Notes
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[1]
« Hopkins impose [une] vision de l’inconnu dans le connu, de l’altérité dans le même, par la démesure et en même temps l’extrême justesse de sa langue », selon Michael Edwards, « Hopkins autrement dit », Nunc, juin 2012, dossier « G. M. Hopkins » en hommage à René Gallet, p. 92-96.
-
[2]
Philippe Jaccottet, Une transaction secrète, Paris, Gallimard, 1987, p. 288-295, 307, 312-313. Voir aussi La Semaison, Paris, Gallimard, 1983, p. 51.
-
[3]
Ou encore : « Oui, je gis dans la terre et je remue les lèvres / Mais les enfants sauront par cœur ce que je dis ». Ossip Mandelstam, Tristia et autres poèmes, Paris, Gallimard (coll. « Poésie »), 1975-1982, p. 184, 193, 215.
-
[4]
« L’Oxford de Duns Scot », dans Poèmes, accompagnés de proses et de dessins, trad. Pierre Leyris, Paris, Éd. du Seuil, 1980 (PL), p. 101. Deux poèmes de jeunesse (1865) exprimaient déjà cette gratitude envers l’alma mater.
-
[5]
G. M. Hopkins, Poèmes, trad. Georges Ritz, Paris, Aubier, 1980, p. 81. Voir aussi son étude : Le Poète G. M. Hopkins, Paris, 1963.
-
[6]
Lettre à Baillie du 17 mai 1886, dans Carnets, Journal, Lettres [CL], traduits et présentés par Hélène Bokanowski et Louis-René des Forêts, Bordeaux, W. Blake and Co., 1997, p. 238 (réédition du vol. 10/18 de 1976).
-
[7]
Notation des traducteurs cités n. 6, p. 10. Plus loin, en remarquant la force de ces pulsions dans les années 1862-1866, ils insistent sur sa « difficulté d’être, de renoncer à la vie charnelle pour s’unir à Dieu », ainsi que sur son sentiment de culpabilité au moindre élan (p. 29).
-
[8]
« Harry au brabant », G. M. Hopkins, Grandeur de Dieu, poèmes traduits et présentés par Jean Mambrino (PM), Paris, Arfuyen, 2005, p. 85 (Reprise, revue et augmentée, des éditions de Granit, 1980, avec une préface de Kathleen Raine, et de l’édition NOUS). On peut voir aussi : « La perte de l’Eurydice » (1878), str. 19-20, « La première communion du clairon » (1879), « Sacrifice du matin, de midi et du soir » (1879), « À quoi sert la beauté mortelle » (1885), et la lettre à Bridges de 1879 : « Je crois que personne ne peut admirer plus que moi la beauté du corps et c’est bien sûr un motif de satisfaction de découvrir la beauté dans un ami ou un ami empreint de beauté. Mais ce type de beauté est dangereux. » Louis-René des Forêts pensait que les minutieuses descriptions des journaux pourraient bien être une manière de fuir la tentation, en même temps qu’elles traduisent sa passion de la beauté, CL, p. 77, notamment.
-
[9]
Tête de file des « ritualistes » anglicans.
-
[10]
CL, p. 44 ; il s’agit d’une citation d’un Carnet en date du 6 novembre 1865.
-
[11]
En effet, il produira encore trois poèmes, mais les Carnets s’arrêtent à cette date, suivis par un journal plus philosophique et personnel, que l’on n’a conservé que jusqu’en 1875.
-
[12]
CL, p. 203 : lettre du 5 octobre 1878 au Rd. W. Dixon. Les poèmes de jeunesse détruits ont pu être retrouvés dans ses carnets et journaux.
-
[13]
« Le naufrage du Deutschland », PL, p. 59-93. Voir aussi la traduction de Bruno Gaurier, Thonon, Alidades, 1997.
-
[14]
Avec très peu de poèmes écrits en certaines années, comme de 1880 à 1884 et de 1886 à 1888. Le corpus hopkinsien n’a commencé d’être publié que vingt-neuf ans après la mort du poète par son ami Robert Bridges. Il contient soixante-seize poèmes, dont soixante-neuf ont été traduits en français. L’édition anglaise est celle des Poems, éd. W. H. Gardner et N. H. Mackensie, Londres, 1967 (4e éd. définitive). On doit au même Gardner la première étude approfondie, parue en 1946. Sur un parallèle entre Hopkins et Hans Urs von Balthasar, expliquant pour une part l’intérêt de celui-ci pour le poète, voir l’étude de Jean-Baptiste Sèbe, dans Nunc, op. cit., p. 136-142.
-
[15]
Lettre du 2 novembre 1881, PL, p. 161. C’est ainsi qu’il cessera d’écrire pendant son « troisième an », lettre à Bridges du 16 septembre 1881, dans G. M. Hopkins, En rythme bondissant, lettres choisies, trad. René Gallet [LG], Paris, L’Obsidienne, 1989, p. 26. Du même : G. M. Hopkins, De l’origine de la beauté, suivi de poèmes et d’écrits, trad. René Gallet et Jean-Pierre Audigier, Seyssel, Comp’Act, 1989 [TG].
-
[16]
Lettre du 1er décembre 1881, PL, p. 163-164. En 1878, il se méfiait déjà de la gloire : lettre du 13 juin au même, CL, p. 198.
-
[17]
Ville : lettre à Bridges, citée n. 15 ; opinion, censure : lettre à W. Dixon des 24 et 31 octobre 1879, CL, p. 207-209 ; fatigue, anxiété : lettre à Dixon du 7 août 1886, LG, p. 67.
-
[18]
Souffrance : lettre à Bridges du 1er septembre 1885 ; CL, p. 217. Valeur de l’œuvre, lettre citée PM, p. 107. Mais voir R. Gallet, G. M. Hopkins ou l’excès de présence [RG], Paris, Fac, 1984, p. 37.
-
[19]
Il existe nombre de textes évoquant ces motions et lumières intimes.
-
[20]
Sous-entendu : par moi même ; lettre à W. Dixon du 1er décembre 1881, PL, p. 163.
-
[21]
Voir notes 4 et 8 ci-dessus.
-
[22]
Strophe I, PL, p. 59. Ce début évoque Jr 20, 7.
-
[23]
Dans PM1 p. 10-12.
-
[24]
Strophe IV, PL, p. 63. Chose amusante, dans la Bible on condamne ceux qui envoient de la main un baiser aux astres (idolâtrie) : Jb 31, 2-28.
-
[25]
« Hourras dans la moisson », PM, p. 23. Je ne vois pas ici de métaphores, à la différence de « Nuit d’étoiles » (PL, p. 95) où un nombre inouï de ces figures (in absentia) sont convoquées pour inviter à regarder les étoiles, le tout devenant à la fin une vaste métaphore (in praesentia) du Royaume des Cieux.
-
[26]
« Beauté piolée », PL, p. 99. TG, p. 126 : finitude de l’homme, extériorité de Dieu. Dieu intimement présent aux choses, mais ne s’identifiant pas à elles en raison de son infinité, TG p. 129.
-
[27]
« La perte de l’Eurydice », PM, p. 29-39.
-
[28]
Dans PM1, p. 24sq.
-
[29]
Strophes I-IV, PL, 59-63. Mais on peut se réfugier dans l’hostie, s’assurer sur l’Évangile.
-
[30]
Strophes VI à X, PL, p. 65-69.
-
[31]
Un Moloch, dit Kathleen Raine, op. cit.
-
[32]
Strophes XII, XVII-XXII, XXVIII, XXXII, PL, p. 71-91. La religieuse intercédera pour nous, strophe XXXV, ibid., p. 93.
-
[33]
PL, p. 97. C’est la description de la kénose en Ph 5, 2 et sq. La dédicace, « Au Christ, notre Seigneur », a peut-être été ajoutée ultérieurement.
-
[34]
« La lanterne hors les murs » (1877), PM, p. 27 ; « Non, désespoir […] (1885), PL, p. 137 ; « Printemps » (1877), PM, p. 15 ; « Je sens le chu du noir » (1885), PL, p. 143.
-
[35]
Voir PL, p. 27 ; TG, p. 83-87 ; PL, p. 129.
-
[36]
PL, p. 91.
-
[37]
« Dans la vallée de l’Elwy » (1877), PM, p. 17 ; « Le martin-pêcheur flambe », (1881), PL, p. 127 ; « Le soldat » (1885), PM, p. 75.
-
[38]
PL, p. 79 ; PM, p. 37-39, bien que l’enfer ne connaisse pas le rachat ; PL, p. 103 ; lettre du 9 juin 1883, LG, p. 38-39 ; lettre du 5 janvier 1883, PL, p. 174.
-
[39]
Voir « Henry Purcell », PL, p. 103 ; « L’alouette encagée », PM, p. 25 ; « Le front du berger », PM, p. 95. Mais il y a aussi la résurrection : « Que la nature est un feu héraclitéen », PL, p. 145.
-
[40]
Par exemple : « Le Magnificat de mai », PM, p. 41 ; « La Sainte Vierge comparée à l’air que nous respirons », PM, p. 61.
-
[41]
Lettre à Bridges du 16 juin 1882, LG, p. 172-173. Voir déjà les poèmes de jeunesse : « L’aire et le pressoir » (1864) et « La maison à mi-côte » (1865), PR, p. 89 et 101.
-
[42]
PM, p. 51. Voir lettre à Bridges, ibid., p. 105 : « Je trouve maintenant dans mon expérience professionnelle beaucoup de sujets de poèmes ».
-
[43]
PM, p. 53. Mais ils doivent être offerts à Dieu avant que l’enfer vif et furtif ne les chipe.
-
[44]
PM, p. 55 ; PR, p. 165 ; PL, p. 135. Dans « Sur le portrait de deux jeunes gens » (1886, TG, p. 113-114), l’admiration cède vite à une inquiétude sur ce que seront leur soutien, l’orientation de leur liberté, leur destin.
