Notes
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[*]
Une version préliminaire de cette étude a été présentée à l’occasion de la Journée thomiste qui a eu lieu à Paris, Le Saulchoir, le samedi 7 décembre 2019. Je remercie les frères Jean-Christophe de Nadaï et Adriano Oliva pour leur relecture et leurs remarques.
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[1]
Pour une première approche des sources de l’angélologie thomiste, voir Serge-Thomas Bonino, Les Anges et les démons (Deuxième édition, revue et augmentée), Paris, Parole et Silence (coll. « Bibliothèque de la Revue thomiste. Cours »), 2017, p. 23-86 ; sur les sources non-bibliques, voir en particulier Id., « Aristotelianism and Angelology According to Aquinas », dans Gilles Emery, Matthew Levering (éd.), Aristotle in Aquinas’s Theology, Oxford, Oxford University Press, 2015, p. 29-47.
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[2]
Sur l’importance de la réflexion thomiste dans l’histoire de la pensée démono-logique, voir Alain Boureau, Satan hérétique. Naissance de la démonologie dans l’Occident médiéval (1280-1330), Paris, Odile Jacob (coll. « Histoire »), 2004, p. 125-157, 282-285 ; Pasquale Porro, « Il diavolo nella teologia scolastica : il caso di Tommaso d’Aquino », dans Il diavolo nel Medioevo, Atti del XLIX Convegno storico internazionale, Todi 14-17 ottobre 2012, Spoleto, Fondazione Centro italiano di studi sull’alto Medioevo (coll. « Atti dei convegni del Centro italiano di studi sul basso Medioevo – Accademia Tudertina », n. s. 26), 2013, p. 77-99.
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[3]
Voir par exemple John F. Wippel, « Metaphysical Composition of Angels in Bonaventure, Aquinas, and Godfrey of Fontaines », dans Tobias Hoffmann (éd.), A Companion to Angels in Medieval Philosophy, Leiden-Boston, Brill (coll. « Brill’s Companions to the Christian Tradition », 35), 2012, p. 45-78 : 53-65 ; Giorgio Pini, « The Individuation of Angels from Bonaventure to Duns Scot », ibid., p. 79-115 : 84-94 ; Gabriele Galluzzo, « Aquinas on the Genus and Differentia of Separate Substances », Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 18 (2007), p. 343-361 ; Tiziana Suarez-Nani, Les anges et la philosophie. Subjectivité et fonction cosmologique des substances séparées à la fin du xiiie siècle, Paris, Vrin (coll. « Études de philosophie médiévale », 82), 2002, p. 27-53.
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[4]
Louis Jacques Bataillon, « Éditions de textes », Bulletin de philosophie médiévale 30 (1988), p. 10-19 : 14-19 ; Adriano Oliva, Les Débuts de l’enseignement de Thomas d’Aquin et sa conception de la sacra doctrina, avec l’édition du prologue de son Commentaire des Sentences, Paris, Vrin (coll. « Bibliothèque thomiste », 58), 2006, p. 298-299.
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[5]
Voir Platon, Cratyle, 398b 6.
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[6]
Thomas d’Aquin, De substantiis separatis, 20 (éd. Léonine, t. XL, Rome, Ad Sanctae Sabinae, 1969, p. D76, 16-26) ; Augustin d’Hippone, De civitate Dei, IX, 19-20 ; voir Id., La cité de Dieu, livres VI-X : Impuissance spirituelle du Paganisme, texte de la quatrième édition de Bernhard Dombart, Alfons Kalb, intro. et notes par Gustave Bardy, trad. de Gustave Combès, Paris, Desclée de Brouwer (coll. « Bibliothèque augustinienne », 34), 1959, p. 402-407. Voir aussi Calcidius, Commentaire au Timée de Platon, éd. et trad. par Béatrice Bakhouche, Paris, Vrin (coll. « Histoire des doctrines de l’Antiquité classique », 42), 2011, § 132, t. I, p. 368-371 ; t. II, p. 734-735.
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[7]
Thomas d’Aquin, In I Sent., d. 37, q. 1, a. 1, arg. 5 (éd. Pierre Mandonnet, Paris, Lethielleux, 1929, p. 856-857) ; ad 5 (ibid., p. 859) : « […] daemon non nominat naturam tantum, sed naturam deformatam ; cujus deformitatis Deus non est operator. Secundo, […] daemon nominat naturam intellectualem ; unde cum dicitur, Deus est in daemone, intelligitur per modum quo natura intellectualis ejus est capax, scilicet per gratiam […] ».
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[8]
Id., In IV Sent., d. 15, q. 4, a. 3, qc. 1, ad 2 (éd. Maria Fabianus Moos, Paris, Lethielleux, 1947, p. 744).
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[9]
Id., In II Sent., d. 9, q. 1, a. 4, ad 2 et ad 4 (éd. P. Mandonnet, p. 240-241).
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[10]
P. Porro, « Il diavolo … », art. cité, p. 82.
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[11]
A. Boureau, Satan hérétique, op. cit., p. 140.
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[12]
Thomas d’Aquin, De subst. sep., prol. (éd. Léon., t. XL, p. D41, 1-4) ; voir Id., Les Substances séparées, trad., intro. et notes de Nicolas Blanc, Paris, Les Belles Lettres (coll. « Sagesses médiévales »), 2017, p. 65.
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[13]
Pour la datation et la contextualisation historico-littéraire de cet opuscule, voir René-Antoine Gauthier, « Index scriptorum et operum… », dans Thomas d’Aquin, Quaestiones de quolibet, éd. Léon., t. XXV/2, Rome-Paris, 1996, p. 498 ; Hyacinthe-François Dondaine, « Préface », dans Thomas d’Aquin, De subst. sep., éd. Léon., t. XL, p. D5-D8 ; Francis J. Lescoe, « De substantiis separatis : Title and Date », dans St. Thomas Aquinas 1274-1974. Commemorative Studies, 2 vol., Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1974, t. I, p. 51-66 ; Jean-Pierre Torrell, Initiation à saint Thomas d’Aquin. Sa personne et son œuvre, Nouvelle édition profondément remaniée et enrichie d’une bibliographie mise à jour, Paris, Éditions du Cerf, 2015, p. 283-285.
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[14]
Sur la proximité méthodologique du De subst. sep. avec le Contra Gentiles, voir H.-F. Dondaine, « Préface », éd. Léon., t. XL, p. D7-D8.
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[15]
Voir par exemple Thomas d’Aquin, In II Sent., d. 12, a. 2, sol. (éd. P. Mandonnet, p. 305-306). Sur Augustin et ses critères éxégétiques, voir Enrico Moro, « Utilizzare la filosofia per interpretare la creazione ? Agostino di Ippona esegeta della Genesi », Forum 4 (2018), p. 191-214.
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[16]
Sur l’évolution historique des contenus de foi, voir Id., Summa theol., IIa IIae, q. 1, a. 7, sol.
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[17]
Pour plus de détails sur le rapport entre textes scripturaires et tradition patristique dans la perspective du théologien, voir A. Oliva, Les Débuts, op. cit., p. 281-287.
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[18]
Ce commentaire date vraisemblablement des années 1261-1265 : voir H. -F. Dondaine, « Préface », dans Thomas d’Aquin, Expositio super primam et secundam decretalem, éd. Léon., t. XL, p. E6 ; J.-P. Torrell, Initiation, op. cit., p. 172, 471 ; R. A. Gauthier, « Index scriptorum et operum », op. cit., p. 488.
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[19]
De summa Trinitate et fide catholica, c. 1, <sive Firmiter> (ici cité selon l’éd. Léon., t. XL, p. E29, 1-18) : « Firmiter credimus et simpliciter confitemur, quod unus solus est verus Deus […] creator omnium visibilium et invisibilium, spiritualium et corporalium ; qui sua omnipotenti virtute simul ab initio temporis utramque de nihilo condidit creaturam spiritualem et corporalem, angelicam videlicet et mundanam, ac deinde humanam, quasi communem ex spiritu et corpore constitutam. Diabolus enim et alii daemones a Deo quidem natura creati sunt boni ; sed ipsi per se facti sunt mali. Homo vero diaboli suggestione peccavit ». Voir Henricus Denzinger, Enchiridion Symbolorum definitionum et declarationum de rebus fidei et morum, ed. Iohannes Baptist Umberg, Friburgi Brisigoviae, Herder, 1937, p. 199, n. 428.
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[20]
D’après Thomas, les opinions erronées que la décrétale Firmiter est censée rejeter au sujet de Dieu créateur sont, selon l’ordre de présentation (ibid., p. E34, 394-E35, 481) : (i) le dualisme des principes (les manichéens et d’autres hérétiques) ; (ii) la création du monde visible non immédiatement de la part de Dieu ; (iii) l’exclusion du monde sensible de la création originaire de Dieu : il serait produit seulement par la suite, afin de punir la chute morale de certains anges (Origène) ; (iv) l’éternité du monde (Aristote) ; (v) l’éternité de la matière, principe incréé complémentaire à Dieu créateur (Anaxagore) ; (vi) la corporéité des âmes (Tertullien) ; (vii) la création d’anges bons ou mauvais par nature (les manichéens) ; la création d’âmes bonnes ou mauvaises par nature. Certaines de ces erreurs sont mentionnées aussi dans le De articulis fidei (éd. Leon., t. XLII, Roma, Editori di S. Tommaso, 1979, p. 246, 100-247, 139), où pourtant Thomas aborde le troisième article, sur la création, de manière plus succincte et élémentaire.
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[21]
Thomas d’Aquin, Super primam decretalem, éd. Léon., t. XL, p. E34, 394-409 ; p. E35, p. 454-470.
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[22]
Voir H. -F. Dondaine, « Préface », op. cit., p. E6.
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[23]
Sur cette censure universitaire et la condamnation ecclésiastique qui la suit, voir Vincent Doucet, « La date des condamnations parisiennes dites de 1241. Faut-il corriger le Cartulaire de l’Université ? », dans Mélanges Auguste Pelzer. Études d’histoire littéraire et doctrinale de la Scolastique médiévale offertes à Monseigneur Auguste Pelzer, Scriptor de la Bibliothèque Vaticane à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire, Louvain, Bibliothèque de l’Université-Éditions de l’institut supérieur de philosophie, 1947, p. 183-193 ; plus proprement sur le contenu et l’origine des proposition concernées, « bizarres dans leur formule et périmées dans leur position » et « alors tenues par quelques maîtres de l’Université de Paris », voir Marie-Dominique Chenu, « Le dernier avatar de la théologie orientale en Occident au xiiie siècle », ibid., p. 159-181 : ici p. 159-160 ; id., « L’homme, la nature, l’esprit : un avatar de la philosophie grecque en occident, au xiiie siècle », AHDLMA 36 (1969), p. 123-130.
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[24]
Chartularium universitatis parisiensis, éd. Henricus Denifle, Aemilius Chatelain, t. I : Ab anno mcc usque ad annum mcclxxxvi, p. 170-172, n. 128 (nous soulignons). Voir H. Denzinger, Enchiridion, op. cit., p. 199, n. 428 : « […] Diabolus enim et alii daemones a Deo quidem natura creati sunt boni, sed ipsi per se facti sunt mali » .
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[25]
H.-F. Dondaine, « Le premier instant de l’ange d’après saint Thomas », Rev. Sc. ph. th. 39 (1955), p. 213-227 : 214-217. Ces deux options sont explicitement considérées par Thomas, qui les présente comme deux solutions possibles au problème posé par le dogme, mais exprime ouvertement sa préférence pour l’une des deux : Thomas d’Aquin, Summa theol., Ia Pars, q. 63, a. 6, sol. (éd. Léon., t. V, p. 132-133) : « Sed probabilior, et Sanctorum dictis magis consona est, quod statim post primum instans suae creationis diabolus peccaverit. […] Si vero ponatur quod angelus in gratia creatus non fuerit […] nihil prohibet aliquam moram fuisse inter creationem et lapsum. »
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[26]
Id., In II Sent., d. 3, q. 2, a. 1, ad 5 (éd. P. Mandonnet, p. 112) : « Unde cum vicissitudo affectionum in angelo, per quas est bonus et malus, non sit continua, nec ordinata ad aliquem motum continuum, numerus earum dicetur tempus, quia secundum prius et posterius se habent ; sed non erit continuum ; unde inter ejus instantia non necessario accipietur tempus medium, sicut nec inter duas unitates numerus. »
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[27]
Voir surtout Augustin d’Hippone, De civitate Dei, XI, 13 ; voir Id., La cité de Dieu, livres XI-XIV : Formation des deux cités, texte de la quatrième édition de B. Dombart, A. Kalb, intro. et notes par G. Bardy, trad. de G. Combès, Paris, Desclée de Brouwer (coll. « Bibliothèque augustinienne » 35), 1959, p. 77 et 79 : « Et c’est aussi dans le même sens qu’il faut entendre ce que dit l’apôtre saint Jean : Le diable pèche dès le commencement, c’est-à-dire il a dès sa création rejeté la justice que seule peut conserver une volonté pieuse et soumise à Dieu. En adoptant cette interprétation d’ailleurs, on ne se range pas au sentiment des hérétiques, manichéens et autres “pestes” de même opinion, d’après lesquels le diable recevrait d’un principe opposé au bien la nature même du mal comme la sienne propre. Ces gens-là déraisonnent si profondément que, tout en admettant avec nous l’autorité de cette parole évangélique, ils ne remarquent pas que le Seigneur n’a pas dit : Le diable est étranger à la vérité, mais : Il ne s’est pas maintenu dans la vérité, voulant ainsi faire entendre qu’il est déchu de la vérité ; et certes, s’il s’y était maintenu, il y participerait encore pour rester heureux avec les saints anges. » Absent du commentaire des Sentences, ce passage est évoqué par Thomas par la suite : voir Thomas d’Aquin, Summa theol., Ia Pars, q. 63, a. 5, sol. ; Id., De malo, q. 16, a. 4, sol. (éd. Léon., t. XXIII, Rome-Paris, Commissio Leonina-Vrin, 1982, p. 298, 214-221, 238-258).
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[28]
Thomas d’Aquin, In II Sent., d. 3, q. 2, a. 1, sol. (éd. P. Mandonnet, p. 110) : « Ideo alii dixerunt quod angelus in principio suae creationis, malus fuit, non tamen malitiam a Deo habuit, sed actu propriae voluntatis. Haec autem positio vana, et erronea est, et falsa. […] Erronea est, quia primae opinioni [i.e. : quod angelus a Deo creatus est malus] nimis vicina est et a magistris damnata. Falsa est, quia impossibile est angelum in primo instanti suae creationis peccasse […] » ; Id, Summa theol., Ia Pars, q. 63, a. 5, sol. (éd. Léon., t. V, p. 130) : « quidam posuerunt quod statim daemones in primo instanti suae creationis mali fuerunt, non quidem per naturam, sed per peccatum propriae voluntatis : quia ex quo est factus diabolus, iustitiam recusavit. Cui sententiae, ut Augustinus dicit, XI de Civ. Dei, quisquis acquiescit, non cum illis haereticis sapit, idest Manichaeis, qui dicunt quod diabolus habet naturam mali. – Sed quia haec opinio auctoritati Scripturae contradicit […] ideo a magistris haec opinio tanquam erronea rationabiliter reprobata est. Unde aliqui dixerunt quod angeli in primo instanti suae creationis peccare potuerunt, sed non peccaverunt » ; Id., De malo, q. 16, a. 4, sol. (éd. Léon., t. XXIII, p. 298, 238-258) : « Set quare non potuerit in primo instanti sue creationis peccare assignare quidem oportet, etsi difficile sit. Quidam enim assignauerunt huius rationem ex parte nature angelice que est condita a Deo : unde dicunt quod oportuit in primo instanti sue conditionis eum esse bonum qualis a Deo creatus est, ne aliquid ponatur simul esse integrum et diminutum sicut obiciebatur. Set hoc nullam necessitatem uidetur habere : quia malitia culpe non repugnat bonitati nature set in ea fundatur sicut in subiecto ; unde et Augustinus dicit XI De ciuitate Dei quod quisquis huic sententie acquiescit, non cum Manicheis sentit, qui dicunt quod diabolus habet naturam mali Deo contrariam. Nec esset inconueniens dicere quod quantum est ex creatione Dei, angelus in primo instanti habuit naturam omnino integram, ita tamen quod hec integritas fuerit mox impedita per resistentiam angelice uoluntatis, sicut si radius solis impediatur ne illuminet aerem in ipso solis exortu. »
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[29]
H.-F. Dondaine, « Le premier instant … », art. cité p. 222. Voir aussi Édouard-Henri Wéber, « Dynamisme du bien et statut historique du destin créé. Du traité sur la chute du diable de S. Anselme aux questions sur le mal de Thomas d’Aquin », dans Albert Zimmermann, Gudrun Vuillemin-Diem (éd.), Die mächte Des Guten und Bösen. Vorstellungen im xii. und xiii. Jahrhundert über ihr Wirken in der Heilsgeschichte, Berlin, De Gruyter (coll. « Miscellanea Medievalia », 11), 1977, p. 154-205.
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[30]
Thomas d’Aquin, De malo, q. 16, a. 4, sol. (éd. Léon., t. XXIII, p. 298, 246-248), voir texte cité note 28.
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[31]
Voir Id., Summa theol., Ia Pars, q. 48, prol.
-
[32]
Id., In librum beati Dionysii De divinis nominibus expositio [= In De div. nom], cura et studio fr. Ceslai Pera, o.p., cum intro. historica Sac. Petri Caramello et synthesi doctrinali Prof. Caroli Mazzantini, Taurini-Romae, Marietti, 1950, prol., p. 1-2. Voir H.-F. Dondaine, « Préface », dans Thomas d’Aquin, De subst. sep., éd. Léon., t. XL, p. D37.
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[33]
La section sur le mal du chapitre IV du De divinis nominibus est en grande partie une reprise du De malorum subsistentia de Proclus, ouvrage qui ne sera disponible en latin, grâce à Guillaume de Moerbeke, qu’en 1280. La section sur les démons qu’on prend ici en considération est celle que Denys retravaille le plus, en la pliant aux exigences de la foi chrétienne : voir Carlos Steel, « Proclus et Denys : de l’existence du mal », dans Ysabel de Andia (éd.), Denys l’Aréopagite et sa postérité en Orient et en Occident, Actes du Colloque International Paris, 21-24 septembre 1994, Paris, Institut d’Études Augustiniennes (coll. « Collection des Études Augustiniennes. Série Antiquité », 151), 1997, p. 89-116 ; Jan Opsomer, C. Steel, « Introduction », dans Proclus, On the Existence of Evils, London-Ithaca, Duckworth-Cornell University Press (coll. « Ancient Commentators on Aristotle »), 2003, p. 1-53 : 4-9. Sur l’importance de la doctrine dionysienne du mal chez Thomas d’Aquin, voir Fran O’Rourke, « Evil as privation : the Neoplatonic background to Aquinas’s De malo 1 », dans Michael V. Dougherty (éd.), Aquinas’s Disputed Questions on Evil. A Critical Guide, Cambridge, Cambridge University Press (coll. « Cambridge Critical Guides »), 2017, p. 192-221.
-
[34]
Thomas d’Aquin, De malo, q. 16, a. 1, arg. 3 ; sc 2 ; ad 3 et 14 ; ibid., a. 2, arg. 7 et 12 ; sc 1 ; ad 1 et 4 ; ibid., a. 3, arg. 1-2.
-
[35]
Pierre-Marie Gils, « Préface », dans Thomas d’Aquin, De malo, éd. Léon., t. XXIII, p. 4*-5* ; voir aussi R.-A. Gauthier, « Index scriptorum et operum », op. cit., p. 493.
