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Article de revue

Bulletin d’études juives et judéo-chrétiennes

Pages 277 à 311

Notes

  • [1]
    Voir Rev. Sc. ph. th. 86 (2002), p. 129-131.
  • [2]
    Les Judaïsmes dans tous leurs états aux ier-iiie siècles – Les Judéens des synagogues, les chrétiens et les rabbins, Actes du colloque de Lausanne, 12-14 décembre 2012 (ouvrage collectif, sous la direction de C. Clivaz, S. C. Mimouni et B. Pouderon), Turnhout, Brepols (coll. « Judaïsme ancien et origines du christianisme » 5), 2015 ; 15,5 × 23, 460 p., 95 €. ISBN : 978-2-503-55465-5.
  • [3]
    Ainsi, dans le domaine de la sociologie religieuse, d’aucuns évoquent désormais « les catholicismes ». À ce compte, toute tradition religieuse va finir par apparaître comme « poly-plurielle », selon le néologisme que l’épître aux Éphésiens applique… à la Sagesse divine (gr. polypoïkilos : voir Ep 3, 10) !
  • [4]
    J. Martin-Bagnaudez, Pour les Juifs, qui est Jésus ? Le Jésus historique vu par les historiens juifs, Paris, Salvator, 2014 ; 14 × 21, 240 p., 21 €. ISBN : 978-2-7067-1155-8.
  • [5]
    Voir Rev. Sc. ph. th. 96 (2012), p. 124-126.
  • [6]
    R. Draï, Inri – Le procès de Jésus, Paris, Éd. Hermann, 2014 ; 14 × 21, 140 p., 18 €. ISBN : 978-2-7056-8888-2.
  • [7]
    Je signale notamment le remarquable volume qui ouvre la collection, celui de Régis Burnet : Les Douze apôtres – Histoire de la réception des figures apostoliques dans le christianisme ancien, Turnhout, Brepols, 2014, même s’il n’entre pas dans le cadre du présent bulletin.
  • [8]
    T. Murcia, Jésus dans le Talmud et la littérature rabbinique ancienne, Turnhout, Brepols (coll. « Judaïsme ancien et origines du christianisme » 2), 2014 ; 15,5 × 23, 812 p., 120 €. ISBN : 978-2-503-55215-6.
  • [9]
    J. Neusner, Aphrahat and Judaism – The Christian-Jewish Argument in Fourth-Century Iran, Leyde, Brill, 1971.
  • [10]
    E. Lizorkin, Aphrahat’s Demonstrations – A Conversation with the Jews of Mesopotamia, Louvain, Peeters (coll. « C.S.C.O., 642 – subsidia » 129), 2012 ; 16 × 24, XVI + 176 p., 70 €. ISBN : 978-90-429-2574-8.
  • [11]
    Les Dialogues aduersus Iudaeos – Permanences et mutations d’une tradition polémique – Actes du colloque international organisé les 7 et 8 décembre 2011 à l’université de Paris-Sorbonne (ouvrage collectif, sous la direction de S. Morlet, O. Munnich et B. Pouderon), Paris, Institut d’études augustiniennes (coll. « Études augustiniennes, série Antiquité » 196), 2013 ; 16 × 24,5, 440 p., 46 €. ISBN : 978-2-85121-263-4.
  • [12]
    I. Aulisa, Les Juifs dans les récits chrétiens du Haut Moyen Âge (préface d’A. Vauchez), Paris, CNRS Éditions, 2015 ; 15 × 23, 360 p., 25 €. ISBN : 978-2-271-08224-4.
  • [13]
    Dominikaner und Juden / Dominicans and Jews – Personen, Konflikte und Perspektiven von 13. bis zum 20. Jahrhundert / Personalities, Conflicts and Perspectives from the 13th to the 20th Century (ouvrage collectif, sous la direction de E. H. Füllenbach & G. Miletto), Berlin, De Gruyter (coll. « Quellen und Forschungen zur Geschichte des Dominikanerordens » 14), 2015 ; 18 × 24,5, l + 548 p., 109, 95 €. ISBN : 978-3-05-004515-3.
  • [14]
    M. Rastoin, Du même sang que Notre Seigneur – Juifs et jésuites aux débuts de la Compagnie de Jésus (préface de P. Gibert), Paris, Bayard, 2011 ; 14,5 × 19, 312 p., 21 €. ISBN : 978-2-227-48259-3.
  • [15]
    À vrai dire, l’abolition des mesures discriminatoires concernant les convertis du judaïsme a été chez les dominicains plus tardive encore : en 1969, comme nous l’apprend l’ouvrage recensé ci-dessus ! Voir Dominikaner und Juden, op. cit., p. 487, n. 43.
  • [16]
    Y. Hirsch, Rester juif ? Les convertis face à l’universel, Paris, éd. Perrin, 2014 ; 14 × 21, 372 p., 22,90 €. ISBN : 978-2-262-03666-9.
  • [17]
    F. Gugelot, La Conversion des intellectuels au catholicisme en France (1885-1935), Paris, CNRS Éditions, 2010.
  • [18]
    F. Ayliès, Les Convertis – Israël Zolli et Donato Manduzio ou l’histoire des conversions inattendues du grand rabbin de Rome et d’un paysan des Pouilles dans l’Italie fasciste, Paris, JC Lattès, 2013 ; 13 × 20,5, 296 p., 18 €. ISBN : 978-2-7096-3821-0.
  • [19]
    B. Charmet, Juifs et chrétiens partenaires de l’unique Alliance – Témoins et passeurs (préface de Marguerite Léna), Paris, Parole et Silence, 2015 ; 15 × 23,5, 292 p., 25 €. ISBN : 978-2-88918-514-6.
  • [20]
    É. Poulat, Les Juifs, l’Église et la Shoah, Paris, Berg International, 2013 ; 16 × 24, 128 p., 14 €. ISBN : 978-2-917191-68-2.
  • [21]
    J. Stern, Jean-Paul II et le mystère d’Israël, Paris, Parole et Silence, 2014 ;
    15 × 23,5, 324 p., 27 €. ISBN : 978-2-88918-423-3.
  • [22]
    Voir Rev. Sc. ph. th. 98 (2014), p. 147-148.
  • [23]
    Chrétiens, à l’écoute de la tradition d’Israël (ouvrage collectif, sous la direction de J. Beau, B. Charmet & Y. Chevalier – Préface de P. Lenhardt), Paris, Parole et Silence, 2014 ; 13,8 × 21, 288 p., 20 €. ISBN : 978-2-88918-355-5.
  • [24]
    M. De Goedt, L’Alliance irrévocableÉcrits sur le judaïsme, Toulouse, Éd. du Carmel (coll. « Recherches carmélitaines »), 2015 ; 15 × 21,5, 336 p., 26,50 €. ISBN : 978-2-84713-318-9.
  • [25]
    Un troisième volume des écrits de Michel De Goedt semble annoncé (p. 166, n. 15), mais il ne concernera pas nécessairement le sujet de ce bulletin.
  • [26]
    Histoire et théologie des relations judéo-chrétiennes : un éclairage croisé (ouvrage collectif, sous la direction d’O. Rota, préface de M. Hadas-Lebel), Paris, Parole et Silence, 2014 ; 15 × 23,5, 176 p., 20 €. ISBN : 978-2-88918-390-6.
  • [27]
    É. Smadja et M.-H. du Parc Locmaria, Aux sources hébraïques de la foi chrétienne (préface de R. Tremblay), Paris, Salvator, 2014 ; 14 × 21, 160 p., 20 €. ISBN : 978-2-7067-1113-8.
  • [28]
    Véronique Lévy, Montre-moi ton visage (Préface de Mgr de Moulins-Beaufort, Postface de F. Dabezies), Paris, Éd. du Cerf, 2015 ; 15,5 × 24, 338 p., 20 €. ISBN : 978-2-204-10388-1.
  • [29]
    F. Lalou, Autobiographie de Jésus (préface de M. Cazenave), Auxerre, Éd. Entre deux mondes, 2014 ; 14 × 17, 224 p., 18,50 €. ISBN : 978-2-919537-16-7.
English version

1 Nous avons eu naguère Le Judéo-christianisme dans tous ses états –ouvrage recensé ici-même [1]. Voici à présent Les Judaïsmes dans tous leurs états [2] ! Comment comprendre cette surenchère de pluriels ? S’agit-il d’un simple effet de mode  [3], ou de la prise en considération d’une situation qui s’avère, de fait, toujours plus complexe à mesure que les études progressent ? Adoptons cette deuxième hypothèse, en accordant crédit sur ce point aux organisateurs et contributeurs de ce Colloque qui s’est tenu à Lausanne.

2 C’est à Simon Claude Mimouni qu’il revient d’ouvrir le propos – notons qu’il avait déjà piloté le colloque de 1998 sur le judéo-christianisme « dans tous ses états ». Dans son introduction (p. 13-32), il distingue trois mouvances au sein du judaïsme à l’époque considérée : le judaïsme synagogal, le judaïsme chrétien et le judaïsme rabbinique, ces catégories donnant leurs titres aux trois grandes sections de l’ouvrage. En somme (pour reprendre le titre du maître livre de cet auteur), la question s’énonce ainsi : comment est-on passé des « prêtres » aux « rabbins », c’est-à-dire d’un judaïsme centré sur le Temple à un judaïsme centré sur la Tôrah – ou pour mieux dire sur le Talmud ? La réponse classique consistait à souligner la continuité entre ces deux structures. Aujourd’hui, les chercheurs insistent au contraire sur la césure qui les sépare, le judaïsme rabbinique ayant mis longtemps à s’imposer.

3 Dans l’intervalle, deux autres nébuleuses ont connu une certaine expansion. C’est d’abord le judéo-christianisme, aujourd’hui mieux connu –et reconnu ; mais aussi, donc, ce que l’on propose d’appeler le « judaïsme synagogal », une catégorie qui paraît plus floue. D’emblée, on peut d’ailleurs se demander s’il est opportun de distinguer entre judaïsme « rabbinique » et « synagogal ». Dans la contribution désignée comme « conclusion », en fin de volume, H. Inglebert soulève cette question (« Après tout, les rabbins vivaient également dans des communautés synagogales » : p. 452), et s’efforce d’y répondre. Citons-le : « On peut concevoir les Judéens synagogaux de trois manières. La première serait linguistique et supposerait qu’il s’agisse des Judéens hellénistes ; mais ceci suppose que les Judéens araméophones seraient rabbiniques, ce qui n’est pas évident […]. La deuxième serait géographique et supposerait que les Judéens synagogaux sont ceux de la diaspora ; mais on a vu que l’utilisation de ce terme pose de gros problèmes après 135. La troisième serait religieuse et définirait les Judéens synagogaux comme ceux qui ne suivent pas les modèles rabbiniques ou chrétiens ; mais alors ce groupe n’a aucune unité » (ibid.).

4 On aura remarqué dans ce fragment le remplacement systématique du mot « Juifs » par le mot « Judéens ». Cette option me laisse assez perplexe. Outre qu’elle aboutit à des formulations étranges (« les Judéens de Judée »), j’avoue que je n’en vois pas la nécessité.

5 Mais revenons à la première section de l’ouvrage, qui regroupe les contributions consacrées, précisément, au « judaïsme synagogal ». Elle présente une certaine disparate, qui ne contribuera guère à dissiper le vague de cette catégorie. On y trouve une étude de géographie humaine (M.-F. Baslez, « La synagogue et la cité »), une contribution sur Flavius Josèphe (É. Nodet : « Flavius Josèphe restaurateur du judaïsme après 70 »), des considérations sur le syncrétisme qui a pu affecter le judaïsme en Terre sainte après la destruction du Temple (E. Friedheim : « Sur l’existence de Juifs polythéistes en Palestine au temps de la Mishna et du Talmud : une nouvelle approche »), des remarques sur 2 Ba et 4 Esd (A. Y. Reed : « Old Testament Pseudepigrapha and Post-70 Judaism »), enfin une recherche concernant l’épigraphie (D. Hamidović : « De la judaïté des inscriptions dans la mondialisation des premiers siècles de notre ère ») : autant de pièces qui ont chacune leur intérêt, mais dont le puzzle reste à compléter, et sans doute à mieux définir.

6 Avec la deuxième section, qui s’intéresse aux « mouvements chrétiens », on se trouve dans un terrain plus familier : celui du Nouveau testament (D. Marguerat : « Le judaïsme synagogal dans les Actes des apôtres » ; S. Butticaz : « “Qui vous a ensorcelés ?” [Ga 3, 1] – Les adversaires de Paul en Asie mineure : lecture en miroir de la lettre aux Galates » ; J. Frey : « The Johannine Prologue and the References to the Creation of the World in its Second Century Receptions ») et des premiers auteurs chrétiens (B. C. Bucur : « Early Christian Exegesis of Biblical Theophanies and the Parting of the Ways : Justin of Neapolis and Clement of Alexandria » ; B. Bertho : « Judaïsme, historiographie et apologétique chez Théophile d’Antioche : d’Abraham à Flavius Josèphe » ; B. Pouderon : « Le judaïsme tel que perçu dans la littérature patristique, de l’athénien Aristide à Clément d’Alexandrie » ; C. Clivaz : « Pratiques de lecture, identités et prises de conscience : la question des miniatures et du Βιβλαριδιον d’Apocalypse 10.2, 9-10 » ; et Ch. Touati : « Le purgatoire dans les textes égyptiens entre le ier et le iiie siècle »). Il ne saurait être question de présenter dans le détail chacune de ces contributions, mais je voudrais souligner l’apport des deux dernières – aux titres quelque peu sibyllins. L’étude de Claire Clivaz revient de façon critique sur l’opposition, couramment admise, entre rouleau juif et codex chrétien ; et celle de Charles Touati porte sur la préparation à la jouissance du shabbat… ou du dimanche.

7 Quant à la troisième partie, consacrée au judaïsme rabbinique, elle ne comporte que deux textes : celui de J. Costa (« Canon et traduction [Septante, Aquila] : des traditions rabbiniques en rapport avec le judaïsme synagogal ? ») et celui de R. Naiweld (« The Discursive Machine of Tannaitic Literature : the Rabbinic Resurrection of the Logos »). Un mot, ici encore, sur l’intérêt de ces deux contributions, dont la première s’interroge notamment sur l’émergence du Canon et examine les « citations » de traductions grecques dans la littérature rabbinique, tandis que la seconde cherche à prendre au sérieux l’attitude religieuse des rabbins devant le texte de la Tôrah, et le statut du midrash, en se concentrant sur un passage de la Mekhilta de-rabbi Ishmael (et non « Ishamel », comme malencontreusement imprimé p. 405).

8 On trouve en finale le texte de H. Inglebert évoqué ci-dessus et la table des matières. On pourra regretter l’absence totale d’index et de bibliographies, qui auraient rendu ce fort et important volume encore plus agréable à consulter. Tel quel, il reste utile pour se faire une idée du status quaestionis actuellement fixé par les chercheurs.