-
[45]
PL, p. 139. Voir la lettre à Bridges du 10 février 1888, PL, p. 178-179. Et déjà, sur l’injustice sociale, la lettre au même du 2 août 1871, PL, p. 153-155.
-
[46]
Poème : PM, p. 53 ; lettre du 3 février 1883, PL, p. 176 ; Poème : TG, p. 97-99.
-
[47]
Ainsi que du souci ruskinien de rendre aussi fidèlement que possible les nuances de lumière, de couleur, et la diversité des formes dans la nature. Carnets et Journal, voir TG, PL et CL. Sur le rapport de Hopkins à la nature, voir l’étude de Michèle Draper dans Nunc, op. cit., p. 112-119.
-
[48]
CL, 1871, p. 125. On trouve aussi des listes de mots avec leurs différences subtiles de sens, leur son, leur étymologie, etc. : ce souci jouera un rôle essentiel dans la poésie à venir.
-
[49]
« L’avenir probable de la métaphysique », TG, p. 53-58.
-
[50]
« De l’origine de la beauté », TG, p. 11-52.
-
[51]
« Parménide » », 1868, TG, p. 59 : citation de cet essai et commentaire de K. Raine, PM1, p. 17. Elle ajoute : « C’est au creux de l’existence absolue et toujours nouvelle des choses que Hopkins, a connu et transmet cette joie particulière, si intense et si vive que nous ne trouvons chez aucun autre poète. »
-
[52]
Journal (1868), RG, p. 54.
-
[53]
Je combine deux passages de la retraite de 1881, cités par RG, p. 52.
-
[54]
RG, p. 45.
-
[55]
Faisant allusion au mot landscape, paysage.
-
[56]
Voir RG, chap. 2 et PL, p. 13.
-
[57]
Journal (1872), cit. RG, p. 53.
-
[58]
Plus loin : « La poésie consiste en une parole qui prolonge et réitère son inscape ». Lettre à Bridges, citée dans PL, p. 13. Lettre d’août 1886 à Dixon, LG, p. 70, à propos de Wordsworth. Citation du Journal (1873-1874), RG, p. 51-52. Je ne connais pas de texte où Hopkins dise explicitement que l’inscape du poème se réfère à celui du paysage et tente de le traduire en mots.
-
[59]
Journal, 12 déc. 1872, TG, p. 78 ; ibid., 19 juillet, p. 68.
-
[60]
RG, p. 63 ; Journal, 1895, RG, p. 55 ; Journal, 1867, RG, p. 56 ; Parménide, TG, p. 59.
-
[61]
Cité par RG, p. 165. « Henry Purcell », PL, p. 103.
-
[62]
Voir RG, p. 59-60 ; PL, p. 127 ; PL, p. 102.
-
[63]
Lettre à Bridges du 26 mai 1879, PL, p. 159-160.
-
[64]
Lettre à Dixon du 5 octobre 1878, CL, p. 203-205 et lettre à Everard du 5 novembre 1885, LG, p. 53. Voir aussi la lettre à Bridges du 18 octobre 1882, LG, p. 29-31, et RG, p. 152, PR, p. 24 ; également, dans Nunc, les articles d’Adrian Grafe (p. 60-61), de Michael Edwards (p. 92) et l’étude de E. T. Merriman.
-
[65]
Citation RG, p. 68.
-
[66]
PL, p. 19sq et, pour É. Gilson, p. 187.
-
[67]
CL, p. 137 (1872). Voir aussi le poème « L’Oxford de Duns Scot » (1879) où le franciscain est dit « Démêleur du réel le plus fin grain ; Sondeur / inégalé », PL, p. 101.
-
[68]
Journal, PL, p. 50 (17 mai) ; Journal (24 septembre), CL, p. 122.
-
[69]
RG, p. 83 ; PL, p. 99 ; RG, p. 84 ; RG, p. 129.
-
[70]
Cité par RG, p. 98. Il s’est incarné en vue de « rendre gloire à Dieu par le sacrifice », ce qui n’est peut-être pas tout à fait scotiste.
-
[71]
PM, p. 11. Yves Bonnefoy, L’Enseignement et l’exemple de Leopardi, Bordeaux, W. Blake and Co., 2001, p. 19-24.
-
[72]
PM, p. 23. Comme il y a dans le poème une mention explicite du Christ, on pourrait discuter la présence dans cette série, mais l’expérience que je retiens y entre bien.
-
[73]
PM, p. 77. Il n’y a pas de raison d’y lire, comme Georges Ritz, une allégorie de l’invitation adressée à l’âme de rejoindre Dieu.
-
[74]
PM, p. 89-91.
-
[75]
PM, « Grandeur de Dieu », p. 13 ; PM, « Printemps » (1877), p. 15 ; PM, « La mer et l’alouette » (1877), p. 19 ; PM, (1879), p. 47-49 ; PM, « Inversnaid », p. 57 ; PM, « Ribblesdale » (1882), p. 59.
-
[76]
Leur ordre chronologique n’est pas sûr. Georges Ritz propose un ordre comportant une aggravation puis une remontée, qui n’est qu’hypothèse.
-
[77]
PL, p. 189 ; CL, p. 218.
-
[78]
CL, p. 233-235.
-
[79]
PM1, p. 34 ; PL, p. 23.
-
[80]
Sur la façon dont Leopardi, de son côté, affronte le mal sans remède par la seule beauté du poème, voir Giuseppe Savoca, Giacomo Leopardi, Rome, Marzorati, 1988.
-
[81]
PL, p. 137 (1885) Michael Edwards : « Hopkins autrement dit », dans Nunc, op. cit., p. 92-96.
-
[82]
PL, p. 141 (1889) « Paraître l’étranger ».
-
[83]
PL, p. 143 (1885).
-
[84]
PM, p. 79 (1885). La mention d’un soir très noir, avec détresse, échec et naufrage, qui « rend la mort désirable » se retrouve dans le poème inachevé « le temps est au crépuscule » (1886), mais ici il y a un sursaut car le monde est en moi et je puis, par ma volonté, déraciner au moins ici le mal.
-
[85]
PM, p. 81 (1885). PL, p. 105 : « Quand vas-tu, paix, ramier des bois […] ». Au sujet de ce poème, Pierre Leyris m’écrivait en 1981 : « Hopkins ne perd jamais de vue le wooddove qui, comme le windhover, comme le starry-night, est sûrement, à titre de signe perçu dans la nature, le germe de son effusion à la fois méditative et lyrique. »
-
[86]
PM, p. 83 (1885).
-
[87]
PM, p. 95 (1889).
-
[88]
PM, p. 97 (1889) ; PM, p. 93 (1888).
-
[89]
TG, « À R. B. », p. 119.
1Pour aborder cette question, il faut se souvenir de la différence qui existe entre les représentations d’ordre théologique inscrites délibérément dans une œuvre poétique (sa théologie poétique) et les perceptions religieuses sous-jacentes à la poétique même : formes, figures, rythmes, options esthétiques essentielles (sa poétique théologique) [1]. Se souvenir également de ceci : à côté de l’expérience spirituelle chrétienne, qui peut s’exprimer en poésie, il en existe une autre proprement poétique, distincte de celle-là et consciente d’elle-même au moins depuis la fin du xviiie siècle, avec Hölderlin, Keats, Leopardi... Celle-ci peut se substituer à la première et revendiquer sa succession, mais aussi l’accueillir et y introduire ses propres apports. Si l’on pense à l’affrontement du mal, par exemple, la poésie témoigne d’une expérience du monde qui ne se ramène pas à celle de la souffrance et du non-sens. Ce que le locuteur poétique découvre dans sa relation à la nature ou à autrui et la musique même du poème, attestant un rapport particulier au langage, contrebalancent l’un et l’autre le poids du mal, affirment discrètement que la vie est possible ici et maintenant, comme l’écrit Philippe Jaccottet, notamment au sujet de Hölderlin [2], ou encore Yves Bonnefoy à propos de Leopardi, nous le verrons plus loin. On pourrait même dire que par la mise en ordre du monde dans le poème, grâce à la beauté des sons et au rythme, celui qui écrit opère une victoire fragile et pourtant infiniment précieuse sur le désordre et le mal, qu’il ne peut ignorer, si pessimiste soit-il. « Les fleurs sont immortelles. Le ciel est intact. / Et ce qui sera n’est qu’une promesse », écrit Ossip Mandelstam à Voronej, l’année de sa mort [3]. Chez le poète croyant, cette veine pourra se lier à une autre, qui est de toujours : l’écriture d’un poème qui, en tant que cri implicitement confiant, apporte son apaisement et atteste une réponse dans sa possibilité même : « Ce “mon Dieu !” que tu cries est Mon “Me voici” » faisait dire à Dieu un soufi persan.
