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Article de revue

La construction d’une problématique de recherche : de l’histoire d’une femme atteinte de sclérose en plaques à une recherche en sciences infirmières dans le domaine de la santé sexuelle

Pages 123 à 143

Notes

  • [1]
    Prénom et nom modifiés.
  • [2]
    Le terme patient est utilisé comme terme générique qui désigne aussi bien les hommes que les femmes lorsque cela concerne les patients atteint de SEP en général. Le terme patiente est utilisé quand il s’agit de la situation singulière de Nathalie Dubois.
  • [3]
    L’infirmière ne travaille plus dans le service, car courant 2002 elle est entrée en formation à l’Institut de formation des cadres de santé. Elle ne dispense plus de soins à Nathalie Dubois. Cependant, il lui arrive de la croiser dans l’hôpital ou d’avoir de ses nouvelles par ses anciennes collègues, cela lui permet de poursuivre le récit de son parcours de soins.
  • [4]
    Le terme infirmière est conservé pour faciliter la lecture.
  • [5]
    Les références 43, 44, 45, 47 sont extraites de la revue de la littérature prise en exemple, illustrant le cas clinque de Nathalie Dubois et synthétisée dans le tableau (Annexe 2).
  • [6]
    L’aidant est très souvent le conjoint, c’est pourquoi la santé sexuelle est importante à interroger.

Introduction

1Chaque recherche a une histoire à double face. L’histoire standardisée selon les normes scientifiques, visible et diffusée dans les publications. L’autre face est l’histoire des prises de conscience, des éléments déclencheurs, du faire, du bricolage, des ajustements et des choix, celle qui se raconte plus rarement ou alors pour illustrer la créativité et la découverte (1,2).

2Cet article propose d’aborder le processus de construction de la problématique de recherche à partir d’un cas clinique rencontré dans l’exercice infirmier et portant sur la prise en charge d’une patiente atteinte de Sclérose en plaques (SEP), Nathalie Dubois [1]. Il présentera une situation concrète après avoir montré le processus général de construction de la problématique. En effet, pour des raisons de clarté de la présentation, le processus de la recherche est classiquement présenté comme une succession linéaire d’étapes. En réalité, il s’agit d’un processus dynamique et interactif avec des ajustements, des adaptations, des reconfigurations, jusqu’à atteindre une certaine stabilisation du but de l’étude et de la méthodologie envisagée. Le point de départ d’une recherche peut avoir diverses origines : une idée, un problème à résoudre, une commande, des résultats scientifiques qui posent question ou soulèvent des débats. La deuxième étape, celle de la problématique, vise à identifier si l’élément du point de départ mérite d’en faire une recherche scientifique et sur quoi cette dernière portera précisément. À ce stade, tout un travail de questionnement, de choix, de justification, d’explicitation, s’opère. Ce sont aussi des renoncements à tout ce qu’on aurait souhaité faire, toutes les questions à explorer et auxquelles il aurait été intéressant de répondre. Cette phase, déterminante dans le processus et l’apprentissage de la recherche, est relativement peu explicitée.

3L’objectif de cet article est de montrer, à l’aide d’un exemple concret issu des soins infirmiers, comment l’analyse d’observations cliniques permet l’élaboration de la problématique de recherche d’un projet puis d’un programme de recherche. Cet article, en s’intéressant à la posture réflexive de l’infirmière et ses suites, relève de la discipline infirmière et se situe dans le paradigme du praticien réflexif. Le cas singulier et le parcours de soins de Nathalie Dubois, associé à la démarche réflexive personnelle et celle partagée en équipe, en font une situation emblématique de la construction évolutive d’une problématique. Dans notre exemple, l’ébauche de la problématique, très succincte, plus proche du développement de contexte a donné lieu à une première étude hypothéticodéductive : « Dépistage précoce et prise en charge paramédicale des difficultés sexuelles dans les maladies du système nerveux : l’exemple de la sclérose en plaques et des tumeurs cérébrales. » Puis l’enrichissement de la problématique par les sciences infirmières et notamment le système conceptuel d’Imogène King a facilité la réalisation de la phase empirique de cette première étude. Elle a permis également une deuxième étude, en cours, plus inductive sur les pratiques infirmières en santé sexuelle auprès des malades atteint de pathologies neurologiques. Ces deux études et d’autres en réflexion, constituent le programme Neurosex et permettent de comprendre que selon l’évolution de la problématique, la question de recherche, la méthodologie et les outils peuvent être différents.