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[36]
Thomas d’Aquin, De subst. sep., 20, éd. Léon., t. XL, p. D76, 27-31 ; D77, 65-68 ; D78, 151-154. Ici, comme dans le De malo (voir ci-dessus, note 28), la question de la bonté/malice naturelle du démon est disjointe de celle du moment du péché angélique. En niant l’existence d’un principe mauvais, créateur des démons, Thomas entend affirmer que la malice des anges n’est pas innée, sans situer plus précisément le début qu’elle connaît. Ce double niveau de considération est bien marqué dans le commentaire aux Noms divins d’Albert le Grand, justement au sujet du passage de Denys dont en s’occupera par la suite : « Diximus, quod in angelis non est malum ; sed neque daemones sunt natura mali. Hoc autem dupliciter potest intelligi : quod angeli sint natura mali aut quod malitia sit natura ipsorum, et hoc removere [Dionisius] intendit, aut quod in eis simul fuerit malitia et natura ; et hoc quidam dixerunt. » (Albert le Grand, Super Dionysium De divinis nominibus, éd. Paulus Simon, Monasterii Westfalorum, Aschendorff [ed. Coloniensis, t. XXXVII/1], 1972, p. 268, 54-59).
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[37]
Cette alternative est caractérisée plus précisément et avec un lexique aristotélicien dans De malo, q. 16, a. 2, sol. (éd. Léon., t. XXIII, p. 288, 178-183) : « Cum autem dicimus aliquid naturaliter esse malum, dupliciter intelligi potest : uno modo ut malum sit natura ipsius uel aliquid nature eius siue proprium accidens consequens naturam ; alio modo potest dici aliquid naturaliter malum quia inest ei naturalis inclinatio ad malum » ; et à propos du premier sens Thomas explique : « malum enim dicitur unumquodque ex eo quod aliqua perfectione sibi debita priuatur, in tantum autem unumquodque perfectum est in quantum attingit ad id quod competit sue nature ; et hoc modo Dionisius multipliciter probat iv cap. De diuinis nominibus quod demones non sunt naturaliter mali » (ibid., 193-199). Dans la Prima Pars, q. 63, a. 4, il se focalise surtout sur la deuxième manière d’interpréter le « naturaliter mali », le problème du dualisme n’étant pas ouvertement abordé. Dans le De subst. sep. Thomas écarte cette deuxième option en s’appuyant sur la structure ontologique des substances séparées, notamment sur leur être individus d’espèces différentes (éd. Léon., t. XL, p. D77, 136-D78, 154).
-
[38]
Il ne sera pas sans intérêt de rappeler que la section philosophique du De subst. sep. culmine, au chapitre 17, avec la critique des manichéens, dont l’erreur au sujet des substances séparées s’avère la plus grave parmi toutes, car elle réunit tous les points fautifs des philosophes, précédemment rejetés par Thomas : dualisme des principes ; corporéité des principes ; négation de la Providence. Voir Thomas d’Aquin, De subst. sep., 17 (éd. Léon., t. XL, p. D70, 3-19).
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[39]
Ibid., 20 (éd. Léon., t. XL, p. D76, 27-34). Voir Dionysiaca, recueil donnant l’ensemble des traductions latines des ouvrages attribués au Denys de l’Aréopage…, 2 vol., éd. Philippe Chevallier, Paris-Bruges, Desclée de Brouwer, 1937-1950, t. I, p. 271-272, S. [= trad. de Jean Sarrazin] : « Sed neque daemones sunt natura mali » ; voir Corpus Dionysiacum I : Ps.-Dionysius Areopagita, De divinis nominibus [= De div. nom.], IV, 23, éd. Beate Regina Suchla, Berlin-New York, De Gruyter (coll. « Patristische Texte und Studien », 33), 1990, p. 170, 12 ; Denys Ps.-Aréopagite, Noms divins, IV, 23, dans Œuvres complètes, trad., préf. et notes par Maurice de Gandillac, Paris, Aubier (coll. « Bibliothèque philosophique »), 1943, p. 118 ; voir Id. Les noms divins I-IV, intro., trad. et notes par Y. de Andia, Paris, Éditions du Cerf (coll. « Sources chrétiennes », 578), 2016, p. 510-511.
-
[40]
Id., De div. nom., IV, 22-23 (éd. B. R. Suchla, p. 169, 20-172, 11).
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[41]
Thomas d’Aquin, In De div. nom, IV, 1, § 266 ; 13, § 465-468 ; 14, § 469 ; 19, § 528.
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[42]
Ibid., 19, § 529. Voir ci-dessous, p. 482-483. Voir Dionysiaca, I, p. 271-275, S. : « Sed neque daemones sunt natura mali. Etenim, si natura mali, [i] neque ex bono, [ii] neque in exsistentibus, [iii] neque quidem ex bonis transmutati essent natura et semper mali exsistentes. [iv] Postea, igitur sibi ipsis sunt mali aut aliis ? [iv-a] Si sibi ipsis quidem, et corrumpunt se ipsos ; si autem aliis, quomodo corrumpentes ? aut quid corrumpentes ? substantiam aut virtutem aut operationem ? Si substantiam quidem, primum quidem non praeter naturam, nam natura incorruptibilia non corrumpunt, sed susceptibilia corruptionis ; [iv-b] postea, neque hoc omnibus et omnino malum ; sed [iv-c] neque corrumpitur aliquid exsistentium secundum quod est substantia et natura, sed, defectu ordinationis quae est secundum naturam, harmoniae et commensurationis ratio infirmatur manere similiter habens. Infirmitas autem non perfecta ; etenim perfecta et corruptionem et subjectum destrueret. Et erit talis corruptio et suimet corruptio ; quare tale non malum, sed deficiens bonum, quod enim est expers omnino boni neque in exsistentibus est. Et de corruptione virtutis et operationis eadem ratio est. » La division en sections est nôtre et doit être référée à celle qui est détaillée dans le texte principal.
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[43]
Thomas d’Aquin, In De div. nom, IV, 19, § 530.
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[44]
Ibid., § 532.
-
[45]
Ibid., § 533.
-
[46]
Ibid., § 537. Voir ibid., IV, 21, § 552 (éd. Marietti, p. 206) : « Ex quo patet quod ipsa natura non est mala, sed hoc est malum naturae : non posse pertingere ad ea quae pertinent ad perfectionem propriae naturae » ; § 556 (éd. Marietti, p. 207) : « infirme et debiliter habere propria bona quae eis conveniunt vel totaliter cadere ab habendo, hoc dicitur malum in singulis » ; ibid., IV, 23, § 599 (cité ci-dessous, p. 490, note 64).
-
[47]
Thomas d’Aquin, In XII libros Metaphysicorum Aristotelis expositio, V, 18, éd. Maria-Raymundus Cathala, Raymundus Spiazzi, Taurini-Romae, Marietti, 1964, § 1037, p. 272 : « Unumcumque enim tunc est perfectum quando nulla pars magnitudinis naturalis, quae competit ei secundum speciem propriae virtutis, deficit ei. Sicut autem quaelibet res naturalis, habet determinatam mensuram naturalis magnitudinis secundum quantitatem continuam […], ita etiam quaelibet res habet determinatam quantitatem suae virtutis naturalis » ; voir aussi V, 21, § 1098, où est énoncée la définition de totum.
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[48]
Id., In De div. nom., IV, 19, § 535-536. Voir Dionysiaca, I, p. 277-278, S. : « Et aliter, [v] si natura mali daemones, semper mali ; et quidem malum instabile est. Igitur, si semper eodem modo se habent, non mali : quod enim est semper idem boni est proprium. Si autem non semper mali, non natura mali, sed defectu angelicorum bonorum. [vi] Et non omnino expertes boni, secundum quod et sunt et vivunt et intelligunt et totaliter quidam est in ipsis desiderii motus. »
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[49]
Id, De subst. sep., 20 (éd. Léon., t. XL, p. D76, 32-D77, 64) avec l’apparat des sources.
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[50]
Thomas d’Aquin, De subst. sep., 20 (éd. Léon., t. XL, p. D78, 155-164). Voir Dionysiaca, I, p. 279, S. : « Aversio est igitur ipsis malum, et convenientium ipsis excessus et non consecutio et imperfectio et impotentia, et salvantis ipsis perfectionem virtutis infirmitas et fuga et casus ». D’autres cas de reprise de la part de Thomas d’arguments déjà développés dans son commentaire à Denys, ainsi que de citations qui y figurent peuvent être observés dans ce chapitre.
-
[51]
Id., In De div. nom., IV, 19, § 537.
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[52]
Ibid., § 541. Tout en étant rappelée à plusieurs reprises ailleurs par Thomas, la notion de « malum culpae » comme distincte de celle de « malum poenae » n’est pas exploitée dans la discussion de ce chapitre de Denys ; voir Albert le Grand, In De div. nom., IV, § 186-188 (éd. Colon., t. XXXVII/1, p. 270-273).
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[53]
Thomas d’Aquin, In De div. nom., IV, 19, § 537 ; voir Albert le Grand, In De div. nom., IV, § 190 (éd. Colon., t. XXXVII/1, p. 274, 1-34). Sur l’articulation de nature et grâce chez Denys et sa réception dans l’Occident latin, voir M.-D. Chenu, « Le dernier avatar », art. cité, p. 174-175.
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[54]
Thomas d’Aquin, In II Sent., d. 9, q. 1, a. 7, sol. (éd. P. Mandonnet, p. 247) : « donum gratuitum sicut […] principium formale, et […] donum naturale sicut […] principium quasi materiale et dispositivum : unde definitio ordinis utrumque complectitur, comprehendens principia materialia et formalia ». La définition ici concernée, reprise du Lombard, est celle mentionnée dans le premier argument contra (éd. P. Mandonnet, p. 246) : « ordo est multitudo caelestium spirituum qui conveniunt in naturalibus datis et in muneribus gratiae ».
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[55]
Ibid., sc 2 (éd. P. Mandonnet, p. 246) : « ubicumque est diversitas gradus secundum superius et inferius, ibi est diversus ordo. Sed a principio creationis ante infusionem gratiae, si in gratia creati non sunt, fuit in eis gradus superior et inferior, secundum quod quidam erant subtilioris essentiae et perspicacioris intelligentiae […] ». Ibid., sol. (éd. P. Mandonnet, p. 247) : « […] donum gratiae est perfectivum naturae […]. Sic ergo quodammodo a principio creationis fuit distinctio ordinum, non tamen secundum ultimum complementum ».
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[56]
Thomas d’Aquin, Summa theol., Ia Pars, q. 108, a. 7, sol. ; ibid., a. 8, ad 1 (éd. Léon., t. V, p. 504-505) : « […] Gratia angelis datur secundum proportionem naturalium ; non autem sic est de hominibus, ut supra dictum est. Et ideo sicut inferiores angeli non possunt transferri ad naturalem gradum superiorum, ita nec ad gratuitum. Homines vero possunt ad gratuitum conscendere, sed non ad naturalem. »
-
[57]
Voir surtout Grégoire le Grand, Morales sur Job, t. I : Livres I-II, trad. d’André de Gaudemaris, intro. et notes de Robert Gillet, Paris, Éditions du Cerf (coll. « Sources chrétiennes », 32bis), 2011, II, 4, 4, p. 260-261 : « Il faut chercher avec soin comment Satan peut se présenter au milieu des bons anges, lui qui, jadis condamné en raison de son orgueil, se trouva déchu de leur condition. C’est avec raison que l’Écriture le montre au milieu d’eux, car en perdant la béatitude, il a conservé une nature semblable à la leur (quia etsi beatitudinem perdidit, naturam tamen eis similem non amisit) ; appesanti par son péché, il est soulevé néanmoins par la condition de sa nature subtile. »
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[58]
Bernard Quelquejeu, « Naturalia manent integra. Contribution à l’étude de la portée, méthodologique et doctrinale, de l’axiome théologique “gratia praesupponit naturam” », Rev. Sc. ph. th. 49 (1965), p. 640-655.
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[59]
Dionysiaca, I, p. 281-282, S. Voir Ps.-Dionysius Areopagita, De div. nom., IV, 23 (éd. B. R. Suchla, p. 172, 1-6) ; Id., Noms divins, IV, 23, SC 578, p. 515 : « La race (phūlon) des démons n’est donc pas mauvaise en tant qu’elle est selon la nature, mais en tant qu’elle ne l’est pas. Le Bien tout entier qui leur a été donné n’a pas été altéré, mais eux-mêmes sont déchus du Bien tout entier qui leur avait été donné. Et les dons angéliques qui leur avaient été donnés, nous ne disons pas qu’ils se sont jamais altérés, car ils sont intacts et totalement brillants, même s’ils ne les voient plus, parce qu’ils ont aveuglé leur propre faculté de contempler le Bien. »
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[60]
Thomas d’Aquin, In De div. nom., IV, 19, § 540-541. On notera que le terme « genre » (genus daemonum), utilisé par Thomas à la fin du § 540 pour expliciter « tribus » (éd. Marietti, p. 197 ; Dionysiaca, I, p. 281, S.), n’a pas le sens technique de regroupement d’espèces. Et cela en conséquence justement du fait que le péché laisse la nature intacte, une nature que les démons continuent à partager avec les anges, étant chacun individus uniques d’espèces qui appartiennent à un même genre.
-
[61]
Id., In II Sent., d. 19, q. 1, a. 2 ; ibid., a. 4 ; Summa theol., Ia Pars, q. 97, a. 1, sol. ; voir IIIa Pars, q. 69, a. 3, ad 3.
-
[62]
Thomas d’Aquin, In De div. nom., IV, 19, § 541 ; Dionysiaca, I, p. 282, S. : « […] ipsi non vident, claudentes ipsorum boniinspectivas virtutes » ; voir. Ps.-Dionysius Areopagita, De div. nom., IV, 23 (éd. B. R. Suchla, p. 172, 5-6).
-
[63]
Albert le Grand, In De div. nom., IV, § 193 (éd. Colon., t. XXXVII/1, p. 275, 51-66, numérotation ajoutée) ; ibid., § 189 (éd. Colon., p. 273, 30-35) : « Concludit ergo propositum ex dicta ratione, scilicet quod si non sunt semper mali, non sunt natura mali, ita quod natura ipsorum sit malitia, sed sunt mali ex defectu bonorum angelicorum, quae sunt bona gratiae et gloriae, secundum quae enuntiant divinam bonitatem in eis splendentem […] » ; voir Id., In II Sent., d. 7, a. 4, ad 1 (éd. A. Borgnet, t. XXVII, p. 147).
-
[64]
Thomas d’Aquin, In De div. nom., IV, 23, § 599 (éd. Marietti, p. 223-224) : « […] in daemonibus hoc ipsum quod sunt est bonum et eis est ex bono, scilicet Deo ; sed malum invenitur in ipsis ex hoc quod ceciderunt a bonis propriis, idest ad quae erant ordinati secundum ordinem suae naturae ; et iterum variatio, qua decesserunt ab illa identitate in qua sunt boni Angeli et ab habendo ea quae illi habent ; quod nihil est aliud quam infirmitas quaedam perfectionis eis naturaliter convenientis, prout decet Angelos. »
-
[65]
Sur les notions de « nature intègre » et « nature corrompue », voir Jean-Pierre Torrell, « Nature et grâce chez Thomas d’Aquin », Revue thomiste 101 (2001), p. 167-202 : 182-197.
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[66]
Voir ibid., p. 194 : « dans l’état de nature déchue, l’homme peut sans aucun doute agir droitement au niveau qui lui est connaturel, mais, même à ce niveau-là, il ne peut pas accomplir par lui-même tout le bien dont il aurait été capable avec ses seules forces dans l’état de nature intègre ». Sur la condition humaine postlapsaire voir aussi Jörgen Vijgen, « The Corruption of the Good of Nature and Moral Action : The Realism of St. Thomas Aquinas », Espίritu 67 (2018), p. 127-152 : 136-149.
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[67]
Thomas d’Aquin, In II Sent., d. 30, q. 1, a. 1, ad 3 (éd. P. Mandonnet, p. 768) : « […] bona naturalia dicuntur dupliciter. Vel prout sunt in se considerata, secundum quod naturae debentur ex propriis principiis, et sic nec homo nec angelus per peccatum aliquid naturalium amisit ; vel in aliquo diminutus est : quia Dionysius etiam integra data naturalia in angelis peccantibus permanere dicit […]. Vel secundum quod ordinantur in finem ultimum, et hoc modo in utroque bona naturalia diminuta sunt quidem, non penitus amissa, inquantum uterque factus est minus habilis et magis distans a finis consecutione : et propter hoc etiam homo gratuitis spoliatus dicitur et in naturalibus vulneratus […] ». Pour une mise en contexte de ce passage, voir J.-P. Torrell, « Nature et grâce », art. cité, p. 173-175, 184-192, 199-200 : « […] même réduite à ses pura naturalia, la nature de Thomas […] ne se réduit pas à sa stricte définition philosophique, et l’homme ne la retrouve pas intacte après le péché. […] Thomas a été amené à préciser sa pensée […] par l’affrontement de deux autorités : la première, reçue de la tradition grecque, lui fait affirmer que la nature n’est pas entamée par le péché (naturalia manent integra) ; la seconde, d’origine latine, l’oblige à reconnaître que le péché n’a pas seulement dépouillé l’homme des biens de la grâce (spoliatus gratuitis), mais qu’il l’a aussi blessé dans ses dons naturels eux-mêmes (vulneratus in naturalibus) […] ». D’après Torrell cette tension est résolue par Thomas en distinguant trois manières dont « la nature et les biens naturels » peuvent être conçus : (1) est naturelle pour l’homme toute détermination qui rentre dans son essence et qui désigne un principe constitutif réel ; (2) est naturelle aussi toute détermination extranaturelle qui soit pourtant concédé à tout homme par le biais de son progéniteur Adam et qui, en absence de péché, aurait été transmise avec les caractères essentiels ; (3) est naturelle enfin l’inclination que l’homme possède envers le bien. Dans le texte des Sentences ici concerné les points (2) et (3) sont de quelque manière fusionnés, quoique la blessure concerne plus proprement (3).
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[68]
Thomas d’Aquin, De malo, q. 16, a. 5, ad 1 (éd. Léon., t. XXIII, p. 306, 341-345) : « […] bona naturalia in angelis sunt integra quantum pertinet ad nature ordinem, sunt tamen corrupta uel deprauata seu diminuta per comparationem ad capacitatem gratie uel glorie ».
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[69]
Voir Marcia L. Colish, « Early Scholastic Angelology », Recherches de Théologie ancienne et médiévale 62 (1995), p. 80-109 : 100-108 ; J.-P. Torrell, « Nature et grâce », art. cité, p. 186, 193-194.
-
[70]
Pierre Lombard, Sententiae in IV Libris distinctae, II, d. 3, c. 1, 2, éd. Ignace Brady, Grottaferrata (Romae), Collegii S. Bonaventurae Ad Claras Aquas (coll. « Specilegium Bonaventurianum », 4), 1971, t. I/2, p. 341, 19-342, 3 : « Et quatuor quidem angelis videntur esse attributa in initio subsistentiae suae, scilicet essentia simplex, id est indivisibilis et immaterialis ; et discretio personalis ; et per rationem naturaliter insitam intelligentia, memoria et voluntas sive dilectio ; liberum quoque arbitrium, id est libera inclinandae voluntatis sive ad bonum sive ad malum facultas : poterant enim per liberum arbitrium, sine violentia et coactione, ad utrumlibet propria voluntate deflecti » ; Jean Damascène, De fide orthodoxa. Versions of Burgundio and Cerbanus, c. 17-18, éd. Eligius M. Buytaert, St. Bonaventure - Louvain - Paderborn, The Franciscan Institute - E. Nauwelaerts -F. Schöningh (coll. « Franciscan Institute Publications », 8), 1955, p. 69-77, spéc. p. 69, 11-70, 30. Voir Albert le Grand, In II Sent., d. 3, a. 2 ; d. 4, a. 1.