2La chronologie de Gerard Manley Hopkins est simple. Il naît en 1844, entre à Oxford en 1863 et s’y plaît ; un poème de 1879 le dira, associant ce souvenir à celui de sa découverte de Duns Scot qui « inclina son esprit à la paix » [4]. Auparavant, il avait écrit un curieux poème néo-païen, « Apparition des sirènes » (1862), que l’on ne peut s’empêcher de rapprocher de l’extraordinaire nouvelle « La sirène » de Tomasi di Lampedusa [5]. En octobre 1866, il est reçu dans l’Église catholique, lieu de certitude, par Newman, et en mai 1868 il décide de devenir jésuite. Entre cette date et sa mort due à une typhoïde, en 1889, ce seront vingt-et-un ans de vie religieuse, consacrée surtout à l’enseignement, non sans des temps de prédication et de séjour dans des paroisses pauvres. Quelques mots concernant sa personnalité. Homme remarquablement intelligent, poète génial, avec une voix, une langue, une poétique tout à fait originales, Hopkins fut un être tourmenté, malheureux : sensible, angoissé, « bourru et ombrageux » a dit Yeats qui, jeune, l’a rencontré, de tout temps scrupuleux, plus tard en proie à un sentiment d’échec. « La mélancolie à laquelle j’ai été sujet toute ma vie est devenue ces dernières années, non à vrai dire plus violente dans ses accès, mais plus étale, constante et paralysante », écrit-il en 1885 [6]. Il y a plus : son amour de la beauté, et particulièrement des visages, risque de l’entraîner sur la pente du péché, crainte pouvant devenir obsédante. Il est à la recherche de contraintes afin que la volonté vainque les pulsions [7]. En lisant certains poèmes décrivant candidement et longuement la beauté du corps masculin – notamment « Harry au brabant » (1887) qui fait invinciblement penser aux proses et au journal de Gustave Roud – on peut deviner vers où eût tendu son désir ; une lettre montre qu’il en mesurait le danger [8]. Le volontarisme de la formation jésuite du temps a pu durcir sa rigueur, mais il faut souligner combien il a trouvé de compréhension et d’aide dans la Compagnie. On ne peut douter que ces traits aient bridé son génie poétique, et son attitude à cet égard doit nous retenir un moment.
3En 1865, au moment de sa confession à Pusey [9], il écrit : « Par la grâce de Dieu, j’ai résolu de renoncer à toute beauté jusqu’à ce que d’En-Haut permission me soit accordée. » [10]. Ce vœu ne signifiait pas forcément à cette date le renoncement à toute écriture de poésie [11], mais il écrira à Watson Dixon en 1878 qu’au moment de se faire jésuite, il a brûlé tout ce qu’il avait produit jusque là et, « tenant cette activité pour incompatible avec mon état, j’ai pris la décision de ne plus écrire, à moins que ce ne fût à la demande de mes supérieurs » [12]. C’est ce qui survint en 1876 lors du naufrage du Deustchland : une rencontre entre son émotion devant le drame et le souhait de son supérieur. Il dira au Christ : « Hors de moi, tout seul ici tu fais jaillir des mots » [13]. Ainsi recommença une production qui durera de 1875 à sa mort [14]. Mais non sans scrupules, comme en témoigne une lettre à Dixon datant de 1881 : étant donné la hauteur de sa vocation, il se demande s’il ne sera pas sévèrement jugé par Dieu pour la répugnance montrée dans l’accomplissement de son sacrifice, ses réserves intimes, les regards jetés en arrière, la perte de temps quand celui-ci est consacré à la poésie [15]. En tout cas, lui dira-t-il un mois plus tard, il n’entend pas publier ses poèmes en raison du risque d’attirer la renommée individuelle qui représente pour saint Ignace « le plus dangereux et le plus aveuglant de tous les attraits », d’où le petit nombre de poètes et d’artistes au sein d’une société accordant tant de valeur à la culture [16]. Il faut ajouter à ces réticences quelques autres difficultés qui s’opposent soit à l’écriture, comme le séjour dans une grande ville, avec « l’esprit fatigué et une anxiété continuelle », soit à la publication, comme la crainte du jugement de ses confrères et le problème de la censure [17]. Et pourtant, quelle souffrance de n’avoir pu produire une œuvre, fût-elle enterrée à jamais, et aussi quel sens de la valeur du peu qu’il est parvenu à faire : à propos d’une de ses œuvres, il écrit à Bridges : « Si le monde entier était d’accord pour la condamner ou la trouver vide de sens, je leur dirais seulement de laisser passer une génération et de venir me retrouver ! » [18]. Finalement, convaincu que si un homme s’est consacré au service de Dieu il reçoit une direction spéciale, notamment par des lumières particulières, Hopkins s’en remettra à cette direction pour sa poésie [19] ; si son correspondant apprécie sa poésie, le Christ le fait bien davantage et, « s’il choisit de faire usage de ce que je laisse à sa disposition, il le fait avec une fidélité et un succès auxquels je ne saurais prétendre » [20].
4Abordons maintenant la théologie explicite dans l’œuvre de Hopkins. La plupart du temps, nous pourrons faire usage des admirables traductions de Pierre Leyris et de Jean Mambrino [21]. À plusieurs égards, cette théologie est celle des catholiques de son temps ; à d’autres, celle de la sensibilité romantique à l’immanence de Dieu dans la nature. Les poèmes de jeunesse (1864-1866) ne sont pas encore marqués par sa poétique originale, mais les quatre chefs sous lesquels on peut ramener leurs orientations religieuses reviendront dans l’œuvre ultérieure : la souffrance ou l’ascèse, condition de la paix ; la difficulté d’effacer le péché ; les dons de Dieu et l’effusion de la gratitude ; le silence de Dieu malgré d’instants appels. C’est à partir du « Naufrage du Deutschland » (1875) que tout change : la forme, avec le primat du son et du rythme ; une tension intense témoignant de la force de l’expérience et, avec la poétique nouvelle, une autre face de certaines des thèses théologiques, que le lecteur actuel peut alors s’approprier en dépit de réticences.
5En commençant de lire « Le naufrage », on est frappé par l’intensité et la noblesse d’une confession de foi au sein de l’épreuve personnelle, mais aussi par l’immédiateté de la présence de Dieu dans la beauté et le terrible du monde, notamment les événements cosmiques : « Ô toi mon maîtriseur – / Dieu ! donneur de souffle et de pain ; / Fibre du monde, mouvance des mers » [22]. Kathleen Raine le note : à la suite du culte de la nature visible des « lakistes », où Wordsworth resitue les humains, Hopkins, lui, replace la nature dans le contexte de l’homme et dans une vision chrétienne. Mais dans ce poème s’y ajoute l’aspect terrible de la nature qui est autant acte de Dieu que ne l’est sa beauté, avec en plus l’idéal sacrificiel de la contre-réforme [23]. Acte de Dieu ? Il faudrait dire davantage : une théophanie dans les phénomènes du monde, non déduite en vue d’une preuve mais perçue sensiblement : « J’adresse un baiser / aux étoiles, à l’exquis-épars / Clair stellaire, où je le distingue ; / et je rayonne et j’exulte dans le tonnerre » [24]. Et, dans un autre poème, l’enthousiasme devant la beauté de la nature et de la moisson, où l’on peut « glaner notre Sauveur », lui qui place « Dans la colline drapée d’azur son épaule porte-monde » [25]. N’est-ce pas là une vision qui est aussi décalée par rapport à l’idée biblique de la séparation créationnelle qu’elle ignore superbement l’impossibilité kantienne de saisir dans les phénomènes une origine transcendante ? Non un panthéisme, certes, car les choses ne sont pas divines et Dieu reste transcendant : « Tout jaillit de celui dont la beauté ne change » [26].
6Je reviens au littéralisme de la présence de Dieu, ou en tout cas de sa volonté, dans l’événement cosmique, par exemple dans l’orage terrifiant du « Naufrage », comme dans celui où périt l’« Eurydice » (1878). De ce dernier, il est dit qu’il s’agit de « Ton affaire, Seigneur ! » et que si quelqu’un est sauvé, c’est par Son vouloir (et une bouée). Conclusion : « […] devant Christ, Seigneur du tonnerre / Prosternez-vous, baisez terre plus bas que terre » [27]. On doit souligner un aspect original, christologique, de la présence de Dieu dans le cosmos et ses événements. Kathleen Raine remarque que l’homme éternel ou le Deus absconditus dans l’univers de Swedenborg et de Blake devient chez Hopkins le Sauveur dont le monde est le corps. Issue ou non de son « scotisme », cette vision qui a des racines dans les épîtres pauliniennes de la captivité n’est pas sans lui faire penser à Pierre Teilhard de Chardin [28].
7Cette figure du Christ glorieux est moins répandue dans la poésie de Hopkins que celle du Christ souffrant, avec son corrélat : le sacrifice comme fondement de l’existence chrétienne. Si, poursuivant notre lecture du « Naufrage », nous nous demandons à quelle fin Dieu inflige cette terreur, cette épouvante, cette pâmoison d’un cœur que Dieu déchire, ce « piétinement par son terrible haut », ce passage au sas d’un sablier (et là on reconnaît son doigt, on Le trouve) [29], la réponse est celle-ci : afin que les êtres humains soient entraînés dans la souffrance du Christ, pour la fin de leurs fautes, pour une merci à laquelle répondra l’adoration [30]. Donc 1. Dieu est l’auteur de la souffrance [31]. 2. Celle du Christ est nécessaire. 3. Pour les croyants : invitation au dolorisme, à l’héroïsme voire à une auto-destruction ; valeur suprême du martyre. Évoquant le naufrage lui-même, la seconde partie du poème insiste : ce n’est pas par défaut de bénédiction et de miséricorde que le désastre se produit, et le cri confiant de la sœur en témoigne (elle qui pourtant, allemande, est issue de Luther, ce Caïn, « la bête des forêts farouches »). Le Maître-martyr évalue le poids des cinq religieuses qui portent le chiffre du Christ souffrant, ces cinq sacrifiées qu’il s’est choisies, qu’il ravit, attire dans sa Passion, marque d’une marque sanglante. Mais il remédiera au mal en les prenant, lui qui trône derrière la mort [32].
