l’essentiel est que cette notion, bien au-delà de la technicité qu’elle revêt dans nos sociétés industrielles, avait dès son apparition une acception philosophique et théologique. Théologique depuis les paraboles révélatrices et provocatrices de Jésus, l’interprétation paulinienne de la présence active du Pneuma dans la koinonia ecclésiale, la théologie johannique du Logos fait chair, puis chez les grands Cappadociens avec la vision de relations éternellement et temporellement synergétiques au sein de la Trinité. Cette tradition met déjà en œuvre la notion de communication, contribuant ainsi, à la longue, à développer également une ontologie, une anthropologie et une sociologie correspondantes. Il convient donc pour l’auteur de faire l’herméneutique des sacrements du culte chrétien dans ce contexte et dans la trame de cette histoire afin d’éviter que leur spécificité ne se dilue dans des théories modernes par trop généralisatrices d’un symbolisme omniprésent.
2L’ouvrage comprend six chapitres : (I) Expositions des données et des raisons qui permettent un travail interdisciplinaire entre la théologie et des sciences modernes de la communication ; (II) Éléments de la la tradition théologique néotestamentaire et patristique ; (III) Éléments de théories philosophiques du langage, du symbole et du mystère ; (IV) Transformation spéculative de l’acquis en théologie sacramentaire ; (V) Les sacrements de l’Église ; (VI) Conclusions.
3Dans le chapitre I l’A. dégage d’abord les dénominateurs communs des théories récentes de la communication, surtout dues à des chercheurs germanophones et anglophones (Mead, Watzlawick, Beavin, Jackson, Meggle, Steinmüller, Burkart etc.) : symbole signifiant, code, communication digitale et analogique, communication unilatérale et mutuelle, caractère ludique, interactivité. Meuffels rappelle qu’il n’existe pas aujourd’hui une théorie unique de la communication capable d’intégrer parfaitement tous les acquis de la recherche philosophique, linguistique, psychologique et sociologique en cours (p. 17). Le théologien désireux de réflexion interdisciplinaire garde donc une certaine liberté de choix. Par exemple en soulignant que l’action sacramentaire n’est pas réductible à un code rigide (p. 22) et que le rituel bien compris accorde au « jeu » un caractère constitutif (p. 27).
4Cela se comprend eu égard à l’option philosophique de l’A. Il essaie de se libérer d’une ontologie des substances et des causalités linéaires qui a caractérisé les théories scolastiques des sacrements. Il ne choisit pas non plus une philosophie des systèmes à la Hegel, mais bien une ontologie des structures en s’inspirant surtout de Heinrich Rombach, philosophe peu connu en France (p. 206-212). Celui-ci définit une structure comme « une texture de moments particuliers qui ne peuvent agir qu’en commun et comme une totalité » (Der Ursprung, Freiburg i. Br. 1994, 44). Il s’apparente à Paul Ricœur, le seul penseur français à qui l’auteur accorde une large place dans l’étaiement philosophique de son essai (p. 235-243). Cela lui permet de voir dans les sacrements des « structures communicatives à tendance totalisante » et transcendentale (p. 207) mettant en jeu dans la même rencontre ministre et sujet. Il est à noter que cette manière de voir l’événement sacramentaire incite l’auteur à critiquer des thèses rahnériennes sur l’Église comme « Ursakrament » qui s’actualise elle-même dans toute célébration (p. 164) et sur une action causale des paroles et des symboles (p. 243, n. 357). Rombach et Ricœur préférés à Rahner ? La question ne semble pas manquer d’intérêt.
5En ce qui concerne les approches proprement théologiques qui entrent dans le projet interdisciplinaire, la référence à E. J. Kilmartin (Christian Liturgy : Theology and Practice, Kansas City, 1988) est significative. Kilmartin relie en effet clairement les sacrements à la Trinité, autant à la Trinité immanente qu’à la Trinité « économique », en utilisant largement l’analogie communicative. La même vision se retrouve d’ailleurs dans l’Instruction Pastorale Communio et Progressio (1971), où l’acteur central d’une telle économie est identifié avec le Christ « perfectus Communicator » (n° 11). Quant à Vatican II, son décret sur les moyens de communication se trouve critiqué pour son manque de fondement proprement théologique (p. 37), seul Dei Verbum porte l’énoncé clair et fondateur : « Divina revelatione Deus seipsum atque aeterna voluntatis suae decreta circa hominum salutem manifestare et communicare voluit » (N° 6).
6Parmi les théologiens post-conciliaires qui, reprenant et développant les intuitions personnalistes d’E. Schillebecks (Le Christ sacrement de la rencontre de Dieu, Paris, 1960), ont œuvré à l’élaboration d’une théorie communicative des sacrements, Meuffels fait référence à A. Ganoczy, P. Hünermann, L. Lies et A. Schilson, un analyste critique pertinent de la théorie mystérique d’O. Casel.
7C’est ainsi qu’il passe au chapitre II traitant des éléments de la tradition théologique dont il voit la partie normative dans la théologie néotestamentaire. En premier lieu ce sont les paraboles de Jésus, liées à des actions prophétiquement symboliques, qui sont évoquées. Ce message à la fois verbal, gestuel et humanitairement actif trouve son point culminant dans la dernière cène, acte salvifique et convivial par excellence accompli à la veille d’un don de soi ultime (p. 87-103). C’est dans cette logique que s’inscrivent les premières réflexions sur le Baptême et le Repas du Seigneur placés, en particulier par Paul, tout entiers sous le signe d’une communion faite d’actes communicationnels.
8Tertullien et Augustin ont tenté de traduire cet héritage en termes philosophiques de leur époque. Avec la traduction du mystérion néotestamentaire en sacramentum d’engagement baptismal et communautaire par Tertullien, et du même mystérion dans des termes de signum, res, signum-et-res par Augustin, la théorie communicative des deux sacrements fondateurs a entamé sa traversée mouvementée de l’histoire des idées. Thomas l’a transcrite en termes aristotéliciens, ce que les Réformateurs ont considéré comme un danger mortel pour la conception néotestamentaire du Baptême et de la Cène. L’A. retrace avec pertinence les grandes lignes de cette évolution.
9L’idée de la sacramentalité globale de l’Église inspirée par un propos de Cyprien sur le « sacramentum unitatis salutiferae » est identifiée comme peu traditionnelle. Pendant 1 200 ans la théologie sacramentaire l’ignorait. Sa résurrection chez Semmelroth et Rahner n’a jamais été reçue sans réserve par la communauté des théologiens chercheurs. Vatican II s’est montré, malgré toute affirmation contraire, réservé sur ce point. Pour lui il s’agissait d’une simple analogie (« veluti sacramentum » : LG 1). C’est sur la ministérialité humble de l’Église qu’il a préféré mettre l’accent. L’A. critique en conséquence à juste titre l’ecclésiocentrisme de la théorie rahnérienne (p. 164). Son option est claire : ce n’est pas l’Église qui s’accomplit elle-même comme substance salvifique en célébrant les sacrements, mais ce sont les sacrements qui constituent, par un réseau de communications, l’Église. Celle-ci, en tant que peuple de Dieu, se comprend bien comme une communion et une communauté de communications diverses, non en dernier lieu sacramentaires.
10Le chapitre III retrace les grandes lignes des théories de Chomsky, Mead, Apel, Habermas, Schmidt et Peukert avec lesquels l’A. désire entrer en dialogue. Il le fait sous trois titres : langage, symbole, mystérion.
11Une théorie moderne du langage est saisie exemplairement chez Habermas qui a développé une philosophie de l’« action communicative (kommunikative Handlung) » (p. 185-196). Ici l’action personnelle, interpersonnelle et communautaire devient partie constitutive du langage. Celui-ci agit, tout en exprimant, signifiant, rappelant, prédisant, communiquant, ce qui se rapproche bien de l’intentionalité d’une liturgie sacramentaire. La reprise proprement théologique de cette conception par H. Peukert le montre encore davantage, tout en ajoutant une sensibilité accrue pour les négativités dans les relations humaines, la souffrance, l’injustice et la mort. C’est dans ce champ existentiel que les sacrements doivent se vérifier comme échange, partage, réciprocité, innovation des rapports, facteurs de socialisation et de solidarité. Cela rejoint la communication évangélisatrice concrète de Jésus (p. 203).
12Avec Rombach, cette analyse du langage opérant, rejoint une ontologie des structures, selon laquelle un acte communicatif en conditionne bien d’autres, établissant des constellations de rapports intersubjectifs, autrement dit des structures dans des structures. La vérité du langage est véhiculée par ces constellations et se perd si elle est isolée ou individualisée à l’extrême. Il est pour le devenir d’une personne et d’une communauté essentiel que les différents « jeux de langage (Sprachspiele) » (vgl. Wittgenstein) s’interpénètrent tout en restant eux-mêmes. Un véritable programme d’interdisciplinarité ! Pour la compréhension des sacrements un tel jeu « à plusieurs voix » apporte une contribution considérable.
13Cela nous mène directement à une théorie du symbole opérant. Conformément à sa préoccupation ontologique, l’A. n’accepte pas le formalisme de certains symbolismes contemporains. Pour lui c’est l’étant qui se dit et s’annonce avant d’être dit et signifié. Le symbole d’être est tout en mouvement, inexorablement ouvert vers un futur, un accomplissement de sens possible, pas encore réalisé. En ceci il devient tout naturellement le langage de la foi chrétienne (cf. Ebeling) (p. 223). C’est ce qu’ont compris des penseurs comme Tillich et Ricœur. Pour ce dernier, l’ouverture vers l’avant du symbole réside en ceci qu’il « donne à penser » et appelle une interprétation en conséquence (p. 236). Ce symbole ne parle pas de lui-même, comme automatiquement, puisque sa signification est conditionnée par le sujet et les sujets récepteurs. Il doit être transformé en langage verbal permettant la compréhension de son sens ici et maintenant. Sans herméneutique des signes pas de sacramentalité opérante (p. 238) !
