Notes
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[1]
Les auteurs acceptent de plus en plus ce sens. Voir l’état de la question par R.W. Yarbrough, « Sexual Gratification in 1 Thess 4 : 1-8 », Trinity Journal 20 NS (1999) 220-221.
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[2]
Voir E.P. Sanders, Paul and Palestinian Judaism, publié en 1977 et de nombreuses fois discuté dans le bulletin paulinien de cette revue.
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[3]
Outre Israël et la Loi dans la lettre aux Romains, Cerf, Paris 1998, voir « Romains 2, sa cohérence et sa fonction », Bib 77 (1996) 153-177.
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[4]
On pourra consulter mon essai, Israël et la Loi dans la lettre aux Romains, Cerf, Paris 1998, en particulier le chapitre I consacré aux problèmes posés par la rhétorique paulinienne.
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[5]
L’ordre chronologique suivi par Barbaglio est le suivant : 1Th, 1Co, 2Co, Ph, Phlm, Ga, Rm.
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[6]
Pour plus d’informations, je me permets de renvoyer à mon commentaire sur Éphésiens, Gabalda, Paris, 2001.
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[7]
Si la Vulgate traduit par religio le terme grec thrèskeia de Col 2,23, qui renvoie à des pratiques ascétiques et rituelles, beaucoup font remarquer que Col est pseudépigraphique.
-
[8]
Le shaman n’est ni un mage ni un sorcier, mais une personne qui a reçu le don de maîtriser les esprits, et qui pour cela même, a le pouvoir d’aider, de guérir, de chasser les esprits mauvais, etc.
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[9]
Pour Rm 9,25-26 et 2Co 6,16 qui semblent faire exception, voir J.-N. Aletti, Israël et la Loi dans la lettre aux Romains, Le Cerf, Paris 1998.
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[10]
Il s’agit du papyrus Bodmer X-XII, du IIIe, qui, outre 3Co, contient aussi La nativité de Marie, la onzième Ode de Salomon, et un fragment hymnique.
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[11]
Terme qui connote ka défectuosité, l’invalidité ou la disqualification (et donc le rejet) de quelque chose ou de quelqu’un.
I – Commentaires et histoire de la rédaction (de 1 à 7)
2. M.L. Soards. – 1 Corinthians (New International Biblical Commentary). Hendrickson Publishers, Peabody MA, 1999, 390 p.
3. L.A. Jervis. – Galatians (New International Biblical Commentary). Hendrickson Publishers, Peabody MA, 1999, 172 p.
4. B.-M. Simon OP. – Di gloria in gloria. Commento alla Prima Lettera ai Corinzi. (Sacra Doctrina – monografie), Edizioni Studio Domenicano, Bologna 1999, 237 p.
5. G. Agamben. – Le temps qui reste. Un commentaire de l’Épître aux Romains (trad. de l’italien). Payot, Paris 2000, 272 p.
6. M.-E. Boismard : – La lettre de Saint Paul aux Laodicéens retrouvée et commentée. (Cahiers de la revue biblique 42). Gabalda, Paris 1999, 99 p.
7. M.-E. Boismard. – L’énigme de la lettre aux Éphésiens. (Études bibliques nouvelle série 39). Gabalda, Paris 1999, 189 p.
11. Dans ses commentaires sur 1-2Th, et qui, disons-le dès l’abord, font honneur à l’exégèse française, S. Légasse nous donne un exemple de l’amélioration constante dont peuvent aujourd’hui faire preuve les études bibliques. L’information linguistique, historique, sociale, religieuse (grâce aux publications des documents qumraniens et de la littérature juive paratesta-mentaire d’alors, surtout apocalyptique) ne cesse de progresser ; qu’en outre, l’exégèse du texte manifeste un jugement très sûr, et le lecteur en vient à jubiler ! Je ne saurais trop recommander ces deux commentaires publiés en un seul volume (1 Th : p. 23-334 ; 2Th : p. 345-442) aux étudiants en théologie, mais aussi aux théologiens et aux exégètes : tous y trouveront grand profit. L’ouvrage montre une connaissance parfaite des difficultés, et une maîtrise que seule l’expérience peut donner.
2L’introduction à 1 Th est très complète : informations sur la Macédoine et Thessalonique au Ier siècle, sur le lieu de rédaction (Corinthe), la date (printemps/été 51), sur la lettre elle-même : L. opte pour l’unité rédactionnelle, l’ensemble étant composé de deux parties assez nettement isolables (1-3 et 4-5) ; quant aux raisons qui ont occasionné la lettre, elles semblent de plusieurs ordres : persécutions, calomnies sur Paul et questions suscitées par la mort de membres de la communauté.
3Suit le commentaire. Chaque section est présentée d’abord dans sa composition, ses articulations principales, puis analysée verset par verset : une bibliographie succincte mais très informée clôt chaque fois l’exégèse détaillée. Qu’il suffise ici de mettre en valeur la manière de procéder, exemplaire : pour chaque mot ou chaque expression, L. commence par étudier leur usage dans le monde d’alors, dans l’AT, le NT et les lettres pauliniennes : tout est passé au peigne fin, une inversion, une syntaxe délicate, et la plupart des vocables pauliniens (foi, agapè, espérance, élection, parousie, sanctification, porneia, amour fraternel ou Philadelphie, etc.) y font l’objet d’une description sobre mais précise. Outre l’usage paulinien, L. discerne chaque fois le sens le plus juste en fonction du contexte immédiat. C’est en quelque sorte un panorama de sémantique paulinienne qui nous est offert.
4Deux points de 1Th ont fait l’objet d’une étude approfondie et remarquable : (a) le passage sur les juifs, (1Th 2,14-16 ; p. 145-163), et dont L. montre qu’il ressemble presque mot à mot à TestLévi 6,11 ; après avoir présenté les nombreuses raisons qui semblent aller contre l’authenticité de ce passage, L. montre qu’il est de Paul, et qu’il reflète bien le tempérament d’un missionnaire excédé par l’opposition des juifs de Judée : en s’opposant à la prédication apostolique, ces derniers montrent effectivement qu’ils veulent empêcher l’humanité de recevoir le salut voulu par Dieu pour elle. Mais si ces versets reflètent une réaction épidermique passionnée, initiale, ils ne représentent pas la théologie de l’apôtre, qui a par la suite médité et approfondi le mystère d’Israël, son peuple. (b) Le second passage (1Th 4,4 ; p. 209-220) est celui où Paul emploie une expression elliptique (« garder son vase dans la sanctification ») : que désigne le mot vase : l’épouse, le propre corps, l’organe génital ? Finalement, L. opte pour cette dernière hypothèse, et traduit : « que chacun garde son organe génital dans la sanctification. [1] » Bref, tous les versets difficiles (voir par ex. 4,14 ; p. 249-253) reçoivent un traitement long et frontal : L. n’évite aucune difficulté et ses choix sont toujours très sûrs. Le commentaire fournit un excursus relatif à l’évolution de l’eschatologie paulinienne (p. 269-275), où sont bien mis en valeur plusieurs points fondamentaux : ce qui a changé c’est la certitude sur la venue proche de la parousie – au cours des années, Paul s’est montré moins ferme sur sa survie jusqu’à la fin des temps ; mais rien ne prouve que l’apôtre est passé d’une conception matérielle et collective à l’idée, empreinte d’hellénisme, d’une immortalité spirituelle des croyants après leur mort, et qui supplanterait progressivement la doctrine de la résurrection finale (p. 275).
5Quant au commentaire sur 2Th, s’il est plus court, c’est parce que bien des passages reprennent 1Th et que le texte en est aussi plus bref (seulement trois chapitres). L. montre que 2Th est pseudépigraphique, et que sa visée est de répondre à une agitation concernant la parousie. Il est peu probable que les destinataires de la lettre aient été les Thessaloniciens, qui auraient immédiatement vu les différences entre les lettres (en 1Th le Seigneur viendra à l’improviste ; en 2Th il y aura des signes avant coureurs), mais à qui fut-elle en réalité adressée ? Pas plus que ses devanciers, L. ne propose de réponse. L’exégèse des versets est aussi soignée que celle de 1Th.
6Souhaitons qu’un travail de cette qualité soit connu et apprécié comme il le mérite.
72. Le commentaire de 1 Corinthiens par M.L. Soards, est, dit la couverture, « basé sur la New International Version ». Si, avant d’ouvrir le livre, je redoutais que les analyses ne fussent gauchies d’être liées à une traduction dont on ne saurait dire qu’elle brille toujours par son excellence, j’ai été pleinement satisfait de la manière dont Soards a dépassé le handicap, car tout au long du parcours, il n’arrête pas de comparer les grandes traductions utilisées aux USA, pour mettre en valeur leurs trouvailles et leurs limites, mais surtout pour montrer que leurs divergences viennent souvent de ce que le grec de Paul est elliptique. Cette manière de procéder est excellente, car elle aide les lecteurs non initiés au grec à percevoir les difficultés affrontées par les traducteurs, également leurs présupposés confessionnels, à relativiser aussi une traduction qu’ils pourraient (ou auraient pu) absolutiser. Dans l’introduction qui précède les analyses de détail, le commentateur propose une composition de 1Co (p. 8-9) qui aide vraiment le lecteur à voir comment Paul est passé d’un sujet à un autre : 1Co 1-4, occasionné par les litiges internes de la communauté corinthienne ; 1Co 5,1 à 11,1, qui considère des problèmes quotidiens de la communauté : vie sexuelle, viandes immolées aux idoles ; 1Co 11,2 à 14,40 qui traite des questions relatives aux assemblées liturgiques (célébrations et dons spirituels) ; enfin 1Co 15, où il est question de la résurrection finale des morts. Sans doute, la composition de chacune de ces sections aurait-elle pu être présentée selon les modèles de l’époque (l’existence et la fonction de beaucoup de divisions et subdivisions en aba’auraient pu être aisément fournies), mais, dans l’ensemble, le commentaire montre bien comment la réflexion de l’apôtre progresse. Si, dans l’introduction, Soards présente très brièvement le monde des représentations théologiques de Paul (représentations juives, hellénistiques ; eschatologie apocalyptique, etc.), l’exégèse des versets complète ce tableau d’ensemble de manière très satisfaisante. L’une ou l’autre prise de position mérite d’être signalée : en 1Co 7,7, Paul ne dit pas que le mariage est un charisme, car il parle du célibat (« la liberté par rapport au désir d’avoir des relations sexuelles [et donc de se marier] est un don spirituel qui vient de Dieu » p. 140) ; pour, le mallon chrèsaide 7,21, il suit la traduction de la NIV : « mais si tu peux obtenir ta liberté, fais-le » (p. 158). Une composante aurait pu utilement être plus étoffée, à savoir l’arrière-fond des prises de position de Paul. Ainsi, l’idée qu’il a de la sainteté, de la pureté, de l’Église, etc., est-elle d’origine biblique, juive ou autre ? Ou encore : parmi les représentations de l’apôtre, lesquelles sont empruntées à des modèles antérieurs ou environnants, et jusqu’à quel point ? Lesquelles sont entièrement originales, et pourquoi ? Cela dit, ce commentaire, fait pour « tout le monde » ne biaise pas avec les difficultés du texte et fait preuve de beaucoup de finesse et de discernement dans les solutions exégétiques proposées. On ne peut que le recommander même aux étudiants en théologie qui n’ont pas la NIV.
83. Bien que publié dans la même collection que celui de M.L. Soards, sur 1Co, le commentaire de L. Ann Jervis, sur la lettre aux Galates, de bonne qualité, en diffère sensiblement par la présentation. Si Soards compare la NIV (la New International Version de la Bible) avec ses « concurrentes », afin de mettre en valeur les écarts existant entre elles, et par là, faire pressentir la difficulté qu’il y a à rendre certaines expressions elliptiques de Paul, L. Ann Jervis colle à la NIV, en s’en servant comme d’un tremplin pour exposer simplement le développement de la pensée de Paul. Si Soards présente la dispositio de 1Co pour indiquer au lecteur l’ordonnancement des thèmes, Jervis n’en dit rien, et se contente de découper le texte en ses unités élémentaires, sans qu’on sache toujours pourquoi l’apôtre les a agencées comme il l’a fait : sans doute aurait-il été bon d’aider les commençants ou les lecteurs moins connaisseurs, en leur expliquant comment Paul procède et à quelle fin. Si Soards ne dit rien de ses propres réactions sur les positions théoriques de l’apôtre (sur ce qui fait le cœur de son Évangile, sur son rapport au judaïsme, sur les charismes, sur l’éthique de Paul, etc.) dans l’introduction, Jervis n’hésite pas à « confesser » ses propres idées en la matière dès les premières pages, sans attendre d’entrer dans les analyses de détail. Le lecteur commence ainsi sa lecture en sachant ce que la commentatrice pense des problèmes majeurs de la théologie paulinienne, et il faut y voir un geste de clarté, mieux : d’honnêteté. De ceux qui voient Paul en totale continuité ou totale rupture d’avec le judaïsme, elle dit se situer à plus ou moins égale distance, car, affirme-t-elle, « ni ceux pour qui Paul voit la foi en Christ comme l’accomplissement des attentes messianiques juives, ni ceux pour qui il a totalement rompu avec le judaïsme ne rendent compte de toutes les données » (p. 18), car s’il considère son Évangile comme nouveau et au-delà des attentes juives de son temps, Paul pense néanmoins qu’il est né dans le judaïsme et doit l’interpeller. De même le rapport de l’apôtre au judaïsme est complexe : il est juif depuis sa naissance et ne se considère pourtant pas comme un juif pratiquant. Telles sont en résumé, les positions nuancées, toutes en contraste, que Jervis essaie de maintenir, car elles correspondent davantage aux données des lettres que nous avons. Quant à l’Évangile de Paul, elle ne le voit pas résumé dans la doctrine de la justification par la foi seule, mais en deux affirmations (p. 20), à savoir que Dieu a prédestiné les croyants « à être conformés à la ressemblance de son Fils » (Rm 8,29) ou que « si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle création » (2Co 5,17). Cette façon de voir l’Évangile colore, ajoute la commentatrice, sa compréhension de l’expression pistis Christou, qui apparaît trois fois en Ga 2,16, et qu’elle rend par un génitif subjectif (la fidélité du Christ ; p. 21), non seulement parce qu’elle fournit un excellent parallèle entre la pistis du Christ (Ga 2) et celle d’Abraham (Ga 3,6-9), mais aussi parce qu’elle met en valeur la mort sacrificielle du Christ (p. 22).