8Quelques textes parallèles, quelques nuances, quelques directions différentes. Dans le merveilleux poème du « Faucon » (1877), l’oiseau, avec sa superbe montée, son vol, semble figurer le Christ, et sa chute, plus belle encore, la Passion. En effet, s’il fond, ce n’est pas sur une proie – comme on pourrait s’y attendre –, mais c’est « Choir pour se déchirer, pour s’entailler d’or vermillon » [33]. Or c’est bien ce sang qui coule non seulement dans « la marque sanglante » du « Naufrage », mais partout où ce Christ ami, « tendre, traque » les êtres ; appesantit, dévore, éventre, foule ; se saisit du cœur innocent, son butin, avant qu’il ne pèche ; éprouve selon la loi propre à Dieu [34] et, bien sûr, dans tous les cas de martyre [35]. Parfois, l’on entend une voix qui peut sembler plus juste et plus profonde. Dans la strophe XXXIII du « Naufrage », on apprend que « l’amour se glisse / plus bas que mort et ténèbres », le Christ du Père compatissant visitant et attirant dans sa passion et sa résurrection « Des parqués-en-prison, des pénitents-du-dernier-souffle » [36]. Car le Dieu de bonté, dit un autre poème, comble les manques de sa créature. Et surtout le Christ vit en ses fidèles de façon positive : comme le martin-pêcheur, chaque chose accomplit ce qui est en elle, et le juste agit selon ce qu’il est aux yeux de Dieu : il est Christ qui se joue à nouveau « en mille et mille places » afin de complaire au Père en ses membres. Ainsi il se penche vers l’homme qui fait de son mieux et le bénit car il lui ressemble [37].
9Il n’est pas jusqu’aux poèmes si durs sur les non-catholiques qui, à l’exception du « Naufrage », ne s’accompagnent d’une prière pour eux, d’un espoir les concernant : ainsi des matelots anglicans, donc « sans-Christ, roulés à la ruine », de « La perte de l’Eurydice », pour qui la prière « cherchera éternelle pitié ». Purcell, tant aimé, afin que « soit rapportée / la sentence nominale qui lourd pèse sur lui, en l’hérésie rôlé ». Deux belles lettres, l’une à sa sœur Grace qui a perdu son mari : Dieu sait ce qu’il fait et, ayant dit la messe pour lui, Hopkins a ressenti une motion divine rassurante. L’autre à Bridges exprimant l’espoir que pour Purcell encore soit rapportée « la lourde condamnation qui pèse […] sur lui pour avoir été hors de la véritable Église », et ce en raison de ses bonnes intentions [38].
10Il n’est pas nécessaire d’insister sur quelques sujets tels que l’accent mis sur l’âme séparée et le corps prison [39], une théologie mariale maximaliste [40], une conception stupéfiante de l’eucharistie : la Fête-Dieu est la plus grande de toutes, car les autres ne sont que des anniversaires, tandis qu’en celle-ci tout le mystère est représenté, de la victime qui va au supplice jusqu’à son retour à Dieu [41]. Achevons plutôt cette partie en évoquant deux autres correctifs apportés aux orientations majeures. Le premier est celui-ci : à côté de la vision assez terrifiante d’une humanité enfermée dans le péché et toujours menacée d’y retomber malgré la grâce, Hopkins manifeste parfois – en particulier, de son propre aveu, à partir de son expérience pastorale (1878-1881) et du contact qu’elle lui permet d’avoir avec des gens simples – un regard plus attentif au bien qui est en eux, mais non sans inquiétude. Ainsi l’éloge d’enfants ravissants et d’un cœur courtois, dans « Le généreux cœur » (1879) [42] ; la beauté, les dons du corps et de l’esprit selon les âges de la vie sont merveille, dans « Sacrifice du matin et du soir » (1879) [43] ; l’ode funèbre de Félix Randall, le maréchal-ferrant converti, souligne avec amour sa force, ses larmes qui ont touché le cœur du poète ; l’amour entre deux frères montre que la nature, ordinairement mauvaise, peut être bonne : dans « Frères » (1881) ; « À quoi sert la beauté mortelle ? » (1885) : la beauté physique sert à attiser le zèle : on l’accueille comme un don du ciel et l’on souhaite à autrui la grâce, beauté suprême [44]. J’ajoute que cette même expérience pastorale est à l’origine d’un poème allégorique, « La guirlande de Tom », sur les chômeurs (1887). Hopkins, après s’en être pris aux « imbéciles de radicaux niveleurs », selon une lettre à Bridges commentant le poème, attaque les structures sociales de droit divin et stigmatise l’exclusion d’un grand nombre, tel un roman de Dickens [45].
11Voici le second correctif : dans le poème « Sacrifice du matin et du soir » de 1879, que j’ai cité, les dons du corps et de l’esprit sont distingués les uns des autres mais non comparés entre eux. Dans une lettre à Bridges de 1883, une hiérarchie curieuse apparaît : la grandeur du gentleman d’abord, celle de l’art et de la pensée ensuite, mais celle de la vertu l’emporte sur la première : l’ordre pascalien est partiellement bousculé. Dans le poème « Qui a façonné ces murs ? » (1879), la gradation entre l’œuvre d’art (manifestant pourtant « la musique de l’âme » du bâtisseur) et le choix du cœur (où interviennent le juste et l’injuste) marque nettement une réaction contre l’esthétisme à la Ruskin et surtout à la Walter Pater, qui avait tellement tenté le jeune Hopkins [46].
12L’apport propre de Hopkins à la théologie commence en deçà de toute émotion ou conception religieuses par une extraordinaire sensibilité aux choses de la nature et aux paysages, ainsi que par une étonnante capacité d’en saisir les caractères et de les décrire avec minutie. Les Carnets d’abord (1862-1866), contemporains des poésies anciennes, le Journal ensuite (1866-1875), écrits pendant les années de silence poétique, en témoignent [47]. Ils sont remplis de descriptions d’une incroyable précision : arbres, fleurs, animaux (plus rarement), ciels et nuages, neige, rivières. En effet, une tension (stress) l’habite et le fait entrer en communication avec les choses, exiger d’elles un signe de connivence [48]. Allons plus loin : avant d’élaborer ses catégories propres, il insistait, dans une dissertation de 1867, sur les normes formelles et sur certaines formes récurrentes qui ont une existence absolue et s’organisent en une unité. Cette vision d’affinité platonicienne comporte une face polémique. Hopkins oppose au continuum darwinien (« chromatisme ») un « diatonisme », les espèces se situant à des écarts du continu : un surgissement de formes dont la permanence scande l’histoire [49]. En 1865 déjà, une ébauche de théorie esthétique complétait ces vues métaphysiques : il note, dans une sorte de dialogue platonicien, que la beauté réside dans un rapport perçu par comparaison, et il insiste sur la structure formelle d’une poésie, d’une musique, comme ce qui produit ou non cette beauté, ce qui n’implique pas une unité de symétrie, mais un mélange de régularité et d’irrégularité [50].
13Tout tourne autour de quelques concepts, élaborés par Hopkins en 1868 pour rendre compte de la saisie et de l’effet sur soi du paysage, et qui se tiennent par eux-mêmes, ce qui ne veut pas dire que leurs connexions avec la création poétique et l’expérience religieuse n’aient pas été présentes à son esprit dès l’origine. Les mots qui les désignent : inscape (dessin, motif intime, schème intrinsèque ou structurel) instress (énergie, tension, intensité, force intime des choses et coup porté à l’observateur), pitch (caractère distinct, être propre, singularisation irrésistible), sakes (marques ou gages), sprung rythm (rythme bondissant ou abrupt) ont été traduits en français de façons si diverses que pas mal de confusion en résulte. Je maintiendrai donc les termes anglais. La connexion la plus directe est parménidienne : c’est dans l’étude consacrée à ce philosophe que ces mots sont apparus pour la première fois (« Son sens de l’instress, du plein et du ramassé, et de l’inscape est on ne peut plus frappant »), et leur rapport au « réalisme » parménidien a été souvent souligné à juste titre. « En vérité, j’ai bien des fois éprouvé, quand j’étais dans cet état d’esprit où je ressentais l’intensité d’un instress ou encore avec quelle vitesse l’inscape prend possession d’une chose, que rien ne regorge autant de vérité et n’est aussi proche de la simplicité du oui et du cela est. » [51]. L’autre aspect apparaît dans le Journal : « Être et connaître, ou l’être et la pensée sont identiques. La vérité dans la pensée est l’être, le stress, et chaque mot est une façon de reconnaître l’être, chaque phrase par sa copule est (ou un équivalent) en est l’expression et l’affirmation » [52]. On voit en quel sens on peut parler de réalisme : non au sens aristotélicien, mais au sens platonicien de ce réalisme des idées que d’autres appellent idéalisme absolu, associé à un primat parménidien de la connaissance sensible par laquelle on saisit les formes. Quant à savoir lequel, de ces concepts, est le plus important, on en discute. En général, on privilégie l’inscape, ce qui est justifié par les textes esthétiques. Mais, note René Gallet, l’instress est beaucoup plus central dans les Carnets et le Journal, notamment en raison des limites de l’art et du primat de la liberté : celle-ci seule fait apparaître les personnes parmi les selves (singuliers ou hypostases) des choses, et à côté des natures ou essences (inscapes) [53]. Ainsi l’inscape, ajoute-t-il, « n’est pas la source ultime du singulier », plus ou moins équivalent à l’eccéitas scotiste. Mais cette remarque nous engage prématurément sur le terrain controversé de l’influence de Duns Scot [54].