9 En voyant le titre de ce livre de Jacqueline Martin-Bagnaudez[4] [J. M.-B.], le lecteur pense invinciblement à celui, récemment paru, de Dan Jaffé, recensé ici-même : Jésus sous la plume des historiens juifs du xxe siècle – Approches historiques, perspectives historiographiques, analyses méthodologiques [5]. Réminiscence pertinente, puisque non seulement le deuxième ouvrage s’appuie sur le premier, mais qu’il se donne pour tâche d’en offrir une sorte de résumé.

10 L’initiative pourra sembler singulière : à quoi bon répéter ainsi le contenu d’un livre déjà publié ? L’auteure s’adresse, semble-t-il, à un public plus large, constitué de croyants (chrétiens en l’occurrence) plus que de scientifiques. Il s’agit donc, en quelque sorte, de rendre accessible aux fidèles intéressés, mais non spécialistes, une recherche de type universitaire dans laquelle ils risqueraient d’hésiter à se lancer.

11 Ainsi compris, le projet de J. M.-B. peut se justifier. L’auteure fait œuvre de pédagogie, notamment lorsqu’elle redistribue le matériau du livre-source en trois grandes sections : « La toile de fond », « Où situer Jésus ? », « Expliquer la condamnation de Jésus ». La plupart des auteurs évoqués par Dan Jaffé le sont ici aussi, mais l’historienne fait appel, le cas échéant, à d’autres références. C’est ainsi qu’à propos du Jésus historique elle cite, comme il se doit, John Paul Meier (qui devient malencontreusement « John P. Meyer » dans la n. 1, p. 15, « P. Meyer » dans le glossaire, p. 212, et « Paul Meyer » dans la bibliographie, p. 234). Il lui arrive aussi de citer des auteurs comme J. A. Pagola ou D. Boyarin.

12 C’est avec une grande honnêteté que, de manière générale, l’historienne chrétienne restitue les points de vue juifs sur l’homme de Nazareth. Elle n’échappe pas aux simplifications coutumières aux auteurs chrétiens, depuis la « Palestine » du temps de Jésus (ainsi nommée « par commodité », se justifie-t-elle dans la n. 3 de la p. 15) jusqu’aux Samaritains « schismatiques » (p. 44 – on échappe tout de même aux Samaritains « hérétiques » !). Certaines expressions feront sursauter un lecteur averti. C’est ainsi que l’auteure situe dans la casuistique pharisienne le débat suscité à propos de la résurrection des morts par des Sadducéens (p. 27) ; déclare le « Jacob disciple de Jésus » qui apparaît dans le Talmud « inconnu par ailleurs » (p. 31, encadré) ; affirme, nonobstant Jn 3, 22 et 4, 1, que « Jésus, lui, ne baptise pas » (p. 98) : autant de broutilles qui n’affectent guère la qualité générale de son propos.

13 Il faut en effet y revenir : J. M.-B. se propose d’atteindre un lectorat « traditionnel » que Dan Jaffé risque de ne pas toucher. Il reste à souhaiter qu’elle y parvienne.

14 C’est justement un nouveau « livre juif sur Jésus » que nous offre le regretté Raphaël Draï [R. D.] – mais sous la forme d’une pièce de théâtre, un genre littéraire peu habituel dans ce domaine  [6]. En outre, l’auteur se concentre sur l’épisode du procès, reconstituant à sa manière le déroulement des événements. Comme il l’indique dans sa préface, il s’agit d’un enjeu d’actualité : « Si le thème du peuple déicide a été officiellement abandonné, il ne cesse d’être repris dans une littérature d’esprit préconciliaire, voire anti-conciliaire, et dans la réédition d’ouvrages qui font peu de cas de la Déclaration Nostra Aetate » (p. 6). Il convient donc d’évaluer aussi précisément que possible la répartition des responsabilités entre Juifs et Romains dans la condamnation à mort de Jésus.

15 La pièce, qui s’ouvre par un « hors-texte » emprunté à Victor Hugo (il s’agit de quelques extraits du poème « La Judée », dans La Fin de Satan) adopte une forme classique. Elle compte d’ailleurs cinq actes, qui évoquent successivement le contexte politico-religieux, le groupe des disciples préparant la pâque, les tentatives du grand prêtre, puis de son conseil pour « sauver » Jésus, enfin le rôle décisif des Romains. S’il n’échappe pas à une certaine lourdeur didactique (il s’agit d’éclairer le spectateur sur les tenants et aboutissants des réalités historiques, politiques ou religieuses évoquées), le texte reste vif et l’action enlevée. Il ne semble pas que la pièce ait pour l’heure été mise en scène ; on aimerait d’ailleurs savoir s’il existe un projet dans ce sens.

16 L’image de Jésus (ici : « Yéchou ») que dessine R. D. se rapproche curieusement de celle que la tradition chrétienne a élaborée. Au début du repas pascal il déclare à ses disciples : « Je suis l’agneau, l’agneau de Dieu. Que vous consommerez pour les siècles des siècles » (p. 46). Et lors de l’agonie à Gethsémani, il se montre très humain, mais aussi très « divin » (p. 61-65). Conscient de son lien d’intimité avec Dieu comme de sa mission de Sauveur universel, il s’obstine à refuser les aides que tous sont prêts à lui accorder, devenant ainsi le seul responsable de sa propre condamnation à mort. Notons que Judas (ici : « Juda ») apparaît comme un disciple exemplaire, beaucoup plus que Pierre, terrorisé à l’idée d’être reconnu comme proche du Nazaréen.

17 Venons-en à ceux que la tradition désigne comme les protagonistes du procès et de la condamnation : les grands prêtres et le pouvoir romain. Ces deux instances envoient ici chacune leur garde au jardin des Oliviers (p. 66-70), mais c’est la première qui parvient à mettre la main sur Jésus – en vue de le soustraire aux soldats et de sauver l’homme de Nazareth. Comme on l’a indiqué, c’est l’entêtement de ce dernier qui fait échouer ce projet.

18 Est-ce à dire que l’auteur se livre à une pure et simple « inversion de perspective » par rapport au schéma classique, absolvant les autorités juives pour faire porter tout le poids de la faute au pouvoir romain ? Avec subtilité, il suggère en finale que ce dernier s’est arrangé pour compromettre le Sanhédrin en lui renvoyant la responsabilité de la sentence de mort prononcée contre Jésus.

19 Dans la même collection – décidément fort prometteuse  [7]– que le premier ouvrage recensé ci-dessus, voici la somme que publie Thierry Murcia [Th. M.] sur une question qui revient de façon lancinante dans les études sur les relations entre Juifs et chrétiens : celle des allusions éventuelles à Jésus et aux réalités chrétiennes dans le Talmud et la littérature rabbinique  [8].

20 Une somme, dis-je – même si l’auteur la désigne lui-même comme une « modeste étude » (p. 686) ! Non seulement par son ampleur, mais par son exhaustivité, cette thèse de doctorat (histoire de l’Antiquité) soutenue à l’Université d’Aix-Marseille, dont on se réjouit qu’elle soit publiée, fera date sans aucun doute dans l’histoire de la recherche.

21 Une première difficulté concerne le classement thématique des fragments concernés. L’auteur la résout avec élégance, en déterminant quatre grandes sections, découpées chacune en plusieurs chapitres. Il vaut la peine de reprendre tous ces intitulés, car ils donnent un bon aperçu de la rigueur méthodologique de son travail. Après une longue introduction, voici d’abord une première section consacrée à « Yeshua Ben Panthera guérisseur » (« Yeshua Ben Panthera : le nom » ; « Jacob le guérisseur et Éléazar Ben Dama » ; « Un guérisseur anonyme » ; « Jacob le guérisseur et rabbi Abbahu »). La deuxième grande partie porte un titre en forme de question : « Paroles d’évangile ? » (« Jacob le Min et rabbi Éliézer » ; « Des allusions au mot “évangile” dans la Mishna et la Tosefta ? » ; « Rabban Gamaliel, Imma Shalom, et le philosophe : une citation des évangiles dans le Talmud ? »). La troisième parcourt le chemin qui va « De Ben Stada à Ben Pandera » (« Ben Stada » ; « Jésus en Égypte » ; « L’exécution de Jésus » ; « Le procès des disciples »). Enfin, la quatrième section va « De Balaam à Jésus » (« Balaam : chapitre préliminaire » ; « Balaam : traditions tannaïtiques et prolongements » ; « Balaam et Yeshu en enfer » ; « Le cycle de Balaam en B. Sanhédrin 105 A – 106 B »). À ces quinze chapitres font suite une conclusion, le texte hébreu-araméen de tous les fragments étudiés (l’auteur ayant toujours pris soin de les retraduire lui-même), la liste des sources, une bibliographie et deux index (celui des sources et celui des auteurs modernes) : autant dire que ce fort volume constitue un remarquable instrument de travail.

22 J’en reviens à la bibliographie, qui semble à peu près exhaustive, et surtout parfaitement maîtrisée. Sur chaque point de détail, l’auteur prend le temps de consulter ses prédécesseurs, et de discuter minutieusement leurs positions. Brossée dès l’introduction, son histoire de la recherche dans ce domaine, du xviie siècle à nos jours, s’impose par sa clarté et sa précision (p. 34-44). Il note d’ailleurs à ce sujet : « Nombre de travaux de nos devanciers pourront sembler à bien des égards dépassés, voire inutiles. Pourtant, leur lecture ou leur consultation est souvent riche d’enseignements » (p. 34-35). Lui-même engage avec les auteurs qu’il cite un dialogue serré, voire critique. Comme on dit familièrement, il ne mâche pas ses mots pour indiquer ses désaccords, ou pour contester tel ou tel de ses devanciers (voir par exemple les p. 132-133, 284-291, 364-374, la n. 238, p. 566 ou la n. 65, p. 623). Ainsi solidement argumentées, ses propres conclusions paraissent bien étayées.

23 Or elles renouvellent à peu près complètement l’état de la question.

24 Pour y parvenir, l’auteur a dû se livrer à un travail préalable : l’établissement d’une chronologie plausible des textes de la tradition juive. Il s’agit non seulement de situer dans le temps les grands ensembles textuels, mais de déceler en leur sein les couches rédactionnelles successives. À cet égard, sa conclusion la plus innovante porte sur la date de l’ultime rédaction du Talmud de Babylone, beaucoup plus tardive que celle généralement retenue : il la situe en effet au viiie, voire au début du ixe siècle (voir notamment p. 678-679 et les n. 33 et 34 in loco) ! À l’inverse, il estime que les premières versions du texte polymorphe des Tôledôt Yeshu peuvent remonter aux iiie-ive siècles – ce qui a pour conséquence de reposer la question des relations possibles entre ces deux ensembles (ibid.).

25 Une datation aussi basse de l’ultime rédaction du Bavli (notre auteur écrit plutôt Babli) le conduit à s’interroger sur celle de l’hégémonie du judaïsme rabbinique, qu’il situe elle aussi beaucoup plus tard, puisqu’elle lui est contemporaine (p. 685 et les notes 61 et 61 in loco). On peut toutefois lui objecter que le Talmud de Babylone a été précédé par bien des mises par écrit halakhiques qui en constituent la matrice – et dont il ne conteste pas la datation couramment admise : Mishna, Tôsefta et Talmud de Jérusalem.

26 Mais revenons-en au corps de l’ouvrage, pour indiquer les résultats que l’auteur engrange au fil de l’analyse des fragments concernés. À vrai dire, ces conclusions ponctuelles contribuent déjà à modifier assez considérablement les perspectives habituelles.

27 À ses yeux, le nom de Panthera (attesté par ailleurs) ne comporte pas nécessairement de connotation polémique – il récuse notamment l’idée d’une allusion irrévérencieuse au « fils de la vierge » (gr. parthénos) supplanté par le fils d’un soldat romain, « Ben Panthera » (p. 90-92). Les épisodes rapportés en T. Hullin, 2,22-23 et ailleurs attestent qu’à partir du iiie siècle les autorités juives mettent en garde contre le retour à des guérisseurs chrétiens et rien de plus (p. 125-126 ; 140-143), même si les rédacteurs du Bavli tendent à valoriser ces anecdotes palestiniennes (p. 152).

28 L’enseignement transmis par Jacob le Min renvoie-t-il à une parole authentique de Jésus ? Après longue discussion, notre auteur conclut par la négative (p. 193-199). Le mot gilyonim désigne-t-il pour sa part les évangiles chrétiens (déformation de gr. évan-gélion ?). L’auteur penche pour y voir plutôt une allusion aux textes de la littérature intertestamentaire – hypothèse de fait très ingénieuse (p. 238-240). Plus précisément, y a-t-il une citation d’un verset de l’évangile de Matthieu en T. B. Shab. 116 a-b ? Sans doute, même si ce récit comporte bon nombre d’autres éléments, ici très finement scrutés – ce qui permet d’en restituer le contexte (p. 316-317).

29 Jésus se trouve-t-il désigné par le nom crypté de « Ben Stada » ? Oui, mais uniquement à partir des deux Talmuds, les sources plus anciennes se référant à un autre personnage (p. 357-358 ; 362-364). Quant au passage du T. B. Sanh. 107 b qui nous montre Yeshu ha-Notsri repoussé par son maître et se prosternant devant une brique, il faut y voir une polémique contre le culte chrétien de la croix, voire des icônes (p. 416-422) – ce qui appuierait l’hypothèse d’une rédaction tardive du Talmud de Babylone. Dans le même corpus, l’étrange allusion à la mise à mort de Jésus (T. B. Sanh. 43 a) appelle les mêmes remarques : elle viserait, non pas Jésus lui-même, mais le culte chrétien ultérieur (p. 453). La suite de ce passage talmudique énumère les « cinq disciples » de Jésus, et reflète elle aussi l’ironie des scribes du Bavli qui présentent Jésus comme un « anti Yohanan ben Zakkaï », sans qu’on puisse en extraire le moindre noyau historique (p. 495-496).

30 Des conclusions analogues se tirent de l’examen du « dossier Balaam », qui occupe la quatrième section de l’ouvrage. Déjà objet de plusieurs présentations discordantes dans le texte biblique lui-même, cette figure devient de plus en plus négative dans la littérature juive ultérieure. Cependant, il n’est jamais identifié à Jésus (p. 552), même si les scribes du Bavli tendent à rapprocher ces deux figures (p. 574). À travers les évocations (d’un goût parfois douteux) des châtiments que l’un et l’autre endurent dans la géhenne, ce sont une fois de plus les chrétiens qui sont visés, et non Jésus lui-même (p. 608, et la « conclusion » p. 608-610). Et c’est encore une fois le Talmud de Babylone qui accentue cette charge : « Le fait de rejeter, dans la littérature rabbinique, l’idée d’une stricte identification entre Balaam et Jésus, ne signifie pas que certains passages n’aient pas, malgré tout, une signification polémique. Certes, Balaam n’est pas Jésus et Jésus n’est pas Balaam. Mais, dans le Babli, Jésus est bien présenté comme le “nouveau Balaam”, une sorte d’avatar » (p. 663).