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[71]
Thomas d’Aquin, In II Sent., d. 3, expositio secundae partis textus (éd. P Mandonnet, p. 106-107, numérotation ajoutée) : « “Et quatuor quidem angelis videtur attributa”. Videtur inconvenienter numerare : [1] quia Dionysius, xi3 Cael. hier. […] attribuit tria angelis, scilicet essentiam, virtutem et operationem ; hic autem de operatione non fit mentio. [2] Praeterea, […] dicitur a Commentatore, quod substantiae separatae dividuntur in voluntatem et intellectum : et ita videtur quod duo tantum debeant esse attributa. [3] Praetera, liberum arbitrium est facultas rationis et voluntatis. Ergo videtur quod non debeat dividi contra tertium attributum. Item quaeritur de ratione numeri. Ad hoc dicendum, quod haec attributa accipiuntur secundum haec tria : “substantia, species, et virtus”, quae sic differunt. Res enim potest considerari secundum quod est principium alterius ; et sic invenitur in re “virtus”, et secundum hoc attribuitur angelis liberum arbitrium. Vel secundum quod est in se, et hoc dupliciter : vel quantum ad ipsam naturam subsistentem, vel quantum ad modum perfectionis ejus, secundum quam speciem sortitur ; et sic est “species”, et tertium attributum, quod est naturae rationalitas, secundum quod ratio dicta est in angelis esse. Si vero quantum ad ipsam naturam subsistentem, sic est “substantia” ; secundum hanc duo sumuntur secundum duplicem acceptionem ejus : scilicet prout dicitur quidditas rei, et sic sumitur primum attributum, scilicet essentiae simplicitas ; vel secundum quod dicitur hypostasis, et sic sumitur secundum, scilicet personalitas. »
-
[72]
Sur l’essence et la définition des espèces angéliques, voir G. Galluzzo, « Aquinas on the Genus and Differentia », art. cité ; Marta Borgo, « Tommaso d’Aquino lettore dello pseudo-Dionigi Areopagita. L’uso del corpus dionisiano nel Commento alle Sentenze », Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 24 (2013), p. 153-189 : 173-187.
-
[73]
Voir Thomas d’Aquin, De potentia, q. 6, a. 5, sol., éd. Paulus M. Pession, Taurini-Romae, Marietti, 1953, p. 170 : « Angeli boni per gratiam aliquid possunt ultra naturalem virtutem, ita Angeli mali minus possunt, ex divina providentia eos reprimente, quam possint secundum naturalem virtutem: quia, ut Augustinus dicit, quaedam quae Angeli mali possent facere si permitterentur, ideo facere non possunt quia non permittuntur (unde secundum hoc ligari dicuntur, quod impediuntur ab illis agendis ad quae eorum naturalis virtus se extendere posset; solvi autem, cum permittuntur agere divino iudicio quae secundum naturam possunt). »
-
[74]
Id., In II Sent., d. 3, expositio secundae partis textus, ad 3 (éd. P. Mandonnet, p. 107) : « […] in tertio attributo [voir ci-dessus, notes 69-70] ponitur ratio et voluntas non secundum quod sunt potentiae consequentes essentiam, sed ut per eas designatur species essentiae ex qua procedunt, sicut etiam rationale ponitur differentia hominis : sed ad quartum pertinent, secundum quod sunt potentiae ». Voir Id., Summa theol., Ia Pars, q. 54, a. 3, sol. ; q. 59, a. 2, sol.
-
[75]
Id., In De div. nom., IV, 1, § 274-278.
-
[76]
Id., Summa theol., Ia Pars, q. 64, a. 2, sol.
-
[77]
Id., De malo, q. 16, a. 6, ad 18 (éd. Léon., t. XXIII, p. 312, 432-436) : « diabolus omnia male agit quantum ad ea que agit ex libero arbitrio ; set actiones naturales in eo sunt bone proprie loquendo, quia actiones ille nature sunt Dei instituentis naturam. »
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[78]
Id., Summa theol., Ia Pars, q. 64, a. 1, sol.
-
[79]
Ibid., q. 56, a. 3, sol.
-
[80]
Id., In IV Sent., d. 50, q. 2, a. 1, qc. 1, sol.
-
[81]
Ibid., ad 1.
-
[82]
Id., De veritate, q. 22, a. 2, ad 3.
-
[83]
F. O’Rourke, « Evil as privation », op. cit., p. 214-221.
-
[84]
Sur le métier de sage, voir surtout René-Antoine Gauthier, Saint Thomas d’Aquin. Somme contre les Gentils. Introduction, Paris, Éditions Universitaires (coll. « Philosophie européenne »), 1993, p. 143-156 ; Id., « Préface », dans Thomas d’Aquin, Sentencia libri De anima, éd. Léon., t. XLV/1, p. 288*-294*.
-
[85]
H.-D. Saffrey, « Introduction. Partie historique et doctrinale », dans Thomas d’Aquin, Super Librum de Causis Expositio, Seconde édition corrigée, Paris, Vrin (coll. « Textes philosophiques du Moyen Âge », 21), 2002, p. xxxiv-xxxv ; voir H.-F. Dondaine, « Préface », op. cit., p. D6-D7 ; F. J. Lescoe, « De substantiis separatis », art. cité, p. 60-61.
-
[86]
H.-F. Dondaine, « Préface », op. cit., p. D6 ; ibid., p. D64, 12-14, avec la note ; F. J. Lescoe, « De substantiis separatis », art. cité, p. 61. On lira avec profit aussi Ruedi Imbach, « Quelques observations sur la réception du livre XII de la Métaphysique chez Thomas d’Aquin », Rev. Sc. ph. th. 99 (2015), p. 377-407 : 398-400.
-
[87]
H.-F. Dondaine, « Le premier instant », art. cité, p. 221-227.
-
[88]
Sur la datation du commentaire à la Métaphysique, voir R.-A. Gauthier, Thomas d’Aquin. Somme, op. cit., p. 66-67 ; Id., « Index scriptorum et operum… », op. cit., p. 498 ; Jan J. Duin, « Nouvelles précisions sur la chronologie du Commentum in Metaphysicam de S. Thomas », Revue philosophique de Louvain 53 (1955), p. 511-524, avec la bibliographie discutée. Voir aussi Gudrun Vuillemin-Diem, Recensio et Translatio Guillelmi de Moerbeka. Praefatio, Leiden-New York-Köln, Brepols (coll. « Aristoteles Latinus », XXV, 3.1), 1995, spéc. p. 254-285.
-
[89]
Sur les substances séparées et leur rapport à l’objet de la métaphysique voir surtout Gregory T. Doolan, « Aquinas on Separate Substances and the Subject Matter of Metaphysics », Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 22 (2011), p. 347-382 ; G. Galluzzo, « Aquinas’s Commentary on the Metaphysics », dans Fabrizio Amerini, G. Galluzzo (éd.), A Companion to the Latin Medieval Commentaries on Aristotle’s Metaphysics, Leiden-Boston, Brill (coll. « Brill’s Companions to the Christian Tradition », 43), 2014, p. 209-254 : 215-216.
1Que l’angélologie de Thomas d’Aquin s’inspire largement de la Bible, d’Augustin et de Denys pseudo-Aréopagite, interprétés à l’aide d’instruments conceptuels péripatéticiens, cela est facile à constater. Il suffira de parcourir quelques textes de Thomas au sujet des anges pour le voir de près [1]. Prenons l’exemple des distinctions 2-11 du commentaire du deuxième livre des Sentences : Aristote et Denys sont cités plus de quatre-vingts fois, Augustin une cinquantaine, la Bible plus de cent vingt fois. Qu’il en aille de même pour sa démonologie, cela a été observé moins souvent, mais il n’y a aucune raison pour en douter. Les textes, encore une fois, en sont une preuve parlante. À quoi bon, donc, soulever de nouveau une question dont on connaît déjà la réponse ? Pour chercher à y apporter quelques précisions fructueuses, à partir de la conviction qu’on ne comprendra pas mieux la démonologie de Thomas une fois qu’on l’aura globalement caractérisée comme dionysienne plutôt qu’augustinienne ou autre. C’est en effet en étudiant les sources des doctrines concernées au cas par cas qu’on arrivera à apprécier quel rôle ont les différentes autorités dans la construction d’une démonologie aussi novatrice que celle de l’Aquinate [2]. Je me propose de le faire dans ces pages autour de quelques questions d’intérêt ontologique qui, déjà amplement travaillées en philosophie dans une perspective angélologique [3], méritent d’être abordées aussi sous un angle plus strictement démonologique. Notre propos portera principalement sur la nature des démons. On visera notamment deux thèses que Thomas partage avec ses contemporains : que les démons ne sont pas mauvais par nature ; et que leur nature demeure intègre après le péché. Notre exposé comportera cinq parties. Après avoir abordé quelques questions préalables, destinées surtout à situer la démonologie au sein de la théologie thomiste (§ I), on examinera d’abord deux textes où l’Aquinate discute les arguments formulés par Denys en faveur de la première des thèses évoquées, à savoir la bonté naturelle des démons (§ II). On considérera ensuite comment Thomas s’approprie une telle thèse, notamment comme il l’intègre à sa doctrine de la grâce (§ III). Sera enfin analysée la manière dont l’Aquinate interprète les passages des Noms divins consacrés à l’intégrité de la nature des démons (§ IV). À la fin de ce parcours, des remarques plus générales seront proposées sur la réflexion thomiste au sujet des substances séparées, d’intérêt historico-littéraire (§ V).
I. Les sources de la démonologie thomiste : une mise en perspective
2Trois remarques paraissent utiles avant d’entrer dans le vif du sujet, à commencer par une clarification de notre manière d’entendre la notion de « source », qu’on prend ici au sens large, s’inspirant des critères suivis dans l’élaboration des apparats des éditions léonines [4]. Dès lors dans notre perspective sont sources de la démonologie de Thomas non seulement les autorités citées explicitement par l’Aquinate aux différents endroits concernés, mais aussi d’autres textes que Thomas ne mentionne pas, mais qui de quelque manière ont dû être présents à son esprit ou même ont pu être ouverts devant lui pendant qu’il réfléchissait sur un certain sujet et qu’il rédigeait ses arguments. De plus, rentrent aussi parmi les sources à plein titre les opinions que l’Aquinate rappelle sans renvoyer à un auteur ou à un autre, ou du moins sans en détailler la provenance, mais par rapport auxquelles il se situe ouvertement. Sont ainsi visés les contemporains et devanciers immédiats avec qui Thomas entretient un dialogue constant, quoique souvent implicite ; mais aussi toute une tradition qui était venue se constituer strate après strate par la confluence d’une série de textes plus ou moins anciens, dont l’apport au débat continuait à être considéré substantiel par les théologiens du xiiie siècle : la Genèse, Augustin qui l’interprète, Pierre Lombard qui en reprend l’exégèse, les commentateurs du Lombard qui se servent d’autres auteurs pour rendre compte de la lecture lombardienne d’Augustin.
3La notion même de démonologie requiert ensuite d’être délimitée ; ce qui permet de préciser aussi sur quels textes de l’Aquinate on s’appuiera pour en étudier les sources. S’inspirant d’Augustin, Thomas fait allusion à une étymologie grecque du terme « démon » – δαήμων, de fait [5] –, dont la signification serait « savant [6] ». Se référant à 1 Co 8, 1, il attribue notamment à « savant » une connotation restrictive, et négative : « démon » est pris ainsi comme synonyme d’« esprit mauvais », voire enflé de superbe. Selon lui, en effet, le démon est un esprit qui possède la science sans la charité. De la sorte, Thomas disjoint daemon de la notion philosophique de δαίμων – à la différence des philosophes néoplatoniciens, il accepte à la limite d’appliquer le terme deus aux seuls anges, esprits bons –, et il la rattache davantage à la notion théologique et chrétienne de diable. De plus, Thomas précise que « démon » se dit d’une nature intellectuelle prise moins en tant que telle, qu’en tant que déformée par le péché, ou autrefois apte à être parfaite par la grâce [7]. Bien qu’il se garde de parler de « bons démons », la notion de « mauvais anges » revient par ailleurs sous la plume de Thomas. Et cette périphrase permet de mieux saisir dans quel sens « démon » décrit la nature concernée dans la perspective de sa destinée surnaturelle.
4Thomas s’interroge ouvertement sur les noms des anges – tout d’abord sur le nom « ange » lui-même – et il aborde notamment la question de la pertinence des noms avec lesquels on désigne les « bons anges ». Sa perspective est ainsi, encore une fois, celle de la destinée surnaturelle. D’après l’Aquinate – selon qui le nom le plus approprié pour indiquer une certaine chose est celui qui saisit la perfection ultime d’une telle chose –, on peut attribuer aux anges des noms communs et des noms propres, et notamment utiliser des noms communs comme propres lorsqu’on se réfère à un ordre spécifique d’anges, qui n’ajoute aucune autre perfection à la perfection signifiée par un certain nom commun. D’où par exemple l’usage d’« ange » pour parler génériquement des différents ordres d’anges bons, et spécifiquement du dernier ordre, qui rassemble les espèces les moins parfaites [8]. Pour tracer cette distinction entre commun et propre, Thomas insiste justement sur une autre distinction, celle entre conditions naturelles et dons surajoutés des bons anges. Sont communs les noms dérivés de leur essence, ainsi que des vertus et opérations qu’elle entraîne naturellement ; propres sont, en revanche, les noms dérivés des dons gratuitement élargis par Dieu à chacun et des offices précis qui en découlent [9]. Quoique cette distinction demanderait d’être précisée sous différents aspects, la différence individuelle pour des anges distincts selon l’espèce remontant finalement à leur essence, elle semble légitimer deux liens avec les démons. Premièrement, la distinction entre noms communs et propres semble pouvoir s’appliquer au cas des mauvais anges aussi, dans la mesure où « démon » se situe au même niveau de généralité que « ange » dans le cas des bons anges, alors que Lucifer est un nom propre. Toutefois, quoiqu’on dispose concrètement de noms de niveau intermédiaire entre les deux pour nommer les anges, cela ne semble pas être le cas pour les démons. Deuxièmement, si on se réfère strictement à leur condition naturelle, à ce qu’ils sont tout court, abstraction faite de leur chute et de la damnation qui s’en suit, à savoir du fait qu’ils sont mauvais, les démons sont des anges. Le terme commun « ange » semble en effet admettre une signification encore plus générale que celle évoquée dans la distinction commun-propre. Il peut notamment désigner la nature commune aux bons et aux mauvais anges après la chute, voire toutes les créatures spirituelles dès le principe de la création. Par conséquent, toute question qui porte sur la nature des démons concernera leur statut ontologique en tant qu’ils sont génériquement des anges et se focalisera sur ce qu’il y a de fondamental en eux et qu’ils partagent avec les bons anges. On les considérera alors en tant que créatures spirituelles, intelligences, substances séparées, en les caractérisant d’une manière qui les saisisse en tant que res, tout en laissant de côté leur destinée, opposée à celle des anges bienheureux. Cela engage, dans notre perspective, qu’on ne touchera pas moins à l’angélologie de l’Aquinate qu’à sa démonologie, le sujet proposé se situant davantage à la frontière entre les deux. D’ailleurs la démonologie de Thomas lui-même semble être conçue pour manifester la différence, le caractère exceptionnel du diable parmi les créatures intelligentes [10], ce qui induit une complémentarité presque structurelle avec la recherche sur les anges ; d’où par exemple le fait que la caractérisation de l’un est axée sur celle des autres [11]. Il est donc très judicieux de considérer la question 16 sur le mal comme la somme et le sommet de la pensée thomiste sur les démons, à condition pourtant de ne pas la disjoindre d’autres textes qui en fournissent des présupposés et des compléments. C’est pourquoi on fera graviter ces quelques observations davantage autour du De substantiis separatis, opuscule inachevé, dont le sujet ainsi que la perspective « globale » dans laquelle il y sera abordé sont explicités dès le titre. Adressé par Thomas à son confrère Reginald de Piperno et rédigé, dans l’empêchement d’y participer, pour compenser par le travail ce qu’il avait soustrait à l’office de la psalmodie [12], cet ouvrage n’est pas sans liens avec le commentaire au Liber de Causis et leur composition remonte à la période 1272-1273, entre Paris et Naples [13]. Entre autres, le De substantiis separatis présente deux motifs d’intérêt de notre point de vue. Tout d’abord, son approche est philosophique et théologique à la fois. En effet, les chapitres 1-17, destinés à saisir ce qui a été conjecturé rationnellement au sujet des anges et notamment à discerner les thèses conformes à la foi catholique de celles qui ne le sont pas, s’avèrent bien plus qu’un status questionis philosophique [14]. De surcroît, encore plus que dans cette première section philosophique, Thomas, dans la partie théologique de cet opuscule, adopte une approche historico-textuelle. On peut ainsi observer de près comment il intègre doctrine et sources l’une aux autres. En effet, les chapitres 18-20 comportent une étude des autorités sur lesquelles la doctrine chrétienne des substances séparées se fonde. Que cet écrit de Thomas soit une synthèse qui conclut une enquête et en offre les résultats de manière ordonnée plutôt qu’une synthèse qui prépare un approfondissement personnel du sujet, cela est impossible à dire. Il s’agit pourtant d’un dossier très riche qui nous dit beaucoup sur sa méthode de travail, notamment sur sa manière de concevoir l’interaction entre philosophie et théologie. Et on en vient ainsi au troisième, et dernier point préliminaire, qui fait déboucher notre discours concernant les sources sur la question, plus générale, de la contextualisation de la doctrine de Thomas.
5Dès lors que l’Aquinate aborde des questions sur les substances séparées en tant que croyant, tout en mettant à profit les connaissances qui lui viennent de l’approche métaphysique de ce sujet, il est censé donner des réponses tout d’abord orthodoxes, bâties sur les Écritures et dûment inscrites dans le cadre dogmatique, la démonologie n’étant qu’une branche de la théologie. La manière dont l’exégèse s’articule d’un côté à la Révélation et de l’autre à la spéculation rationnelle est souvent rappelée par Thomas, par exemple dans son commentaire aux distinctions du deuxième livre des Sentences consacrées à la création et aux anges, où la place accordée à la raison est délimitée, s’inspirant notamment de critères interprétatifs augustiniens. Le recours à la spéculation est ainsi approuvé là où on cherche à rendre compte de récits bibliques abordant des aspects extrinsèques par rapport au contenu des articles de foi, et portant pour ainsi dire sur des détails, sur lesquels le croyant peut émettre des opinions. Différentes interprétations, plus ou moins littérales, sont alors admises, dont on pourra préférer l’une ou l’autre sur la base de considérations rationnelles, en fonction même de ses propres présupposés philosophiques. Il est intéressant de noter que Thomas accorde souvent sa préférence à l’une ou à l’autre interprétation, s’appuyant sur le fait qu’elle contribue de manière plus efficace que d’autres à réaffirmer les vérités de foi, la lecture la plus adaptée étant celle qui soustrait la Parole à la dérision des non-croyants et à toute erreur débouchant sur des hérésies [15]. Par ailleurs, le cas des démons est à sa manière spécial, car il s’agit d’un sujet plutôt marginal du point de vue de la substance de la foi, très peu développé au fil du temps et rarement explicité par des statuts conciliaires [16] ; d’où une large marge pour la spéculation théologique face aux textes scripturaires – surtout au vu de leur parcimonie dans la caractérisation de ces êtres spirituels et la description de leur vie –, qui sont lus à la lumière de la tradition patristique, qui est par contre assez riche. Conformément à sa manière de concevoir la sacra doctrina, Thomas puise à cette tradition et en fait un véritable complément de la Bible elle-même [17].
