Notes
-
[1]
Arpad Szabo, L’aube des mathématiques grecques. Paris, Vrin, (coll. « Mathesis »), 2000 ; 13,5 x 21,5, 367 p. La version actuelle est la traduction de Entfaltung der grieschischen Mathematik qui date de 1993.
Nous avons déjà présenté une des premières versions de ce travail : Les débuts des mathématiques grecques. Paris, Vrin, 1977 ; trad. française de l’ouvrage Anfänge der grieschischen Mathematik, 1969, dans notre Chronique Rev. Sc. ph. th., Avril 1989, p. 135 et dans notre Bulletin Rev. Sc. ph. th., Janvier 1999. -
[2]
L’approche de Jean-Louis Gardiès, L’organisation des mathématiques grecques de Théétète à Archimède, que nous avons déjà présenté [Bulletin Rev. Sc. ph. th., Janvier 1999], ne mentionne pas le travail de A. Szabo. On peut s’interroger sur cette « ignorance ». Il est manifeste que les travaux de ce chercheur font l’objet de « rejet » de la part de nombreux philosophes. Cela tient-il à un problème de personne, à une question de fond, ou à la difficulté de faire intervenir cette forme d’exégèse entre histoire et philosophie ?
-
[3]
Imre Toth, Palimpseste, Propos avant un triangle. Paris, PUF (coll. « Collège International de Philosophie »), 2000 ; 15 x 22, XXXIII + 493 p.
-
[4]
Jules Vuillemin, Mathématiques pythagoriciennes et platoniciennes. Paris, Blanchard (coll. « Sciences dans l’histoire »), 2001 ; 16 x 24,5, 152 p.
-
[5]
Claude Imbert, Pour une histoire de la logique. Paris, PUF (coll. « Science histoire et société »), 1999 ; 15 x 21,5, 302 p.
-
[6]
Avec tout le bénéfice qu’une compréhension physique et astronomique de cet instrument peut apporter, telle que l’a analysé Szabo p. 54 dans l’ouvrage présenté ci-dessus. Quand nous traitons de l’image du monde, il faut se méfier des faux amis qu’une analyse trop évidente de la sensation peut induire. Nous ne saurions trop insister sur les travaux de Gérard Simon en ce qui concerne l’Antiquité, ou de F. Duchesneau pour l’âge classique comme garde-fou devant certaines soi-disant évidences phénoménologiques du voir.
-
[7]
Cf. le livre de J. B. Gourinat, La Dialectique des Stoïciens, Paris, Vrin (coll. « Histoire des doctrines de l’Antiquité classique »), 2000 ; 16 x 24, 386 p. Ce livre présente la logique stoïcienne avec une option clairement posée de ne pas aborder la question de la relecture de celle-ci via la logique mathématique contemporaine.
-
[8]
Frédérique Ildefonse, Les Stoïciens I. Zénon, Cléanthe, Chrysippe. Paris, Les Belles Lettres (coll. « Figures du savoir »), 2000 ; 13,5 x 21, 226 p.
-
[9]
Alain Lernould, Physique et Théologie, Lecture du Timée de Platon par Proclus. Villeneuve d’Ascq (Nord), Presses Universitaires du Septentrion (coll. « Problématiques philosophiques »), 2001 ; 16 x 24, 405 p.
-
[10]
Gerald Bechtle et Dominic J. O’Meara (sous la dir. de), La philosophie des mathématiques de l’Antiquité tardive, Actes du colloque international de Fribourg, Suisse (24-26 septembre 1998). Fribourg, Éditions Universitaires, 2000 ; 15,5 x 22,5, VIII + 242 p.
-
[11]
Rhonda Martens, Kepler’s Philosophy and the New Astronomy. Princeton University Press, 2000 ; 16 x 24, X + 208 p. Il mentionne l’influence de Proclus sur Kepler à plusieurs occasions, pour signaler en même temps la volonté d’interprétation physique de ce dernier. La géométrie de Kepler est une géométrie de relations, cf. la suite. Par ailleurs, on sait que Campanella par exemple a lu Proclus (dès le Philosophia sensibus de1591).
-
[12]
Roshdi Rached et Joël Biard (éd.), Les doctrines de la science de l’Antiquité à l’âge classique, Leuven, Peeters, 1999 ; 16 x 24, 277 p.
-
[13]
Stephen C. McCluskey, Astronomies and Cultures in Early Medieval Europe. Cambridge, Cambridge University Press, 2000, 1ère éd. 1998 ; 15 x 23, 235 p.
-
[14]
Sylvie Anne Goldberg, La Clepsydre. Essai sur la pluralité des temps dans le judaïsme. Paris, Albin Michel (coll. « Idées »), 2000 ; 14,5 x 22,5, 398 p.
-
[15]
Un bon exemple de la complexité à laquelle se heurte l’historien est fourni par une brève note du livre de S. Shapin, A Social History… p. xxiii, que nous allons analyser par la suite,
-
[16]
Alain de Libera, L’art des généralités. Théories de l’abstraction. Paris, Aubier (coll. « Philosophie »), 1999 ; 13,5 x 22, 703 p.
-
[17]
Référence à l’Introduction des Idéalités Mathématiques (1968), de Jean-Toussaint Desanti qui vient de disparaître en février 2002.
-
[18]
Ivan Coelho, Hermeneutics and Methods : The “Universal Viewpoint” in Bernard Lonergan. Toronto, University of Toronto Press, 2001. 16 x 24,5, 345 p.
-
[19]
David Piché, La condamnation parisienne de 1277, texte latin, traduction, introduction et commentaire. Paris, Vrin (coll. « sic et non »), 1999 ; 13,5 x 21,5, 351 p.
-
[20]
Du moins si l’on suit l’usage français qui diffère de l’usage anglo-saxon en la matière.
-
[21]
La question de la multiplicité des mondes est très ancienne. Nous n’avons pas eu la possibilité en son temps de rendre compte d’un admirable livre de Steven J. Dick La pluralité des mondes, Actes Sud, 1989, trad. de l’anglais 1982. Il y a un lien profond entre la question de la pluralité des mondes, sa signification physique et l’apparition du nominalisme (fin du monde comme unité de signification, seuls les individus existent) puis l’apparition des statistiques au xviie siècle.
-
[22]
Jan A. Aertsen, Kent Emery, A. Speer (dir.), Nach der Verurteilung von 1277. Philosophie und Theologie an der Universität von Paris im letzten Viertel des 13. Jahrhunderts. Berlin, New York, Walter de Gruyter, Miscellanea Mediaevalia, Bd 28, 2001 ; 17,5 x 24,5, 1033 + X p.
-
[23]
Alain Boureau, Théologie, science et censure au xiiie siècle. Le cas de Jean Peckham. Paris, Les Belles Lettres (coll. « l’âne d’or »), 1999 ; 15 x 21,5, 377 p.
-
[24]
Gérard Haddad, Maïmonide. Paris, Les Belles Lettres (coll. « Figures du savoir »), 1998 ; 11 x 18, 136 p. Cet ouvrage situe la position de Maimonide dans le contexte de la persécution contre les Juifs de cette époque, et de l’exil qui en découla. La position de de Libera à cet égard se réfère d’abord à ce qu’on peut trouver dans le Guide des égarés (cf. de Libera, op. cit. note p. 207). Il semble que la position des théologiens chrétiens fut de durcir en le rationalisant un débat qui s’inscrivit initialement à l’intérieur des commentaires du judaïsme. En ce qui concerne la question des calendriers, voir le livre de G. H. p. 89.
-
[25]
Rhonda Martens, Kepler’s Philosophy and the New Astronomy. Princeton, Princeton University Press, 2000 ; 16 x 24,5, 201 p.
-
[26]
Jean Kepler, Le secret du monde, Paris, Les Belles Lettres, 1984, trad. Alain Segonds.
-
[27]
Gérard Simon, Kepler astronome, astrologue. Paris, Gallimard, 1979.
-
[28]
Cf. Fernand Hallyn. La structure poétique du monde: Copernic, Kepler. Seuil, Paris 1987, 316 p., [Bulletin Rev. Sc. ph. th. Juillet 1990, p. 267 et Bulletin Rev. Sc. ph. th. octobre 1993].
-
[29]
Philippe Hamou, La mutation du visible. Essai sur la portée épistémologique des instruments d’optique au xviie siècle. Villeneuve d’Asq, Septentrion, Presses universitaires du nord, T1, 1999 ; 16 x 24, 317 p. ; et T2, 2001 ; 16 x 24, 317 p.
-
[30]
Gérard Simon, Le regard, l’être et l’apparence dans l’Optique de l’Antiquité, [Bulletin Rev. Sc. ph. th. avril 1991 et janvier 1999].
-
[31]
Pierre Darmon, L’homme et les microbes, xviie-xxe siècle. Paris, Fayard, 1999 ; 15 x 23,5, 586 p.
-
[32]
Cf. op. cit. p. 512 ss.
-
[33]
Cf. op. cit. p. 526. La période contemporaine voit un certain nombre de mathématiciens se pencher sur cette famille de problèmes. C’est par exemple le cas de Shannon (le fondateur de la théorie de l’information). Mais c’est une tout autre histoire.
-
[34]
Michel Blay, La naissance de la science classique au xviie siècle. Paris, Nathan Université, 1999 ; 13 x 18, 129 p.
-
[35]
Rappelons Michel Blay, Les raisons de l’infini, [Bulletin Rev. Sc. ph. th. Octobre 1994]
-
[36]
Steven Shapin, A Social History of Truth. Civility and Science in Seventeenth-Century England. Chicago, The University of Chicago Press, 1994 ; 15,5 x 23, xxxi + 483 p.
-
[37]
Cf. l’article que nous avions déjà mentionné : « Le technicien invisible », La Recherche, n° 230, mars 1991, vol. 22. p. 324-333. [Bulletin Rev. Sc. ph. th. Octobre 1994].
-
[38]
Alban Bouvier, Philosophie des sciences sociales. Paris, PUF (coll. « L’interrogation philosophique »), 1999. 15 x 22, 259 p.
-
[39]
Dominique Terré. Les dérives de l’argumentation scientifique. Paris, PUF (coll. « Sociologies »), 1998 ; 15 x 21,5, 310 p. Dans la ligne de cette problématique : Paul-Antoine Miquel, Comment penser le désordre ? Paris, Fayard, 2000 ; 13,5 x 21,5, 320 p. Il y a des outils théoriques qui permettent de poser les questions de complexité. Ces outils sont rationnels. La notion de désordre n’est plus impossible à décrire. En ce sens on peut donner un sens positif au passage du désordre à l’ordre. Que l’utilisation de ces systèmes de description le soit est une autre question.
-
[40]
Egidio Festa, Vincent Jullien, Maurizio Torrini (sous la dir.), Géométrie, atomisme et vide dans l’école de Galilée. Fontenay, ENS éditions et Istituto e Museo di Storia delle Scienza (coll. « Theoria »), 1999 ; 15 x 21, 343 p.
-
[41]
Vient de nous parvenir un livre qui est orienté directement vers cette question : Dmitri Nikulin, Matter, Imagination and Geometry. Ontology, natural philosophy and mathematics in Plotinus, Proclus and Descartes. Burlington, Ashgate, 2002 ; 15,5 x 22, 300 p. Nous n’avons pas la possibilité de l’analyser ici. La question générale est du rapport entre arithmétique (statique) et géométrie (analyse du mouvement) et son lien avec le statut de l’imagination.
-
[42]
Pierre-François Moreau (sous la dir.), Le stoïcisme au xvie et au xviie siècle. Le retour des philosophies antiques à l’âge classique. Paris, Albin Michel (coll. « Idées »), 1999 ; 14 x 22,5, 359 p.
-
[43]
Annibale Frantoli. Galilée pour Copernic et pour l’Église. Vatican, Rome. ed. The Vatican Observatory Foundation, 1993, trad. fr. 2001 ; 16 x 24, 577 p.
-
[44]
Signalons la thèse de Rémy Bergeret, soutenue à Toulouse en 2000, concernant l’ensemble des propos de Jean Paul II relatifs à la science.
-
[45]
Francesco Beretta, Galilée devant le Tribunal de l’Inquisition. Une relecture des sources. Fribourg, 1998. Publication partielle de la thèse. 16,5 x 22,5, 250 p. (cf. Rev. Sc. ph. th. Octobre 1999, p. 479)
-
[46]
Pierre-Noël Mayaud s.j., La condamnation des livres coperniciens et sa révision. Rome, Editrice Pontificia Universita Gregoriana, 1997 ; 17,5 x 25,5, 352 p. Cf. Son article de la Revue d’histoire des sciences, avril-septembre 1992 (notre Bulletin Rev. Sc. ph. th. Octobre 1993). [Bulletin Rev. Sc. ph. th. Janvier 1999].
-
[47]
Cf. Paolo Simoncelli, Storia di una censura. « Vita di Galileo » e Concilio Vaticano II, Milan, 1992.
-
[48]
Tommaso Campanella. Apologia pro Galileo. Texte, traduction et notes par Michel Pierre Lerner. Paris, Les Belles Lettres (coll. « Science et Humanisme »), 2001 ; 16 x 24, CLXXIV + 331 p.
-
[49]
Cf. Michel-Pierre Lerner, Le monde des sphères. Paris, Les Belles Lettres, (coll. « L’âne d’or »), T 1 : Genèse et triomphe d’une représentation cosmique 1996 ; et T 2 : La fin du cosmos classique 1997 ; 15 x 21, 5, 403 p. et 418 p. [Bulletin Rev. Sc. ph. th. Janvier 1999].
-
[50]
J. L. Heilbron, The Sun in the Church, Cathedrals as Solar Observatories. London, Cambridge, Harvard University Press, 2001 ; 17 x 24, 5, 366 p.
-
[51]
Cf. Peter Galison, « Le train fantôme de la relativité restreinte », La Recherche, hors-série n°5, Le temps, avril 2001, p. 30-35.
-
[52]
Alan Cook, Edmond Halley, Charting the Heavens and the Seas. Oxford, Clarendon Press, 1998 ; 16 x 24, 540 p.
-
[53]
En ce qui concerne cette relation à Newton, il faut lire la partie qui la concerne dans la note posthume de R. S. Westfall The Background to the Mathematization of Nature, in Jed Z. Buchwald, I. Berhard Cohen op. cit dans la suite. p. 334.
-
[54]
Jean-Pierre Luminet, Le rendez-vous de Vénus. Paris, J. C. Lattès, 1999 ; 14 x 22,5, 363 p.
-
[55]
Jean-Marc Rohrbasser, Dieu, l’ordre et le nombre. Paris, PUF (coll. « Philosophies ») ; 2001, 11 x 17,5, 127 p.
-
[56]
Sven K. Knebel, Theologie und Philosophie, 67/4 (1992) et Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie. 41/3 (1994).
-
[57]
Jed Z. Buchwald, I Bernard Cohen (sous la dir. de), Isaac Newton’s Natural Philosophy. Cambridge, the MIT Press, 2001 ; 16 x 24, 354 p.
-
[58]
Margaret J. Osler (sous la dir. de), Rethinking the Scientific Revoluion. Cambridge, Cambridge UP., 2000 ; 15 x 23, 340 p.
-
[59]
« This doctrine caused a bitter dispute between Lutherans and Calvinists, who denied ubiquity and hence the Real Presence. It equally reinforced Lutheran separation from the Catholic Church, which taught that a miraculous transformation (transubstantiation) created a real presence in the host only during Communion. » (sic) p. 62. Il est évident qu’avec de tels raccourcis il est difficile d’entrer dans le débat des idées de l’époque. Tant que les questions théologiques seront autant prises à la légère par les historiens des sciences, il ne sera pas possible de traiter sérieusement de l’interférence conceptuelle entre questions religieuses et questions scientifiques. Le minimum de l’honnêteté serait de pratiquer en la matière le même sérieux de recherche.
-
[60]
Jean-Paul Auffray, Newton ou le Triomphe de l’alchimie. Paris, Le Pommier-Fayard, 2000 ; 13,5 x 20, 223 p.
-
[61]
Les publications abondent plus qu’on ne le pense. Nous avons entre les mains un ouvrage de James Arraj, The Mystery of Matter, Nonlocality, Morphic Resonance, Synchronicity and the Philosophy of Nature of Thomas Aquinas. Chiloquin USA, Inner Growth Books, 1996, 15 x 23, 182 p. Ce livre propose une réinterprétation thomiste et jungienne des questions posées par la matière.
-
[62]
[Bulletin Rev. Sc. ph. th. Octobre 1993] [Bulletin Rev. Sc. ph. th. Avril 1991]. Son œuvre concerne essentiellement les problèmes de philosophie de la nature.
-
[63]
Miguel Espinoza (sous la dir. de), De la science à la philosophie. Hommage à Jean Largeault. Paris, L’Harmattan, 2001 ; 13,5 x 21,5, 288 p.
-
[64]
Jean Largeault. Principes classiques d’interprétation de la nature, Lyon, Vrin, 1988.
-
[65]
Cf. dans ce volume la contribution de Jean Harthong, p. 97. Le titre de Dedekind est « Was sind und was sollen die Zahlen ? » (1887) « que sont et que doivent être les nombres ? », et non « Die Zahlen, was sind sie und was sollen sie ? » (1879).
-
[66]
Eva Piccardi, La chimica dei concetti. Linguagio, logica, psicologia, 1879-1927. Bologna, Il Mulino, 1994 ; 13 x 21, 326 p.
-
[67]
Gottlob Frege, Écrits posthumes. Nîmes, Éd. Jacqueline Chambon (coll. « Rayon philo »), 1994 ; 15,5 x 22,5, 349 p. trad. sous la direction de Ph. de Rouilhan et de C. Tiercelin.
-
[68]
G. Gabriel, U. Dathe (ed.), Gottlob Frege Werk und Wirkung. Mit den unveröfflichten Vorschlägen für ein Wahlgesetzt von Gottlob Frege. Mentis Paderborn, 2000 ; 15 x 23 313 p.
-
[69]
Op. cit. p. 171-190.
-
[70]
Peter Millican, Andy Clark (ed.), Machines and Thought. The legacy of Alan Turing. Vol 1, Oxford, Clarendon, 1996 ; 14 x 22, 297 p.
-
[71]
Cf. Jean-Yves Girard, Alan Turing, La Machine de Turing. Paris, Seuil, 1995 ; 14 x 21,5, 177 p. [Bulletin Rev. Sc. ph. th. Octobre 1995].
-
[72]
Bertrand Russell, Essais philosophiques. Paris, PUF (coll. « L’interrogation philosophique »), 1997 ; 15 x 21,5, 218 p. trad. François Clémentz et Jean-Pierre Cometti.
-
[73]
Monck Ray et Palmer Anthony, Bertrand Russell and the Origins of Analytical Philosophy. Bristol, Thoemmes, 1996 ; 13,5 x 21,5, XVI + 383 p.
-
[74]
Cf. le travail de M. Bourdeau que nous allons présenter par la suite.
-
[75]
Même si on peut considérer qu’il y a une théorie de la catégorialité chez Frege, cf. Horst Lange, Kategorialität bei Frege, in : Dietman Koch, Klaus Bort ed., Kategorie und Kategorialität. Festschrift für Klaus Hartmann zum 65. Geburtstag. Würzburg, D. Königshausen und T. Neumann, 1990, 465 p.
-
[76]
Alain Connes, Triangle de pensées, avec André Lichnerowicz et Marcel-Paul Schützenberger. Paris, Odile Jacob, (coll. « Sciences »), 2000 ; 14,5 x 22, 215 p.
-
[77]
Gilles-Gaston Granger, La pensée de l’espace. Paris, Odile Jacob, (coll. « Philosophie »), 1999 ; 14,5 x 22, 238 p.
-
[78]
Nous nous devons de faire mémoire de la mort au début de l’an 2002 de ce très grand philosophe. La citation que nous venons de faire est une référence de l’introduction des Idéalités mathématiques.
-
[79]
Cf. ci-dessus.
-
[80]
Wolfgang Pauli, Physique moderne et philosophie. Paris, Albin Michel, (coll. « Sciences d’aujourd’hui »), 1999 ; 14,5 x 22,5, 288 p. trad. fr. Aufsätze und Vorträge über Physik und Erkenntnistheorie, Braunschweig, 1961, Claude Maillard.
Wolfgang Pauli, Carl Gustav Jung, Correspondance 1932-1958. Paris, Albin Michel, (coll. « Sciences d’aujourd’hui »), 2000 ; 14,5 x 22,5, 375 p. trad. fr. Françoise Périgaut. -
[81]
Michel Bitbol, Physique et Philosophie de l’esprit. Paris, Flammarion (coll. « Nouvelle Bibliothèque Scientifique »), 2000 ; 15 x 24, 404 p.
Cf. aussi Mécanique quantique. Une introduction philosophique. Paris, Flammarion (coll. « Nouvelle Bibliothèque Scientifique »), 1996 ; 13,5 x 22, 471 p. [Bulletin Rev. Sc. ph. th. Avril 1997]. -
[82]
Op. cit. p. 266.
-
[83]
Op. cit. p. 335.
-
[84]
Angèle Kremer-Marietti, Philosophie des sciences de la nature. Paris, PUF (coll. « L’interrogation philosophique »), 1999 ; 15 x 21,5, 280 p.
-
[85]
Cf. le : Précis de philosophie analytique, de Pascal Engel, voir plus loin.
-
[86]
Michael Potter, Reason’s Nearest Kin. Philosophies of Arithmetic from Kant to Carnap. Oxford, Oxford University Press, 2000 ; 16 x 24, 305 p.
-
[87]
Michel Bourdeau, Locus Logicus, L’ontologie catégoriale dans la philosophie contemporaine. Paris, L’Harmattan, 2000 ; 13,5 x 21,5, 272 p.
-
[88]
Pascal Engel (sous la dir. de), Précis de philosophie analytique. Paris, PUF (coll. « Thémis, philosophie »), 2000 ; 15 x 21,5, 359 p.
-
[89]
Roderick M. Chisholm, A Realistic Theory of Categories. An Essay on Ontology. Cambridge, Cambridge UP., 1996 ; 21 x 13,5, 146 p.
-
[90]
Pour une discussion sur la dimension temporelle, voir P. Simons Parts, A Study in Ontology, Oxford, Clarendon Press, 1987, en particulier p. 187.
-
[91]
I. Grattan-Guiness, The Search for Mathematical Roots, 1870-1940. Logic, Set Theories and the Fondations of Mathematics from Cantor throught Russell to Gödel. Princeton and Oxford, Princeton University Press, 2000 ; 16 x 24, 690 p.