14En troisième lieu apparaît le concept mystérion. Il relie l’événement ou la structure du sacrement à son auteur premier, le Dieu trinitaire. La théologie mystérique de Casel, revue et corrigée par Schilson, reçoit l’attention qu’elle mérite et une fin de non-recevoir est prononcée contre tout ecclésiocentrisme.
15Le chapitre IV repense systématiquement l’acquis des trois premiers. La « structure » sacrement est vue dans ces deux « moments » constitutifs : parole et symbole. Ici, le lecteur français aurait souhaité une évocation des travaux de L.-M. Chauvet qui insiste bien sur la corrélation de ces deux moments et en tire des conséquences intéressantes pour la théologie systématique et pratique. Par ailleurs l’A. traite les problèmes classiques de l’institution des sacrements, du septénaire, des « grâces sacramentelles » à la lumière de l’approche communicative.
16Le chapitre V resitue la théologie dans le contexte ecclésial et analyse chacun des sacrements du culte catholique. Ceux-ci sont présentés sous l’angle de l’historicité de l’existence croyante et du devenir chrétien.
17En résumé : cet ouvrage représente un véritable travail de recherche. Il est très bien documenté, structuré et pensé. La conséquence avec laquelle Meuffels rattache toute l’économie de la communication sacramentaire à sa source ultime, la Trinité, donne à son paradigme une force convaincante. Aucune réduction anthropologique ou ecclésiocentrique ! La grâce, c’est-à-dire Dieu dans le don de soi motivé par son Agapé, est reconnue comme indivisible. Pas de « grâces sacramentelles » donc comme produites par des « signes efficaces » ! Le rôle des sacrements dans l’histoire d’une vie se trouve bien exprimé. Les sacrements s’inscrivent dans la durée et promettent ainsi une permanence d’éternité. Je critiquerais le style parfois compliqué de l’A., l’ignorance d’ouvrages de recherche francophones, des analyses parfois trop rapides. Mais, tout compte fait, O. Meuffels contribue par son livre à une intelligence à la fois traditionnelle et innovante des sacrements chrétiens.
182. L’essai d’Henry Mottu sur le « geste prophétique » vise à « réenraciner la théologie sacramentaire protestante dans le terrain biblique » (p. 86) qu’elle a quitté dans la mesure où elle n’accorde plus à la « corporéité » et à la « communication par le geste, par symboles » (p. 5) qu’un rôle marginal. En est-il ainsi parce que le « protestantisme » (l’A. emploie ce nom générique systématiquement) a la préoccupation de garder à la Parole et à sa prédication leur priorité dans tout acte de culte ? Mais dans ce cas il y a malentendu puisque l’Ancien et le Nouveau Testament voient la Parole de Dieu se médiatiser tant sur le mode du langage de l’annonce que sur celui du rite « charnel », inaugurant ainsi une « double économie » (p. 44). Une telle « incarnation » se trouve dès lors dans une « tension féconde » avec la « transcendance » qu’il faut maintenir à tout prix (p. 6). Aussi l’A. se donne-t-il pour but de « sortir de l’alternative trop tranchée : Ou bien tout est sacrement, mais alors on va beaucoup trop loin dans l’extension du champ sacramentel et l’on ne différencie plus clairement les actes ecclésiaux de la volonté du Christ seul ; dans ce ‘tout sacramentel’, tous les chats sont gris… Ou bien rien n’est sacrement, mais alors ce que fait l’Église demeure impensé et celle-ci ne risque-t-elle pas de devenir une Église sécularisée ? » (p. 161 s.).
19L’A. cherche une réponse équilibrée à ces questions en procédant par quatre étapes consacrées respectivement aux actes symboliques des prophètes, aux gestes symboliques de Jésus, à la liturgie comme geste symbolique, aux gestes de l’existence chrétienne.
20Les grands prophètes de la Bible juive avaient un « agir communicationnel » (p. 37), « analogique » et « non verbal », pour utiliser les termes de Watzlawick (p. 44). Ils se savaient « instance médiatrice humaine » (p. 37) de la dabar de Dieu qui est à la fois « un dire et un faire » (p. 63). Leurs actions proprement symboliques sont caractérisées par six aspects : a) elles sont « le signe d’une crise » : quand « les paroles s’avèrent impuissantes pour transmettre le message, des actes sont chargés de prendre le relais » ; b) elles théâtralisent le message ; c) elles recourent souvent à des attitudes dérisoires ; d) elles sont uniques ; e) elles font preuve d’imagination ; f) elles ont tout d’une « analogia actionis » (p. 59 s.).
21Mais justement par ce biais, la prophétie se rapproche de la magie. Elle rappelle la « magie mimétique » où le « semblable produit le semblable » : l’acteur brise par exemple une flèche pour détruire un ennemi (p. 62). Le lecteur catholique est quelque peu peiné que l’A. emploie dans ce contexte la formule « ex opere operato », oubliant ou ignorant qu’elle désigne l’œuvre de Dieu et non de quelque magicien. Bien qu’il admette que la magie « interfère » souvent avec la religion (p. 74), il considère que chez les prophètes bibliques ce n’était pas le cas. Tandis que le magicien manipule « un fluide surnaturel qui peut se fixer sur toute chose », met en scène une « préciosité mystique », réduit la parole à une « incantation » en nommant simplement la divinité ou le démon à instrumentaliser, le prophète a un sens aigu du naturel et du quotidien, il n’agit pas comme si parole et acte s’équivalaient, il s’efface entièrement devant le Dieu qu’il sert et il tient à expliquer au peuple le sens de son action (p. 74-76). Quant aux rites de la religion juive, même s’ils n’ont par eux-mêmes rien de magique, ils peuvent en être contaminés. Voilà pourquoi les actes symboliques des prophètes impliquent souvent une critique de la ritualité. Est-ce à dire que l’A. a raison de conclure : ils ont pour fonction « de subvertir de l’intérieur la ritualité » (p. 78) ? Ce qui me semble vrai c’est que le monde du prophétisme biblique se distingue radicalement du monde du culte établi, sans pourtant s’en séparer. Le rapport entre ces deux mondes doit plutôt être celui de la complémentarité.
22En étudiant le comportement de Jésus, l’A. aurait pu mettre en valeur la simultanéité sans heurt entre sa fidélité au culte traditionnel d’Israël et sa vocation singulièrement prophétique. En revanche il montre bien l’importance du geste symbolique pour lui : il se fait baptiser, guérit les malades, expulse les vendeurs du Temple, lave les pieds à ses disciples et façonne créativement son dernier repas avec eux (p. 96 ?-114). Ce dernier geste est bien présenté comme un « geste complémentaire », reliant liturgie traditionnelle et innovation eschatologique.
23Définir la liturgie chrétienne comme « geste prophétique » s’avère une tâche ardue. Le lecteur se demandera peut-être pourquoi il faut absolument qualifier la liturgie comme prophétique et comment s’inscrit la prophétie dans le monde des rites sacramentels. L’A. dit bien que les symboles mis en œuvre par les anciens prophètes ne sont nullement « répétables » (p. 192). Leur unicité correspond à une situation unique et leur est constitutive. Par ailleurs pour le monde des rites c’est la réitération réglée et régulière qui est essentielle (p. 130). La demande de Jésus l’illustre bien : « Faites ceci en mémoire de moi ». Ici, un faire unique, prophétiquement symbolique s’affirme dans sa singularité, tout en se donnant comme base d’un mémorial à réitérer. Mais est-ce suffisant pour qualifier de geste prophétique toute eucharistie ? N’y a-t-il pas là danger de diluer le prophétique tout comme d’autres diluent le sacramentel dans tous les actes de l’existence chrétienne ? Sans doute l’analogie prophétique de la liturgie eucharistique et autre se limite-t-elle au symbolique, au gestuel et, dans ce sens, au « charnel ».
24Arrivé à ce point de la réflexion, l’A. est conduit comme naturellement à une discussion avec les thèses de L.-M. Chauvet. Il y découvre trois « points forts » : le rite protège par son objectivité contre tout subjectivisme du ministre ; sa réitération a un effet rassurant ; la dichotomie entre Parole et Sacrement ne devrait pas avoir lieu (p. 136-138). Par ailleurs, l’A. formule quatre critiques : Chauvet parle du prophétisme, à ses yeux trop politisé chez les protestants, plutôt au sens péjoratif. ; il manque d’attention aux « conditions historiques », au « contexte » de tout acte du culte : « le rite suit son cours comme si rien ne se passait » (p. 139) ; il ne dit pas quel genre d’Église il a en vue ; il méconnaît l’aspect cognitif du rite (p. 140), prétendant qu’en matière de célébration « le faire a la priorité sur le dire » (p. 134) et que le « rituel » est moins mental que ‘comportemental’ » (p. 135). Contre cette position attribuée à tort ou à raison à Chauvet, Mottu rappelle l’exigence des Réformateurs : « nous voulons comprendre ce que nous faisons », il nous faut une herméneutique des symboles, sans pour autant céder à quelque « logocentrisme » occidental (p. 140).
25L’A. reprend aussi la critique de Luther et de Calvin concernant le caractère sacrificiel propitiatoire de la Messe, en rappelant l’ephapax de He 9, 12 (le Concile de Trente s’y est conformé en substance, voir DH 1743 et 1754 !), en même temps il souligne, plus fortement que les Réformateurs, la portée éthique du Repas du Seigneur (p. 144-147). Ceci dit, il fait un procès sévère au protestantisme contemporain, pris dans sa globalité, pour sa frilosité devant le geste symbolique sacramentel qui n’est pas seulement un acte de communication existentielle des fidèles entre eux, mais aussi une démarche qui « exprime et imprime la chose dans le corps et par lui, donne ce qu’il promet, confère » la Parole et la grâce indivisible de Dieu (p. 148). Ce geste « opère » ce qu’il signifie puisqu’il est accompli sous l’action de l’Esprit Saint (p. 151). Ce réalisme s’apparente bien à celui de Calvin et de la tradition orientale, sans contredire pour autant la théologie catholique, dans la mesure où elle aussi fait valoir l’épiclèse. Le Christ est le seul « sacrement » de Dieu, dans son être et dans son action. Mais à partir « de ce fondement, il y a /…/ des gestes symboliques accomplis certes rituellement, mais prophétiquement en son nom » (p. 162). Si je comprends bien, l’A. prend ce « en son nom » comme fondement d’une qualification à la fois rituelle et prophétique du geste « sacramentel ».