14Creusons un peu ces concepts essentiels. L’inscape, ce schème de la structure propre à un objet perçu, est saisi grâce à une initiative du sujet percevant – regard, attention, déchiffrement – et se trouve du côté de son essence ou nature. « Un scape de land, écrit Pierre Leyris [55], c’est une unité visible de pays saisie individuellement et qui garde les caractéristiques essentielles de l’ensemble du pays. L’inscape d’un objet, d’un être, ce sera donc […] un composant unifiant les qualités sensibles qui reflètent et permettent dans cette mesure même de pénétrer [son] essence » [56]. Deux exemples : « On avait coupé l’herbe et fait un peu de foin sur l’une des pentes ; en regardant […], j’ai été saisi d’un inscape presque aussi fluide et net que le givre sur un verre ou des dalles ; mais je n’ai pu le reproduire par la suite au crayon ». « En bas, à un petit pont de bois, j’ai regardé des frênes à la tige fine, aérienne ; il y en avait un en particulier d’un seul inscape pareil à celui d’un sonnet » [57]. Cette comparaison m’offre l’occasion de montrer la parenté étroite qu’il y a entre la saisie d’un inscape dans la nature et la création poétique : « Le dessin, le motif, ou ce que j’ai coutume d’appeler l’inscape est ce que je vise par-dessus tout en poésie ». Il faut donc au poète, outre une véritable « intuition spirituelle de la nature », le don de produire l’inscape proprement poétique : « La poésie est en fait une parole employée seulement pour porter l’inscape de la parole sans autre but que lui-même » [58]. Pour assurer une transition avec l’instress, voici une notation du Journal, à propos de l’inscape d’arbres dans la neige : « Je l’ai découvert […], bien qu’avec un compagnon l’œil et l’oreille soient clos pour l’essentiel, et que l’instress ne puisse venir ». Et enfin ceci : « J’ai pensé combien il était triste que la beauté des inscapes restât inconnue et enfouie pour les gens simples, alors qu’elle était si proche d’eux s’ils avaient des yeux pour la voir […] » [59].
15L’instress est plus simple à saisir, mais possède des connexions complexes. Il faut chercher son sens du côté de l’énergie, de l’intensité, de la force, du rayonnement des choses et de leur effet sur le témoin. « J’ai eu un instress que seule donne la construction ancienne authentique ». Une chose, une œuvre d’art, donc, mais aussi quelqu’un qui crée (« Recherche si Giotto ne possède pas l’instress »), ou un poème (« Ses poèmes me charment toujours également par leur instress »). Bref « Toutes choses sont soutenues par l’instress et n’ont pas de sens sans lui », nous apprend Parménide lorsqu’il dit que l’être est et que le non-être n’est pas [60]. De ce foisonnement interne, l’on passe aisément à la singularité inépuisable et extrême, dont il est question dans le poème de 1879 sur Henry Purcell et dans les lettres qui l’éclairent. Il faut ajouter ici un autre concept lié au précédent, le pitch (acuité), qui a une valeur générale, mais son maximum de sens dans le cas de l’être humain : « Rien d’autre dans la nature n’approche de ce stress of pitch, ce caractère distinct, cette singularisation irrésistible, cet être propre qui est le mien. C’est le seul singulier que l’on puisse connaître et goûter à fond » [61]. Voici ce qu’en dit René Gallet et qui nous importe fort, on va voir pourquoi : « Ce en quoi finalement la positivité de l’être culmine est le pitch, unique point de sa réflexion où Hopkins dise rencontrer l’eccéité », c’est-à-dire le principe d’individuation ou de détermination scotiste. « Ce pitch, écrit Hopkins, ou quel que soit le nom choisi, n’est-il pas alors identique à l’eccéitas de Scot ? » Cette « acuité », cette pleine affirmation singulière à travers la « nature » est bien ce par quoi les êtres s’effectuent et, comme le dit le sublime poème « Le martin-pêcheur flambe » (1881) : « Toute chose ici-bas fait une et même chose, / Divulgue cet intime habitant de chacun / S’avère, per-sé-vère, incante et dit moi-même, / Criant : ce que je fais est moi : pour ce je vins » [62]. Le mot self, désignant l’être singulier, le principe de singularité habitant une nature, est proche des deux précédents.
16En revanche, le mot sakes – qui caractérise Purcell en son originalité dans le poème de 1879 – renvoie plutôt à « l’existence qu’une chose peut avoir en dehors d’elle-même, comme une voix par son écho, un visage par son reflet, un corps par son ombre, un homme par son nom, son renom ou sa mémoire », et ce qui fonde tout cela en lui-même, c’est la qualité distinctive du génie [63]. Enfin, toujours en rapport avec l’instress, une brève mention de ce qui eût dû faire l’objet d’un long développement : le sprung rythm (rythme bondissant et abrupt). Il faudrait au moins le situer dans le travail de Hopkins sur la langue – innovation, mais aussi mise en valeur de racines traditionnelles, surtout germaniques – qui permet à la fois de fonder le rythme sur le compte anglo-saxon des accents toniques (avec la relation temps forts-temps faibles) et de tabler sur le principe d’une portée sémantique des associations phoniques. Le sprung rythm se produit « lorsqu’un accent en suit un autre sans interruption, sans syllabe interposée, et c’est lui qui donne à la poésie son stress » [64].
17On aura remarqué la façon restrictive avec laquelle René Gallet rattache la seule notion de pitch à l’eccéitas scotiste, qu’il définit, selon E. Belloni, comme « l’intensification de l’actualité de la nature commune qui ne la modifie pas formellement » [65]. D’autres situent le lien à Scot du côté de l’inscape, puisque « Scot place le principe d’individuation non pas, comme saint Thomas, dans la matière, mais bien dans la forme », c’est-à-dire l’eccéitas, écrit Pierre Leyris, qui ajoute que « Hopkins y reconnaissait ce qu’il avait coutume d’appeler l’inscape », et de citer Étienne Gilson à l’appui. Du coup, le lien à la vision théologique, que René Gallet place dans l’instress comme nous allons le voir, est mis par Leyris dans l’inscape : « La contemplation des inscapes de l’univers le renvoyait à Dieu […]. Cette vision sacrale de l’univers théophanisé, il en doit non l’intuition, mais la confirmation métaphysique à Scot » [66]. On pourrait citer à l’appui un passage du Journal : « C’est à cette époque que pour la première fois, je mis la main sur les Sentences de Scot dans la bibliothèque Baddely et je brûlais d’un enthousiasme neuf […]. Durant cette période, dès que je saisissais un inscape des nuages ou de la mer, je pensais à Scot » [67]. Les commentateurs varient aussi quant à l’influence de Scot sur Hopkins en d’autres domaines : le primat scotiste de l’incarnation sur la rédemption est-il à l’origine de la christologie cosmique de Hopkins ? Le primat de la volonté et la compatibilité entre liberté et nécessité l’ont-ils marqué ? Et la défense de l’Immaculée Conception ? Et la preuve de Dieu à partir de l’expérience intérieure singulière ?
18Nous voici arrivés à un moment décisif de notre démarche : nous devons rencontrer une première fois la théologie de Hopkins sous la forme différente qu’elle prend lorsqu’elle passe par la médiation de ses catégories propres, de telle manière que nous puissions nous aussi nous l’approprier autrement. Le Journal de 1870 contient la notation suivante : « Je ne crois pas avoir jamais rien vu de plus beau que la jacinthe des prés. Je connais par elle la beauté du Seigneur. Son inscape est force et grâce tout ensemble comme le frêne. » La formule est tellement abrupte qu’elle exige une interprétation. L’inscape, qui doit être saisi activement par nous, habités que nous sommes par un stress appelant dans les choses un signe de connivence (« Ce que vous regardez attentivement semble vous regarder ») nous met sur la voie. Au sein de cette activité, c’est la foi en la création par Dieu, dirai-je, et non une immédiateté de présence sensible, qui relie la perception et l’émotion à la beauté du Créateur. C’est ainsi que l’aurore boréale est elle aussi comme un témoignage de Dieu [68]. Au xiiie siècle, on eût parlé d’analogie par similitude déficiente, fondée sur une participation ; au xxie, si la voie ontologique est barrée, la foi pourra reprendre seule le relais. De son côté, selon René Gallet, la théologie de l’instress place l’initiative et l’activité de Dieu au cœur de la rencontre : « à travers l’ordonnance plus stable des inscapes, une énergétique diversifiée » se déploie. Dans « Beauté piolée » (1877), l’on est appelé à rendre gloire à Dieu pour toutes choses diverses et mêlées – au sein d’une vision créationnelle classique – parce que « tout jaillit de celui dont la beauté ne change ». « La profusion du sensible, ajoute Gallet, procède d’autre chose que d’un fondement ontologique impassible » que l’on pourrait déceler rationnellement : « Elle surgit d’une initiative singulière et paternelle. » La foi reçoit le monde de la main de Dieu, pourrions-nous dire. « Toutes choses sont chargées d’amour », affirme la méditation sur les Exercices de 1881 [69]. Or cet amour, qui a commandé l’action du « Bonum diffusium sui » dans la création – disaient les médiévaux après le Pseudo-Denys – est aussi ce qui gouverne le mystère de l’Incarnation : « Le premier instress de Dieu au-dehors de lui-même […], le premier outstress fut le Christ », en sa naissance temporelle, pour Lui rendre gloire et retourner à Lui [70].
19Deuxième découverte importante pour nous dans l’œuvre de Hopkins, il existe un certain nombre de poèmes d’éloge du monde qui n’ont aucune teneur religieuse explicite, et dans lesquels il serait abusif de déceler des allégories. Ils contribuent à un fond commun à tous les poètes, croyants ou agnostiques, et l’on peut penser que chez les premiers comme chez les seconds ils attestent une expérience positive, constituent une création de beauté que l’on peut opposer au négatif de la vie. En tout cas, l’acclamation religieuse qui leur est sans doute sous-jacente se situe à nouveau autrement que dans la théologie d’une immanence divine immédiatement reconnue. Voici le plus simple et le plus caractéristique, le « Lever de lune » (1876) : « Je m’éveille en la nuit non-nocturne de la Saint-Jean d’été, dans le blanc et l’allant du matin : / La lune s’amenuise et s’affine, frange d’un ongle qu’une bougie éclaire, […] / Vision précieuse, désirable, non poursuivie, offerte si facile […]. » On pense irrésistiblement aux poèmes adressés à la lune par Giacomo Leopardi, accablé par l’absolu néant de toutes choses et la nature mauvaise envers l’homme. Comme le note Yves Bonnefoy, avec le désespoir et l’énigme de la vie, il y a dans le Canto notturno di un pastore errante l’évocation de la lune belle et aimée, présence amicale instaurant un autre rapport à ce qui est [71]. L’enthousiasme du sonnet de Hopkins « Hourras dans la moisson » (1877) a pour point culminant ces trois vers : « Toutes ces choses, toutes ces choses étaient ici, n’attendaient / Qu’un spectateur ; et quand tous deux enfin se rencontrent, / Le cœur bat des ailes avec audace, plus d’audace […] » [72]. Au printemps de 1885, juste avant l’écriture des « sonnets terribles », le poème « Branches de frêne » célèbre l’arbre en qui la vieille terre cherche et étreint le ciel qui la féconde ; il commence ainsi : « Rien de tout ce que mes yeux voient, vaguant de par le monde, / N’est à ce point suc laiteux pour l’esprit, ne lui insuffle à ce point profonde / poésie, qu’un arbre dont les branches se fraient route dans le ciel » [73]. En 1888 encore, l’Épithalame » inachevé est une célébration heureuse du monde sans note religieuse, avec la joie physique de la baignade et l’esquisse d’une analogie avec l’amour nuptial [74].