-
[92]
Ian Hacking, The Social Construction of What ? Cambridge, Harvard UP, 1999-2000 ; 15 x 23, 261 p.
1En introduisant l’histoire dans ce Bulletin, nous avons conscience du problème de méthode de cette approche. Il y a deux lignes générales de procédure. On peut penser mettre en évidence de grandes continuités de problèmes et de solutions. En ce sens, l’histoire des sciences permettrait une forme particulière d’historicité. Ou bien au contraire, on peut estimer que l’histoire met en évidence des changements radicaux de conceptions au cours du temps, et que ces ruptures disent quelque chose de la nature même des sciences. Continuité ou discontinuité, géométrie ou arithmétique, ces deux formes d’évidence amènent à bien des écarts de lecture, y compris en ce qui concerne le rapport entre sciences et questions philosophiques ou religieuses.
2L’actualité des publications permet un parcours global. Notre approche personnelle penche vers la deuxième option que nous venons d’évoquer ci-dessus. Ainsi nous ne croyons pas que la notion de nombre développée par Euclide nous soit encore fonctionnellement accessible. Nous ne pensons pas que l’affaire Galilée soit encore un lieu réel pour comprendre la science contemporaine. Nous pensons qu’il y a, aussi bien dans les mathématiques et la logique contemporaines que dans la physique quantique ou que dans la biologie, matière neuve à réflexion sur la nature des sciences et les questions qu’elles posent à notre culture. Et pourtant nous sommes convaincu que les pierres de touche de l’histoire sont toujours des éléments pertinents pour penser les responsabilités conceptuelles d’aujourd’hui.
Le monde grec. De l’arithmétique à la géométrie
3A. Szabo et l’analyse philologique des origines grecques. Le refus d’une séparation trop radicale entre tradition géométrique euclidienne et tradition arithmétique pythagoricienne. — Le dernier ouvrage de Arpad Szabo [1] est déjà ancien. A première vue, cette nouvelle version n’est pas originale. Elle traite comme la précédente de l’astronomie, de la musique et de la théorie des proportions, de l’irrationalité mathématique et de la géométrie euclidienne. La question du Théétète n’apparaît plus qu’en appendice. Mais les thèmes abordés sont bien les mêmes que ceux qu’on trouve dans les ouvrages antérieurs de A. S.
4La méthode demeure. A. S. s’appuie sur des recherches d’ordre philologique. Il ne cherche pas à établir une chronologie. Le projet serait irréaliste. Il continue d’étudier les termes comme « analogie », « dynamis », « démonstration » « l’analyse et la synthèse », « les axiomes et notions communes », selon leurs racines philologiques (dans les domaines de la musique et l’astronomie), introduisant ainsi par le contexte des origines une interprétation qui se situe entre histoire des mathématiques et histoire de la philosophie. Il faut noter son analyse du gnomon. Nous retrouverons certaines remarques de cet ordre quand nous aborderons un peu plus loin le passage entre Euclide et Proclus.
5La position la plus originale du travail d’A. S. concerne le refus d’une distinction trop radicale entre origines pythagoriciennes et origines éléatiques des axiomes et notions communes. Une nouvelle lecture de Platon en découle. Dans la quatrième partie, A. S. traite du système de la géométrie euclidienne. Bon nombre de commentateurs anciens (H. G. Zeuthen, O. Becker) attribuaient à Platon l’introduction de la notion de démonstration dans la mathématique grecque. Or la technique démonstrative et la structure axiomatique avaient déjà pour Platon valeur de modèle. Cette notion était donc déjà acquise. Elle n’est pas une nouveauté platonicienne. A. S. étudie la distinction entre principes et conséquences. Quel est le statut (archaïque) de la démonstration indirecte ? Certaines formes de l’analyse antique se ramènent déjà à une réduction à l’absurde. Qu’en est-il en géométrie ? La philosophie platonicienne, comme les mathématiques euclidiennes, refuse de s’appuyer sur la perception sensible. On peut alors considérer que la définition euclidienne de l’Unité est un condensé de la théorie éléate de l’Être (p. 274). L’arithmétique euclidienne en est alors un prolongement. Il ne faut pas opposer de manière trop radicale la doctrine de Pythagore et la philosophie éléatique. Ainsi les propositions euclidiennes sur l’égalité sont des énoncés « empiriques » à partir de l’immédiateté accordée aux ensembles finis. Leur validité se fonde donc sur l’évidence de la forme antique de l’empirique. Euclide distingue soigneusement entre définitions, axiomes et notions communes. Le glissement progressif de la notion d’axiome à celle de notions communes (chez Proclus) est un signe des temps et la victoire de la philosophie éléatique. Du point de vue des Éléates, il était plus facile de fonder l’arithmétique que la géométrie. Mais dans la réalité, les mathématiques anciennes étaient plus géométrie qu’arithmétique. Les mathématiques n’ont conquis leur indépendance à l’égard de la philosophie qu’une fois la géométrie fondée sur des bases théoriques. Telle fut la tâche dont les Éléments d’Euclide marquèrent l’achèvement provisoire. Inversement, le retour des mathématiques à la philosophie se traduira ensuite chez Proclus par l’abandon du terme d’axiome au profit de celui de « notion commune ». Le nœud de la démonstration de la thèse de A. S. se situe dans l’étude sur la notion de proposition et son interprétation via la géométrie des aires (p. 214) [2].
6L’étude de 1969 est donc reprise sur le fond. La question du Théétète peut être traitée de manière plus générale. Le problème de l’irrationalité et celui des proportions sont liés. Ils ne peuvent être compris que si on n’oppose plus de manière aussi radicale traditions éléatique et pythagoricienne. Il y a un enjeu philosophique profond : l’analyse philologique des mathématiques pré-euclidiennes et euclidiennes, et les déplacements sémantiques de Proclus amènent à s’interroger sur la place de l’intuition et de l’évidence dans la réflexion philosophique avant Platon et la résolution que l’autonomie progressivement acquise par les mathématiques signifie pour la suite de la philosophie. Mais les raisons qui firent que les mathématiques sont devenues déductives ne sont pas celles qui aboutiront à la fusion entre mathématique et théologie au temps de Proclus.
7Inversement, le retour théologique de Proclus invite non seulement à une analyse philosophique de l’épistémologie, mais aussi à la réintégration de la réflexion sur les mathématiques par-delà les prudences aristotéliciennes, le travail des mathématiciens ou les rejets des sceptiques à l’encontre de la spéculation philosophique.
8La question historique ne permet pas d’espérer un traitement décisif. Il faut souligner un fait que la distance temporelle peut nous faire négliger : si les mathématiques grecques connurent un développement considérable, il n’en demeure pas moins que les traces qui en subsistent sont infimes par rapport à celles qu’ont laissées la littérature ou la philosophie. La pratique des mathématiques ne fut le fait que d’un petit nombre. Leur influence sur la culture antique ne doit pas être majorée. Pourtant il faut affirmer que la réintégration de leurs recherches devenues très spécialisées fut un acte philosophique (et théologique) majeur.
9Imre Toth. Un palimpseste en forme d’histoire, le triangle et la géométrie. — Avouons notre perplexité devant le dernier ouvrage de Imre Toth [3], spécialiste reconnu de l’histoire des mathématiques, dont les études sur l’histoire des géométries non euclidiennes font autorité. La forme littéraire du palimpseste permet une succession de collages de philosophie et de mathématiques. La géométrie est présentée en bousculant son histoire. Cet ouvrage résulte d’un ensemble de cours que I. T. fit en 1976 à l’École Normale Supérieure. Son objet était la controverse qui fit rage de 1870 à 1944 à propos des géométries non euclidiennes. La violence des échanges d’alors était tout à fait inhabituelle dans la littérature mathématique. Nous en avons quelques traces jusque dans la correspondance entre Hilbert et Frege, et dans les inédits de Frege.
10Le procédé du collage permet de glisser entre fiction et pseudo-citation. Il n’est pas aisé de faire la part des choses, car bien entendu aucune référence n’est donnée. L’histoire « non-euclidienne » est en même temps politique et théologique. Quel est le rapport des nouvelles géométries à la liberté absolue du sujet divin ? Quel rôle joua l’isolement des mathématiques en Angleterre au xixe siècle ? Tout est fait pour se perdre dans ce palimpseste d’érudition, et le triangle joue sous tous ses angles. Faut-il que la somme de ceux-ci fasse toujours deux droits ?
11Ce dernier travail de I. T. est donc à l’opposé des recherches historiques dites sérieuses. Sa méthode est au service de son propos. Pour analyser les raisons de la violence du débat opposant tenants et adversaires de la géométrie non-euclidienne, il faut abandonner un temps les rives de l’histoire (que l’A. connaît parfaitement) et brasser les références, imaginer de faire converser des penseurs de toutes époques et écoles, exposer le caractère éternel (anachronique ? a-chronique ?) des références métaphysiques et théologiques sous-jacentes.
12Sans entrer dans le débat induit par les ouvrages que nous allons présenter ensuite, il faut noter que le collage théologique (triangulaire, trinitaire) est lié ici à la géométrie, alors que de nombreux indices (Boèce, Contra Eut.) donnent une priorité à l’arithmétique. On avance souvent des hypothèses sur les origines pythagoriciennes (arithmétiques, symboliques) de la théologie, et on oppose cette autre lecture de l’évidence topologique ou géométrique qui surgit dès les origines des mathématiques (cf. A. Szabo ci-dessus) et qui se poursuit tout au long de la tradition grecque (cf. la manière dont Boèce interprète Alexandre d’Aphrodise). Le parcours de I. T. ne répond évidemment pas aux questions historiques sur cette apparente dualité de l’arithmétique (calcul, symbolique) et de la géométrie qui a profondément structuré l’histoire des mathématiques grecques. Le lien primitif, puis récurrent, avec la théologie proposé par I. T. nous semble plus simple à comprendre si on se fie aux analyses de A. Szabo, lesquelles permettent de ne pas opposer de manière radicale tradition pythagoricienne et tradition éléate.
13J. Vuillemin, un hommage. — Roshi Rashed vient de publier une série d’études de Jules Vuillemin, récemment disparu (1920-2001), sur les mathématiques pythagoriciennes et platoniciennes [4]. Cet ouvrage comprend une étude ancienne de philosophie de la connaissance (1989) et des travaux récents concernant la division des nombres en facteurs premiers, les nombres triangles pythagoriciens, la méthode platonicienne de division et l’équation générale de récurrence des nombres diagonaux. La présentation générale est toujours d’une clarté exemplaire, J. V. utilisant à bon escient les formes modernes d’écriture pour expliquer tel ou tel point. Certes, cette écriture se situe aux antipodes du souci des historiens. Une fois cela accepté, on voit comment J. V. expose la distance que Platon prend par rapport aux mathématiques quand il critique la connaissance symbolique nourrie d’emprunts faits aux mathématiques elles-mêmes. Il nous est difficile aujourd’hui d’aborder ces nombreux exemples mathématiques platoniciens, qui traitent de manière elliptique de questions pythagoriciennes, et nous imaginons un Platon instaurant une méthode philosophique originale, la dialectique. Soulignons que l’analyse de l’impact de l’arithmétique pythagoricienne est plus difficilement repérable dans la mesure où cette même arithmétique fut axiomatisée bien après la géométrie. Si J. V. ne reprend pas les figures (ou démonstrations géométriques) des pythagoriciens, il relève que ces démonstrations s’appuient sur des comparaisons avec des mouvements et le devenir de la vie (p. 66). Il n’est pas difficile de comprendre que cette approche du changement ne sera pas celle qui dominera par la suite l’histoire de la philosophie et la naissance de la théologie. Une certaine fascination actuelle pour le symbolique et la philosophie de la vie exprime bien la réaction qui en découle.
14C. Imbert, F. Ildefonse et le Stoïcisme. Le signe comme miroir géométrique du monde. — Il peut sembler étrange de présenter dès maintenant le dernier livre de Claude Imbert [5]. Le projet de cet ouvrage déborde la philosophie antique. L’auteur aborde d’abord le Stoïcisme qu’elle connaît parfaitement, et le situe dans l’héritage d’un platonisme tempéré. Elle considère ensuite la rupture de G. Frege. La dernière partie traite de l’histoire de la formalisation de la logique de d’Alembert à nos jours. Le style de son écriture ne facilite pas toujours la lecture. Malgré le titre, il ne s’agit pas d’histoire. L’option phénoménologique et tout particulièrement la lecture que C. I. fait de M. Merleau-Ponty explique la prise de position herméneutique en ce qui concerne la logique et les sciences cognitives. Ce livre est plus de thèse que de démonstration.
15Ce n’est pas un accident si C. I. utilise elle aussi le mot « palimpseste » qui sert de titre au livre de Imre Toth présenté ci-dessus. L’histoire de la logique est celle d’un édifice où se conjuguent systèmes de langue et aspects des choses. C’est cette prose du monde que voulait reprendre Merleau-Ponty. Comment un livre peut-il être miroir du monde ? Faut-il actualiser l’image du gnomon [6] et lire l’heure par l’ombre de cette verticalité inscrite sur notre sol, notre géométrie ?
16Pour ce qui concerne la première section de notre bulletin relative au monde grec, retenons ici le chapitre sur le Stoïcisme. Le sujet est très actuel, et bon nombre de logiciens contemporains sont intéressés par l’approche stoïcienne de la logique [7]. L’analyse de C. I. expose les rapprochements possibles, et en même temps la grande différence, dans la mesure où toute la logique stoïcienne est indissociable d’une conception de la physique pour nous difficilement actualisable.
17Nous tenons le propos (infiniment plus simple) du petit livre de Frédérique Ildefonse [8] pour une excellente présentation du Stoïcisme. Cela tient à l’ordre même des chapitres qui commencent par la physique pour aborder ensuite la théorie de la représentation puis de la syntaxe des lekta. Ce n’est que dans cet enchaînement qu’intervient ce que nous appelons l’éthique et la théorie du destin, celle-ci scellant le lien entre la logique et l’éthique. Par ailleurs ce petit livre ouvre sur une des postérités surprenantes du Stoïcisme : Nietzsche et son Stoïcisme sans cosmos.
18La brève confrontation entre ces deux études montre bien que la vision du monde issue du Stoïcisme eut des suites très diverses dans l’histoire de la pensée occidentale, aussi bien du côté de la logique (et des sciences cognitives) que du côté des philosophies du soupçon et de la pensée de la mort de Dieu, du rejet de toute ontologie. Que ces deux versants soient aujourd’hui tellement séparés n’est pas sans poser des questions. Tous ceux qui eurent à traiter des différents héritages platoniciens, aristotéliciens, stoïciens, sceptiques ou épicuriens dans le monde antique et dans la patristique, savent combien il est difficile de démêler la diversité des sources et des conséquences. La séparation actuelle ne prend pas en compte la richesse de ces héritages antiques.
19A. Lernould et la lecture du commentaire du Timée de Proclus. La géométrie permet l’introduction de la dialectique et de la théologie. — Les avatars de ces héritages expliquent certaines de nos difficultés en ce qui concerne l’ouvrage que nous allons présenter maintenant. La lecture du Timée de Proclus que nous propose Alain Lernould dans l’édition de sa thèse Physique et Théologie [9] est un travail considérable qui s’appuie sur les traductions ancienne du Père Festugière (pour Proclus) et récente de Luc Brisson (pour Platon). Il propose quelques variantes, quelques structurations du texte qui diffèrent de celles du P. Festugière. Nous sommes incapables d’émettre un avis à ce propos. Pour nous, l’intérêt fondamental de cette étude est de fonder l’analyse sur la charpente du texte même de Proclus. La méthode préconisée par A. L. met en évidence la très forte structuration de Proclus, quitte à ne pas entrer dans les détails.
20A. L. sait bien qu’il y a une différence entre la question historique du pythagorisme du Timée de Platon et la position de Proclus pour qui cette référence était héritée et évidente. Pour ce dernier, elle implique la mathématisation de la philosophie et l’élévation de la théologie au rang de science la plus élevée. Proclus interprète la physique platonicienne comme la quête des intelligibles et l’oppose à celle d’Aristote. Comment concilier mathématique et théologie dans la physique ? Le commentaire de Proclus procède en passant par la voie démonstrative. A. L. pose alors la question de savoir si cette unification dans le cadre de la théologie n’aboutit pas à une remise en cause non seulement du caractère géométrique de la physique, mais aussi de sa dimension pythagoricienne. Ce sont des sciences inférieures qui correspondent à des modes de connaissance inférieurs. Y a-t-il une dialectisation du Timée qui permettrait ce dépassement ? Ou encore la dialectique ne se substitue-t-elle pas à la géométrie ?
21Le déroulement de l’étude de A. L. découle du plan inféré par le dépassement dialectique. La première partie aborde le plan du commentaire de Proclus. A. L. en dégage la systématique d’exposition et une logique de progression. La partie conservée du texte de Proclus commente les passages de Platon concernant l’ouvrage de la Raison (Timée 29d – 47c). La thèse de A. L. s’attache alors à une petite partie de ce commentaire (celle qui traite du Timée 27c – 31b). Il veut montrer comment Proclus passe de la géométrie à la dialectique (théologique). On passe de l’explication littérale (lexis) à l’explication générale (theoria). A. L. fait alors référence à la thèse de K. Praechter qui voit dans cette méthode la naissance du commentaire scientifique. Il en conteste ici la portée, dans la mesure où il estime que le propos de Proclus n’était pas de comprendre la doctrine de Platon, mais de la ramener à une doctrine systématique : il faut dépasser la forme du texte initial de Platon et aboutir à une discursivité supérieure.
22On voit ainsi comment une certaine réinterprétation de la géométrie euclidienne permet l’introduction de la dialectique en vue de la théologie. La tension initiale entre Pythagoriciens et Éléates s’efface au nom d’un autre jeu de concepts, d’un enracinement dans une autre réalité qui prolonge la physique.
23Étant donné le propos général de ce Bulletin, nos interrogations relatives au travail de A. L. portent d’abord sur la conception que Proclus avait des mathématiques. Ainsi dans le développement de la p. 116 concernant les axiomes ou notions communes et dans les notes 4 et 5, p. 122-23 l’écart grandissant séparant Proclus et Euclide n’est pas analysé, non plus que la manière dont les mathématiques pythagoriciennes sont ramenées à la géométrie. Comment se situe la nouvelle nécessité de l’évidence de vérité des notions communes par rapport à celle des axiomes ? Si A. L. souligne que la méthode de Proclus n’est pas géométrique (au sens que les « modernes » peuvent donner à ce terme), encore faudrait-il qu’il précise ce que ce même Proclus entendait par arithmétique, par démonstration, par géométrie. S’il est licite de penser que les commentaires d’Euclide et du Timée sont indépendants, il semble difficile de ne pas faire appel au premier pour éclairer des notions mathématiques évoquées dans le second. Il est peu probable qu’il « suffise de relire ce que Proclus dit des mathématiques dans son Commentaire à Euclide, à savoir qu’elles détournent l’âme du sensible, purifient celle-ci et constituent une étape nécessaire dans la remontée vers les Formes Intelligibles, qui seule permet d’atteindre le vrai bonheur et la sagesse véritable, pour voir que les néoplatoniciens s’inscrivent dans cette tradition qu’ils font eux-mêmes remonter à Pythagore. » (p. 31)
24Trop de questions relatives à l’héritage de la question pythagoricienne du nombre (monade) et de sa définition sont pendantes pour qu’on ne doive pousser la recherche en abordant dans la méthode de Proclus les raisons de sa référence constante à Pythagore. En tout cas, même si nous n’avons rien à redire à la thèse globale de A. L. qui ne relève pas de notre domaine, nous restons ici sur notre faim en ce qui concerne le commentaire du texte de Proclus abordant les passages directement ou indirectement mathématiques du Timée de Platon et son analyse de la structure des mathématiques, via le commentaire sur Euclide.
25Les mathématiques dans l’Antiquité tardive. L’héritage de Proclus. — Notre attente est pour une part comblée par les actes d’un colloque international réuni à Fribourg en 1998 concernant les mathématiques dans l’Antiquité tardive [10]. Le propos général traite de la place de la mathématique dans l’unification des sciences chez Jamblique (Francesco Romano), de la méthode scientifique de Jamblique (G. Bechtle), de la division de la ligne chez Jamblique (L. Napolitano Valditara), du concept de nombre mathématique chez Syranus (I. Mueller), de la philosophie des mathématiques de Proclus (J. J. Cleary), de la doctrine des parallèles dans l’interprétation de Proclus (M. Schmitz), de la notion de lien dans le commentaire du Timée de Proclus (A. Lernould), de la notion de nombre chez Philopon (G. R. Giardina), de la présence des commentaires de Proclus à l’époque de Galilée (M. O. Helbing) [11] et de la comparaison de la nature des objets mathématiques chez Proclus et dans la philosophie contemporaine des mathématiques (G. Sommaruga).
26Nous sommes évidemment allé regarder plus particulièrement l’article de A. Lernould postérieur à la rédaction de sa thèse pour voir si nous ne trouverions pas des éléments de réponse à notre question posée ci-dessus. Notre auteur s’avance sur un terrain délicat qui est la question de la proportion. Il présente un passage du livre II, in Tim. qu’il n’avait pas discuté dans sa thèse où Proclus commente le passage du Timée 31c5. Celui-ci distingue nettement l’explication mathématique de l’explication physique. Il constate que pour les Anciens ce passage semblait clair, alors que les Modernes ont des difficultés à l’interpréter. Comment peut-on passer de la notion de nombre à celle de volume, puis à celle de puissance ? Proclus met en avant la notion de proportion géométrique. C’est le résultat de toute une tradition de solutions mathématiques euclidiennes. La manière dont on passa de la notion de nombre à celle de valeurs musicales et à celle de puissances me semble bien mieux expliquée dans le cadre des questions évoquées par A. Szabo que dans les tentatives évoquées par A. Lernould (note de la p. 135). Nous croyons que les notions d’analogie, de rapport, le passage de l’arithmétique pythagoricienne à la question éléatique du continu sont en même temps très archaïques et de celles dont la structuration a commandé non seulement tout le développement mathématique depuis Euclide, mais aussi le traitement philosophique du devenir, du temps, de la hiérarchie des êtres. Est-ce que cette procédure vaut encore au temps de Proclus ? On peut le penser, étant donné le soin que celui-ci a mis à commenter Euclide.