6L’Aquinate expose la substance de la foi au sujet des démons, à savoir ce que tout croyant est tenu d’affirmer à leur sujet, dans son commentaire à la décrétale Firmiter, promulguée par le pape Grégoire IX, mais reproposant la profession de foi formulée dans le premier canon du quatrième concile du Latran (1215) [18]. Le credo y étant commenté lemme par lemme, c’est au sujet de l’article sur la création que les démons aussi entrent dans le cadre [19] : Dieu étant créateur de toute chose, visible et invisible, spirituelle et corporelle, les démons sont créés par Lui et, comme toute autre créature, ils sont bons au moment de la création ; c’est leur péché qui les rend mauvais. Selon l’Aquinate, parmi d’autres erreurs [20] à l’encontre desquelles l’article sur la création est ainsi formulé dans Firmiter, il y a celle des manichéens, qu’il mentionne à deux reprises. Non seulement ils postulent l’existence de deux principes créateurs, l’un bon, l’autre mauvais ; mais de plus, à la différence d’autres dualistes, ils ne limitent pas l’action causale de ce dernier aux créatures visibles, mais l’étendent aussi aux créatures invisibles, en admettant l’existence d’anges mauvais par nature, à savoir créés mauvais comme et par ce mauvais principe ; et ces mauvais anges sont tels qu’ils ne peuvent pas s’empêcher de pécher [21]. C’est moins en raison de son goût pour les antiquités que d’après sa manière courante d’enraciner les discussions et opinions de son époque dans les débats du passé, que Thomas s’engage à mentionner dans ce contexte cette erreur ancienne. De fait, Thomas est ici en train de commenter un credo officiellement conçu contre les « cathares », partisans d’un dualisme des principes hétérodoxe, à la manière des manichéens [22]. De plus, cette thèse (que les démons seraient créés déjà mauvais et seraient donc mauvais par nature) figure parmi les dix erreurs censurées à l’Université de Paris en 1241 [23]. C’est justement la manière, diachronique pour ainsi dire, dont est reformulé le passage ici concerné de Firmiter dans la condamnation solennelle de cette erreur (1244), qui alimentera une grande partie des débats suivants au sujet de la nature des démons, du moment et de la racine de leur péché [24] :
[…] quod malus angelus in principio sue creationis fuit malus, et nunquam fuit nisi malus.
Hunc errorem reprobamus, firmiter enim credimus, quod bonus creatus sit et post peccando factus sit malus.
8La donnée de foi est ainsi précisée. À partir de cette détermination officielle, il est hétérodoxe non seulement de soutenir que le démon fut créé mauvais, mais aussi que certains anges furent volontairement mauvais en même temps qu’ils vinrent à l’être. En effet, pour conjurer l’erreur dualiste, la condamnation ne se borne pas à exclure catégoriquement la possibilité d’une malice innée dans les démons, mais elle y relie aussi l’impossibilité, pour Lucifer et ses compagnons, de pécher au tout premier instant de leur vie : le péché ne peut qu’être postérieur à la création, voire décalé par rapport à elle – ce qui à l’époque devait sonner comme bien plus qu’une revalorisation de la thèse lombardienne d’un certain intervalle (mor[ul]a) à présupposer entre création et péché angélique. Si la possibilité que ce dernier puisse avoir eu lieu immédiatement après (statim post) la création n’était pas ouvertement exclue par la condamnation, elle n’était néanmoins pas évoquée comme croyable [25]. Les aspects accidentels du dogme sont par conséquent délimités plus nettement à sa suite, la spéculation étant notamment canalisée vers deux questions en particulier, à savoir les raisons de l’impossibilité d’un péché angélique au premier instant de la création et les conditions requises pour que ce péché puisse être commis un certain temps après.
9La manière dont Thomas se situe dans ce cadre s’avère très novatrice, dès son commentaire des Sentences. En effet, tout en assumant la disjonction entre le moment de la création et celui du péché angélique, l’Aquinate refuse d’adhérer tout court à la position du Lombard et de postuler ainsi nécessairement qu’un intervalle de temps s’écoule entre l’instant de la création et celui du péché [26]. Sa manière de (dis)joindre les deux événements évolue pourtant dans le temps, et sous différents aspects. Entre autres, la conviction qu’une distinction réelle d’instants soit inévitable si l’on veut échapper à l’erreur dualiste s’estompe avec le temps. Et cela en parallèle, il semblerait, à une revalorisation progressive de certains textes augustiniens portant sur la question du premier instant de l’ange [27]. Si, dès les Sentences, Thomas rejette la thèse selon laquelle les démons auraient été créés bons, mais seraient devenus volontairement mauvais dès le principe – car elle s’avère « erronea », à savoir non conforme au credo consolidé par la récente condamnation ainsi qu’au témoignage des Écritures –, différemment de la condamnation il finit par dissocier de plus en plus nettement la véritable erreur dualiste du problème de l’impossibilité d’un péché commis in principio, qui semble devenir à ses yeux prioritairement philosophique. Alors qu’en bachelier Thomas considère la thèse « quod angelus in principio suae creationis malus fuit […] actu propriae voluntatis » dangereusement proche de celle « quod angelus a Deo creatus est malus », dans le De malo tout en rejetant pareillement les deux, il disjoint ouvertement la première de la deuxième [28]. Il explique notamment que ce n’est pas pour sauvegarder la bonté de la création qu’on est censé nier la possibilité du péché au principe de la création, car la malice volontaire du démon n’est aucunement incompatible avec sa bonté naturelle. Cette impossibilité de chuter dès le principe est davantage structurelle, et réside notamment dans la manière dont psychologie et métaphysique de la destinée s’articulent chez les anges [29]. La raison en est que la malice de la faute ne compromet pas la bonté de la nature, mais se fonde davantage en elle comme dans un sujet [30]. Les pages suivantes porteront sur l’arrière-fond de cette affirmation, qui de fait réhabilite pleinement la question du moment du péché de l’ange en tant que sujet de théologie spéculative.
II. Thomas d’Aquin et Denys : du commentaire aux Noms divins à l’opuscule sur les substances séparées (et retour)
10La partie plus proprement théologique du De substantiis separatis devait vraisemblablement comporter quatre étapes, tout comme les dix-sept chapitres qui précèdent, afin de reparcourir dans la perspective de la foi chrétienne les quatre thèmes déjà abordés d’un point de vue philosophique : origo des substances séparées, conditio naturae, distinctio et ordo gubernationis. De fait, Thomas n’accomplit qu’une partie de ce projet, le chapitre 20, consacré à la distinctio spirituum, s’arrêtant soudainement en plein milieu de l’explication de la plus générale des distinctions applicables aux substances séparées [31], celle entre bons et mauvais esprits, à savoir entre anges et démons proprement dits.
11Comme annoncé au chapitre 18, Thomas reconstruit la doctrine catholique à ce sujet en s’appuyant spécialement sur les écrits de Denys l’Aréopagite qui, entre tous, a contribué le mieux à la transmettre. En effet, s’il s’est exprimé à la manière des platoniciens, Denys n’est pas un philosophe platonicien tout court. Il est à plein titre un théologien, qui a su s’approprier ce qu’il y avait de vrai dans le platonisme pour éclairer la foi chrétienne, y compris d’un langage apte à sauvegarder le dogme de la dérision des païens [32]. Concernant notamment la distinction entre anges et démons, fondée sur les Écritures, l’Aquinate fait remonter à Denys la thèse selon laquelle elle ne relève pas de l’ontologie, mais est d’ordre moral : les démons ne sont pas des créatures autres par rapport aux anges, d’un autre genre, mais des anges devenus démons en conséquence de leur libre choix. Tout en renvoyant aussi à d’autres passages du corpus dionysien, c’est surtout au chapitre 4 du De divinis nominibus que Thomas se réfère au cours de ce texte : un chapitre effectivement anti-manichéen, dont l’Aquinate ne peut même pas soupçonner la profonde inspiration proclienne [33]. D’autres autorités, Augustin en particulier, sont souvent invoquées pour préciser la pensée de Denys et la compléter sous certains aspects. L’importance que Thomas donne à cette section des Noms divins dans la construction de sa propre démonologie est prouvée par la place que les citations qui en sont tirées occupent déjà dans les premiers articles de la seizième question du De malo [34], publiée au plus tard à Paris en 1272 et dont la rédaction remonte donc peu avant l’opuscule sur les substances séparées [35].
12Au cours du chapitre 20 du De substantiis separatis, Thomas rappelle trois avis différents émis au sujet de la cause de la malice des démons [36]. Selon certains, à la différence des anges, les démons sont naturellement mauvais, c’est-à-dire en vertu de leur nature, car la malice est dans leur essence ou en fait de quelque manière partie ; selon d’autres, tout en ne possédant pas une nature mauvaise de par soi-même, les démons possèdent une inclination naturelle au mal [37] ; selon d’autres encore, il faudra dire qu’il n’y a pas d’anges mauvais depuis toujours, ni une inclination mauvaise généralisée chez les démons, mais plutôt que certains anges commencent à être mauvais dans le sens qu’il le deviennent, et cela en vertu de leur propre libre arbitre. Quoique pour des raisons et des manières diverses, le rôle de Denys s’avère crucial dans la discussion des trois opinions, notre propos étant d’approfondir la notion de nature démoniaque, l’attention sera portée surtout sur le rejet de la première d’entre elles, d’après laquelle la malice démoniaque serait naturelle.
13Contre cette thèse qui est celle des manichéens [38], Thomas cite Denys, notamment la réfutation irrécusable qui figure dans le quatrième chapitre des Noms divins, où le Ps.-Aréopagite affirme que « les démons ne sont pas non plus par nature mauvais [39] ». Contrairement à ce qu’il pourrait sembler, il ne s’agit pas d’un simple adage, non seulement parce que la source est ouvertement indiquée, mais aussi parce que cette citation nous renvoie au texte même de Denys, à son argumentation, que Thomas suit par moment jusqu’aux détails. Est ici reprise, et de manière littérale, l’ouverture de la section dudit chapitre, où Denys prouve que, comme déjà montré pour les anges (§ 22), le mal n’est pas dans les démons non plus (§ 23) [40]. De la structure de cette section rend compte de manière très claire Thomas lui-même, dans son commentaire au Noms divins, rédigé à Rome et achevé après mars 1266 [41]. Après avoir discuté directement du bien (IV, § 1-17), explique Thomas, Denys poursuit sa réflexion en traitant du mal, car les contraires font l’objet d’une même enquête. Il soulève ainsi deux séries de questions, dont la première porte spécifiquement sur les démons, la seconde sur le mal en général. Au sujet de la malice des démons, Denys soulève notamment quatre questions, auxquelles il ne répond qu’après avoir discuté du mal en général (§ 18-21) : (1) si toute chose désire le bien, comment arrive-t-il aux démons de ne pas désirer ce qui est beau et bon ? (2) comment peut-on expliquer que, créés par un dieu tout bon, les démons ne sont pas semblables à lui en bonté ? (3) et s’ils sont créés bons selon leur nature, comment ont-ils pu s’éloigner d’une telle bonté, si leur nature ne peut pas changer ? (4) à cause de quoi devinrent-ils mauvais ? Selon Thomas, la réponse de Denys s’articule en deux étapes : après avoir montré que les démons ne sont pas naturaliter mali, il explique de quelle autre manière ils sont mauvais. En faveur de la première thèse sont fournies quatre rationes [42], dont la reconstruction de la part de l’Aquinate dans son commentaire s’avère d’autant plus intéressante qu’elle nous permet de mieux apprécier le lien strict qu’il y a entre le passage du De substantiis separatis ici concerné et sa source dionysienne.
14D’après Thomas commentateur de Denys, la bonté de la nature démoniaque est tout d’abord déduite de celle de son principe créateur (i) : puisqu’un principe bon ne cause jamais un effet mauvais et que les démons sont créés par Dieu, qui est le Bien, les démons ne sont pas mauvais en vertu de leur nature. C’est sur la nature du mal que Denys porte ensuite son attention (ii) : des démons naturellement mauvais ne peuvent pas exister, car le mal n’est ni quelque chose qui existe de par soi-même, ni quelque chose inhérent aux existants. La troisième ratio insiste sur la notion de nature elle-même (iii) : ce qui convient par nature à quelque chose lui convient toujours, de ses débuts à sa fin. Pour être naturellement mauvais, les démons auraient ainsi dû être créés déjà mauvais, alors que la foi nous enseigne davantage que, créés bons, ils sont devenus mauvais. Enfin, Denys analyse la notion de malice naturelle, mettant en relief qu’une chose naturellement mauvaise est censée causer du mal, soit envers soi-même, soit envers autrui. Mais les démons ne peuvent pas nuire à eux-mêmes – et cela en vertu de leur nature –, car rien ne peut avoir comme fin naturelle sa propre destruction. Et il en va de même par rapport à autrui, car l’action corruptrice des démons devrait alors atteindre à leur substance ou à leurs propriétés essentielles, ce qui n’est aucunement le cas [43]. En effet, semble argumenter Thomas dans sa paraphrase, (iv-a) ce dont l’agir mauvais entraîne une corruption qui ne subvertit pas l’ordre naturel, n’est pas mauvais absolument, dans la mesure où il contribue, quoiqu’indirectement, à la réalisation d’un tel ordre. Et cela est bien le cas des démons, qui ne sont pas capables de détruire des substances incorruptibles – ce qui serait justement contre nature. (iv-b) De plus, pour être naturellement mauvais, un démon devrait être purement mauvais et l’être par rapport à toute chose, y compris sa propre substance et les substances incorruptibles. Mais cela a été déjà prouvé être impossible. (iv-c) D’autant plus que le mal n’est pas en mesure de corrompre de manière absolue la substance et la nature des choses mauvaises. Par exemple, dit Thomas, la nature humaine n’est pas corrompue en tant que nature dans un homme mauvais. L’idée paraît être ici que tout mal entraîne un manque de proportion et d’ordre dans le sujet qui est ou est rendu mauvais, mais un manque partiel, faute de quoi l’action corruptrice du mal finirait par se corrompre elle-même, devenant paradoxalement un bien.
15Concernant ce dernier argument, dont les détails peuvent être laissés de côté, le rôle qu’y joue la notion de mal comme défaut d’ordre mérite notre attention, ainsi que le vocabulaire de l’affaiblissement que Thomas utilise pour en caractériser les séquelles : débilitation, infirmité, défectuosité. Cela marque le passage de la première à la deuxième étape du discours de Denys, qui – explique Thomas – s’occupera par la suite de préciser dans quel sens le mal serait alors dans les démons : « non secundum aliquam naturam, sed secundum defectum boni […] non […] ex variatione ipsius boni, sed ex eorum voluntate [44] », de manière que les démons sont dits mauvais « non inquantum sunt […] sed dicuntur mali, inquantum non sunt », « in hoc quod carent habitu et operatione per quam ordinari deberent in bona divina [45] », « propter hoc quod defective se habent in operatione quae competit naturae eorum [46] ». On notera comment cette manière d’entendre le mal comme manque de quelque chose qui devrait pourtant y être, et donc comme incomplétude, conflue avec la notion aristotélicienne d’imperfection, que Thomas reprend et fait sienne [47].
16Parmi les arguments qui émergent de cette deuxième section du texte de Denys, deux sont particulièrement intéressants dans notre perspective, qu’il suffira de récapituler ici [48]. L’Aquinate revient tout d’abord sur une conséquence de l’être naturellement mauvais déjà évoquée précédemment : les démons devraient l’être depuis toujours. Pourtant une telle condition débouche sur un paradoxe, souligne Thomas, car la stabilité caractérise seulement le bien, alors que le mal entraîne l’instabilité : (v) si les démons sont dans une même condition, mauvaise par nature, depuis toujours, ils ne peuvent que l’être alors en vertu du bien, ce qui amène à la conclusion absurde qu’ils seraient mauvais en tant que non mauvais. Il faut en conclure, à la suite de Denys, que les démons n’ont pas pu être mauvais depuis toujours, mais qu’ils sont devenus tels, tout en n’étant pas complètement privés du bien propre aux anges. En effet, argumente Thomas dans la suite, (vi) les démons participent du bien, dans la mesure où ils sont, vivent, intelligent et désirent quelque bien même après leur chute.
17Si on revient maintenant au chapitre 20 du De substantiis separatis et qu’on reprend le texte qui suit la citation explicite de Denys d’où on était parti, on se rendra aisément compte que Thomas suit de près le De divinis nominibus, et longuement [49]. Il en reparcourt les arguments majeurs, à la lumière de la lecture qu’il en avait faite quelque cinq ans auparavant, qu’il affine à présent, en en faisant l’ossature théologique de sa démonologie.