20Dans un second temps, j’associe à ces poèmes quelques autres qui insistent sur la beauté préservée de la nature, parfois opposée à la faute des hommes qui la détruisent, ou sur un appel à une attitude responsable afin de la sauver. « L’univers est chargé de la grandeur de Dieu », dit un sonnet de 1877. Mais les hommes le piétinent, mercantiles. « N’importe ! la nature n’est jamais épuisée / La plus tendre fraîcheur vit au fin fond des choses ». Sans même cette réserve attristée, un autre dit : « Rien n’est si beau que printemps – / […] / C’est une tendre trace du monde en son matin, / dans le jardin d’Eden ». Plus pessimiste : « Dans l’oreille sans fin sont trop anciens pour mourir » le bruit de la mer (« Rouleau qui croule, ou basse berceuse, ou lourd tonnerre ») et le chant de l’alouette (« Sa fine musicale échevette fraîche-filée qui s’enroule / En vrilles vives »), loin de la ville et de nos temps sordides –, mais nous « Avons perdu ce chant, ce charme du monde à l’origine. » Pourtant le poète les a bien entendus et célébrés ! Aussi avons-nous une responsabilité sérieuse : si les chers « peupliers de Binsey ont été coupés, et qu’il est trop tard pour intervenir en leur faveur (comme Ronsard voulut arrêter le bras du bûcheron de la forêt de Gâtine), nous pouvons du moins à cette occasion adjurer nos semblables de ne pas détruire la « tendre unique rustique scène » en leur disant : « Ô si vous saviez ce que vous faites / Quand vous creusez ou coupez / Entaillez, torturez ce vert vivant ! / La campagne est si douce / Au toucher, son être si fragile […]. » Qu’au moins, dit le sonnet « Inversnaid » (1881), soit laissée au monde la rivière : « Oh ! qu’ils nous soient laissés, le sauvage et l’humide, / Que vivent encore longtemps herbes folles et lieux sauvages ! » Oui, la terre elle-même appelle puissamment Celui qui dispensa ses charmes et l’a abandonnée à l’homme, « Tant aimé, entêté / […] / pillard prodigue / […] / Sans nul égard pour le monde futur, gravant sur le front / De la terre les rides de ces soucis, soucis et tendres chagrins » [75].
21Et voici ma troisième et dernière étape théologique. Hopkins produit entre 1885 et 1889 neuf poèmes très noirs [76]. Deux lettres à Bridges, en 1885, les situent ainsi : « Après un long silence, j’ai écrit deux sonnets que je suis en train de retoucher ; si jamais quoi que ce soit a été écrit avec du sang, c’est le cas de l’un d’entre eux » (17 mai). « J’aurai bientôt quelques sonnets à vous envoyer, cinq ou davantage. Quatre d’entre eux me sont venus comme des inspirations soudaines et contre ma volonté » (1er septembre) [77]. On connaît les circonstances de leur écriture : isolement, sentiment d’échec et d’impuissance, épuisement et dépression, sans omettre la probabilité d’une épreuve intérieure d’ordre spirituel. Au début de 1888 ou 1889, il a écrit des « notes de méditation », dans lesquelles il est question de son désaccord quant au service qu’on lui demande, de son échec, de sa vie lugubre et sans but, d’un dégoût intérieur allant jusqu’à le faire renoncer à la méditation ; que Dieu, à qui il se soumet, veuille bien le regarder ! [78]. « Et pourtant, écrit Kathleen Raine, avec quelle plénitude, quelle dignité, quelle endurance il nous accompagne dans nos malheurs. Comme nombre de psaumes, ou le livre de Job […], Hopkins a trouvé dans ses’sonnets terribles’ l’expression nécessaire à tous ceux qui,’par-delà des pics d’effroi’, se trouvent projetés dans l’ultime solitude de la désolation. » Et Pierre Leyris : « Terribles, oui, par la tension qui les arc-boute contre l’appétit du désespoir. Qu’elle fût relâchée une seconde et tout, semble-t-il, eût basculé dans le blasphème. Terribles, mais bienfaisants : ainsi donc tant d’angoisse a pu se faire langage, nombre, prière » [79]. C’est exactement cela, me semble-t-il : au moins la noirceur terrible voire totale de l’heure a pu se dire, et de façon belle, ordonnée [80]. Au mieux un cri a pu être formulé par le poète vers son Dieu et, par là, la foi s’affirme et le désespoir se conjure. « Mon Dieu ! Mon Dieu ! Pourquoi m’as-tu abandonné ? ».
22« Non, désespoir, non, putride pâture ». Le poète refuse la complaisance et un repos amer dans le malheur : « Je ne veux pas me repaître de toi ». Il ne veut pas crier : « Je n’en peux plus ! », car il lui est possible d’espérer, de ne pas choisir la mort. Il interpelle alors son Dieu, ce « terrible Autre » qui appesantit sur lui son pied, le presse de son bras, le dévore des yeux, l’éventre, le foule. Michael Edwards, qui lit dans ces poèmes un choix de parler autrement de soi, estime que dans celui-ci le poète s’identifie à Job, puis à Jacob. À quelle fin Dieu l’éprouve-t-il ainsi ? C’est pour le purifier comme à l’aide d’un van. Il baisera donc la main qui le frappe, acclamera celui qui l’a mis par terre et foulé, avec qui il a lutté. « Cette nuit, cette année / D’ah ! révolue noirceur, j’ai lutté, misérable, avec (mon Dieu !) mon Dieu. » Le début pourrait difficilement être plus noir, et l’image de Dieu qui ressort du sonnet est terrifiante, mais il y a d’emblée un refus, ensuite un redressement, et l’interpellation de Dieu est explicite [81].
23« Paraître l’étranger, tel est mon lot, ma vie / Parmi des étrangers ». Ainsi commence le second poème, car la conversion a fait de lui un stranger, l’a séparé de ses proches et de l’Angleterre, qui n’écouterait pas son plaidoyer : le même souci qui fit écrire à Newman l’Apologia pro vita sua. Celui-là même qui est sa paix est son « désunir, glaive et discord ». Et le voici exilé en Irlande. Certes, il peut dire : « Non qu’à chaque éloigne je ne donne / Et ne reçoive amour ». Mais quelque chose : ciel noir (haut) ou enfer (bas) barre sa parole. Et « Ce garder / Inouï, ou ouï sans plus, me laisse à zéro, seul. » Dans ce poème-ci, c’est la chute qui est désespérante, malgré le positif des grâces reçues. Pourtant, celui qui vient de dire qu’il ne peut parler, l’a fait ici, dans le poème ! [82].
24« Réveil : je sens le chu du noir ». Ainsi traduit Pierre Leyris, tandis que Michael Edwards entend : « la peau de l’ombre », et y voit une référence à l’Exode et aux ténèbres de l’Égypte, le poète s’identifiant à un Égyptien. C’est l’heure de la nuit la plus noire, et « Quand je dis / heures, j’entends années, j’entends une vie ». Or, il crie – mais en vain : « Ma plainte / Est cris sans nombre, cris lancés comme des plis / Perdus vers le très cher qui vit las ! hors d’atteinte. » C’est même Celui-ci, Dieu, qui « selon sa loi profonde », lui a fait goûter l’amer, tandis que lui-même s’aigrit. En somme, il est comme un damné, inséparable de son fléau. Le poème est donc absolument noir, mais tout de même adressé (« cris lancés »), tout de même chant, donc ordre et beauté. On peut descendre encore [83].
25« Non, de pire, rien ». Le plus noir de tous, sans aucune lueur. Les cris ne sont même plus d’appel. On pense au Ps 88 qui s’achève ainsi : « Ma compagnie, c’est la ténèbre. » Selon Michael Edwards, le poète s’identifie à Edgar, dans Lear, qui est au plus bas et sait qu’il peut tomber plus bas encore. Selon Georges Ritz, il reçoit comme Job les coups de Satan (figure hébraïque) ; comme Prométhée (figure grecque), il est sur son rocher. Angoisse, peur. « Par delà des pics d’effrois / plus d’affres, fruits d’affres vieilles, affreusement vont tordre à fond ». Interpellation ironique du (soi-disant) Consolateur et de Marie, la mère. Devant l’immensité du malheur, il ne reste qu’à crier. Les images se pressent de montagnes, de vides, d’abîmes de l’esprit, de tempête. « Là ! couché ! / Pouilleux. » Mais la mort mettra fin à la vie comme « chaque jour meurt dans le sommeil ». C’est « la mort désirable » d’un autre poème datant de l’année suivante [84].