26Le chapitre IV est consacré à quatre « marques » ou « pôles » de l’existence chrétienne : « la prière, la nomination de Dieu, les gestes et le service » (p. 172). « La prière est la première marque /…/ parce qu’elle est le commencement de tout en faisant faire à notre corps ce que notre foi requiert : se dessaisir de sa vie pour la remettre à Dieu » (ibid.). Chronologiquement, la priorité revient au baptême que l’A. ne voit aucun inconvénient à accorder aux nouveaux-nés (p. 179). C’est dans le désir priant et demandant de la communauté porteuse qu’ils doivent être baptisés. Initiation et habilitation à la confession de foi peuvent avoir lieu avant ou après le rite proprement dit, car l’être-croyant-priant est toujours en devenir (p. 186-189). Les gestes symboliques (et prophétiques ?) de ce processus ont une importance considérable. Cela vaut aussi pour la célébration du Repas du Seigneur (p. 197). Mais là, l’aspect éthique doit se mettre particulièrement en valeur : « La ‘présence réelle’ du Seigneur /…/ se déréalise si elle n’entraîne pas des relations justes avec autrui dans le besoin » (p. 197). Oindre les malades, consoler les éprouvés, manifester notre solidarité d’Église à Église, agir contre les forces du Mal (p. 204-245), rentrent également dans cette mouvance existentielle, priante, aimante, s’extériorisant par des gestes et des symboles sacramentels (et prophétiques ?). L’imposition des mains mérite une mention spéciale ; elle sert, entre autres, à ordonner les ministres de la Parole par la prédication et les sacrements : Calvin lui-même n’a-t-il pas admis, en principe, ce geste comme le « troisième sacrement » (cf. ICR IV.3. 16) ? (p. 217). Ne devrait-on pas revenir à cet héritage ? L’A. déclare : « Je renvoie dos à dos et le Concile de Trente (réalisme excessivement institutionnalisé) et le protestantisme moderne (spiritualisme évanescent) » (p. 216).
27Voilà un projet intéressant d’une « réforme liturgique » authentiquement protestante qui suppose qu’on corrige une théologie dialectique encore trop dominante (p. 250). Le lecteur catholique éprouvera beaucoup de sympathie pour ce programme : réformer la Réforme. Le souci de revenir à la Bible et à la gestualité de l’annonce prophétique de la Parole, celui de ne pas mettre cependant le « faire » avant le « dire » herméneutique et mystagogique sont bien partagés par la plupart des chercheurs catholiques. La démonstration du réalisme et du non-spiritualisme de Luther, de Mélanchthon et de Calvin est réussie. L’est moins, à mon avis, la qualification prophétique des sacrements. La gestualité, à elle seule, ne suffit pas à fonder une analogie profitable ; ni la seule référence à un agir et parler au nom de Dieu. On ne voit pas toujours clairement comment ce qui est par définition réaction singulière à une situation unique pourrait être le principe pour ce qui est essentiellement réitérable et réglable. Dans l’ensemble ce livre d’H. Mottu mérite d’être considéré comme de la théologie pratique fondée sur une solide enquête biblique et sur une réflexion systématique. Il est fort bien écrit, provoque le dialogue et apporte des accents nouveaux. Je recommande sa lecture aux lecteurs sensibles à l’œcuménisme.
283. et 4. Giorgio Mazzanti est un théologien poète. Il entreprend dans ces deux volumes une théologie sacramentaire ayant pour principe herméneutique la symbolique « nuptiale » de l’économie salvifique. Il fait preuve de beaucoup de courage (ou de naïveté ?) pour proposer une telle systématique esthétisante et enthousiaste à des lecteurs majoritairement conditionnés par une rationalité moderne et critique. Il y a là aussi le projet, au moins annoncé, sinon réalisé, de donner une intelligence des sept sacrements et le système qui les relie entre eux « dans la perspective de la résurrection » de Jésus (I, p. 12). Penseur théocentrique, il puise son inspiration plus chez H. U. von Balthasar que dans les approches anthropologiques de Schillebeeckx et de Rahner (I, 25).
29Son premier volume présente une « introduction générale » en quatre chapitres : le règne des symboles ; le symbole « Christ » ; le symbole des noces et la symbolique nuptiale ; la perspective dramatique.
30Le chapitre initial expose brièvement mais avec justesse les grandes lignes des travaux de M. Eliade, K. Kerényi et P. Ricœur. L’A. est ainsi conduit à une appréciation positive des mythes, et, avec M. Eliade, à un refus de toute « réduction freudienne » dans leur interprétation (I, p. 84). Les trois auteurs qui l’inspirent lui fournissent aussi l’instrumentaire pour définir l’imaginaire et le langage des signes, des allégories et des métaphores (I, p. 44). Il aurait été utile qu’il se réfère aussi à l’idée d’E. Jüngel sur la « vérité métaphorique ».
31Dans son deuxième chapitre, il décrit le Christ comme le Symbole, source vivante de toute symbolique sacramentaire, en suivant surtout la théologie johannique interprétée par Balthasar. L’exégèse mise en œuvre, laissant parfois libre cours à la liberté poétique, se montre plus « accomodatrice » que proprement scientifique : des textes glanés chez Jean mais aussi dans d’autres écrits de l’Ancien et du Nouveau Testament sont réunis pour étayer les affirmations suivantes : le Christ est « épiphanie définitive et décisive de Dieu » (I, p. 100), en lui s’acomplissent les promesses vétérotestamentaires, il est le Révélant en personne qui nous communique Dieu, il se montre « geste et parole ». Qui le rencontre, rencontre la Trinité : « le cœur de Dieu qui se donne est trinitaire » (I, p. 112). C’est surtout par sa « résurrection eschatologique » (I, p. 151) que le Christ s’avère le Symbole par excellence, car il « met ensemble » le mortel et l’immortel. Voici le fondement d’une théologie sacramentaire qui part assurément « d’en haut ».
32Le chapitre suivant collectionne nombre de textes bibliques qui utilisent les métaphores du couple et des noces (I, p. 155-178). Le lecteur aura parfois du mal à percevoir la signification de ce recueil en vue d’une symbolique concrète de nos rites.
33Le dernier chapitre touche à la « perspective dramatique » de cette économie, au centre de laquelle nous rencontrons l’« Époux transpercé » (I, p. 179-195).
34Le deuxième volume de Mazzanti qui est consacré à l’Eucharistie, au Baptême et à la Confirmation commence par l’indication claire de son programme herméneutique : l’Eucharistie est « le sommet et la source de tous les sacrements », car c’est en elle que sont célébrées avant tout les « noces » divino-humaines (II, p. 13).
35Cinq chapitres servent ensuite à expliquer cette thèse sur la cène pascale du Christ, la symbolique eucharistique, l’Eucharistie comme la mémoire symbolique de l’Esprit Saint, son action nuptiale dans l’Église (II, 21-162).
36On notera dans cet exposé avec intérêt un énoncé de Thomas d’Aquin « Matrimonium etiam saltem sua significatione attingit hoc sacramentum (Eucharistiae), inquantum significat conjunctionem Christi et Ecclesiae, cuius unitas per sacramentum Eucharistiae figuratur (S. Th. III. Q. 65, a. 3). (Il, p. 117). En outre cette phrase bien balthasarienne de l’A. : par l’Eucharistie, le fidèle « participe à la périchorèse de la vie de Dieu tri-un » (II, 98).
37La partie consacrée au baptême et à la confirmation comprend les chapitres suivants : la « dérivation » eucharistique de ces deux sacrements d’initiation ; le « Baptême » qui est la mort du Christ ; la symbolique de l’eau ; le symbolisme nuptial-existentiel du Baptême ; l’Esprit Saint comme don de Jésus ressuscité ; la Confirmation comme sacrement de la décision ; la symbolique rituelle de la Confirmation.
38Notons deux énoncés particulièrement caractéristiques de l’optique adoptée par l’A. (a) Par le Baptême, le Christ « prépare et prédispose (purifie et forme) » l’Église, qui est son épouse, « pour la porter à ses côtés. Or un tel acte vient aussi de la plénitude eucharistique » (II, p. 174). (b) Par la Confirmation le Christ et l’Esprit habilitent l’Église-Épouse « à l’ordre sacerdotal et aux noces du Seigneur » (II, p. 181). Ici le sujet de ces deux rites sacrés destinés à initier des personnes à l’existence ecclésiale devient l’Église dans sa totalité. C’est la métaphore choisie pour celle-ci qui le demande. Là, on atteint un degré très fort de langage mystique qui risque d’occulter l’aspect essentiel de communication personnelle et interpersonnelle. Et l’a priori eucharistocentrique n’est pas à même de le restituer. Même par la suite il n’est pas dit clairement que le Baptême, « complété » par la Confirmation, est aussi le sacrement de la profession de foi et de l’engagement missionnaire. L’historicité de l’existence baptisée ne se trouve pas évoquée et la fonction de décision du deuxième sacrement est comparée au choix que fait un fiancé dans un « état amoureux » (II, p. 260).
39Que dire de cette œuvre ? Il serait injuste de dénier à une théologie poétique et esthétisante tout droit de cité. Il en est de même de la métaphore nuptiale présente déjà chez les prophètes et dans les écrits du Nouveau Testament. H. U. von Balthasar l’a remise à l’honneur en y ajoutant un grand nombre de variantes patristiques. Mais appliquer la métaphore avec tant d’insistance à tous les sacrements n’est pas moins problématique que la généralisation des paradigmes « symbole », « sacrement » ou « acte prophétique ». Chacun des sacrements du culte catholique a son devenir propre. Il convient de le respecter et de ne pas presser tous ces rites dans un moule unique. Mettre l’Eucharistie au centre de notre septénaire est systématiquement légitime, mais aucune systématisation n’est dispensée d’emprunter l’approche historique. Or, historiquement parlant, le sacrement primitif et fondateur est plutôt le Baptême. Sans lui, pas d’accès au Repas du Seigneur.