27L’étude de ces questions doit donc passer par le long cheminement de l’analyse des différents commentaires de la notion de nombre, ce qui est fait dans ce Colloque en ce qui concerne Jamblique et Syrianus. Cependant le rapprochement avec nos problématiques actuelles est délicat. En pratique, nous ne savons plus très bien si nous réfléchissons sur ce que nous pouvons savoir aujourd’hui de la notion de nombre, nous servant de l’éclairage rétrospectif que cette approche provoque, ou sur les raisons qui firent que certaines notions communes furent évidentes à une époque donnée. Le platonisme ou le réalisme du statut ontologique des nombres n’avaient certainement pas les mêmes motifs d’évidence ou le même statut de questions à l’époque de Proclus que maintenant, puisque cela n’entraîne pas les mêmes conséquences mathématiques.
28Un des derniers thèmes approchés dans les actes de ce colloque est l’héritage de Proclus au moment de la naissance des sciences modernes. L’exemple de l’angle de contingence montre que la transmission des notions euclidiennes a bénéficié des commentaires de Proclus. L’histoire des mathématiques (y compris celle de la géométrie euclidienne) est en même temps histoire des mathématiques et histoire de la philosophie. En même temps, nous sommes conscient des limites de nos informations en ce domaine.
29Les doctrines de la science. Un éclairage sur l’interprétation théologique de la science. — Dans la recherche de la certitude, la philosophie s’est souvent « inspirée » de la science. La réciproque est moins souvent évoquée. Pour construire une doctrine, que ce soit au niveau scientifique ou philosophique, on fit bien souvent au cours de l’histoire appel à des références relevant de chacun des deux domaines. Cette question générale constitue l’objet d’un séminaire conjoint de l’Université de Tokyo et du CNRS Paris [12]. Ainsi l’article concernant la doctrine de la science chez Aristote (G. G. Granger), le rapport entre la logique ontologique de Lesniewski et celle d’Aristote (T. Waragai), la naissance de l’analyse (J. L. Gardies), ou le domaine des sciences arabes : combinatoire et métaphysique (R. Rashed), le passage d’Eudoxe à Kepler (J. Vuillemin), la médecine (G. Federici Vescovini) ou l’infini chez G. Bruno (P. Magnard). Deux articles assument de manière directe le croisement des modes de pensée : Régis Morelon montre comment on ne peut séparer l’astronomie physique et l’astronomie mathématique dans la tradition pré-copernicienne (arabe), et G. Saliba analyse le rapport entre l’astronomie et l’astrologie dans la pensée arabe médiévale. M. Mahdi compare les problématiques très proches de la prophétie et de la révélation dans la pensée politique de al Farabi (le Alfarabius des médiévaux). J. Biard étudie le paradigme de la « science divine » chez Pierre d’Auriole et Grégoire de Rimini. Ceci éclaire le changement de perspective qui suivit les fameuses condamnations de 1277 et la réhabilitation (qui concernera tous les points condamnés sauf la qualification de la théologie comme science [cf. p. 463]). Enfin Jean Jolivet propose une comparaison entre les différentes classifications des sciences arabes et médiévales, analyse extrêmement suggestive qui aborde la place de la mécanique et celle de la subalternation de la science humaine à celle de Dieu.
30S. C. McCluskey et S. A. Goldberg. Culture scientifique et calendriers. — Il ne peut y avoir de « renaissance » des questions scientifiques que si, d’une manière ou d’une autre, préexistent déjà des connaissances et surtout une curiosité. Le livre de Stephen C. McCluskey [13] propose quelques traditions de culture qui justifient la renouveau de l’intérêt pour l’astronomie. Certaines formes de christianisation des thèmes astraux (issus par exemple de la religion de Mithra) favorisèrent le développement d’une astrologie permettant la liberté humaine. L’histoire des calendriers gaulois et de leur christianisation est une des traces majeures de la permanence d’anciennes traditions celtes. La détermination de la fête de Pâques fit l’objet de nombreuses controverses, non seulement entre l’Orient et l’Occident, mais aussi en Irlande. La venue des Irlandais à Rome pour défendre leur position rendit nécessaire la maîtrise de certaines techniques de calcul. Par ailleurs l’organisation de la vie monastique nécessitait l’observation du ciel. Le refus de considérer les astres comme des causes n’interdisait pas de les considérer comme des signes. Ce n’est que tardivement (après l’arrivée de l’astrolabe) que la détermination de l’heure nocturne pourra être réalisée sans observation du ciel. Le chapitre le plus intéressant de ce livre concerne la fusion des différentes traditions occidentales sous la pression politique de la réforme carolingienne (Alcuin, Dungal). Il faut s’interroger sur les interférences entre les études scientifiques dans les milieux monastiques et celles qui leur sont contemporaines dans le monde islamique (p. 162). L’avant-dernier chapitre est donc consacré à la rencontre entre les astronomies arabe et latine (les liens entre Cordoue et le monastère de Gorze). Les scholiastes arabes ont fabriqué un certain nombre d’instruments, dont l’astrolabe, pour déterminer l’heure du jour et de la nuit en observant le soleil et les astres. Le dernier chapitre concerne la renaissance de la tradition ptolémaïque. Dans le monde universitaire naissant, les ouvrages se multiplièrent. Mais les études d’astronomie ne furent presque jamais un but en soi. Elles étaient ordonnées à la philosophie. Il est intéressant de noter que les imprécisions du calendrier des fêtes liturgiques chrétiennes étaient l’objet de moqueries aussi bien de la part des Juifs que des Musulmans (p. 201). Ce travail aborde aussi la renaissance de l’astronomie dans les secteurs non universitaires (les almanachs).
31Pour ceux qui auraient encore quelques hésitations, le livre de Sylvie Anne Goldberg [14] devrait achever de les convaincre que les questions d’évaluation du temps ont structuré de différentes manières les espaces religieux occidentaux. Ce travail est un parcours passionnant dans l’espace juif. Les scansions temporelles induisirent un ordre du monde et ouvrirent le temps sur l’eschatologie. Toute reprise mathématique de ces questions fut en même temps travail de symbolique. Le temps est orienté. Le monde rabbinique joua en virtuose des possibilités du calcul.
32Le travail de A. G. souffre de nombreuses simplifications. Par exemple la première page considère que le calendrier grégorien a été adopté en 1582, et semble ignorer que, si l’on veut aujourd’hui déterminer un équivalent en termes de calendrier pour une date du passé, il faut aussi prendre en compte le lieu (ou pays) et le moment où la réforme grégorienne y prit acte [15]. Ou encore considérer le Platon du Timée comme stoïcien est pour le moins original (p. 45). Faut-il considérer que l’hypothèse copernicienne est hérétique (p. 49) etc. ? Ces quelques détails montrent bien ce qu’il ne faut pas demander à ce livre. Une certaine absence de rigueur n’empêche pas qu’il soit d’abord profondément stimulant pour qui cherche à comprendre l’impact de toutes ces questions de calendrier, de constructions d’horloge, etc., sur nos sociétés.
33La permanence dans le monde juif d’un système de calendrier différent de celui de la société environnante, et ce dès le Moyen Age, signifie une coupure sociale et religieuse. A contrario, cette coupure montre bien à quel point le système de calendrier est structurant dans la constitution d’une autonomie culturelle. Quand nous nous interrogerons avec I. Hacking [p. 495] sur « la construction sociale de quoi ? » nous pouvons nous souvenir de ce processus. Ce n’est pas tant les objets et leurs représentations qui sont le résultat d’une construction sociale que l’ordonnancement de ces mêmes objets et leur capacité de signification et de projection. Le travail de fabrication catégoriel ne concerne pas la manière dont le discours se situe par rapport à la référence, mais plutôt le jeu des significations qui permet de reconstruire l’espace où nous nous situons pour rendre possible la projection. Espace arithmétique ou géométrique ? Topologie fondée dans l’évidence des nombres ou dans celle de la terre mesurée et géométrisée ?
34Il ne faut pas opposer le temps linéaire de l’histoire et celui, circulaire, du mythe. Les graphismes de périodicité des cycles planétaires débouchent sur la question de la linéarisation progressive du temps dans le calendrier. La séparation entre les deux systèmes de temporalité juive et chrétienne est une distinction entre deux manières de situer le monde à venir dans ce monde-ci. On peut émettre l’hypothèse que le christianisme constituant deux parties dans le temps a permis (partiellement) la naissance d’un monde scientifique et sa coexistence avec un monde mythique. Mais est-ce que le temps (linéaire) doit être plongé dans un espace géométrique (unique, euclidien ?) ou selon une procédure arithmétique ?
35La conviction qu’il existe un temps universel, structuré par la création ou la venue du Christ, a une fonction théologique très claire. Ce « temps » récapitule le passé et construit l’avenir comme une attente pour une part déjà réalisée. Ceci peut expliquer pourquoi le christianisme se veut universel et a besoin d’une philosophie de la nature.
36A. De Libera. Une analyse de l’épistémè oxfordienne. L’abstraction et la géométrie. — Il est intéressant de noter aussi bien dans l’article de I. Mueller ci-dessus concernant Syranus que dans le livre de Alain de Libera [16] que l’on retrouve la question de l’interférence entre conception de la géométrie (assimilée maintenant aux mathématiques) et l’expérience de la connaissance des idées. Le thème général du livre de A. de L. est l’abstraction. Sa thèse est simple : dans le milieu alexandrin d’Alexandre d’Aphrodise, Porphyre et Boèce, qui constitue de ce point de vue une unité, il y a une différence entre ce qui relève de l’abstraction qui correspond à une acquisition immédiate et qui conduit à la saisie inductive de la nature (universelle) et ce qui relève de la distinction du commun (et en cet autre sens de l’universel). Ce point d’histoire a une importance considérable, dans la mesure où toute la suite de la pensée occidentale va s’appuyer sur une certaine forme de géométrisation de l’espace pour tisser sa connaissance du monde. Il n’est pas difficile d’en repérer le caractère décisif aussi bien dans le nominalisme que dans la philosophie analytique. Peut-être cela tient-il à la nature même des concepts mathématiques que de n’être ni de la terre ni du ciel [17], et le travail de réflexion sur la nature des nombres sera ultérieurement à la charnière des problèmes posés par G. Frege. Toute l’œuvre de A. de L. interroge sur la différence entre les questions et solutions de la philosophie analytique contemporaine et les questions de la pensée médiévale. Il a repris ce point dans la série de conférences données dans le cadre de la chaire Gilson de l’Institut catholique de Paris à la fin de l’année 2000, où il abordait « la référence vide » et l’écart entre l’école de Paris et celle d’Oxford.
37A. de L. présente d’abord la figure d’Alexandre d’Aphrodise et sa conception de l’abstraction. Le but de cette longue discussion est d’établir dans le cadre de l’interprétation de l’aristotélisme une interprétation des deux sens de l’universel et de l’indifférence de l’essence avant Avicenne. Il est donc possible d’interpréter ce dernier dans un cadre moins platonicien que de coutume. Cette approche nouvelle via les traductions arabes va avoir des conséquences sur l’analyse de la notion de mobile. La solution proposée (qui sera reprise par Brentano) est aux antipodes du Platonisme comme du Stoïcisme.
38Le travail de A. de L. est passionnant pour qui s’intéresse aux origines de la pensée scientifique moderne. En effet le problème de la nature des idées universelles est au fondement de tout discours scientifique ancien, moderne ou contemporain. L’analyse des généralités dans la ligne de Boèce peut servir de bon indicateur (cf. le théorème de A. de L. p. 212). Nous avons retenu selon la ligne de nos intérêts ce qui concerne la géométrie. L’exemple de la droite est qualifié fort justement dans l’épistémé de l’époque comme intuitif. Nous sommes convaincu que c’était effectivement bien le cas, mais l’on ne peut être compris (et tout particulièrement en ce qui concerne la question de l’abstraction des généralités) que si on saisit l’opposition entre arithmétique et géométrie, et la manière dont la pensée grecque a tenté de résoudre les apories mathématiques de Zénon (cf. p. 219).
39Un exemple de la difficulté d’interprétation des textes est la contestation de la traduction de Mugnier (p. 422) sur la géométrie. Il nous semble que ce passage d’Aristote met bien en évidence le caractère primordial de celle-ci dans le rapport entre géométrie et arithmétique pour la constitution de la connaissance. Que cette évidence géométrique ait disparu par la suite, et tout particulièrement dans la pensée du moyen âge, est possible. Pourtant le modèle géométrique de l’abstractionnisme n’a de sens que si on le distingue du modèle pythagoricien issu de l’arithmétique.
40Signalons la conclusion de A. de L. Ce qui en surprendra beaucoup, la longue et minutieuse étude de la permanence d’une question (celle des généralités) au fil d’une longue période de l’histoire de la philosophie sert de prélude à une passionnante discussion sur le débat qui oppose la philosophie continentale (celle du commentaire) à la philosophie dite anglo-saxonne et analytique. Le penchant naturel de la philosophie continentale est la dramatisation. Elle préfère les oppositions aux discussions. Au sens de A. de L., on peut dire que son enseignement et sa diffusion sont largement sous-déterminés : on ne voit jamais poindre les questions autour desquelles les différentes positions argumenteraient. L’histoire de la philosophie ne répond pas aux questions qui sont absentes de son propos. On a une position analogue à celle qui divise les épistémologues quand ils parlent de révolutions scientifiques, et dramatisent la succession des étapes. Si l’on veut considérer les problèmes et les réponses, il y a un holisme naturel à toute position : chaque époque a ses questions, et la famille des réponses ne peut se comprendre que dans ce contexte. Les questions sont-elles « éternelles » ? En particulier celle des généralités ? Et leur approche permet-elle une discussion raisonnable par-delà les siècles ? C’est l’optimisme de la philosophie dite anglo-saxonne, mais aussi sa difficulté à concevoir des ruptures.
41A. de L. prend ses distances par rapport à ce qu’il appelle le relativisme continental qui s’appuie trop facilement sur une caricature de G. Bachelard ou de T. S. Kuhn. La question des universaux est par nature de celle qui permet de poser, au fil de l’histoire, la permanence d’une certaine épistémé. Si une thèse philosophique est d’abord formulée et comprise à l’intérieur de son propre système, il doit être possible de la discuter séparément de ses conditions historiques. L’histoire du problème des généralités, telle que l’a retracée A. de L., démontre que cela fut possible. On comprend mieux alors que jamais il ne relie la question traitée à d’autres qui lui étaient contemporaines. Nulle part ici il ne s’appuie sur le contexte et les exemples qui, à toutes les époques, servaient de sophismata. Il retrace l’épure des questions telle que la logique permet de les synthétiser. Et de constater qu’au fil de l’histoire une nette permanence se dessine : mêmes arguments, mêmes développements. Il y a bien une forme générale de discussion qui sert de cadre au développement et qui n’est ni du temps ni hors du temps, car elle structure une forme de problèmes. A. de L., prenant ses distances avec Michel Foucauld, montre que le relativisme et le holisme n’ont rien de proprement continental et s’appuie sur G. Collingwood. Le territoire de l’historien de la philosophie est un complexe de questions et de réponses. Et ce lieu est structuré. L’historien peut dire si la réponse fournie à un instant donnée est une réponse correcte compte tenu des questions posées. La question de la vérité est tout autre. La culture du commentaire médiéval est celle de la dispute. Tout se déroule dans un champ de problèmes estimés (plus ou moins consciemment) pertinents.
Mais une chose est de discuter la thèse de Untel, autre chose le problème de Tel autre. Nous observons la permanence de grands champs de problèmes. Et si certaines réponses nous échappent, car les arguments (et les exemples) ne nous sont plus accessibles, certains champs de problèmes demeurent. Du moins c’est la conviction de A. de L. On ne s’étonnera pas que cette prise de position prête à discussion. Il est à souhaiter qu’elle soit considérée comme un élément dans une très longue dispute qui est née bien avant nous.
Nous comprenons mieux comment A. de L. peut discuter de la coupure entre philosophie médiévale (et tout particulièrement l’oxfordienne) et philosophie analytique. Dans l’un et l’autre cas, la procédure pour discuter les problèmes passe par l’échange d’arguments. Et l’on voit aussi pourquoi il s’est penché ensuite sur la question du statut des références vides. Il y a en effet un côté logique à raisonner avec des concepts qui ont une signification mais pas de référence.
Cette procédure est tellement fondamentale qu’elle sera, à notre sens, au point de départ de l’algèbre et de la manière de résorber ce qui fut la charnière de toute la discussion antique opposant les deux évidences arithmétique et géométrique. Dans la pensée moderne, il ne sera plus question d’arithmétique et de géométrie, mais d’algèbre et de géométrie analytique, projective, ou de calcul infinitésimal.
Que cette épistémé demeure aujourd’hui dans tous les milieux philosophiques ou scientifiques est une question. Si la question de l’universel introduit par Saint Paul et admirablement thématisé par Alain Badiou fait bien partie des perspectives encore ouvertes par le christianisme, le traitement en a subi de nombreuses variantes. À preuve l’excellente thèse de Ivan Coelho sur Bernard Lonergan [18]. Ce théologien s’est interrogé sur la connaissance de Dieu, en se référant à une certaine analyse de la connaissance scientifique. Il introduisit la question du transcendantal par-delà toute épistémologie, faisant place à l’originalité du savoir religieux dans le cadre de la connaissance historique. Par-delà la présentation de la question du point de vue universel dans la théologie de ce jésuite canadien mort en 1984, on voit comment un point de vue compréhensif peut être le but de la dialectique. Si cet auteur relève de la tradition thomiste et de l’influence de J. Maréchal, la position de la question de la méthode (théologique) située comme horizon introduit à une forme de sagesse (en relation avec la diversité des religions) très différente de la tradition de l’épistémé médiévale. Les théologies chrétiennes ont aussi posé l’universel comme une méthode. La question posée par Saint Paul a débouché sur une interrogation concernant le sujet et sa place dans l’histoire. Une aventure qui serait apparue bien étrange pour des hommes ayant comme perspective la question des deux sens de l’universel.
Les condamnations de 1277. Une conséquence du conflit entre la théologie classique et le renouveau des études logiques et scientifiques. — L’actualité de l’édition nous permet de reconsidérer le dossier des condamnations de 1277. La première (et la plus connue) est celle de l’université de Paris. Nous disposons maintenant d’une nouvelle traduction et d’un commentaire par D. Piché [19]. Il ne semble pas qu’il y ait de gros problèmes de constitution de texte. Notons que cette édition ne cherche pas à présenter les 219 différents articles rejetés selon un ordre raisonné. Elle les prend dans leur désordre apparent. Chacun d’entre eux est accompagné d’une bibliographie approfondie. L’A. s’appuie sur les commentaires de A. de Libera, de J.-L. Bataillon, de R. Hissette et de L. Bianchi. L’édition du document est suivie d’un commentaire traitant des enjeux doctrinaux, épistémologiques et éthiques. Que la question du rapport entre théologie et philosophie soit le point principal autour duquel tournent ces condamnations est manifeste. Il n’en demeure pas moins qu’à notre sens il est difficile de qualifier ce rapport comme « épistémologique » [20]. Ce terme en tant que tel est moderne (xixe siècle, ainsi que son usage), et il risque d’y avoir confusion entre cette position et la position médiévale.
Il est tout à fait juste en revanche de considérer le débat par rapport à la manière dont on comprenait les fondements de la foi chrétienne. La question posée par l’aristotélisme n’est pas théorique. Le théologien ne dit pas ce qui est de la même manière que le philosophe. Et le philosophe n’a pas à s’occuper des miracles. L’histoire y verra la théorie de la double vérité, signature de l’averroïsme latin. L’époque avait à assumer le conflit entre diverses formes de vérité. Le débat d’alors, si on le prend sous l’aspect qualifié aujourd’hui d’épistémologique, peut ressembler à celui d’aujourd’hui. Nous n’en sommes pas convaincus. C’est à nouveau bien la question des généralités évoquée antérieurement.
Il semble bien qu’il y ait une distorsion entre la position de Boèce de Dacie et celle condamnée par Tempier. Si l’on reprend la problématique précédente, peut-on supposer une permanence de problématique ? On peut toujours dire que ce qui était visé n’était pas finalement Boèce mais un de ses disciples. On peut aussi penser qu’il s’agit d’un conflit d’évidences au sens de Collingwood. L’édition de D. P. fournit une longue série de notes sur la question de la soi-disant double vérité et son rapport à la théorie de la création.
Certaines des propositions rejetées traitent de la physique. Est condamnée en particulier la proposition 153, laquelle affirme qu’on ne sait rien de plus quand on connaît la théologie. C’est toute une hiérarchisation des savoirs par rapport à la théologie qui est en jeu, ainsi que la (nouvelle) distinction entre le pouvoir absolu de Dieu et son pouvoir ordinaire. On y trouve aussi la condamnation des conceptions attribuant l’éternité au monde (prop. 87, 89). Inversement, il est affirmé que Dieu peut créer une pluralité de mondes (prop. 34) [21]. Cette condamnation reflète bien la réalité complexe de la réflexion d’alors, et constitue un bon exemple de ce dont traite par exemple le livre de R. Rashed présenté ci-dessus. Le traitement de certaines généralités à référence vide ou hors de l’histoire ne peut rendre compte de la violence de certaines impossibilités de dialogue.
Les condamnations de 1277 ont fait l’objet d’un très volumineux travail commun aux universités de Cologne et de Notre Dame [22]. L’introduction de cet ouvrage collectif montre comment il faut relativiser la thèse de P. Duhem qui situe dans cette condamnation la naissance de la science moderne. Elle reprend la position de A. de Libera qui estime que l’introduction de nouvelles connaissances a constitué la philosophie en tant que forme nouvelle de sagesse indépendante de la révélation divine. P. Hadot et de J. Le Goff en déduisirent que c’est une nouvelle classe d’intellectuels qui naît ainsi. De même L. Bianchi considéra que cette condamnation signifie une critique intellectuelle des possibilités de la spéculation. L’interprétation de ces condamnations de 1277 est bien liée à la place que l’on accorde à la philosophie.
Les hasards de l’édition font que paraît presque en même temps une étude concernant une autre condamnation, laquelle fut prononcée à Londres en 1286 par Jean Peckham [23]. Ce livre d’un tout autre style montre comment une certaine opposition augustinienne à l’aristotélisme a permis le passage progressif à ce que nous appellerions maintenant l’empirisme. La philosophie nouvelle ne traite pas uniquement de l’analyse du mouvement via l’intégration de l’impetus dans le mobile. La présence d’une puissance active dans la matière a des conséquences qui concernent aussi le culte des reliques et les différentes querelles ecclésiastiques de l’époque. On trouve les traces d’une ontologie de la lumière présentée comme forme première. Cette interprétation entre physique, philosophie et théologie fait comprendre que J. Peckham se soit consacré à des travaux d’optique. L’anthropologie du corps mort et de la capacité du cadavre de l’assassiné à désigner son meurtrier ne surprend pas celui qui est confronté aux questions de l’ethnologie de terrain. Elle est peu habituelle quand on aborde les questions d’ordre théologique, philosophique et « épistémologique » du monde médiéval. Étonnons-nous que l’exemple de la femme menstruée qui embue le miroir soit attribué à Peckham (p. 242), alors que l’on trouve déjà cet exemple chez Aristote (Des rêves 459b).