9Si l’on apprécie que la commentatrice nous informe sur ses choix théologiques dès le commencement, pour que les choses soient claires, on regrette seulement que les analyses, elles aussi claires, consistent plus en des affirmations pas toujours exégétiquement justifiées (à l’enseigne de la traduction de la NIV). Ce que les débutants auraient apprécié, l’expérience le montre, c’est qu’on leur explique le choix des arguments (par ex. : pourquoi les preuves scripturaires montrant que l’incirconcision n’appartient pas à l’Évangile sont-elles tirées de la Torah ? Pourquoi les mêmes arguments scripturaires sont-ils d’abord synchroniques et ensuite diachroniques, etc., etc. ?). À cet égard, le commentaire tient plus de la paraphrase que de l’exégèse. Cela dit, sa clarté satisfera plus d’un lecteur.
104. Le commentaire de B.-M. Simon sur la 1Co est théologique et spirituel. S’il n’affronte pas les problèmes exégétiques (linguistiques, stylistiques et sémantiques), il est néanmoins bien informé, et sera sans aucun doute très profitable à quiconque s’adonne à la lectio divina.
115. L’essai du philosophe italien G. Agamben sur la lettre aux Romains, intitulé Le temps qui reste est symptomatique de l’effet produit par les lettres pauliniennes sur nos contemporains. Pourquoi un tel regain d’intérêt – hors de l’Église, c’est-à-dire hors des traditions protestante et catholique, dont le contentieux est bien connu ? Sans doute à cause des nouveaux rapports que les biblistes chrétiens entretiennent avec leurs homologues juifs. Mais, au-delà des biblistes, c’est la manière dont Paul a réfléchi sur les relations entre Israël et les peuples, sur le statut de l’Église, etc., qui suscite un intérêt grandissant. La conjoncture y est pour beaucoup, et si Agamben, qui est juif, interprète celui qu’il appelle « le représentant le plus exigeant du messianisme juif », c’est bien parce que la question de l’identité (pas seulement religieuse) intéresse aujourd’hui toujours davantage. Agamben n’est d’ailleurs pas le seul philosophe à visiter l’œuvre de l’apôtre, comme le montrent deux récentes publications, celles de J. Taubes, lui aussi juif, et récemment disparu, sur La théologie politique de Paul (Seuil, Paris 1999 ; original allemand 1993) et d’A. Badiou, sur Saint Paul comme fondateur de l’universalisme religieux (PUF, Paris 1997).
12Ces analyses, remarquables par leur finesse – on ne peut parler d’exégèse scientifique, au sens habituel, mais l’auteur manifeste une bonne information linguistique –, s’arrêtent sur ce qui, de la pensée de Paul, mène à une meilleure compréhension de son messianisme. Si le premier verset de Rm constitue en principe le sujet du livre, les développements les plus intéressants concernent (1) l’appel (klèsis) et ce qu’il modifie de l’être-au-monde ; 1Co 7,18-31, en particulier l’expression comme si ne pas (hôs mè), longuement commentée (p. 36-74), permet à l’auteur de se situer par rapport à des commentaires philosophiques du même passage, entre autres celui de Heidegger (p. 59-60) ; (2) la séparation entre juifs et Gentils, requise par la loi mosaïque, qui est ainsi principe de division, et la manière dont Paul la neutralise, en montrant que la division est plus subtile qu’il y paraît, car elle traverse le judaïsme lui-même (Rm 2,17-29 ; Rm 9,6), et qu’une autre loi, celle du pneuma, coupe l’humanité autrement (p. 75-97) ; selon l’auteur cette nouvelle coupure de l’humanité force à penser autrement l’universalisme de Paul ; (3) le rapport de Paul à l’apocalyptique permet à Agamben d’insister sur la différence entre temps messianique et temps eschatologique (p. 104), entre le temps de la fin et la fin du temps (p. 106), et de définir le temps messianique comme un chronos contracté et abrégé (p. 114), comme un temps qui ne s’ajoute pas au chronos pour en renvoyer à l’infini la fin, mais qui le saisit et l’amène de l’intérieur à son achèvement (p. 118), qui le récapitule (p. 125). Le livre finit avec une analyse de ce que Paul entend par foi – dans son rapport à la berit, à la loi, à la promesse, foi de Jésus et foi en Jésus, etc. (p. 177-214). Nombre de distinctions ou d’affirmations sont plus de Veisègèsis que de l’exègèsis, mais on ne peut nier leur profondeur, et Paul a trouvé en Agamben plus qu’un bon interprète. Livre à conseiller au théologien.
136. D’une écriture alerte, l’essai de M.-E. Boismard se veut original et l’est sans aucun doute, car il entend montrer qu’en lisant l’actuelle lettre aux Colossiens, on peut retrouver celle aux Loadicéens (souvent considérée comme l’actuelle Ep), mentionnée en Col 4,16, à l’état de membra disjecta– elle a été sectionnée et insérée en Col, au fil des thèmes abordés. Eu égard aux lettres pauliniennes, l’hypothèse d’un mélange de billets n’est pas nouvelle – elle est encore appliquée à 1-2 Co et Fil par certains commentateurs –, mais elle n’a jamais été aussi systématiquement présentée pour Colossiens (et Laodicéens, désormais abrégé Laod).
14La méthode est simple : collectionnant tous les passages de Col qui ont l’apparence de doublets, le père Boismard essaie de montrer qu’il s’agit en réalité de textes parallèles, l’un venant de l’ancienne Col, et l’autre de Laod. Tels sont les passages retenus comme parallèles, avec, dans les parenthèses droites, ce qui viendrait de Laod : Col 1,3-6 et [1,9-10] (1,11-12 vient également de Laod) ; 1,5-6a et [1,23] (l’ensemble 1,21-23 vient de Laod) ; [1,10-12] (les v. 13-14 sont aussi de Laod) et 2,6-7 ; 1,24-29 et [2,2 ; 3,16 ; 1,22] ; 3,17 et [3,23] ; 1,19-20 et [2,9 ; 1,22]. Mettant ensemble tous les passages de Laod, B. y discerne trois parties qui lui semblent constituer une magnifique synthèse de la vie chrétienne d’alors : une première [1,9-14. 21-23] sur la signification et les effets du baptême ; une seconde [2,1-3. 8-12. 20-23] sur les persécutions et les pressions qu’ont à subir les baptisés, mais qui ne doivent pas les décourager, puisque toute leur vie est commandée par Christ, le mystère de Dieu ; une troisième partie [3,8-11. 15-16. 23-25] insiste sur la vie nouvelle des baptisés ; une finale brève [4,7-9] mentionne le porteur de la lettre et sa fonction. Les destinataires de Laod seraient des chrétiens venus du judaïsme désirant continuer à observer leurs coutumes (ou les reprendre). Quant à son authenticité, elle est très probable, nonobstant la quinzaine de vocables qu’on ne rencontre en aucune autre lettre de Paul.
15Se demander si un écrit n’est pas l’objet d’un travail éditorial, en particulier s’il n’est pas la conflation de plusieurs livrets antérieurs, est tout à fait légitime – l’histoire de la rédaction des livres bibliques est rien moins que simple. Deux objections pourraient néanmoins être faites sur la manière dont les parallèles ont été ici exploités : (1) comme en toutes les lettres pauliniennes, la technique de la reversio (qui consiste à reprendre et développer en ordre inverse motifs et thèmes, technique très courante à l’époque, faut-il le rappeler ?) est omniprésente en Col, et avant d’attribuer à des couches rédactionnelles différentes les éléments parallèles de la reversio, il importe d’en chercher chaque fois la fonction rhétorique, puisque c’est une technique rhétorique ! En d’autre termes, qu’il y ait beaucoup de reversiones en un écrit donné ne permet pas de conclure que les éléments parallèles de ces reversiones viennent de couches rédactionnelles différentes – au demeurant, le père Boismard montre le contraire (les reversiones peuvent indiquer une unité rédactionnelle) dans son étude sur Ep (lire la recension qui suit). (2) Pour les autres passages parallèles de Col, et qui n’appartiennent pas à des reversiones, on peut se demander s’ils ne sont pas appelés un peu vite « doublets » ; un doublet est la reprise presque textuelle d’un motif ou d’une idée, et l’on aurait aimé que l’étiquette « doublet » ait été chaque fois justifiée. Au demeurant, si l’éditeur final a disséminé Laod en Col, pour faire des deux une seule lettre (l’actuelle Col), pourquoi s’adresse-t-il aux seuls Colossiens, ce qui rend Col 4, 16 (et l’éditeur lui-même) stupide : s’il vient de mélanger les deux lettres, pourquoi n’omet-il pas la demande de l’apôtre concernant leur lecture respective à Colosses et à Laodicée ? Une opération éditoriale doit être justifiée par ses effets, et je ne vois pas quels ils sont dans le cas présent. Cela dit, l’effort du père Boismard mérite le plus grand respect, et son argumentation, très bien menée, sait capter l’attention d’un lecteur même réticent.
167. L’hypothèse du père Boismard sur la rédaction d’Éphésiens mène à son terme l’œuvre entreprise pour Col et Laod, recensée ci-dessus. La position est claire : il y eut une lettre aux Éphésiens, écrite par Paul lui-même (ou dictée à un secrétaire), mais ensuite, après la mort de l’apôtre, surchargée d’interpolations inspirées de Col. Pour déterminer les contours de la lettre originaire, sont mises à part les surcharges inspirées de Col (ou Laod) et les gloses du rédacteur final (dont le vocabulaire n’est ni celui de Col-Laod, ni celui de Paul). C’est à partir de ces critères qu’est reconstituée une lettre primitive, comprenant grosso modo les versets suivants de l’actuelle Ep : l’adresse (1,1-2) ; une partie dogmatique (ch. 1-3), développée en cinq tableaux : le dessein éternel de Dieu (1,3-4a.5.9b. 10a.11a.13b-14ab sans « à louange de sa gloire »), la primauté du Christ surtout (1,15a « Voilà pourquoi, moi aussi » et 16-23), l’explicitation de notre destinée en Christ (2,3-8.10), par la réconciliation opérée entre Juifs et Gentils (2,11-12.14-18), avec des précisions sur le rôle de Paul (3,8-13), le tout finissant par une prière doxologique (3,14-19) ; une deuxième partie, centrée sur la vie nouvelle à l’imitation du Christ (ch. 4-6), est composée d’une introduction (4,1.5-6), d’une liste de charismes (4,7.11-15), d’une réflexion sur le baptême (dans l’ordre suivant : 4,17-19 ; 5,5 ; 4,25-26.28-30 ; 5,2) et ses effets (5,8-11.17-21), sur les moyens à disposition des baptisés (6,10-11a.13-17) et sur les faux docteurs (Rm 16,17-20) ; un cadre épistolaire clôt l’ensemble (6,18-20 ; Rm 16,3-15 et Ep 6,24). Telle qu’elle a été reconstituée, cette lettre originaire se présente « d’un bout à l’autre comme un commentaire unifié de la liturgie baptismale » (p. 72).