31 On l’aura compris : l’étude de Th. M. désamorce bien souvent la virulence de ces attaques supposées contre la figure fondatrice du christianisme – attaques de toute façon largement cryptées. Bien plutôt, il faut y voir des pointes d’ironie contre la religion chrétienne telle que les rabbins pouvaient la connaître, une religion qu’ils éprouvaient non seulement comme rivale, mais comme dominante – alors qu’elle demeurait à leurs yeux frappée d’illégitimité. Cet agacement s’accentue dans certaines sections – très tardives – du Talmud de Babylone.

32 Je laisse aux spécialistes le soin de discuter ces assertions, dont je dois dire qu’elles tendent à emporter ma conviction. Deux questions jumelles demeurent cependant : pourquoi les autorités chrétiennes, jugeant ces passages blasphématoires, les ont-elles dans le meilleur des cas censurés, et ont-elles dans le pire des cas brûlé le Talmud ? Corollairement, pourquoi les rabbins ont-ils pratiqué l’autocensure à leur endroit dans certaines éditions ? Faut-il y voir d’un côté une hypersensibilité toujours prompte à « faire flèche de tout bois », et de l’autre un usage excessif du « principe de précaution » ? Ce « livre martyr », comme l’auteur le désigne d’emblée (p. 9), méritait-il de telles violences ?

33 J’aimerais, pour terminer, souligner l’excellence du travail d’impression de ces huit cents pages. Je n’ai relevé que de rarissimes coquilles (« un de leur ressortissant » : p. 362 ; angl. « lake » pour « lack » : p. 380 n. 23 ; Pilate présenté comme « l’un des ancêtres de Haman » : p. 437 – ne serait-ce pas plutôt l’inverse ?). J’aimerais aussi émettre un minuscule regret personnel : que le syriaque soit imprimé en caractères araméens carrés, et non en estrangelo (p. 212, 234, 239, 240, 257, 264, 658). Comme on le voit, il ne s’agit que d’infimes broutilles, qui ne gâtent en aucune façon les qualités exceptionnelles de ce maître livre.

34Une quarantaine d’années après Jacob Neusner  [9], un autre chercheur reprend le dossier des relations entre l’œuvre d’Aphraate et la tradition juive  [10]. Comment se situe-t-il par rapport à son prédécesseur ?

35 J. Neusner s’intéressait aux exposés 11-13 (de la circoncision ; de la pâque ; du shabbat), 15-19 (de la distinction des aliments ; de ce que les nations ont remplacé le Peuple ; du Christ, Fils de Dieu ; contre les Juifs – sur la virginité et la sainteté ; contre les Juifs qui disent qu’ils seront rassemblés) et 21 (de la persécution). Eliyahu Lizorkin [E. L.] s’arrête quant à lui sur la circoncision (exposé 11), sur la prière (exposé 4), sur la distinction des aliments (exposé 15), sur la pâque (exposé 12) et sur le jeûne (exposé 3). Les deux sélections paraissent donc assez complémentaires, même si elles se recoupent pour une part. Si l’on excepte une brève allusion dans le texte (p. 44), c’est seulement dans la conclusion de son ouvrage (p. 163-166) qu’E. L. révèle ce qu’il pense de son devancier. Il y exprime un accord fondamental assorti de sérieuses nuances. Il trouve notamment quelque peu simpliste la vision de Neusner : outre le « judaïsme rabbinique » et le « judaïsme non-rabbinique », il conviendrait selon notre auteur d’ajouter un « judaïsme para-rabbinique » et un « judaïsme en lien avec les rabbins ». Voilà qui confirme la « poly-pluralité » que j’évoquais au début de ce bulletin !

36 E. L. procède pour sa part en suivant un schéma méthodologique rigoureux. Dans les chapitres 2 à 6, qui développent le contenu thématique des Démonstrations que l’on vient de mentionner, il examine la place de l’élément en question dans le judaïsme, le christianisme et le zoroastrisme, avant de se pencher sur l’exposé y afférent et de relever les échos que le texte d’Aphraate éveille dans le Talmud. On peut s’interroger sur la pertinence de l’évocation du zoroastrisme (d’ailleurs absente du chapitre 5, qui concerne la Pâque) : certes, la religion des Mages constitue le contexte religieux du Sage persan et des rabbins de Babylone, habitants de l’Empire sassanide, mais elle ne joue guère de rôle, semble-t-il, dans leurs débats.

37 Sur la base d’une comparaison minutieuse entre les assertions d’Aphraate et les énoncés talmudiques, notre auteur fait apparaître la physionomie et les enjeux de cette confrontation. Tout naturellement, une question se pose : le Sage persan a-t-il bel et bien rencontré des « Juifs réels » ? Notre auteur y donne une réponse tout en finesse. Il indique tout d’abord : « While the authors of the texts cited above probably did not have each other in mind, this researcher holds that they still probably represented general ideas and trends of the developing Christian and Jewish communities that did » (p. 75). Et plus loin : « The above argumentation by Aphrahat strongly supports the idea that the demonstrations were written to strengthen Aphrahat’s community in their interactions with the Jewish community and as such it is crucial that we remember that the arguments that Aphrahat presents had to make sense first and for most to the Christians, whether or not they made sense to the Jews. Naturally, Aphrahat would love to persuade the Jewish community of the Gospel’s validity, but his main concern here is to ground the faith of those who are already part of his community » (p. 146). Mais il ouvre sa conclusion en répondant par l’affirmative aux deux questions suivantes : Aphraate a-t-il eu réellement affaire à des Juifs ? S’agissait-il de Juifs rabbiniques ? (p. 157). De ce point de vue, le Sage persan ferait donc figure d’exception au sein du monde patristique.

38 J’en viens à l’introduction de l’ouvrage, ici désignée comme le chapitre premier. L’auteur y développe d’utiles considérations sur la Babylonie du ivsiècle et ses diverses composantes religieuses. On appréciera notamment ses remarques sur l’origine de la Peshittâ (p. 15-16). En revanche, je ne suis pas sûr que l’on puisse désigner les Benaï Qeyâmâ comme une « community » (p. 4).

39 L’ouvrage recèle à vrai dire d’autres imperfections, et notamment quelques coquilles, affectant à l’occasion le nom de l’auteur étudié (la graphie Aphrahat, adoptée par les Anglo-saxons, devient en effet « Apharahat » et « Aphahrat » dans la même p. 105, puis « Aprhahat » à la p. 168 !). Mais surtout, je ne suis pas parvenu à percer le mystère de la bibliographie : on trouve en effet en bas de page des références qui n’apparaissent pas dans la liste bibliographique des p. xiv-xvi, et ce d’une façon qui semble aléatoire (ainsi la n. 8 de la p. 2 renvoie à un « Bruns 1991 » et à un « Bruns 1990 », lequel seul figure dans la liste, p. xiv).

40 Quoi qu’il en soit, l’ouvrage d’E. L. constitue une étude précise et affinée, appelée à faire date dans la recherche sur Aphraate, et plus largement sur les relations entre Juifs et chrétiens de Mésopotamie au ive siècle.

41 C’est un status quaestionis tout à fait remarquable concernant les « dialogues » entre Juifs et chrétiens du iie au xive siècle qu’offre ce volume d’Actes d’un colloque universitaire qui s’est tenu à Paris à la fin de l’année 2011  [11]. L’ouvrage se limite bien aux textes en forme de dialogue – ce qui ne lui interdit pas des références à d’autres genres littéraires – et concerne essentiellement des auteurs grecs et latins : si des Pères comme Aphraate, Jacques de Saroug ou Isaac d’Antioche se trouvent mentionnés (p. 35, n. 65 ; 175, n. 2), ils ne font pas l’objet de communications spécifiques. La sixième des Homélies contre les Juifs de Jacques de Saroug, par exemple, se présente pourtant bien comme un dialogue entre l’Église et la Synagogue.

42 Faut-il accorder la priorité chronologique à la Controverse entre Jason et Papiscus d’Ariston de Pella (dont le texte, comme on le sait, est perdu) ou au Dialogue avec Tryphon de Justin ? S. Morlet aborde la question dans son « Préambule » sans la trancher (p. 22-23). Quoi qu’il en soit, le texte de Justin donne lieu à pas moins de trois études signées par D. Jaffé (« Aduersus Iudaeos : la loi et les observances dans le Dialogus cum Tryphone Iudaeo », p. 49-65), B. Pouderon (« La source de l’argumentation de Tryphon dans le Dialogue de Justin : confrontation de deux thèses », p. 67-93) et O. Munnich (« Le judaïsme dans le Dialogue avec Tryphon : une fiction littéraire de Justin », p. 95-156). Le titre de cette dernière résume bien l’apport convergent de ces trois chercheurs : il n’y a pas lieu d’imaginer un dialogue réel entre les deux protagonistes. C’est ainsi que D. Jaffé (qui évoque les réponses juives à Justin, et plus largement aux arguments chrétiens : p. 55-65) écrit que Justin « semble ne reconnaître qu’un judaïsme biblique, et non talmudique » (p. 52 : il faut évidemment comprendre « pré-talmudique »). O. Munnich va encore plus loin : « avec Justin, le judaïsme devient une donnée entièrement construite à partir du Nouveau testament » (p. 148) ! Bref, en fait de « dialogue », il s’agit d’un « monologue avec Tryphon » (p. 97) ; et d’insister : « le Dialogue avec Tryphon est un monologue homilétique » (p. 103). Au passage, B. Pouderon avait d’ailleurs établi que Justin recourt, non au texte biblique, mais à un recueil de testimonia que plusieurs auteurs ultérieurs utiliseront (tableau récapitulatif : p. 89-93).

43 Après cette section consacrée au seul Justin, l’ouvrage en comporte deux autres, sur l’Antiquité tardive et sur le Moyen Âge. On revient brièvement, au début de la deuxième, sur le dialogue perdu du iie siècle (L. Ciccolini : « La controverse de Jason et de Papiscus : le témoignage de l’Ad Vigilium episcopum de Iudaica incredulitate faussement attribué à Cyprien de Carthage », p. 159-174) avant d’aborder les textes de l’époque patristique proprement dite. On s’avise d’ailleurs que Justin, curieusement, n’a guère fait école – du moins dans l’immédiat. Il faut attendre en effet le ve siècle pour que des dialogues stricto sensu recommencent à voir le jour (M. Ribreau : « Quand deux allégories débattent devant les censeurs : fonctionnement rhétorique et argumentatif de l’Altercatio Ecclesiae et Synagogae », p. 175-197 ; P. Lanfranchi : « L’image du judaïsme dans les dialogues aduersus Iudaeos », p. 225-236, qui s’intéresse pour sa part aux Dialogues d’Athanase et de Zachée, de Simon et de Théophile et de Timothée et d’Aquila, ainsi qu’à la Controverse entre Sylvestre et douze sages juifs ; C. Boudignon : « “Le temps du saint baptême n’est pas encore venu” – Nouvelles considérations sur la Doctrina Jacobi », p. 237-256 – il s’agit cette fois d’un texte du viie siècle). Les autres contributions portent quant à elles sur les Catéchèses de Cyrille de Jérusalem (P. Andrist : « Polémique religieuse et dialogue aduersus Iudaeos au service de la catéchèse, l’exemple de Cyrille de Jérusalem », p. 199-223) ou adoptent un point de vue plus général (V. Déroche : « Les dialogues aduersus Iudaeos face aux genres parallèles », p. 257-266). Ce dernier ouvre ainsi son propos : « L’idée qui fonde cette étude est de tester la façon dont des thématiques analogues qui circulent dans des textes antijudaïques (au sens large) sont modifiées dans leur contenu ou leur énonciation en fonction du genre littéraire retenu : homélies, dialogues, recueils de questions et réponses, etc. » (p. 257). C’est ainsi qu’il évoque les Homélies contre les Juifs de Jean Chrysostome et un texte qui en dépend, les Kephalaia epaporetika (viie siècle), puis deux écrits du viie siècle également proches l’un de l’autre : les Quaestiones ad Antiochum ducem et l’Apologie contre les Juifs de Léontios de Néapolis.

44 Une question sous-jacente court dans les diverses contributions de cette deuxième section : faut-il considérer les dialogues de cette période entre Juifs et chrétiens comme réels ou fictifs ? La question ne se pose pas pour l’Altercatio Ecclesiae et Synagogae : comme le note M. Ribreau s’appuyant sur D. Weber, « l’utilisation d’allégories permet d’éviter l’écueil qui consiste à créer des personnages réels que l’on souhaite cependant représentatifs d’une opinion » (p. 186). Sur les textes qu’il examine, P. Lanfranchi propose une réponse nuancée : au-delà de leur aspect rhétorique et artificiel, on peut capter dans les dialogues Aduersus Iudaeos des échos de la réalité juive – laquelle, en diaspora, ne s’identifiait pas nécessairement au « judaïsme rabbinique » de la Mishna et du Talmud. Sur un ton nettement polémique, C. Boudignon affirme pour sa part que la Doctrina Jacobi reproduit « une véritable situation de dialogue » (p. 237) : il en veut pour preuve les parallèles qui apparaissent entre ce texte et divers écrits de Maxime le Confesseur.

45 Si la troisième section prend en considération les textes médiévaux, elle déborde elle aussi quelque peu le cadre du genre littéraire annoncé. D’emblée d’ailleurs, l’étude d’I. Aulisa (« La polemica aduersus Iudaeos nell’agiografia dell’alto medioevo », p. 269-294) se penche sur une littérature populaire où l’on peut craindre que les poncifs antijuifs se donnent libre cours – ce qui s’avère bel et bien. Ainsi, la chercheuse barésienne note : « Diverse opere sono incentrate sulla nascita verginale di Cristo, sulla durezza di cuore dei giudei, sul superamento di pratiche e riti giudaici, sull’incapacità dei giudei di comprendere il vero senso delle Scritture, sull’ostinato attaccamento al senso letterale delle profezie veterotestamentarie » (p. 272). Mais elle met également en lumière que l’image du Juif qu’élaborent ces textes se modèle peu ou prou sur celle de l’hérétique, et notamment de l’iconoclaste (voir ses intéressantes remarques à ce propos p. 285). Parmi les contributions suivantes, plusieurs en reviennent au dialogue proprement dit (C. Schiano : « Il Dialogo contro i Giudei di Nicola di Otranto tra fonti storiche e teologiche », p. 295-317 ; G. Dahan : « Les questions d’exégèse dans les dialogues contre les juifs xiie-xiiie siècles », p. 319-337 ; M.-H. Congourdeau : « Dialogues byzantins du xive siècle entre des chrétiens et des juifs », p. 369-381), tandis que d’autres, de nouveau, élargissent le propos (A. Sapir Abulafia : « The Service of Jews in Christian-Jewish Disputations », p. 339-349 – qui évoque des auteurs tels qu’Anselme, Odon de Cambrai, Pierre Alfonsi et Pierre Abélard ; C. Soussen : « La parole de l’autre, la prise en compte des arguments de l’adversaire dans la polémique anti-juive à la fin du Moyen Âge », p. 351-367 – qui souligne la disparition progressive du dialogue, à l’exception notable de l’ouvrage de Raymond Lulle). L’« épilogue » de P. Bobichon (« Persistance et avatars de la forme dialoguée dans la littérature chrétienne et juive de controverse : xive-xviiie siècles », p. 385-400) confirme cette évolution pour la période suivante, le dialogue écrit laissant place notamment à l’oralité de la « dispute » publique.