4Cet article fait le récit de l’analyse de la rencontre de trois histoires de vie. La première est axée sur l’histoire personnelle de Nathalie Dubois, patiente atteinte de SEP. La deuxième et la troisième éclairent plus particulièrement l’histoire professionnelle d’une infirmière, devenue cadre de santé puis chercheure, et celle d’une équipe de soins mettant en œuvre un projet de recherche. Au-delà de l’expérience personnelle et de la narration d’une démarche singulière, réinterprétée, il s’agit, d’une part, d’illustrer concrètement, des éléments abstraits de la problématique et son processus de construction et, d’autre part, de transformer cette entreprise réflexive, après l’avoir confrontée aux savoirs théoriques, en informations fiables, communicables et transférables, utile pour l’enseignement de la problématique dans le processus de recherche.

5Dans une première partie nous décrirons le parcours de soins de Nathalie Dubois tel qu’il a été vécu par l’infirmière et par l’équipe en y adjoignant des analyses faites à postériori par l’infirmière devenue chercheure. Puis dans une deuxième partie, après avoir rappelé les étapes et le processus général de la problématique nous expliciterons le passage de l’idée à la problématique et indiquerons comment s’est opérée la transformation depuis la situation de soins jusqu’au programme de recherche. Enfin, nous exposerons les facteurs et les dynamiques facilitant la construction d’une problématique.

Une situation singulière : le parcours de soins de Nathalie Dubois

6L’infirmière devenue chercheure a commencé à travailler dans un service de neurologie où elle a soigné des patients [2] atteints de SEP. Durant les premières années, elle n’a pas véritablement échangé avec eux sur leurs préoccupations en dehors des aspects directement liés à leur pathologie, investigations et traitements médicaux. Infirmière novice, sa préoccupation était d’intégrer les pratiques de sa profession. Après quelques années, elle a pu entendre les confidences des patients, surtout, sur leurs préoccupations, dont leur santé sexuelle. Elle a d’abord écouté sans apporter de réponse, pensant que la sexualité n’était pas une urgence à traiter à l’hôpital. En 2000 Nathalie Dubois est hospitalisée dans le service de neurologie dans lequel elle travaille. C’est la première fois que ces deux femmes se rencontrent, l’infirmière ne sait pas à ce moment-là que cette rencontre suscitera un questionnement évoluant vers un projet de recherche et la découverte des savoirs infirmiers pour orienter la réflexion.

7Les hospitalisations et consultations régulières de Nathalie Dubois, à partir de l’année 2000, constituent des rencontres échelonnées dans le temps. Elles permettent, en même temps que le suivi médical relatif à l’évolution de la maladie, un suivi des évènements de la vie de la personne. Elle peut être décrite en cinq phases. Des éléments complémentaires de compréhension insérés à chacune des étapes éclairent la situation.

Nathalie Dubois jeune, célibataire, indépendante et enthousiaste

8L’infirmière fait la connaissance de Nathalie Dubois, lors de sa première hospitalisation grâce à l’entretien d’accueil s’appuyant sur un questionnaire très administratif de l’établissement. Elle apprend que c’est une aide-soignante âgée de 24 ans, célibataire, qui travaille dans l’établissement. Elle est dynamique, souriante, vie seule, a des activités de loisirs sportives et festives, qu’elle assume financièrement. Elle consulte pour une névrite optique et des paresthésies dans le bras et la main gauche. Elle confie assez spontanément ses peurs : celles des symptômes, qui l’ont contraint à un arrêt maladie, et surtout celles qu’ils perdurent et remettent en question sa vie professionnelle et sociale. Elle apprécie son autonomie physique et psychique. Elle précise : « la liberté de ne dépendre de personne, de faire ce que je veux quand et comme je veux. » Les échanges avec l’équipe soignante sont authentiques et clairs. Durant cette hospitalisation le médecin prescrit des examens complémentaires, tels qu’une Imagerie par résonance magnétique (IRM) et une ponction lombaire. Nathalie Dubois exprime de façon précise la douleur occasionnée par la ponction lombaire qui est un évènement intrusif et nouveau pour son corps. Elle indique qu’elle n’est pas « douillette » et que « son corps en a vu d’autres », notamment lorsqu’elle « arrachait les patates, à 16 ans, pour gagner de l’argent de poche. » Elle dit avoir l’impression « d’être trahie par son corps. » Les troubles de la vision et les paresthésies diminuent ses capacités et ont des effets sur ses rôles sociaux. L’évaluation clinique et les résultats des examens permettent au médecin de poser le diagnostic de SEP de forme rémittente. Lors de la confirmation du diagnostic, le médecin prescrit des corticoïdes afin de traiter la poussée inflammatoire et les symptômes disparaissent, assez rapidement, rassurant Nathalie Dubois quant à son avenir professionnel et social.