17Selon le P. Boismard, trois procédés de composition dominent : (1) l’inclusion (prière au début et à la fin de la première partie ; mise en garde contre les faux docteurs au début et à la fin de la deuxième partie), (2) le chiasme (ainsi en Ep 2 : a = 3a ; b = 3b ; c = 4 ; d = 6 ; c’ = 7 ; b’ = 8 ; a’ = 10 ; également a = 11-12 ; b = 14a ; c = 14bc-15a ; d = 15b ; e = 15c ; d = 16a ; d = 16b ; b’ = 17 ; a’ = 18) et (3) le rythme ternaire des développements (Dieu, Christ, Esprit ; Christ, foi, baptême ; trois charismes, etc.). Les contacts littéraires entre Ep et les écrits lucaniens permettent de supposer qu’un proche de Luc a édité l’actuelle Ep vers les années 80 (p. 168-175) ; quant à la lettre primitive, elle aurait été écrite ou dictée par Paul à la même époque que Laod (p. 179).
18On a déjà beaucoup écrit sur l’histoire de la rédaction d’Ep, et les spécialistes seront surpris de voir que bien des études de valeur n’allant pas tout à fait dans le même sens (en particulier celles du regretté H. Merklein), sont ignorées. En outre, si l’analyse est alerte, on peut s’interroger sur la méthode : avant de dépecer un texte, ne faut-il pas d’abord l’étudier tel qu’il est, car il n’est pas dit qu’on ne puisse montrer que son unité littéraire et rhétorique est réelle et forte ? Prenons Ep 1,3-13, souvent considéré comme hétéroclite. Selon le P. Boismard, nous l’avons déjà dit, seuls les versets suivants, disposés selon un chiasme parfait, seraient originaires (pauliniens) : a = v.3-4a ; b= v.5 et 9b ; c = v.10a et 11a ; b’ = v.11c ; a’ = v.13b – 14ab. Les parties manquantes seraient ou des idées du rédacteur lucanien, ou des emprunts faits postérieurement par lui à Laod et Col ; ainsi, lorsque la même expression est répétée (« selon le dessein bienveillant » au v.5 et 9b) de manière « trop rapprochée », c’est que « l’une des deux [occurrences] est de trop » (p. 83) ; mais le v.6, inclus dans un texte délimité par une reprise rédactionnelle, doit lui aussi tomber, tout comme le v.7, dont la thématique n’est pas spécifiquement paulinienne ; même observation pour le v.8, dont le vocabulaire n’est pas paulinien (le terme phronèsis n’apparaît qu’ici et en Lc 1,17) ; etc., etc. Sans nier que le passage ait pu faire l’objet de retouches (additions, mais aussi omissions, lesquelles restent indécelables !), on ne peut négliger l’analyse littéraire minutieuse (syntaxique, stylistique, rhétorique) du texte actuel. Ainsi, dans le chiasme retenu plus haut, on notera, au v.13b l’ambiguïté du relatif en hô, qui devrait, si l’on suit le rythme de la phrase, avoir pour référent le dernier pronom du v.11, lequel désigne Dieu (car le v.12 est ici considéré comme postérieur), alors que dans le texte actuel il désigne manifestement le Christ. La suppression des v. 12-13a ne permet d’ailleurs pas d’expliquer l’apparition soudaine de la seconde personne du pluriel au v.13b, alors que tout le reste du texte de Paul reconstitué par le père Boismard est en « nous » ; comment justifier l’apparition de ce « vous » ? Or, que je sache, au v.13, la seconde personne du pluriel est unanimement attestée. Il faudrait alors admettre que c’est tout le v.13 qui est secondaire – et donc le v.14, puisque ce dernier ne se comprend que comme spécification de l’être et de la fonction du Saint Esprit, mentionné au v.13. S’il en était ainsi, c’est la bénédiction par excellence, finale, à savoir le don de l’Esprit, vers laquelle pourtant la prière entière mène en une subtile progression, qui disparaîtrait, et, avec elle, la belle composition concentrique exhumée par Boismard. Au plan lexical, la logique de Boismard reste également très relative, dans la mesure où plusieurs vocables de l’eulogie n’apparaissant pas dans les homologoumena sont néanmoins retenus comme pauliniens : ??????? au v.5, ????????? au v.10, ??????????? v11, (????? [divine] au v.11. Est-ce l’idée ou la terminologie qui doit dicter le choix ? En réalité, seule une étude attentive de l’actuelle eulogie d’Ep 1,3-14, montre pourquoi le v.13 passe à la deuxième personne du pluriel, et permet de repérer la progression climactique de l’ensemble, autrement dit son unité globale. Il en est de même pour Ep 3,8-13, retenu comme paulinien (alors que 3,1-7 serait de rédaction postérieure à cause de ses nombreux parallèles avec Col 1,23-29 : si on lit le passage juste après 2,11-18 (qui ferait aussi partie de la couche originelle), il est impossible d’en percevoir la fonction ; or, dans l’actuelle Ep, c’est précisément en 3,3-4 (des versets déclarés non originels) et là seulement, que la fonction d’Ep 3,1-13, en particulier l’apparition du vocable mystèrion nous est donnée ! L’apôtre a-t-il développé les composantes mystèrion sans expliquer pourquoi il le fait ? Bref, on a l’impression, en lisant le Père Boismard, que l’actuel texte d’Ep est un conglomérat informe, et qu’il suffit de retrouver le texte originel de Paul pour que la beauté de sa rhétorique apparaisse ; c’est malheureusement à l’impression contraire que sa reconstruction du texte primitif nous mène, car, lorsqu’on lit d’un trait les passages retenus comme pauliniens, on ne voit pas bien quelle logique relie les différentes unités et fait progresser la pensée.
19Eu égard au choix des passages considérés comme originels, une autre question doit être soulevée, qui touche les présupposés méthodologiques : si les emprunts supposés faits par Éphésiens à Laod (telle qu’elle a été reconstruite dans l’essai précédent du même auteur) sont pauliniens, pourquoi devraient-ils être exclus de la lettre originaire, elle-même paulinienne ? Paul ne pourrait-il pas reprendre des motifs et thèmes déjà énoncés par lui ailleurs (comme ceux de Ga en Rm) pour les approfondir ou les utiliser à d’autres fins ? Mais inversement, on ne voit pas pourquoi tous les passages où le style et les idées sont pauliniens n’auraient pas pu être écrits par un rédacteur postérieur, car, les spécialistes le savent bien, la pseudépigraphie suppose, implique même une excellente connaissance du style et des idées de l’auteur dont on emprunte le nom – ainsi, ce n’est par parce qu’Ep 1,22-23 reprend 1Co 15,24-28 qu’il faut l’attribuer sans autre procès à Paul. Cela dit, reconnaissons que cet essai est des plus stimulants – il donne à penser, comme on dit –, et ce n’est pas le moindre de ses mérites.
II – Théologie et herméneutique
9. J. Bickmann. – Kommunikation gegen den Tod. Studien zur paulinischen Briefpragmatik am Beispiel des Ersten Thessalonicherbriefes. (Forschung zur Bibel 86). Echter Verlag, Würzburg 1998, 365 p.
10. R.D. Anderson Jr. – Ancient Rhetorical Theory and Paul. (Contributions to Biblical Exegesis and Theology 18). Peeters, Leuven 21999, 340 p.
11. G. Barbaglio. – La teologia di Paolo. Abbozzi in forma epistolare. Edizioni Dehoniane, Bologna 1999, 783 p.
12. J.L. White. – The Apostle of God. Paul and the Promise of Abraham. Hendrickson Publishers, Peabody, MA 1999, 277 p.
13. A.M. Buscemi. – Una sinfonia. Gli inni di Paolo a Cristo Signore. (Studium Biblicum Franciscanum – Analecta 48) Franciscan Printing Press, Jerusalem 2000, 189 p.
14. V. Wiles. – Making Sense of Paul. A Basic Introduction to Pauline Theology, Hendrickson Publishers, Peabody MA, 2000, 160 p.
15. O. Merk. – Wissenschaftsgeschichte und Exegese. Gesammelte Aufsätze zum 65. Geburtstag. (Beihefte zur Zeitschrift fur die neutestamentliche Wissenschaft 95) Walter de Gruyter, Berlin – New York 1998, 467 p.
16. D.J. Williams. – Paul’s Metaphors. Their Context and Character. Hendrickson Publishers, Peabody, MA 1999, 385 p.
17. J. Ashton. – The Religion of Paul the Apostle. Yale University Press, New Haven and London, 2000, 261 p.
18. J.C. Inostroza. – Moisés e Israel en el deserto. El midrás paulino de 1Cor 10, 1-13 (Plenitudo temporis – Estudios sobre los origenes y la antigüedad cristiana 6). Publicaciones universidad pontificia, Salamanca 2000, 245 p.
19. D.A. Templeton. – The New Testament as True Fiction. Literature, Literary Criticism, Aesthetics. Sheffield Academic Press, Sheffield 1999, 391 p.
20. E. Shüssler Fiorenza. – Rhetoric and Ethic. The Politics of Biblical Studies. Fortress Press, Minneapolis, 1999, 220 p.
208. Eu égard à l’ampleur des questions soulevées, l’essai de T. Eskola sur la prédestination chez Paul intéressera exégètes et théologiens. Car il montre bien que, pour Paul et le judaïsme de son époque, la question de la prédestination ne relève pas seulement de la sotériologie (seront sauvés seuls ceux que Dieu a voulu tels ? Pour être sauvé faut-il faire partie du peuple de Dieu ? Si l’on est prédestiné, l’agir éthique est-il essentiel au salut ou n’a-t-il plus aucune importance ? Cela a-t-il alors un sens d’attribuer le malheur du peuple au péché de tous et/ou de ses chefs ? La prédestination est-elle une sorte de déterminisme ? Etc.), mais aussi et surtout de la théologie – et qu’Eskola appelle théodicée –, car il y va des voies de Dieu, qui laisse indéfiniment dans l’oppression et la tribulation ceux qui espèrent tout de lui ; il y va aussi de sa capacité à pouvoir triompher du mal et de la mort.
21C’est par rapport à l’arrière-fond biblique et juif que la réflexion de l’apôtre est d’abord située (ch. 1, p. 27-94). Eskola passe en revue les différentes réponses apportées durant l’époque du second Temple aux crises que l’on sait, les réponses variant selon les milieux et les traditions. L’élément commun est que la crise politique traversée par Israël est lue sotériologiquement et théologiquement : la situation actuelle est due au péché continu du peuple et de ses chefs, mais aussi au péché des gouvernants étrangers, qui seront punis en temps voulu. La punition actuelle des fidèles est purificatrice, et Dieu, au jugement dernier, les glorifiera, alors qu’il détruira les méchants. À l’intérieur de ce cadre, le concept de prédestination n’est pas déterministe : la repentance et le retour sur la voie du salut sont possibles. L’autre face de la prédestination tient du « nomisme synergétique » : pour les israélites, l’obéissance à la Loi est l’unique voie de salut. Pareille affirmation met directement en question les conclusions d’E.P. Sanders [2], selon qui, dans le judaïsme d’alors (4Esd ferait exception) la Loi n’a pas un rôle salvifique essentiel.
22Eskola se demande ensuite quelle place a la prédestination dans la sotériologie de Paul, et si la question des voies de Dieu y est aussi prégnante que dans le judaïsme d’alors (ch. 2, p. 95-188). Relisant les premiers chapitres de Rm, il rappelle la réponse de Paul à la question du judaïsme sur le retard de la manifestation du jugement et de la justice divine : ce retard vient de ce que Dieu voulait offrir le salut en Christ à tous les humains sans exception, circoncis ou non. En définitive, c’est le « nomisme synergétique » qui est battu en brèche : l’apôtre n’annonce pas le salut en demandant une obéissance accrue à la Loi (et en restant dans la problématique du judaïsme), ou en soulignant que la situation dramatique de l’humanité vient de la responsabilité humaine, mais en reportant en Dieu même les raisons, car c’est lui qui a enfermé tous les hommes dans la désobéissance, c’est lui qui a pris l’initiative d’envoyer son Fils, qui l’a livré, etc., tout cela pour manifester sa justice, pour justifier par la foi seule. La théologie paulinienne de la prédestination se présente comme une radicalisation de celle du judaïsme d’alors, mais sa finalité est universelle et positive : si Dieu endurcit, c’est finalement en vue du salut de tous (Rm 11).