405. La Teologia sacramentaria de Giuseppe Colombo est un recueil d’articles, d’essais et de conférences que l’A. a élaborés entre 1969 et 1995. Ceux-ci sont classés sous les titres suivants : I. Théologie sacramentaire, II. Eucharistie, III. Le « quatrième sacrement », IV. L’Ordre, V. Le Mariage. Environ 200 pages sur 520 sont consacrées à la seule Eucharistie. On connnaît l’illustre professeur de Milan pour ses analyses des textes conciliaires, son érudition, sa connaissance de la production théologique en Europe, son sens critique et son exigence de rigueur dans la réflexion systématique. On le considère à juste titre comme un représentant ouvert de la théologie fondamentale en Italie.
41Dans sa première contribution au présent recueil, une étude de 1974 intitulée « Où va la théologie sacramentaire ? », l’A. s’emploie à démontrer que « l’inflation » de la notion « sacrement » constitue un problème majeur de cette discipline. (9, cf. 214 ss), une inflation d’une notion aussi étendue que vague que certains voient à tort justifiée par LG 1 et 48. Il est faux en effet que le Concile nomme ici l’Église sacramentum au sens propre. Il ne le fait que par une analogie qu’il indique en tant que telle en utilisant les termes de comparaisons « veluti » et « ut ». Cette manière de procéder est sans doute fondée sur l’équivalence entre le mystérion néotestamentaire et le sacramentum de Tertullien, notions qui possèdent par elles-mêmes plusieurs sens : le Royaume, l’histoire salvifique, le Christ, ou encore son union avec l’ekklesia et, seulement chez Tertullien, le Baptême et l’Eucharistie. Il est exact que Cyprien désignait l’Église comme « sacramentum unitatis », un titre que LG 9/3 cite en l’élargissant : « sacramentum visibile huius salutiferae unitatis » (cf. LG 48/2). Mais la tradition postérieure ne reprend cette formule que fort parcimonieusement, avant que O. Semmelroth et K. Rahner en fassent la base de toute une ecclésiologie. Quant à Augustin il préfèrait appeler le Christ le Sacrement de Dieu (p. 7). Colombo juge sévèrement l’approche rahnérienne en même temps qu’il accorde sa sympathie à l’énoncé analogique de Schillebeeckx sur « le Christ, Sacrement de la rencontre de Dieu » (p. 21). Il considère que la thèse « Ursakrament » inculquée à toute une génération est source de confusion (p. 48). Il est tout simplement a-traditionnel d’enseigner que l’Église, considérée comme grandeur mystique concrètement peu saisissable, soit le sacrement « fondamental » ou « originel » et que les sept sacrements du culte soient des actes de l’Église par lesquels elle se réalise ou s’actualise elle-même. Dans ce discours la notion subit une extension qui ne fait que l’obscurcir (p. 31). Et la tentative d’échapper aux questions ardues concernant l’institution des sept sacrements en déclarant qu’elle est impliquée dans l’institution de l’Église par Jésus Christ génère un ecclésiocentrisme que les protestants s’accordent avec des chercheurs catholiques contemporains (par ex. O. Meuffels) à rejeter comme totalement étranger à la Bible (p. 29). En outre cette théorie renforce encore l’imprécision conceptuelle. Enfin, la synthèse que Rahner tente de réaliser ainsi entre la théorie scolastique de signes efficaces de grâces et une philosophie moderne de l’intersubjectivité, échoue en grande partie (p. 30). Dans une telle démarche il est possible de ne pas définir la notion de sacrement tout en l’utilisant pour des choses essentiellement différentes (p. 17). Une telle insuffisance ne se trouve guère surmontée par une ontologie selon laquelle l’étant s’exprime nécessairement pour réaliser son essence propre et l’incarnation du Logos s’inscrit dans une telle dynamique en inaugurant la sacramentalité de l’humanité assumée puis celle de l’Église avec ses sept « symboles réels » (cf. K. Rahner, Schriften IV, 275-311 : Zur Theologie des Symbols).
42La solution ? L’A. la voit dans une étude historico-critique des sources, en premier lieu des témoignages sur la volonté de Jésus concernant les situations de vie auxquelles correspondent les différents sacrements actuels, aussi dans le respect scrupuleux de leur devenir complexe, réfractaire à toute systématisation hâtive (p. 32-40). Ensuite il y a lieu de reconnaître dans les événements sacramentels des actes du Christ par l’intermédiaire de l’Église et non des actes d’autoréalisation de l’Église en tant que médiatrice incontournable du Christ. Le partenaire protestant, comme vient de le montrer H. Mottu (cf. supra n° 2), ne pense guère autrement.
43Le deuxième essai se penche sur les rapports entre théologie sacramentaire et fondamentale (p. 63-86). Relevons seulement la désignation d’O. Casel comme le rénovateur principal en cette matière (p. 73), un jugement sur lequel Colombo revient plusieurs fois dans ses autres études (cf. p. 103, 113, passim). Dans ce contexte il insiste aussi sur sa thèse : l’Église ne fait pas les sacrements, mais les sacrements font l’Église, ce qui est évident dans le cas de l’Eucharistie (p. 81, 86, cf. p. 215 : une référence à Thomas d’Aquin).
44Les neuf textes sur l’Eucharistie qui suivent contiennent des variations sur les thèmes déjà abordés. Il serait fastidieux de les analyser un par un. Relevons simplement quelques pensées significatives. L’A. prend ses distances avec une philosophie de substances et plaide pour une ontologie relationnelle et personnaliste (p. 101, 154, 189). Avec J. M.-R. Tillard et G. Martelet il demande qu’on intègre la résurrection de Jésus et des croyants dans la réflexion eucharistique, une perspective à la fois plus eschatologique et, en suivant Calvin, pneumatologique (p. 127-138). Avec Tillard l’A. considère que le Repas du Seigneur « l’événement historique participe à l’éternité et à l’ubiquité divine, et son effet peut aussi rejoindre tous les temps et tous les lieux » (p. 138). Au sujet de la « Transsubstantiation », l’A. se réfère encore à Calvin qui refuse tout ce qui risque d’évoquer une « présence somatique » en occultant la réalité glorieuse de la personne intégrale du Christ qui se rend réellement présente grâce à l’opération de l’Esprit. C’est toute une théologie de l’épiclèse (p. 188). Dans ce contexte, il n’est nullement indispensable de parler de « transsubstantiation », le terme « mutation » ou « conversion » suffit (p. 189).
45Dans les textes qui retracent l’évolution contemporaine du traité de l’Eucharistie relevons des pages de discussion avec F. Schupp (p. 275, 391 s) et L.-M. Chauvet (p. 285-288, 392-401). Colombo salue la tentative de Schupp de libérer le culte chrétien d’une culture obsolète et de le rendre plus lisible aujourd’hui, mais il le critique aussi pour sa tendance à programmer cette mutation dans des catégories empruntées au néomarxisme de l’école de Francfort, en outre pour le déficit christologique et ecclésiologique de son projet (p. 391). Dans ses propos sur l’imposante systématique de Chauvet, l’A. rejoint les réserves formulées par C. Geffré, P. Gisel et G. Lafont (p. 395). Il y ajoute les siennes sur cette invitation à une « conversion postmoderne » de la théologie sacramentaire à partir d’une « ontologie de la différence » qui prétend remplacer l’« onto-théologie » traditionnelle et mettre simultanément en avant l’altérité de Dieu et l’autonomie de l’homme, ces deux pôles qui appellent une médiation sacramentelle (p. 393). Une telle médiation est-elle possible, si l’on part d’une notion trop vaste et vague du symbole, si l’on met en veilleuse ce qui est spécifiquement chrétien, partant christocentrique, si l’on réduit le sacrement à ses aspects rituels, éthiques et anthropologiques ? Par ailleurs : n’est-ce pas utopique de rompre avec toute idée traditionnelle de « corporéité », telle qu’elle est par exemple présente chez Thomas, pour lui substituer une philosophie « postmoderne » du corps ? (p. 394-399).
46Les textes qui traitent de la Pénitence, de l’Ordre et du Mariage n’apportent rien de très nouveau. Ils retracent surtout différents aspects des réformes de Vatican II.
47C’est avec respect qu’on lit ces pages d’un observateur attentif de la recherche pré et post-conciliaire. Étalées sur une vingtaine d’années elles témoignent d’une grande conséquence dans les positions prises. Fidélité à la traditio vivens de l’Église et sens des problèmes spécifiquement contemporains caractérisent ces pages dont la longueur et les répétitions demandent cependant au lecteur beaucoup de patience.
486. Mary Catherine Hilkert, professeur associé à l’University of Notre Dame, présente une étude lumineuse sur les conditions d’établir une corrélation véritable entre la prédication et la célébration qui sont des formes originellement complémentaires de « nommer la grâce ». L’A. esquisse d’emblée les deux pôles de référence de sa réflexion : l’« imagination dialectique » et l’« imagination sacramentelle » (p. 15). La première qualifie une théologie avant tout de type protestant qui part de la distance infinie entre un Dieu absolu et mystérieux et l’homme mortel, pécheur et soumis à de nombreuses limitations. Cette distance qui va jusqu’à l’opposition est marquée par la croix du Christ et par l’état encore non accompli du Règne. La seconde se vérifie dans une théologie de type catholique qui met en avant la présence d’un Dieu d’amour dans le monde, l’homme comme image indestructible de ce Dieu, l’Incarnation, la grâce divinisante, enfin la médiation eccclésiale et sacramentelle.