46 Reposons la question suscitée par la section précédente, sur le caractère fictif ou réel des rencontres entre Juifs et chrétiens. Si Nicolas d’Otrante a eu l’occasion de connaître en Pouille des maîtres juifs (ce qui ne l’empêche pas de les assimiler à son tour à des hérétiques chrétiens !), le débat exégétique peut fort bien se dérouler in abstracto, ce qui conduit G. Dahan à déclarer « tout à fait secondaire » la question de la réalité des dialogues (p. 320).

47 M.-H. Congourdeau reconnaît quant à elle : « Manifestement, nos auteurs ignorent tout du judaïsme rabbinique » (p. 372). De fait, la fascinante généalogie de Jésus qu’elle présente (p. 375-376, tableau p. 381) semble vouloir harmoniser les données de diverses traditions canoniques et apocryphes, et vise donc une efficacité ad intra.

48 En sens inverse, C. Soussen souligne que certains auteurs chrétiens acquièrent dès la fin du Moyen Âge une bonne connaissance de la langue hébraïque, voire du Talmud et de la littérature rabbinique. Dans le même sens, on peut d’ailleurs remarquer que les « disputes » publiques mettent en scène des Juifs réels, et exigent de la part des débatteurs chrétiens (qui sont parfois eux-mêmes, il est vrai, d’anciens Juifs passés au christianisme…), une véritable érudition dans ce domaine. Avec une pointe de malice, on pourrait donc suggérer que la persistance même de la réalité juive au sein du monde chrétien interdisait aux auteurs de construire des Juifs imaginaires, comme Justin pouvait se le permettre, en les obligeant progressivement à prendre en compte le réel !

49 S’agit-il pour autant, pour les médiévaux par exemple, d’esquisser des « dialogues » au sens actuel du mot, c’est-à-dire des échanges fondés sur l’écoute et le respect mutuels ? On reste bien sûr loin du compte, comme le choc des deux mots du titre de l’ouvrage (Dialogues aduersus…) en constitue un symptôme : l’enjeu reste d’avoir raison contre l’autre, pour ne pas dire d’avoir raison de l’autre ! Avec son Livre du gentil et des trois sages (cité par G. Dahan comme par C. Soussen), Raymond Lulle fait figure d’exception ou de précurseur. De fait, dans son Nathan le Sage, G. E. Lessing s’efforcera d’en recueillir et d’en approfondir l’inspiration. Mais l’intégration dans ces deux ouvrages d’un troisième interlocuteur représentant l’islam, ne contribue-t-elle pas à rendre la confrontation plus irénique ?

50 On le voit : ce beau volume, riche d’informations et de données, suscite la réflexion. Ajoutons qu’il se clôt par deux index (l’index biblique et celui des auteurs anciens et médiévaux) qui en font un bon instrument de travail. Last but not least : l’œil habituellement impitoyable du recenseur n’y a pas trouvé la moindre coquille. C’est dire qu’il a été composé avec un remarquable soin !

51 L’une des contributrices de ce volume collectif nous offre – en traduction française – un état beaucoup plus développé de ses recherches : il s’agit toujours d’explorer l’image du Juif dans la littérature hagiographique chrétienne du premier Moyen Âge – et plus précisément, pour l’essentiel, du ve au xie siècle  [12].

52 Pour ce faire, Immacolata Aulisa [I. A.] a choisi un découpage thématique : décision judicieuse, même si de fortes connections apparaissent entre les différents thèmes ainsi retenus. Sans trop se soucier de la réalité historique, cette littérature hagiographique (qui inclut pêle-mêle actes de martyrs, vies de saints et autres « légendes dorées ») met en place ce qu’il faut bien appeler une nébuleuse de fantasmes, dont certains remontent aux Pères de l’Église, voire perdureront jusqu’à l’antisémitisme moderne. C’est ainsi que l’on trouve ici le Juif persécuteur des chrétiens, profanateur d’icônes ou d’hosties, adepte de la magie, du crime rituel ou même du culte de Satan ! Facilement présenté comme une « hérésie chrétienne » (et rapproché à ce titre de tel ou tel courant dissident du christianisme), le judaïsme constitue à tous égards l’autre dont il convient de se préserver, mais aussi de se contre-distinguer – ce qui confère souvent à cette thématique l’aspect d’une autodéfinition chrétienne.

53 Comment situer l’antijudaïsme / antisémitisme de cette époque dans la longue tradition de la « judéophobie » ? L’auteure évoque des exemples de « coexistence pacifique » entre les deux communautés. Mais ce chapitre 4 est suivi d’un chapitre 5, intitulé pour sa part « Tensions entre Juifs et chrétiens ». De fait, on assiste déjà bel et bien à des destructions de synagogues, à des baptêmes forcés et à d’autres violences physiques contre les Juifs. Rien de comparable, certes, avec les pogroms qui ont accompagné en 1096 la première croisade, et avec les déferlements ultérieurs d’antisémitisme populaire. Mais ne s’agirait-il que d’une différence de degrés dans la même et unique intolérance ?

54 Le préfacier, pour sa part, écrit prudemment : « Toutes proportions gardées et en ayant soin d’éviter de généraliser abusivement, on peut dire que le haut Moyen Âge fut dans l’ensemble une époque où les relations judéo-chrétiennes furent moins conflictuelles qu’elles ne le devinrent par la suite et donc que les sources de cette époque peuvent nous en offrir une autre image que celle du Moyen Âge tardif » (p. 7). La chercheuse barésienne va dans le même sens, par exemple en intitulant son chapitre premier : « Juifs persécuteurs et Juifs martyrs ». Y aurait-il symétrie entre les deux postures ? À l’examen cependant, la deuxième catégorie ne compte qu’un seul exemple (p. 33-34) contre une dizaine dans la première. Ajoutons que ce « Juif martyr » a pour principale qualité, à l’instar de nombre de ses coreligionnaires dont les textes hagiographiques donnent une image positive d’être devenu chrétien ! De la même façon, peut-on mettre en regard la littérature hagiographique chrétienne, largement répandue par les textes et les images, avec les Tôledôt Yeshu’, dont la diffusion semble être toujours restée sinon confidentielle, du moins marginale (p. 189) ?

55 Quoi qu’il en soit de ces nuances, l’ouvrage d’I. A. constitue une synthèse appelée à faire date, sur une époque et dans un genre littéraire qui n’avaient guère jusqu’à présent attiré l’attention des chercheurs.

56 Sa copieuse bibliographie (p. 295-338) compte comme il se doit un grand nombre de références en italien. On pourra regretter qu’elle ne donne que les titres italiens des ouvrages traduits d’une autre langue, et notamment du français. C’est l’occasion de signaler que le travail de la traductrice laisse çà et là à désirer. On retrouve le même nom orthographié diversement (« Hégésippe » p. 59 et « Égésippe » dans la n. 41 p. 222 ; « Callinicum » p. 89 et « Callinico » dans la n. 5, p. 243), ou seulement à l’italienne (« Notkero » dans la n. 71, p. 242), ou encore de façon fautive (« Jean Lemoine » pour « Jean le moine » p. 62 ; « Ludovic le Pieu » dans la n. 42 p. 239 ; « code » pour « codex » dans la n. 58, p. 248 et dans la n. 21, p. 285). Par ailleurs, la version française laisse subsister quelques italianismes (le verbe « émaner » à la forme transitive directe, et donc au sens de « promulguer » du verbe italien « emanare » : p. 74, 154 et dans la n. 49 p. 247 ; etc.). Autant de menues scories qu’un toilettage plus attentif du texte permettra d’éliminer d’éventuelles éditions ultérieures !

57 Voici longtemps que l’on attendait la publication de ce fort volume sur l’histoire des relations entre les dominicains et les Juifs, qui pour diverses raisons a pris beaucoup de retard. À quelque chose malheur est bon : il voit finalement le jour l’année même où l’Ordre des Prêcheurs fête le huitième centenaire de sa fondation  [13]. Heureuse coïncidence, qui contribue à conjurer une tendance fréquente dans le monde catholique : celle de l’autocélébration. De toute évidence en effet, l’histoire de ces relations comporte quelques pages sombres.

58 Pour présenter les deux douzaines de contributions qui constituent le corps de l’ouvrage, les éditeurs scientifiques (un dominicain allemand et un universitaire juif d’origine italienne travaillant en Allemagne) ont rédigé une longue introduction, qui à vrai dire déborde légèrement le cadre chronologique de l’ouvrage, vers l’avant et vers l’après. Les diverses contributions vont en effet de Thomas d’Aquin à l’affaire des Amici Israel (1926-1928), tandis que l’introduction mentionne le tout premier contact historiquement connu entre des dominicains et des Juifs (à Oxford en 1221) pour évoquer en finale l’attitude de ces religieux avant et pendant la Shoah, sans s’interdire même de mentionner la période ultérieure. Ainsi des frères comme Marcel Dubois, Bernard Dupuy, Willehad Paul Eckert, Paulus Engelhardt et Bruno Hussar se trouvent-ils au moins nommés (p. l).

59 Le second Moyen Âge, du xiiie au xve siècle, a requis l’attention d’une quinzaine de chercheurs. Leurs études portent soit sur des figures historiques et leurs écrits : auteurs dominicains (Thomas d’Aquin, Ricoldo da Monte Croce, Raymond Martin, Nicolas Eymerich, Jean de Torquemada – oncle du tristement célèbre inquisiteur, Petrus Nigri alias Peter Schwartz), juifs (les traducteurs de Thomas d’Aquin en hébreu, Shem Tov Ibn Shaprut), ou encore juifs devenus dominicains (Paul Christiani) ; soit sur des thèmes de la polémique antijuive, tels que l’usure ou la circoncision ; soit encore sur des événements (canonisation de Simon de Trente).

60 Le xvie siècle fait l’objet de cinq études, qui portent toutes sur des personnalités (Cyprien Benet, Martin Bucer – plutôt connu pour être passé à la Réforme en y entraînant les frères de son couvent de Strasbourg, Pie V, Santi Pagnini et Santi Marmochino – deux dominicains italiens hébraïsants).

61 Par comparaison, la période suivante se voit rapidement survolée. Du xvie au xxe siècle, le volume ne compte en effet que quatre études : sur le rôle du frère Gaetano Faletti dans l’affaire Mortara et celui du frère Marco Sales dans celle des Amici Israel ; entre les deux, une évocation de l’histoire de Ludwig Adler et une étude sur Marie-Joseph Lagrange et les Juifs.

62 Il ne me paraît pas indispensable d’entrer dans le détail de toutes ces contributions. Tâchons plutôt de repérer quelques lignes de force, mais aussi quelques éléments particulièrement saillants.

63 Pratiquement dès ses origines, l’Ordre des Prêcheurs assure à ses religieux qui en ont les capacités une formation dans les langues sémitiques : hébreu et arabe, voire araméen. C’est ainsi que Raymond Martin établit à Barcelone, dès la fin du xiiie siècle, une chaire d’hébreu (p. xxviii-xxx). Mais cette ouverture culturelle, dès l’origine aussi, s’accompagne d’une arrière-pensée prosélyte : il s’agit de travailler à la conversion des Juifs et des musulmans. Le cas de Raymond Martin lui-même semble ici emblématique. L’étude qui lui est consacrée (U. Ragacs, « Ein Leben im Dienst der Mission : Raimund Martini OP ») pose d’emblée la question : était-il lui-même d’origine juive ? « Bis heute ist nicht endgültig geklärt, ob er jüdischer Abstammung gewesen ist oder nicht » (p. 87-88). Ce spécialiste des traditions juive et musulmane était-il présent à la fameuse dispute de Barcelone de 1263 ? Cela reste également indécidable : « Ob Raimund Martini während der Disputation von Barcelona anwesend war oder nicht, ist bis heute ungeklärt » (p. 105). En revanche, Paul Christiani s’y trouvait bel et bien – et il s’agit assurément d’un Juif devenu chrétien (L. Roos, « Rhetoric and Religious Heritage – Paul Christian Preaching to Jews and Christians at the Barcelona Disputation »). Cette chercheuse compare les deux comptes rendus de l’événement : le chrétien (en latin) et le juif (en hébreu) – une comparaison riche d’enseignements à elle seule (p. 120-123) ! Quant à Ricoldo da Monte Croce, c’est plutôt au Proche Orient qu’il a exercé son apostolat, en direction des musulmans, mais aussi, le cas échéant, des Juifs (R. Roberg, « Riccoldus de Monte Crucis – Konzepte und Erfahrungen bei der Mission unter den Juden »).

64 Cette approche érudite et en quelque sorte « non-violente » sera encore celle des hébraïsants du xvie siècle : c’était le cas des savants dominicains italiens, plus ou moins proches des humanistes de Florence, voire des kabbalistes chrétiens (A. Morisi Guerra, « Santi Pagnini » ; L. Saracco, « “Linguam sanctam praecipue edocuit” – Santi Marmochino e la cultura ebraica »). Peut-on la déceler chez des auteurs plus récents ? Il semble que le rêve d’une conversion massive au christianisme des disciples de Moïse et de Mohammed ait reçu le coup de grâce dès l’époque des Lumières. Qui plus est, on constate que des exégètes de haut niveau, connaisseurs notamment du texte hébreu de la Bible, ne fréquentent pas nécessairement des « Juifs réels », ni ne développent une quelconque sympathie à leur endroit. À cet égard, le cas de Marie-Joseph Lagrange paraît symptomatique. S’il a pu nouer telle ou telle relation avec des personnalités juives, il ne s’oppose guère à l’antisémitisme catholique de son temps, et se déclare assez clairement antisioniste – un héritage, disons-le avec un brin d’humour, auquel l’École biblique restera toujours fidèle (B. Montagnes, « Le Père Marie-Joseph Lagrange et les Juifs ») ! Exégète lui aussi, le frère Marco Sales appuiera sur des arguments bibliques son refus d’accéder à la demande des Amici Israel de modifier la prière pour les Juifs du Vendredi saint, ce qui aboutira finalement à la dissolution de cette toute jeune association pourtant si prometteuse (H. Wolf, « “Nihil esse innovandum” – Der Magister Sacri Palatii Marco Sales OP und sein Votum gegen eine Reform der Karfreitagsfürbitte für die Juden »).