23C’est dans ce cadre (ch. 3, p. 189-251) qu’Eskola étudie l’influence de la théologie de la prédestination sur le rapport Loi/justification (et salut) chez Paul. Ses conclusions sont nettes : chez Paul, la fonction de la Loi est déterminée par sa théologie de la prédestination, et pour Israël, « la Loi qui avait été donnée pour la vie, apporta finalement la mort au peuple élu » (p. 251) ; ce n’est pas par les œuvres de la Loi qu’on devient juste. Plus que sur ces lieux communs, Eskola insiste justement sur le paradoxe de la théologie de la prédestination chez Paul : c’est parce que tous ont été par Dieu emprisonnés dans la désobéissance, prédestinés pour la colère et la condamnation, qu’ils ont tous pu être gracieusement justifiés. Mais énoncer le paradoxe ne l’explique pas : pourquoi Dieu a-t-il voulu procéder ainsi, pourquoi Israël n’a-t-il pas voulu reconnaître que la vie devait advenir sans une Loi qu’ils considèrent comme le don de Dieu par excellence, etc. ? De la prédestination, les analyses doivent donc nécessairement affronter l’eschatologie et la théologie pauliniennes, mais aussi l’interprétation qui en a été donnée ces dernières décennies. C’est d’ailleurs sur la structuration de la sotériologie de l’apôtre que finit l’essai de Eskola (ch. 4, p. 252-306). Contrairement à ceux qui voient l’eschatologie de Paul entièrement basée sur sa christologie, Eskola pense que c’est le concept de prédestination, universelle et négative, comme indiqué plus haut, qui permet de comprendre l’universalité du salut en Jésus Christ (voir surtout les p. 303-305, où ces idées sont martelées) ; en d’autres termes, la christologie de l’apôtre n’est pas première, elle est ultime. Malgré les différences (dues en partie à la christologisation de l’eschatologie de l’apôtre), les théologies de la prédestination du judaïsme et de Paul mettent en relief l’absolue et continue fidélité de Dieu. Bref, les idées sur la fidélité de Dieu, sur la prédestination et le jugement que l’on rencontre en ses lettres, Paul ne les a pas inventées, il les a reprises, certes en les modifiant, mais sa sotériologie se présente comme une interprétation de la « Messianic Jewish soteriology » de la période du Second temple (p. 273).
24Cet essai mérite plus qu’un détour. Par l’ampleur des problèmes traités et par la discussion sérieuse avec quelques interprètes contemporains de Paul les plus en vue, surtout protestants (E.P. Sanders, H. Räisänen), il fait sans aucun doute avancer le débat. La difficulté qui peut lui être faite, c’est de n’avoir pas vu que les différentes affirmations de Paul changent de portée et même de statut en fonction de leur place dans les argumentations ; en tenant compte de l’approche rhétorique, essentielle pour ne pas errer dans l’interprétation, Eskola aurait sans doute nuancé et mieux décrit la position paulinienne en matière de prédestination et, plus globalement, de théo-logie (ou théo-dicée, comme il dit). Car il est impossible d’interpréter de la même façon Rm 1,18 à 3,20, Rm 5,12-21 et Rm 9. Bref, l’ouvrage aurait pu être plus travaillé au plan rhétorique. Ce jugement devant être justifié par une longue discussion impensable ici, je ne puis que renvoyer à mes ouvrages sur Romains où est soulignée l’importance de cette composante méthodologique pour une juste appréciation des affirmations théo-logiques de l’apôtre [3].
259. L’étude de [Mde] Jutta Bickmann sur 1Th n’a pu utiliser le commentaire de S. Légasse recensé dans le présent bulletin. Il est vrai que l’approche (linguistique pragmatique) et la thèse défendue (1Th serait à la fois une construction de la séparation comme mort, car séparation perçue en sa dimension de combat eschatologique – voir en particulier 2,17-20 –, et un dépassement de la séparation grâce à la relation épistolaire) n’ont pas les impératifs d’un commentaire. Et pourtant ces deux ouvrages doivent être comparés, car, ils affrontent un certain nombre de problèmes communs à l’aide d’approches totalement différentes. Non que Légasse ignore la linguistique, mais la sienne est avant tout syntaxique et sémantique, alors que celle de B. est basée sur une théorie de la communication, qui détermine au demeurant la manière dont elle voit la composition de la lettre (des unités minimales à l’ensemble de 1Th). Non que Légasse ignore les genres épistolaires – selon B., 1Th est une lettre de consolation [Trostbrief] –, mais il évite de figer un texte mouvant. Quant à la présentation de Légasse, elle est plurielle – au sens où informations historiques, littéraires et autres se superposent en fonction des besoins –, alors que celle de B. est monocolore, ou presque.
26Bickmann commence donc par s’interroger théoriquement sur la forme et le genre des lettres pauliniennes. Après avoir présenté quelques approches (épistolaire – lettres hellénistiques et juives – et rhétorique), pour en montrer les limites, elle trace sa propre voie en analysant l’acte de parler et le processus de (toute) communication, pour en arriver aux lettres de l’antiquité comme formes de communication – avec leur cadre épistolaire, leur articulation interne, leurs topoi, leur style diversifié (p. 5-85). La seconde partie de l’étude (p. 89-265) présente la composition de 1Th à partir de la linguistique pragmatique, en distinguant les différents actes de parole et indices de communication permettant de repérer les articulations de la lettre. De ce parcours, fastidieux pour le lecteur non averti, retenons les résultats suivants – dont B. avoue à un moment de son parcours qu’ils ne sont pas nouveaux [‘Diese Gliederung des 1 Thess ist nicht neu’ p. 108]. À un premier niveau, 1Th est divisé ainsi : 1,1 (adresse) ; 1,2 – 3,13 (première partie) ; 4,1 – 5,24 (deuxième partie) ; 5,25-28 (clôture de la lettre). Continuant ses analyses, elle arrive à des découpages de plus en plus fins : ainsi, la première partie est divisée en trois sections (1,2 – 2,16 ; 2,17 – 3,10 et 3,11-13), chacune de ces sections étant à son tour divisée en unités plus petites, etc. Cette division de 1Th effectuée, il reste à s’interroger sur l’acte de communication créé et développé. L’intérêt de l’analyse est de focaliser sur la première partie, pour montrer que Paul construit la séparation (entre lui et la communauté) comme mort sur fond de combat eschatologique, afin de dépasser cette séparation par l’envoi de la lettre, laquelle peut ainsi être nommée « lettre de consolation » (p. 266-321). B. n’est pas arrivée à ce résultat par la seule linguistique pragmatique, mais en faisant aussi appel à la tradition apocalyptico-sapientielle (elle s’appuie en particulier sur 4Esd et sur la lettre qu’on trouve en SyrBar 78-86). Car seule cette tradition lui permet de formuler sa thèse sur le sens des épreuves vécues par la communauté (comme combat eschatologique, etc.).
27De ces analyses claires et précises (au moins pour qui connaît ce type de linguistique), on retiendra l’importance justement donnée aux différents actes de parole disséminés tout au long des lettres pauliniennes, car ils ont leur poids pour la structuration des relations et pour le repérage du genre de chaque lettre. À dire vrai, les exégètes utilisent depuis longtemps ces indices (il- et per) locutoires pour repérer césures et changements de ton. Mais, que cette enquête doive être faite et prise en considération ne signifie pas que le niveau pragmatique soit en toutes les lettres le critère premier à partir duquel sont déterminés la composition (Aufbau) et le genre. D’autres critères entrent en jeu, rhétoriques et autres. B. critique l’approche rhétorique de 1Th faite par Jewett, et avec raison. Mais ce qui est en jeu, c’est moins la pertinence de l’approche rhétorique (épistolaire et discursive) que la manière dont on l’utilise ici et là. Ce n’est pas parce qu’un exégète durcit les modèles et les applique sans finesse qu’il faut se priver d’une approche essentielle. Que 1Th soit une lettre de consolation, les huit occurrences du verbe parakaleô (consoler) l’indiquent et l’exigent ; au demeurant, Bickmann a raison d’aller vérifier et comparer avec d’autres lettres, de milieux et de langues diverses, pour étayer l’hypothèse. Ce que je n’ai pas vu, c’est comment B. a pu, à l’aide de ses analyses sur la pragmatique, et en s’appuyant sur 1Th 2 et 3, montrer comment Paul construit l’absence comme mort en contexte de combat eschatologique, afin de la dépasser ou de la juguler (aufheben) par l’envoi de sa lettre de consolation – elle affirme plus qu’elle ne démontre. Cela dit, ce livre, qui n’intéressera qu’une minorité d’exégètes – et certainement pas les théologiens – a un intérêt méthodologique certain.
2810. R.D. Anderson n’est pas le premier à se demander si Paul a connu et appliqué les théories rhétoriques en vogue à son époque. Mais son approche est la bonne, car elle évite les a priori : (1) aux nombreux exégètes qui nient encore que Paul ait pu connaître la rhétorique (même les progymnasmata), il faut répondre que, si l’on rencontre des techniques épistolaires et rhétoriques en ses lettres, il faut bien admettre leur présence, et dire haut et fort que seuls les textes peuvent donner une réponse pertinente. Mais une fois mise en évidence la facture rhétorique du tissu paulinien, il importe de se demander s’il obéit à un modèle ancien particulier et lequel, si sa rhétorique est plus discursive qu’épistolaire, etc. (2) À tous ceux qui ont tendance à imposer des modèles rhétoriques trop rigides, Anderson rappelle justement que ce qui doit primer, ce n’est ni une certaine conception du genre rhétorique d’une lettre, voire de sa dispositio (avec ou sans refutatio, confutatio, etc.), mais la manière dont Paul déroule ses argumentations, avec les pisteis adaptées au problème traité. Bref, c’est le texte de l’apôtre qui exige que nous révisions nos modèles.
29Anderson commence donc par examiner quelle rhétorique était la plus pratiquée et enseignée au temps de Paul (p. 35-107). Partant de l’âge classique, il passe en revue la période hellénistique et. termine par les théoriciens romains, et il en montre la diversité. Il est sûr que pour l’étude de Paul, on ne retiendra de ces traités que ce qui concerne les diverses formes (exemple, comparaison, etc.) d’argumentation, la manière de les exposer (inductive ou syllogistique), leur disposition et le style. La seconde étape est dédiée au rapport entre rhétorique et épistolographie (p. 109-127) ; les lettres de Paul ne sont pas absentes de rhétorique, elles s’apparentent aux soi-disant lettres littéraires de l’antiquité et l’on peut y repérer des techniques rhétoriques, pour l’argumentation et le style, qu’il serait vain de nier. Anderson passe ensuite à l’analyse de plusieurs passages de trois lettres pauliniennes, Galates (p. 129-189), Romains 1-11 (p. 191-244) et 1Cor 1-4 (p. 245-276), pour examiner jusqu’à quel point elles reflètent les techniques rhétoriques de l’époque, pour l’enchaînement des parties (la taxis), le type de preuves (les pisteis) et le style (la lexis), montrant chaque fois la nature fonctionnelle des éléments de l’argumentation paulinienne.
30Si l’on ne peut que se réjouir de l’orientation sans a priori des analyses, on doit malgré tout reconnaître que l’auteur est plus à l’aise lorsqu’il présente la rhétorique ancienne que lorsqu’il analyse les argumentations de Gal, Rm 1-11 ou 1Co 1-4. Sans répéter ici ce que j’ai tant de fois dit ailleurs [4] à propos de la dispositio, de l’elocutio des passages en question – mais manifestement Anderson ne connaît pas les langues romanes –, qu’on me permette seulement de rappeler que l’on ne peut comprendre les argumentations pauliniennes si l’on ne voit pas que l’apôtre pratique – sans l’avoir lu, évidemment – ce que dit Aristote en Rhétorique 1414a, à savoir que deux seuls éléments sont essentiels à une unité argumentative, l’énoncé du problème (sous forme ou non de thèse) et son explication (par précisions successives et/ou preuves diverses). Les unités argumentatives pauliniennes se suivent ainsi et se regroupent en unités de niveau supérieur, elles-mêmes souvent précédées d’une propositio, etc. Si la dispositio de Ga est bien mise en évidence, celle de Rm 1-11 donne des signes de faiblesse, surtout à propos de Rm 5 (à tort rattaché à Rm 1,18-4,25), dont la fonction rhétorique n’est pas perçue, tout simplement parce qu’Anderson n’a pas repéré les (sub)propositiones qui déterminent les unités minimales, les sous-sections et sections argumentatives. Sans doute aussi regrettera-t-on que l’enjeu théologique des techniques rhétoriques pauliniennes n’ait pas été assez souligné. Ces critiques n’entendent pas remettre en question la manière de procéder : Anderson nous invite avec raison à ne pas appliquer indûment au texte paulinien des schèmes et des catégories inopérantes ou anachroniques.
3111. La longue (presque 800 pages) présentation de la théologie de Paul par G. Barbaglio pourra être consultée par tous, des étudiants en théologie aux spécialistes de Paul, tant elle est utile, par la mise à jour de l’information, la sûreté des prises de position, que par l’idée que l’auteur se fait de la théologie de Paul. Livre complet, qui peut en outre servir de commentaire pour les sept lettres reconnues comme authentiques [5] : les difficultés de détail les plus saillantes étant presque toutes analysées, le lecteur aura ainsi pratiquement sept commentaires en un seul volume et pourra faire ainsi quelques économies !