26Le poème « Patience, dure chose » est moins absolument noir en raison d’une expérience médiatrice, celle de la patience – qui était déjà apparue dans le beau poème de 1879, « Paix » où la privation de la paix produisait la patience qui est féconde – et d’une mention explicite de la prière. Il est dur, certes, de demander la patience, et d’abord de la supporter. Mais seule elle peut s’enraciner dans l’épreuve et masquer « les ruines de mes desseins détruits ». Nous devons même frapper nos cœurs afin que Dieu les plie vers lui. Alors se produit un retournement : c’est lui qui, distillant la bonté, se montre patient. Un curieux zoomorphisme achève le sonnet : la « Patience emplit de miel / Ses rayons fins, et cela par des voies que nous connaissons bien » [85].
27Dans le poème, qui commence ainsi : « Mon propre cœur […] » – ce cœur désolé associé aux « tourments de mon esprit » – s’esquisse un mouvement inverse du précédent : une douceur envers soi, une attente possible du réconfort et même de la joie, un abandon à la volonté de Dieu qui peut donner ces biens, lui dont le sourire n’est « pas arraché, vois-tu, mais imprévu ». Il y a là, écrit Georges Ritz, une référence implicite à la prière de saint Ignace laissant Dieu tout décider pour lui ; alors il recevra Son aide à l’heure qu’Il lui plaira et comme il Lui plaira [86].
28Quatre ans plus tard, Hopkins écrit deux autres poèmes très sombres. Toutefois, le premier des deux peut être dit tel d’une autre manière que les précédents : par son pessimisme absolu. Après une allusion à la noblesse de Moïse sur le Sinaï et à celle des anges qui tombent du ciel, l’on en vient à l’homme, à son malheur physique constitutionnel et à son mal moral (les deux articles du mal universel selon Pierre Bayle). Mais lui, le locuteur poétique, qui observe, qui s’implique, n’est-il pas un faiseur d’embarras (« Mes feux et fièvres faits de chichis ») ? N’est-ce pas une autodérision ? [87].
29Le second poème de 1889, « Justus quidem, tu es, Domine (Jr 1) » est rehaussé par une confiance dans le style de celles des « Confessions » de Jérémie et des psaumes. Pourquoi toujours la déception, les projets déjoués par Dieu alors que son serviteur s’use. Comme un eunuque, comme une femme stérile, il ne peut rien bâtir. Or ce traitement contraste avec la bénédiction du monde, qui est décrite avec amour. En revanche, dans le poème « En l’honneur de saint Alphonse Rodriguez », datant de l’année précédente, il y avait un parallèle entre la gloire cachée de son martyre intime et la beauté de la terre, avec ses fleurs et ses arbres [88].
30Je conclurai avec le poème, injustement négligé par la plupart des traducteurs, que Hopkins dédia à Robert Bridges et qu’il écrivit le 22 avril 1889, peu avant de tomber malade et de mourir le samedi 6 juin. Il y célèbre « le clair bonheur qui féconde l’esprit », cet élan fugace mais qui « laisse l’âme mère d’un chant immortel ». Or, alors qu’il faut à ses vers, dans cette ligne, « l’unique flamme d’une inspiration », ceux-ci en sont privés par sa « vie d’hiver, où souffle si peu cette joie ». Comment pourrait-on y trouver « la vague, l’envolée, le chanté, la création » [89] ? Pauvre Hopkins, merveilleux Hopkins, fraternel Hopkins !
Mots-clés éditeurs : poésie, théologie, beauté, Newman, confessions, passion, Parménide, immanence, sacrifice, Christ, nature
Date de mise en ligne : 31/03/2014
https://doi.org/10.3917/rspt.974.0477Notes
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[1]
« Hopkins impose [une] vision de l’inconnu dans le connu, de l’altérité dans le même, par la démesure et en même temps l’extrême justesse de sa langue », selon Michael Edwards, « Hopkins autrement dit », Nunc, juin 2012, dossier « G. M. Hopkins » en hommage à René Gallet, p. 92-96.
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[2]
Philippe Jaccottet, Une transaction secrète, Paris, Gallimard, 1987, p. 288-295, 307, 312-313. Voir aussi La Semaison, Paris, Gallimard, 1983, p. 51.
-
[3]
Ou encore : « Oui, je gis dans la terre et je remue les lèvres / Mais les enfants sauront par cœur ce que je dis ». Ossip Mandelstam, Tristia et autres poèmes, Paris, Gallimard (coll. « Poésie »), 1975-1982, p. 184, 193, 215.
-
[4]
« L’Oxford de Duns Scot », dans Poèmes, accompagnés de proses et de dessins, trad. Pierre Leyris, Paris, Éd. du Seuil, 1980 (PL), p. 101. Deux poèmes de jeunesse (1865) exprimaient déjà cette gratitude envers l’alma mater.
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[5]
G. M. Hopkins, Poèmes, trad. Georges Ritz, Paris, Aubier, 1980, p. 81. Voir aussi son étude : Le Poète G. M. Hopkins, Paris, 1963.
-
[6]
Lettre à Baillie du 17 mai 1886, dans Carnets, Journal, Lettres [CL], traduits et présentés par Hélène Bokanowski et Louis-René des Forêts, Bordeaux, W. Blake and Co., 1997, p. 238 (réédition du vol. 10/18 de 1976).
-
[7]
Notation des traducteurs cités n. 6, p. 10. Plus loin, en remarquant la force de ces pulsions dans les années 1862-1866, ils insistent sur sa « difficulté d’être, de renoncer à la vie charnelle pour s’unir à Dieu », ainsi que sur son sentiment de culpabilité au moindre élan (p. 29).
-
[8]
« Harry au brabant », G. M. Hopkins, Grandeur de Dieu, poèmes traduits et présentés par Jean Mambrino (PM), Paris, Arfuyen, 2005, p. 85 (Reprise, revue et augmentée, des éditions de Granit, 1980, avec une préface de Kathleen Raine, et de l’édition NOUS). On peut voir aussi : « La perte de l’Eurydice » (1878), str. 19-20, « La première communion du clairon » (1879), « Sacrifice du matin, de midi et du soir » (1879), « À quoi sert la beauté mortelle » (1885), et la lettre à Bridges de 1879 : « Je crois que personne ne peut admirer plus que moi la beauté du corps et c’est bien sûr un motif de satisfaction de découvrir la beauté dans un ami ou un ami empreint de beauté. Mais ce type de beauté est dangereux. » Louis-René des Forêts pensait que les minutieuses descriptions des journaux pourraient bien être une manière de fuir la tentation, en même temps qu’elles traduisent sa passion de la beauté, CL, p. 77, notamment.
-
[9]
Tête de file des « ritualistes » anglicans.
-
[10]
CL, p. 44 ; il s’agit d’une citation d’un Carnet en date du 6 novembre 1865.
-
[11]
En effet, il produira encore trois poèmes, mais les Carnets s’arrêtent à cette date, suivis par un journal plus philosophique et personnel, que l’on n’a conservé que jusqu’en 1875.
-
[12]
CL, p. 203 : lettre du 5 octobre 1878 au Rd. W. Dixon. Les poèmes de jeunesse détruits ont pu être retrouvés dans ses carnets et journaux.
-
[13]
« Le naufrage du Deutschland », PL, p. 59-93. Voir aussi la traduction de Bruno Gaurier, Thonon, Alidades, 1997.
-
[14]
Avec très peu de poèmes écrits en certaines années, comme de 1880 à 1884 et de 1886 à 1888. Le corpus hopkinsien n’a commencé d’être publié que vingt-neuf ans après la mort du poète par son ami Robert Bridges. Il contient soixante-seize poèmes, dont soixante-neuf ont été traduits en français. L’édition anglaise est celle des Poems, éd. W. H. Gardner et N. H. Mackensie, Londres, 1967 (4e éd. définitive). On doit au même Gardner la première étude approfondie, parue en 1946. Sur un parallèle entre Hopkins et Hans Urs von Balthasar, expliquant pour une part l’intérêt de celui-ci pour le poète, voir l’étude de Jean-Baptiste Sèbe, dans Nunc, op. cit., p. 136-142.
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[15]
Lettre du 2 novembre 1881, PL, p. 161. C’est ainsi qu’il cessera d’écrire pendant son « troisième an », lettre à Bridges du 16 septembre 1881, dans G. M. Hopkins, En rythme bondissant, lettres choisies, trad. René Gallet [LG], Paris, L’Obsidienne, 1989, p. 26. Du même : G. M. Hopkins, De l’origine de la beauté, suivi de poèmes et d’écrits, trad. René Gallet et Jean-Pierre Audigier, Seyssel, Comp’Act, 1989 [TG].
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[16]
Lettre du 1er décembre 1881, PL, p. 163-164. En 1878, il se méfiait déjà de la gloire : lettre du 13 juin au même, CL, p. 198.
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[17]
Ville : lettre à Bridges, citée n. 15 ; opinion, censure : lettre à W. Dixon des 24 et 31 octobre 1879, CL, p. 207-209 ; fatigue, anxiété : lettre à Dixon du 7 août 1886, LG, p. 67.
-
[18]
Souffrance : lettre à Bridges du 1er septembre 1885 ; CL, p. 217. Valeur de l’œuvre, lettre citée PM, p. 107. Mais voir R. Gallet, G. M. Hopkins ou l’excès de présence [RG], Paris, Fac, 1984, p. 37.
-
[19]
Il existe nombre de textes évoquant ces motions et lumières intimes.
-
[20]
Sous-entendu : par moi même ; lettre à W. Dixon du 1er décembre 1881, PL, p. 163.
-
[21]
Voir notes 4 et 8 ci-dessus.
-
[22]
Strophe I, PL, p. 59. Ce début évoque Jr 20, 7.
-
[23]
Dans PM1 p. 10-12.
-
[24]
Strophe IV, PL, p. 63. Chose amusante, dans la Bible on condamne ceux qui envoient de la main un baiser aux astres (idolâtrie) : Jb 31, 2-28.
-
[25]
« Hourras dans la moisson », PM, p. 23. Je ne vois pas ici de métaphores, à la différence de « Nuit d’étoiles » (PL, p. 95) où un nombre inouï de ces figures (in absentia) sont convoquées pour inviter à regarder les étoiles, le tout devenant à la fin une vaste métaphore (in praesentia) du Royaume des Cieux.