65 Mais à l’égard des Juifs, il y a eu aussi de la violence de la part de l’ordre dominicain, et notamment de ses inquisiteurs – comme le grand public en a gardé mémoire. On pourra regretter à cet égard l’absence d’étude sur Thomas de Torquemada, qui se trouve simplement mentionné dans l’introduction (p. xli-lxii). Mais d’autres figures apparaissent, notamment celle de Nicolas Eymerich (C. Heimann, « Nicolaus Eymerich OP – Der Inquisitor und die Juden im Aragon des 14. Jahrhunderts ») et celle de Jean de Torquemada (U. Horst, « Kardinal Juan de Torquemada und sein Traktat zur Verteidigung der Neuchristen »). Le même chercheur élargit d’ailleurs son propos dans la contribution suivante (« Die spanischen Dominikaner und das Problem der Judenchristen [„conversos“] »). Bien d’autres éléments d’antisémitisme seraient à recenser. Comme l’écrit W. Treue à propos des troubles survenus dans la ville de Trente (canonisation du jeune Simon soi-disant assassiné rituellement par les Juifs, procès de ces derniers et agitation antisémite) : « Man kann hier wohl zu Recht von einer Fanatiesierung sprechen, die eine ganze Stadt erfasste, eine Stadt zudem, in der es nie zuvor judenfeindliche Vorfälle gegeben hatte » (p. 338).

66 À propos des conversos, dont nous reparlerons ci-après en recensant l’ouvrage de Marc Rastoin, il faut noter que l’Ordre des Prêcheurs a adopté assez vite les statuts de « pureté du sang » qui lui interdisaient d’accueillir des religieux ayant des origines familiales juives ou musulmanes. L’histoire peu connue du frère Ludwig Adler illustre, à une époque récente, cette méfiance – il s’agissait de fait d’un Juif devenu chrétien (W. Hoyer, « „aber der Jude war ihm geblieben“ – Ludwig Adler OP (1837-1907) »).

67 Je retiens encore, parmi les éléments curieux que recueille ce gros volume, la « réception » juive de l’œuvre de Thomas d’Aquin

68 (J.-P. Rotschild, « Quelques philosophes juifs du Moyen Âge tardif, traducteurs ou lecteurs de saint Thomas d’Aquin »), ou la discussion de la théologie chrétienne chez un auteur juif des xive-xve siècles – bien qu’à vrai dire le lien avec les frères prêcheurs y apparaisse moins (J. V. Niclós-Albarracin, « La fe a través del espejo – Aspectos teólogicos de la doctrina cristiana reflejados en el libro Eben Bohan de Shem Tob Ibn Shaprut de Tudela [siglos xiv-xv] »). C’est d’ailleurs à ce contributeur que je laisserai le mot de la fin : « Esperamos que la mirada a través del espejo de la fe del otro dibujada en este capítulo nos enseñe a comprender mejor la fe del otro y, en definitiva, puede ser que tal vez nos haga ser más tolerantes y sabios » (p. 182).

69 Puisse en effet ce volumineux et courageux ouvrage, magnifiquement imprimé (il y a tout de même un malencontreux pataquès p. 315-316) contribuer à un salutaire « travail de mémoire », et par là-même à un honnête dialogue entre Juifs et chrétiens !

70 Après les dominicains, les jésuites ! Avec l’ouvrage récent de Marc Rastoin [14], c’est en effet à une plongée dans l’histoire ancienne de la Compagnie de Jésus que nous sommes conviés. Plus précisément, l’auteur fait état de nouvelles perspectives sur la brutale volte-face par laquelle la Société a décidé de ne plus recevoir de conversos, qu’elle accueillait jusqu’alors généreusement.

71 Suscitée par la découverte récente, dans les archives de la Compagnie de Jésus, d’un texte jusqu’alors inconnu (il s’agit d’un mémoire du jésuite Benedetto Palmio adressé au général de la Compagnie Claudio Acquaviva), cette recherche prend l’allure d’un « récit » (p. 21) découpé en trois grandes parties : « Au temps d’Ignace : accueil et oppositions (1528-1556) » ; « Les généralats de Laínez et de Borgia et la question des conversos (1556-1572) » ; « La fin d’une aventure évangélique (1573-1593) ».

72 Sans reprendre le détail historiographique de l’affaire, il convient de noter l’ouverture de Loyola et de ses premiers compagnons à l’égard du judaïsme. Le titre de l’ouvrage est d’ailleurs emprunté à une formule d’Ignace : « J’aurais aimé être du même sang que Notre Seigneur ! » Le mot « sang » n’apparaît sans doute pas par hasard ici, puisque c’est précisément sur cet élément qu’une diffraction s’opère entre les chrétiens de vieille souche, censés n’avoir dans les veines que du sang chrétien, et ces nouveau-venus que sont les chrétiens ayant des ascendants juifs. Ce problème, au départ typiquement ibérique, de la « pureté du sang » (esp. limpieza de sangre) a émergé après les conversions forcées précédant ou accompagnant l’expulsion des Juifs (1492). Parmi ces « nouveaux chrétiens », certains continuaient à « judaïser » secrètement, tandis que d’autres adoptaient pleinement les usages chrétiens. Il y a lieu de distinguer ces deux catégories : « Trop souvent assimilés aux marranes – qui continuaient à pratiquer en secret divers rites de la foi juive et au sujet desquels existe une abondante littérature – la très grande majorité des conversos, du moins en Espagne, étaient des catholiques comme les autres » (p. 45, voir aussi p. 49-50).

73 Pourtant, beaucoup se méfiaient d’eux, et la plupart des ordres religieux s’interdisaient d’y recruter leurs membres. À l’inverse, la Compagnie fondée par Ignace en 1528 en reçut un grand nombre – quitte à les envoyer en mission à l’étranger pour leur épargner des vexations dans la Péninsule ! Notre auteur note : « Dans ces premières années difficiles, Ignace accueillit à bras ouverts ces hommes qui furent souvent les premiers cadres de l’Ordre, notamment en Italie et en France et qui jouèrent un rôle considérable dans la crédibilité et la célébrité de la Compagnie naissante » (p. 53). Mais cette politique suscite déjà des tensions, voire des oppositions de la part des partisans de la limpieza de sangre.

74 On suit alors les épisodes de cet affrontement entre les deux camps, qui va aboutir au grand retournement de 1593 : l’adoption, lors de la cinquième congrégation générale, des statuts de pureté du sang dans la Compagnie de Jésus ! En rupture complète avec la pratique antérieure, ce texte (cité p. 158-159), allait à son tour susciter des oppositions qui parviendront tout au plus à le mitiger, mais pas à l’abolir. C’est seulement en 1946 que cette suppression a été discrètement votée : « Il est clair que les terribles événements de la shoah et la prise de conscience de la faible résistance opposée à l’idéologie nazie par beaucoup de chrétiens en raison de l’antijudaïsme traditionnel de la chrétienté européenne ont pesé sur cette abolition tardive »  [15] (p. 208-209).

75 En annexe, M. R. donne donc le texte du mémoire de Benedetto Palmio, mais aussi la « Relation de Jean-Baptiste Eliano sur sa conversion au christianisme et son entrée dans la compagnie » (1588). Il s’efforce également de dresser une liste des jésuites « judéoconvers » (c’est le mot qu’il propose pour rendre l’espagnol conversos) dans la première Compagnie de Jésus. Une « bibliographie sélective » vient compléter tout cet ensemble.

76 Dédié – en hébreu – à la mémoire de sa mère Jacqueline Rastoin, elle-même très impliquée dans les relations judéo-chrétiennes, ce livre honore en effet une telle « tradition familiale ». Avec courage, l’auteur dénonce l’alignement de la jeune Compagnie de Jésus sur des pratiques inspirées par un inquiétant antijudaïsme pour ne pas dire un antisémitisme raciste avant la lettre : comment ne pas voir en effet que cette obsession de la pureté de sang et la recherche d’éventuels ancêtres juifs font déjà entendre des thèmes qui vont s’imposer de façon meurtrière à l’époque nazie ?

77 Sous la forme d’un livre qu’elle destine à un plus large public, Yaël Hirsch [Y. H.] présente les acquis d’une recherche universitaire (thèse de doctorat en sciences politiques) sur la question de la conversion au christianisme d’intellectuels juifs européens du xxe siècle, et plus précisément de la période 1918-1965  [16]. L’ouvrage se divise en dix chapitres qui se répartissent eux-mêmes en trois grandes sections, respectivement intitulées « Difficile conversion », « La conversion, une réponse incomplète aux faux-semblants de l’assimilation » et « Politiques de la conversion : les nouveaux éclairages sur la question juive ».

78 La première partie ébauche une typologie du converti. S’il reste impossible de plonger dans l’expérience proprement spirituelle d’un individu, on peut en retracer les contours, à partir notamment de ses écrits. Comment l’intéressé supporte-t-il cette rupture que constitue le passage du judaïsme au christianisme ? Il faut reconnaître que chaque cas constitue un cas particulier. Entre ceux qui connaissent une expérience mystique personnelle (Max Jacob, Israël Zolli devenu à son baptême Eugenio Zolli) ou un plus long cheminement intellectuel et spirituel (Raïssa Maritain), et ceux chez qui l’on peut déceler la fameuse « haine de soi » juive (Simone Weil, Maurice Sachs), beaucoup se présentent comme des « êtres doubles et fragiles » (titre du chapitre 2) – mais à des degrés divers. Notons à ce propos que notre auteure prend en considération des trajectoires non abouties, comme celles de Simone Weil ou d’Etty Hillesum (cette dernière devenant au contraire « de plus en plus juive » à mesure qu’elle prend conscience du sort réservé à son Peuple) ; des parcours sinueux comme celui de Geza Vermes, baptisé dès l’enfance et devenu prêtre catholique, mais qui plus tard se marie et retourne au judaïsme ; ou des figures marginales voire « dérangeantes » comme celle de Maurice Sachs (qui termine son existence agitée comme collaborateur de la Gestapo). Nonobstant cette diversité, des constantes apparaissent, et notamment celle de la permanence de l’identité juive.

79 La deuxième section élargit résolument les perspectives pour s’interroger sur cette identité juive en Europe, telle qu’elle s’est forgée à l’époque moderne. Marqué par une sécularisation qui distingue soigneusement les sphères privée et publique, profitant des acquis de l’émancipation mais subissant les nouvelles formes d’antisémitisme qu’elle suscite, tenté de s’assimiler voire de disparaître pour rester dans « le sens de l’Histoire », le judaïsme subit en outre de plein fouet la montée d’un antisémitisme radical mis en œuvre dans l’Allemagne nazie. Dans ce contexte, Y. H. revient sur le problème historique des marranes (chapitre 7), un exemplum qui lui paraît éclairant pour penser la question de la survie du judaïsme : « On le voit donc, la résurgence des marranes du Portugal crée une onde de choc et les intellectuels juifs de toute l’Europe commencent à se pencher sur l’histoire de ceux qui ont su préserver dans l’adversité, à travers le baptême et le temps, une identité juive » (p. 223).

80 De fait, la figure du marrane s’avère opératoire dans la troisième partie, où l’auteure aborde une question plus fondamentale encore : en quoi consiste l’« être juif » ? À travers les réponses de Sartre, Freud, Badiou, Memmi ou Arendt, divers concepts émergent, tels que celui d’« allosémitisme », ou encore de « judéité », laquelle « serait ce qui reste du judaïsme chez des individus qui ont arrêté de vouloir pour eux-mêmes une vie juive » (p. 237). Mais c’est sur Alain Badiou que notre auteure s’arrête le plus longuement dans son dernier chapitre : la figure de l’apôtre Paul, comme l’a bien vu le philosophe, représente le premier exemple de passage du particularisme juif à l’universalisme chrétien. Or c’est la tension entre ces deux pôles qui structure le trajet de toute conversion.

81 Soulignons que les réflexions plus théoriques de la deuxième et de la troisième section restent nourries de références à ces trajets psycho-spirituels que Y. H. a sélectionnés. D’un bout à l’autre de l’ouvrage, elle les présente et les analyse, mais s’interdit de les juger : « L’objectif était de trouver la juste distance : suffisamment d’empathie pour ressentir ce qui se passe pour le converti et suivre ses arguments, tout en conservant un regard critique par le biais de la mise en contexte historique et de l’analyse de ses écrits » (p. 18).

82 Sur le plan formel, on peut admettre que l’auteure, qui a séjourné quelques années aux États-Unis, ait du goût pour des néologismes aux allures d’anglicismes (des « communautés ségréguées » de la p. 123 aux « politistes » des p. 239, 243 et 299). Mais s’il ne compte que de rares coquilles (« le retour à la fois », p. 203), son ouvrage comporte de menues imperfections. C’est ainsi qu’à plusieurs reprises, la même citation apparaît dans le texte et dans les notes : p. 41 et n. 23, p. 339 ; p. 226 et n. 33, p. 352 ; p. 233 et n. 42, p. 353. En outre, la n. 19, p. 342, devrait renvoyer à un ouvrage d’Etty Hillesum, et non de Simone Weil. Je relève enfin deux anachronismes : l’auteure déclare qu’Eugenio Zolli (mort en 1956) a été aidé « par le Vatican, et notamment par le pape Jean XXIII » (p. 32) ; et elle fait de Raymond Lulle « un mystique du xiie siècle » (p. 82).

83 Ces détails n’affectent pas la qualité de l’ouvrage qui, on l’aura compris, donne beaucoup à penser. Portant sur une autre période, et sur un domaine plus spécifique que celui de Frédéric Gugelot [17], il témoigne, à l’instar de ce dernier, de l’intérêt que continue de susciter l’aventure spirituelle, dont le phénomène de la conversion représente un indice indubitable.

84 C’est également sur la figure d’Israël Zoller devenu Eugenio Zolli (1881-1956) que se penche pour sa part Francis Ayliès [F. A.], mais pour la mettre en symétrie avec celle, sans doute moins connue, de Donato Manduzio (1885-1948)  [18]. Trajectoires croisées, puisque le grand rabbin de Rome reçoit le baptême en 1945, tandis que le paysan catholique du Gargano fonde un groupe qui se veut juif – et que les autorités rabbiniques italiennes finiront de fait par reconnaître. S’ils n’ont jamais eu directement contact l’un avec l’autre, leur aventure spirituelle prend place dans le même contexte historique, marqué notamment par le règne de Mussolini.