In De div. nom., IV, 19, § 528-536 (éd. Marietti, p. 195-196) | De subst. sep., 20 (éd. Léon., l. 32-64) |
[…] primo, [Dionysius] ostendit quod daemonesnon sunt naturaliter mali ; secundo, qualiter mali sunt […]. Circa primum ponit quatuor rationes, | Sed hunc errorem efficacissime Dionysius improbat IV cap. De divinis nominibus dicens « Sed neque daemones natura mali sunt ». |
quarum [i] prima talis est : Ex bono non causatur aliquid naturaliter malum. Sed omnia quae sunt in mundo sunt causata a Deo qui est ipsum primum bonum ; inter quae sunt daemones. Ergo daemones non sunt naturaliter mali. | Quod probat primo quidem quia si naturaliter mali essent, simul oporteret dicere quod neque essent producti ex bono principio neque inter existentia computarentur, quia malum non est aliquid existens nec si esset natura aliqua causaretur a bono principio. |
[ii] Secunda ratio talis est : Ostensum est quod malum neque est existens, neque est in existentibus. Si igitur daemones essent naturaliter mali, non essent de numero existentium. | |
[iii] Tertia ratio talis est : Illud quod naturaliter convenit alicui semper ei convenit. Si igitur daemones essent naturaliter mali, semper fuissent mali et non fuissent transmutati de bono in malum, ut fides catholica confitetur. | |
Quarta ratio talis est : Quod si daemones sunt naturaliter mali aut sunt naturaliter mali sibi ipsis aut aliis. [iv] Si sibi ipsis, cum de ratione mali sit quod noceat et corrumpat, sequitur quod corrumpant seipsos, quod est impossibile […]. Si autem sunt naturaliter mali aliis, ergo naturaliter corrumpunt alia. […] Contra hoc obiicit tribus rationibus, quarum prima talis est : [iv-a] Nihil quod est corruptivum alterius secundum ordinem naturae est malum naturaliter, quia hoc ipsum quod est conservare naturae ordinem est bonum naturae. Sed si malum corrumpat substantiam non facit hoc praeter naturae ordinem : non enim corrumpit incorruptibilia, sed ea quae sunt corruptionis susceptiva. Non ergo erit secundum naturam malum. | Secundo, quia si sunt naturaliter mali, aut sibi ipsis aut aliis : si sibi ipsis, se ipsos corrumperent, quod est impossibile (malum enim rationem corruptivi habet). Si vero sunt mali aliis, oporteret quod ea quibus sunt mali corrumperent ; quod autem est naturaliter tale est omnibus tale et omnino tale, sequeretur ergo quod omnia et omnino corrumperent [voir iv-b] : quod est impossibile, tum quia quaedam sunt incorruptibilia quae corrumpi non possunt, tum quia ea etiam quae corrumpuntur [voir iv-a] non totaliter corrumpuntur [voir iv-c]. Non igitur ipsa natura daemonum est mala. |
[iv-b] Secunda ratio talis est : Illud quod est naturaliter tale, simpliciter et respectu cuiuscumque est tale ; sicut illud quod est naturaliter calidum, simpliciter et respectu cuiuscumque est calidum, sicut ignis. Si igitur aliquid naturaliter est malum, erit simpliciter malum et respectu cuiuscumque et respectu sui ipsius ; quod est impossibile, ut dictum est. | |
[iv-c] Tertia ratio talis est : Nullum existentium corrumpitur per malum quantum ad ipsam substantiam vel naturam rei quae dicitur mala […]. Relinquitur ergo quod nihil est malum secundum naturam. […] | |
Tertio, [voir i] quia si essent naturaliter mali non essent a Deo facti, quia « bonum bona producit et subsistere facit » ; et hoc est impossibile secundum id quod supra probatum est <quod> oportet omnium Deum esse principium. | |
[v] Si daemones essent naturaliter mali, semper essent mali, quia quod naturaliter inest alicui, semper inest ei. Sed si semper sunt mali non naturaliter sunt mali, quod sic probat : quia omne instabile est quoddam malum et esse semper idem est proprium boni […]. Et sic apparet quod si semper se habent eodem modo, non sunt naturaliter mali […], sed per defectum aliquorum bonorum quae debentur Angelis. […] | Quarto, quia « si daemones semper eodem modo se habent non sunt mali, quod enim est semper idem boni est proprium ; si autem non semper mali, non natura mali ». |
[vi] Et dicit quod non sunt omninoexpertes boni, participant enim bono, inquantum sunt et vivunt et intelligunt et inquantum est in eis aliquis motus desiderii, qui non tendit nisi in bonum verum vel apparens. | Quinto, quia « non sunt omnino expertes boni secundum quod sunt et vivunt et intelligunt et » aliquod bonum desiderant. |
18C’est ainsi que Thomas mentionne une première preuve dionysienne en faveur du fait que la malice des démons ne se greffe pas sur leur nature, qui résulte de la fusion des arguments (i) et (ii) formulée en commentant Denys et portant respectivement sur l’inconsistance ontologique du mal et la causalité du premier principe. Il poursuit en exposant le quatrième argument formulé dans son commentaire à Denys, qu’il simplifie et rend plus efficace en en englobant les volets (iv-a) et (iv-c) à l’argument (iv-b) : être mauvais par nature implique l’être sans aucune restriction, envers tout et par rapport à la totalité de chacun ; les démons devraient alors être en mesure de corrompre non seulement eux-mêmes, mais aussi les substances incorruptibles, et de corrompre tout totaliter. Ce qui n’est guère le cas. Suit une reformulation de l’argument (i), qui est développée autour d’une citation littérale du texte de Denys et vise à réinscrire la doctrine de la bonté naturelle des démons dans le credo, auquel Thomas se réfère par ailleurs dans l’argument (iii). S’enchaînent deux autres citations littérales, qui nous ramènent respectivement aux points (v) et (vi) : l’impossibilité d’admettre une condition inaltérée et inaltérable de malice ; la participation des démons à la bonté, en ce qui concerne leur être constitutif.
19Qu’il y ait une interaction stricte entre l’opuscule sur les substances séparées et le texte dionysien est confirmé par la suite du chapitre 20, notamment là où Thomas explique comment les anges ont pu devenir mauvais :
Unde et Dionysius dicit quod « aversio », scilicet a Deo, « est ipsis » daemonibus « malum et convenientium ipsis excessus », quia per superbiam ultra se ipsos sunt elati ; et postea subdit quaedam ad poenam pertinentia, sicut « non consecutio » finis ultimi, « et imperfectio » per carentiam debitae perfectionis, « et impotentia » consequendi quod naturaliter desiderant, « et infirmitas virtutis » conservantis naturalem in eis ordinem revocantem a malo [50].
21Les Noms divins sous les yeux, Thomas paraphrase quelques mots clés de Denys et, ainsi faisant, il condense aussi sa propre explication de ces passages. Dans son commentaire à Denys, il explique plus diffusément en quoi cette « aversio » consiste et ce qu’elle comporte [51] : le refus de se soumettre à la « regula divinae voluntatis », qui amène les démons à tendre vers un bien au-dessus de leur portée. En effet, dit Thomas, tout ce qui par nature peut parvenir à une certaine fin d’une manière déterminée, ne sera plus en mesure d’y parvenir s’il n’agit pas de cette manière. En choisissant de ne pas respecter les limites posées par Dieu, les démons se mettent dans la condition de ne pas pouvoir atteindre à leur fin ultime, et de se condamner ainsi à l’imperfection, à l’impuissance, à l’infirmité, à la fuite (et à l’exil), à la chute dans le péché. En effet, de même que l’homme faible s’enfuit face à ce qu’il n’arrive pas à avoir ou à ce auquel il n’est pas capable de résister, et en s’éloignant tombe une fois de plus en raison de sa faiblesse, ainsi fait le démon face à sa fin surnaturelle. Les démons sont donc mauvais à cause de la manière dont ils désirent le bien : cum defectu debiti modi et ordinis [52].
III. De la citation de Denys à la doctrine de Thomas : bonté naturelle des démons et hiérarchies célestes
22Très métaphorique en soi, le texte de Denys s’avère crucial pour le déploiement de la démonologie thomiste dans la mesure où il semble en substance fournir à Thomas des appuis pour rapprocher la notion aristotélicienne de nature comme essence figée, inaltérable, n’admettant aucune variation selon le plus et le moins ni d’un individu à l’autre, ni dans le même individu au cours du temps, de la notion augustinienne d’une nature par contre altérable, et notamment susceptible d’amoindrissement et de défaillance, voire d’être blessée et affaiblie. Entre les deux, prennent place le péché et la corruption qui en dérive, morale mais non sans impact sur l’exercice de certaines facultés essentielles de la part des démons. Bien qu’absente du discours dionysien – et de la paraphrase qu’en donne Thomas, différemment de son maître Albert [53] –, la grâce se prête bien à entrer dans le cadre. En effet, dans la description dionysienne de l’aversio, rien n’empêche son intégration en tant que complément extrinsèque d’une nature qui reste intacte et ne peut être aucunement éclipsée, mais seulement accompagnée et corroborée. Cette intuition d’une nature inaltérable dans sa bonté et jamais vidée de son rôle fondamental est développée par l’Aquinate de manière particulièrement claire dans le contexte de sa réflexion sur l’articulation des substances séparées en hiérarchies et ordres, deux notions majeures bien entendu de l’angélologie dionysienne. La thèse qui y revient à plusieurs reprises est que la grâce présuppose la nature et la perfectionne, s’y ajoutant sans la détruire, à la manière d’une forme à son substrat matériel adapté [54].
23Particulièrement intéressant, dans notre perspective démonologique, est le premier article de la q. 109 de la Prima Pars, où l’Aquinate se demande si l’articulation en ordres convient aux démons. Sa réponse est nuancée, puisque les ordres célestes peuvent être considérés dans trois perspectives différentes : selon la nature, selon la grâce, selon la gloire. D’après Thomas, les démons, exclus des ordres angéliques si l’on considère les ordres par rapport à la perfection ultime de la gloire, en ont fait brièvement partie avant la chute, en vertu des dons de grâce reçus lors de la création ou, de toute manière, avant la chute ; et ils continuent à en faire partie si on limite notre considération à leur nature, car ils n’ont jamais perdu leurs dons naturels, malgré le péché. On remarquera que cette conclusion est explicitement mise sous l’égide de Denys. Par ailleurs, la thèse selon laquelle la hiérarchie se fonde à quelque titre sur la nature est réaffirmée par Thomas à plusieurs reprises, dès ses premiers écrits. Dans son commentaire des Sentences, par exemple, il soulève explicitement la question du rapport entre la distinction d’ordre et la nature des choses qui en font partie, qui dans ce contexte revient plus largement à s’interroger sur la possibilité qu’une telle distinction soit inscrite dans le monde spirituel dès le principe de la création tout court. En effet, tout en préférant l’hypothèse d’une création des anges déjà en état de grâce, Thomas ne manque pas d’étudier l’option alternative et ses implications, et d’en mettre en relief le bien-fondé. Il semble ainsi admettre qu’il aurait pu y avoir une organisation hiérarchique des anges, quoique imparfaite, même si les anges connurent un quelconque état de nature [55]. Cette idée d’un enracinement ontologique de la hiérarchie céleste est corroborée par les réflexions que Thomas mène au sujet de la conservation des différences d’ordre parmi les anges après le Jugement dernier et l’admission des bienheureux parmi eux. Leur différence de nature ne pourra jamais être supprimée, faute de quoi ils seraient détruits. En effet, étant individus uniques d’espèces différentes, tout changement de nature comporterait la suppression de l’espèce correspondante. Il s’en suit que les anges des différents rangs demeureront pour toujours les anges qu’ils sont respectivement, chacun restant l’unique membre de l’espèce à laquelle il appartient ; et il en va de même pour les hommes, qui ne deviendront pas anges de différentes espèces selon leurs mérites, mais resteront humains appartenant à une seule et même espèce, autre par rapport à celle de tout ange [56]. Voilà pourquoi, considérés quant à leur seule nature, les démons aussi restent liés à certains ordres plutôt qu’à d’autres et cela pour l’éternité.
IV. Intégrité et splendeur de la nature démoniaque : Thomas lecteur de Denys
24Le motif qui ressort de ces quelques considérations sur nature et hiérarchie est celui de l’intégrité de la nature dans les anges déchus, qui représente un corollaire, pour ainsi dire, par rapport à la thèse évoquée plus haut de la bonté naturelle, à savoir ontologique, des démons, créés bons, quoique libres de choisir le mal moral. Bien qu’elle soit mentionnée aussi par d’autres auteurs [57], c’est à Denys que souvent l’Aquinate attribue l’opinion selon laquelle les démons gardent inaltérée et pour l’éternité la nature qui leur est donnée par Dieu au moment de la création. L’importance que cette autorité a pour Thomas a été déjà remarquée par Bernard Quelquejeu dans un article paru en 1965, et qui demeure une référence majeure sur ce sujet [58]. La source effective de l’adage « naturalia manent integra », évoqué dès le titre de la contribution de B. Quelquejeu, y est notamment identifiée. Il s’agit, encore une fois, du quatrième chapitre des Noms divins, et plus précisément de la dernière partie du paragraphe 23 : « et data ipsis angelica dona nequa-quam ipsa mutata esse dicimus, sed sunt et integra et splendidissima [59] ».
25De ce passage, dans son commentaire, Thomas donne une paraphrase très sobre, se limitant à ajouter en ouverture quelques lignes afin de le situer par rapport à ce qui précède et d’en saisir le but. Après avoir exclu que le démon soit mauvais « secundum quod est in sua natura » et montré qu’il l’est « secundum quod non est », à savoir en tant qu’il se prive volontairement d’un certain bien, Denys veut ici expliquer en quoi consiste une telle privation, le defectus boni, qui affecte l’agir des anges déchus. Il veut notamment écarter l’hypothèse que cela puisse se ramener à une quelconque variation naturelle, à savoir inscrite dans le cours de leur nature, comme la vieillesse dans l’homme, qui entraîne un affaiblissement physique et mental progressif, avec des retombées sur l’agir, voire sur l’achèvement d’opérations pourtant naturelles pour l’être humain [60]. L’enjeu semblerait donc être ici la possibilité d’enraciner l’imperfection postlapsaire des démons, leur incapacité opérationnelle de tendre aux biens divins, dans une imperfection constitutive et, en tant que telle, inéluctable. Cela serait le cas, par exemple, si la nature démoniaque avait été ontologiquement déclassée par punition, corrompue, ou reconduite à un état d’imperfection suspendu par grâce au moment de la création et rétabli à la suite du péché – ce qui est le cas de la mort chez l’homme, défaut naturel d’un point de vue structurel, ontologique, mais pénal dans la perspective du péché d’Adam [61]. Thomas rejette cette option et redit ainsi qu’il y a un noyau intouchable dans les démons, une structure ontologique profonde qui n’est aucunement altérée entre leur création et leur chute, ni en conséquence de la punition qui leur est infligée pour l’éternité.
26Ce propos est développé dans la suite de la paraphrase, où Thomas cherche à saisir, avec Denys, sous quels aspects les démons s’avèrent amoindris en tant que substances séparées par rapport aux autres créatures et notamment aux anges. Deux possibilités sont exclues l’une après l’autre. Il est tout d’abord question du bien universel, à savoir du bien divin considéré en tant que participable. Comme pour toute autre créature, pour les démons aussi l’être divin demeure participable à quelque titre, dans la mesure où ils continuent à exister et à le faire en tant qu’êtres d’une certaine nature. En effet, Dieu étant immuable, le péché ne comporte aucunement une interruption de la participation des démons à l’être qui provient de Lui : ni Dieu ne repense son rôle de principe de l’être et de la conservation dans l’être par rapport à eux, ni les démons ne s’éloignent volontairement de Lui en tant que tel, mais plutôt en tant que source de béatitude. Sont ensuite examinés par Thomas les biens naturels des anges, à savoir les caractéristiques essentielles que Dieu confère à tout ange en tant qu’ange en vertu de sa nature générique et à chacun en tant qu’ange d’une espèce à part, en vertu de sa nature spécifique. De la considération d’une participation générique de l’être, on passe de la sorte à celle d’une participation personnelle. Aucune altération n’est envisageable à ce niveau non plus, car les démons continuent à exister en tant que substances séparées individuelles même après leur chute : leurs caractéristiques naturelles distinctives restent intègres, incorrompues et resplendissantes, inaltérées dans leur intensité. En effet, d’après Thomas paraphraste de Denys, les démons sont et demeurent bons dans la mesure où ils ne cessent ni d’exister, ni de dépendre (ni de reconnaître leur dépendance ontologique) d’une cause ultime bonne, ni de subsister en tant que choses d’une nature déterminée, qui continue à leur donner une inclination naturelle vers quelque bien, notamment l’auto-préservation, la vie et l’intellection. En dépit de cette bonté inaltérable, ils deviennent mauvais et persévèrent dans leur malice, car ils se privent volontairement d’autres biens qui leur convenaient pareillement secundum ordinem suae naturae : ils leur auraient été octroyés, à condition de reconnaître en Dieu leur bien ultime, mais à cause de leur refus net, ils en sont et seront privés pour toujours. « Averterunt voluntarie suum intellectum non a consideratione veri, sed ab inspectione boni, inquantum est bonum, quia scilicet nolunt illud sequi [62] », glose Thomas, et il semble ainsi reprendre la lecture que son maître Albert avait donnée du même passage, qui attribue aux démons la volonté de ne pas voir le bien, à savoir la béatitude éternelle, en tant qu’elle vient de Dieu [63].
Deinde ostendit, qualia bona remanserunt in eis, concludens, [i] quod tribus, idest universitas, daemonum non est mala secundum suam naturam, sed secundum quod non est, idest secundum defectum alicuius boni, et quod non est ipsis variatum totum bonum datum ipsis, sed quoddam manet invariatum, scilicet bonum naturae, quo subsistunt in natura sua ; bonum autem, ad quod natura ordinata erat, privatum est et ordinabilitas diminuta. [ii] Vel : quia totum bonum, idest perfectum bonum, scilicet deus, non est variatum eis, sed ipsi deciderunt ab eo, et angelica dona, scilicet naturalia, data ipsis in creatione, nequaquam mutata esse dicimus, sed sunt integra secundum actum et splendidissima secundum potentiam cognoscendi, quamvis ipsi non vident, idest videre nolint, bonum secundum quod est a deo, claudentes virtutes ipsorum, idest suimet, inspectivas boni.
28On notera que, dans sa lecture, Thomas suit principalement la deuxième interprétation proposée par Albert. Certains éléments de la première option interprétative mentionnée par son maître sont pourtant repris : la deuxième interprétation albertinienne est ainsi inscrite par Thomas dans la première. Par conséquent, la possibilité d’une variation partielle du bien globalement concédé in principio aux démons est admise : leur bien naturel demeurant intact, ils sont privés par contre du bien extranaturel auquel leur nature est ordonnée et ils sont notamment réduits à l’incapacité d’y tendre efficacement. Quoique Thomas insiste sur le vocabulaire de la nature, sans mentionner ouvertement la dimension surnaturelle de la vie angélique, c’est leur destin ultime qu’il évoque. C’est à ce niveau que vient s’inscrire la fracture entre le monde angélique et le monde démoniaque, la variatio chez les démons ne concernant pas leurs structures ontologiques fondamentales, qu’ils gardent semblables aux anges, mais leur désorientation par rapport à la fin ultime [64].
29Une question peut être soulevée à ce propos, si l’on compare la condition postlapsaire de Lucifer à celle d’Adam : dans le cadre qu’on vient de tracer, comment la nature démoniaque se rapporte-t-elle à la nature angélique créée in principio ? Peut-on dire que celle-ci se rapporte à celle-là comme une nature intègre à une nature corrompue [65], les démons étant non seulement dépouillés des dons gratuits, mais aussi négativement affectés quant aux déploiements de leurs facultés naturelles [66] ? Ceci semble bien être le cas d’après un texte du commentaire de Thomas au deuxième livre des Sentences, où les dons naturels (bona/data naturalia) de l’homme et de l’ange sont considérés dans deux perspectives différentes [67]. Quant à leurs principes constitutifs et aux propriétés qui en découlent nécessairement, dit Thomas, ni l’homme ni l’ange déchus n’en sont privés ou amoindris. Que cette conclusion soit corroborée par l’autorité de Denys, dont on vient de parler, ne nous surprendra guère. Si par contre, on considère les bona naturalia du point de vue de leur ordonnancement à la fin ultime, ils ne se trouveront pas totalement anéantis, mais affaiblis dans l’homme comme dans le démon. En conséquence du péché, en effet, les deux s’éloignent d’une telle fin et deviennent ainsi moins habiles à la rejoindre. C’est pourquoi, ajoute Thomas, on dit que l’homme est dépouillé des dons gratuits et, de surcroît, blessé en sa nature. Il aura ainsi besoin d’être non seulement élevé par la grâce, mais tout d’abord guéri, sans quoi il ne serait même plus capable d’accomplir tout le bien qui lui est connaturel, et qu’il était pourtant capable d’accomplir in principio, sa nature étant intègre. Par la grâce, l’homme peut effectivement se réhabiliter, tout d’abord en tant qu’homme, aux yeux de Dieu.
30Mais qu’en est-il des anges et des démons ? Créés vraisemblablement en état de grâce, leur condition est pourtant telle qu’après la chute il n’y a chez eux nulle place pour une intervention de la grâce, ni sanante ni élévante. Le péché du démon constitue en effet un obstacle insurmontable et inamovible pour la grâce, qui rend l’ange déchu non simplement moins apte à la recevoir, mais complètement inapte. De la sorte, sa capacité de s’élever vers le bien surnaturel, enracinée comme sa peccabilité dans sa nature, s’en trouve définitivement empêchée. D’où une infirmité permanente qui entraîne une véritable déformation de ses biens naturels [68] : le démon ne sera plus jamais capable ni d’atteindre sa fin ultime, ni d’accomplir tout le bien qui était à la portée de ses facultés angéliques naturelles que le Créateur lui avait accordées in principio.
31Une deuxième précision s’impose par conséquent. Dans le cas des démons, quels sont concrètement les bona naturalia du premier type évoqué plus haut dont nous parle Denys et qui échappent à cette corruption irréversible ? quels sont d’ailleurs les biens naturels du deuxième type évoqué plus haut, qui font l’objet en revanche de ladite déformation ? Bien que Thomas ne soulève jamais ces questions dans ces termes précis, ni fournisse nulle part une liste exhaustive des uns ou des autres, il touche à ce sujet à différents endroits. Et il s’inscrit ainsi dans un débat dans lequel s’étaient déjà engagés ses prédécesseurs, notamment Guillaume d’Auxerre et Alexandre de Halès, qui cherchent les premiers à tracer une distinction entre naturalia et gratuita, et notamment de préciser la caractérisation et l’extension des naturalia [69].