Maïmonide. — Les Belles Lettres font paraître un petit volume sur Maïmonide. Les questions du calendrier et de la double vérité sont liées [24]. Il est tentant de comparer les condamnations de 1277 et 1286 avec la grande disputation de Paris entre prêtres et rabbins à propos du Talmud, puis le herem de 1306 du grand rabbin de Barcelone Salomon ben Adereth (dit Rachba) exprimant la tension entre maïmonidiens et anti-maïmonidiens. L’opposition entre philosophie et théologie se retrouve aussi dans le monde de Maïmonide. La question et son traitement sont à considérer dans l’ensemble de l’équilibre médiéval de la pensée.
Peut-être faut-il considérer ces diverses condamnations comme une rupture dans l’équilibre entre les deux formes d’universels, architecture régie par la domination de la théologie sur la philosophie. Et dans ce cas, la manière dont l’arithmétique a été absorbée par la géométrie, laquelle à son tour devint un élément de la dialectique permettant à la physique de constituer la théologie, continue d’être un lieu charnière de l’histoire des idées dont nous héritons. La notion de mesure, l’introduction d’un nouveau rapport des mathématiques au réalisme de la physique, et bientôt les nouvelles discussions sur le statut de l’infini dans le cosmos vont modifier les mathématiques, la logique et les formes de description de ce qui est comme de l’horizon des discours qui en établissent le réalisme.
La période moderne. D’une condamnation à l’autre
42R. Martens. Une présentation de la philosophie de Kepler. — La personnalité scientifique de J. Kepler est bien connue. Son profil philosophique est plus obscur, dans la mesure où il n’a rédigé aucun traité de cet ordre. Le livre de Rhonda Martens [25] tente de présenter un portrait d’ensemble à partir de la manière dont Kepler a abordé les différents problèmes d’astronomie, d’optique et de mathématiques qu’il eut à résoudre. Pour Kepler, les observations réalisées ne peuvent se comprendre qu’à l’intérieur de la nouvelle astronomie (copernicienne). Celle-ci doit se fonder sur la physique (une physique commune aux astres et à la Terre). Il faut combiner la physique aristotélicienne et la mécanique archimédienne. Il est possible de faire intervenir les mathématiques à l’intérieur de la physique. Kepler développe donc une métaphysique mathématique. L’esthétique qui prélude à la création du monde par Dieu est une esthétique d’archétypes de nature géométrique. Il n’est pas possible, dans la période où se construit une nouvelle astronomie, de séparer les perspectives dites « épistémologiques » de celles dites méthodologiques et métaphysiques. Comment transformer des données en évidences ? Le travail de R. M. prend ses distances par rapport aux analyses de J. Henry et S. Shapin. Pour R. M., les idées non scientifiques de Kepler sont motivées par ses recherches rationnelles et scientifiques. Il ne semble pas que Kepler ait abandonné sa conception des archétypes dans ses œuvres de maturité.
43On peut s’étonner de certaines omissions. Il est juste de signaler que Kepler utilise de manière précise la notion théologique de Trinité pour analyser la forme générale du monde (p. 40, 73-74, 97). Encore faudrait-il présenter la théologie trinitaire développée à l’époque, et tout particulièrement dans le cercle de Tübingen et autour de Melanchton. Il suffit de lire la moindre histoire de la théologie pour comprendre quels débats cristallisaient alors autour de cette question dogmatique. L’invocation de la conception keplerienne de Dieu se situe de fait dans un cadre plus général de débats théologiques qu’il n’est pas possible de négliger. Ce devrait être une bonne piste pour analyser la notion d’archétype fondée non sur les nombres mais sur la géométrie et la physique. L’idée de Kepler semble être qu’on ne peut trouver d’ordre dans les nombres, alors qu’en géométrie on peut ordonner les figures (p. 54). Peut-on en déduire que le Dieu de Kepler est platonicien et non pythagoricien ? Nous espérons que certaines des remarques initiales de ce Bulletin auront rappelé au lecteur que les choses ne sont pas si simples. L’édition de la traduction française de Mysterium [26] fourmille de notes et d’indications précieuses permettant d’aborder ces questions. Malheureusement ce travail, ainsi que celui plus ancien de G. Simon [27], non plus que celui de F. Hallyn [28] ne sont pas référencés dans le livre de R. M.
44L’étude des astres forme un tout à cette époque. Pour Aristote, la géométrie ne concerne pas la question du mouvement et c’est pourquoi elle ne peut traiter de la physique. R. M. considère alors Kepler comme un platonicien métaphysique et comme un aristotélicien méthodologique. Les points géométriques sont devenus des causes physiques. Il marque bien le lien d’une certaine conception de la mécanique céleste entre physique et mathématique via le magnétisme et la théologie de la création. C’est en ce sens qu’il interprète la notion d’archétype chez Kepler (p. 109). Si on veut utiliser des termes modernes, on peut imaginer l’harmonie de la musique des sphères comme une forme d’opérateur abstrait, ancêtre de la notion de fonction.
45R. M. souligne l’importance du changement apporté par Kepler : celui-ci veut fonder l’harmonie sur la géométrie et non sur l’arithmétique. Il marque ainsi sa différence avec les Pythagoriciens comme avec Ptolémée. L’attitude de Kepler par rapport à l’harmonie correspond à une conception de la musique et de la polyphonie (naissante) qui était inimaginable pour les anciens (musiciens). La notion de relation (géométrique) et de construction est privilégiée. La référence aux archétypes fait que la conception de la connaissance chez Kepler est plus proche de celle de Proclus ou de Platon que de celle d’Aristote. R. M. analyse comment le développement de l’œuvre de Kepler se heurte à la complexité de la physique (c’est-à-dire de la réalité des mouvements célestes) et les conséquences de cette découverte sur sa cosmologie. Pourquoi le monde physique n’est-il pas conforme à son modèle géométrique ? C’est une nouvelle question posée à la « création-par-Dieu ». Elle est aussi radicale que celle du mal. R. M. relie la position de Kepler à sa postérité leibnizienne : non pas un monde parfait, mais le meilleur des mondes possibles, l’ordre s’exprimant dans les lois physiques.
46P. Hamon et P. Darmon. La mutation du visible La mécanisation de l’optique géométrique. — Les questions que posent l’apparition des instruments d’observation au xviie siècle sont nombreuses. Philippe Hamou nous propose une étude approfondie des instruments d’optique de cette époque [29]. Cette somme se situe dans la lignée des travaux de Gérard Simon [30]. La différence est grande cependant. Cela tient bien entendu à la période étudiée. Apparaissent maintenant les problèmes que pose l’introduction d’une théorie de l’optique. Il faut expliquer qu’on peut se fier aux instruments. Le premier volume traite de Galilée et de l’histoire de sa lunette, puis de Kepler, de sa discussion concernant Galilée et des premières lois tentant de justifier la construction de ces instruments. Il traite de Gassendi et de Huygens. Il s’achève par un bref chapitre attribuant à Descartes l’invention méthodique de la lunette. Le deuxième volume est consacré au monde anglais. Il montre comment le microscope est entré dans la Royal Society. Il expose l’alphabet du visible de Robert Hooke pour se centrer sur son empirisme visuel.
47L’objectif de ces deux volumes est très ambitieux. L’A. ne veut pas se limiter à une histoire factuelle des instruments, de leur apparition et de leur construction. Il veut faire œuvre épistémologique, en montrant l’emprise cosmique de ce nouveau paradigme visuel. Noter la différence (peu abordée) entre les questions posées par l’astronomie (le procès Galilée) et celles posées par le microscope (la question du vivant) qui semblent ne pas heurter de la même manière l’équilibre philosophique et religieux de l’époque. Les deux infinis pascaliens n’inquiètent pas de la même manière.
48Il pourrait paraître prétentieux de dire que ce travail nous laisse un peu sur notre faim. Si nous nous attachons par exemple à la présentation des divers travaux autour de la Dioptrique de Kepler, ou si nous comparons au travail de R. Martens, on est tenté de souligner ce qui manque : l’œuvre de Kepler est en même temps astronomique, mathématique, philosophique et théologique. Il ne suffit pas de justifier les lunettes en fonction de leur rapport à l’astronomie pour comprendre comment la géométrie se modifie et se substitue à l’arithmétique dans l’analyse du rapport de la sensation aux choses. Nous pensons que la question épistémologique posée par la mutation de l’empirisme au xviie siècle ne peut se comprendre que si l’on aborde simultanément le développement technique, la naissance d’une nouvelle forme de philosophie du vivant et une analyse de la re-conception de l’espace via le développement de la nouvelle géométrie. P. H. définit un empirisme visuel qui diffère profondément de la forme médiévale comme de cette nouvelle forme expérimentale positiviste qui s’esquissera par la suite. La figure emblématique de cette nouvelle certitude est Hooke : il faut rapporter le monde aux sens. La comparaison avec Newton est instructive. Mais la science newtonienne, sa conception de la lumière et l’interprétation positiviste de sa mécanique vont vite rendre incompréhensible l’immédiateté sensuelle qui constitue l’évidence de toute cette période intermédiaire. C’est aussi la géométrie qui change. C’est pourquoi nous préférons les conclusions de P. H. quand il déborde sur Locke que celles concernant Newton.
49L’introduction du deuxième volume propose une piste très intéressante pour l’étude de cette période. Elle concerne la naissance des théologies physiques (p. 44). Il semble bien qu’elles trouvent leur origine dans l’interprétation de la nouvelle manière de voir le monde en tant que proto-révélation. On comprend mieux cette approche si on la situe dans le cadre de cette forme intermédiaire d’évidence : ce qui est proposé par les instruments optiques est aussi évident et immédiatement accessible aux sens que ce qui est saisi directement par ceux-ci. Aussi bien le ciel perçu dans sa nouvelle réalité physique que le corps humain disent la nouvelle vision que nous en avons : la gloire de Dieu. Développer cette nouvelle approche scientifique, c’est participer à une nouvelle conversion du monde.
50Il existe des versions plus « romancées », des questions évoquées ici, qui ont l’avantage de faire percevoir concrètement les conséquences de certains débats. Ainsi le livre de Pierre Darmon [31]. Il traite d’abord de l’introduction du microscope, puis de la révolution pasteurienne, de l’essor de la microbiologie. Une deuxième partie aborde la lutte contre la pollution microbienne autour de la question de l’eau et de l’air pur. Ce n’est que tardivement que l’on commence à prendre en considération les vecteurs microbiens. Dans cette « histoire », il faut chercher les nombreuses remarques concernant les résistances et les sur-interprétations sociales. Ainsi l’apparition de la pénicilline et les précurseurs d’A. Fleming [32], ou la place de mathématiciens dans l’évolution de la biologie (J.-S. Griffith [33]). La science classique se heurte à de nombreuses résistances. Seules des histoires factuelles et sociales de ce type permettent de s’en rendre compte. À sa manière, ce livre est une leçon d’épistémologie.
51M. Blay. La naissance de la science classique. — Ce petit livre de Michel Blay [34] est un très bon résumé de ce qu’on peut dire actuellement sur l’histoire des sciences (physiques) du xviie siècles. Après une présentation sans surprises de la découverte d’un monde nouveau, deux chapitres particulièrement intéressants traitent de la mécanique et de la couleur. Ils correspondent aux recherches fondamentales de M. B. La conclusion ouvre sur les nouvelles méthodes de calcul. Ce texte sans prétentions est bien dans la ligne de ce que la recherche universitaire peut vulgariser. Il peut constituer une introduction aux nombreux textes du même que nous avons lus [35]. Il ne faut pas y chercher des indications sur les contextes.
52S. Shapin. La modification des systèmes de crédibilité liés au changement du visible. — Nous tenons à parler ici d’un livre déjà ancien de Steven Shapin [36] qui concerne directement notre propos ; ne serait-ce qu’en raison de ce que nous avons relevé de P. Hamou un peu plus haut. S. S. traite du changement de conditions de crédibilité dans le monde anglais du xviie siècle. Qui était considéré comme un gentleman, un homme crédible ? Et comment acquérir cette crédibilité ? La méthode expérimentale instaure une nouvelle forme d’autorité et d’identité. Il faut donc une gestion pratique de ces formes de témoignages. Le personnage central de ce livre est Boyle. Les sciences expérimentales mécaniques et atomistes ne peuvent prendre en considération les mathématiques, qu’elles soient arithmétique ou géométrie, à la manière des Platoniciens. Compte tenu de notre question dominante, nous avons prêté une attention particulière au passage consacré par S. S. aux mathématiques à partir de la p. 317. Quelle est la place de la précision des mesures, et quel est le rapport avec les nombres ? Comment mesurer les qualités ? Y a-t-il un système de mesure commun pour les poids ? Le monde est considéré comme corpusculaire et mécanique. Les mathématiques ne s’appliquent plus à un monde idéal et sans matière. Il faut montrer que cette approche peut conduire elle aussi à la vertu. Les nouvelles mathématiques peuvent protéger la religion. C’est un nouveau régime de l’autorité. Il y a un domaine dans lequel la production légitime de la vérité et sa reconnaissance n’exige pas de celui qui connaît une action intellectuelle libre.
53Le plus étonnant de ce livre est le dernier chapitre qui traite des techniciens et de leur représentation dans les tableaux et gravures [37]. S. S. en avait déjà donné une version abrégée. Nous en avons parlé. Il faudra longtemps pour que les acteurs « réels » de l’action scientifique soient reconnus (et décrits). La mesure n’est pas pure arithmétique, ni simple relevé d’un instrument de mesure. Elle est réalisée par ces nouveaux acteurs des sciences que sont les techniciens et expérimentateurs, les Boyle, Hooke, Loewenhoeck, Faraday, etc.
54En ce qui concerne la religiosité de Boyle, ce livre consacre de nombreuses pages d’analyse pour établir le lien avec la nouvelle conception de la légitimité et de la crédibilité des objets de la philosophie (et des sciences). Nous estimons ces passages fondamentaux en ce qui concerne l’éclairage ultérieur des positions de Newton, puis de la théologie physique. Ce sont des aspects qu’une approche considérée trop souvent comme sociologique met bien en évidence. À notre sens, ce travail éclaire l’originalité de l’empirisme issu de l’apparition des nouveaux instruments d’observation que nous avons mentionné ci-dessus et ses conséquences en philosophie et en théologie.
55A. Bouvier et D. Terré. La philosophie des sciences sociales. — Nous allons maintenant pratiquer une forme d’anachronisme en rapprochant la démarche de S. Shapin de celle d’Alban Bouvier [38] qui traite de la question du développement d’une sociologie de la discussion rationnelle en général. La rationalité présuppose la question de la cohérence du système. Il faut remonter aux justifications des croyances. Il faut aborder les tournures argumentatives qui englobent les prétentions cognitivistes et révèlent des systèmes de croyance. Quel est le statut de l’équilibre réflexif entre l’adhésion et la régression à l’infini dans la recherche des fondements ? Dans l’argumentation, peut-on faire comme Descartes, et s’appuyer sur des principes accordés comme évidents par les interlocuteurs ?
56Ce livre est la reprise du mémoire d’habilitation d’A. B. Il aborde la question de l’argumentation dans les sciences sociales et le débat entre Hans Albert et Jürgen Habermas. L’analyse de la communication est-elle apte à représenter le fonctionnement de l’esprit ? Ou encore le domaine des sciences de l’esprit est-il inaccessible aux méthodes des sciences de la nature ? Les traditions de G. Durkheim, d’É. Weber et M. Simmel ou de Pareto et Tarde sont irréductibles. L’effort de l’école de Francfort ne suffit pas. Il y a dans les sciences sociales une lignée empiriste qui ne peut se réduire à l’utilitarisme. S’il n’y a pas de logique de l’induction, il peut y avoir selon A. B. une théorie des choix rationnels. La référence à Laudan est éclairante. Il faut, pour comprendre ce que peut être une théorie empiriquement pertinente et ne pas se limiter à des propos méta-théoriques, ne pas gommer la dimension de confrontation entre paradigmes rivaux à une époque donnée (contre T. S. Kuhn). Ces oppositions ne sont pas simplement une question de style au sens de G.-G. Granger. Elles ne sont pas d’incommensurabilité. Elles ne sont pas dramatiques. Ainsi la différence entre Desargue et Descartes est plus proche de ce qui distingue arithmétique et géométrie. On peut considérer qu’elle implique des thématisations différentes (J.-L. Gardiès). Il y a une histoire des problèmes qui peut amener par le biais d’une épistémologie comparative à repérer des identités foncières de problématiques et des déplacements de fonctionnalité.
57La troisième partie de cette étude propose un point de vue argumentativiste en théorie des croyances collectives et en sociologie de la connaissance scientifique. Elle critique la forme de holisme qui caractérise les réseaux comme des actants. C’est ce que A. B. appelle le holisme culturaliste et sa variante structuraliste française. C’est le statut de l’épistémé discuté ci-dessus par A. de Libera. Comment sont structurés les a priori collectifs, et quelles en sont les catégories ? Devant les difficultés des débats rationnels, dont la rigueur scientifique n’est pas toujours la qualité majeure, A. B. conclut par un appel au paradigme rationaliste.
58Les enjeux de cette discussion sont très importants. Il n’est pas certain que les sciences s’intègrent toujours dans des savoirs rationnels. Le livre de Dominique Terré fait un panorama des exemples contemporains [39]. Elle commence par la question de l’auto-organisation (H. Atlan), puis quelques grands maîtres (R. Thom, I. Prigogine, O. Costa de Beauregard, S. Lupasco). Elle aborde ensuite quelques thèmes autour de la physique. La quatrième partie traite de la rhétorique de l’irrationnel (M. Bunge, H. Thom, P. Ricœur) et des métaphores. Le livre se termine par l’irrationnel sociologique (H. Atlan, P. Feyerabend, A. Chalmers, le constructivisme). La liste ci-dessus manifeste les limites de ce travail. Fondamentalement polémique et sans grandes nuances, la présentation de D. T. explique ce tournant vers l’irrationnel par la tendance de l’invention scientifique à argumenter en utilisant des analogies et métaphores. D’où les tentatives de ré-enchanter le monde en s’appuyant sur une relativisme de tolérance (H. Atlan) ou un socio-constructivisme radical. D. T. s’appuie sur Hegel pour expliquer ces écarts en les expliquant comme des gnoses privilégiant la forme sur le contenu. Le risque de l’entendement est de vouloir tenir la prolifération des choses à l’intérieur de l’abstraction de l’intelligence. Cette interprétation très classique peut laisser sceptique, alors que le thème même du travail est parfaitement respectable.
59On comprend dès lors que l’approche de S. Shapin est trop naïvement descriptive. Le changement des systèmes de confiance qui marque la naissance des sciences modernes, le renversement des ordres d’autorité entre science et théologie qui caractérise aux yeux de Westfall le passage du xvie au xviiie siècle et la constitution d’une famille de héros rationalistes de la science n’empêchent pas que l’on continue à accorder sa confiance à quelque chose qu’on appelle rigueur comme les aristotéliciens de l’époque. Tout au long de l’histoire, et dans la permanence du débat entre arithmétique et géométrie, demeure la permanence de la croyance en la capacité de la raison à développer les questions les plus intéressantes. Nous allons retrouver ce débat un peu plus loin avec la philosophie naturelle et Newton.
60E. Festa et alii. Retour à l’histoire, la tradition galiléenne. — L’étude du xviie siècle ne peut faire l’économie de l’analyse de la place de la géométrie et de son évolution conceptuelle [40]. L’atomisme ambiant n’a pas la même signification, nous l’avons vu, selon que la géométrie rend sensible l’évidence de l’atome (via le microscope) ou non. L’étude de l’espace penche alors soit vers la géométrie soit vers l’arithmétique. La solution cartésienne tente un équilibre [41]. Si l’on pense à cette histoire, le premier réflexe est de s’attacher au passage de Kepler à Newton en omettant la filiation italienne. L’ensemble des articles de ce volume expose la tradition galiléenne qui est moins connue. Une note concernant la définition euclidienne du point dans la tradition de Proclus et de Ficin ne manque pas d’intérêt (p. 259) pour ce qui concerne la question posée ci-dessus sur l’héritage de Proclus. Signalons l’article de Aldo Brigaglia « Algèbre et géométrie dans l’œuvre de Carlo Renaldi » traitant du refus de l’école italienne d’accueillir la géométrie cartésienne dans sa filiation algébrique issue plus ou moins directement de Viète. Michel Blay présente la critique de la théorie de l’analyse du mouvement selon Varigon. On voit comment la position de Wallis a permis de résoudre les difficultés de la géométrisation du mouvement et de l’infiniment petit.
61Bien entendu tous les contemporains de Galilée, Kepler ou Newton n’étaient pas concernés de la même manière par le jeu des concepts scientifiques et de la nouvelle géométrie. Dans un parcours théorique, il faut prêter la plus grande attention à l’héritage néo-platonicien. Par contre, si l’on considère comme déterminante dans l’évolution des savoirs l’apparition de nouveaux critères de confiance, et que l’on donne priorité à la physique dans la correspondance entre l’homme et le monde, c’est alors vers l’héritage stoïcien qu’il faut se tourner. Ce ne sont pas les mêmes axes de pensée qui opèrent chez les uns et les autres. C’est un problème de sociologie des connaissances sur lequel nos lectures nous font souvent revenir. En ce qui concerne le Stoïcisme et ses résurgences au xviie siècle, signalons le volume rassemblé par Pierre-François Moreau [42]. Relevons le lien entre l’alchimie de Paracelse et les Stoïciens, et la manière dont la physique stoïcienne s’est associée à la philosophie chimique (art. de Bernard Joly).