49Le livre comprend dix chapitres : 1) L’imagination dialectique (avec référence à K. Barth, R. Bultmann, G. Ebeling et P. Tillich). 2) L’imagination sacramentelle : la grâce incarnée en parole et en action (avec K. Rahner et E. Schillebeeckx). 3) La prédication comme l’action de nommer la grâce. 4) Paroles à partir du futur. 5) Se confier au texte ou prêcher l’Évangile ? 6) L’histoire humaine et l’histoire de Jésus. 7) La grâce au fil de l’épée : prédication et lamentation. 8) Garder le dépôt. 9) Des femmes prêchent l’Évangile. 10) Les bonnes nouvelles à plusieurs voix.
50La compréhension de la thèse centrale du livre se trouve quelque peu freinée par le fait que l’expression « imagination » n’est précisée qu’en fin de volume : c’est un « pouvoir de reconfigurer une réalité par une vision dans une optique alternative », plus précisément « l’interprétation de nos vies d’une façon nouvelle » sur la base d’une expérience qui dépasse le statu quo, suscite de l’espérance, fait voir des possibilités inédites et donne des impulsions en conséquence (p. 188 s). L’imagination est dite « sacramentelle » quand elle révèle que l’humain est, malgré toute opposition externe ou interne, enraciné dans le divin et ouvert sur lui (p. 189). Elle se nourrit des impulsions bibliques et liturgiques et inspire une prédication éclairée et proche de la vie. Car elle « voit le monde à travers le prisme de la promesse » (ibid.).
51Telle est la position fondamentale à partir de laquelle l’A. veut revaloriser la prédication dans le culte catholique, un peu comme H. Mottu tendait à rénover les sacrements et leur représentation gestuelle de la Parole dans le culte protestant. Dans ce projet le modèle idéal de l’annonce liturgique de l’Évangile est fourni par les paraboles de Jésus insérées dans la convivialité, surtout par l’épisode d’Emmaüs où « la prédication de Jésus atteint son point culminant dans la fraction des pains » (p. 101).
52Le point fort de l’ouvrage se trouve dans le chapitre 9 consacré à la prédication féminine. Celle-ci est légitimée par une « imagination sacramentelle » qui apporte ici une vision nouvelle, moderne des choses tout en étant fortement inspirée par le vécu des églises primitives. Tous les modèles néotestamentaires sont jetés dans la balance : les femmes qui suivaient Jésus, Madeleine comme apostola apostolorum, le parler prophétique de femmes à Corinthe, Prisca, Junia, Phoebé comme détentrices d’un leadership et d’une responsabilité apostolique dans les communautés pauliniennes.
53À l’autre bout de l’argumentation historique et théologique, l’A. fait valoir une déclaration des évêques allemands (1973) en faveur de la prédication laïcale et partant féminine, en vertu des charismes et des services multiples de l’Esprit. Enfin une suggestion de Mary Collins est reprise : le ministre ordonné doit présider l’Eucharistie, mais il peut confier la prédication comme partie intégrante de la célébration à des laïcs, à des femmes (p. 160).
54Même si le livre ne dit rien de très nouveau, son argumentation est bien fondée et ses propositions sont dignes d’intérêt pour des théologiens soucieux de rétablir une corrélation fructueuse entre ces deux formes de la Parole communiquée : la forme verbale et la forme rituelle. L’insertion des femmes dans ce service est demandée avec modération mais avec moins d’insistance que dans le document des théologiens de Bonn recensé plus loin sous le n° 10.
557. L’étude d’A. Merkt sur l’évêque Maximus I de Turin (305-420) est à ranger dans la catégorie de l’histoire ecclésiastique. En tant que telle elle répond à toutes les exigences scientifiques. Pour le spécialiste de la théologie sacramentelle c’est surtout le chapitre IV qui apporte des informations utiles sur la manière de prêcher sur les mystères de la foi dans un contexte liturgique. Maximus apparaît bien comme un de ces évêques prédicateurs et liturges qui illustrèrent l’Église d’Occident aux ive et ve siècles. L’interprétation doctrinale du Baptême présentée par cet évêque est particulièrement digne d’intérêt (p. 181-192, 197-203, 218-224).
568. L’ouvrage de G. Perego est un autre travail d’histoire de la théologie mais il vise aussi à élaborer des conclusions systématiques. À travers une enquête très fouillée sur l’enseignement de théologiens lombards jansénistes avant et après le Synode de Pistoia, concernant le ministère ordonné, il réussit à en dégager les idées maîtresses. C’est un modèle du genre d’étude historico-dogmatique.
57Dans ses deux premiers chapitres l’A. décrit minutieusement et avec toutes les nuances voulues le jansénisme lombard du xviiie et du xixe siècles, en puisant aussi dans des documents inédits des bibliothèques et des archives de Pavie. Personnalités, doctrines et méthodes sont présentées de façon vivante et claire. Le 3e chapitre est consacré à l’ecclésiologie des théologiens examinés, le 4e à leur compréhension du ministère ordonné, le 5e aux réformes doctrinales qu’ils proposent et à ce que la théologie actuelle tend à considérer comme « déviations ».
58On peut résumer leur ecclésiologie comme suit : L’Église est un corps animé par l’Esprit Saint (p. 106) qui agit aussi hors de ce corps (p. 108). La communauté ecclésiale n’existe véritablement que là où ses sacrements et ses ministères se conforment à des exigences toutes spirituelles. Entièrement soumise au Pneuma divin, l’Église ne peut pas être objet de foi au même titre que les trois personnes de la Trinité : on dira « credo ecclesiam » et non « in ecclesiam » (p. 107). Ses membres sont les justes, les élus, les prédestinés (p. 108). Cela rappelle un certain calvinisme. Mais c’est dans l’Église romaine seule qu’on rencontre la vera chiesa de Jésus Christ (p. 111). Toute entière spirituelle, jamais elle n’aura « le droit de contraindre ses membres » ; « la coercition et la force » sont contraires à l’Évangile (p. 114). « La foi ne se viole pas », car elle est « une obéissance raisonnable à la vérité » (p. 116) proposée par des ministres animés de charité (p. 117). L’infaillibilité, ce don de l’Esprit de vérité, qualifie simultanément la doctrine des pasteurs et la foi des fidèles (p. 115 s). La constitution de cette Église n’est ni monarchique ni démocratique, mais essentiellement conciliaire. Le Concile général (œcuménique) est l’« instrument le plus représentatif de l’Église », « son unique tribunal » doctrinal et pastoral (p. 115, 144). Son autorité est supérieure à celle du pape, suivant l’enseignement des conciles de Pise, de Constance et de Bâle (p. 116, 143 s, 155). Tout cet idéal se réalise dans l’exacte mesure où le christianisme revient à la primitivae ecclesiae forma (p. 118). Le dialogue avec les autres confessions est légitime et nécessaire, mais pas celui avec les indifférents (p. 120).
59Dans ce contexte d’ecclésiologie, le « ministère » (ce terme est préféré à « sacerdoce ») vient du Christ et se transmet par l’imposition des mains qui confère un charisme spécial (p. 145). L’évêque se situe plus au centre qu’au sommet de la communauté, est soumis aux règles de la synodalité, ne représente l’Église que « quand il la consulte et la fait parler » (p. 142). Dans ces conditions il est détenteur du pouvoir des clefs qui n’est pas le pouvoir exclusif du pape (p. 147). Les presbytres ont un pouvoir de juridiction « de droit divin » en vertu de leur ordination (p. 149). « Préposés par l’Esprit Saint » au gouvernement de leur communauté paroissiale, ils sont en même temps « subordonnés » à l’évêque (ibid.). Le diaconat permanent est à réintroduire selon le vœu du Concile de Trente (p. 157) : les jansénistes anticipent en quelque sorte Vatican II (cf. l’ouvrage recensé en 9). L’ensemble des ministères ordonnés est responsable sur des modes divers pour quatre fonctions : a) prédication de la vérité et des préceptes de l’Évangile, b) jugements concernant la vérité, c) transmission du ministère, d) direction des activités internes et externes de la communauté, le tout sous l’impulsion actuelle de l’Esprit (p. 187). Le célibat n’est pas fondé théologiquement dans le Nouveau Testament. Il ne représente qu’une loi disciplinaire. Il n’appartient pas à l’essence du ministère ordonné, mais il en est seulement « l’ornement principal » (p. 211).
60Dans son 5e chapitre, l’A. note comme principes dominants de la réforme projetée : une ecclésiologie pneumatocentrique et une collégialité à tous les niveaux (p. 254), jointe à un esprit de tolérance vis-à-vis des personnes, mais non des déchéances doctrinales et morales.
61Perego note, en terminant, ce qu’il appelle (apparemment à contrecœur) « déviations » jansénistes : un épiscopalisme de type gallican, une certaine séparation entre l’Église universelle et l’Église locale, par conséquent entre la papauté et l’épiscopat, un certain « parochisme » à tendance autonomisme, la promotion d’un presbytérat plus éducatif et social que cultuel, enfin un grand rigorisme qui comprend le prêtre comme arbitre souverain de toute absolution (p. 255-258).
62C’est une monographie parfaitement structurée, s’appuyant sur une documentation aussi riche que bien sélectionnée. Elle fait connaître un mouvement religieux qui n’est pas sans analogie avec la Réforme protestante et les réformes catholiques mises en œuvre avant et après le Concile de Trente et qui laisse présager certains thèmes de Vatican II.
639. La réforme du diaconat « en tant que degré propre et permanent de la hiérarchie (LG 29/2) (réforme souhaitée déjà par certains jansénistes) est le sujet traité dans l’ouvrage rédigé en collaboration par le canoniste A. Borras et le dogmaticien B. Pottier. Son but est d’« épingler quelques questions, principalement théologiques, qui se dégagent au terme d’une trentaine d’années de reprise du ‘diaconat permanent’ » (p. 11).
64Il contient six chapitres : I. Le diaconat exercé en permanence. II. Hypothèses interprétatives sur la disparition du diaconat permanent. III. La sacramentalité du diaconat. IV. Quelques implications pastorales et spirituelles de l’ordination diaconale. V. L’articulation du diaconat avec les autres ministères. VI. Des diaconesses de jadis au diaconat féminin de demain.