32Ce qui frappe, dès le premier abord, c’est que Barbaglio ne cherche pas à organiser ses analyses à partir des thèmes ou des champs théologiques (eschatologie, théo-logie, sotériologie, ecclésiologie, anthropologie, éthique, etc.) en examinant systématiquement comment il progressent d’une lettre à l’autre. Il ne se demande pas davantage ce qui constitue le point de départ, voire le centre, de la théologie paulinienne (la mort-résurrection de Jésus, la justification par la foi, l’anthropologie juive ou grecque, etc.) ou encore, si l’on peut y discerner des formulations définitives (ce que, par ex., Beker nomme la composante apocalyptique, cf. RSR 81 [1993] 295-297), et d’autres, contingentes, liées aux circonstances et à la société d’alors. Bref, sans réflexion théorique préliminaire (Y a-t-il une ou plusieurs théologies de Paul ? Et s’il y en a plusieurs, sont-elles compatibles ? S’il y a un facteur d’unité, quel est-il : le Christ, la croix ? etc.), l’auteur commence in medias res, en présentant la théologie de chaque lettre, de la première (1Th) à la dernière (Rm). Si, pour chacune, il donne des informations sur les destinataires et les raisons que l’apôtre a eues de leur écrire, le chemin suivi n’a pourtant rien d’uniforme, puisque, s’efforçant de suivre fidèlement le développement et la logique de chaque écrit, Barbaglio se doit d’en montrer l’originalité, examinant comment les thèmes sont chaque fois abordés, développés, etc. On ne s’étonnera donc pas de voir une place importante accordée à la composition de chaque écrit, puisque s’y donne à lire la place que les différentes idées théologiques y auront. Il ne s’agit donc pas d’une présentation synthétique mais analytique des thèmes théologiques, dans la mesure où leur mise en valeur dépend de la pertinence de l’exégèse qui en est faite. De ce point de vue, le lecteur n’est pas déçu, tant l’exégèse de Barbaglio n’a d’autre but que de montrer comment l’apôtre fait de la théologie. Le respect de la chronologie montre aussi comment le déplacement des thèmes théologiques vient de la situation des Églises et des difficultés dans lesquelles elles se trouvent. En procédant ainsi, Barbaglio a d’ailleurs évité plusieurs chausse-trappes : celle de majorer un thème (la justification par la foi seule) au détriment des autres, celle d’imposer une logique (en commençant par la théologie, ou par l’anthropologie) qui ne respecte pas l’évolution diachronique des thèmes et de leur importance. En s’imposant de suivre les thèmes au fur et à mesure de leur apparition, l’auteur a voulu aussi et surtout dénoncer un présupposé fréquent, qu’il juge non fondé, et selon lequel les lettres pauliniennes ne donneraient qu’une image partielle et partiale de la théologie, beaucoup plus ample et systématique, de l’apôtre. À son avis, une lecture attentive montre que la réflexion de Paul est toujours provoquée par les situations nouvelles et les demandes que lui faisaient en conséquence les communautés fondées par lui ; il dut aussi se défendre contre ceux qui dénigraient sa pensée et son statut d’apôtre ; cela explique les reprises, les modifications dans la manière d’aborder les questions, les précisions apportées d’une lettre à l’autre (B. donne l’exemple de Ga, où la filiation abrahamique est appliquée aux seuls croyants venus de la gentilité, alors qu’elle est élargie à tous, circoncis et non circoncis en Rm 4). Bref, ce qui a occasionné ses écrits est identiquement ce qui a occasionné sa théologie, laquelle est étroitement liée à la conjoncture, à la contingence (p. 727). Le plaidoyer pour l’aspect circonstancié des lettres et donc de la théologie paulinienne est suffisamment appuyé pour qu’on l’ignore !
33Néanmoins, la médaille a son revers. Il ne suffisait pas de mettre en valeur l’aspect circonstancié de la théologie paulinienne : pour convaincre, il fallait aussi directement et longuement affronter la question du contingent et du durable dans cette même théologie, autrement dit dialoguer avec tous ceux, Beker [voir la recension de cet auteur en RSR 81, 1993, p. 295-297] et les autres, qui avaient déjà risqué des réponses. Autre revers : en voulant suivre pas à pas la manière dont Paul aborde théologiquement les questions des communautés, Barbaglio force son lecteur à lire entièrement son livre, de la première à la dernière page ; en se refusant de consacrer un chapitre à l’évolution de chaque thème, comme le font en général ceux qui s’obligent à ce genre d’exercice, et en omettant (oubli plus grave encore) de signaler dans un index ad hoc, les thèmes abordés, il ne favorise pratiquement aucune consultation spécifique ou limitée ! Formulons un autre regret, à partir d’un exemple, le thème de la sainteté des baptisés : ne faut-il pas d’abord se demander si, sur le sujet, l’apôtre innove entièrement, s’il s’inspire et jusqu’à quel point des modèles biblique(s), juif(s) ou hellénistique(s). C’est en rapport à des modèles déjà existants (ou non) que la pensée de l’apôtre se dessine, et cet aspect aurait pu être aussi mis en valeur. Cela dit, telle quelle, cette somme sera très utile pour quiconque aura le courage de suivre patiemment l’itinéraire proposé.
3412. J.L White, bien connu pour ses essais sur l’épistolographie antique et paulinienne, nous offre un essai sur la manière dont Paul parle de Dieu (théo-logie au sens restreint du terme). Dans une introduction brève mais dense, il insiste sur la radicalité de l’image que Paul a de Dieu, non pas comme celui qui a donné la Loi, requiert son obéissance et juge en conséquence, mais comme celui en qui il faut croire ou avoir confiance pour entrer dans sa famille, sans avoir besoin de devenir pour cela membre du peuple juif. Le Dieu de Paul est celui en qui l’on croit, à qui l’on s’abandonne : c’est par la foi (et non par la Loi) que l’on obtient l’adoption filiale (la hyothesia) et que l’on entre dans la famille de Dieu. Mais plus que tout W. insiste sur le fait que le Dieu de Paul est celui qui a tout créé et qui est source de toute régénération. Ces points étant bien soulignés, il se propose de voir si c’est l’idée de Dieu créateur qui est la source des autres métaphores et images pauliniennes (1re partie, p. 1-89), il étudie ensuite l’importance des représentations gréco-romaines pour l’idée que Paul se fait de Dieu (2e partie, p. 91-135) ; il termine par un examen plus approfondi des images décrivant la famille de Dieu (3e partie, p. 137-245).
35Le Dieu de Paul est donc avant tout, selon White, le Dieu créateur. Certes l’influence isaïenne (Is 40-55) est nette, puisqu’y est, pour la première fois et avec autant de force, bien mise en valeur la relation entre créateur et sauveur (ton créateur est ton sauveur), un créateur qui veut le bien de tous les hommes. D’ailleurs, le salut en Christ ne fait que révéler Dieu comme créateur et sauveur de tous. Après avoir passé en revue les métaphores et images familiales, agricoles, ethniques, sociales, corporelles, etc., W. en vient à exprimer sa thèse : « Chez Paul les métaphores dérivent de son idée de Dieu comme créateur, voilà pourquoi la fertilité de la nature est une des sources majeures de métaphore » (p. 54). Car, comme créateur, Dieu est source de la vie, de la croissance, de la cohésion, de l’unité, etc. Cette étude des figures amène W. à conclure que la rhétorique est entièrement au service de la théo-logie de l’apôtre (p. 89).
36La thèse de la deuxième partie est elle aussi très claire : l’influence gréco-romaine sur la manière dont Paul parle de Dieu est loin d’être négligeable. Les changements sociaux et politiques (la naissance et la croissance de l’empire), la fonction des chefs – en particulier de l’empereur, au Ier siècle, comme promoteur, gardien et sauveur de l’unité de l’oikounenè et de l’ordre social –, l’évolution de la cosmologie (vers la conception d’un cosmos multi-sphérique obéissant à des lois raisonnables), etc., ont progressivement modifié la théodicée, et favorisé l’idée d’une providence continue et bienveillante. Parallèlement, la figure de l’empereur, tête et âme du corps de l’oikoumenè, devenu avec Auguste objet de culte, n’a pas été sans influer sur la manière dont Paul décrit le Christ. Certes, l’apôtre ne semble pas avoir assimilé Christ à Dieu, mais « les derniers portraits d’Auguste, dont les fonctions sur terre sont analogues à celle de Jupiter aux cieux, sont proches de l’image du Christ par Paul, car ce dernier décrit le Christ comme celui par qui Dieu a établi la justice (l’ordre), la paix et la libération universelles » (p. 135). Bref, les représentations gréco-romaines ont influé sur la manière dont Paul a conçu le rapport du Christ à Dieu et au monde.
37La troisième partie étudie plus en détail les images familiales : Dieu comme Père de famille et de ‘race’(famille étendue), l’adoption divine du Christ comme seigneur (kyrios), sa seigneurie sur l’empire de Dieu, le Christ comme chef de maisonnée et prêtre seigneur, l’Église comme maison non faite de mains d’hommes, et il revient sur le fait que ces images montrent l’importance que Paul donne à l’idée de Dieu créateur : elles soulignent « que l’identité essentielle de Dieu pour Paul était définie par son activité divine comme créateur universel » (p. 229).
38Certes, pour Paul, Dieu est le créateur, et cette idée lui est chère, mais W. affirme plus qu’il ne le montre, que les différentes images décrivant Dieu, le Christ, l’Église, sont engendrées principalement (voire seulement) par cette idée. La christologisation de la théo-logie paulinienne est également peu examinée en son processus et en ses conséquences. À ce propos, je me permets de renvoyer à mon essai, Jésus Christ fait-il l’unité du Nouveau Testament (Desclée : Paris 1994). Si la thématique de la maisonnée (Household) de Dieu est bien examinée en son rapport aux influences gréco-romaines d’alors, il aurait sans doute aussi fallu se demander pourquoi Paul a manifestement passé sous silence la thématique du peuple, si importante pour ses coreligionnaires. Et, si W. parle du rapport entre l’être-enfants d’Abraham et enfants de Dieu, il ne s’interroge pas assez longuement sur les difficultés posées par cette double filiation, ses rapports, etc. J’ai été étonné de ne pas voir mentionnés des ouvrages comme ceux de B. Byrne, Sons of God – Seed of Abraham, PBI : Rome 1979, ou de D. von Allmen, La famille de Dieu, V& R : Göttingen 1981. Enfin, je ne vois pas comment W. peut voir chez Paul une mention quelconque de l’adoption de Jésus comme Fils de Dieu et Seigneur : l’usage du terme hyiothesia chez Paul va contre une telle hypothèse.
39Ces remarques faites, ajoutons que les lecteurs trouveront en cet essai sur la théo-logie de Paul bien des informations utiles et importantes sur les représentations du monde d’alors. Avec les réserves faites ci-dessus, on ne peut que le conseiller à celles et ceux qui connaissent mal les représentations religieuses du monde contemporain de Paul.
4013. Le volume de A.M. Buscemi consacré aux hymnes christologiques des lettres pauliniennes présente quatre passages bien connus : Ph 2,6-11 ; Col 1,15-20 ; Ep 1,3-14 et Ep 2,14-18. Le développement est chaque fois le même : après de brèves observations sur la composition, l’auteur fait une exégèse assez détaillée et finit par des considérations principalement christologiques. Pour Ph 2,6-11 (p. 17-36), il retient comme composition celle de Lohmeyer, avec deux parties (v.6-8 relatant l’abaissement volontaire du Christ, et 9-11 son exaltation) divisées chacune en trois unités, où apparaissent très clairement les choix de Buscemi : la condition de préexistence (v.6), l’abaissement par l’incarnation (v.7abc) et par l’obéissance jusqu’à la mort (v.7d-8) ; l’exaltation et le don du nom (v.9), l’adoration (v.10) et la proclamation (v.11). L’auteur voit en ce passage « les traits fondamentaux de la christologie néotestamentaire : préexistence, incarnation, sacrifice volontaire et seigneurie universelle du Christ » (p. 30). Vient ensuite Col 1,15-20 (p. 37-74), composé concentriquement en A (v.15 double caractérisation du Fils ; v.16 la motivation), B (v.17-18a le primat du Christ) et A’(v.18b double caractérisation du Fils ; v.20 la motivation). Quant à l’arrière fond, il est sapientiel (p. 56-60), et la christologie, haute (préséance non seulement temporelle, due à la préexistence et à la génération éternelle du Fils, p. 64), mais aussi d’excellence, car le Fils est supérieur à tout le créé (p. 65). L’eulogie d’Ep 1,3-14 (p. 75-120) est divisée en quatre macro-unités : v.3 (introduction), v.4-6 (élus pour être saints et fils), v.7-10 (les bénéfices qui nous sont venus en et par Christ), v.11-14 (juifs et Gentils marqué par l’Esprit du salut). L’auteur montre ensuite combien la christologie a envahi tous les autres secteurs de la théologie : est bien souligné le rôle du Christ dans le dessein éternel de Dieu, car tout s’accomplit en et par Christ, et le mystère consiste en la révélation de la suprématie du Christ sur tout le créé (p. 118-119). Le dernier passage, Ep 2,14-18 (p. 121-150), est composé concentriquement, en A (v.14-15a : présentation du Christ notre paix), S (v.15b-16 : finalité de l’agir du Christ) et A’(v. 17-18 : Christ proclame la paix à tous les hommes) ; le titre de paix attribué au Christ est unique dans le NT, et les motifs pour lesquels la communauté doit louer le Christ sont l’abolition de la Loi, la réconciliation avec Dieu et la constitution de l’homme nouveau, qui est identiquement unification des Gentils et des juifs dans le corps du Christ (p. 147).