62A. Frantoli. Un condamné célèbre, Galilée. — Nous disposons maintenant de la traduction française d’un livre majeur concernant le rapport entre Galilée et Copernic et traitant tout particulièrement des démêlés avec l’Église. Par rapport à l’édition italienne originale de 1993, Annibale Frantoli [43] a procédé à un considérable effort d’actualisation visible dans les notes. Ceci vaut entre autre pour l’analyse des propos de Jean Paul II (cf. p. 356, et surtout la longue note 47 [44]). À côté d’une certaine réticence par rapport au ton général de la déclaration de 1992 qui, d’une certaine manière, est moins ouvert que celui de 1979, et d’une analyse des motifs probables de ce retrait, A. F. souligne l’effort considérable des publications de la commission pontificale. Le cardinal J. Ratzinger a ouvert aux chercheurs l’intégralité des archives en 1998. A. F. en profite pour donner son opinion sur quelques-unes des études les plus récentes. Il fait une critique argumentée de la position de Beretta [45] p. 426-429, refusant l’hypothèse d’un faux qui aurait été introduit en 1633, tout en le suivant en ce qui concerne l’établissement de l’exhaustivité de l’ensemble des documents originaux. Ceci confirme la position déjà ancienne de Favaro. Nous avons eu déjà l’occasion de parler plusieurs fois ici même du travail remarquable de Pierre-Noel Mayaud [46]. La traduction française du livre de A. F. est l’occasion de quelques mises au point concernant les recherches de Mayaud sur l’évolution de l’Index en les complétant sur certains points (l’apport de Ugo Baldini, publications en 2000).
63L’intérêt du livre de A. F. réside dans sa clarté et sa très grande honnêteté. Le dossier de Galilée se double d’un deuxième dossier qui est « l’affaire Galilée ». Cette étude exprime parfaitement les tenants et aboutissants du xviie siècle qui en firent la complexité. Ce siècle fut fécond en débats philosophico-théologiques, et il faut constater avec quelle prudence Galilée s’en est tenu à distance. Comme nous avons pu le constater plus haut, la forme d’empirisme visuel de Galilée nous est maintenant très étrangère. Le corps même des arguments galiléens, les évidences qui en sont le soubassement, et tout particulièrement la forme d’empirisme d’alors et la confiance dans le rationalisme risquent fort d’être pour nous de faux amis. Ce livre aborde aussi l’actualité de notre siècle. Il y a dans l’Église encore aujourd’hui une grande difficulté à reconnaître ses torts. Il faut « admirer » la prudence et le style contourné de nombreux débats cléricaux, et les réticences à accepter qu’une révision du procès soit imaginable. Un peu d’histoire aide à comprendre les croisements d’influence et l’attitude constamment défensive prise par un certain milieu romain qui s’estime perpétuellement attaqué. Les réponses actuelles fournies par l’Église laissent un petit goût d’inachevé. Il ne semble plus qu’il soit encore possible de continuer à barrer les chemins de la recherche historique pour justifier telle ou telle congrégation ou compagnie, en rejetant la responsabilité sur les « autres ». L’histoire de la censure de la « Vie de Galilée » de Pio Paschini [47] n’est pas si ancienne que cela. Accepter que la rationalité religieuse soit interrogée par la sociologie des sciences ou celle des connaissances n’est pas encore acquis.
64T. Campanella. Un autre condamné. — La maison d’édition « Les Belles Lettres » après Le messager céleste de Galilée, Le Secret du monde et la Discussion avec le Messager céleste de Kepler, Les fondements de la mécanique classique de Newton, publie l’Apologia pro Galileo de T. Campanella [48]. Le texte latin imprimé en 1622 est ici traduit avec tout un appareil de notes dues au travail d’érudition de Michel-Pierre Lerner [49]. Signalons le passage concernant la nécessité d’une réforme radicale de l’encyclopédie du savoir (p. lxxviii). Le traducteur insiste sur la stratégie philosophique que constitue, aux yeux d’un théologien comme Campanella, l’écriture sous forme de dialogue. Il la relie à une des formes de quaestio médiévales. L’apologie de Campanella traite de la manière galiléenne de philosopher. On voit comment le sensualisme de Telesio dont se réclame Campanella diffère de la première géométrisation de Galilée. À preuve la manière dont ce dominicain relit les positions de Galilée en termes de probabilité (au sens ancien du terme), et non de vérité physique. Suit une présentation des sciences modernes et des avantages que ces connaissances pouvaient alors apporter dans les confrontations avec les Chinois, les Musulmans et les Protestants. M. P. Lerner explique longuement comment on peut interpréter le refus du copernicianisme chez Campanella, alors qu’il se pose en défenseur de Galilée. Pour ce dominicain, il y a trop de problèmes que l’héliocentrisme copernico-galiléen ne parvient pas à résoudre pour accepter cette cosmologie.
65J. L. Heilbron. A. Cook. J.-P. Luminet. Retour sur les calendriers. — Nous avons déjà eu à traiter des questions de calendriers dans le lien entre cosmologie et culture. Le dernier livre de J. L. Heilbron [50] expose des questions qui sont moins simples que prévu. Nous aurions pu aborder ce texte bien plus tôt. Nous le faisons simplement maintenant parce que nous pensons que le contexte de l’étude des calendriers a bien changé. J. L. H. montre que l’Église de manière générale a massivement investi dans la recherche astronomique jusqu’à une période récente. Ainsi jusqu’au xviiie siècle certaines églises ont été construites pour permettre le calcul de la méridienne et donc établir la date de Pâque. C’est un parcours à très grands traits que nous propose l’A., autour d’une brève histoire de l’astronomie et de la constitution des calendriers. Le premier exemple considéré est celui de la reconstruction de la grande église dominicaine Santa Maria Novella de Florence et de l’intervention de Egnatio Danti en 1574, en cette ville, puis à Bologne et à Rome. Le chapitre suivant traite de Cassini et de l’école de Bologne (San Petronio). C’est un véritable cours sur la géométrie astronomique de cette époque. Vient ensuite la question de la réfraction et du parallaxe du Soleil. L’histoire du calcul des méridiens (que ce soit celui de Bologne ou de Paris) passe par celle des instruments comme ceux de San Petronio. En 1779, un tremblement de terre touche le bâtiment. On en profite encore pour corriger cette architecture qui est toujours considérée comme un instrument pertinent de mesure. La question de la détermination de la méridienne est liée à celle de la détermination du calendrier religieux. J. L. H. présente ensuite les négociations qui ont abouti à la fixation de ce calendrier dans les différentes régions de l’Europe. Ce n’est qu’au courant du xixe siècle que les instruments de type lunette se substitueront entièrement aux architectures pour l’établissement des mesures précises.
Santa Maria del Fiore à Florence fut construite sous l’égide de Leonardo Ximenes (sj). La cathédrale devient un véritable laboratoire de physique avec la construction d’un canal pour niveler la ligne du méridien et des précautions extraordinaires pour calculer la hauteur du gnomon.
Le dernier édifice abordé est l’église de Saint-Sulpice à Paris, le seul bâtiment hors de l’Italie qui ait pu rivaliser avec les observatoires italiens. La construction de cette méridienne par Lemonnier est faite en vue non du clergé, mais de la science. Pourtant l’obélisque qui permet la mesure porte en référence l’étude de l’équinoxe pascale. La particularité de l’architecture parisienne réside dans l’installation d’une loupe pour focaliser le rayon du soleil. Cette fonction scientifique du bâtiment le protégea au moment de la Révolution. On défendait un ouvrage de science contre la fureur iconoclaste. Les observations de Lemonnier de 1743 à 1791 contribuèrent à la mesure de l’obliquité de la Terre.
Il est intéressant de comparer ces différentes mesures à celles que l’histoire de l’astronomie recueille habituellement. Ainsi celles de Bradley. Il a fallu plus d’un siècle pour fabriquer des télescopes qui puissent concurrencer les ouvertures (avec loupes mais sans lentilles) introduites dans les églises. Celles-ci étaient donc des instruments d’observation extrêmement précis de la marche du Soleil. Le dernier chapitre du livre de J. L. H. traite de cette histoire. Pourtant les instruments d’optique fascinent. On peut admirer le télescope « jésuite » dont J. L. H. reproduit une gravure de 1728, qualifiant cet appareil de « suspendu par la foi ». Pour ceux qui s’intéressent à l’iconographie des machines, le dessin est en effet extraordinaire (rôle des personnages, un seul technicien, les armes des Jésuites en plein ciel qui soutiennent l’instrument par le haut). Mais ces télescopes ne peuvent remplacer les meridiana comme chroniqueurs précis du mouvement du Soleil. La substitution définitive des instruments d’observation optiques aux constructions (en dur et religieuses) date de la fin du xviiie siècle et constitue une page fondamentale de l’histoire des fabrications de représentations pour les sciences. Même les murs des églises ne sont plus suffisamment stables pour assurer la plus grande précision requise des mesures.
Et pourtant on continua à construire des méridiennes. Les villes de Milan et de Palerme participèrent à une mesure européenne du temps à la fin du xviiie et au xixe siècle. Cette suite laïque n’est pas traitée dans le livre de J. L. H. Elle est intimement mêlée à celle de la révolution industrielle des transports et à la nécessité de relier les horloges des différentes villes d’Europe. Il ne s’agit plus d’avoir l’heure exacte pour un lieu déterminé, mais de constituer un réseau d’horloges synchronisées. Pour la petite histoire, la coordination des horloges fut l’un des problèmes prémonitoires que le jeune Einstein eut à examiner dans son bureau d’étude des brevets de Berne [51].
Comme parenthèse, ce livre propose une (brève, p. 208 ss) présentation de la situation actuelle de l’affaire Galilée : s’il conclut avec humour que, à suivre le cardinal Poupard, on serait prêt à canoniser Galilée dans un siècle, il n’en demeure pas moins qu’il ne fournit aucune analyse des résistances qui persistent, comme par exemple la méfiance vis à vis de l’œuvre de Paschini. Si l’étude de J. L. H. est très certainement un modèle d’érudition en ce qui concerne son sujet (la place des églises dans la recherche astronomique après Galilée), il n’analyse pas de quelle manière fut esquivé le conflit. L’attitude des Jésuites poussa à un travail scientifique et mathématique très réel (cf. la rénovation de l’enseignement de la géométrie) et en même temps refusa toute innovation qui pourrait favoriser le cartésianisme. La figure du Père André (jésuite), cartésien et professeur déplacé de collège en collège, est particulièrement frappante. Il fut le professeur de Laplace (p. 215). Il eut apparemment une très grande liberté. Si l’on veut rétablir la complexité de cette période, il ne faut pas oublier que la censure de l’index ne vise que les imprimés. Une multitude de textes et de cours circulent sous la forme de manuscrits, qui expriment une autre liberté d’esprit. La participation de l’Église à l’histoire des sciences se fit par ces canaux de l’architecture ou des enseignements oraux.
Cette histoire ouvre sur des horizons qui ne doivent pas faire oublier les hommes. Ainsi l’immense biographie de Edmund Halley [52] écrite par Alan Cook. Ce spécialiste des comètes sut capter la confiance de Newton et le pousser à rédiger les Principia. Signalons quelques remarques relativisant l’irreligiosité attribuée traditionnellement à cet astronome. Cette note est particulièrement intéressante pour comprendre comment les rapports entre Newton et Halley furent possibles [53]. L’A. aborde la présentation que ce dernier fournissait des mathématiques grecques et de leur réécriture. On comprend mieux l’originalité de la méthode géométrique newtonienne. Il n’en demeure pas moins que le souci de réécriture de « l’inventeur » de la comète n’est pas comparable aux refontes réalisées par exemple par les Jésuites à la même époque, quelles que soient les critiques anti-cartésiennes de ces derniers.
Dans un style très différent mentionnons le roman de Jean-Pierre Luminet [54]. Sous une forme de fait très romancée, on suit pas à pas la vie de Lalande, de Chappe et de Le Gentil à la fin du xviiie siècle. Le climat intellectuel de la France d’alors déplace les lieux de travail de l’église Saint-Sulpice évoquée un peu plus haut à l’Observatoire de Paris, puis aux voyages en Laponie et sur les océans en vue de calculer le méridien de Paris et de vérifier les hypothèses de Newton en ce qui concerne la forme de la Terre.
Tout ne communique pas dans cet univers. Une petite expérience de lecture est éclairante. Nous avons comparé les index des différents livres ci-dessus. Même si Halley a fait un séjour en Italie, cela ne l’a pas conduit à une collaboration scientifique avec les Italiens. Et inversement, la construction d’observatoires à l’intérieur des nouvelles églises est une préoccupation typiquement italienne qui ne s’est pas étendue au nord de la France. Les communications scientifiques ne furent pas si simples que cela, et les pratiques furent bien plus diversifiées qu’on ne le pense, ainsi que les cultures attenantes. Il n’est pas étonnant que la thèse de S. Shapin sur les nouvelles formes de crédibilité soit limitée à l’univers anglais.
Une approche méconnue. La philosophie naturelle au xviiie siècle
66J.-M. Rohrbasser. J. P. Süssmilch. L’émergence d’une nouvelle approche des nombres. — Nous avons eu plusieurs fois l’occasion de rencontrer dans notre parcours les questions de la théologie physique et de la philosophie naturelle induite par les sciences nouvelles. Le petit livre de Jean-Marc Rohrbasser aborde le sujet d’une manière qui peut paraître très particulière [55] : quel est le lien entre statistiques et théologie chez le pasteur luthérien Johann Peter Süssmilch, qui vécut au xviiie siècle ? L’ensemble des questions que devrait brasser ce petit livre est gigantesque tant le domaine est peu connu. Elles sont pour nous étranges et sources de curiosité. La bibliographie française est maigre. Il faut donc saluer ce travail. Il nous laisse indiscutablement sur notre faim. Le réseau religieux et théologique est à peine esquissé. Quel est le contexte de la théologie physique ? Quels sont les liens avec ses origines anglaises, quelles sont les rapports avec les considérations sociologiques et démographiques de la théologie post-tridentine (cf. les travaux de Sven K. Knebel [56]) ? La modification radicale de la lecture de la notion d’ordre et de nombre induite par les dénombrements interprétés en termes de statistiques dans la constitution d’une théologie est sous-estimée aussi bien du point de vue de l’histoire des idées que du point de vue de l’histoire des Églises.
67I. Newton. Un retour à la géométrie. — Un livre fait le point sur la philosophie naturelle de Newton [57]. Cet ensemble d’études est rassemblé en hommage à Richard Samuel Westfall disparu en 1996. Il commence par une note de I. Bernard Cohen retraçant l’histoire de ses relations avec le disparu et s’achève avec un texte inédit de celui-ci traitant de l’arrière-fond de la mathématisation de la nature. L’introduction fait le point sur l’histoire des manuscrits de Newton, et des études qui en ont résulté. Le corps de ce livre traite de deux points : le premier concerne l’arrière-fond intellectuel de la pensée scientifique de Newton, le deuxième certains aspects de la philosophie des mathématiques de Newton et de son développement pour la mécanique rationnelle et la dynamique céleste. Le premier article de Maurizio Mamiani conduit à reconsidérer l’emprise de Descartes sur Newton. Il examine l’influence des Regulae philosophandi et du traité de logique de Robert Sanderson (1618). En ce qui concerne l’optique, I. B. Cohen s’interroge sur l’influence de Huygens, et A. Shapiro reprend le conflit avec Hooke. M. Feingold aborde la dimension de la mathématisation et la manière dont cette option a assis un pouvoir scientifique à l’intérieur de la Royal Society. La deuxième partie est consacrée à quelques aspects du développement de la mécanique rationnelle et de la dynamique céleste. La contribution de M. Blay est dans la continuité de celle que nous avons citée plus haut. Il expose l’emploi newtonien de la méthode analytique et la compare à celle de Varignon.
68Cet ensemble d’études se situe donc dans la lignée des recherches concernant Newton et les sciences exactes. On peut s’interroger sur la nature du Traité sur l’Apocalypse sur lequel M. Mamiani s’appuie pour analyser la notion de règle chez Newton. Ce texte pose de nombreuses questions en ce qui concerne le rapport entre herméneutique (de textes religieux) et méthode scientifique. Mais ce n’est manifestement pas le sujet de cette étude. De même, rien n’est dit en ce qui concerne les multiples autres aspects de l’œuvre de Newton (si ce n’est qu’ils existent)!
69C’est pourquoi nous attachons une importance toute particulière au livre collectif édité par Margaret J. Osler pour repenser la révolution scientifique [58]. Ce volume commence par un dialogue passionnant entre deux personnalités récemment disparues : Betty J. T. Dobbs († 1994) et Richard S. Westfall († 1996 et évoqué ci-dessus) via un article de cette première, rappelant ses propres thèses qualifiées de révisionnistes qui resituent Newton par rapport à l’alchimie, et la réponse du second. L’introduction générale de M. J. Osler situe bien l’histoire des débats actuels autour de la question de la dite « révolution scientifique ». La discussion historique introduite par I. B. Cohen (1985, à ne pas confondre avec Floris Cohen, 1994) montre la complexité de la datation de ce qu’il semble par ailleurs difficile de contester. Le fait de la « révolution scientifique » est devenu rapidement une évidence que l’on peut qualifier de canonique et qui s’est très rapidement imposée au cours du xviiie siècle. Plusieurs articles s’efforcent de situer le rôle de la religion dans cette révolution. Nous avons été particulièrement intéressé par celui de Peter Barker traitant de la réponse luthérienne à Copernic, qui corrige profondément la présentation devenue classique de T. S. Kuhn sur ce point. Cette étude montre que les réticences luthériennes furent bien accessoires. Derrière les discussions théologiques concernant Copernic, c’est en fait le mode d’universalité de la présence qui est en jeu (et donc de la présence de Dieu, de sa géométrie). P. Barker fait allusion aux disputes eucharistiques de l’époque. On peut regretter sur ce point que la très brève présentation historique du débat soit marquée par un grave contresens [59], ce qui rend méfiant par rapport à la suite (très intéressante) de cet article. Les contributions s’enchaînent. Comment le vide est-il intervenu dans la physicalisation et la géométrisation de l’espace, et quelles en sont les implications théologiques (J. E. Jenkins) ? Les études suivantes abordent les rapprochements entre l’alchimie de Boyle et celle de Newton (L. M. Principe), puis la nature de la Sainte Alliance entre science et religion chez Newton (J. E. Force). Plusieurs articles pointent l’impact des études bibliques (Spinoza, Simon) sur l’approche de Newton et marquent bien la différence de situation avec les positions possibles pour les générations antérieures (Bellarmin).
70Mais, à notre sens, la charnière de la discussion présentée dans ce volume est l’opposition entre B. J. T. Dobbs et R. S. Westfall dont les conséquences méthodologiques sont fondamentales. Si le travail de la première a permis de mieux comprendre le lien entre Newton et les sciences anciennes, si l’évolution du travail en histoire des sciences interdit de situer des ruptures trop radicales (et d’opposer une scolastique obscurantiste à une science nouvelle des Lumières), il n’en demeure pas moins que le rapport entre science et christianisme a profondément changé. Westfall le dit parfaitement en soulignant que si, antérieurement au xvie siècle, la théologie était la science qui structurait l’ensemble des savoirs, il n’en était plus de même à la fin du xviiie siècle. Le rapport de Newton à la théologie relève d’une ancienne conception de la religion, d’une conception que justement le travail personnel de Newton et la transformation de cette figure en héros de la science moderne a rendu inopérante. Ce fait, incontestable du point de vue de la sociologie et de l’histoire des sciences, ne supprime pas la question de la structure des savoirs : si les sciences mécaniques ont pu se développer aussi bien dans un contexte catholique que dans les contextes issus de la Réforme, il serait judicieux de prendre en considération les grandes architectures de l’approche théologique chrétienne (« Trinité », « Incarnation », « Création », et de leurs révisions dans le cadre de la Réforme) pour les comparer dans leur développement à ces nouvelles approches mécaniques qui obligent à reconsidérer ce qu’on appelle « ubiquité », « présence », « espace », « monde », « vide », « corps », etc.
71Signalons un petit livre de bonne vulgarisation concernant Newton. Le travail de Jean-Paul Auffray [60] est celui d’un scientifique. Il constitue une bonne présentation de l’œuvre de Newton. Il traite en effet de ses différentes dimensions (puritanisme, alchimie, géométrie, position politique). Il ne faut pas y chercher une analyse philosophique (par exemple de la critique de Descartes), mais d’abord un panorama très ouvert. Le titre est dans une certaine manière trompeur, dans la mesure où (heureusement) la présentation ne tourne pas uniquement autour de l’alchimie (qui ne constitue guère plus que le quart de l’ouvrage).
72J. Largeault. L’actualité de la philosophie de la nature. — Aujourd’hui la question de la philosophie de la nature n’est pas éteinte [61]. Même si le contexte théologique en est aujourd’hui largement absent, nos différents bulletins en montre la permanence. Il faut évoquer la disparition de l’un de ses plus vigoureux défenseurs, Jean Largeault mort en 1995. Nous avons eu l’occasion de parler de son œuvre à de nombreuses occasions [62]. Un recueil de contributions diverses réunies par Miguel Espinoza [63] propose un panorama retraçant les diverses étapes de la recherche de ce grand philosophe. Les contributions rassemblent des articles d’auteurs que nous avons souvent mentionnés dans nos bulletins : Bertrand Saint-Sernin, Jean Petitot, François Lurçat, Jean-Louis Gardiès, Michel Paty. Le cheminement de J. L. fut très original. Toute son œuvre se situe dans l’héritage d’Albert Lautman : quel est le statut des Idées abstraites dominantes, celles qui engendrent les questions d’une philosophie des mathématiques ? La première partie de sa démarche fut orientée par un travail approfondi en logique (traduction de S. C. Kleene) et par une magistrale étude sur G. Frege. Cette approche le laissa insatisfait. J. L. fut de ceux qui redécouvrirent les chemins de la philosophie de la nature. D’où son œuvre majeure intitulée Principes classiques d’interprétation de la nature [64]. L’épistémologie ne peut se contenter d’une approche formelle insatisfaisante. Elle doit aborder les questions de l’ontologie. La philosophie de J. L. est radicalement réaliste. En ce sens il s’est penché vers les questions de l’intuitionnisme, ancrant le platonisme dans la subjectivité de la vie intérieure et proposant ainsi un pont « entre l’étendue et la pensée ».
73On peut regretter certaines questions de forme dans l’édition de ce volume. Pourquoi déformer constamment le si beau titre de Dedekind [65] ? Canoniser graphiquement Stuart Mill (imprimé St Mill, sic p. 135) anticipe de manière déraisonnable sur les procédures canoniquement requises. Il serait dommage cependant de s’arrêter à ces détails de présentation.