-
[26]
« Beauté piolée », PL, p. 99. TG, p. 126 : finitude de l’homme, extériorité de Dieu. Dieu intimement présent aux choses, mais ne s’identifiant pas à elles en raison de son infinité, TG p. 129.
-
[27]
« La perte de l’Eurydice », PM, p. 29-39.
-
[28]
Dans PM1, p. 24sq.
-
[29]
Strophes I-IV, PL, 59-63. Mais on peut se réfugier dans l’hostie, s’assurer sur l’Évangile.
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[30]
Strophes VI à X, PL, p. 65-69.
-
[31]
Un Moloch, dit Kathleen Raine, op. cit.
-
[32]
Strophes XII, XVII-XXII, XXVIII, XXXII, PL, p. 71-91. La religieuse intercédera pour nous, strophe XXXV, ibid., p. 93.
-
[33]
PL, p. 97. C’est la description de la kénose en Ph 5, 2 et sq. La dédicace, « Au Christ, notre Seigneur », a peut-être été ajoutée ultérieurement.
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[34]
« La lanterne hors les murs » (1877), PM, p. 27 ; « Non, désespoir […] (1885), PL, p. 137 ; « Printemps » (1877), PM, p. 15 ; « Je sens le chu du noir » (1885), PL, p. 143.
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[35]
Voir PL, p. 27 ; TG, p. 83-87 ; PL, p. 129.
-
[36]
PL, p. 91.
-
[37]
« Dans la vallée de l’Elwy » (1877), PM, p. 17 ; « Le martin-pêcheur flambe », (1881), PL, p. 127 ; « Le soldat » (1885), PM, p. 75.
-
[38]
PL, p. 79 ; PM, p. 37-39, bien que l’enfer ne connaisse pas le rachat ; PL, p. 103 ; lettre du 9 juin 1883, LG, p. 38-39 ; lettre du 5 janvier 1883, PL, p. 174.
-
[39]
Voir « Henry Purcell », PL, p. 103 ; « L’alouette encagée », PM, p. 25 ; « Le front du berger », PM, p. 95. Mais il y a aussi la résurrection : « Que la nature est un feu héraclitéen », PL, p. 145.
-
[40]
Par exemple : « Le Magnificat de mai », PM, p. 41 ; « La Sainte Vierge comparée à l’air que nous respirons », PM, p. 61.
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[41]
Lettre à Bridges du 16 juin 1882, LG, p. 172-173. Voir déjà les poèmes de jeunesse : « L’aire et le pressoir » (1864) et « La maison à mi-côte » (1865), PR, p. 89 et 101.
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[42]
PM, p. 51. Voir lettre à Bridges, ibid., p. 105 : « Je trouve maintenant dans mon expérience professionnelle beaucoup de sujets de poèmes ».
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[43]
PM, p. 53. Mais ils doivent être offerts à Dieu avant que l’enfer vif et furtif ne les chipe.
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[44]
PM, p. 55 ; PR, p. 165 ; PL, p. 135. Dans « Sur le portrait de deux jeunes gens » (1886, TG, p. 113-114), l’admiration cède vite à une inquiétude sur ce que seront leur soutien, l’orientation de leur liberté, leur destin.
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[45]
PL, p. 139. Voir la lettre à Bridges du 10 février 1888, PL, p. 178-179. Et déjà, sur l’injustice sociale, la lettre au même du 2 août 1871, PL, p. 153-155.
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[46]
Poème : PM, p. 53 ; lettre du 3 février 1883, PL, p. 176 ; Poème : TG, p. 97-99.
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[47]
Ainsi que du souci ruskinien de rendre aussi fidèlement que possible les nuances de lumière, de couleur, et la diversité des formes dans la nature. Carnets et Journal, voir TG, PL et CL. Sur le rapport de Hopkins à la nature, voir l’étude de Michèle Draper dans Nunc, op. cit., p. 112-119.
-
[48]
CL, 1871, p. 125. On trouve aussi des listes de mots avec leurs différences subtiles de sens, leur son, leur étymologie, etc. : ce souci jouera un rôle essentiel dans la poésie à venir.
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[49]
« L’avenir probable de la métaphysique », TG, p. 53-58.
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[50]
« De l’origine de la beauté », TG, p. 11-52.
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[51]
« Parménide » », 1868, TG, p. 59 : citation de cet essai et commentaire de K. Raine, PM1, p. 17. Elle ajoute : « C’est au creux de l’existence absolue et toujours nouvelle des choses que Hopkins, a connu et transmet cette joie particulière, si intense et si vive que nous ne trouvons chez aucun autre poète. »
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[52]
Journal (1868), RG, p. 54.
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[53]
Je combine deux passages de la retraite de 1881, cités par RG, p. 52.
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[54]
RG, p. 45.
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[55]
Faisant allusion au mot landscape, paysage.
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[56]
Voir RG, chap. 2 et PL, p. 13.
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[57]
Journal (1872), cit. RG, p. 53.
-
[58]
Plus loin : « La poésie consiste en une parole qui prolonge et réitère son inscape ». Lettre à Bridges, citée dans PL, p. 13. Lettre d’août 1886 à Dixon, LG, p. 70, à propos de Wordsworth. Citation du Journal (1873-1874), RG, p. 51-52. Je ne connais pas de texte où Hopkins dise explicitement que l’inscape du poème se réfère à celui du paysage et tente de le traduire en mots.
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[59]
Journal, 12 déc. 1872, TG, p. 78 ; ibid., 19 juillet, p. 68.
-
[60]
RG, p. 63 ; Journal, 1895, RG, p. 55 ; Journal, 1867, RG, p. 56 ; Parménide, TG, p. 59.
-
[61]
Cité par RG, p. 165. « Henry Purcell », PL, p. 103.
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[62]
Voir RG, p. 59-60 ; PL, p. 127 ; PL, p. 102.
-
[63]
Lettre à Bridges du 26 mai 1879, PL, p. 159-160.
-
[64]
Lettre à Dixon du 5 octobre 1878, CL, p. 203-205 et lettre à Everard du 5 novembre 1885, LG, p. 53. Voir aussi la lettre à Bridges du 18 octobre 1882, LG, p. 29-31, et RG, p. 152, PR, p. 24 ; également, dans Nunc, les articles d’Adrian Grafe (p. 60-61), de Michael Edwards (p. 92) et l’étude de E. T. Merriman.
-
[65]
Citation RG, p. 68.
-
[66]
PL, p. 19sq et, pour É. Gilson, p. 187.
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[67]
CL, p. 137 (1872). Voir aussi le poème « L’Oxford de Duns Scot » (1879) où le franciscain est dit « Démêleur du réel le plus fin grain ; Sondeur / inégalé », PL, p. 101.
-
[68]
Journal, PL, p. 50 (17 mai) ; Journal (24 septembre), CL, p. 122.
-
[69]
RG, p. 83 ; PL, p. 99 ; RG, p. 84 ; RG, p. 129.
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[70]
Cité par RG, p. 98. Il s’est incarné en vue de « rendre gloire à Dieu par le sacrifice », ce qui n’est peut-être pas tout à fait scotiste.
-
[71]
PM, p. 11. Yves Bonnefoy, L’Enseignement et l’exemple de Leopardi, Bordeaux, W. Blake and Co., 2001, p. 19-24.
-
[72]
PM, p. 23. Comme il y a dans le poème une mention explicite du Christ, on pourrait discuter la présence dans cette série, mais l’expérience que je retiens y entre bien.
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[73]
PM, p. 77. Il n’y a pas de raison d’y lire, comme Georges Ritz, une allégorie de l’invitation adressée à l’âme de rejoindre Dieu.
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[74]
PM, p. 89-91.
-
[75]
PM, « Grandeur de Dieu », p. 13 ; PM, « Printemps » (1877), p. 15 ; PM, « La mer et l’alouette » (1877), p. 19 ; PM, (1879), p. 47-49 ; PM, « Inversnaid », p. 57 ; PM, « Ribblesdale » (1882), p. 59.
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[76]
Leur ordre chronologique n’est pas sûr. Georges Ritz propose un ordre comportant une aggravation puis une remontée, qui n’est qu’hypothèse.
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[77]
PL, p. 189 ; CL, p. 218.
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[78]
CL, p. 233-235.
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[79]
PM1, p. 34 ; PL, p. 23.
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[80]
Sur la façon dont Leopardi, de son côté, affronte le mal sans remède par la seule beauté du poème, voir Giuseppe Savoca, Giacomo Leopardi, Rome, Marzorati, 1988.
-
[81]
PL, p. 137 (1885) Michael Edwards : « Hopkins autrement dit », dans Nunc, op. cit., p. 92-96.
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[82]
PL, p. 141 (1889) « Paraître l’étranger ».
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[83]
PL, p. 143 (1885).
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[84]
PM, p. 79 (1885). La mention d’un soir très noir, avec détresse, échec et naufrage, qui « rend la mort désirable » se retrouve dans le poème inachevé « le temps est au crépuscule » (1886), mais ici il y a un sursaut car le monde est en moi et je puis, par ma volonté, déraciner au moins ici le mal.
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[85]
PM, p. 81 (1885). PL, p. 105 : « Quand vas-tu, paix, ramier des bois […] ». Au sujet de ce poème, Pierre Leyris m’écrivait en 1981 : « Hopkins ne perd jamais de vue le wooddove qui, comme le windhover, comme le starry-night, est sûrement, à titre de signe perçu dans la nature, le germe de son effusion à la fois méditative et lyrique. »
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[86]
PM, p. 83 (1885).
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[87]
PM, p. 95 (1889).
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[88]
PM, p. 97 (1889) ; PM, p. 93 (1888).
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[89]
TG, « À R. B. », p. 119.