32Quoique à la différence de son maître Albert, Thomas ne se consacre jamais à une analyse détaillée des définitions « classiques » d’ange et de démon, qui sont censées circonscrire leur nature, on peut pourtant présumer qu’il les a bien présentes à l’esprit [70]. Dans son exposition de la littera de la troisième distinction du deuxième livre des Sentences, par exemple, l’Aquinate rend compte des raisons qui l’induisent à considérer la description lombardienne comme convenable [71] ; et on peut supposer qu’il l’estime quelque peu complémentaire à la description du Damascène, bien que cette dernière puisse s’avérer à première vue moins adaptable à ses options métaphysiques. Compte tenu des articles 4 et 5 de la première question de cette distinction, qui expliquent comment formuler une définition par genre et différence spécifique, on peut notamment imaginer qu’il ne considère ni l’une ni l’autre comme de véritables définitions, car ne visant pas aux différentes espèces d’anges, mais en en saisissant des caractéristiques communes [72]. La raison réside moins dans l’inhabileté philosophique du Lombard ou de Jean Damascène, que dans l’incapacité toute humaine de connaître les substances séparées dans leur véritable essence, qui oblige à postuler qu’une substance soit telle et telle sur la seule base de ce qu’on peut présupposer à partir de ses facultés, auxquelles on a un accès très limité en fonction de quelques effets perceptibles de leur agir.
33Le schéma triadique qu’on vient de rappeler est, lui aussi, d’ascendance dionysienne. Thomas s’y réfère dans sa lecture du Lombard, où il juxtapose, avant de les intégrer l’une à l’autre, l’énumération lombardienne de quatre attributs imputables aux anges avec celle de Denys, qui n’en comprend que trois, à savoir essentia, uirtus et operatio. Pour expliquer en quoi consiste la nature des substances séparées, Thomas s’appuie sur une autre triade – substantia, species et uirtus – qui lui permet en effet de concilier les deux énumérations précédentes. On cherchera les caractéristiques inaltérables de la nature angélique, destinées à demeurer intègres pour toujours, parmi celles qui sont désignées par les termes essentia, substantia et species. Concernant virtus, notion sur laquelle l’Aquinate n’insiste pas dans ce contexte, il paraît s’agir d’un terme qui désigne aussi quelque chose d’inaltérable, mais pas seulement, dans la mesure où les facultés angéliques sont atteintes par la punition divine qui concerne les démons : sans être supprimées, elles sont pourtant rendues moins performantes [73].
34Thomas précise que, considérée in se, toute substance séparée est une res qui peut être regardée sous deux perspectives différentes : en tant que nature subsistante ou bien selon la perfection qui la caractérise et la distingue de toute autre res. On peut en déduire, de notre point de vue, qu’en tant qu’ange déchu, le démon reste donc une substance et, notamment, une substance intelligente, capable donc d’exercer l’intellection et la volition [74]. De plus, pris plus simplement en tant que substance, comme tout ange le démon peut être considéré soit en tant que quidditas soit en tant qu’hypostasis. Du premier aspect relève sa simplicité, quoique relative par rapport à Dieu, qui n’est aucunement compromise par le péché. D’où par exemple la critique thomiste contre Origène, qui estimait la production et la diversité des corps être des conséquences du péché de certains anges et des différents niveaux de gravité atteints par chacun. Du deuxième aspect relève d’ailleurs le fait que tout démon soit une personne au sens métaphysique, boétien, du terme. Dans ce contexte exégétique, Thomas ne dit pas plus, mais la première section du De substantiis separatis nous permet de préciser le contenu de cette essence, notamment de clarifier que c’est à la philosophie d’enrichir ce contenu, en spécifiant l’incorporéité du démon, son immatérialité et son incorruptibilité. Il s’agit en effet d’une forme séparée et individuelle, notamment d’une mens subsistens [75]. Comme toute substance séparée, en outre, en tant que res qui peut être principe de choses autres que lui, le démon est muni du libre arbitre, un libre arbitre qui est de quelque manière figé après la chute, non pas à cause de la gravité de la faute commise, mais pour des raisons relevant de la structure elle-même dudit arbitre [76]. Comment ces caractéristiques, qu’on a ici décrites comme communes à toute substance séparée et notamment du point de vue de la moins parfaite d’entre elles, viennent se moduler selon le plus et le moins dans les différentes espèces démoniaques, voire dans chaque démon individuel, c’est ce qu’on ne peut guère préciser ultérieurement semble-t-il. Il est pourtant légitime de supposer que ce noyau minimal se décline différemment dans les différents démons, d’où le fait qu’ils subissent et accomplissent des opérations différentes, enracinées dans des facultés inégalement performantes.
35Quant à leur dimension opérationnelle, Thomas repère une zone neutre, pour ainsi dire, dans l’agir des démons, un éventail d’opérations qu’ils achèvent d’une manière semblable aux anges, bien évidemment chacun de la manière qui convient à sa nature spécifique. Il reconnaît en effet qu’il y a des actions naturelles que toute substance séparée a faculté d’exercer, et de continuer à exercer, indépendamment de son destin surnaturel. Elles découlent de l’être et, étant donné sa convertibilité avec le bien, elles demeureront toujours bonnes proprie loquendo en tant que pleinement conformes à la manière dont Dieu a institué la nature, y compris leurs propres natures. Sous la notion d’action naturelle semble rentrer notamment tout ce qui échappe, au sens large, au libre arbitre [77], c’est-à-dire toute actualité seconde dérivant d’une actualité première acquise avant la chute. C’est ainsi que tout démon agit d’une manière qui en assure la conservation dans l’être et reste par exemple en possession de sa science naturelle, fondée sur les idées – un certain nombre, et d’un certain niveau de généralité – qui lui ont été infusées par Dieu au moment de la création. Tout démon est ainsi capable de connaître soi-même, les autres substances séparées ainsi que le monde créé, ce dernier toutefois d’une manière qui aurait pu être plus complète [78]. Concernant la connaissance de Dieu, Thomas l’attribue aussi aux démons, par le biais de leurs capacités naturelles : comme dans les anges et dès la création elle passe par la connaissance de soi-même, de leur propre essence qui est faite à la ressemblance du Créateur [79].
36Il en va de même dans le domaine de l’affectivité : naturel est tout ce qui, accordé à un certain ange par l’autorité de Dieu, auteur de toute nature, ne peut plus lui être retiré sans qu’une telle nature en soit anéantie. Il s’en suit que tout démon possède une volonté naturelle, non délibérative, et conserve ainsi une inclination naturelle vers le bien [80], notamment il ressent naturellement de l’amour non seulement envers soi-même, mais aussi envers Dieu. La manière de se rapporter à ces biens n’est pourtant pas directe pour les démons, à la différence des anges ; leur agir est notamment atteint en ce domaine par leur malice. D’après Thomas, en effet, le bien qu’ils désirent naturellement, ils le désirent sub quibusdam malis circumstantiis [81]. En ce qui concerne spécifiquement Dieu, l’amour que les démons Lui manifestent est implicite, pour ainsi dire, dans la mesure où il passe par l’amour naturel qu’ils ressentent pour quelqu’un de ses effets [82] : l’être, la vie ou tout autre objet sur lequel ils portent leur attention et dont ils (re)connaissent que Dieu est la source, tout en refusant pourtant de voir en Lui quelque chose de plus qu’un simple principe de l’être. C’est justement à ce niveau-là qu’on entrevoit la ligne de partage entre les naturalia au sens absolu et les naturalia affaiblis en conséquence du refus de la grâce. Par son choix libre le démon se condamne à un état d’imperfection irréversible, dans lequel sa structure ontologique profonde est sauvegardée – rien d’essentiel ne lui manque –, mais où lui manque à tout jamais le complément surnaturel que Dieu avait fourni à cette même structure, en vertu duquel les potentialités naturelles du démon avaient été élargies. En ce sens, le démon est privé de quelque chose qui lui appartenait.
V. Perspectives conclusives
37Fran O’Rourke a récemment montré l’importance que la doctrine du mal exposée par Denys dans le quatrième chapitre des Noms divins a pour Thomas, et notamment comment elle contribue à compléter et préciser la notion de mal qu’il hérite d’Augustin [83]. À la fin de notre parcours, quelque chose de semblable peut être affirmé aussi de la section du même chapitre concernant les démons. Cette hypothèse ne tire pas son origine du simple constat qu’il en cite souvent le début et la fin dans les textes clés sur les anges déchus, surtout pour rejeter des arguments dualistes qu’il connaît et approfondit à son tour par le biais d’Augustin, mais aussi de l’examen du riche dossier sur les substances séparées que Thomas constitue vers la fin de sa vie, en composant le De substantiis separatis. Comme on a essayé de le montrer au cours surtout de la troisième partie de notre contribution, Denys y joue en effet un rôle majeur dans la section plus proprement théologique, que Thomas compose en revenant sur son commentaire des Noms divins. Cette relecture permet à l’Aquinate non seulement de recueillir et de répertorier quelque peu ses autorités en matière angélologique, mais de concevoir et d’ébaucher une doctrine, en l’occurrence démonologique, tout à fait personnelle. Quoique inachevé, en effet, cet opuscule semble pouvoir s’inscrire en toute cohérence parmi les tâches que Thomas s’assigne pour faire au mieux son métier de sage [84]. Généralement considéré, à la suite du P. Saffrey [85], comme un opuscule qui forme un véritable diptyque avec le commentaire de Thomas au Liber de Causis, le De substantiis separatis nous semble de fait témoigner d’un projet de réflexion, philosophique ainsi que théologique, bien plus ample au sujet des intelligences angéliques. Si l’imposante présence de Denys dans cet opuscule permet de quelque manière de resserrer ces deux ouvrages encore plus l’un à l’autre – l’exégèse du Liber de Causis comportant pour Thomas une comparaison systématique entre Proclus et Denys –, l’absence de références sinon cruciales, du moins précises aux doctrines procliennes dans la section philosophique du De substantiis separatis incite à nuancer cette proximité. Il paraît en aller de même pour les erreurs discutées dans cet opuscule : bien que certaines rappellent des articles condamnés en 1270 [86], il ne s’agit en aucun cas de positions nouvellement attaquées par l’Aquinate, qui se bat dès ses premières œuvres pour défendre les options qui émergent de cet opuscule. Concernant spécifiquement les erreurs au sujet des démons, on remarquera qu’elles ne sont finalement pas si loin de celles évoquées par Thomas déjà dans son commentaire à la première décrétale (1260-1265). Pourquoi donc se pencher une fois de plus sur ces sujets, d’autant plus qu’il y consacre un opuscule monographique, auquel il ne confie pourtant pas une angélologie profondément renouvelée et dont le ton est bien moins dur que celui du défenseur acharné qu’il utilise volontiers ailleurs ? Bien évidemment, si on s’en tient à la section démonologique, la piste du changement de position de la part de Thomas concernant le moment du péché angélique peut être fructueuse : Thomas retravaillerait les notions dionysiennes de « naturaliter mali » et « naturalia integra » dans le contexte d’un renouvellement de la réflexion sur l’impossibilité de pécher au premier instant de la création et, plus largement, sur la nature intellective des anges [87]. Mais cela n’explique finalement qu’une partie de l’histoire. Comment situer donc le De substantiis separatis à la lumière de ces considérations ? Sans vouloir en faire à ce stade plus qu’une hypothèse, notre sentiment est qu’une réévaluation de sa proximité avec le commentaire à la Métaphysique s’impose, s’agissant d’un ouvrage que Thomas est plus que vraisemblablement encore en train d’élaborer (ou au moins retravailler) au moment où il rentre en Italie et s’installe à Naples [88]. Comme il le dit dans son prologue à son commentaire, avec Dieu et l’ens commune les substances intellectuelles sont concernées aussi par cette science, de quelque perspective qu’on la considère, parmi les trois proposées [89] : en tant que philosophie première, métaphysique ou théologie. Le triptyque formé des commentaires à la Métaphysique et au De Causis, plus l’opuscule De substantiis separatis, serait alors sans doute le dernier bel exemple de la manière de travailler de Thomas, qui n’a jamais arrêté de lire et relire les classiques, de prendre connaissance des nouveaux matériaux et d’en tirer des éléments utiles pour développer sa propre pensée.
Notes
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[*]
Une version préliminaire de cette étude a été présentée à l’occasion de la Journée thomiste qui a eu lieu à Paris, Le Saulchoir, le samedi 7 décembre 2019. Je remercie les frères Jean-Christophe de Nadaï et Adriano Oliva pour leur relecture et leurs remarques.
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[1]
Pour une première approche des sources de l’angélologie thomiste, voir Serge-Thomas Bonino, Les Anges et les démons (Deuxième édition, revue et augmentée), Paris, Parole et Silence (coll. « Bibliothèque de la Revue thomiste. Cours »), 2017, p. 23-86 ; sur les sources non-bibliques, voir en particulier Id., « Aristotelianism and Angelology According to Aquinas », dans Gilles Emery, Matthew Levering (éd.), Aristotle in Aquinas’s Theology, Oxford, Oxford University Press, 2015, p. 29-47.
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[2]
Sur l’importance de la réflexion thomiste dans l’histoire de la pensée démono-logique, voir Alain Boureau, Satan hérétique. Naissance de la démonologie dans l’Occident médiéval (1280-1330), Paris, Odile Jacob (coll. « Histoire »), 2004, p. 125-157, 282-285 ; Pasquale Porro, « Il diavolo nella teologia scolastica : il caso di Tommaso d’Aquino », dans Il diavolo nel Medioevo, Atti del XLIX Convegno storico internazionale, Todi 14-17 ottobre 2012, Spoleto, Fondazione Centro italiano di studi sull’alto Medioevo (coll. « Atti dei convegni del Centro italiano di studi sul basso Medioevo – Accademia Tudertina », n. s. 26), 2013, p. 77-99.
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[3]
Voir par exemple John F. Wippel, « Metaphysical Composition of Angels in Bonaventure, Aquinas, and Godfrey of Fontaines », dans Tobias Hoffmann (éd.), A Companion to Angels in Medieval Philosophy, Leiden-Boston, Brill (coll. « Brill’s Companions to the Christian Tradition », 35), 2012, p. 45-78 : 53-65 ; Giorgio Pini, « The Individuation of Angels from Bonaventure to Duns Scot », ibid., p. 79-115 : 84-94 ; Gabriele Galluzzo, « Aquinas on the Genus and Differentia of Separate Substances », Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 18 (2007), p. 343-361 ; Tiziana Suarez-Nani, Les anges et la philosophie. Subjectivité et fonction cosmologique des substances séparées à la fin du xiiie siècle, Paris, Vrin (coll. « Études de philosophie médiévale », 82), 2002, p. 27-53.
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[4]
Louis Jacques Bataillon, « Éditions de textes », Bulletin de philosophie médiévale 30 (1988), p. 10-19 : 14-19 ; Adriano Oliva, Les Débuts de l’enseignement de Thomas d’Aquin et sa conception de la sacra doctrina, avec l’édition du prologue de son Commentaire des Sentences, Paris, Vrin (coll. « Bibliothèque thomiste », 58), 2006, p. 298-299.
-
[5]
Voir Platon, Cratyle, 398b 6.
-
[6]
Thomas d’Aquin, De substantiis separatis, 20 (éd. Léonine, t. XL, Rome, Ad Sanctae Sabinae, 1969, p. D76, 16-26) ; Augustin d’Hippone, De civitate Dei, IX, 19-20 ; voir Id., La cité de Dieu, livres VI-X : Impuissance spirituelle du Paganisme, texte de la quatrième édition de Bernhard Dombart, Alfons Kalb, intro. et notes par Gustave Bardy, trad. de Gustave Combès, Paris, Desclée de Brouwer (coll. « Bibliothèque augustinienne », 34), 1959, p. 402-407. Voir aussi Calcidius, Commentaire au Timée de Platon, éd. et trad. par Béatrice Bakhouche, Paris, Vrin (coll. « Histoire des doctrines de l’Antiquité classique », 42), 2011, § 132, t. I, p. 368-371 ; t. II, p. 734-735.
-
[7]
Thomas d’Aquin, In I Sent., d. 37, q. 1, a. 1, arg. 5 (éd. Pierre Mandonnet, Paris, Lethielleux, 1929, p. 856-857) ; ad 5 (ibid., p. 859) : « […] daemon non nominat naturam tantum, sed naturam deformatam ; cujus deformitatis Deus non est operator. Secundo, […] daemon nominat naturam intellectualem ; unde cum dicitur, Deus est in daemone, intelligitur per modum quo natura intellectualis ejus est capax, scilicet per gratiam […] ».
-
[8]
Id., In IV Sent., d. 15, q. 4, a. 3, qc. 1, ad 2 (éd. Maria Fabianus Moos, Paris, Lethielleux, 1947, p. 744).
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[9]
Id., In II Sent., d. 9, q. 1, a. 4, ad 2 et ad 4 (éd. P. Mandonnet, p. 240-241).
-
[10]
P. Porro, « Il diavolo … », art. cité, p. 82.
-
[11]
A. Boureau, Satan hérétique, op. cit., p. 140.
-
[12]
Thomas d’Aquin, De subst. sep., prol. (éd. Léon., t. XL, p. D41, 1-4) ; voir Id., Les Substances séparées, trad., intro. et notes de Nicolas Blanc, Paris, Les Belles Lettres (coll. « Sagesses médiévales »), 2017, p. 65.
-
[13]
Pour la datation et la contextualisation historico-littéraire de cet opuscule, voir René-Antoine Gauthier, « Index scriptorum et operum… », dans Thomas d’Aquin, Quaestiones de quolibet, éd. Léon., t. XXV/2, Rome-Paris, 1996, p. 498 ; Hyacinthe-François Dondaine, « Préface », dans Thomas d’Aquin, De subst. sep., éd. Léon., t. XL, p. D5-D8 ; Francis J. Lescoe, « De substantiis separatis : Title and Date », dans St. Thomas Aquinas 1274-1974. Commemorative Studies, 2 vol., Toronto, Pontifical Institute of Mediaeval Studies, 1974, t. I, p. 51-66 ; Jean-Pierre Torrell, Initiation à saint Thomas d’Aquin. Sa personne et son œuvre, Nouvelle édition profondément remaniée et enrichie d’une bibliographie mise à jour, Paris, Éditions du Cerf, 2015, p. 283-285.
-
[14]
Sur la proximité méthodologique du De subst. sep. avec le Contra Gentiles, voir H.-F. Dondaine, « Préface », éd. Léon., t. XL, p. D7-D8.
-
[15]
Voir par exemple Thomas d’Aquin, In II Sent., d. 12, a. 2, sol. (éd. P. Mandonnet, p. 305-306). Sur Augustin et ses critères éxégétiques, voir Enrico Moro, « Utilizzare la filosofia per interpretare la creazione ? Agostino di Ippona esegeta della Genesi », Forum 4 (2018), p. 191-214.
-
[16]
Sur l’évolution historique des contenus de foi, voir Id., Summa theol., IIa IIae, q. 1, a. 7, sol.
-
[17]
Pour plus de détails sur le rapport entre textes scripturaires et tradition patristique dans la perspective du théologien, voir A. Oliva, Les Débuts, op. cit., p. 281-287.
-
[18]
Ce commentaire date vraisemblablement des années 1261-1265 : voir H. -F. Dondaine, « Préface », dans Thomas d’Aquin, Expositio super primam et secundam decretalem, éd. Léon., t. XL, p. E6 ; J.-P. Torrell, Initiation, op. cit., p. 172, 471 ; R. A. Gauthier, « Index scriptorum et operum », op. cit., p. 488.