65Trente l’a souhaité, Vatican II l’a réalisé, mais dans un sens différent marqué par un « dépassement d’une compréhension strictement sacerdotale du ministère » (p. 19, 31) qui réduisait le diaconat à une simple préparation, à une étape transitoire sur la trajectoire linéaire menant au sacerdoce (p. 51). Pour identifier les facteurs historiques et idéologiques de cette déformation d’un ministère qui possédait à l’origine sa propre identité et consistance, les A. puisent dans les recherches de M. Andrieu, K. Rahner, Y. Congar, Ph. Weber, J. Weber, H. Legrand, G. Hammann. Ils montrent les vicissitudes du diacre occidental tantôt dans sa qualité de délégué de l’évêque pour les affaires sociales et administratives tantôt celles d’un liturge subalterne, tenu longtemps à la continence puis au célibat (p. 60-66).
66À la question de la sacramentalité les A. donnent une réponse globalement positive, tout en notant le problème non résolu que pose la séparation du sacrement de l’Ordre en trois ministères sacramentels, donc le dépassement numérique du septénaire (p. 84-92). Le charisme conféré par l’ordination se trouve thématisé en suivant deux théologies difficiles à concilier : d’une part la scolastique classique qui fait état d’« une grâce sacramentelle » (p. 85), « attachée » à une mission et se doublant d’un « caractère indélébile » (p. 103) (cela risque de chosifier le don libre de Dieu), d’autre part la théorie rahnérienne qui parle du « don de la grâce, à savoir Dieu qui se donne et assure de sa fidélité » (p. 127) (cette vue relationnelle est à la fois plus biblique et plus proche d’une sensibilité protestante).
67Les A. essayent ensuite de déterminer la place des diacres permanents aussi clairement que possible au sein du groupe ministériel formé par « l’évêque et son presbyterium », selon la formule de LG 21/2 : tâche théoriquement possible, pratiquement non sans difficultés. Ils recourent aux notions de collégialité — dans un sens qui ne correspond pas exactement à celui du Concile — et de communauté, avant de conclure : « Si le rétablissement du diaconat met en œuvre cette modalité ‘collégiale’ du ministère diaconal, il pourra encourager, au moins par osmose, un exercice plus collégial du ministère presbytéral » (p. 112). Le rôle de l’évêque comme coordinateur de ce collège tripartite n’est pas indiqué, et l’énoncé n’a pas de caractère proprement institutionnel. Le texte reste dans le vague : la notion-clef ne donne pas ce qu’elle est censée pouvoir donner.
68Je noterai encore la manière peut-être trop sommaire dont les conditions existentielles du diacre marié sont évoquées, par exemple les problèmes de la diversité professionnelle du couple, son type de vie conjugale, le rôle de l’épouse, la situation des enfants, leur éducation en milieu sécularisé, etc. Ces problèmes semblent rester théologiquement en marge. La remarque que la présence habituelle des épouses au conseil des diacres n’est pas très souhaitable (p. 114) ne s’inscrit pas dans un projet élaboré. Quel est le rôle, voire la vocation d’une épouse de diacre ? Suffit-il de faire remarquer que le rituel d’ordination lui demande d’« accepter tout ce que le diaconat que son époux va recevoir apportera de nouveauté » pour leur couple ? (p. 119 s). (Un connaisseur laïc de la situation actuelle dans un diocèse d’Ile de France m’a parlé de véritables drames chez beaucoup de diacres mariés : conflits intrafamiliaux, sentiment d’être ni prêtre ni laïc, écartèlement entre les rôles quasi contradictoires à jouer simultanément, ici comme « l’œil de l’évêque », là comme homme du culte de second ordre. Les circonstances qui provoquent ces crises n’ont-elles pas des implications théologiques ?).
69Le chapitre consacré au diaconat féminin pose courageusement la question de l’ordination presbytérale (plutôt que « sacerdotale ») des femmes. Il retrace d’abord les demandes adressées à Rome par les épiscopats allemand et nord-américain entre 1975 et 1987 concernant ce diaconat, puis les trois réponses romaines de 1976 (Inter insigniores = / /), de 1994 (Ordinatio sacerdotalis = O S) et de 1995 (Responsio) (p. 153-156). Pendant que / / considère la question comme « encore réservée », les deux autres documents tendent nettement à une réponse négative qui englobe aussi le refus de femmes-presbytres. Cela n’empêche pas les A. d’examiner la valeur des arguments invoqués, faisant état aussi d’informations historiques concernant les diaconesses. Se référant à l’étude de R. Gryson sur Le ministère des femmes dans l’Église ancienne (Gembloux, Duculot, 1972, p. 107 s), ils montrent qu’aux temps des Constitutions apostoliques, les diaconesses « font indiscutablement partie du clergé. Elles reçoivent une ordination conférée par l’imposition des mains et la prière de l’évêque » (p. 163). Chose curieuse : le rituel romain en a gardé jusqu’en 1962 la formule (p. 166). Selon Y. Congar cette ordination possédait une qualité sacramentelle (p. 172).
70Quant au « sacerdoce » féminin dont la question s’avère assurément inséparable de celle du diaconat, les A. contestent l’affirmation de Rome que la doctrine présentée par / / et O S le soit « infailliblement par le magistère ordinaire et universel ». Ils y voient une « contradiction dans les termes », car le « magistère pontifical ordinaire, en soi non infaillible » ne peut pas déclarer « le caractère infaillible /…/ d’une doctrine déjà en possession de l’Église » (p. 176). C’est une citation de l’ouvrage collectif des théologiens de l’Université de Bonn recensé ci-dessous en 10. Les A. se conforment aussi à leurs collègues allemands dans l’examen critique des arguments romains. Ils renvoient au livre d’Elisabeth Behr-Sigal, Le ministère de la femme dans l’Église (Paris, Cerf, 1987) ainsi qu’à l’étude américaine The Canonical Implications of Ordaining Women to the Permanent Diaconate de 1995 (p. 156, 186, 191). Ils terminent leur livre en reprenant le jugement de H. Legrand : la question des diaconesses de demain ordonnées sacramentellement « demande encore à mûrir au seul plan dogmatique ». Mais elle ne tombe pas dans la catégorie de la causa finita.
7110. Le petit livre de six professeurs de la Faculté de Théologie catholique de l’Université de Bonn sur le même sujet se caractérise aussi bien par un niveau scientifique élevé que par sa bonne lisibilité. Le dogmaticien J. Wohlmuth précise d’emblée que O S (cf. supra, recension n° 9), dans sa qualité de « lettre apostolique », possède une autorité supérieure à celle de / / qui émane de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Et cependant O S mérite d’être critiqué dans la mesure où il « argumente d’autant moins qu’il parle avec plus d’autorité » (p. 2). En tout cas la déclaration qui stipule que l’Église n’a pas le pouvoir d’ordonner des femmes, parce que cela serait contraire à un « droit divin » est sujette à la « réception » ecclésiale. Or sa réceptibilité dépend de la justesse de ses argumentations. Celles-ci sont, pour O S, les suivantes : 1) le Christ a appelé à la mission apostolique seulement des hommes ; 2) les ministres ordonnés qui continuent cette mission représentent le Christ qui est un homme ; 3) il est donc impossible que des femmes y prétendent ; 4) il y a une tradition constante et universelle qui confirme cette disposition attribuée au Christ (p. 3-6).
72/ / qui a précédé O S développe de façon plus ample une argumention substantiellement identique, faisant valoir en outre la métaphore du Christ-Époux et insinuant que la dernière cène équivalait à une ordination des Douze (p. 10). Dans ce dernier argument l’exégète H. Merklein relève une interprétation arbitraire des textes qui ne présentent nulle part l’institution des Douze comme une consécration à quelque ministère que ce soit, bien plutôt comme un geste de signification eschatologique : ces hommes représentent les douze tribus d’un nouvel Israël à venir, à l’exemple des douze patriarches du peuple élu ancien. En faire les premiers épiscopes ou presbytres n’est aucunement justifié : Jésus ne les établit pas pour le représenter ou même pour « continuer » son ministère. Quant à la masculinité des douze, il est également abusif d’en déduire qu’il faille ordonner uniquement des hommes. Si c’était exact, on devrait alors réserver le ministère aux seuls juifs … (p. 43). L’exégète ne juge pas non plus recevable l’argument qui fait état du comportement des apôtres. C’est une supposition non fondée dans les textes que les Douze auraient déjà institué des presbytres revêtus d’un sacerdoce sacral à l’exemple des hiereis juifs ou païens (p. 46). L’ensemble du discours de / / est anhistorique. En outre ce document n’explicite pas les témoignages des écrits pauliniens, tel Rm 16, qui font preuve d’une ouverture remarquable concernant une participation féminine à des responsabilités de mission et d’animation communautaire (p. 47). Cela va encore à l’encontre de la réceptibilité sans problèmes d’/ /.
73Spécialiste de l’histoire de l’Église ancienne, E. Dassmann n’y trouve pas non plus d’argument valable pour exclure aujourd’hui et définitivement les femmes du ministère ordonné, tout en déclarant que le christianisme post-apostolique n’a jamais songé à confier à des femmes les ministères épiscopal et presbytéral. Les « hérétiques » de l’époque, à l’exception des Montanistes, ne l’ont également pas fait (p. 69).
74Projekttag Frauenordination reflète, dans l’essentiel un beau consensus de toute une Faculté de Théologie de renom. Au Moyen Âge, où le Magistère faisait grand cas de l’avis des théologiens de la Sorbonne, une telle unanimité sur un processus de « réception » doctrinale ne serait pas restée sans effet. Saluons cette contribution remarquable au dialogue proposé par la recherche théologique aux instances romaines.