9Au-delà des aspects médicaux et thérapeutiques, l’annonce d’une maladie neurologique pose le problème de sa représentation par le patient lui-même, mais aussi par l’entourage familial et social. La signification symbolique des maladies peut varier, certaines étant davantage l’objet de perceptions et préjugés négatifs. Les pathologies neurologiques effraient, fascinent et intriguent la société (3). La SEP n’échappe pas à ce constat et Nathalie Dubois exprime très rapidement sa peur de « finir en fauteuil roulant. »

10La SEP est une maladie chronique, invalidante, dégénérative, multifactorielle du système nerveux central touchant majoritairement les femmes (2/3 cas). L’évolution de cette maladie, est multiple (4-8) (annexe 1). Elle ne conduit pas toujours rapidement et systématiquement à un handicap majeur et à la nécessité d’utiliser un fauteuil roulant comme le craint Nathalie Dubois.

11Durant cette période, pour l’infirmière travaillant dans le service, la prise en charge de Nathalie Dubois est habituelle et similaire à celle des autres patients qui souffrent d’une SEP rémittente-récurrente intermédiaire.

Nathalie Dubois femme amoureuse, stimulée et sûre d’elle-même

12Durant les deux années qui suivent, Nathalie Dubois est hospitalisée à plusieurs reprises, souvent en hospitalisation de semaine, au gré des poussées de la maladie. Elle vit malgré elle l’entrée de la chronicité de la maladie dans sa vie. Elle s’accommode des divers symptômes (troubles sensitifs récurrents, fatigue plus ou moins fluctuante, névrite ophtalmologique, légers troubles moteurs…) apparaissant à des moments imprévisibles et des traitements, plus ou moins épisodiques et intrusifs, prescrits au grès des poussées, mais auxquels elle répond bien. Cela ne l’empêche pas d’être amoureuse, puis de se marier. Elle devient mère pour la première fois de sa vie. Son époux l’accompagne à chaque hospitalisation et quand celle-ci est ambulatoire il reste jusqu’à la sortie. L’équipe soignante constate des relations passionnées, joyeuses, bienveillantes, pleine d’humour respectueux qui règnent au sein du couple.

13L’équipe apprendra plus tard, après le deuxième accouchement de Nathalie Dubois, que des troubles urinaires et une baisse de libido sont apparus après le premier accouchement. Nathalie Dubois expliquera qu’elle n’a pas osé exprimer ses symptômes lors de l’interrogatoire médical car elle était gênée, avait besoin de temps, n’avait pas le vocabulaire et que le médecin était un homme.

Nathalie Dubois patiente pudique, presque honteuse, confiant ses difficultés sexuelles

14En 2003 [3], après son deuxième accouchement, Nathalie Dubois est hospitalisée pour une poussée sévère. Elle décrit, au médecin, la persistance de paresthésies depuis la dernière poussée malgré le traitement médicamenteux, une fatigue intense et constante, un déficit moteur et des troubles urinaires de type impériosité mictionnelle. Ce tableau clinique l’insupporte et l’attriste, car il la rend dépendante de son mari (tant pour ses déplacements que pour ses soins d’hygiène). Elle précise, un peu plus tard à une infirmière du service, que lorsqu’elle est enceinte elle ne subit pas de poussée de SEP ni de baisse de libido et elle se sent plus féminine et sensuelle. Elle confie, du bout des lèvres, qu’elle se demande si elle n’a pas souhaité sa deuxième grossesse pour « satisfaire sexuellement son mari et ne pas le perdre. » Elle culpabilise du peu de temps laissé à « son corps pour récupérer » entre ses deux grossesses, à peine six mois, et pense que cela explique sa grande fatigue actuelle. Elle assure cependant qu’elle « aime ses deux fils autant et qu’ils sont des rayons de soleil dans sa vie. »

15L’équipe infirmière du service transmet au médecin ce que la patiente lui a confié et le laisse définir seul la suite de la prise en charge, estimant que l’information est importante, mais que la réponse ne dépend pas des infirmières. Le médecin, prescrit un congé maladie, aborde la possibilité d’un travail à mi-temps thérapeutique et oriente Nathalie Dubois, d’une part, vers l’assistante sociale pour un bilan des aides nécessaires et accessibles et, d’autre part, vers l’urologue pour un bilan et une évaluation des troubles de la libido.