-
[19]
De summa Trinitate et fide catholica, c. 1, <sive Firmiter> (ici cité selon l’éd. Léon., t. XL, p. E29, 1-18) : « Firmiter credimus et simpliciter confitemur, quod unus solus est verus Deus […] creator omnium visibilium et invisibilium, spiritualium et corporalium ; qui sua omnipotenti virtute simul ab initio temporis utramque de nihilo condidit creaturam spiritualem et corporalem, angelicam videlicet et mundanam, ac deinde humanam, quasi communem ex spiritu et corpore constitutam. Diabolus enim et alii daemones a Deo quidem natura creati sunt boni ; sed ipsi per se facti sunt mali. Homo vero diaboli suggestione peccavit ». Voir Henricus Denzinger, Enchiridion Symbolorum definitionum et declarationum de rebus fidei et morum, ed. Iohannes Baptist Umberg, Friburgi Brisigoviae, Herder, 1937, p. 199, n. 428.
-
[20]
D’après Thomas, les opinions erronées que la décrétale Firmiter est censée rejeter au sujet de Dieu créateur sont, selon l’ordre de présentation (ibid., p. E34, 394-E35, 481) : (i) le dualisme des principes (les manichéens et d’autres hérétiques) ; (ii) la création du monde visible non immédiatement de la part de Dieu ; (iii) l’exclusion du monde sensible de la création originaire de Dieu : il serait produit seulement par la suite, afin de punir la chute morale de certains anges (Origène) ; (iv) l’éternité du monde (Aristote) ; (v) l’éternité de la matière, principe incréé complémentaire à Dieu créateur (Anaxagore) ; (vi) la corporéité des âmes (Tertullien) ; (vii) la création d’anges bons ou mauvais par nature (les manichéens) ; la création d’âmes bonnes ou mauvaises par nature. Certaines de ces erreurs sont mentionnées aussi dans le De articulis fidei (éd. Leon., t. XLII, Roma, Editori di S. Tommaso, 1979, p. 246, 100-247, 139), où pourtant Thomas aborde le troisième article, sur la création, de manière plus succincte et élémentaire.
-
[21]
Thomas d’Aquin, Super primam decretalem, éd. Léon., t. XL, p. E34, 394-409 ; p. E35, p. 454-470.
-
[22]
Voir H. -F. Dondaine, « Préface », op. cit., p. E6.
-
[23]
Sur cette censure universitaire et la condamnation ecclésiastique qui la suit, voir Vincent Doucet, « La date des condamnations parisiennes dites de 1241. Faut-il corriger le Cartulaire de l’Université ? », dans Mélanges Auguste Pelzer. Études d’histoire littéraire et doctrinale de la Scolastique médiévale offertes à Monseigneur Auguste Pelzer, Scriptor de la Bibliothèque Vaticane à l’occasion de son soixante-dixième anniversaire, Louvain, Bibliothèque de l’Université-Éditions de l’institut supérieur de philosophie, 1947, p. 183-193 ; plus proprement sur le contenu et l’origine des proposition concernées, « bizarres dans leur formule et périmées dans leur position » et « alors tenues par quelques maîtres de l’Université de Paris », voir Marie-Dominique Chenu, « Le dernier avatar de la théologie orientale en Occident au xiiie siècle », ibid., p. 159-181 : ici p. 159-160 ; id., « L’homme, la nature, l’esprit : un avatar de la philosophie grecque en occident, au xiiie siècle », AHDLMA 36 (1969), p. 123-130.
-
[24]
Chartularium universitatis parisiensis, éd. Henricus Denifle, Aemilius Chatelain, t. I : Ab anno mcc usque ad annum mcclxxxvi, p. 170-172, n. 128 (nous soulignons). Voir H. Denzinger, Enchiridion, op. cit., p. 199, n. 428 : « […] Diabolus enim et alii daemones a Deo quidem natura creati sunt boni, sed ipsi per se facti sunt mali » .
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[25]
H.-F. Dondaine, « Le premier instant de l’ange d’après saint Thomas », Rev. Sc. ph. th. 39 (1955), p. 213-227 : 214-217. Ces deux options sont explicitement considérées par Thomas, qui les présente comme deux solutions possibles au problème posé par le dogme, mais exprime ouvertement sa préférence pour l’une des deux : Thomas d’Aquin, Summa theol., Ia Pars, q. 63, a. 6, sol. (éd. Léon., t. V, p. 132-133) : « Sed probabilior, et Sanctorum dictis magis consona est, quod statim post primum instans suae creationis diabolus peccaverit. […] Si vero ponatur quod angelus in gratia creatus non fuerit […] nihil prohibet aliquam moram fuisse inter creationem et lapsum. »
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[26]
Id., In II Sent., d. 3, q. 2, a. 1, ad 5 (éd. P. Mandonnet, p. 112) : « Unde cum vicissitudo affectionum in angelo, per quas est bonus et malus, non sit continua, nec ordinata ad aliquem motum continuum, numerus earum dicetur tempus, quia secundum prius et posterius se habent ; sed non erit continuum ; unde inter ejus instantia non necessario accipietur tempus medium, sicut nec inter duas unitates numerus. »
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[27]
Voir surtout Augustin d’Hippone, De civitate Dei, XI, 13 ; voir Id., La cité de Dieu, livres XI-XIV : Formation des deux cités, texte de la quatrième édition de B. Dombart, A. Kalb, intro. et notes par G. Bardy, trad. de G. Combès, Paris, Desclée de Brouwer (coll. « Bibliothèque augustinienne » 35), 1959, p. 77 et 79 : « Et c’est aussi dans le même sens qu’il faut entendre ce que dit l’apôtre saint Jean : Le diable pèche dès le commencement, c’est-à-dire il a dès sa création rejeté la justice que seule peut conserver une volonté pieuse et soumise à Dieu. En adoptant cette interprétation d’ailleurs, on ne se range pas au sentiment des hérétiques, manichéens et autres “pestes” de même opinion, d’après lesquels le diable recevrait d’un principe opposé au bien la nature même du mal comme la sienne propre. Ces gens-là déraisonnent si profondément que, tout en admettant avec nous l’autorité de cette parole évangélique, ils ne remarquent pas que le Seigneur n’a pas dit : Le diable est étranger à la vérité, mais : Il ne s’est pas maintenu dans la vérité, voulant ainsi faire entendre qu’il est déchu de la vérité ; et certes, s’il s’y était maintenu, il y participerait encore pour rester heureux avec les saints anges. » Absent du commentaire des Sentences, ce passage est évoqué par Thomas par la suite : voir Thomas d’Aquin, Summa theol., Ia Pars, q. 63, a. 5, sol. ; Id., De malo, q. 16, a. 4, sol. (éd. Léon., t. XXIII, Rome-Paris, Commissio Leonina-Vrin, 1982, p. 298, 214-221, 238-258).
-
[28]
Thomas d’Aquin, In II Sent., d. 3, q. 2, a. 1, sol. (éd. P. Mandonnet, p. 110) : « Ideo alii dixerunt quod angelus in principio suae creationis, malus fuit, non tamen malitiam a Deo habuit, sed actu propriae voluntatis. Haec autem positio vana, et erronea est, et falsa. […] Erronea est, quia primae opinioni [i.e. : quod angelus a Deo creatus est malus] nimis vicina est et a magistris damnata. Falsa est, quia impossibile est angelum in primo instanti suae creationis peccasse […] » ; Id, Summa theol., Ia Pars, q. 63, a. 5, sol. (éd. Léon., t. V, p. 130) : « quidam posuerunt quod statim daemones in primo instanti suae creationis mali fuerunt, non quidem per naturam, sed per peccatum propriae voluntatis : quia ex quo est factus diabolus, iustitiam recusavit. Cui sententiae, ut Augustinus dicit, XI de Civ. Dei, quisquis acquiescit, non cum illis haereticis sapit, idest Manichaeis, qui dicunt quod diabolus habet naturam mali. – Sed quia haec opinio auctoritati Scripturae contradicit […] ideo a magistris haec opinio tanquam erronea rationabiliter reprobata est. Unde aliqui dixerunt quod angeli in primo instanti suae creationis peccare potuerunt, sed non peccaverunt » ; Id., De malo, q. 16, a. 4, sol. (éd. Léon., t. XXIII, p. 298, 238-258) : « Set quare non potuerit in primo instanti sue creationis peccare assignare quidem oportet, etsi difficile sit. Quidam enim assignauerunt huius rationem ex parte nature angelice que est condita a Deo : unde dicunt quod oportuit in primo instanti sue conditionis eum esse bonum qualis a Deo creatus est, ne aliquid ponatur simul esse integrum et diminutum sicut obiciebatur. Set hoc nullam necessitatem uidetur habere : quia malitia culpe non repugnat bonitati nature set in ea fundatur sicut in subiecto ; unde et Augustinus dicit XI De ciuitate Dei quod quisquis huic sententie acquiescit, non cum Manicheis sentit, qui dicunt quod diabolus habet naturam mali Deo contrariam. Nec esset inconueniens dicere quod quantum est ex creatione Dei, angelus in primo instanti habuit naturam omnino integram, ita tamen quod hec integritas fuerit mox impedita per resistentiam angelice uoluntatis, sicut si radius solis impediatur ne illuminet aerem in ipso solis exortu. »
-
[29]
H.-F. Dondaine, « Le premier instant … », art. cité p. 222. Voir aussi Édouard-Henri Wéber, « Dynamisme du bien et statut historique du destin créé. Du traité sur la chute du diable de S. Anselme aux questions sur le mal de Thomas d’Aquin », dans Albert Zimmermann, Gudrun Vuillemin-Diem (éd.), Die mächte Des Guten und Bösen. Vorstellungen im xii. und xiii. Jahrhundert über ihr Wirken in der Heilsgeschichte, Berlin, De Gruyter (coll. « Miscellanea Medievalia », 11), 1977, p. 154-205.
-
[30]
Thomas d’Aquin, De malo, q. 16, a. 4, sol. (éd. Léon., t. XXIII, p. 298, 246-248), voir texte cité note 28.
-
[31]
Voir Id., Summa theol., Ia Pars, q. 48, prol.
-
[32]
Id., In librum beati Dionysii De divinis nominibus expositio [= In De div. nom], cura et studio fr. Ceslai Pera, o.p., cum intro. historica Sac. Petri Caramello et synthesi doctrinali Prof. Caroli Mazzantini, Taurini-Romae, Marietti, 1950, prol., p. 1-2. Voir H.-F. Dondaine, « Préface », dans Thomas d’Aquin, De subst. sep., éd. Léon., t. XL, p. D37.
-
[33]
La section sur le mal du chapitre IV du De divinis nominibus est en grande partie une reprise du De malorum subsistentia de Proclus, ouvrage qui ne sera disponible en latin, grâce à Guillaume de Moerbeke, qu’en 1280. La section sur les démons qu’on prend ici en considération est celle que Denys retravaille le plus, en la pliant aux exigences de la foi chrétienne : voir Carlos Steel, « Proclus et Denys : de l’existence du mal », dans Ysabel de Andia (éd.), Denys l’Aréopagite et sa postérité en Orient et en Occident, Actes du Colloque International Paris, 21-24 septembre 1994, Paris, Institut d’Études Augustiniennes (coll. « Collection des Études Augustiniennes. Série Antiquité », 151), 1997, p. 89-116 ; Jan Opsomer, C. Steel, « Introduction », dans Proclus, On the Existence of Evils, London-Ithaca, Duckworth-Cornell University Press (coll. « Ancient Commentators on Aristotle »), 2003, p. 1-53 : 4-9. Sur l’importance de la doctrine dionysienne du mal chez Thomas d’Aquin, voir Fran O’Rourke, « Evil as privation : the Neoplatonic background to Aquinas’s De malo 1 », dans Michael V. Dougherty (éd.), Aquinas’s Disputed Questions on Evil. A Critical Guide, Cambridge, Cambridge University Press (coll. « Cambridge Critical Guides »), 2017, p. 192-221.
-
[34]
Thomas d’Aquin, De malo, q. 16, a. 1, arg. 3 ; sc 2 ; ad 3 et 14 ; ibid., a. 2, arg. 7 et 12 ; sc 1 ; ad 1 et 4 ; ibid., a. 3, arg. 1-2.
-
[35]
Pierre-Marie Gils, « Préface », dans Thomas d’Aquin, De malo, éd. Léon., t. XXIII, p. 4*-5* ; voir aussi R.-A. Gauthier, « Index scriptorum et operum », op. cit., p. 493.
-
[36]
Thomas d’Aquin, De subst. sep., 20, éd. Léon., t. XL, p. D76, 27-31 ; D77, 65-68 ; D78, 151-154. Ici, comme dans le De malo (voir ci-dessus, note 28), la question de la bonté/malice naturelle du démon est disjointe de celle du moment du péché angélique. En niant l’existence d’un principe mauvais, créateur des démons, Thomas entend affirmer que la malice des anges n’est pas innée, sans situer plus précisément le début qu’elle connaît. Ce double niveau de considération est bien marqué dans le commentaire aux Noms divins d’Albert le Grand, justement au sujet du passage de Denys dont en s’occupera par la suite : « Diximus, quod in angelis non est malum ; sed neque daemones sunt natura mali. Hoc autem dupliciter potest intelligi : quod angeli sint natura mali aut quod malitia sit natura ipsorum, et hoc removere [Dionisius] intendit, aut quod in eis simul fuerit malitia et natura ; et hoc quidam dixerunt. » (Albert le Grand, Super Dionysium De divinis nominibus, éd. Paulus Simon, Monasterii Westfalorum, Aschendorff [ed. Coloniensis, t. XXXVII/1], 1972, p. 268, 54-59).
-
[37]
Cette alternative est caractérisée plus précisément et avec un lexique aristotélicien dans De malo, q. 16, a. 2, sol. (éd. Léon., t. XXIII, p. 288, 178-183) : « Cum autem dicimus aliquid naturaliter esse malum, dupliciter intelligi potest : uno modo ut malum sit natura ipsius uel aliquid nature eius siue proprium accidens consequens naturam ; alio modo potest dici aliquid naturaliter malum quia inest ei naturalis inclinatio ad malum » ; et à propos du premier sens Thomas explique : « malum enim dicitur unumquodque ex eo quod aliqua perfectione sibi debita priuatur, in tantum autem unumquodque perfectum est in quantum attingit ad id quod competit sue nature ; et hoc modo Dionisius multipliciter probat iv cap. De diuinis nominibus quod demones non sunt naturaliter mali » (ibid., 193-199). Dans la Prima Pars, q. 63, a. 4, il se focalise surtout sur la deuxième manière d’interpréter le « naturaliter mali », le problème du dualisme n’étant pas ouvertement abordé. Dans le De subst. sep. Thomas écarte cette deuxième option en s’appuyant sur la structure ontologique des substances séparées, notamment sur leur être individus d’espèces différentes (éd. Léon., t. XL, p. D77, 136-D78, 154).
-
[38]
Il ne sera pas sans intérêt de rappeler que la section philosophique du De subst. sep. culmine, au chapitre 17, avec la critique des manichéens, dont l’erreur au sujet des substances séparées s’avère la plus grave parmi toutes, car elle réunit tous les points fautifs des philosophes, précédemment rejetés par Thomas : dualisme des principes ; corporéité des principes ; négation de la Providence. Voir Thomas d’Aquin, De subst. sep., 17 (éd. Léon., t. XL, p. D70, 3-19).
-
[39]
Ibid., 20 (éd. Léon., t. XL, p. D76, 27-34). Voir Dionysiaca, recueil donnant l’ensemble des traductions latines des ouvrages attribués au Denys de l’Aréopage…, 2 vol., éd. Philippe Chevallier, Paris-Bruges, Desclée de Brouwer, 1937-1950, t. I, p. 271-272, S. [= trad. de Jean Sarrazin] : « Sed neque daemones sunt natura mali » ; voir Corpus Dionysiacum I : Ps.-Dionysius Areopagita, De divinis nominibus [= De div. nom.], IV, 23, éd. Beate Regina Suchla, Berlin-New York, De Gruyter (coll. « Patristische Texte und Studien », 33), 1990, p. 170, 12 ; Denys Ps.-Aréopagite, Noms divins, IV, 23, dans Œuvres complètes, trad., préf. et notes par Maurice de Gandillac, Paris, Aubier (coll. « Bibliothèque philosophique »), 1943, p. 118 ; voir Id. Les noms divins I-IV, intro., trad. et notes par Y. de Andia, Paris, Éditions du Cerf (coll. « Sources chrétiennes », 578), 2016, p. 510-511.
-
[40]
Id., De div. nom., IV, 22-23 (éd. B. R. Suchla, p. 169, 20-172, 11).
-
[41]
Thomas d’Aquin, In De div. nom, IV, 1, § 266 ; 13, § 465-468 ; 14, § 469 ; 19, § 528.
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[42]
Ibid., 19, § 529. Voir ci-dessous, p. 482-483. Voir Dionysiaca, I, p. 271-275, S. : « Sed neque daemones sunt natura mali. Etenim, si natura mali, [i] neque ex bono, [ii] neque in exsistentibus, [iii] neque quidem ex bonis transmutati essent natura et semper mali exsistentes. [iv] Postea, igitur sibi ipsis sunt mali aut aliis ? [iv-a] Si sibi ipsis quidem, et corrumpunt se ipsos ; si autem aliis, quomodo corrumpentes ? aut quid corrumpentes ? substantiam aut virtutem aut operationem ? Si substantiam quidem, primum quidem non praeter naturam, nam natura incorruptibilia non corrumpunt, sed susceptibilia corruptionis ; [iv-b] postea, neque hoc omnibus et omnino malum ; sed [iv-c] neque corrumpitur aliquid exsistentium secundum quod est substantia et natura, sed, defectu ordinationis quae est secundum naturam, harmoniae et commensurationis ratio infirmatur manere similiter habens. Infirmitas autem non perfecta ; etenim perfecta et corruptionem et subjectum destrueret. Et erit talis corruptio et suimet corruptio ; quare tale non malum, sed deficiens bonum, quod enim est expers omnino boni neque in exsistentibus est. Et de corruptione virtutis et operationis eadem ratio est. » La division en sections est nôtre et doit être référée à celle qui est détaillée dans le texte principal.
-
[43]
Thomas d’Aquin, In De div. nom, IV, 19, § 530.
-
[44]
Ibid., § 532.
-
[45]
Ibid., § 533.
-
[46]
Ibid., § 537. Voir ibid., IV, 21, § 552 (éd. Marietti, p. 206) : « Ex quo patet quod ipsa natura non est mala, sed hoc est malum naturae : non posse pertingere ad ea quae pertinent ad perfectionem propriae naturae » ; § 556 (éd. Marietti, p. 207) : « infirme et debiliter habere propria bona quae eis conveniunt vel totaliter cadere ab habendo, hoc dicitur malum in singulis » ; ibid., IV, 23, § 599 (cité ci-dessous, p. 490, note 64).
-
[47]
Thomas d’Aquin, In XII libros Metaphysicorum Aristotelis expositio, V, 18, éd. Maria-Raymundus Cathala, Raymundus Spiazzi, Taurini-Romae, Marietti, 1964, § 1037, p. 272 : « Unumcumque enim tunc est perfectum quando nulla pars magnitudinis naturalis, quae competit ei secundum speciem propriae virtutis, deficit ei. Sicut autem quaelibet res naturalis, habet determinatam mensuram naturalis magnitudinis secundum quantitatem continuam […], ita etiam quaelibet res habet determinatam quantitatem suae virtutis naturalis » ; voir aussi V, 21, § 1098, où est énoncée la définition de totum.