7511. Plus précautionneux est le livre de P.-O. Bressoud sur la réceptibilité doctrinale et ecclésiale des couples cohabitant sans s’être donné le sacrement du mariage. Membre de l’Institut de théologie pastorale à l’Université catholique de Fribourg, l’A. esquisse une structure progressive de la communauté de vie entre des hommes et des femmes chrétiens, abandonnant ainsi toute fixation sur l’échange ponctuel des consentements ou la « consommation » rendant indissoluble le lien sacramentel. Il procède par deux approches : la première socio-historique, la seconde théologique, en vue d’une théorie du « processus » de communauté conjugale. Dans la première il retrace les vicissitudes socio-culturelles du mariage pendant les deux derniers siècles jusqu’à l’avènement de l’époque qu’on appelle « postmoderne » (p. 8-17), en faisant de larges emprunts à des chercheurs comme R. Béraudy, M. Legrain, L. Roussel et P. Valadier.
76Dans les pages proprement théologiques, l’A. rappelle que l’union entre deux baptisés était jusqu’au xie siècle considérée par l’Église comme conforme à la loi divine par le seul fait de leur consentement mutuel interprété par le droit romain (p. 102-104). Il puise les données qui se rapportent à cette longue période principalement chez E. C. Schillebeeckx et E. Fuchs. Suit un résumé de l’enseignement de Vatican II : le mariage est d’institution divine et échappe ainsi à la fantaisie de l’homme (G S 48/1), par sa nature il est ordonné à la procréation, tout en valorisant l’amour du couple et ses actes d’union intime qui signifient et favorisent le don réciproque (G S 49). Ces textes du Concile ne font pas état de la « loi naturelle » qui deviendra par la suite un thème majeur de Humanae vitae (1968) et de Persona humana (1976). L’A. en fait le reproche à ces deux documents. Il signale aussi qu’ils omettent de définir ce point de référence capital (p. 115). Il note en outre que Familiaris Consortio (1981) réprouve le « mariage à l’essai » (p. 117) et que le Catéchisme de l’Église Catholique enseigne que le concubinage « constitue toujours un péché grave et exclut de la communion sacramentelle » (n° 2390) (p. 118).
77L’alternative proposée s’appuie principalement sur trois considérations. La première part de la coutume africaine analysée par M. Legrain selon laquelle le mariage n’est « ratum et consummatum » qu’à la naissance du premier enfant (p. 135 s). La deuxième est empruntée à A. Guindon : la sexualité est comme un langage et s’acquiert par conséquent « au cours d’un apprentissage » (p. 137) et l’amour se fonde pour une bonne partie sur la connaissance mutuelle (p. 138). Il s’ensuit que les structures du mariage doivent être réfléchies avec une « approche développementale » (p. 139). La troisième considération est due à K. Rahner qui fait appel à l’analogie du baptême d’adultes, précédé nécessairement par le cheminement catéchuménal. Pour la « foi conjugale » une telle initiation paraît également concevable (p. 144). Les développements scripturaires qui sont ajoutés se présentent comme trop sommaires et éclectiques. Les passages sur l’adultère me semblent quelque peu hors sujet (p. 148 s). L’exégèse des textes fondamentaux de la Genèse est aussi peu approfondie que les énoncés bibliques sur une éthique de cheminement sous le signe de l’eschaton.
78En concluant, l’A. propose de reconnaître le mariage civil des baptisés non croyants, de faire des célébrations non sacramentelles pour des croyants en recherche, de concevoir un « catéchuménat » de mariage (cf. Rahner) (p. 171). Quant au reste, il reconnaît que l’approbation d’une telle conception et d’une telle pratique ne pourrait se faire sans « risque de dérapage » vers un « relativisme éthique ». Mais assumer ce risque serait raisonnable vu l’éloignement silencieux hors de l’Église de 90 % des couples français qui vivent actuellement ensemble sans être mariés religieusement.
79Ce livre, intéressant à plusieurs égards, rendra sans doute service pour une réflexion approfondie sur le sujet, même s’il ne va pas toujours au fond des problèmes. Il me semble cependant trop dépendant de ses sources et pas assez solide en théologie biblique.
8012. Le recueil d’interviews proposé par C. Barthe ne vise rien moins que la révocation de plusieurs réformes liturgiques décidées par Vatican II. Il réunit les « témoignages » de 14 personnalités attachées totalement ou en partie à la liturgie romaine préconciliaire : J.-R. Armogathe, le Cardinal G. Danneels, J. Dupâquier, P. Gardeil, R. Girard, L. Hage, Mgr G. Lagrange, M. Lelong, D. Millet, M. Pérès, L. Perrin, Ashraf Sadek, R. Spaemann, R. F. Taft. En annexe un petit texte du Cardinal J. Ratzinger sur « Un édifice mis en pièces », qui n’abonde pas simplement dans le sens des témoignages cités, rétablit un peu l’équilibre en concluant « nous avons besoin d’un nouveau mouvement liturgique, qui redonne vie au vrai héritage du concile Vatican II » (p. 217).
81Ce livre est marqué par une polémique larvée, pose des questions assez manipulatrices aux interlocuteurs et se résume en quelques exigences significatives : retourner l’autel, réintroduire le latin, éviter toute concession aux protestants, restaurer le caractère sacrificiel-propitiatoire de la messe, ne pas occulter le théocentrisme et le sens du sacré au bénéfice de la convivialité, privilégier la Tradition à partir du Concile de Trente, ‘se sentir bien’ à la messe, etc. Sa recension ne serait pas justifiée en soi dans RSR, vu sa faible valeur scientifique. Seuls les thèmes de théologie sacramentaire qui lui sont sous-jacents et dont la véritable recherche ne saurait faire abstraction légitime sa présentation. C’est une exigence de fidélité au Concile dont l’autorité ne devrait pas être diminuée avec légèreté. L’évidence que ses réformes n’ont pas toujours été bien comprises et suivies se trouve opportunément rappelée par ce recueil et donne une raison supplémentaire de préparer une nouvelle et une meilleure théologie du culte chrétien.
8213. F. Tollu rend sevice à la fois à la recherche, à la pastorale et à la spiritualité en publiant ces textes sur l’Eucharistie qui couvrent plus de vingt siècles, puisqu’ils comprennent également des extraits juifs. Les 22 pages consacrées à Luther, Calvin, Zwingli et à la confession d’Augsbourg témoignent de l’intention œcuménique de l’A. Seule la première partie du xxe siècle est représentée. Déjà K. Rahner manque à l’appel comme beaucoup de théologiens et d’auteurs de spiritualité contemporains. La lecture des témoignages est facilitée par de courtes introductions concernant les auteurs cités.
8314. L’étude de R. Pacik sur les travaux du grand théologien liturgiste J. A. Jungmann concernant le bréviaire représente une monographie historique qui renseigne de façon rigoureuse et exhaustive sur tout ce que Vatican II ainsi que la recherche pré et post-conciliaire doivent à cet esprit réformateur éclairé. Elle concernera surtout les spécialistes. Son intérêt pour la théologie sacramentaire proprement dite est indirect. Il réside dans la présentation de la théorie du culte divin qui est sous-jacente aux argumentations de Jungmann, par exemple dans les débats précédant les réformes liturgiques du Concile.
8415. Parue dans la même collection que le précédent, la monographie de W. Haunerland est une mine de renseignements historiques sur la pratique de la première messe du prêtre suivant son ordination. Cette tradition est suivie dans ses nombreuses variantes en Italie, en Espagne, en France, en Allemagne, en Autriche, en Suisse et en Bohême-Moravie. Les aspects folkloriques sont reproduits avec autant de soin que les significations proprement théologiques. Dans l’optique de la théorie sacramentaire les chapitres 11 à 13 sur les présupposés anthropologiques, ecclésiologiques et pastoraux sont d’un intérêt certain. D’autant plus qu’ils comportent aussi des propos critiques, par exemple sur le danger de la superstition et des dérives vers un culte de la personne « consacrée ».
8516. L’étude d’A. Bozzolo constitue une longue et substantielle recension critique d’un grand nombre d’ouvrages qui ont marqué l’évolution de la théologie sacramentaire « après Rahner ». G. Colombo qui a préfacé ce livre caractérise cette phase d’évolution comme « chaotique » (p. 5), peu convaincante et dépourvue de consensus (p. 6). L’A. lui-même se montre moins pessimiste. Il s’emploie à présenter dans sa première partie « le débat » parmi les chercheurs germanophones (p. 19-51), francophones (p. 71-116) et « autres » (p. 117-134), avant d’en établir un succinct bilan (p. 135-141). Sa seconde partie est consacrée aux problèmes que les théologiens recensés n’ont pas réussi à résoudre et qui concernent les rapports entre sacrement et sacramentalité (p. 145-174), sacrement et symbole (p. 175-195), sacrement et rite (p. 196-220). L’ensemble des développements suit de près des « panoramas » dessinés par M. Seils, A. Schilson, P. M. Gy et H. Bourgeois, il s’en inspire largement. Parfois cela donne l’impression d’un travail de seconde main.
86Pour le groupe germanophone, le plus riche en tentatives et en publications, l’A. fait remarquer qu’il se caractérise par une « réception générale » des idées maîtresses de Rahner, à la seule exception d’A. Ganoczy (p. 20), une suivance qui est tantôt explicite et constructive, tantôt accompagnée de quelques réserves. Trois courants s’y laissent identifier : un premier formule le sacrement en termes de symbole (J. Ratzinger, W. Kasper), le deuxième le définit comme exprimant une « pratique d’espérance » au sein d’une société et d’une culture données (F. Schupp, R. Schaeffler), le troisième comme acte de communication au service de l’autocommunication de Dieu (A. Ganoczy, P. Hünermann) pour ne nommer que les auteurs qui paraissent le plus signifiants (p. 21).