16L’urologue, a regardé le calendrier mictionnel de Nathalie Dubois et testé les fonctions neurologiques du périnée, réalisé un examen urodynamique [étude des pressions de la vessie (cystomanométrie), de l’urètre (profilométrie) et du débit urinaire au cours de la miction (débimétrie)] afin d’évaluer les troubles urinaires, les facteurs de risques et les thérapeutiques pertinentes. Il transmet au médecin neurologue prescripteur du bilan un compte rendu des résultats de l’examen. Il confirme une vessie neurologique hyperactive. Il préconise une mise sous anticholinergiques et un suivi urologique régulier, car il est connu que les troubles urinaires peuvent se compliquer chez les patients atteints de SEP. Il n’y a aucune réponse concernant la santé sexuelle de Nathalie Dubois.

17Durant les années 2003 et 2004, Nathalie Dubois, timidement, pudiquement, maladroitement, honteusement, tient l’équipe infirmière informée de la persistance de ses difficultés sexuelles. Les infirmières notent qu’elle baisse les yeux et qu’elle parle plus bas, lorsqu’elle aborde ce sujet. De façon constante, quelle que soit l’infirmière présente, le message est transmis au médecin. Celui-ci priorise les prises en charge des autres symptômes, le suivi urinaire et les thérapies médicamenteuses.

Nathalie Dubois épouse fatiguée, résignée et conciliante malgré la tristesse occasionnée par l’évolution de son couple

18De 2005 à 2008 l’évolution de la maladie s’accélère, la fatigue devient de plus en plus envahissante, les handicaps moteurs (besoin d’un fauteuil roulant et d’aides aux transferts et à la toilette), sensitifs (sensations de brûlure aux caresses) et cognitifs (troubles de la concentration et de la mémorisation) s’installent. Ils entrainent une période de macros et micros deuils pour Nathalie Dubois ; deuil de la santé, deuil de la sexualité épanouie et exclusive, deuil d’une qualité de vie stable, deuil d’une nouvelle grossesse, deuil de la profession et du statut social de travailleur, deuil de l’autonomie physique et financière, deuil de l’estime de soi. Ces différents deuils la fragilisent. Ils s’accompagnent d’une évolution de la maladie qui augmente le recours aux hospitalisations et à diverses aides sociales ou thérapeutiques (9) et font place à de nouveaux statuts sociaux, comme celui d’invalide. Il s’en suit de la résignation (10) et ses effets cognitifs (difficultés et augmentation du temps de résolution des problèmes, diminution des performances), motivationnels (augmentation du temps de latence dans l’initiative de la réponse) et émotionnels (augmentation de la frustration, de la dépression, de la « mauvaise humeur ») ainsi que des ressentis négatifs tels que « la sensation d’être un boulet. »

19Nathalie Dubois observe sa vie de façon désabusée et résignée, elle voit sa qualité de vie et ses relations sexuelles se dégrader. Lors d’une de ses hospitalisations, l’équipe soignante constate que son époux ne reste plus lors des soins ; une infirmière en fait la remarque à Nathalie Dubois, pensant qu’il s’occupe des enfants et de la gestion des activités extrascolaires. Elle lui répond avec un humour un peu caustique qu’elle « bénéficie d’une dépose minute car monsieur a rendez-vous avec sa maitresse, mais que cela lui est égal, car sa libido est en berne depuis longtemps, qu’elle en a marre de se forcer, qu’il reste un bon père, qu’il assume les dépenses financières et qu’il s’occupe d’elle. »

20À l’issue de la formation de cadre de santé, l’infirmière [4] est nommée responsable d’un autre service de neurologie que celui dans lequel est suivie Nathalie Dubois.

Nathalie Dubois mère sans plus aucune estime d’elle-même, vulnérable

21En 2008, l’infirmière croise Nathalie Dubois dans un couloir de l’hôpital, celle-ci est habillée négligemment, ce qui ne lui ressemble pas. Elle a les larmes aux yeux quand elle apprend à l’infirmière qu’elle est divorcée et vient de vivre « la guerre » pour la garde des enfants ; son handicap moteur associé à sa difficulté à exercer une activité professionnelle l’a conduite au statut d’invalidité et à des revenus très modestes qui ne lui permettent pas d’avoir la garde de ses enfants. En pleurant, elle exprime un soulagement, car elle s’estime « incapable d’assumer leur éducation. »

22Ces dernières nouvelles de Nathalie Dubois ont un effet déclencheur conduisant l’infirmière à entreprendre un travail introspectif et réflexif sur sa pratique. Ce travail est précurseur et marque le commencement du processus de recherche.