La plupart des articles originaux expriment bien les chemins de rigueur auxquels invitait l’approche de J. L. Soulignons la contribution de Jean Petitot qui aborde la manière dont les travaux de R. Thom avec qui J. L. a souvent travaillé renouvellent la question du réalisme (p. 55). On comprend mieux cette approche si l’on considère la question des formes du continu (Claude Paul Bruter, la différence entre le continu mathématique et le continu physique et l’impossibilité du réductionnisme concret absolu). Il faut lire aussi la contribution de Jean-Louis Gardiès proposant une histoire de la thématisation en mathématiques. Cette analyse marque bien la rupture dans la conception de la généralisation entre ce qui fut réalisé avec Euclide et Apollonius et notre xviie siècle. Proposer une distinction entre généralisation et thématisation nous semble être une problématique pertinente pour reprendre les débats posés par A. de Libera ou par A. Bouvier. On peut faire référence à ce propos à la distinction si bien mise en évidence par G. Frege et Peano entre inclusion et appartenance, sur laquelle J. L. a magistralement insisté. Renvoyer à la difficulté à laquelle Platon et Aristote se sont heurtés est une option philosophique profonde. Ce qui demeurera de l’ensemble de l’œuvre de J. L. est probablement de déterminer dans quelle mesure la requête fondamentale de réalisme est assumable en tenant compte des thématisations contemporaines, que ce soit en mathématique, en logique (intuitionnisme) ou en physique (physique quantique). Que signifie le passage du concept à l’intuition quand ce concept cesse d’être une généralisation pour devenir un type, une thématisation. Est-ce qu’une logique du concept telle que l’a inaugurée G. Frege nous permet de retourner la perspective kantienne qui privilégie l’intuition comme porte d’entrée de la connaissance (dimension empiriste du rationalisme de Kant) ? La générativité des logiques (tout particulièrement dans le cadre intuitionniste) permet de ne pas enfermer Frege dans le platonisme (Ali Benmakhlouf). Quelle est la différence entre l’intuition du logiciste et celle de l’intuitionnisme ?
Nous pouvons nous demander si cette forme d’intuition permet de passer au dessus des différences entre arithmétique et géométrie. Est-elle un chemin rationnel qui introduise à une discussion plus rigoureuse dans le cadre du réalisme des questions posées par le structuralisme et l’universalité des structures ?
Signalons les références à l’interprétation de la notion de signe en relation avec le théorème de Gödel dans la contribution de Luciano Boi. Nous retenons cet article principalement pour la partie très intéressante concernant la géométrie de la physique. On voit la cohérence de cette approche avec le réalisme et le refus du formalisme par J. L. Il aboutit à une théorie du platonisme renversé dont la portée dépasse largement la simple collecte d’un hommage à J. L. D’où la question ultime de Michel Paty : quelle est la signification objective de l’extension des grandeurs qui ne sont pas directement accessibles et ne sont pas non plus de simples valeurs numériques? Géométrie ? Arithmétique ?
Aux sources de la philosophie analytique
74G. Frege. — Le livre italien de Eva Piccardi, [66] est déjà ancien. Notre attention a été attirée sur cet ouvrage par l’article du même auteur lors du colloque de l’université de Iéna à l’occasion du 150e anniversaire de la naissance de Frege. Cette étude sur la chimie du concept chez Frege est remarquable. Elle aborde le refus du psychologisme de Frege, la controverse avec Kerry, la chimie du concept (la valeur cognitive de la déduction), les symboles incomplets chez Russell et la position de Ramsey face à L. Wittgenstein et B. Russell. E. P. y rassemble différents articles parus entre 1987 et 1992 qui concernent la période entre la Begriffschrift de Frege, 1879, et Facts and Propositions de Ramsey en 1927. Est-ce que la chimie du concept, quand elle distingue l’assertion, fait acte de psychologie ? Cette question que nous trouvons maintenant même en physique quantique (cf. Michel Bitbol plus loin) est au centre de tous les débats autour du fondement de la logique et des mathématiques au début de ce siècle. Il est difficile de lire Frege sans le resituer dans ce contexte.
75Il faut signaler quelques traductions. Les Écrits posthumes de G. Frege sont enfin accessibles [67]. Les précautions des traducteurs sont bien évidemment source de querelle. Il faut en même temps traduire selon le français de notre époque, et respecter les ambiguïtés de l’allemand de Frege (du temps de Frege). Il n’est pas certain qu’il faille moderniser tous les termes techniques. On peut regretter la manière dont certaines des notes de l’édition allemande ont été abrégées. Certaines informations ont ainsi été supprimées, par exemple celles concernant Prünjer (p. 67). Qui était-il et quelle était la nature (la forme) de ses travaux (théologiques, essentiellement des recensions, mais aussi deux ouvrages d’un auteur précoce et disparu peu après l’entretien ici reproduit) ? La question n’est pas négligeable, surtout quand on sait que les interlocuteurs de Frege furent peu nombreux.
76On connaît bien les malheurs du Nachlass de Frege [68]. Les recherches poursuivies ces dernières années par K. F. Wehmeier et H. C. Schmidt am Busch sur la disparition du fond Frege pendant la dernière guerre mondiale confirment la version officielle, même si les documents qui relatent les faits comportent quelques obscurités, imprécisions et erreurs. Que demeure l’espoir de retrouver quelques documents n’est pas à exclure totalement : ainsi le Journal, ou « les propositions pour une loi sur les élections » qui furent trouvés dans le fond Delbrück (1998). L’édition du colloque organisé en 1998 à Iéna comprend un certain nombre d’articles dont plusieurs tournent autour du rapport entre logique et métaphysique dans la philosophie des mathématiques de Frege (G. Gabriel, M. Ruffino, D. Gronau…). Nous avons noté tout particulièrement la contribution de Eva Picardi [69] qui compare le statut des définitions chez Frege et chez Peano. Il montre bien la différence entre la formalisation du logicien et celle du mathématicien, ce dernier ne voyant pas l’intérêt de considérer le concept de la supposition comme fondamental. On retrouve le débat qui par ailleurs opposa Hilbert et Frege, sur le statut des définitions visant à introduire de nouveaux symboles. Cela concerne en particulier le statut des nombres, de l’égalité et des constantes logiques. Cet article présente une hypothèse intéressante en ce qui concerne la manière dont Russell a pris conscience de la fameuse antinomie de Frege. Il faut introduire Peano dans le système des échanges entre Russell et Frege.
77A. Turing. Les nouvelles dimensions du calcul. — En 1950, A. Turing publiait son fameux article dans Mind concernant la capacité des machines et l’intelligence. En 1990 un colloque fut consacré pour le quarantième anniversaire de cette parution. Les débats furent tellement passionnés que beaucoup d’auteurs durent reprendre leurs communications. Paraissent maintenant (en 1996) deux volumes [70] édités par Peter Millican. Le premier traite de la dimension logique du test de Turing. Le deuxième est consacré au connexionisme, au statut des concepts et à la psychologie populaire. Nous nous attachons ici au premier volume.
78Que le test de Turing doive être discuté sur le fond est une réalité bien connue. Qu’il ne faille pas s’arrêter à la chambre chinoise de Searle est un fait. Il ne faut pas trop demander au test de Turing. Il est culturellement orienté vers une intelligence humaine (R. French). La valeur du test est défendue par D. Michie. C’est la question de la troisième personne dans la description de l’intelligence (A. Narayanan). Il faut viser la compréhension de ce que l’ordinateur peut réaliser sans chercher à imiter ce que l’on appelle l’intelligence humaine (B. Whitby). Nous avons une présentation classique des thèses de H. Simon sur les possibilités de prolonger les performances cognitives des ordinateurs. Nous aboutissons au débat posé par Lucas face à la thèse de Church. Quelles sont les limites de la calculabilité ? S’affrontent une lecture totalement naturalisée des problèmes de la connaissance en termes de machine (si on peut alors encore parler de naturalisation via la mécanisation) et une position philosophique qui estime que cette naturalisation ne respecte pas la réalité des questions, que le signe d’assertion fait partie de la logique. Il faut noter que la notion de calculabilité découle d’une arithmétisation de la théorie de la démonstration. Est-ce que la manière dont le mathématicien se saisit d’un objet relève d’une pensée strictement algorithmique (R. Gandy) ? Ou encore que signifierait un calcul (une pensée ?) ne pouvant pas être interprété en termes mécaniques ? Si la machine de Turing constitue la première approche claire et précise du concept général d’ordinateur, si elle est un outil analytique correspondant à la logique formelle, on est en droit de penser que les recherches devront se faire dans la ligne de la confrontation entre représentations artificielles et représentations dites naturelles des connaissances (I. Stewart, P. Mott). La conclusion de ce colloque fut tirée par J. Ford, souvent qualifié d’évangéliste du chaos, qui reprend une affirmation de G. Chaitin concernant la nature de la complexité des informations : il existe des questions naturelles et simples telles que pour y répondre il faudrait faire appel à plus d’informations que ce qui existe dans l’ensemble des systèmes logiques humains combinés. Ce recueil, déjà ancien, est un résumé des limites de la position de Turing et des recherches de la ré-interprétation de Gödel (Girard [71]).
79B. Russell. Une relecture de son lien avec la naissance de la philosophie analytique. — Parmi les traductions à signaler, mentionnons la publication de quelques textes de Bertrand Russell [72] publiés entre 1904 et 1909 et regroupés en 1910 (repris en 1966) en anglais sous le titre de Philosophical Essays. Ces articles rédigés dans la première période de la philosophie de Russell sont un bon témoignage de son intérêt précoce pour les questions d’ordre éthique (largement sous-estimé). On y trouve aussi une prise de position vis-à-vis du pragmatisme de W. James en ce qui concerne la question de la vérité. Ces petits textes très simples sont une bonne introduction aux classiques qui vont suivre (Problèmes de philosophie, La philosophie de l’atomisme logique, etc.).
80Nous avons été intéressé par la publication des actes d’un colloque qui s’est déroulé en juillet 1995. Il traite du rapport entre B. Russell et la naissance de la philosophie analytique [73]. L’origine de cette philosophie est située par M. Dummett dans le texte de Frege sur Les fondements de l’arithmétique. Nous tournons encore et toujours autour de la même question de la place de l’arithmétique dans l’analyse de la logique et de la nature des mathématiques. La démarche de Frege va de la nature des nombres au questionnement sur la signification de propositions traitant de nombres. Est-il si certain que cette approche ait eu par la suite l’influence qu’on lui attribue ?
81La philosophie analytique est en effet historiquement plus fortement marquée par les développements concrets de la logique ou de la linguistique que par l’analyse frégéenne du langage mathématique. Dans le cas précis de la recherche concernant les catégories [74], le débat se déroule autour de la théorie des types (de Russell), de sa discussion et de la manière dont se structure l’engagement ontologique chez Quine. De Frege il peut être question [75]. Mais, dans la mesure où le débat est technique, il faut reconnaître que l’apport de celui-ci ne fut pas aussi marquant que ce qu’on dit.
La tendance est forte aujourd’hui de relire B. Russell à travers l’interprétation qu’en a donnée L. Wittgenstein, assimilant logique et linguistique et donnant une couleur psychologisante à la portée générale du projet. Le colloque de Southampton insiste par contraste sur la nature radicalement anti-linguistique du premier Russell. Les premières interventions de ce colloque (N. Griffin, H. Noonan) abordent On Denoting et la question du rejet des positions des Principles concernant le statut des descriptions définies. Griffin suppose une réaction de rejet face à Meinong. Noonan pense, lui, que l’argument principal est de sauver la dimension non-linguistique de l’analyse des propositions. Dans la suite de ce colloque on trouve une discussion entre S. Candlish et M. Sainsbury en ce qui concerne la solution apportée par D. Davidson et sa sémantique des actions et événements. Quelle est la relation entre Russell et Wittgenstein en ce qui concerne la bipolarisation de la proposition et son rapport avec la notion de sens ? De notre point de vue, particulièrement intéressant est l’article concernant les Fondements de la Géométrie. Est-ce qu’une avance technique (celle de la géométrie projective par rapport à la géométrie métrique) peut aider à résoudre un problème philosophique ? De même en ce qui concerne la définition des nombres comme des classes. (Ce qui résout la difficulté de savoir si tous les nombres entiers font partie du langage, auquel cas il serait infini : il suffit de répondre que ce qui décrit le monde, c’est non pas le langage mais la logique). D’où l’intérêt de Russell pour la géométrie affine et pour Riemann. Il y a une note kantienne à considérer la logique de manière transcendantale. D’où l’importance des dernières discussions de ce colloque concernant la distinction souvent négligée par Russell entre langage et méta-langage.
La bibliographie est exclusivement de langue anglaise. La référence aux études de langue française est absente. Par-delà les regrets que nous pouvons émettre devant un tel état de fait (dont le caractère semble quasiment inéluctable), il faut bien constater que le débat ne se situe pas toujours au même niveau d’abstraction dans l’une et l’autre culture, la nécessité de « justifier » la philosophie analytique demeurant une constante de l’approche française. La nécessité de dramatiser est le propre de la philosophie continentale si l’on en croit de Libera. On comprend que nos grands spécialistes en la matière n’aient pas été cités. Il y a pourtant quelque chose à retenir des quelques études (D. Vernant, F. Rivenc, P. de Rouilhan) que nous avons régulièrement présentées dans nos bulletins.
Le débat entre arithmétique et géométrie, entre logique et arithmétique, la constitution de l’espace qui permet au langage de structurer une description, font partie de ces grandes questions dont la rémanence traverse toute la philosophie occidentale. La manière dont la philosophie analytique s’y trouve enracinée n’est pas sans conséquences quant à son interprétation. Est-ce une constante dans une épistémé dont il est difficile d’estimer qu’elle n’a pas changé ?
Le statut actuel de l’influence de la géométrie
82Alain Connes. Le lien entre arithmétique et géométrie pour représenter la physique. — Le petit livre [76] que nous abordons maintenant est d’abord un témoignage sur une manière de traiter de la science. Le débat est dirigé par Alain Connes. André Lichnerowicz est mort en 1998, Marcel Schützenberger en 1996. De brefs hommages dus à Alain Connes et Moshe Flato concluent cet échange. La figure de A. Lichnerowicz est, pour nous, associée à celle du Père Dominique Dubarle. Ce dernier aurait certainement aimé participer à cette succession de courts chapitres qui constituent un panorama des rapports entre mathématiques et physique sur l’horizon de la nature de la description du monde. Du fait des compétences de chacun, l’approche est systématiquement reliée de manière fort originale à l’histoire récente de la théorie de la relativité, des géométries non commutatives et de l’informatique théorique. Certains problèmes difficiles concernant aussi bien la logique que la physique quantique ou la cosmologie sont ainsi brièvement abordés. En ce qui concerne la thématique de notre bulletin, nous retenons l’opposition entre l’interprétation arithmétique et celle géométrique de la réalité. Nous pensons tout particulièrement à la discussion sur la théorie des cordes et le rappel de la théorie concurrente des années 70 (p. 150 ss). Cet exposé repose sur quelques exemples actuels de représentation géométrique à partir de ce que l’on peut encore appeler géométries construites.
83L’histoire de la philosophie ne peut rester indifférente à l’évolution des concepts de géométrie et d’arithmétique. En témoignent deux livres bien différents l’un de l’autre. Le premier traite de la géométrie. Le deuxième, qui traite de l’arithmétique, sera présenté un peu plus loin.
84Gilles-Gaston Granger. Penser l’espace. — Le livre de Gilles-Gaston Granger [77] est dans la grande tradition des études de Jules Vuillemin, son prédécesseur au Collège de France. Il présente un certain nombre de concepts mathématiques selon leur mode propre et en explicite le contenu notionnel, genre difficile à pratiquer puisqu’il faut en même temps entrer dans la technique et ne pas s’y enfermer. Clairement, l’objectif de l’A. n’est pas que le lecteur en fin de parcours soit apte à résoudre les problèmes de la famille de ceux qui sont présentés. Mais ce même lecteur peut avoir, s’il en a la patience, une « idée » de ceux-ci. Qu’est-ce qu’une idée ? Les mathématiques ne sont pas uniquement un jeu formel, un acte de virtuosité, une manière de résoudre des devinettes construites spécialement pour cela, ou simplement un instrument pratique en vue du travail de l’ingénieur. Elles sont aussi le développement d’une certaine vision de ces objets qui ne sont ni du ciel ni de la terre, pour reprendre l’expression de J.-T. Desanti [78]. Ils reposent sur des structures profondes.
85On peut estimer qu’en mathématiques il y a trois grandes familles d’objets : le monde de l’algèbre, le monde de la géométrique et celui de l’analyse. Les travaux récents ont établi un pont entre les théories de Galois et les fonctions elliptiques (A. Grothendieck) et, depuis peu (Y. Taniyama, A. Weil, A. Wiles) entre les fonctions elliptiques et les formes modulaires. D’une certaine manière les perspectives d’unification des mathématiques redonnent leur valeur et leur généralité à la géométrie et en marquent la fin. Le développement de l’intelligence de la géométrie passe par la description de problèmes successifs. On peut discuter de l’origine du mot même de « géométrie », mesure de la terre ou mesure de l’espace ? La présentation du gnomon par A. Szabo [79] permet de comprendre que les deux points de vue ne sont pas antinomiques pour les Grecs. En suivant le travail de G.-G. G. on comprend mieux comment les géométries non euclidiennes ont permis une dé-spatialisation et une reconstruction de la notion d’espace qui, via la théorie des groupes et la topologie, aboutit à la notion de variété, fondamentale si l’on veut comprendre aujourd’hui ce qu’est un champ. La culture de G.-G. G. permet de parcourir cette histoire conjointe de la géométrie et de la philosophie via Descartes, Leibniz, Bolzano et Cantor. L’actuelle conceptualisation de l’espace bouleverse notre point de vue trop facilement kantien. L’agrément de ce livre est, par-delà la clarté, de présenter une histoire conjointe des problèmes et des idées proposées comme solution pour surpasser l’obstacle, sans pour cela cacher les difficultés ultérieures. La multiplication des formes de la géométrie telle que l’exprime le travail de première main de A. Connes, tout comme celui-ci de G.-G. G., permet de comprendre la grande difficulté actuelle de rassembler des outils conceptuels en vue de l’unification rêvée des diverses théories physiques. Alors que la physique cartésienne, puis newtonienne ou celle de Maxwell disposaient d’une conception unique (même si elle avait changé entre temps) de l’espace et du temps, il devient actuellement impossible de concevoir une géométrie, une topologie, qui permettrait de représenter l’éventuelle logique unitaire du monde.
86D’où l’espoir qu’on met dans les géométries non commutatives, qui, aujourd’hui, semblent être une forme d’espace permettant de réconcilier relativité et physique quantique.
87Étienne Klein. Une vulgarisation de la physique contemporaine. — Poursuivons sur le lien entre géométrie et physique. Le livre d’Étienne Klein est un bon témoignage de ce qu’une culture générale philosophique et une très grande compétence scientifique peut proposer en reprenant la question ancienne de l’Un. Un quart de son ouvrage est consacré à cette histoire philosophico-scientifique. Étant donné la brièveté relative de cette partie, il faut plutôt y chercher des idées générales, des intuitions que des éléments avérés de l’histoire de la philosophie : faire remonter la question de la quintessence à Aristote n’est pas exact, ou encore ne pas distinguer arithmétique et géométrie dans l’héritage pythagoricien, etc. De même le rapport de la théologie chrétienne à la science grecque ne passe pas par l’arithmologie symbolique et religieuse mais bien plus probablement par une géométrie et une physique telles que les a entendues Proclus. Étant donné le propos général, ce sont des points de détail qui peuvent irriter. L’absence de prudence historique, loin de mettre en évidence les idées de fond, risque de les masquer.
88Nous sommes particulièrement concerné par la mise en perspective géométrique de la question de l’unité de la physique. Dès que l’on aborde ce problème, on touche des difficultés qui font dire à l’auteur que la métaphysique et l’ontologie ne sont pas avant la science, mais après.
89En ce qui concerne le thème de notre Bulletin, nous tenons à dire que cette option géométrique qui est bien globalement celle de la physique contemporaine, n’est compréhensible dans son originalité que si l’on tient compte de trois points. Premièrement, dans le travail scientifique l’homme a navigué constamment entre l’arithmétique (symbolique, discret) et la géométrie (le continu, le choc, le physique). Deuxièmement, l’originalité actuelle est liée à la grande tentative d’unification des mathématiques qui fait que le renouvellement de la géométrie permet de mieux saisir les interférences avec la théorie des nombres. En témoigne la solution géométrique apportée au théorème de Fermat. Enfin, il n’est pas certain que la notion de structure soit féconde.
90Le problème n’est pas tellement que le monde soit descriptible en termes mathématiques (ou plus précisément, si l’on regarde bien la lettre des propos souvent repris de Galilée, en termes géométriques) mais qu’il soit tout simplement descriptible par le langage. Qui plus est, cette description touche le réel puisqu’elle permet de prévoir (I. Hacking). C’est pourquoi nous continuons de penser que l’entrée en philosophie en ce qui concerne l’analyse des sciences modernes et contemporaines passe par la philosophie du langage, et donc par l’analyse de la géométrie (topologie) qu’implique toute catégorisation insérée dans un processus logique de dire. Mais, de même qu’il y a des géométries non commutatives, il y a des logiques non-standards. C’est pourquoi nous ne pouvons nous satisfaire de la conclusion de E. K. qui cite Cassirer : « Les concepts d’unité et de multiplicité ne sont pas des entités opposées, mais des aspects logiques s’exigeant réciproquement ». Du point de vue de la logique (ou du langage), nous n’avons pas les moyens techniques (ceux dont pensait disposer Kant, ceux que voulaient construire Hegel) pour conjuguer ces deux systèmes de description. La difficulté philosophique est de combiner deux types de langage, à la manière dont nos ancêtres ont voulu composer arithmétique et géométrie, et selon les descriptions qui utilisent alternativement la dimension symbolique des signes, leur fonctionnement de signification permettant la déduction et leur enracinement dans le domaine de la référence.
91Wolfgang Pauli. Quelques textes. — Quelques textes et conférences de Wolfgang Pauli [80] viennent d’être traduits. Ils traitent de la physique et ils font partie de l’histoire de la notion de champ. Celle-ci est prégnante jusque dans la conception de la connaissance. Il faut associer le deuxième volume qui concerne la psychanalyse, la symbolique et l’interprétation de Jung. On peut considérer cette mitoyenneté comme un exemple de recherches conjointes sur le fonctionnement du symbolique et sur celui du formel.