87Ratzinger monnaye en quelque sorte l’« Ursakrament » rahnérien en « sacrements fondamentaux » et « sacrements naturels » répondant aux grands moments constitutifs de l’histoire d’une personne : naissance, mort, nutrition, sexualité etc. (cf. p. 90-93). Mais il mérite d’être critiqué pour son anthropologie légèrement dualiste et ses jugements assez sommaires sur les sociétés sécularisées et technocratiques, comme si elles étaient les responsables principales de la crise actuelle du culte chrétien (p. 29) ; Kasper semble à l’A. en continuité substantielle avec Ratzinger (p. 36), mais sa théologie des symboles sacramentels est christologiquement plus fondée (p. 35), ce qui correspond à une exigence mise en avant par Colombo et l’A. lui-même. À leur avis une bonne partie des chercheurs actuels pèchent par réduction anthropologique et, pour les « rahnériens », ecclésiologique. Kasper reproche en effet à Rahner d’avoir fait de l’Église une grandeur mythique fortement idéalisée mettant en œuvre ses sacrements commes des actes d’autoréalisation (ibid.). Parmi les chercheurs qui repensent les rites chrétiens à partir de leurs implications sociologiques et culturelles, Schupp ne rencontre guère l’approbation de l’A. Conditionné par la philosophie désormais dépassée de l’École de Francfort, protagoniste d’une « théologie politique », soucieux d’émancipation et d’anticipation d’une société juste utopique plutôt que de salut donné par grâce dans la dynamique d’une eschatologie déjà accomplie par le Christ (p. 41 s). Schaeffler ne cède pas à cette tendance réductrice tout en maintenant la dimension de pratique socio-culturelle des sacrements. C’est ainsi qu’il rattache le culte chrétien à la transcendantalité de l’être humain, à une mouvance d’ontologie foncièrement relationnelle (p. 44-47). Quant à Schneider, il s’avère, à côté de Vorgrimmler, non seulement comme un des plus « rahnériens » mais il a aussi la prétention de synthétiser les idées de son maître, par exemple en explicitant systématiquement la séquence sacramentelle à trois échelons : le Christ, l’Église, les rites (p. 52). Vorgrimmler y ajoute un quatrième échelon, celui du sacrement cosmique (p. 53), contribuant ainsi à rendre la notion de sacrement encore plus diffuse et perdant toute chance de justifier le « septénaire » du culte chrétien (p. 54). Pour conclure ce passage en revue des approches spéculatives d’inspiration rahnérienne, mais qui ne réussissent pas à traduire l’identité des sacrements chrétiens comme des « symboles réels », l’A. note les graves carences biblique et patristique de ces tentatives. L’observateur objectif en effet peut se demander pourquoi on a tant de mal à partir tout simplement de l’étude du Baptême et du Repas du Seigneur, c’est-à-dire des deux rites fondateurs du culte chrétien, les seuls attestés comme tels dans le Nouveau Testament, les seuls aussi auxquels Tertullien a donné le nom sacramentum, à développer ensuite autour de ce noyau initial le devenir complexe des autres rites que la tradition a été amenée à appeler sacramenta, et à ne proposer qu’à la fin une théorie systématique du « sacramentel » à l’aide d’une philosophie traditionnelle ou contemporaine, par exemple du signe, du geste efficace, du langage, du symbole ou du rite.
88Dans le groupe allemand se distinguent encore des théologiens qui recourent à la notion-clef de « communication » pour tenter une nouvelle systématique. Ils se libèrent plus que les théologiens déjà mentionnés de l’héritage du grand Rahner. Selon l’A. leur approche « n’étonne pas » (p. 56) dans la mesure où « communication » ne s’inscrit pas seulement dans la structure d’être, d’agir et de penser de notre civilisation occidentale, mais exprime aussi la compréhension originellement chrétienne de grandeurs comme le Dieu tri-un, son autorévélation, le Logos incarné, la grâce, l’Évangile, la communauté ecclésiale et ses sacrements. On peut sans doute conjecturer que le terme « communication » est plus connaturelle à la foi spécifiquement chrétienne que le terme « symbole ». Le fait que la pensée contemporaine, bien représentée par Habermas et sa théorie de la « kommunikative Handlung », la linguistique et les sciences humaines travaillent chacune avec un analogon différent de cette notion-clef, représente une chance supplémentaire pour une telle approche. En tous cas ces courants sont loin de constituer pour elle l’unique base de réflexion. Le paradigme « communication » semble enfin permettre plus que d’autres la sauvegarde de l’identité et de la spécificité des sept sacrements chrétiens. Selon l’A., les « intuitions » de Hünermann et de Ganoczy marquent bien une direction dans laquelle la recherche pourrait ou devrait progresser. Malheureusement leur théologie est restée par trop « embryonnaire » et sommaire (p. 63). Ce jugement est mérité. Cependant je ne peux que regretter que Bozzolo ne tienne pas compte de la monographie de Meuffels (recensée en 1) — il se contente de la mentionner (p. 57, note 123) —, car ce travail développe et approfondit considérablement l’intuition des deux initiateurs.
89Hünermann part d’une phénoménologie d’actes communicatifs qui expriment l’existence en groupe tout en le constituant. Il conçoit à leur exemple les sacrements comme « événements générateurs » tant pour les personnes participantes que pour la communauté qui les rassemble (p. 59). Ganoczy ne fait qu’esquisser une théorie communicative dans son ouvrage Einführung in die katholische Sakramentenlehre (Darmstadt, WBG 31991 ; tr. fr. sous le titre plus prétentieux : La doctrine catholique des sacrements, Desclée 1988). Il avance simplement une « hypothèse de travail » (p. 61) cherchant à reconstituer les origines bibliques et patristiques et à mettre le plus possible en valeur les énoncés de Vatican II. C’est ainsi par exemple que l’« actuosa participatio » (SC 14 ; cf 11, 19, 21, 26 passim) est conçue comme communication cultuelle constitutive de communion et communauté. Dans ce contexte les sacrements (et non d’abord le « sacramentel ») se trouvent définis comme « systèmes de communication verbale et non-verbale, par lesquels des hommes appelés à la foi en Jésus Christ entrent dans le mouvement d’échange d’une communauté concrète, y participent et, ainsi portés par le don que Dieu fait de lui-même dans le Christ et par son Esprit, avancent sur le chemin du devenir eux-mêmes » (p. 62, tr. fr. p. 147). L’A. salue spécialement la tentative amorcée dans ce petit ouvrage d’établir une analogie entre la parabole et la communication sacramentaire. Il regrette à juste titre qu’elle ne soit pas développée, notamment en dialogue avec P. Ricœur et E. Jüngel (p. 63). (Je note que Meuffels a bien suppléé à cette carence). — L’apport d’un troisième théologien, L. Lies, consiste à insister davantage sur la Trinité en tant que modèle originel pour toute économie sacramentaire (p. 65). En concluant, l’A. exprime l’opinion que l’approche communicative, une fois approfondie, peut conduire à des « avancées significatives » dans le débat.
90En examinant la recherche francophone, l’A. ne s’attarde guère à l’approche néothomiste de Chenu qui a déjà amorcé un passage du « signe » au « symbole » (p. 75-78) et une ouverture sur les sciences humaines. Toute son attention semble retenue par la théorie de Chauvet sur la « sacramentalité de l’existence chrétienne », reconnue à juste titre comme une démarche de théologie plus fondamentale que dogmatique (p. 82-114 ; cf. 206-213). Les propositions révolutionnaires de cette théorie sont bien rendues : dépasser une métaphysique, appelée aussi « ontothéologie », tenir compte de la psychanalyse (surtout de Lacan), remplacer la catégorie du signe par celle du symbole, reconnaître dans le sacrement un langage interpellant, non simplement informatif et instrumental, mettre en avant la « corporéité » du moi et aussi de la société et du cosmos, voire du Christ qui s’adresse aux hommes par les « corps » de sa parole, de son Église et de ses sacrements (p. 88-95). S’y ajoute l’idée que le Christ ressuscité est pour nous un grand absent qui se rend présent par la médiation ecclésiale-sacramentelle (p. 95 s). L’A. y décèle une reprise implicite de la thèse rahnérienne de l’Église sacrement fondamental (p. 97), une conception ecclésiocentrique qui a de quoi étonner quiconque partage l’intention de Chauvet de rejoindre une culture « postmoderne » qui d’ailleurs semble plus postulée que définie. En effet, l’A. ne découvre dans l’œuvre recensée que la seule référence à Lyotard (p. 115). Si cela correspondait aux faits, le lecteur pourrait avec raison se demander si la culture postmoderne est suffisamment identifiable et prépondérante à notre époque pour devenir l’instance critique adéquate menant à l’intelligence et à la pratique de l’« existence sacramentelle ».
91Dans les critiques que l’A. adresse à Chauvet, il s’appuie largement sur P. Gisel : extension presque illimitée de la notion de sacramentalité, omission de marquer ce qui est spécifiquement chrétien, réception inexpliquée de l’ecclésiocentrisme de Rahner, insuffisance christologique (p. 110-112). Bozzolo rejoint aussi le plaidoyer de Colombo pour une théologie plus fondée sur l’exégèse historico-critique de la Bible et des Pères. Quant au refus exprimé par Chauvet de la métaphysique attibuée en grande partie à Thomas d’Aquin, ainsi que de l’« ontothéologie » en suivant Heidegger, l’A. ne le voit pas sans nuances, puisqu’il relève chez Chauvet la présence d’une philosophie sinon de l’être tout court, du moins de l’ad-esse (p. 106, note 91). Cela suffit à mon avis à ne pas l’accuser d’une massive « méontologie » (p. 109), et peut renvoyer à une ontologie relationnelle, ouverte sur l’idée d’une présence communicativement opérante. Ce propos devrait être salué, surtout si l’on considère que l’option philosophique de Chauvet est conditionnée par sa volonté fort légitime de surmonter le principe d’une causalité linéaire (p. 94).
92Sur le groupe de théologiens italiens, espagnols et américains, Bozzolo ne trouve rien de nouveau à signaler (p. 117-133). Mais le lecteur peut s’étonner que le résumé des « problèmes » identifiés dans l’enquête ne dise rien de constructif. Toute la seconde partie de l’ouvrage est pleine de redites (p. 143-229). L’A. semble tourner en rond. Il conclut en déclarant : « nous avons seulement offert des suggestions rapides qui ne visent pas à clore la recherche » (p. 229). Je n’ai aucun mal à accepter ces suggestions, telles qu’elles se trouvent formulées déjà dans la trame de la partie analytique de ce livre. Celles-ci me paraissent du plus haut intérêt pour quiconque désire un aperçu sur la recherche post-rahnérienne.