23Le début de la situation rapportée montre que les capacités de priorisation et de raisonnement clinique de la jeune infirmière n’étaient pas encore assez développées pour analyser la situation du patient dans sa globalité. Elle la percevait en termes « d’aspects » et non pas de façon globale (11). En effet, elle n’a pas placé la santé sexuelle comme une priorité qui pouvait avoir un impact sur les relations sociales et l’estime de soi de la patiente et donc sur l’évolution de sa santé. Frenette-Leclerc (12) note « qu’il existe une difficulté réelle à tenir compte du client quand l’énergie est monopolisée par l’apprentissage technique et perceptuel. » La maturité professionnelle associée au constat de l’évolution de la situation de la patiente conduit l’infirmière devenue cadre de santé à adopter une posture réflexive, suscitant de nombreuses interrogations et lectures, partagées dans un second temps avec le reste de l’équipe qu’elle manage. Ces échanges aboutissent à une première question de recherche, puis, par l’évolution de la problématique à une seconde, construisant ainsi un programme de recherche sur la santé sexuelle des patients atteints de pathologies neurologiques : le programme Neurosex.

24Après avoir présenté la reconstruction des étapes du parcours de Nathalie Dubois, nous explicitons la problématique en exposant, d’abord de façon théorique et générale les éléments qui la composent puis de façon plus concrète en lien avec le cas singulier précédemment présenté.

Construction de la problématique

25La problématique est une étape du processus scientifique. Elle comprend différentes composantes qu’il convient d’articuler dans la même temporalité, d’où sa complexité.

Situation de la problématique

26Les définitions de la science sont multiples. Selon Granger (13) la science se caractérise par sa manière de viser ses objets, ce qui la fédère. Il note trois traits « d’unification » : 1) La notion de réalité (qualité d’objectivité) ; 2) L’objectif de la science ; 3) Les méthodes scientifiques pour y répondre. Ian Hacking, philosophe des sciences canadien contemporain, défini lors de sa leçon inaugurale au Collège de France en 2001 la science comme étant une activité qui tente d’expliquer le monde, elle est constituée d’un cumule de styles de pensée et/ou de raisonnements. Cette vision de la science suggère que le chercheur, par les résultats de ses recherches, produit du savoir scientifique. Par soucis du lecteur, de l’objectivité et des limites du savoir produit, il doit préciser les modèles théoriques sur lesquels il va appuyer l’analyse de ses résultats. Métaphoriquement, il annonce, lors de la problématique, avec quelles lunettes il va regarder et analyser le monde.

27L’objet des sciences infirmières est discuté à l’intérieure même de la discipline. Donaldson et Crowley (14) proposent de les considérer comme une science professionnelle dont les objets d’étude seraient : la « réponse humaine de santé », la « menace à la santé », « l’expérience de la maladie » et qui s’appuierait sur des théories descriptives (recherche fondamentale et appliquée) et des théories prescriptives (recherche clinique). D’autres théoriciens proposent comme objet d’étude les soins, le care, ou encore d’appuyer l’objet d’étude sur les quatre concepts centraux : santé, personne, environnement et soins (15). Ces débats montrent à la fois que les soins infirmiers ont un fondement scientifique et qu’il existe au sein de la discipline plusieurs points de vue, différents modèles conceptuels et théories. Lors du travail de problématisation il est donc possible et nécessaire, pour un sujet s’inscrivant dans une perspective de soins infirmiers, d’utiliser les savoirs issus de cette discipline.

28Le processus de la recherche, quelle que soit la discipline, peut être schématisé en huit étapes (16). Les dénominations des étapes peuvent varier d’une discipline à l’autre. Les étapes sont incluses dans cinq phases décrites par Fortin et Gagnon (17) : conceptuelle, méthodologique, empirique, analytique et de diffusion (Fig. 1). La problématique se situe dans la phase conceptuelle.

Figure 1

Étapes et phases de la recherche selon Poisson et Jovic (16)

Figure 1

Étapes et phases de la recherche selon Poisson et Jovic (16)

Objectif de la phase conceptuelle et de la problématique

29La littérature confirme que la problématique est une étape essentielle aux projets de recherche, mais les définitions ne font pas consensus (18) et les modalités de construction sont relativement peu décrites. De plus, au plan pédagogique le contenu de cette étape n’est pas très facile à transmettre. Il n’est pas aisé de segmenter les éléments de la problématique pour les présenter et les rendre opérationnels tant ils sont intriqués. Généralement, il est suggéré de l’appréhender véritablement en faisant et/ou en s’appuyant sur des exemples de problématiques rédigés dans les thèses, les mémoires et les publications.