92Que la quête de « l’un » fonctionne toujours est un fait. Que cela nous conduise sur des chemins encore plus tortueux que prévus est un autre fait. Notre condition actuelle est de travailler avec la superposition de deux systèmes de champ (Maxwell et champ quantique). Le risque est grand de dire que celui (classique) qui permet une localisation est celui de la référence, alors que celui (moderne) qui correspond à l’information est celui de la signification, l’écriture géométrique permettant de lier ces deux domaines. La solution frégéenne n’est pas loin, et avec elle ses difficultés. La physique quantique invite à une autre résolution de problèmes.
93Michel Bitbol. Le rapport entre physique et symbolique. — Le nouveau livre de Michel Bitbol [81] nous permet d’aborder le rapport entre physique et symbolique. Il diffère profondément de son ouvrage précédent qui était centré sur l’interprétation de la mécanique quantique dans le cadre d’une re-discussion de la théorie des probabilités. Cette fois, il aborde le problème de la conscience. Il le traite avec le souci de prendre ses distances par rapport aux positions positivistes, autant que par rapport aux positions concordistes et à l’introduction de la subjectivité dans la physique. La philosophie contemporaine renouvelle les formes, structures et concepts concernant la réflexion. La physique quantique abonde elle aussi en perspectives étranges, souvent perçues comme paradoxales, allant à l’encontre du sens commun. On peut considérer ces développements comme ne concernant pas notre connaissance du monde à notre échelle, notre philosophie, notre théologie. Le travail de M. B. est sur ce plan très intéressant. Il considère qu’il y a trois attitudes possibles en ce qui concerne le rapport (éventuel) entre problèmes de physique quantique et de philosophie de l’esprit : soit on nie la possibilité d’une telle relation et l’on cherche à préserver la pureté de l’interprétation classique, soit on fusionne les problèmes (E. Wigner, R. Penrose, etc.), soit on adopte une troisième voie, celle de N. Bohr et l’on considère un isomorphisme de leurs configurations épistémologiques [82]. Il faut d’abord remarquer qu’il s’agit alors d’un rapprochement épistémologique. Il n’est nullement question de parler de la nature des choses, non plus que de leur fonctionnement. L’approche épistémologique signifie que le mode de « connaissance » et la nature du savoir que l’on peut avoir sur la physique et sur l’esprit peuvent être comparés. Il y a une connaissance possible dans l’un et l’autre domaine, une connaissance rationnelle, un logos. On peut mettre en parallèle l’un et l’autre logos sans les identifier.
94L’essentiel des approches contemporaines porte sur la difficulté à comparer, en utilisant les catégories dites naturelles, les références des objets construits, qu’ils soient mathématiques, physiques ou philosophiques. L’intentionnalité qui est liée à la référence n’est pas obligatoirement la même que celle qui est liée à la projectivité des concepts, et la manière de considérer le langage comme calcul n’est pas la même si l’on s’appuie sur les transformations géométriques dans un topos continu ou sur le discret fondamentalement fini et effectuable de l’arithmétique.
95On quitte actuellement la perspective cartésienne de la conscience du sujet (et de sa certitude) comme point de départ. Descartes doit être entendu de manière épistémologique et non de manière « physique ». Cette sortie passe par l’interprétation du cogito en terme d’intentionnalité à la manière de Hintikka. Ce qui permet de comprendre maintenant la diversité des sciences et leur imbrication n’est pas la suprématie de la théologie (solution ancienne), ni celle de la Raison (solution classique), mais le fonctionnement de l’intentionnalité, de la visée dans toutes les formes de langage.
96En ce qui concerne la question de l’arithmétique, M. B. utilise le théorème de Paulette Destouches-Février qui montre que la mécanique quantique est incomplète de la même manière que l’arithmétique selon l’un des théorèmes de Gödel [83]. C’est le problème de la dé-contextualisation. Est-ce la raison pour laquelle les solutions géométriques de manière générale sont privilégiées (espace de Hilbert, espace de Fonck) ?
97A. Kremer Marietti. Une présentation globale des questions philosophiques liées aux grandes questions scientifique de notre époque. — Le livre d’Angèle Kremer-Marietti [84] débute par une analyse de la naissance de l’histoire au sens moderne du terme, et son rapport à l’épistémologie. Le parcours, qui va d’Aristote à la philosophie scientifique contemporaine, est impressionnant. Il est sous-tendu constamment par cette idée que les sciences sont impliquées radicalement dans la relation philosophique de l’homme au monde. Et cette relation a une histoire. La situation actuelle est marquée par la manière dont les sciences nous renvoient à l’effectuabilité des concepts et représentations dont nous disposons. Le devenir conjoint de la philosophie et des sciences est infléchi maintenant par cette contrainte devenue concrète que tout n’est pas pensable, car toutes les représentations que nous pouvons avoir et dont nous pouvons faire l’analyse philosophique ne correspondent pas à des actions ou expériences possibles (ou réussies) aujourd’hui.
98Le propos de ce livre est donc vaste. Il est réalisé avec plus ou moins de bonheur. Il arrive que l’écriture aille un peu plus vite que l’histoire, que les phrases soient plus courtes que ce que la complexité rend vraisemblable. Le passage sur le xive siècle laisse rêveur. Inversement, certaines pages, je pense tout particulièrement à celles qui concernent les théories de la relativité, sont particulièrement brillantes. A. K.-M. a manifestement le don de faire ressortir le débat d’idées derrière la succession des résultats. Il faut prêter une attention toute particulière au long chapitre IV consacré aux philosophies de la science positive, A. K.-M. étant spécialiste d’Auguste Comte et de cette période.
99La philosophie scientifique du xxe siècle est centrée sur cinq thèmes : la philosophie d’Albert Einstein, le quantique et sa philosophie, l’émergence du chaos, l’inerte et le vivant, et en dernier lieu le problème du temps de Hawking à Kant. Il n’y a rien d’original dans cette liste de chapitres si ce n’est qu’il s’agit toujours de présenter une idée dans sa logique conceptuelle de recherche.
100La présentation de A. K.-M. est une critique de la philosophie analytique, laquelle n’a pas de réponse à donner aux enquêtes d’un A. Koyré, d’un T. S. Kuhn, d’un K. Popper ou d’un Holton. Comment expliquer l’imagination scientifique à l’œuvre dans l’histoire ? Si nous partageons ce point de vue développé dans la conclusion, nous demeurons réservé sur un point : il nous semble que la philosophie analytique est moins pauvre en ontologies (et donc en implication des savoirs dans l’histoire) que ne semble le dire A. K.-M. [85]. Ou encore que l’évolution technique interne des problèmes de représentation nous amène à une confrontation via la présence de la modalité à l’intérieur du langage (ou de ses différentes versions d’intentionnalité ou de présence du futur) à des questions critiques abordées d’une toute autre manière par Kant. La philosophie analytique est stérile si on la lie au stade ancien de l’analyse logique du langage. Les divers développements de la linguistique ou de la logique contemporaine permettent de penser que cette ligne de philosophie demeure féconde et pertinente.
101Michael Potter. Les enjeux de la relecture contemporaine de l’arithmétique de Kant à Carnap. — Venons-en maintenant au deuxième point évoqué : après la géométrie, l’arithmétique. Le travail de Michael Potter [86] est un très bon exemple. Il traite d’une question particulière qui est l’histoire de l’arithmétique. Il aborde la période qui va de Kant à Carnap. L’importance de cette question ne doit pas être sous-estimée. Rappelons ce que nous avons dit au début de notre Bulletin en ce qui concerne le rapport entre arithmétique et géométrie. Une histoire générale des idées en ce domaine nous ramène à une pratique initiale naïve de l’arithmétique, les nombres occupant l’ancien lieu d’une symbolique dite pythagoricienne, et quelques avancées en théorie des nombres (des équations diophantiennes aux problèmes de Fermat, de Euler, de Goldbach). Les mathématiques deviennent ensuite essentiellement géométrie. La synthèse euclidienne en est la preuve. Le retour à une certaine forme d’arithmétique se fait par l’intermédiaire de l’algèbre de Viète, puis de Descartes. On ne distingue pas les différentes sortes de nombres. L’effort de clarification et de rigueur aboutit à la constitution de l’ensemble des nombres réels au xixe siècle. Ce n’est que vers la fin de cette période que la question de la nature des nombres se pose. La naissance de la théorie des ensembles, l’apparition de problèmes à l’infini, le renouvellement de la logique, tout cela pousse à chercher une approche rigoureuse de la nature des nombres réels (analyse) et de la spécificité des nombres entiers (arithmétique au sens propre du terme). La question du statut de l’arithmétique est donc renouvelée.
102La force de cette étude est de démontrer en suivant le dossier pas à pas, que toutes les solutions, toutes les ontologies ne sont pas concevables. L’A. fait débuter le problème de manière très significative à Kant. Il aborde ensuite Frege, Dedekind, Russell, Wittgenstein, Ramsey, Hilbert, Gödel et Carnap. Même si l’analyse est de bout en bout technique (et tout particulièrement ce qui concerne Ramsey), le propos n’en demeure pas moins philosophique. Quelle est la structure du moi qui affirme connaître quelque chose concernant les nombres et leur infinité ? Comment doit être le monde pour que l’arithmétique y soit applicable ? Y a-t-il une place pour les nombres à l’intérieur du monde, et à quel prix ? L’arithmétique peut-elle être ramenée à la logique, au langage ?
103Nous nous sommes plus précisément attaché au dossier de Hilbert, étant donné la place charnière entre mathématiques et physique que ce mathématicien a joué. Très clairement, M. P. présente les tentatives successives de Hilbert pour situer l’arithmétique à l’intérieur de l’ensemble des mathématiques, et son échec. Que Hilbert n’ait pas tiré de la conférence de Gödel de 1930 (à laquelle il assistait indirectement, via son élève von Neumann) les conséquences concernant les limites logiques de la formalisation ne peut surprendre quand on connaît son tempérament.
104L’étude de M. P. est un très réel travail de philosophie, montrant comment chez les penseurs successifs, les impossibilités techniques ont rendu impensables certaines de leurs options philosophiques clairement posées. Pour nous, ce livre présente un des meilleurs exemples montrant comment dans la culture scientifique contemporaine, certains problèmes qui étaient antérieurement l’apanage de la seule philosophie et qui faisaient l’objet d’une approche en même temps subtile et naïve, sont corrélés maintenant à des développements scientifiques et à des débats dont la structure relève en premier lieu de la rationalité interne aux mathématiques.
105Le travail philosophique consiste à rechercher les options de fond au sens de Collingwood : quels sont les problèmes que nous nous posons, quelles sont les évidences qui déterminent nos choix techniques ? Certains pensent que les limitations internes du formalisme obligent à reconsidérer la position classique du positivisme et redonnent une portée aux questions du réalisme. À notre sens, il faut travailler le rapport entre l’imagination, le langage formel arithmétique et le langage formel géométrique pour comprendre que les évidences de base peuvent s’ancrer dans un lieu de référence et/ou dans la projection des significations qui n’est pas identique à l’ancien réel.
106Michel Bourdeau. Les difficultés contemporaines de la question des catégories. — Une étude assez technique vaut la peine de retenir l’attention. Il s’agit du livre de Michel Bourdeau [87] traitant de l’histoire récente des catégories. Cet ouvrage est tiré de la thèse que celui-ci a soutenue en Sorbonne en 1997. Il couvre une période très proche de celle que nous venons de voir abordée en ce qui concerne l’arithmétique, puisqu’il traite du renouveau et de l’abandon de la question des catégories dans le cadre de la philosophie analytique de Russell à Carnap via Wittgenstein, puis Quine. L’œuvre de Quine constituait le point de départ du travail de thèse. Ce n’est qu’ultérieurement que la logique même de sa recherche l’a conduit à élargir son champ de recherche. Le lieu d’enracinement du renouveau de la question des catégories est devenu la théorie des types que Russell a proposée comme solution aux paradoxes de Frege.
107L’hypothèse de départ de la reprise de ce travail est le parallèle fait par Ryle en 1938, assimilant la théorie des types (de Russell) et celle des catégories. Force est de constater que cette enquête a été de fait abandonnée par les logiciens, les linguistes et ceux qui s’intéressent à la philosophie analytique. La théorie de la signifiance ne débouche pas sur une morphologie. On se trouve devant une infinité de catégories, et elles ne permettent pas de trancher le problème fondamental du non-sens.
108Il s’agit dans cette thèse d’une analyse strictement interne, à partir de l’expérience que le travail de la logique peut être fécond en matière de philosophie. Ainsi par exemple, l’analyse succincte des catégories kantiennes ne fait aucune mention du parallèle structurel du tableau des catégories avec la physique newtonienne. On peut le regretter. Peut-être faudrait-il faire le même parallèle entre l’éclatement actuel des catégories, les difficultés logiques attenantes, et les espaces de Hilbert ou la multiplication des particules élémentaires aujourd’hui ? Il y a différents niveaux de descriptions et de classement, différentes échelles de mesure et de description. Aucun ne semble pouvoir servir de base à une naturalisation ultime. Chacun pourtant a sa logique. Par exemple, il est probable que le physicien ne mettra jamais le temps en catégorie ultime dans sa liste, ce que le philosophe (ou le théologien) fait régulièrement.
109Par ailleurs il faut souligner que les difficultés de la théorie des types qui servit de base à une nouvelle prise en compte de la notion de catégorie, comme le fait très justement remarquer M. B., relèvent de la volonté d’analyser le langage des mathématiques. Il se trouve que les questions de l’infini (présent ou non dans le monde) et de l’induction non restreinte se posent nécessairement quand on aborde les mathématiques supérieures (celles qui servent de fait en physique contemporaine). Tant que l’on en reste à des descriptions du monde classique (naturellement local et fini), on peut espérer éviter ces questions. Si l’on aborde le langage naturel comme un tout, il n’est plus possible de les éviter. L’arithmétique, la géométrie font-ils partie du monde, ou simplement du langage ? L’échec de la théorie de la catégorisation est donc à rapprocher de l’échec du traitement de l’arithmétique qui oscille entre l’évidence de ce qui est à notre échelle et le construit de ce qui est à d’autres échelles.
Le propos de M. B. n’est pessimiste qu’en apparence. C’est parce que justement la logique est référée à une image spéculaire du monde, et qu’elle est science et en même temps science impossible, que son échec est du même ordre que celui, finalement fécond, de la métaphysique aristotélicienne. Elle demeure le chemin de l’École, tout en devant assumer ce que son développement technique interne lui impose comme cheminement.
Il faut rappeler qu’il y a plusieurs versions de la théorie des types, mais que la question fondamentale est de savoir comment faire l’inventaire d’un monde dans lequel il n’y a plus proposition ni fonction mais seulement des classes et des relations.
Il faut rappeler aussi que se développe actuellement, à la frange de la logique et de la linguistique, toute une école qui reprend la question des catégories via l’ontologie. Une bonne présentation de ces ouvertures est fournie par le Précis de philosophie analytique publié sous la direction de Pascal Engel [88]. Qu’il existe une ligne dans cette direction, le travail de R. M. Chisholm [89] en est un bon exemple. Pour ce faire il faut se situer radicalement dans le cadre d’une forme extrême et platonisante de réalisme. Il y a des propriétés. Certaines sont d’ordre ontologique, d’autres d’ordre intentionnel, d’autres psychologique, d’autres temporel [90] ou spatial, d’autres normatif. Cette forme de réalisme se réfère au sens commun de C. S. Peirce qui répète sa foi dans notre raison, laquelle est fondamentalement correcte dans ses conclusions. L’étude du langage est alors pertinente pour la théorie des catégories.
Si nous pouvons nous permettre une remarque (qui est, je le sais) étrangère à M. B. : la difficulté de la logique à exprimer le monde est semblable à celle que la science moderne rencontre, quand elle veut construire une image qui dise le réel et qui en même temps corresponde à ce à quoi elle se heurte conceptuellement dans son expérimentation. Ce travail est logique, et c’est en acceptant de passer par les fourches caudines des exigences de cette rigueur rationnelle que nous aurons un jour quelques chances de voir se rejoindre intuition et réalité. Mais ce travail pas logique seulement.
Que les sciences confrontent la logique (mathématique) dans ses développements théoriques, cherchant à faire correspondre une description dans le langage formel à ce qu’impose l’expérience, constatant que les images non intuitives sont peu satisfaisantes pour l’esprit, cela ne supprime en rien la tâche fondamentale qui est de pousser l’enquête jusqu’à ce que non seulement elle réponde aux questions, mais qu’aussi prolonge au moins partiellement les interrogations.
I. Grattan-Guiness. — Nous avons eu en main un livre imposant de I. Grattan-Guiness [91] qui, de toute évidence, constitue une somme. Même si ce livre est référencé dans la catégorie « Histoire des mathématiques », son propos est plus ambitieux. En effet, en ce qui concerne les points qui nous intéressent directement, par exemple les différentes versions du rapport entre arithmétique et géométrie, I. G.-G. ne se contente pas d’une énumération. Disons que l’écart entre un livre de philosophie et un livre d’histoire est en la matière faible. On est tout de suite amené à entrer dans un débat dont les procédures techniques sont inséparables d’idées à fortes corrélations philosophiques.
Ian Hacking. Le conflit entre catégories naturelles et catégories construites. — La question permanente de Ian Hacking [92], dont nous avons souvent recensé les livres, est bien reflétée par le titre de son dernier ouvrage : quelles sont les choses dont nous pouvons dire qu’elles sont des constructions sociales ? Autrement dit, le réalisme de la démarche scientifique, si elle est consciente de la collusion entre ce qui est vrai et ce qui est vérifiable, sait bien maintenant que logiquement les deux domaines ne se recouvrent pas. C’est la critique radicale du rêve positiviste. Il n’empêche que tout n’est pas non plus espèce naturelle. Dans les domaines comme la psychiatrie par exemple, il y a une constante réécriture de l’âme. Les discussions nombreuses sur la guerre des cultures s’enracinent dans cette problématique. Les différents chapitres de ce livre sont le résultat de conférences et séminaires. Elles ont été prononcées dans le contexte encore frais de l’affaire Sokal. Dès que l’on aborde ces questions, on voit poindre la menace du relativisme. Quel est le lieu d’existence des idées qui nous permettent de classer ? Ceci vaut aussi bien en économie qu’en sciences sociales. Certains mots concernent des objets, d’autres des idées. D’autres enfin sont qualifiés d’« elevator words ». Il faudrait faire le rapprochement avec les thématisations de Gardiès. Le constructionisme pose problème quand il prétend à l’universalité. Quel est le statut des mots qui se construisent dans l’interaction ? Quel est le statut de ces réalités à la fois objectives et construites ? Quel est le statut des métaphores ?
Conclusion
110Pendant ce parcours entre histoire et logique du rapport entre science et philosophie, nous sommes souvent revenus sur la tension entre arithmétique et géométrie. Par-delà les origines de cette question dans le monde grec, l’absorption progressive de l’arithmétique naturelle et finie (et de ses possibilités de symbolique discrète) dans la géométrie euclidienne, puis de la géométrie, dans la dialectique proclusienne, nous avons abordé le problème des généralités, comme thème permanent dans l’héritage de Boèce, et sous ses deux formes d’universel. Entre l’universel et la géométrie, un jeu de mots permet d’entrevoir un passage. La terre (la géo…) est l’univers mesuré. On pourrait parler de « l’univètrie » ? Mais on passe alors des recherches logiques à leur versant de naturalisation mathématique et physique. La problématique médiévale constitue une unité d’épistémé. Elle fut doublement condamnée : par les autorités et par la succession philosophique puis scientifique. Deux questions se posent alors : quelle est la signification des condamnations d’une part, et de l’autre y a-t-il ou non continuité de questions entre cette ancienne famille de questions et de réponses et l’univers de la philosophie anglo-saxonne moderne ? Ce système de questionnement est-il renouvelé par la constitution des sciences modernes ? Est-ce que le questionnement sur la nature même des systèmes de catégorisation dans la construction des représentations est un simple accident de travail, et comment le travail rationnel peut-il se poursuivre en la matière ? L’arithmétique se prolonge en analyse, théorie des nombres entiers et théorie des nombres réels, problèmes de limites, de convergence, différentes formes d’infini, différentes manières de mesurer l’espace, différentes topologies. Autre forme de géométrie, autre forme de procès ? En ce qui concerne la période contemporaine, on assiste à une re-géométrisation de la physique, et en même temps à une reprise de la question des catégories. Mais les mathématiques et la logique ouvrent vers de nouvelles voies qui plongent l’opposition ancienne de la géométrie et de l’arithmétique dans des perspectives de structure plus profondes. Quels que soient les espoirs d’unification des mathématiques, les deux grandes topologies de concepts demeurent, dans lesquelles le débat philosophique se poursuit. Notre conviction est que l’épistémologie des sciences ne peut laisser de côté cette clé qui conditionne les ontologies possibles au terme des différentes formes de réel (donnés ou construits, projetés).
111Qu’on nous permette un petit débordement. Si la première étape du processus que nous venons d’esquisser a vu la naissance de la grande théologie grecque puis chrétienne, et la deuxième l’apparition des physico-théologies, beaucoup craignent que l’étape actuelle favorise par trop des formes irrationnelles. On peut constater que bon nombre de nos contemporains travaillent en refusant le holisme culturaliste, tout en considérant que les questions méritent un traitement avec les outils de la philosophie actuelle (et tout particulièrement les différentes versions de la philosophie du langage).
112Notre avis est que ce terrain est celui qu’il faut privilégier pour poursuivre le travail théologique, profitant de la fécondité de la dualité des ontologies possibles (continue et discrète, géométrique et arithmétique). Le travail théologique doit naviguer entre les différentes formes de réalisme possibles et l’affirmation de l’ultime de la question Dieu.
Si la géométrie demeure un des outils majeurs de la physique contemporaine et si elle pose dans ce cadre des questions qui se prolongent jusqu’à une forme de philosophie de l’esprit (interdisant la coupure ancienne entre l’intérieur et l’extérieur), si la logique contemporaine s’interroge sur les possibilités constructives de la déduction (et sur la signification de concepts qu’on ne peut construire), ce statut des questions est en même temps incontournable et intimidant. Il semble difficile de contourner les questions évoquées aussi bien en philosophie que dans la réflexion religieuse, et en même temps les perspectives sont comme ces Holzwege chers à Heidegger. Les trésors d’ingéniosité que l’herméneutique contemporaine peut développer dans certains cas (cf. Lonergan par exemple) semblent pourtant bien difficiles à concilier avec la résistance de la majorité des mondes auxquels nous sommes confrontés.
Notes
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[1]
Arpad Szabo, L’aube des mathématiques grecques. Paris, Vrin, (coll. « Mathesis »), 2000 ; 13,5 x 21,5, 367 p. La version actuelle est la traduction de Entfaltung der grieschischen Mathematik qui date de 1993.