41Cet essai bref et nerveux, qui met à disposition de tous l’enseignement de l’auteur à Jérusalem, a moins la prétention d’innover que, dans le contexte du grand jubilé, de rappeler l’importance décisive du Christ, centre et sens de notre histoire. L’exégèse des passages est bien menée et va à l’essentiel : elle aidera sans aucun doute quiconque désirerait méditer ces quatre beaux passages pauliniens. Au plan méthodologique, j’ai néanmoins quelques observations à faire : (1) pour la forme et le genre littéraire, l’eulogie d’Ep 1,3-14 ne peut en aucun cas être classée comme hymne au Christ [6]. (2) Dans la préface, l’auteur dit que l’étude de composition des différents morceaux hymniques constitue la partie la plus originale de son travail. Originale jusqu’à un certain point, car les compositions proposées rejoignent celles déjà proposées par certains commentateurs – Lohmeyer pour Ph 2 ; Benoit pour Col 1, O’Brien pour Ep 2. Il déclare dans la même préface que l’analyse de la composition de chaque morceau a été particulièrement soignée. C’est sans doute vrai, mais elle aurait pu l’être davantage ; ainsi celle de Ph 2, est doublement bipartite (en particulier les v.9-11, dont j’ai déjà plusieurs fois présenté la composition ; voir par ex. RSR 83 [1995] 101-102, à propos du commentaire de O’Brien) ; de même, pour Col 1,15-20, Buscemi retient une composition tripartite, mais le commentaire qu’il en fait est en réalité basé sur deux ensembles – qui ne se recoupent d’ailleurs pas toujours, car, selon les besoins, il oscille entre les v.15-17 et les v.17-20 ; si, comme il le dit, la composition est essentielle à la compréhension du passage, on attend que cette composition en ABA’ le soit ; or elle ne l’est pas – sa conclusion rappelle au demeurant que le primat du Christ (c’est ainsi qu’il intitule la partie B) recouvre tout le morceau (Co 1,15-20). Au plan théologique, les observations, en général pertinentes et bien fondées, intéresseront l’exégète et le théologien. Seule l’exégèse de Ph 2,6, pourtant très discutée, est expédiée en quelques lignes et conclut tout simplement que la tournure utilisée par Paul « indique la préexistence du Christ dans la condition divine » (p. 22). On comprend que Buscemi ait voulu éviter de reprendre toute la discussion et seulement dire ses préférences, mais il fallait au moins signaler la complexité du problème.
4214. Introduire les étudiants d’aujourd’hui à la théologie de l’apôtre Paul n’a rien d’évident, et l’on ne peut que féliciter Virginia Wiles d’avoir su transmettre avec beaucoup de bonheur son expérience d’enseignante, car sa manière de procéder est en tout exemplaire. Sachant que le type d’argumentation de l’apôtre est très différent du nôtre, que ses mots, apparemment familiers (comme ceux de loi, de justice, de chair, de corps, d’alliance, etc.) prêtent à malentendu, elle a tenu à le présenter dans le monde et les cultures qui furent les siennes – ou avec lesquelles il dut dialoguer. L’ouvrage est divisé en trois parties : (I) l’héritage juif (p. 9), centré sur Dieu, tel que la tradition juive d’alors se le représentait, avant tout comme Dieu dont la justice est ordonnée à la paix, et qui, à cette fin, a donné sa Loi, ayant fait alliance avec le peuple d’Israël ; V.W. donne une attention particulière à la question du rôle salvifique de la Loi. (Il) le milieu gréco-romain (p. 45), où V.W. met en relief la façon dont l’apôtre décrit la situation dramatique de l’humanité, pécheresse, esclave et vouée à la mort. (III) la contribution originale de Paul (p. 83), partie où sont principalement traitées la christologie, qui a irrigué les autres champs, la justification par grâce, c’est-à-dire par la foi (sans les œuvres de la Loi), et l’Esprit Saint (avec son rôle dans l’Église). L’ordonnancement des parties est excellent, car (1) c’est sur fond de tradition que l’originalité de Paul fait sens, et il était bon de commencer avec ce qu’il fut et resta, un juif, pétri de culture biblique, croyant dans le Dieu de ses pères, le Dieu de l’alliance, le Dieu juste ayant promulgué une Loi pour que justice règne, etc. ; (2) il était également important de voir jusqu’à quel point Paul avait connu les courants philosophiques d’alors et dialogué avec eux ; (3) il fallait aussi souligner les points décisifs et originaux de sa propre théologie, par lesquels son influence reste encore aujourd’hui décisive dans l’Église. Au total, V.W. passe en revue une bonne cinquantaine de mots des lettres pauliniennes, pour leur donner de l’épaisseur et dépasser les malentendus. De ce parcours qui, répétons-le, est exemplaire dans son articulation, la deuxième partie laisse malgré tout à désirer, car (1) elle ne retient du monde gréco-romain que le négatif (ce que les juifs en retenaient, à savoir le désordre moral), (2) elle décrit le milieu gréco-romain avec des catégories qui restent celles de la première partie (autrement dit : juives) ; (3) le ch.5, sur le péché, qui est vu comme un contresens (en anglais : misperception) de l’homme sur Dieu et sur sa Loi, ne me semble pas à la hauteur des autres – où Paul parle-t-il de misperception ? On ne voit pas bien comment l’auteur trace le partage entre ce que Paul reprend simplement de la tradition et ce qu’il modifie. Cela dit, l’itinéraire d’ensemble du parcours permet une excellente première mais profonde connaissance des principaux concepts théologiques pauliniens.
4315. Pour ses 65 ans, O. Merk a reçu en hommage une partie de sa production exégétique, et il est bon que nous ayons désormais à disposition des articles publiés dans des revues que ne reçoivent pas toutes les facultés de théologie. Je croyais connaître O. Merk, mais ne savais pas qu’il s’était autant intéressé à l’histoire de l’exégèse scientifique, pour en percevoir la logique profonde. Le livre commence d’ailleurs par deux ensembles (p. 1-142 et 143-237) consacrés à l’histoire de l’exégèse scientifique du NT (ses débuts au XVIIIe ; et surtout quelques-unes des grandes figures allemandes qui ont jalonné cette histoire : Bousset, Baldensperger, Barth, Bultmann, Cullmann, Vögtle), et continue avec des études (p. 238-349 ; 350-431) qui constituent l’apport d’O. Merk à l’exégèse néotestamentaire, en particulier paulinienne (et plus précisément encore 1-2Th). Une recension minutieuse d’articles en des domaines aussi variés est ici exclue, sinon pour souligner l’un ou l’autre point qui me semble décisif pour la formation des exégètes et théologiens. : (1) une bonne connaissance de l’histoire de l’exégèse et des questions qui lui ont donné sa physionomie actuelle doivent faire partie du bagage de l’exégète d’aujourd’hui et plus encore de celui de demain, qui risquerait d’oublier qu’une approche des textes est toujours liée à une conjoncture et se comprend mal sans elle ; à cet égard, les p. 1-237 du présent ouvrage me semblent exemplaires, car O. Merk connaît bien les auteurs et les questions ; de ces articles, le plus incisif et le plus actuel me semble être celui intitulé « Théologie du NT et théologie biblique » (p. 98-129) qui s’interroge sur le rapport des deux expressions (la théologie du NT s’enracine-t-elle dans l’AT et comment ?) et sur l’histoire et les types (ou modèles) de réponse qui y ont été apportées surtout depuis le début du siècle. Le bilan des discussions montre que si une théologie du NT ne peut se passer de l’AT pour tous les champs et en particulier pour la christologie, les voies pour l’avenir ne sont pas encore toutes tracées – on bute encore et toujours sur la question des alliances, sur l’interprétation de la Loi et de son rôle pour le NT (en particulier pour Paul), etc. (2) O. Merk me semble aussi avoir été très en avance sur l’exégèse protestante (allemande) dans la manière de se situer par rapport aux deutéro- et trito-pauliniennes et à l’œuvre lucanienne, moins vues comme un protocatholicisme déviant ou comme une édulcoration de l’Évangile, que comme des efforts pour tenir la foi et annoncer l’Évangile en fonction des changements dans l’espace et le temps. Bref, c’est avec un réel plaisir que l’on relit des réflexions qui, pour la plupart, n’ont pas vieilli.
4416. Personne avant D.J. Williams n’avait passé au peigne fin toutes les métaphores pauliniennes. On trouvera donc en cet ouvrage un compagnon utile, car il classifie les métaphores en fonction de leur lieu géographique et social. Il distingue ainsi douze domaines à partir desquels on peut opérer une classification : (1) la vie dans la cité [feu, fondations, édifice, tente, mobilier, lumière, ténèbres], (2) la vie à la campagne [pasteur, pâturages, bétail, semer et planter, fruit, olivier], (3) la vie familiale [mariage, naissance, avorton, parents, adoption, enseignement, pédagogue], (4) santé et besoins physiques [corps, tête, maladie, traitement, vêtement, voile, miroir, laver], (5) esclavage et liberté [manumission, rachat, crucifixion], (6) citoyenneté et droit [justice, avocat, testament, citoyen, ambassadeur, étranger], (7) travail et marché [travailleur, Dieu artisan ou potier, partenaire, agora, trafiquant], (8) commerce [dette, garantie], (9) voyage [lettres de recommandation, dangers de la mer, obstacles, transports], (10) guerre [armure, prisonnier, veille, discipline, solde], (11) culte [temple, sacrifice, prêtre], (12) spectacle et sport [triomphe, courses de chevaux, combats de gladiateurs, théâtre, victoire, récompense]. Chaque métaphore est resituée dans le monde d’alors, aussi bien social que littéraire, c’est-à-dire en son usage. On pourrait discuter ici et là les principes de classification, mais là n’est pas le problème. Parmi toutes les métaphores utilisées par Paul, certaines sont théologiquement plus importantes, et c’est de leur usage théologique – des raisons pour lesquelles certaines ont été préférées à d’autres, etc. – que le lecteur aurait désiré voir se dessiner quelques hypothèses ou interprétations. À cet égard, un ouvrage comme celui de White, sur le Dieu de Paul, va plus loin dans l’interprétation des métaphores de l’apôtre. Car celui de Williams est purement descriptif, et son utilité vient exclusivement de la manière dont il présente le milieu de vie (juif et gréco-romain) des métaphores pauliniennes.
4517. L’essai de J. Ashton sur la religion de l’apôtre Paul ne devrait laisser aucun lecteur de Paul indifférent, car il remet en question la lecture commune, qui voit avant tout en Paul un penseur et un théologien, alors que pour Ashton l’essentiel de sa pensée et de sa théologie viennent de l’expérience faite sur le chemin de Damas. Cet auteur rejoint en cela des interprètes comme S. Kim (The Origin of Paul’s Gospel, Grand Rapids 1982, recensé en RSR 73 [1985] 290) et A. Segal (Paul the Convert, New Haven – London 1990). Mais, dès l’abord, il doit affronter une difficulté majeure : peut-on parler d’une religion de Paul, car pour beaucoup l’apôtre est celui qui a opposé le religieux (le juif étant l’homme religieux par excellence) et le croyant (dont le type est Abraham) ? Où d’ailleurs parle-t-il de religion [7] ? À ces difficultés s’en ajoutent d’autres, historiques : la religion de Paul est-elle juive ou chrétienne ? Avec la vision du chemin de Damas, Paul a-t-il eu conscience de devenir l’adepte d’une religion nouvelle ? Ce que nous appelons aujourd’hui religion nouvelle, les premiers disciples ne le voyaient-ils pas comme le développement naturel du judaïsme ? Cela dit, la foi en Jésus Seigneur et Fils de Dieu n’a-t-elle pas changé radicalement la nature de la foi juive ? Quant aux rites et célébrations des communautés chrétiennes (baptême et repas du Seigneur), jusqu’à quel point diffèrent-ils radicalement de ceux du judaïsme, où ils étaient déjà pratiqués (le repas pascal par tous, et le baptême par les groupes baptistes) ? La réponse va se faire progressivement, à l’aide de la méthode comparative. Ashton commence par comparer Paul avec les shamans [8], et en vient à conclure qu’il en a les principales caractéristiques – c’est un shaman chrétien (p. 29-61). Pour montrer que c’est l’expérience qui prime chez Paul, et qui explique la coupure de la nouvelle religion d’avec sa matrice juive, l’auteur se demande quel événement a pu provoquer une transformation radicale, et expliquer son Évangile aussi bien que son ministère auprès des Nations. Que s’est-il donc passé sur le chemin de Damas (p. 73-104) ? Un des effets de la vision fut sans aucun doute de faire comprendre à Paul cela même qu’il combattait, à savoir que les Gentils pouvaient croire en l’Évangile sans avoir besoin de devenir juifs, d’être circoncis – cet écart semble bien mener vers une religion nouvelle, et l’on peut vraisemblablement l’attribuer à Paul, lequel répète souvent qu’il a été appelé pour être l’apôtre des Gentils (p. 152-170). Mais la vision (qui fut à la fois appel et conversion) n’a pas seulement influencé le ministère de Paul, elle a aussi radicalement déterminé sa prière, sa manière d’être et de vivre – ce qu’il est convenu d’appeler le mysticisme de Paul s’enracine là (p. 113-142). Sa théologie, essentiellement basée sur une nouvelle compréhension des Écritures, a elle aussi largement bénéficié de son expérience mystique (p. 179-197), et il en est de même pour sa conception des charismes, de la vie des communautés (p. 198-213), enfin la manière dont lui même vit sous la mouvance de l’Esprit et en parle (p. 214-237). Bref, c’est bien à partir de l’expérience du chemin de Damas qu’il faut comprendre la réflexion de l’apôtre. En se refusant à présenter une théologie de l’apôtre à la manière d’un Bultmann, d’un Dunn ou encore d’un Fitzmyer, Ashton entend opérer un renversement de tendance : tant que l’on verra d’abord chez Paul le penseur, on ne pourra que mal connaître (ou méconnaître) sa mystique, déformer sa théologie, et ignorer le fondateur religieux qu’il fut. Cet essai bien mené et stimulant, qui fait droit à l’événement décisif de l’itinéraire de l’apôtre, la vision du chemin de Damas, met le doigt sur quelques travers actuels de l’exégèse paulinienne ; il importe d’entendre cette voix autorisée. Cela dit, le travail d’Ashton montre indirectement que les passages des lettres de Paul faisant état de son expérience mystique sont peu nombreux et délibérément discrets – la lettre aux Romains ne fait même aucune allusion à tout cela, signe que la théologie paulinienne mérite aussi d’être analysée comme telle.