85 Après un préambule à teneur très autobiographique, le prêtre bordelais retrace le trajet de ces deux personnages, sous la forme de vingt-trois chapitres auxquels il n’a pas donné de titres. Le ton reste d’un bout à l’autre très personnel, l’auteur n’hésitant pas à s’exprimer à la première personne ou à donner son avis sur tel ou tel point (par exemple sur la notion de providence divine – p. 118-125 ; ou sur la situation actuelle de l’Église catholique – passim). De façon générale, l’ouvrage ne se présente pas comme une recherche de niveau scientifique. On n’y trouve que peu de notes en bas de pages, et aucune bibliographie – F. A. a tout de même pris connaissance des principaux travaux de ses prédécesseurs.

86 Somme toute, c’est une image assez complexe qui se dégage de ces deux trajectoires. La première expérience du Christ remonte assez haut pour Israël Zoller : quand il était rabbin à Trieste encore autrichienne. Devenu Israël Zolli depuis son second mariage, il préside au destin de la communauté juive de Rome, sous le régime fasciste puis sous l’occupation nazie. Son lien personnel avec Pie XII (dont il prendra le prénom lors de son baptême) n’incitera pas ce dernier à modifier le texte de l’oratio pro Judaeis du Vendredi saint, comme le lui demandait pourtant l’ancien grand rabbin dont la sensibilité restera toujours très juive !

87 Quant à l’itinéraire de Donato Manduzio, il paraît tout à fait atypique, pour ne pas dire extravagant. Dans son village de San Nicandro, ce paysan découvre l’Ancien testament, et décide que là est la vérité. Conforté par des expériences mystiques, il fonde une communauté fidèle à cette Écriture, en ignorant tout de la tradition juive et du judaïsme de son temps. Le contact avec des « Juifs réels » donne lieu à des échanges tantôt cocasses, tantôt émouvants. Sous la pression de Juifs sionistes, une bonne partie du groupe s’installera finalement en Israël, laissant Manduzio lui-même comme dépossédé de son œuvre.

88 Comme je l’ai dit, l’ouvrage du prêtre bordelais n’a pas de prétention scientifique. On regrettera tout de même diverses erreurs, approximations et autres coquilles : l’allusion à l’encyclique « Proventissimus » p. 61 ; l’affirmation que le mot Shekinah se trouve dans le livre des Nombres, et plus précisément en Nb 9, 15-16 – lesquels versets ne comportent bien entendu que le mot mishkan ; les italianismes qui subsistent dans les traductions, notamment « Hébreux » et « hébraïsme » au sens de « Juifs » et de « judaïsme » (p. 140, 154, 160, 250). Décidément brouillé avec les langues étrangères, notre auteur commet quelques erreurs en reproduisant un texte italien (p. 270-271), et écrit αἱρετικός là où l’on attendrait αἵρεσις (p. 287). De façon générale, tous les mots hébreux et arabes sont imprimés fautivement (p. 26-27 et 290), mais peut-être faut-il sur ce point incriminer l’éditeur.

89 S’il livre çà et là des considérations personnelles sur la conversion, l’auteur n’explique guère ce qu’il a voulu faire en présentant conjointement ces deux aventures spirituelles. Au lecteur donc d’en tirer les leçons qui lui conviennent !

90 Infatigable artisan du dialogue, au sein de l’Amitié judéo-chrétienne de France et de la revue Sens, Bruno Charmet [B. C.] nous offre une galerie de portraits de quelques-uns de ses maîtres et prédécesseurs, figures marquantes du xxe siècle en ce domaine  [19]. La couverture de l’ouvrage montre les visages de Colette Kessler et de Bernard Dupuy, qui font chacun l’objet d’un chapitre, de même qu’Emmanuel Levinas et Jean-Marie Lustiger. Il s’agit de quatre personnalités que l’auteur a pu connaître, voire côtoyer. Mais, outre ces témoignages, B. C. rassemble des études historiques d’allure plus académique, sur la correspondance entre Charles Journet et Jacques Maritain (chapitre 5), et sur les entrevues, à Aix-en-Provence, entre Jules Isaac, Maurice Blondel et Léon Brunschvicg (chapitre 6). Toutes ces sections restent axées sur la thématique de la rencontre entre Juifs et chrétiens ; il n’en va pas de même de la dernière, qui porte sur la tragédie d’Oradour-sur-Glane, où le philosophe catholique Aimé Forest devait perdre une vingtaine de membres de sa famille, dont deux de ses propres enfants (chapitre 7). Cet écrivain n’ayant eu qu’un lien très ténu avec le monde juif (p. 258-259), on perçoit mal les raisons de l’insertion de cette étude dans l’ouvrage. Précisons que tout le matériau de celui-ci a fait l’objet de publications antérieures, même si l’auteur l’a, pour l’occasion, largement retravaillé.

91 On découvrira avec intérêt les commentaires d’Emmanuel Levinas sur l’épisode de l’hospitalité d’Abraham (p. 27-29), les méditations de Colette Kessler sur le Dieu caché (p. 85-87) ou les réactions consternées de Jacques Maritain (mais aussi d’autres écrivains, croyants ou non) devant le « silence » persistant de Pie XII (p. 160-164 et 170-174). Je n’ai relevé pour ma part qu’une minuscule imprécision : la revue Istina s’intitulait à l’origine (de 1934 à 1954) Russie et chrétienté, et c’est plus tard que le centre Istina a vu le jour (p. 55-56).

92 Souhaitons que les témoins ici présentés suscitent de nouvelles vocations pour affronter les questions et défis d’aujourd’hui et de demain dans le domaine du dialogue entre Juifs et chrétiens.

93 L’un des derniers ouvrages publiés par le regretté Émile Poulat [É. P.] concerne directement le thème de ce bulletin  [20]. Comme l’indique l’auteur dans son avant-propos, il ne s’agit aucunement d’une étude élaborée, mais de « quelques textes […] rassemblés » (p. 7), rédigés par un honnête homme, qui se présente lui-même modestement : « Je ne suis pas spécialiste du sujet qui occupe cet ouvrage, les relations judéo-chrétiennes dans notre société » (ibid.). C’est dire que le lien pourra sembler assez lâche entre ces différentes études, qui gravitent autour du sujet central plutôt que de le scruter de façon méthodique. Ajoutons que certaines portent des traces d’oralité, sans doute parce qu’elles proviennent de « participation à des colloques », les autres reprenant des « publications dans des périodiques » (ibid.) – mais l’auteur ne donne pas plus de détails à ce sujet.

94 Cela dit, É. P., en observateur éclairé et attentif, nous offre un recueil de réflexions souvent pertinentes et suggestives. Je relève pour ma part, au fil des pages, de précieuses notations sur les « silences » de Pie XII (p. 62-64) ; sur l’action des fidèles catholiques en faveur des Juifs sous l’Occupation : « Bilan négatif dans le domaine public […] bilan positif dans le domaine privé » (p. 68) ; sur la déclaration de repentance lue à Drancy (p. 73-75) ; ou encore sur l’affaire Touvier (p. 101-105).

95 Tout cet ensemble se lit agréablement, nonobstant quelques imperfections formelles, en particulier dans l’orthographe des noms propres. C’est ainsi que l’on voit apparaître un « Karl Jasers » (p. 33, n. 2 – deux fois) ; que Danielle Delmaire devient « Delemaire » (p. 52) ; et que Fadiey Lovsky reçoit le prénom de « Florent » (p. 53, n. 45 et p. 55, n. 50) ; quant à Bernard Suchecky, il devient « Bernard Suckey » (p. 62, n. 8 et p. 115) ! É. P. ayant lui-même rédigé la préface de l’ouvrage de Georges Passelecq et Bernard Suchecky sur l’encyclique « cachée » de Pie XI, il faut sans doute tenir plutôt l’éditeur pour responsable de ces coquilles. Il en va de même de celles qui émaillent les citations latines : « Omnis potes tas a Deo » (sic, p. 20) ; « verus Israël » (p. 54 – mais corrigé en « verus Israel » dans la n. 49, ibid.) ; ou encore l’encyclique « Divino efflante » (sic pour « afflante », p. 64).

96 En annexe (p. 111), l’auteur donne un intéressant tableau statistique des « Justes des nations » par pays – établi en 2012.

97 On s’accorde à penser que le pontificat de Jean-Paul II a marqué un approfondissement et un développement des relations entre l’Église catholique et le judaïsme, dans la ligne du § 4 de la Déclaration conciliaire Nostra Aetate. Jean Stern [J. S.] se propose de présenter ce domaine de la pensée et de l’action du pape polonais  [21].

98 Il s’acquitte de cette tâche consciencieusement, en s’appuyant sur un corpus textuel assez étendu : celui des discours, déclarations et autres interventions de Jean-Paul II. On ne voit pas très bien pourquoi il fournit à ce sujet deux listes, l’une des « Discours et autres documents de Jean-Paul II cités » (p. 15-19), l’autre des « Interventions de Jean-Paul II sur Israël et le Judaïsme » (p. 307-317) – mais à vrai dire ce n’est pas la seule anomalie de composition de son ouvrage.

99 Celui-ci comporte trois sections : une première consacrée au « mystère d’Israël » ; une « seconde » (sic) sur « Jérusalem et la paix » ; et une troisième intitulée « un mystère contesté ». Je reviendrai sur le contenu de ce qui constitue ainsi le corps de l’ouvrage, mais il faut tout de suite signaler que celui-ci se prolonge : voici d’abord un « appendice » qui reproduit le texte d’une conférence donnée par l’auteur (« Jean-Paul II face à l’antijudaïsme ») et déjà publiée dans un volume d’Actes. On trouve ensuite une série de « textes », d’abord de Jean-Paul II lui-même, puis du magistère romain (les « Notes romaines » de 1985 et le texte sur la Shoah « Nous nous souvenons », daté de 1998). Vient ensuite une « conclusion », elle-même suivie par deux « annexes » : « Israël et l’Église dans l’exégèse de saint Grégoire le Grand » et « Marie et son peuple dans la liturgie romaine actuelle » (il s’agit de deux autres conférences de l’auteur, elles aussi déjà publiées ailleurs). Le lecteur reste bien perplexe devant cet ensemble de pièces, dont certaines répètent ce qu’il a lu dans le livre, tandis que d’autres paraissent quasiment hors sujet.

100 À vrai dire, cet aspect quelque peu hétéroclite concerne aussi les trois sections de l’ouvrage proprement dit – lesquelles, du fait de toutes ces adjonctions, ne remplissent qu’une moitié du volume ! S’il fallait en dégager une ligne de force, on pourrait proposer ceci : selon J. S., les positions de Jean-Paul II (ou plutôt de « saint Jean Paul II », comme il l’appelle dans les sections rédigées depuis la canonisation), pour « révolutionnaires » qu’elles aient pu paraître, s’inscrivent dans la tradition catholique la plus authentique. Il l’annonce dès l’introduction : « On prêtera attention, en particulier, à la cohérence entre ses enseignements [ceux de Jean-Paul II] et l’enseignement général de l’Église » (p. 28). Mais cette thèse fondamentale (elle-même, en réalité, fort discutable) se déploie en intégrant un bon nombre de digressions. Il faut une certaine bonne volonté pour suivre l’auteur dans les méandres de son propos, d’autant plus que son expression paraît parfois embarrassée, voire confuse, par exemple sur la question des religions non chrétiennes (p. 83-87). Ajoutons que le remploi de textes déjà publiés s’observe aussi dans cette première grande partie (ainsi le chapitre 10, « Marcionisme, néo-marcionisme et Tradition de l’Église », reprend un article paru dans la Revue thomiste).

101 Le missionnaire de Notre-Dame de La Salette professe lui-même une théologie on ne peut plus classique, non dépourvue d’arrière-pensées apologétiques (voir par exemple ses remarques sur le péché originel, p. 130-132). Mais on éprouve çà et là quelque peine à le suivre, ainsi lorsqu’il assène : « Notons simplement que dans une perspective de théologie catholique, qui prend très au sérieux le don accordé par Dieu aux hommes de pouvoir apporter leur contribution à l’œuvre du salut, il faut considérer Abraham comme quelqu’un ayant existé réellement » (p. 38). Cette logique fondamentaliste concerne-t-elle aussi Adam et Ève ? L’auteur, qui cite volontiers le Catéchisme de l’Église catholique, répondrait peut-être par l’affirmative.

102 Hormis quelques noms propres écorchés au passage (« Bernard de Margerie » p. 39, n. 16 ; « Jean Mayendorff » p. 82, n. 20 ; ou « Paul Bauchamp » p. 83, n. 23), l’ouvrage se distingue par une typographie soignée. Mais on aurait aimé qu’à la qualité de la forme corresponde celle du fond.

103 On a recensé ici même  [22] les deux premiers volumes d’une collection qui reprend des articles jugés importants parus dans la revue Sens. Le troisième voit à son tour le jour  [23]. Les diverses contributions s’y trouvent regroupées en quatre sections : « Qu’est-ce qu’être pharisien ? » ; « L’apport des études juives » ; « L’enracinement dans la tradition » ; « Pour lire le Nouveau testament ». Cet ensemble pourrait se résumer dans la formule de D. Fischer : « Alors que, jusqu’ici, on a lu l’Ancien testament à la lumière du Christ, il faudrait maintenant lire le Christ à la lumière du judaïsme » (p. 91).

104 Cette fois encore, je m’abstiendrai de présenter en détail ces articles parfois anciens, me bornant à souligner quelques apports particulièrement remarquables signés par K. Hruby (« Les Pharisiens, gardiens de l’Écriture », p. 55-65), R. Fontana (« Sinaï et Sion à la lumière du Talmud Torah », p. 125-143), E. Zenger (« “Comme j’aime ta Torah !” La signification de la Loi juive pour le christianisme », p.187-214) ou encore M. Remaud (« Pour lire le Nouveau testament, faut-il être juif ? », p.269-280). Signalons que l’on reproduit ici un article de M. De Goedt intitulé « L’Ancien Testament et le Nouveau Testament, deux ensembles homogènes d’Écritures ? », paru dans la revue en 2010, soit peu après la mort de l’auteur.

105 Les titres des trois volumes parus à ce jour dans la collection (« Juifs et chrétiens, pourquoi nous rencontrer ? » ; « Juifs et chrétiens, pour approfondir le dialogue » ; « Chrétiens, à l’écoute de la tradition d’Israël ») composent, de façon sans doute non voulue, un méta-texte qui sonne comme une déclaration programmatique : « Juifs et chrétiens, pourquoi nous rencontrer ? Pour approfondir le dialogue à la lumière de la tradition d’Israël ». L’ensemble du florilège honore parfaitement cette visée.

106 On saura gré aux Éditions du Carmel de poursuivre leur publication des articles de Michel De Goedt [M. D. G.]. Après un volume consacré à Thérèse d’Avila, voici les textes portant sur le judaïsme et les relations entre Juifs et chrétiens  [24].