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[48]
Id., In De div. nom., IV, 19, § 535-536. Voir Dionysiaca, I, p. 277-278, S. : « Et aliter, [v] si natura mali daemones, semper mali ; et quidem malum instabile est. Igitur, si semper eodem modo se habent, non mali : quod enim est semper idem boni est proprium. Si autem non semper mali, non natura mali, sed defectu angelicorum bonorum. [vi] Et non omnino expertes boni, secundum quod et sunt et vivunt et intelligunt et totaliter quidam est in ipsis desiderii motus. »
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[49]
Id, De subst. sep., 20 (éd. Léon., t. XL, p. D76, 32-D77, 64) avec l’apparat des sources.
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[50]
Thomas d’Aquin, De subst. sep., 20 (éd. Léon., t. XL, p. D78, 155-164). Voir Dionysiaca, I, p. 279, S. : « Aversio est igitur ipsis malum, et convenientium ipsis excessus et non consecutio et imperfectio et impotentia, et salvantis ipsis perfectionem virtutis infirmitas et fuga et casus ». D’autres cas de reprise de la part de Thomas d’arguments déjà développés dans son commentaire à Denys, ainsi que de citations qui y figurent peuvent être observés dans ce chapitre.
-
[51]
Id., In De div. nom., IV, 19, § 537.
-
[52]
Ibid., § 541. Tout en étant rappelée à plusieurs reprises ailleurs par Thomas, la notion de « malum culpae » comme distincte de celle de « malum poenae » n’est pas exploitée dans la discussion de ce chapitre de Denys ; voir Albert le Grand, In De div. nom., IV, § 186-188 (éd. Colon., t. XXXVII/1, p. 270-273).
-
[53]
Thomas d’Aquin, In De div. nom., IV, 19, § 537 ; voir Albert le Grand, In De div. nom., IV, § 190 (éd. Colon., t. XXXVII/1, p. 274, 1-34). Sur l’articulation de nature et grâce chez Denys et sa réception dans l’Occident latin, voir M.-D. Chenu, « Le dernier avatar », art. cité, p. 174-175.
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[54]
Thomas d’Aquin, In II Sent., d. 9, q. 1, a. 7, sol. (éd. P. Mandonnet, p. 247) : « donum gratuitum sicut […] principium formale, et […] donum naturale sicut […] principium quasi materiale et dispositivum : unde definitio ordinis utrumque complectitur, comprehendens principia materialia et formalia ». La définition ici concernée, reprise du Lombard, est celle mentionnée dans le premier argument contra (éd. P. Mandonnet, p. 246) : « ordo est multitudo caelestium spirituum qui conveniunt in naturalibus datis et in muneribus gratiae ».
-
[55]
Ibid., sc 2 (éd. P. Mandonnet, p. 246) : « ubicumque est diversitas gradus secundum superius et inferius, ibi est diversus ordo. Sed a principio creationis ante infusionem gratiae, si in gratia creati non sunt, fuit in eis gradus superior et inferior, secundum quod quidam erant subtilioris essentiae et perspicacioris intelligentiae […] ». Ibid., sol. (éd. P. Mandonnet, p. 247) : « […] donum gratiae est perfectivum naturae […]. Sic ergo quodammodo a principio creationis fuit distinctio ordinum, non tamen secundum ultimum complementum ».
-
[56]
Thomas d’Aquin, Summa theol., Ia Pars, q. 108, a. 7, sol. ; ibid., a. 8, ad 1 (éd. Léon., t. V, p. 504-505) : « […] Gratia angelis datur secundum proportionem naturalium ; non autem sic est de hominibus, ut supra dictum est. Et ideo sicut inferiores angeli non possunt transferri ad naturalem gradum superiorum, ita nec ad gratuitum. Homines vero possunt ad gratuitum conscendere, sed non ad naturalem. »
-
[57]
Voir surtout Grégoire le Grand, Morales sur Job, t. I : Livres I-II, trad. d’André de Gaudemaris, intro. et notes de Robert Gillet, Paris, Éditions du Cerf (coll. « Sources chrétiennes », 32bis), 2011, II, 4, 4, p. 260-261 : « Il faut chercher avec soin comment Satan peut se présenter au milieu des bons anges, lui qui, jadis condamné en raison de son orgueil, se trouva déchu de leur condition. C’est avec raison que l’Écriture le montre au milieu d’eux, car en perdant la béatitude, il a conservé une nature semblable à la leur (quia etsi beatitudinem perdidit, naturam tamen eis similem non amisit) ; appesanti par son péché, il est soulevé néanmoins par la condition de sa nature subtile. »
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[58]
Bernard Quelquejeu, « Naturalia manent integra. Contribution à l’étude de la portée, méthodologique et doctrinale, de l’axiome théologique “gratia praesupponit naturam” », Rev. Sc. ph. th. 49 (1965), p. 640-655.
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[59]
Dionysiaca, I, p. 281-282, S. Voir Ps.-Dionysius Areopagita, De div. nom., IV, 23 (éd. B. R. Suchla, p. 172, 1-6) ; Id., Noms divins, IV, 23, SC 578, p. 515 : « La race (phūlon) des démons n’est donc pas mauvaise en tant qu’elle est selon la nature, mais en tant qu’elle ne l’est pas. Le Bien tout entier qui leur a été donné n’a pas été altéré, mais eux-mêmes sont déchus du Bien tout entier qui leur avait été donné. Et les dons angéliques qui leur avaient été donnés, nous ne disons pas qu’ils se sont jamais altérés, car ils sont intacts et totalement brillants, même s’ils ne les voient plus, parce qu’ils ont aveuglé leur propre faculté de contempler le Bien. »
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[60]
Thomas d’Aquin, In De div. nom., IV, 19, § 540-541. On notera que le terme « genre » (genus daemonum), utilisé par Thomas à la fin du § 540 pour expliciter « tribus » (éd. Marietti, p. 197 ; Dionysiaca, I, p. 281, S.), n’a pas le sens technique de regroupement d’espèces. Et cela en conséquence justement du fait que le péché laisse la nature intacte, une nature que les démons continuent à partager avec les anges, étant chacun individus uniques d’espèces qui appartiennent à un même genre.
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[61]
Id., In II Sent., d. 19, q. 1, a. 2 ; ibid., a. 4 ; Summa theol., Ia Pars, q. 97, a. 1, sol. ; voir IIIa Pars, q. 69, a. 3, ad 3.
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[62]
Thomas d’Aquin, In De div. nom., IV, 19, § 541 ; Dionysiaca, I, p. 282, S. : « […] ipsi non vident, claudentes ipsorum boniinspectivas virtutes » ; voir. Ps.-Dionysius Areopagita, De div. nom., IV, 23 (éd. B. R. Suchla, p. 172, 5-6).
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[63]
Albert le Grand, In De div. nom., IV, § 193 (éd. Colon., t. XXXVII/1, p. 275, 51-66, numérotation ajoutée) ; ibid., § 189 (éd. Colon., p. 273, 30-35) : « Concludit ergo propositum ex dicta ratione, scilicet quod si non sunt semper mali, non sunt natura mali, ita quod natura ipsorum sit malitia, sed sunt mali ex defectu bonorum angelicorum, quae sunt bona gratiae et gloriae, secundum quae enuntiant divinam bonitatem in eis splendentem […] » ; voir Id., In II Sent., d. 7, a. 4, ad 1 (éd. A. Borgnet, t. XXVII, p. 147).
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[64]
Thomas d’Aquin, In De div. nom., IV, 23, § 599 (éd. Marietti, p. 223-224) : « […] in daemonibus hoc ipsum quod sunt est bonum et eis est ex bono, scilicet Deo ; sed malum invenitur in ipsis ex hoc quod ceciderunt a bonis propriis, idest ad quae erant ordinati secundum ordinem suae naturae ; et iterum variatio, qua decesserunt ab illa identitate in qua sunt boni Angeli et ab habendo ea quae illi habent ; quod nihil est aliud quam infirmitas quaedam perfectionis eis naturaliter convenientis, prout decet Angelos. »
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[65]
Sur les notions de « nature intègre » et « nature corrompue », voir Jean-Pierre Torrell, « Nature et grâce chez Thomas d’Aquin », Revue thomiste 101 (2001), p. 167-202 : 182-197.
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[66]
Voir ibid., p. 194 : « dans l’état de nature déchue, l’homme peut sans aucun doute agir droitement au niveau qui lui est connaturel, mais, même à ce niveau-là, il ne peut pas accomplir par lui-même tout le bien dont il aurait été capable avec ses seules forces dans l’état de nature intègre ». Sur la condition humaine postlapsaire voir aussi Jörgen Vijgen, « The Corruption of the Good of Nature and Moral Action : The Realism of St. Thomas Aquinas », Espίritu 67 (2018), p. 127-152 : 136-149.
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[67]
Thomas d’Aquin, In II Sent., d. 30, q. 1, a. 1, ad 3 (éd. P. Mandonnet, p. 768) : « […] bona naturalia dicuntur dupliciter. Vel prout sunt in se considerata, secundum quod naturae debentur ex propriis principiis, et sic nec homo nec angelus per peccatum aliquid naturalium amisit ; vel in aliquo diminutus est : quia Dionysius etiam integra data naturalia in angelis peccantibus permanere dicit […]. Vel secundum quod ordinantur in finem ultimum, et hoc modo in utroque bona naturalia diminuta sunt quidem, non penitus amissa, inquantum uterque factus est minus habilis et magis distans a finis consecutione : et propter hoc etiam homo gratuitis spoliatus dicitur et in naturalibus vulneratus […] ». Pour une mise en contexte de ce passage, voir J.-P. Torrell, « Nature et grâce », art. cité, p. 173-175, 184-192, 199-200 : « […] même réduite à ses pura naturalia, la nature de Thomas […] ne se réduit pas à sa stricte définition philosophique, et l’homme ne la retrouve pas intacte après le péché. […] Thomas a été amené à préciser sa pensée […] par l’affrontement de deux autorités : la première, reçue de la tradition grecque, lui fait affirmer que la nature n’est pas entamée par le péché (naturalia manent integra) ; la seconde, d’origine latine, l’oblige à reconnaître que le péché n’a pas seulement dépouillé l’homme des biens de la grâce (spoliatus gratuitis), mais qu’il l’a aussi blessé dans ses dons naturels eux-mêmes (vulneratus in naturalibus) […] ». D’après Torrell cette tension est résolue par Thomas en distinguant trois manières dont « la nature et les biens naturels » peuvent être conçus : (1) est naturelle pour l’homme toute détermination qui rentre dans son essence et qui désigne un principe constitutif réel ; (2) est naturelle aussi toute détermination extranaturelle qui soit pourtant concédé à tout homme par le biais de son progéniteur Adam et qui, en absence de péché, aurait été transmise avec les caractères essentiels ; (3) est naturelle enfin l’inclination que l’homme possède envers le bien. Dans le texte des Sentences ici concerné les points (2) et (3) sont de quelque manière fusionnés, quoique la blessure concerne plus proprement (3).
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[68]
Thomas d’Aquin, De malo, q. 16, a. 5, ad 1 (éd. Léon., t. XXIII, p. 306, 341-345) : « […] bona naturalia in angelis sunt integra quantum pertinet ad nature ordinem, sunt tamen corrupta uel deprauata seu diminuta per comparationem ad capacitatem gratie uel glorie ».
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[69]
Voir Marcia L. Colish, « Early Scholastic Angelology », Recherches de Théologie ancienne et médiévale 62 (1995), p. 80-109 : 100-108 ; J.-P. Torrell, « Nature et grâce », art. cité, p. 186, 193-194.
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[70]
Pierre Lombard, Sententiae in IV Libris distinctae, II, d. 3, c. 1, 2, éd. Ignace Brady, Grottaferrata (Romae), Collegii S. Bonaventurae Ad Claras Aquas (coll. « Specilegium Bonaventurianum », 4), 1971, t. I/2, p. 341, 19-342, 3 : « Et quatuor quidem angelis videntur esse attributa in initio subsistentiae suae, scilicet essentia simplex, id est indivisibilis et immaterialis ; et discretio personalis ; et per rationem naturaliter insitam intelligentia, memoria et voluntas sive dilectio ; liberum quoque arbitrium, id est libera inclinandae voluntatis sive ad bonum sive ad malum facultas : poterant enim per liberum arbitrium, sine violentia et coactione, ad utrumlibet propria voluntate deflecti » ; Jean Damascène, De fide orthodoxa. Versions of Burgundio and Cerbanus, c. 17-18, éd. Eligius M. Buytaert, St. Bonaventure - Louvain - Paderborn, The Franciscan Institute - E. Nauwelaerts -F. Schöningh (coll. « Franciscan Institute Publications », 8), 1955, p. 69-77, spéc. p. 69, 11-70, 30. Voir Albert le Grand, In II Sent., d. 3, a. 2 ; d. 4, a. 1.
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[71]
Thomas d’Aquin, In II Sent., d. 3, expositio secundae partis textus (éd. P Mandonnet, p. 106-107, numérotation ajoutée) : « “Et quatuor quidem angelis videtur attributa”. Videtur inconvenienter numerare : [1] quia Dionysius, xi3 Cael. hier. […] attribuit tria angelis, scilicet essentiam, virtutem et operationem ; hic autem de operatione non fit mentio. [2] Praeterea, […] dicitur a Commentatore, quod substantiae separatae dividuntur in voluntatem et intellectum : et ita videtur quod duo tantum debeant esse attributa. [3] Praetera, liberum arbitrium est facultas rationis et voluntatis. Ergo videtur quod non debeat dividi contra tertium attributum. Item quaeritur de ratione numeri. Ad hoc dicendum, quod haec attributa accipiuntur secundum haec tria : “substantia, species, et virtus”, quae sic differunt. Res enim potest considerari secundum quod est principium alterius ; et sic invenitur in re “virtus”, et secundum hoc attribuitur angelis liberum arbitrium. Vel secundum quod est in se, et hoc dupliciter : vel quantum ad ipsam naturam subsistentem, vel quantum ad modum perfectionis ejus, secundum quam speciem sortitur ; et sic est “species”, et tertium attributum, quod est naturae rationalitas, secundum quod ratio dicta est in angelis esse. Si vero quantum ad ipsam naturam subsistentem, sic est “substantia” ; secundum hanc duo sumuntur secundum duplicem acceptionem ejus : scilicet prout dicitur quidditas rei, et sic sumitur primum attributum, scilicet essentiae simplicitas ; vel secundum quod dicitur hypostasis, et sic sumitur secundum, scilicet personalitas. »
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[72]
Sur l’essence et la définition des espèces angéliques, voir G. Galluzzo, « Aquinas on the Genus and Differentia », art. cité ; Marta Borgo, « Tommaso d’Aquino lettore dello pseudo-Dionigi Areopagita. L’uso del corpus dionisiano nel Commento alle Sentenze », Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 24 (2013), p. 153-189 : 173-187.
-
[73]
Voir Thomas d’Aquin, De potentia, q. 6, a. 5, sol., éd. Paulus M. Pession, Taurini-Romae, Marietti, 1953, p. 170 : « Angeli boni per gratiam aliquid possunt ultra naturalem virtutem, ita Angeli mali minus possunt, ex divina providentia eos reprimente, quam possint secundum naturalem virtutem: quia, ut Augustinus dicit, quaedam quae Angeli mali possent facere si permitterentur, ideo facere non possunt quia non permittuntur (unde secundum hoc ligari dicuntur, quod impediuntur ab illis agendis ad quae eorum naturalis virtus se extendere posset; solvi autem, cum permittuntur agere divino iudicio quae secundum naturam possunt). »
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[74]
Id., In II Sent., d. 3, expositio secundae partis textus, ad 3 (éd. P. Mandonnet, p. 107) : « […] in tertio attributo [voir ci-dessus, notes 69-70] ponitur ratio et voluntas non secundum quod sunt potentiae consequentes essentiam, sed ut per eas designatur species essentiae ex qua procedunt, sicut etiam rationale ponitur differentia hominis : sed ad quartum pertinent, secundum quod sunt potentiae ». Voir Id., Summa theol., Ia Pars, q. 54, a. 3, sol. ; q. 59, a. 2, sol.
-
[75]
Id., In De div. nom., IV, 1, § 274-278.
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[76]
Id., Summa theol., Ia Pars, q. 64, a. 2, sol.
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[77]
Id., De malo, q. 16, a. 6, ad 18 (éd. Léon., t. XXIII, p. 312, 432-436) : « diabolus omnia male agit quantum ad ea que agit ex libero arbitrio ; set actiones naturales in eo sunt bone proprie loquendo, quia actiones ille nature sunt Dei instituentis naturam. »
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[78]
Id., Summa theol., Ia Pars, q. 64, a. 1, sol.
-
[79]
Ibid., q. 56, a. 3, sol.
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[80]
Id., In IV Sent., d. 50, q. 2, a. 1, qc. 1, sol.
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[81]
Ibid., ad 1.
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[82]
Id., De veritate, q. 22, a. 2, ad 3.
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[83]
F. O’Rourke, « Evil as privation », op. cit., p. 214-221.
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[84]
Sur le métier de sage, voir surtout René-Antoine Gauthier, Saint Thomas d’Aquin. Somme contre les Gentils. Introduction, Paris, Éditions Universitaires (coll. « Philosophie européenne »), 1993, p. 143-156 ; Id., « Préface », dans Thomas d’Aquin, Sentencia libri De anima, éd. Léon., t. XLV/1, p. 288*-294*.
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[85]
H.-D. Saffrey, « Introduction. Partie historique et doctrinale », dans Thomas d’Aquin, Super Librum de Causis Expositio, Seconde édition corrigée, Paris, Vrin (coll. « Textes philosophiques du Moyen Âge », 21), 2002, p. xxxiv-xxxv ; voir H.-F. Dondaine, « Préface », op. cit., p. D6-D7 ; F. J. Lescoe, « De substantiis separatis », art. cité, p. 60-61.
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[86]
H.-F. Dondaine, « Préface », op. cit., p. D6 ; ibid., p. D64, 12-14, avec la note ; F. J. Lescoe, « De substantiis separatis », art. cité, p. 61. On lira avec profit aussi Ruedi Imbach, « Quelques observations sur la réception du livre XII de la Métaphysique chez Thomas d’Aquin », Rev. Sc. ph. th. 99 (2015), p. 377-407 : 398-400.
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[87]
H.-F. Dondaine, « Le premier instant », art. cité, p. 221-227.
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[88]
Sur la datation du commentaire à la Métaphysique, voir R.-A. Gauthier, Thomas d’Aquin. Somme, op. cit., p. 66-67 ; Id., « Index scriptorum et operum… », op. cit., p. 498 ; Jan J. Duin, « Nouvelles précisions sur la chronologie du Commentum in Metaphysicam de S. Thomas », Revue philosophique de Louvain 53 (1955), p. 511-524, avec la bibliographie discutée. Voir aussi Gudrun Vuillemin-Diem, Recensio et Translatio Guillelmi de Moerbeka. Praefatio, Leiden-New York-Köln, Brepols (coll. « Aristoteles Latinus », XXV, 3.1), 1995, spéc. p. 254-285.
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[89]
Sur les substances séparées et leur rapport à l’objet de la métaphysique voir surtout Gregory T. Doolan, « Aquinas on Separate Substances and the Subject Matter of Metaphysics », Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale 22 (2011), p. 347-382 ; G. Galluzzo, « Aquinas’s Commentary on the Metaphysics », dans Fabrizio Amerini, G. Galluzzo (éd.), A Companion to the Latin Medieval Commentaries on Aristotle’s Metaphysics, Leiden-Boston, Brill (coll. « Brill’s Companions to the Christian Tradition », 43), 2014, p. 209-254 : 215-216.