Nous avons déjà présenté une des premières versions de ce travail : Les débuts des mathématiques grecques. Paris, Vrin, 1977 ; trad. française de l’ouvrage Anfänge der grieschischen Mathematik, 1969, dans notre Chronique Rev. Sc. ph. th., Avril 1989, p. 135 et dans notre Bulletin Rev. Sc. ph. th., Janvier 1999. -
[2]
L’approche de Jean-Louis Gardiès, L’organisation des mathématiques grecques de Théétète à Archimède, que nous avons déjà présenté [Bulletin Rev. Sc. ph. th., Janvier 1999], ne mentionne pas le travail de A. Szabo. On peut s’interroger sur cette « ignorance ». Il est manifeste que les travaux de ce chercheur font l’objet de « rejet » de la part de nombreux philosophes. Cela tient-il à un problème de personne, à une question de fond, ou à la difficulté de faire intervenir cette forme d’exégèse entre histoire et philosophie ?
-
[3]
Imre Toth, Palimpseste, Propos avant un triangle. Paris, PUF (coll. « Collège International de Philosophie »), 2000 ; 15 x 22, XXXIII + 493 p.
-
[4]
Jules Vuillemin, Mathématiques pythagoriciennes et platoniciennes. Paris, Blanchard (coll. « Sciences dans l’histoire »), 2001 ; 16 x 24,5, 152 p.
-
[5]
Claude Imbert, Pour une histoire de la logique. Paris, PUF (coll. « Science histoire et société »), 1999 ; 15 x 21,5, 302 p.
-
[6]
Avec tout le bénéfice qu’une compréhension physique et astronomique de cet instrument peut apporter, telle que l’a analysé Szabo p. 54 dans l’ouvrage présenté ci-dessus. Quand nous traitons de l’image du monde, il faut se méfier des faux amis qu’une analyse trop évidente de la sensation peut induire. Nous ne saurions trop insister sur les travaux de Gérard Simon en ce qui concerne l’Antiquité, ou de F. Duchesneau pour l’âge classique comme garde-fou devant certaines soi-disant évidences phénoménologiques du voir.
-
[7]
Cf. le livre de J. B. Gourinat, La Dialectique des Stoïciens, Paris, Vrin (coll. « Histoire des doctrines de l’Antiquité classique »), 2000 ; 16 x 24, 386 p. Ce livre présente la logique stoïcienne avec une option clairement posée de ne pas aborder la question de la relecture de celle-ci via la logique mathématique contemporaine.
-
[8]
Frédérique Ildefonse, Les Stoïciens I. Zénon, Cléanthe, Chrysippe. Paris, Les Belles Lettres (coll. « Figures du savoir »), 2000 ; 13,5 x 21, 226 p.
-
[9]
Alain Lernould, Physique et Théologie, Lecture du Timée de Platon par Proclus. Villeneuve d’Ascq (Nord), Presses Universitaires du Septentrion (coll. « Problématiques philosophiques »), 2001 ; 16 x 24, 405 p.
-
[10]
Gerald Bechtle et Dominic J. O’Meara (sous la dir. de), La philosophie des mathématiques de l’Antiquité tardive, Actes du colloque international de Fribourg, Suisse (24-26 septembre 1998). Fribourg, Éditions Universitaires, 2000 ; 15,5 x 22,5, VIII + 242 p.
-
[11]
Rhonda Martens, Kepler’s Philosophy and the New Astronomy. Princeton University Press, 2000 ; 16 x 24, X + 208 p. Il mentionne l’influence de Proclus sur Kepler à plusieurs occasions, pour signaler en même temps la volonté d’interprétation physique de ce dernier. La géométrie de Kepler est une géométrie de relations, cf. la suite. Par ailleurs, on sait que Campanella par exemple a lu Proclus (dès le Philosophia sensibus de1591).
-
[12]
Roshdi Rached et Joël Biard (éd.), Les doctrines de la science de l’Antiquité à l’âge classique, Leuven, Peeters, 1999 ; 16 x 24, 277 p.
-
[13]
Stephen C. McCluskey, Astronomies and Cultures in Early Medieval Europe. Cambridge, Cambridge University Press, 2000, 1ère éd. 1998 ; 15 x 23, 235 p.
-
[14]
Sylvie Anne Goldberg, La Clepsydre. Essai sur la pluralité des temps dans le judaïsme. Paris, Albin Michel (coll. « Idées »), 2000 ; 14,5 x 22,5, 398 p.
-
[15]
Un bon exemple de la complexité à laquelle se heurte l’historien est fourni par une brève note du livre de S. Shapin, A Social History… p. xxiii, que nous allons analyser par la suite,
-
[16]
Alain de Libera, L’art des généralités. Théories de l’abstraction. Paris, Aubier (coll. « Philosophie »), 1999 ; 13,5 x 22, 703 p.
-
[17]
Référence à l’Introduction des Idéalités Mathématiques (1968), de Jean-Toussaint Desanti qui vient de disparaître en février 2002.
-
[18]
Ivan Coelho, Hermeneutics and Methods : The “Universal Viewpoint” in Bernard Lonergan. Toronto, University of Toronto Press, 2001. 16 x 24,5, 345 p.
-
[19]
David Piché, La condamnation parisienne de 1277, texte latin, traduction, introduction et commentaire. Paris, Vrin (coll. « sic et non »), 1999 ; 13,5 x 21,5, 351 p.
-
[20]
Du moins si l’on suit l’usage français qui diffère de l’usage anglo-saxon en la matière.
-
[21]
La question de la multiplicité des mondes est très ancienne. Nous n’avons pas eu la possibilité en son temps de rendre compte d’un admirable livre de Steven J. Dick La pluralité des mondes, Actes Sud, 1989, trad. de l’anglais 1982. Il y a un lien profond entre la question de la pluralité des mondes, sa signification physique et l’apparition du nominalisme (fin du monde comme unité de signification, seuls les individus existent) puis l’apparition des statistiques au xviie siècle.
-
[22]
Jan A. Aertsen, Kent Emery, A. Speer (dir.), Nach der Verurteilung von 1277. Philosophie und Theologie an der Universität von Paris im letzten Viertel des 13. Jahrhunderts. Berlin, New York, Walter de Gruyter, Miscellanea Mediaevalia, Bd 28, 2001 ; 17,5 x 24,5, 1033 + X p.
-
[23]
Alain Boureau, Théologie, science et censure au xiiie siècle. Le cas de Jean Peckham. Paris, Les Belles Lettres (coll. « l’âne d’or »), 1999 ; 15 x 21,5, 377 p.
-
[24]
Gérard Haddad, Maïmonide. Paris, Les Belles Lettres (coll. « Figures du savoir »), 1998 ; 11 x 18, 136 p. Cet ouvrage situe la position de Maimonide dans le contexte de la persécution contre les Juifs de cette époque, et de l’exil qui en découla. La position de de Libera à cet égard se réfère d’abord à ce qu’on peut trouver dans le Guide des égarés (cf. de Libera, op. cit. note p. 207). Il semble que la position des théologiens chrétiens fut de durcir en le rationalisant un débat qui s’inscrivit initialement à l’intérieur des commentaires du judaïsme. En ce qui concerne la question des calendriers, voir le livre de G. H. p. 89.
-
[25]
Rhonda Martens, Kepler’s Philosophy and the New Astronomy. Princeton, Princeton University Press, 2000 ; 16 x 24,5, 201 p.
-
[26]
Jean Kepler, Le secret du monde, Paris, Les Belles Lettres, 1984, trad. Alain Segonds.
-
[27]
Gérard Simon, Kepler astronome, astrologue. Paris, Gallimard, 1979.
-
[28]
Cf. Fernand Hallyn. La structure poétique du monde: Copernic, Kepler. Seuil, Paris 1987, 316 p., [Bulletin Rev. Sc. ph. th. Juillet 1990, p. 267 et Bulletin Rev. Sc. ph. th. octobre 1993].
-
[29]
Philippe Hamou, La mutation du visible. Essai sur la portée épistémologique des instruments d’optique au xviie siècle. Villeneuve d’Asq, Septentrion, Presses universitaires du nord, T1, 1999 ; 16 x 24, 317 p. ; et T2, 2001 ; 16 x 24, 317 p.
-
[30]
Gérard Simon, Le regard, l’être et l’apparence dans l’Optique de l’Antiquité, [Bulletin Rev. Sc. ph. th. avril 1991 et janvier 1999].
-
[31]
Pierre Darmon, L’homme et les microbes, xviie-xxe siècle. Paris, Fayard, 1999 ; 15 x 23,5, 586 p.
-
[32]
Cf. op. cit. p. 512 ss.
-
[33]
Cf. op. cit. p. 526. La période contemporaine voit un certain nombre de mathématiciens se pencher sur cette famille de problèmes. C’est par exemple le cas de Shannon (le fondateur de la théorie de l’information). Mais c’est une tout autre histoire.
-
[34]
Michel Blay, La naissance de la science classique au xviie siècle. Paris, Nathan Université, 1999 ; 13 x 18, 129 p.
-
[35]
Rappelons Michel Blay, Les raisons de l’infini, [Bulletin Rev. Sc. ph. th. Octobre 1994]
-
[36]
Steven Shapin, A Social History of Truth. Civility and Science in Seventeenth-Century England. Chicago, The University of Chicago Press, 1994 ; 15,5 x 23, xxxi + 483 p.
-
[37]
Cf. l’article que nous avions déjà mentionné : « Le technicien invisible », La Recherche, n° 230, mars 1991, vol. 22. p. 324-333. [Bulletin Rev. Sc. ph. th. Octobre 1994].
-
[38]
Alban Bouvier, Philosophie des sciences sociales. Paris, PUF (coll. « L’interrogation philosophique »), 1999. 15 x 22, 259 p.
-
[39]
Dominique Terré. Les dérives de l’argumentation scientifique. Paris, PUF (coll. « Sociologies »), 1998 ; 15 x 21,5, 310 p. Dans la ligne de cette problématique : Paul-Antoine Miquel, Comment penser le désordre ? Paris, Fayard, 2000 ; 13,5 x 21,5, 320 p. Il y a des outils théoriques qui permettent de poser les questions de complexité. Ces outils sont rationnels. La notion de désordre n’est plus impossible à décrire. En ce sens on peut donner un sens positif au passage du désordre à l’ordre. Que l’utilisation de ces systèmes de description le soit est une autre question.
-
[40]
Egidio Festa, Vincent Jullien, Maurizio Torrini (sous la dir.), Géométrie, atomisme et vide dans l’école de Galilée. Fontenay, ENS éditions et Istituto e Museo di Storia delle Scienza (coll. « Theoria »), 1999 ; 15 x 21, 343 p.
-
[41]
Vient de nous parvenir un livre qui est orienté directement vers cette question : Dmitri Nikulin, Matter, Imagination and Geometry. Ontology, natural philosophy and mathematics in Plotinus, Proclus and Descartes. Burlington, Ashgate, 2002 ; 15,5 x 22, 300 p. Nous n’avons pas la possibilité de l’analyser ici. La question générale est du rapport entre arithmétique (statique) et géométrie (analyse du mouvement) et son lien avec le statut de l’imagination.
-
[42]
Pierre-François Moreau (sous la dir.), Le stoïcisme au xvie et au xviie siècle. Le retour des philosophies antiques à l’âge classique. Paris, Albin Michel (coll. « Idées »), 1999 ; 14 x 22,5, 359 p.
-
[43]
Annibale Frantoli. Galilée pour Copernic et pour l’Église. Vatican, Rome. ed. The Vatican Observatory Foundation, 1993, trad. fr. 2001 ; 16 x 24, 577 p.
-
[44]
Signalons la thèse de Rémy Bergeret, soutenue à Toulouse en 2000, concernant l’ensemble des propos de Jean Paul II relatifs à la science.
-
[45]
Francesco Beretta, Galilée devant le Tribunal de l’Inquisition. Une relecture des sources. Fribourg, 1998. Publication partielle de la thèse. 16,5 x 22,5, 250 p. (cf. Rev. Sc. ph. th. Octobre 1999, p. 479)
-
[46]
Pierre-Noël Mayaud s.j., La condamnation des livres coperniciens et sa révision. Rome, Editrice Pontificia Universita Gregoriana, 1997 ; 17,5 x 25,5, 352 p. Cf. Son article de la Revue d’histoire des sciences, avril-septembre 1992 (notre Bulletin Rev. Sc. ph. th. Octobre 1993). [Bulletin Rev. Sc. ph. th. Janvier 1999].
-
[47]
Cf. Paolo Simoncelli, Storia di una censura. « Vita di Galileo » e Concilio Vaticano II, Milan, 1992.
-
[48]
Tommaso Campanella. Apologia pro Galileo. Texte, traduction et notes par Michel Pierre Lerner. Paris, Les Belles Lettres (coll. « Science et Humanisme »), 2001 ; 16 x 24, CLXXIV + 331 p.
-
[49]
Cf. Michel-Pierre Lerner, Le monde des sphères. Paris, Les Belles Lettres, (coll. « L’âne d’or »), T 1 : Genèse et triomphe d’une représentation cosmique 1996 ; et T 2 : La fin du cosmos classique 1997 ; 15 x 21, 5, 403 p. et 418 p. [Bulletin Rev. Sc. ph. th. Janvier 1999].
-
[50]
J. L. Heilbron, The Sun in the Church, Cathedrals as Solar Observatories. London, Cambridge, Harvard University Press, 2001 ; 17 x 24, 5, 366 p.
-
[51]
Cf. Peter Galison, « Le train fantôme de la relativité restreinte », La Recherche, hors-série n°5, Le temps, avril 2001, p. 30-35.
-
[52]
Alan Cook, Edmond Halley, Charting the Heavens and the Seas. Oxford, Clarendon Press, 1998 ; 16 x 24, 540 p.
-
[53]
En ce qui concerne cette relation à Newton, il faut lire la partie qui la concerne dans la note posthume de R. S. Westfall The Background to the Mathematization of Nature, in Jed Z. Buchwald, I. Berhard Cohen op. cit dans la suite. p. 334.
-
[54]
Jean-Pierre Luminet, Le rendez-vous de Vénus. Paris, J. C. Lattès, 1999 ; 14 x 22,5, 363 p.
-
[55]
Jean-Marc Rohrbasser, Dieu, l’ordre et le nombre. Paris, PUF (coll. « Philosophies ») ; 2001, 11 x 17,5, 127 p.
-
[56]
Sven K. Knebel, Theologie und Philosophie, 67/4 (1992) et Freiburger Zeitschrift für Philosophie und Theologie. 41/3 (1994).
-
[57]
Jed Z. Buchwald, I Bernard Cohen (sous la dir. de), Isaac Newton’s Natural Philosophy. Cambridge, the MIT Press, 2001 ; 16 x 24, 354 p.
-
[58]
Margaret J. Osler (sous la dir. de), Rethinking the Scientific Revoluion. Cambridge, Cambridge UP., 2000 ; 15 x 23, 340 p.
-
[59]
« This doctrine caused a bitter dispute between Lutherans and Calvinists, who denied ubiquity and hence the Real Presence. It equally reinforced Lutheran separation from the Catholic Church, which taught that a miraculous transformation (transubstantiation) created a real presence in the host only during Communion. » (sic) p. 62. Il est évident qu’avec de tels raccourcis il est difficile d’entrer dans le débat des idées de l’époque. Tant que les questions théologiques seront autant prises à la légère par les historiens des sciences, il ne sera pas possible de traiter sérieusement de l’interférence conceptuelle entre questions religieuses et questions scientifiques. Le minimum de l’honnêteté serait de pratiquer en la matière le même sérieux de recherche.
-
[60]
Jean-Paul Auffray, Newton ou le Triomphe de l’alchimie. Paris, Le Pommier-Fayard, 2000 ; 13,5 x 20, 223 p.
-
[61]
Les publications abondent plus qu’on ne le pense. Nous avons entre les mains un ouvrage de James Arraj, The Mystery of Matter, Nonlocality, Morphic Resonance, Synchronicity and the Philosophy of Nature of Thomas Aquinas. Chiloquin USA, Inner Growth Books, 1996, 15 x 23, 182 p. Ce livre propose une réinterprétation thomiste et jungienne des questions posées par la matière.
-
[62]
[Bulletin Rev. Sc. ph. th. Octobre 1993] [Bulletin Rev. Sc. ph. th. Avril 1991]. Son œuvre concerne essentiellement les problèmes de philosophie de la nature.
-
[63]
Miguel Espinoza (sous la dir. de), De la science à la philosophie. Hommage à Jean Largeault. Paris, L’Harmattan, 2001 ; 13,5 x 21,5, 288 p.
-
[64]
Jean Largeault. Principes classiques d’interprétation de la nature, Lyon, Vrin, 1988.
-
[65]
Cf. dans ce volume la contribution de Jean Harthong, p. 97. Le titre de Dedekind est « Was sind und was sollen die Zahlen ? » (1887) « que sont et que doivent être les nombres ? », et non « Die Zahlen, was sind sie und was sollen sie ? » (1879).
-
[66]
Eva Piccardi, La chimica dei concetti. Linguagio, logica, psicologia, 1879-1927. Bologna, Il Mulino, 1994 ; 13 x 21, 326 p.
-
[67]
Gottlob Frege, Écrits posthumes. Nîmes, Éd. Jacqueline Chambon (coll. « Rayon philo »), 1994 ; 15,5 x 22,5, 349 p. trad. sous la direction de Ph. de Rouilhan et de C. Tiercelin.
-
[68]
G. Gabriel, U. Dathe (ed.), Gottlob Frege Werk und Wirkung. Mit den unveröfflichten Vorschlägen für ein Wahlgesetzt von Gottlob Frege. Mentis Paderborn, 2000 ; 15 x 23 313 p.
-
[69]
Op. cit. p. 171-190.
-
[70]
Peter Millican, Andy Clark (ed.), Machines and Thought. The legacy of Alan Turing. Vol 1, Oxford, Clarendon, 1996 ; 14 x 22, 297 p.
-
[71]
Cf. Jean-Yves Girard, Alan Turing, La Machine de Turing. Paris, Seuil, 1995 ; 14 x 21,5, 177 p. [Bulletin Rev. Sc. ph. th. Octobre 1995].
-
[72]
Bertrand Russell, Essais philosophiques. Paris, PUF (coll. « L’interrogation philosophique »), 1997 ; 15 x 21,5, 218 p. trad. François Clémentz et Jean-Pierre Cometti.
-
[73]
Monck Ray et Palmer Anthony, Bertrand Russell and the Origins of Analytical Philosophy. Bristol, Thoemmes, 1996 ; 13,5 x 21,5, XVI + 383 p.
-
[74]
Cf. le travail de M. Bourdeau que nous allons présenter par la suite.
-
[75]
Même si on peut considérer qu’il y a une théorie de la catégorialité chez Frege, cf. Horst Lange, Kategorialität bei Frege, in : Dietman Koch, Klaus Bort ed., Kategorie und Kategorialität. Festschrift für Klaus Hartmann zum 65. Geburtstag. Würzburg, D. Königshausen und T. Neumann, 1990, 465 p.
-
[76]
Alain Connes, Triangle de pensées, avec André Lichnerowicz et Marcel-Paul Schützenberger. Paris, Odile Jacob, (coll. « Sciences »), 2000 ; 14,5 x 22, 215 p.
-
[77]
Gilles-Gaston Granger, La pensée de l’espace. Paris, Odile Jacob, (coll. « Philosophie »), 1999 ; 14,5 x 22, 238 p.
-
[78]
Nous nous devons de faire mémoire de la mort au début de l’an 2002 de ce très grand philosophe. La citation que nous venons de faire est une référence de l’introduction des Idéalités mathématiques.
-
[79]
Cf. ci-dessus.
-
[80]
Wolfgang Pauli, Physique moderne et philosophie. Paris, Albin Michel, (coll. « Sciences d’aujourd’hui »), 1999 ; 14,5 x 22,5, 288 p. trad. fr. Aufsätze und Vorträge über Physik und Erkenntnistheorie, Braunschweig, 1961, Claude Maillard.
Wolfgang Pauli, Carl Gustav Jung, Correspondance 1932-1958. Paris, Albin Michel, (coll. « Sciences d’aujourd’hui »), 2000 ; 14,5 x 22,5, 375 p. trad. fr. Françoise Périgaut. -
[81]
Michel Bitbol, Physique et Philosophie de l’esprit. Paris, Flammarion (coll. « Nouvelle Bibliothèque Scientifique »), 2000 ; 15 x 24, 404 p.
Cf. aussi Mécanique quantique. Une introduction philosophique. Paris, Flammarion (coll. « Nouvelle Bibliothèque Scientifique »), 1996 ; 13,5 x 22, 471 p. [Bulletin Rev. Sc. ph. th. Avril 1997]. -
[82]
Op. cit. p. 266.
-
[83]
Op. cit. p. 335.
-
[84]
Angèle Kremer-Marietti, Philosophie des sciences de la nature. Paris, PUF (coll. « L’interrogation philosophique »), 1999 ; 15 x 21,5, 280 p.
-
[85]
Cf. le : Précis de philosophie analytique, de Pascal Engel, voir plus loin.
-
[86]
Michael Potter, Reason’s Nearest Kin. Philosophies of Arithmetic from Kant to Carnap. Oxford, Oxford University Press, 2000 ; 16 x 24, 305 p.
-
[87]
Michel Bourdeau, Locus Logicus, L’ontologie catégoriale dans la philosophie contemporaine. Paris, L’Harmattan, 2000 ; 13,5 x 21,5, 272 p.
-
[88]
Pascal Engel (sous la dir. de), Précis de philosophie analytique. Paris, PUF (coll. « Thémis, philosophie »), 2000 ; 15 x 21,5, 359 p.
-
[89]
Roderick M. Chisholm, A Realistic Theory of Categories. An Essay on Ontology. Cambridge, Cambridge UP., 1996 ; 21 x 13,5, 146 p.
-
[90]
Pour une discussion sur la dimension temporelle, voir P. Simons Parts, A Study in Ontology, Oxford, Clarendon Press, 1987, en particulier p. 187.
-
[91]
I. Grattan-Guiness, The Search for Mathematical Roots, 1870-1940. Logic, Set Theories and the Fondations of Mathematics from Cantor throught Russell to Gödel. Princeton and Oxford, Princeton University Press, 2000 ; 16 x 24, 690 p.
-
[92]
Ian Hacking, The Social Construction of What ? Cambridge, Harvard UP, 1999-2000 ; 15 x 23, 261 p.