107 Après un avant-propos du carme Didier-Marie Golay, artisan de cette compilation, et une « présentation » du frère de Sion Pierre Lenhardt, viennent les cinq sections dans lesquelles ont été répartis les écrits de M. D. G.

108 À vrai dire, la première (« Une attention au peuple juif ») donne écho aux interventions de diverses personnalités (P. Thibaud, J. Dujardin, G. Bernheim) lors de sa réception du prix de l’AJCF en 2005. Les titres des quatre autres (« En scrutant les Écritures », « Réflexions théologiques », « Autour de la Shoah : le balbutiement d’une parole » ; « La douloureuse question du Carmel d’Auschwitz ») en indiquent assez bien le contenu –nonobstant quelques inévitables approximations. Ainsi, l’article intitulé « Notes sur la traduction du Nouveau testament en hébreu » aurait pu figurer dans la deuxième partie plutôt qu’en annexe (p. 305-311), et celui qui a pour titre « Terre d’Israël, terre des Palestiniens » (p. 115-123) ne contient guère de « réflexions théologiques » stricto sensu. Le responsable de la publication s’explique sur ces difficultés dans son avant-propos. Il y déclare opter pour la graphie « hébraophone », alors qu’on écrit généralement « hébréophone ». Puisque Gilles Bernheim me fait l’honneur de citer mon nom, je signale au passage que c’est à la p. 35, et non à la p. 5, comme l’indique par erreur l’ « Index des personnes citées » (p. 325). Pour en finir avec ce genre de remarques, je relève que des caractères non latins apparaissent sous forme de petits carrés (p. 70, n. 3).

109 Mais c’est avec beaucoup d’intérêt, et parfois d’émotion, que l’on parcourt ce magnifique recueil. Une autre annexe (p. 313-317) nous le révèle : il se compose d’une trentaine d’articles publiés entre 1958 et 2010 (mais parfois, il est vrai, dans des bulletins confidentiels) et de six inédits. Dans la première catégorie, on retrouvera avec bonheur les « grands » textes de l’auteur, notamment « La véritable “question juive” pour les chrétiens : celle qui les met eux-mêmes en question » (p. 155-172) et « Penser la théologie de la rédemption après Auschwitz » (p. 199-220), tous deux parus initialement dans une brochure du Centre chrétien pour l’étude du judaïsme (Lyon) puis dans la revue Sens. On y trouve également « L’Ancien testament et le Nouveau testament : deux ensembles homogènes d’Écritures ? » (p. 59-68) que je viens de signaler dans la recension précédente, et qui se trouve donc republié deux fois, de façon quasi simultanée. On notera quelques points d’insistance de l’auteur, par exemple sur les chapitres 9 à 11 de l’épître aux Romains – et ce dès 1958 (p. 69-88), ou sur la question du carmel d’Auschwitz, qui occupe une section entière de l’ouvrage. Parmi les textes inédits, on découvre justement une magnifique « Lettre ouverte aux sœurs carmélites du monastère en cours de fondation à Auschwitz » (p. 301) qui n’a malheureusement jamais, semble-t-il, été « ouverte » !

110 De tempérament ombrageux, voire tourmenté – ce qui ne facilitait pas toujours la communication – M. D. G. révèle dans ses écrits une face lumineuse, pour ne pas dire éblouissante. On ne peut que multiplier sur ce point les éloges, en soulignant la finesse de ses analyses, la justesse de ses jugements, la profondeur de ses réflexions – pour ne rien dire de l’élégance raffinée de son écriture. Nul doute que ce recueil posthume fera date, et que les personnes sensibilisées à ces thématiques y auront fréquemment recours  [25].

111 Ce sont les Actes d’une journée d’études à l’Université d’Artois, impulsée et coordonnée par Olivier Rota, qui font l’objet de ce petit volume  [26]. Dans son « introduction » (p. 11-20) comme dans son « épilogue » (p. 165-168) et l’une de ses deux contributions (« Séparer histoire et théologie des relations judéo-chrétiennes pour mieux les éclairer l’une l’autre ? » p. 149-163), O. Rota martèle sa conviction : le nouveau paradigme qui s’impose aujourd’hui aux historiens en ce qui concerne la naissance du christianisme (différenciation progressive d’avec le pharisianisme, ces deux entités émanant de la même nébuleuse constituée par le judaïsme de l’époque du second Temple) impose de repenser radicalement la théologie des relations judéo-chrétiennes, et interdit notamment toute théologie de la substitution. Divers auteurs adoptent ce point de vue, comme M. Rastoin (« Israël et l’Église aux premiers siècles de notre ère : un nouveau paradigme de la recherche historienne ? » p. 21-36), et dans une moindre mesure P. Loiseau (« Influence des connaissances historiques sur la pratique de l’exégèse et de la théologie chrétienne actuelles » p. 73-103) et M.-H. Robert (« Un schisme initial entre la Synagogue et l’Église ? Des implications œcuméniques » p. 127-147), de sorte que, pour une part, l’ouvrage prend l’allure de la défense d’une thèse. Mais d’autres contributeurs élargissent la perspective en s’attachant à des points historiques précis. C’est le cas de M. Soussen (« Connaissance et utilisation de l’autre dans la polémique judéo-chrétienne à la fin du Moyen Âge », p. 37-53), d’Y. Chevalier (« Jules Isaac : l’enquête historique au service d’une nouvelle théologie chrétienne ? », p. 55-72), de J. Dujardin (« Évolution du dialogue entre Juifs et catholiques », p. 105-114) et d’O. Rota lui-même, qui signe ainsi une nouvelle étude (« Autour d’Edmond Fleg et de Jean Daniélou – Espérance et messianisme dans la relation judéo-chrétienne contemporaine », p. 115-126).

112 Cet ensemble, il faut l’avouer, reflète une certaine disparate. Le lien entre les divers exposés reste assez lâche, même si chacun des spécialistes traite son sujet avec la compétence qu’on lui connaît. Soulignons à cet égard la pertinence des questions que pose M.-H. Robert, dont le propos prolonge et approfondit les réflexions pionnières du regretté F. Lovsky.

113 D’une présentation agréable et d’une élaboration soignée (signalons tout de même que Hugues Cousin devient « Henri Cousin » à la p. 81), l’ouvrage illustre bien l’actuelle réflexion sur les relations entre Juifs et chrétiens – même s’il n’y apporte rien de vraiment nouveau.

114 « Un livre comme celui-là constitue une expression concrète et réussie de ce que peut devenir un dialogue authentique entre juifs et chrétiens », écrit le préfacier de ce petit ouvrage [27] (p. 8). Las ! Lecture faite, il s’avère impossible de partager son enthousiasme. 

115 Présentée comme « philosophe et théologienne » (p. 4 de couverture), Marie-Hélène du Parc Locmaria a publié essentiellement sur Etty Hillesum ; Élisabeth Smadja, juive devenue chrétienne, a quant à elle relaté dans plusieurs livres son itinéraire spirituel. Il ne s’agit donc pas d’un « dialogue authentique entre juifs et chrétiens », mais d’un ouvrage écrit par deux chrétiennes.

116 En outre, en fait de « dialogue », le texte se présente de façon suivie, sans que l’on puisse savoir ce qui émane de l’une ou de l’autre des deux auteures. Il se divise en sept chapitres dont les titres (« La Torah dévoilée », « L’Alliance », « Le Messie d’Israël », « Au nom du Père », « Au nom du Fils », « Au nom du Saint-Esprit », « Le signe de croix »), n’indiquent que très approximativement le contenu. Comme l’annoncent d’emblée les auteures : « Notre propos ne se voudra pas “scientifique” et notre méthode sera de ne pas en avoir » (p. 15). Il faut reconnaître que, sur ce point au moins, elles tiennent leurs promesses.

117 De fait, le texte procède par enchaînement d’affirmations aussi péremptoires que discutables, selon une « logique » associative parfaitement arbitraire. Donnons-en quelques échantillons :

118 « L’être humain doit se laisser pénétrer par le Verbe de Dieu afin qu’Il travaille notre matière, qui se dit en hébreu homer (mot qui peut être lu hamor qui signifie « âne », ce qui peut rappeler la monture du Messie) jusqu’à ce qu’elle devienne une forme, en hébreu tsoura, ou réceptacle, afin que Dieu puisse se déverser en l’homme tel un torrent, selon le mot du Christ que sainte Catherine de Sienne relate dans ses dialogues mystiques : “Fais-toi capacité, je me ferai torrent” » (p. 42).

119 « Dieu fait descendre sur l’Adam une torpeur, prend une de ses côtes en hébreu tséla qui signifie “côte” et “côté”, l’érige en femme et la lui présente. L’homme s’exclame : “Cette fois-ci, c’est un os de mes os, la chair de ma chair”. Le mot hébreu etsem traduit par “os” signifie aussi “essence” et bassar qui signifie “chair” et qui lu bessor prend le sens d’“annonce”. Dans le mot tsela ou “côté” on peut lire le mot tsel qui signifie “ombre”. Cette part d’ombre est à pénétrer en faisant œuvre mâle, en hébreu zahar, afin de nous “souvenir”, en hébreu zahor, le même mot mais vocalisé différemment, de quoi est fait l’être humain et du germe divin qu’il porte » (p. 44-45).

120 On revient d’ailleurs là-dessus dans un autre chapitre :

121 « Bassar, c’est-à-dire BSHR [sic]. En permutant les lettres on obtient chevar qui signifie brisé. Un cœur de chair c’est un cœur brisé. Bassar lu bessor signifie “annonce”. Un cœur de chair c’est un cœur dont l’annonce, c’est-à-dire la parole, est brisée, coupée pour être interprétée et comprise différemment. Cette brisure renvoie à Moïse brisant les Tables de pierre où étaient gravées les Dix paroles (Dix commandements) peut-être pour que l’homme ne se condamne pas lui-même par une compréhension rigide de la loi, afin qu’il y ait place pour la miséricorde divine. Saint Jean affirme dans son prologue que « le Verbe s’est fait chair ». Le Verbe s’est fait annonce incarnée et brisée, corps du Christ, pain rompu pour nourrir et racheter l’humanité blessée, par la propagation de la Bessora Tova, la Bonne Nouvelle (l’Évangile) de la proximité du Règne de Dieu » (p. 62-63).

122 « Dès lors, le travail de l’humain ressourcé en Dieu est de révéler la lumière que contient ce qui ne l’est pas encore [?]. Le mot ra qui signifie “mal”, si on le vocalise réa signifie “ami” ou “prochain”. Il y a donc dans les lettres qui composent ce mot un potentiel d’amitié et d’intimité qui est à dévoiler en toutes choses. En permutant le mot ra on peut lire er qui signifie “éveil”. Ce mot est composé de deux lettres aïn qui signifie “l’œil et la source”, et réch qui signifie la “tête”. Ce qui pourrait se comprendre comme le fait d’inciter à changer de regard en permutant l’angle de vision » (p. 86).

123 Mise à rude épreuve par cette logorrhée qui charrie, en vrac, des notations vaguement kabbalistiques, des affirmations inspirées par le catholicisme le plus traditionnel et des préceptes d’une piété éculée, la patience du lecteur atteint vite ses limites. Et ce d’autant plus que l’ouvrage, pour ne rien dire des fautes d’orthographe qui le parsèment, fourmille d’erreurs parfois grossières. Ici encore, je me bornerai à quelques exemples. On affirme ainsi que les Massorètes ont travaillé « dans la seconde moitié du premier millénaire avant notre ère » (p. 19) ; qu’il y a eu « des traductions de la Torah, appelés [sic] targumim, dans les langues vernaculaires, grecques [sic] ou araméennes » (p. 32) ; ou encore que « l’Église a solennellement renoncé à son antijudaïsme » comme « les papes continuent de le rappeler depuis 1945 » (p. 69 : on aimerait savoir à quel texte… de Pie XII il est ainsi fait référence !).

124 Pour comble, les références bibliques ne sont pas mieux traitées. Un verset de la première épître de Jean est attribué à l’évangile de cet auteur (p. 56) ; une sentence d’allure patristique, « Le Christ a revêtu notre humanité pour que nous revêtions sa divinité » provient, nous dit-on, de Galates 3, 37 (p. 82) – assertion d’autant plus problématique que le chapitre 3 de cette épître ne compte que vingt-neuf versets ; on tire de l’épître aux Hébreux (d’ailleurs attribuée froidement à saint Paul, p. 102) que « les apôtres ont à leur tour communiqué aux néophytes le don de l’Esprit qui porte à son achèvement la grâce du baptême » (p. 122) : je ne vois pas en quoi le verset ici allégué (He 6, 2 qui évoque « les articles fondamentaux de l’instruction sur les baptêmes et de l’imposition des mains, de la résurrection des morts et du jugement éternel ») autorise de tels développements ; de la même façon, Is 26, 18 (« Nous avons conçu, nous avons souffert, mais c’était pour enfanter du vent : nous n’avons pas donné le salut à la terre, il ne naît pas d’habitants au monde ») est « cité » sous la forme suivante : « la mort sera un jour bannie à perpétuité et l’Éternel essuiera les larmes de tous les visages et les morts ressusciteront » (p. 135) ! Enfin, je ne comprends pas à quel « texte hébreu » du Notre Père il est fait référence (p. 84).

125 Devant un tel salmigondis, le lecteur passe de l’amusement à l’accablement. Je pense pour ma part qu’il faut dénoncer ce genre d’entreprises, car loin de servir le dialogue entre Juifs et chrétiens, elles favorisent un véritable syncrétisme, et aboutissent à la confusion la plus totale.

126 Pour terminer ce bulletin sur une note plus positive, je rends volontiers compte de deux livres qui, pour atypiques qu’ils soient l’un et l’autre, n’en respirent pas moins un incontestable enthousiasme.

127 Voici d’abord le témoignage d’une Juive convertie qui a eu un certain retentissement du fait de la notoriété de l’auteure – ou plutôt de celle de son frère Bernard-Henri  [28]. Véronique Lévy publie au sujet de sa conversion un livre inclassable, qui mêle les « confessions d’un(e) enfant du siècle » à des « fragments d’un discours amoureux », dans un flux verbal torrentiel qui laisse le lecteur quelque peu pantois. La préface de l’évêque auxiliaire de Paris laisse affleurer cette perplexité : « Le lecteur pourra donc très vite être étonné, voire troublé, par ce texte, et chercher à s’en protéger… » (p. 7) ; « Ensuite, l’itinéraire de Véronique Lévy est fait de réflexions, mais plus encore de rencontres, de songes et d’intuitions. Le lecteur peut en être surpris » (p. 9) ; et encore : « le lecteur doit accepter ce qui lui est livré justement et la manière dont Véronique le transcrit dans une poésie vive, charnelle, pleine d’émotion sans doute mais pas de sentimentalité » (ibid.) ; et enfin : « Et en tout cas, qui voudra bien lire ce livre y découvrira un itinéraire réel » (p. 10).