4618. En une thèse bien menée, J.C. Inostroza étudie 1Co 10,1-13, où plusieurs expressions font difficulté (baptême en Moïse, le rocher était le Christ, etc.), et ont reçu des interprétations opposées. L’auteur a choisi d’éclairer le passage à l’aide de la Traditionsgeschichte. Après avoir montré que 1Co 10,1-13 est inséré dans une section unifiée, 1Co 8-10, à laquelle il appartient originellement (ch. 1, p. 27-33), et présenté les traditions relatives au désert, plus précisément aux dons faits par Dieu et à la rébellion du peuple, dans l’AT (ch. 2, p. 45-84) et dans le judaïsme (ch. 3 p. 85-143), l’auteur arrive aux conclusions suivantes, sur Moïse et la situation d’Israël (ch. 4 et 5, p. 145-203) : (1) Moïse est l’antitype de Paul (et non du Christ ; p. 179s) ; en effet, pour les traditions bibliques et juives successives, il fut le modèle de la vocation prophétique, le père et le leader du peuple de Dieu, celui par qui Dieu nourrit les israélites dans le désert, et qui fut faible – l’auteur voit en 1Co 9,27 une allusion à la faiblesse de Moïse. De même, la vocation de Paul est prophétique – 1Co 9 présente la condition apostolique en termes prophétiques (p. 171) –, il fonda les Églises de la gentilité, se considéra comme leur père nourricier, et il ne voulut qu’être faible et pauvre (1Co 9). Bref, « Paul édifie l’Église dans le désert … et veille à ce qu’elle ne trébuche pas ; comme les prophètes de l’AT aussi, il tient à avertir les Corinthiens » (p. 208). (2) Le passage est un midrash au sens générique du terme, et a une fonction typologique (p. 177s), au sens où les événements anciens sont arrivés et maintenant racontés pour les chrétiens. (3) La christologie du passage n’est pas sapientielle ; ici, comme ailleurs, Paul applique au Christ des titres qui, dans l’AT, sont le propre de Dieu (p. 193).
47Ce parcours, a l’avantage de montrer comment Paul dépend de traditions le précédant et qu’il reprend selon ses besoins, et l’on trouvera profit à le consulter. Il est malgré tout un point qui me laisse sur ma faim. L’auteur insiste sur la typologie Moïse/Paul. Or, les raisons pour les comparer me semblent maigres – « scanty » diraient les anglo-saxons : (1) je ne vois pas bien comment 1Co 9 fait allusion à Moïse ; (2) les points de rapprochement entre Moïse et Paul dégagés par l’auteur (voir supra) ne me semblent pas présents en 1 Co 10 ; de plus, et c’est un point déjà abordé dans le précédent bulletin paulinien à propos de l’ouvrage de W. Kraus, Das Volk Gottes (RSR 87 [1999] 87-90), cité d’ailleurs par Inostroza (p. 184), malgré la mention du peuple en 1Co 10,7, Paul n’exploite pas ecclésiologiquement la métaphore du peuple ou, si l’on préfère, il ne dit pas que l’Église est le peuple de Dieu [9]. Méthodologiquement, cette thèse nous invite à nous interroger sur la manière d’établir des points de comparaison et par là les pôles typologiques (ici Moïse et Paul, Israël et l’Église de Corinthe) ; en ce sens, elle sera utile pour quiconque réfléchit sur les rapports AT/NT chez Paul.
4819. L’essai de A. Templeton, intitulé Le NT comme vraie fiction, n’est ni de l’exégèse ni de la théologie, mais de l’herméneutique littéraire. Sur les douze chapitres, quatre prennent leur envol à partir des textes pauliniens suivants : Ph 2,6-11, 1Co 15,20-28, 2Co 3,18 et 2Co 11,22 à 12,10. La question qu’il soulève est celle du rapport entre fiction (littéraire) et histoire, ou encore entre fiction, vérité et réalité. Plutôt que de les opposer (comme l’irréel au réel, le faux au vrai, etc.), l’auteur souligne que la fiction peut non seulement faire advenir le réel, mais aide aussi à l’éclairer et le comprendre, sinon comment expliquer que Jésus ait utilisé des comparaisons (des œuvres de fiction donc) pour dire la Basileia Theou ? Voici quelques unes des thèses (résumées p. 49) développées par Templeton au long des douze chapitres : (1) Le NT est un ouvrage d’art, et en le lisant nous avons avant tout affaire à de la littérature ; (2) Les évangiles ne sont pas des biographies, ni des histoires, mais des romans historiques ; (3) une métaphore est un roman historique, en plus court. En entendant que l’auteur considère les évangiles comme des romans historiques (historical novels), beaucoup d’exégètes du NT lèveront sans doute les bras au ciel, mais il ne faut pas oublier que l’approche n’est pas ici historique, bien plutôt littéraire ; le NT y est considéré comme fiction, au sens où la fiction crée des modèles d’intelligence pour un réel qui ne se donne pas à voir, qui ne se donne pas immédiatement à déchiffrer, ou qui est encore à venir. Comment dire l’inouï, sinon en faisant comme Jésus, en usant de la comparaison et du paradoxe ? Cela dit, si le NT est un ouvrage d’art, comment se fait-il qu’il n’ait pas été reconnu comme tel pendant des siècles ? Pourquoi l’a-t-on même classé comme Kleinliteratur ? Personnellement j’aurais attendu une discussion avec Auerbach (non cité par Templeton), qui, dans son fameux essai Mimesis, avait déjà examiné ces questions, en montrant que le NT avait en réalité provoqué un glissement des catégories en cours dans le monde d’alors…
4920. Elisabeth Shüssler Fiorenza, bien connue du grand public pour son En mémoire d’elle, poursuit, en Rhétorique et Éthique (une série d’articles publiés en diverses revues), sa réflexion sur les présupposés des sciences bibliques, jusqu’ici, dit-elle, essentiellement soucieuses de reconstruire le passé, mais peu préparées à admettre leurs présupposés socio-culturels et politiques. Car les biblistes (tous des hommes ou presque) ont jusqu’à présent réduit les femmes au silence. Schüssler Fiorenza propose au lecteur une exploration des conditions méthodologiques et des changements épistémologiques susceptibles d’aider les études bibliques à changer de paradigme (dans la compréhension et dans l’ethos de la critique biblique). Et celui qu’elle préconise est rhétorique, le seul capable, selon elle, de favoriser l’émancipation souhaitée. L’ouvrage est divisé en deux parties : une première, théorique (ch. 1-4, p. 17-102), passe en revue les différents paradigmes d’interprétation (autorité, histoire, culture, rhétorique), pour montrer combien l’interprétation biblique a besoin d’émancipation. Jusqu’à présent, les recherches bibliques ont connu un certain nombre de tournants : herméneutique, politique, idéologique (‘idéologie’– il s’agit de ‘critique des idéologies’– serait devenu le maître-mot de la critique biblique des années 90’, tout comme ‘lecteur’avait été celui des années 80’, et ‘texte’ celui des années 70’ ; voir p. 91), éthique enfin ; il appartient à l’approche féministe de mettre au jour les résistances mais aussi les chemins qui mènent à une interprétation non oppressive. On trouvera en cette première partie une série d’affirmations fortes, assez répétitives – car originellement exprimées en des articles de circonstance.
50Sans être des analyses exégétiques très poussées, les quatre chapitres de la deuxième partie (p. 103-194) essaient, à propos de lettres (1Co ; ch. 5, p. 105-128) ou de passages particuliers (Ga 3,28 ; ch. 7, p. 149-173), de montrer l’utilité de l’approche rhétorique biblique pour la vie ecclésiale, pour que croisse la démocratie et le respect des différences (ch.6 et 8, p. 129-148 et 175-194). Méthodologiquement, Schüssler Fiorenza fait une distinction importante, entre la situation rhétorique, inscrite dans le texte, et la situation historique, qui peut être reconstruite à partir des diverses sources existantes (archéologiques, historiques, etc.). Son exégèse ne se veut pas seulement descriptive, elle se propose explicitement de mettre à jour le système ou l’univers symbolique de Paul, marqué par une compréhension patriarcale du pouvoir, ce qu’à propos de 1Co 14,34-38, un énoncé résume assez bien : « la rhétorique de Paul ne vise pas à entretenir l’indépendance, la liberté et le consensus, mais souligne la dépendance (par rapport à lui-même), l’ordre et la décence, aussi bien que la subordination et le silence » (p. 121). Rhétorique de l’oppression ? Non, mais en partie déterminée par le contexte social et culturel. Et le défaut de l’exégèse dite scientifique est d’être souvent seulement descriptive, de présenter comme définitif ou absolu ce que le texte colporte d’historiquement déterminé. L’auteur déplore que cette exégèse (scientifique) ait jusqu’à présent aussi peu réfléchi sur ses présupposés idéologiques. Le but premier du livre est bien de faire prendre conscience aux exégètes des présupposés de lecture qui sont les leurs – elle-même étant tout à fait consciente des siens propres, à savoir l’herméneutique féministe (p. 150). Si certaines de ses affirmations énerveront nombre de collègues par leur excès – le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne fait pas dans la nuance –, il faut reconnaître que ce type de discours ne peut pas ne pas alerter les uns et les autres aux a priori inconscients qui guident leurs lectures. C’est dire son utilité.
III – Paul après Paul et autres
22. L. Padovese (éd.). – VI Simposio di Tarso su S. Paolo Apostolo. Pontificio Ateneo Antoniano, Roma 2000, 390 p.
23. Th. Silverstein– A. Hilhorst. – Apocalypse of Paul. A New Critical Edition of Three Long Latin Versions. (Cahiers d’Orientalisme XXI). P. Cramer, Genève 1997, 212 p. + 54 planches.
24. S. Légasse. – L’antipaulinisme sectaire aux temps des Pères de l’Église. (Cahiers de la Revue Biblique – 47). Gabalda, Paris 2000, 94 p.
25. V. Hovhanessian. – Third Corinthians. Reclaiming for Christian Orthodoxy. (Studies in Biblical Literature 18) Peter Lang, New York 2000, 202 p.
26. J. Cervera i Valis. Esaú, el rebutjat de la comunitat. Tradicions jueves en He 12,16-17 (Collectània Sat pacià 67). Facultat de teologia de Catalunya, Barcelona 1999, 229 p.
5121. Le symposium sur St Paul, qui a désormais lieu tous les deux ans à Tarse, montre l’étendue du travail encore à faire sur l’apôtre, ses écrits, le monde dans lequel il a vécu, l’image qu’ont donnée de lui les premiers siècles, la Wirkungsgeschichte de sa théologie. C’est d’ailleurs en suivant cet ordre que les Actes de ce Vecongrès sont bâtis. Après l’analyse des lettres (p. 5-181), viennent les études (p. 183-299) sur la manière dont Paul a été perçu (maître et compagnon des martyrs dans les églises orientales, maître de vie spirituelle pour Ambroise), sur les commentaires qu’ont suscité ses lettres (celle aux Romains pour St Thomas), et l’utilisation de ses réflexions pour les besoins des Églises au cours des siècles (le paulinisme de Polycarpe de Smyrne, l’utilisation de Ph 1,15-18 dans l’Église ancienne). L’ensemble est couronné par des études sur quelques villes ou régions visitées par Paul (Antioche sur l’Oronte, et la Pisidie) à l’aide de l’historiographie, toujours plus fine en ses analyses, et de l’archéologie (p. 301-366). À l’évidence tous ces champs sont encore pratiquement en friche et feront l’objet de communications ultérieures. Le Symposium de Tarse a du pain sur la planche et les résultats mis à notre disposition nous font désirer qu’il continue patiemment ce travail essentiel pour l’avenir des études pauliniennes.