128 Voilà donc « le lecteur » prévenu !

129 Il se trouve de fait, ce lecteur, au bord du cratère d’un volcan en pleine éruption. Sur le fond sonore d’un Cantique des cantiques d’un nouveau style (dialogue haletant entre l’auteure et son Seigneur), il se dégage de ce magma incandescent des souvenirs familiaux, personnels voire intimes, des évocations de nuits blanches et de beuveries, d’amours et de flirts, voire de coucheries, des bribes de conversations, des récits de rêves, des citations de la Bible ou d’auteurs mystiques, des pensées et réflexions, et bien d’autres choses... Plus de trois cent pages de ce style (et encore l’éditeur a-t-il imprimé de très nombreux passages en petits caractères !) ont de quoi décourager les meilleures volontés.

130 Tentons de retracer l’« itinéraire réel » qu’évoque le préfacier. Il est scandé par divers événements familiaux : l’accident de voiture du troisième membre de la fratrie, Philippe ; la mort du père ; celle de la mère ; la tentative de suicide de Philippe, qui survient juste avant la mort de Pierre-Marie Delfieux.

131 C’est en effet dans le cadre des Fraternités de Jérusalem, et notamment de l’église Saint Gervais, à Paris, que Véronique Lévy a trouvé sa nouvelle voie. L’évocation de son baptême, durant la vigile pascale de 2012, se trouve vers la fin de l’ouvrage (p. 243-250). Bernard-Henri s’y est rendu, mais on ne peut dire qu’il ait approuvé sans réserves la décision de sa cadette !

132 Issue d’une famille juive totalement assimilée, l’auteure avoue : « À mon arrivée à Saint Gervais, le judaïsme pour moi était le grand inconnu. Un blanc, une zone mystérieuse, une douleur sans racine et sans sens, car j’ignorais tout du Dieu de la Première Alliance » (p. 168). Deux rabbins sont cependant apparus à l’occasion du décès de son père : des rabbins plutôt libéraux semble-t-il, puisqu’ils répondent au téléphone et sonnent à la porte le jour du shabbat et qu’ils chantent les psaumes en hébreu, mais aussi en français (p. 46-49). Dans une certaine mesure, Véronique Lévy va redécouvrir ses racines à mesure qu’elle devient chrétienne. « Je suis devenue catholique parce que je suis juive » (p. 210). Soit, mais pourquoi ces évocations caricaturales des Juifs du temps de Jésus, voire de ceux d’aujourd’hui (p. 203-210) ? Pourquoi reprendre à son compte le mot « déicide » (p. 200) ? Y aurait-il là des échos des catéchèses reçues ?

133 Certes, il serait vain d’attendre de l’auteure un propos théologique de haut niveau. Passons sur l’étymologie de son prénom (« vraie icône » : voir p. 16), qui pour être couramment admise n’en reste pas moins problématique : si cet hybride latin-grec était imaginable, il donnerait quelque chose comme « Véricone » au lieu de « Véronique ». Dans le même ordre d’idées, les pieuses spéculations sur le Saint-Suaire et autres tissus paraîtront peu convaincantes (p. 218-220). De façon générale, la piété catholique de l’auteure semblera çà et là d’un goût douteux : « Je me shoote à Toi, Seigneur, sous perfusion Eucharistique, à Toi, mon goutte à goutte. Dans le Saint Sacrement, Ton Visage se dessine et se lève. Ton Cœur bat dans la lueur secrète de cette résurrection, / mon cœur / bat / de Ton Cœur, / et je m’anéantis en Toi… / mon tombeau, Ta Croix, mon berceau… Ta Croix, mon nid… à la croisée du temps » (p. 326-327).

134 Fort heureusement, le texte comporte aussi de véritables perles : « Ce désir du baptême est la soif d’un Amour embrassant la mort, la vidant de son néant, la traversant de Son germe, la submergeant de Son éternité. Mais le chemin est incertain ; je Te cherche mon Dieu et je m’égare dans les prismes d’une étoile brisée » (p. 90).

135 Frank Lalou a choisi pour sa part un titre qui pourrait induire en erreur  [29] : il ne s’agit en aucune façon de raconter la vie du Nazaréen en usurpant son identité, mais d’évoquer la place qu’occupe cette figure dans la vie de l’auteur lui-même : « Se poser la question de “Qui est Jésus ?” revient toujours au “Qui suis-je ?” » (p. 117).

136 Or donc, qui est Frank Lalou ? Connu du grand public pour son travail artistique (calligraphie hébraïque), il émane d’une famille juive modérément observante, et surtout peu éclairée (l’auteur en donne une savoureuse évocation aux p. 34-36). Le jeune Frank pour sa part éprouve très tôt une véritable fascination, qui reste clandestine, pour Jésus. Cet attrait passe par des chemins quelque peu transversaux : le coup de foudre pour la Passion selon saint Matthieu de Bach, la fréquentation d’une communauté de l’Arche de Lanza del Vasto, puis la lecture de l’évangile de Thomas ! L’évocation de ces étapes occupe la première partie du livre (« La rencontre improbable »), tandis que la deuxième (« Parler de Jésus pour ne parler que de soi ») compile pêle-mêle réflexions théologiques, fragments autobiographiques, commentaires de passages bibliques et autres spéculations mystico-scientifiques.

137 Outre telle ou telle coquille qui relève de la faute d’inattention (Philon d’Alexandrie aurait vécu de l’an -12 à l’an -5 : p. 119), le style de l’auteur, qui multiplie les raccourcis, paradoxes et autres formules à l’emporte-pièce agacera sans doute certains lecteurs. Mais l’ouvrage, comme celui de Véronique Lévy recensé ci-dessus, contient de suggestives intuitions : sur la parenté profonde entre les traditions juive et chrétienne (p. 66-70), sur le Dieu créateur comme « poète » (p. 86-92), sur la ressemblance entre la forme du crucifix et l’arbre des sefirot (p. 117-125), etc. Surtout, il laisse entendre l’intensité d’une relation personnelle entre un artiste juif d’aujourd’hui et le fondateur du christianisme – juif lui aussi : « Je livre ici près de quarante années d’un combat corps à corps avec ce personnage nommé Jésus » (p. 13). À vrai dire, c’est la figure symbolique de Jésus qui intéresse Lalou plus que sa personne historique. De même que les bouddhistes parlent de « bouddhéité », il souhaiterait parler de « jésuité » (p. 164-166) : on pourrait lui faire observer que précisément les chrétiens, comme leur nom l’indique, revendiquent quelque chose comme une « christité » ! Et ce Christ ne s’identifie-t-il pas au Jésus que l’auteur propose pour sa part : « Le Jésus dont je parle tout au long de ce livre, il est tellement difficile de se faire comprendre quand tout le monde pense avoir déjà compris à peine prononce-t-on ce vocable, n’a pas revêtu sa panoplie complète du parfait petit Jésus. Mon Jésus est cette forteresse inviolable. Cet espace de paix suscitable [sic] en tout lieu et en tout temps. Mon Jésus, c’est l’homme à venir » (p. 205) ?

Notes

  • [1]
    Voir Rev. Sc. ph. th. 86 (2002), p. 129-131.
  • [2]
    Les Judaïsmes dans tous leurs états aux ier-iiie siècles – Les Judéens des synagogues, les chrétiens et les rabbins, Actes du colloque de Lausanne, 12-14 décembre 2012 (ouvrage collectif, sous la direction de C. Clivaz, S. C. Mimouni et B. Pouderon), Turnhout, Brepols (coll. « Judaïsme ancien et origines du christianisme » 5), 2015 ; 15,5 × 23, 460 p., 95 €. ISBN : 978-2-503-55465-5.
  • [3]
    Ainsi, dans le domaine de la sociologie religieuse, d’aucuns évoquent désormais « les catholicismes ». À ce compte, toute tradition religieuse va finir par apparaître comme « poly-plurielle », selon le néologisme que l’épître aux Éphésiens applique… à la Sagesse divine (gr. polypoïkilos : voir Ep 3, 10) !
  • [4]
    J. Martin-Bagnaudez, Pour les Juifs, qui est Jésus ? Le Jésus historique vu par les historiens juifs, Paris, Salvator, 2014 ; 14 × 21, 240 p., 21 €. ISBN : 978-2-7067-1155-8.
  • [5]
    Voir Rev. Sc. ph. th. 96 (2012), p. 124-126.
  • [6]
    R. Draï, Inri – Le procès de Jésus, Paris, Éd. Hermann, 2014 ; 14 × 21, 140 p., 18 €. ISBN : 978-2-7056-8888-2.
  • [7]
    Je signale notamment le remarquable volume qui ouvre la collection, celui de Régis Burnet : Les Douze apôtres – Histoire de la réception des figures apostoliques dans le christianisme ancien, Turnhout, Brepols, 2014, même s’il n’entre pas dans le cadre du présent bulletin.
  • [8]
    T. Murcia, Jésus dans le Talmud et la littérature rabbinique ancienne, Turnhout, Brepols (coll. « Judaïsme ancien et origines du christianisme » 2), 2014 ; 15,5 × 23, 812 p., 120 €. ISBN : 978-2-503-55215-6.
  • [9]
    J. Neusner, Aphrahat and Judaism – The Christian-Jewish Argument in Fourth-Century Iran, Leyde, Brill, 1971.
  • [10]
    E. Lizorkin, Aphrahat’s Demonstrations – A Conversation with the Jews of Mesopotamia, Louvain, Peeters (coll. « C.S.C.O., 642 – subsidia » 129), 2012 ; 16 × 24, XVI + 176 p., 70 €. ISBN : 978-90-429-2574-8.
  • [11]
    Les Dialogues aduersus Iudaeos – Permanences et mutations d’une tradition polémique – Actes du colloque international organisé les 7 et 8 décembre 2011 à l’université de Paris-Sorbonne (ouvrage collectif, sous la direction de S. Morlet, O. Munnich et B. Pouderon), Paris, Institut d’études augustiniennes (coll. « Études augustiniennes, série Antiquité » 196), 2013 ; 16 × 24,5, 440 p., 46 €. ISBN : 978-2-85121-263-4.
  • [12]
    I. Aulisa, Les Juifs dans les récits chrétiens du Haut Moyen Âge (préface d’A. Vauchez), Paris, CNRS Éditions, 2015 ; 15 × 23, 360 p., 25 €. ISBN : 978-2-271-08224-4.
  • [13]
    Dominikaner und Juden / Dominicans and Jews – Personen, Konflikte und Perspektiven von 13. bis zum 20. Jahrhundert / Personalities, Conflicts and Perspectives from the 13th to the 20th Century (ouvrage collectif, sous la direction de E. H. Füllenbach & G. Miletto), Berlin, De Gruyter (coll. « Quellen und Forschungen zur Geschichte des Dominikanerordens » 14), 2015 ; 18 × 24,5, l + 548 p., 109, 95 €. ISBN : 978-3-05-004515-3.
  • [14]
    M. Rastoin, Du même sang que Notre Seigneur – Juifs et jésuites aux débuts de la Compagnie de Jésus (préface de P. Gibert), Paris, Bayard, 2011 ; 14,5 × 19, 312 p., 21 €. ISBN : 978-2-227-48259-3.
  • [15]
    À vrai dire, l’abolition des mesures discriminatoires concernant les convertis du judaïsme a été chez les dominicains plus tardive encore : en 1969, comme nous l’apprend l’ouvrage recensé ci-dessus ! Voir Dominikaner und Juden, op. cit., p. 487, n. 43.
  • [16]
    Y. Hirsch, Rester juif ? Les convertis face à l’universel, Paris, éd. Perrin, 2014 ; 14 × 21, 372 p., 22,90 €. ISBN : 978-2-262-03666-9.
  • [17]
    F. Gugelot, La Conversion des intellectuels au catholicisme en France (1885-1935), Paris, CNRS Éditions, 2010.
  • [18]
    F. Ayliès, Les Convertis – Israël Zolli et Donato Manduzio ou l’histoire des conversions inattendues du grand rabbin de Rome et d’un paysan des Pouilles dans l’Italie fasciste, Paris, JC Lattès, 2013 ; 13 × 20,5, 296 p., 18 €. ISBN : 978-2-7096-3821-0.
  • [19]
    B. Charmet, Juifs et chrétiens partenaires de l’unique Alliance – Témoins et passeurs (préface de Marguerite Léna), Paris, Parole et Silence, 2015 ; 15 × 23,5, 292 p., 25 €. ISBN : 978-2-88918-514-6.
  • [20]
    É. Poulat, Les Juifs, l’Église et la Shoah, Paris, Berg International, 2013 ; 16 × 24, 128 p., 14 €. ISBN : 978-2-917191-68-2.
  • [21]
    J. Stern, Jean-Paul II et le mystère d’Israël, Paris, Parole et Silence, 2014 ;
    15 × 23,5, 324 p., 27 €. ISBN : 978-2-88918-423-3.
  • [22]
    Voir Rev. Sc. ph. th. 98 (2014), p. 147-148.
  • [23]
    Chrétiens, à l’écoute de la tradition d’Israël (ouvrage collectif, sous la direction de J. Beau, B. Charmet & Y. Chevalier – Préface de P. Lenhardt), Paris, Parole et Silence, 2014 ; 13,8 × 21, 288 p., 20 €. ISBN : 978-2-88918-355-5.
  • [24]
    M. De Goedt, L’Alliance irrévocableÉcrits sur le judaïsme, Toulouse, Éd. du Carmel (coll. « Recherches carmélitaines »), 2015 ; 15 × 21,5, 336 p., 26,50 €. ISBN : 978-2-84713-318-9.
  • [25]
    Un troisième volume des écrits de Michel De Goedt semble annoncé (p. 166, n. 15), mais il ne concernera pas nécessairement le sujet de ce bulletin.
  • [26]
    Histoire et théologie des relations judéo-chrétiennes : un éclairage croisé (ouvrage collectif, sous la direction d’O. Rota, préface de M. Hadas-Lebel), Paris, Parole et Silence, 2014 ; 15 × 23,5, 176 p., 20 €. ISBN : 978-2-88918-390-6.
  • [27]
    É. Smadja et M.-H. du Parc Locmaria, Aux sources hébraïques de la foi chrétienne (préface de R. Tremblay), Paris, Salvator, 2014 ; 14 × 21, 160 p., 20 €. ISBN : 978-2-7067-1113-8.
  • [28]
    Véronique Lévy, Montre-moi ton visage (Préface de Mgr de Moulins-Beaufort, Postface de F. Dabezies), Paris, Éd. du Cerf, 2015 ; 15,5 × 24, 338 p., 20 €. ISBN : 978-2-204-10388-1.
  • [29]
    F. Lalou, Autobiographie de Jésus (préface de M. Cazenave), Auxerre, Éd. Entre deux mondes, 2014 ; 14 × 17, 224 p., 18,50 €. ISBN : 978-2-919537-16-7.
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