52Sans affronter des questions théologiques globales, les contributions de la première partie, sur les lettres pauliniennes, ont préféré, à partir d’analyses de passages souvent courts, faire avancer l’exégèse sur des points précis : Rm 1,4 ; la citation de Habacuc 2,4en Rm 1,17 ; Rm 10,5-13 et le rapport de Paul à la Loi ; Rm 12,1-2 ; 1Co 13,4-7 qui, malgré ses ressemblances avec les principes philosophiques d’Épictète, en est très différent ; la composition de la lettre aux Philippiens, dont le modèle serait celui des lettres d’amitié ; les allusions à l’Aqeda ; les discours de Paul en Ac 13-14. Le théologien n’y trouvera sans doute pas de résultats susceptibles de faire évoluer drastiquement sa réflexion ; l’exégète quant à lui pourra glaner ici et là des informations précieuses.
5322. Un an à peine après le VIe symposium qui se déroula à Tarse sur St Paul, L. Padovese en offre les actes : volume assez riche et intéressant, mais impossible à recenser, car les 21 contributions vont dans tous les sens, au point que Paul semble être plutôt devenu un prétexte : on ne trouvera que deux articles sur ses lettres ! Signalons quelques études sur le NT (les Juifs en Lc/Ac ; la figure de Pierre en Jn ; l’ecclésiologie de 1P), sur le monde du NT (2Mac et Qumran), et une dominante patristique : la figure et les lettres de Paul (chez Clément de Rome, Thomas d’Aquin), la figure de Pierre (la predicatio Petri ; Pierre en Jean Chrysostome, en Théodoret de Cyr ; la 1P chez Fulgence de Ruspe ; le culte de Pierre et Paul chez St Paulin de Nole) et d’autres thèmes (les diacres chez Ignace d’Antioche ; le péché contre l’Esprit chez Irénée) ; le volume finit avec deux études d’archéologie (Tarse à l’époque byzantine et Séleucie, sur la mer, à l’ouest d’Antioche de Syrie).
54Les deux articles consacrés aux lettres pauliniennes valent un détour. Le premier, de R. Penna (p. 26-46), sur l’expression to dikaiôma tou nomou de Rm 8,4 ; alors que les traducteurs traduisent dans leur ensemble « le juste réquisit de la Loi », l’auteur propose de rendre par « l’intention justifiante ou vivifiante de la Loi », intention accomplie en nous par l’Esprit, traduction suggestive, mais problématique. Le second article, de U. Vanni (p. 47-62), montre que Ph 3,2 ne vise pas les Juifs, mais les cultes païens (avec leurs pratiques sexuelles et lacérations). De ce foisonnement d’études, le lecteur pourra retirer une impression de dispersion, mais c’est le prix à payer pour une meilleure connaissance et compréhension de l’Église ancienne.
5523. C’est par la version latine (la visio Pauli) que l’apocalypse de Paul fut connue et diffusée en occident. On sait l’influence qu’elle eut sur la littérature, l’art et l’hagiographie médiévales. Les très sérieux Cahiers d’Orientalisme nous en donnent une version critique splendide, de loin supérieure à celles publiées jusqu’à présent, et qui satisfera les connaisseurs les plus difficiles. On ne peut que louer le travail des deux grands spécialistes, Silverstein et Hilhorst, à qui nous devons ce chef d’œuvre.
5624. L’essai de S. Légasse sur l’antipaulinisme des groupes judéo-chrétiens anciens (de la fin du Ier au début du Ve siècle) a dû affronter de nombreux obstacles. Il est en effet difficile d’individualiser ces groupes, que L. caractérise (très justement) dogmatiquement et rituellement (et non par leur origine ethnique), comme composés de Juifs devenus chrétiens, qui ont voulu maintenir un compromis entre leur foi en Jésus et les observances mosaïques, et ont pour cela manifesté leur hostilité à la personne et à l’enseignement de Paul. De fait, nous ne connaissons pas directement ces groupes, mais seulement par des auteurs qui ne les ont pas toujours eux-mêmes connus directement, et ont souvent tendance à transférer sur un groupe les caractéristiques d’un autre, ou peuvent même désigner par le même nom (Ébionites, par ex.) des tendances ou des groupes différents. Le premier groupe hostile étudié est celui des Ébionites (p. 19-28), dont la réalité historique est indéniable, mais dont l’identité, les croyances et les pratiques sont très difficiles à individualiser. Les témoignages patristiques (Irénée, Origène, Eusèbe, Épiphane) s’accordent sur deux points : les Ébionites pratiquaient les observances mosaïques, et ils rejetaient les lettres de Paul. Les chapitres suivants présentent deux écrits attribués à Clément, et qui nous ont été conservés, l’un en latin, les recognitiones (p. 28-39) et l’autre en grec, nommé les homélies (p. 41-51), dont L. dit qu’ils méritent à peine l’étiquette judéo-chrétienne, dans la mesure où la loi mosaïque à laquelle ils renvoient a été drastiquement amputée ou réduite. Les dates limites de la communauté reflétée par les recognitiones seraient entre la fin du Ier siècle et la fin du IVe, et le lieu probable, Pella. Historiquement, les homélies font écho à une situation où le message de Paul s’est définitivement imposé dans l’Église (fin du IIIe ?) ; leur origine est incertaine. Les deux derniers chapitres sont de brèves notes techniques sur l’elchasaïsme et sur quelques cas douteux d’antipaulinisme (p. 53-62). Ces brèves études d’historiographie font le point sur les recherches concernant l’antipaulinisme judéo-chrétien des premiers siècles ; par les passages et les auteurs cités, par sa bibliographie très à jour, il constitue un bon instrument de travail pour les spécialistes.
5725. La correspondance pseudépigraphique entre les responsables de l’Église de Corinthe et Paul a été publiée à nouveaux frais par V. Hovhanessian, qui après avoir utilement fait le point sur les parutions antérieures, propose une interprétation de cet écrit que les historiens des premiers siècles sauront apprécier pour sa rigueur. Dans une longue introduction (p. 1-33), l’auteur donne la liste de tous les manuscrits anciens jusqu’à présent découverts et des études dont ils ont fait l’objet : comme on le sait, 3Co fait partie du canon de nombreuses bibles arméniennes, et c’est surtout par elles que cet écrit fut pendant longtemps connu ; mais d’autres versions du texte ont été découvertes : syriaque (accompagnée d’une traduction arabe), latine, copte, grecque enfin ; cette dernière [10] fut pour la première fois offerte au public par M. Testuz en 1959, et, selon l’avis autorisé de V.H., elle est la plus sûre et la plus proche du texte original (car 3Co fut très certainement d’abord écrit en grec au IIe). Jusque tout récemment, il était admis qu’originellement 3Co aurait fait partie des Actes de Paul, mais la découverte de PBodmer X a fait changer d’avis les spécialistes, qui penchent plutôt aujourd’hui pour son indépendance originelle. Quant au texte lui-même (p. 35-79), dont V.H. fournit une traduction anglaise (p. 76-79), il est plus ou moins long selon les manuscrits et les versions : certains manuscrits ont jusqu’à quatre parties (les deux lettres y sont précédées d’introductions narratives expliquant les circonstances qui ont provoqué la correspondance), mais en PBodmer X il n’y a que deux parties, la lettre des Corinthiens à Paul et sa réponse, et telle fut sans doute la physionomie primitive de 3Co. Le troisième et dernier chapitre (p. 81-131) s’interroge sur les raisons ayant occasionné 3Co et sur sa théologie. Selon V.H., plus que la critique d’une hérésie précise, il faut y voir une réponse au gnosticisme (en pleine élaboration) du IIe, car la théologie des prétendus hérétiques de Corinthe était dualiste : pour eux, la matière était mauvaise, avec pour conséquence, puisque la chair est matérielle, l’impossibilité de ressusciter d’entre les morts ; autre conséquence : le rejet de la naissance de Jésus dans la chair. En conclusion citons H.V. lui-même : « 3Co fut écrite contre les interprétations et modifications gnostiques (du IIe) de l’opposition marcionite des deux dieux et de leurs royaumes s’excluant mutuellement » (p. 131). L’intérêt de 3Co est aussi de montrer que la réflexion sur les écrits de Paul n’a pas complètement cessé au IIe, car si l’apôtre fut vénéré, ses écrits furent peu cités (par Justin et les Pères apologètes) et a fortiori peu commentés.
5826. La thèse J. Cervera i Valis sur Hb 12,16-17, est écrite en catalan ; si j’ai compris la thèse, je n’en ai pas saisi toutes les articulations, à cause de la langue, que je ne domine pas bien. Voici ce que j’en ai retenu. À partir d’une analyse de certains passages où pointe la menace (Hb 6,4-8 et 10,29-31), l’auteur pense qu’il y avait, dans la communauté, des hérétiques rejetant la filiation divine du Christ et la valeur salvifique de la croix (ch. 2). Il étudie ensuite l’expression pornos è bebèlos de Hb 12, 16 et pense qu’il s’agit d’un hendiadis renvoyant à la tradition du pasûl [11], tradition qu’on retrouve dans les targums de Gn 49 et Dt 6,4, et que l’auteur d’Hb adapte et applique aux hérétiques de la communauté (ch. 3). Il passe ensuite à une expression de Hb 12,17, metanoias gar topon, dont il dégage aussi l’arrière-fond à partir des targums de Gn 35,22 et 49,3-4 : comme Ruben le pécheur, les hérétiques ne sont pas dignes d’être membres de la communauté ; leur exclusion montre qu’ils n’ont pas été élus (ch. 4). L’union de ces deux traditions (celle du pasûl et celle de Ruben pécheur) en Hb 12,16-17 n’est pas accidentelle : la conception de l’élection, exprimée en termes de fils choisis vs. fils rejetés, est la réponse qu’Hb 12,16-17 donne aux problèmes de la communauté. Le passage montre en tout cas l’influence de la synagogue, et du targum en particulier, dans l’élaboration des textes néotestamentaires. Si Hb 12,16-17 semble effectivement reprendre une interprétation juive de la Genèse, les spécialistes n’admettront peut-être pas tous l’existence des deux traditions ; mais, comme souvent en ces études d’histoire de la tradition, on ne peut aller au-delà des présomptions, ce qui n’entame en rien l’intérêt, voire l’utilité d’une telle recherche.
Notes
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[1]
Les auteurs acceptent de plus en plus ce sens. Voir l’état de la question par R.W. Yarbrough, « Sexual Gratification in 1 Thess 4 : 1-8 », Trinity Journal 20 NS (1999) 220-221.
-
[2]
Voir E.P. Sanders, Paul and Palestinian Judaism, publié en 1977 et de nombreuses fois discuté dans le bulletin paulinien de cette revue.
-
[3]
Outre Israël et la Loi dans la lettre aux Romains, Cerf, Paris 1998, voir « Romains 2, sa cohérence et sa fonction », Bib 77 (1996) 153-177.
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[4]
On pourra consulter mon essai, Israël et la Loi dans la lettre aux Romains, Cerf, Paris 1998, en particulier le chapitre I consacré aux problèmes posés par la rhétorique paulinienne.
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[5]
L’ordre chronologique suivi par Barbaglio est le suivant : 1Th, 1Co, 2Co, Ph, Phlm, Ga, Rm.
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[6]
Pour plus d’informations, je me permets de renvoyer à mon commentaire sur Éphésiens, Gabalda, Paris, 2001.
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[7]
Si la Vulgate traduit par religio le terme grec thrèskeia de Col 2,23, qui renvoie à des pratiques ascétiques et rituelles, beaucoup font remarquer que Col est pseudépigraphique.
-
[8]
Le shaman n’est ni un mage ni un sorcier, mais une personne qui a reçu le don de maîtriser les esprits, et qui pour cela même, a le pouvoir d’aider, de guérir, de chasser les esprits mauvais, etc.
-
[9]
Pour Rm 9,25-26 et 2Co 6,16 qui semblent faire exception, voir J.-N. Aletti, Israël et la Loi dans la lettre aux Romains, Le Cerf, Paris 1998.
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[10]
Il s’agit du papyrus Bodmer X-XII, du IIIe, qui, outre 3Co, contient aussi La nativité de Marie, la onzième Ode de Salomon, et un fragment hymnique.
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[11]
Terme qui connote ka défectuosité, l’invalidité ou la disqualification (et donc le rejet) de quelque chose ou de quelqu’un.