30Campenhoundt et Quivy (19) suggèrent deux temps : 1) Faire le point sur les problématiques possibles ; 2) Choisir et expliciter sa propre problématique. Ces temps peuvent constituer des indications, mais doivent être complétés.

31La problématique est un travail intellectuel destiné à montrer de façon cohérente l’originalité, la pertinence et l’intérêt du sujet traité par son apport de connaissances. Elle permet de déterminer la perspective théorique, les concepts privilégiés, le contexte de l’étude, ce qui sera précisément étudié, les limites éthiques, le type d’approche méthodologique retenue pour l’étude et de justifier les choix.

32Durant la phase conceptuelle, le chercheur pose des questions afin de clarifier le chemin à prendre pour s’approcher au plus près de la réalité du phénomène qu’il veut étudier. Il se pose des questions en lien avec l’ontologie, l’épistémologie, les perspectives théoriques, la méthodologie, la méthode et les données (20) (Fig. 2). Les deux derniers axes de questionnement seront renseignés très synthétiquement et non systématiquement dans la problématique.

Figure 2

Domaines à interroger pour construire la problématique (20)

Figure 2

33La problématique permet de formaliser précisément une question de recherche et selon les cas une hypothèse. Elle est déterminante pour la structuration de l’ensemble de l’étude. En se référant aux travaux de différents auteurs (16,18) il est possible d’indiquer les éléments qu’elle doit contenir.

Construction de la problématique de recherche

34La construction de la problématique diffère selon qu’elle relève d’une recherche à caractère hypothético-déductif ou inductif. Les recherches hypothético-déductives, démarrent par une revue de la littérature « qui se veut souvent exhaustive et débouche normalement sur des hypothèses très fines. » La logique de la recherche qualitative est différente, elle procède selon « une logique de la découverte, de l’exploration, de la construction émergente » et débouche « sur des questions volontairement englobantes, avec des hypothèses de travail et non des hypothèses formelles » (21). Kivits et al. (22) soulignent l’importance des méthodologies qualitatives pour penser la question dans les recherches en santé et en précisent les modalités. La problématisation fait partie des acquis des personnes formées dans les disciplines des sciences sociales et humaines, mais est fréquemment méconnue des professionnels de santé désireux d’entreprendre une recherche. La croyance considérant qu’on peut passer directement d’une idée à la méthodologie est relativement répandue.

35Les choix opérés déterminent les méthodologies et les types d’études (23,24) (Fig. 3).

Figure 3

Types d’études selon les méthodologies

Figure 3

Types d’études selon les méthodologies

36Quel que soit le type de méthode retenue (inductive ou déductive), la problématique s’élabore par un processus interactif associant introspection, réflexion, raisonnement, analyse de la littérature, interrogation et confrontation avec des éléments observés par soi-même ou par d’autres personnes et les opinions. L’élaboration d’une problématique nécessite un temps d’intégration et de maturation des idées. Le processus de problématisation s’inscrit dans des temporalités, celles des questionnements concrets (ex. de la clinique), de prise de recul, de réflexions individuelles et collectives, de construction mentale propre au chercheur, de lectures, de documentation et de maturité de la ou des disciplines interrogées.

La surprise et l’étonnement

37La motivation à faire de la recherche (25,26), est générée par un effet de surprise ou de questionnement quant à l’écart qui existe entre un ensemble d’éléments qui posent problème et l’état des connaissances ; écart pouvant aller jusqu’à l’absence de connaissances sur le sujet.

38Les premières difficultés de la recherche en sciences infirmières sont d’écouter et d’entendre les patients, de mettre en lien leurs remarques et les pratiques, d’accepter d’interroger les pratiques professionnelles et de percevoir l’existence d’un problème (27). Morris Raphaël Cohen, philosophe et juriste, et Ernest Nagel, philosophe des sciences, tous deux américains, considèrent qu’il s’agit de « La capacité de percevoir dans une expérience brute l’occasion d’un problème, et surtout d’un problème dont la solution a une incidence sur l’environnement. C’est une marque de génie scientifique que d’être sensible aux difficultés où des gens moins doués passent sans être troublés par le doute » (traduction libre) (28).

La réflexivité

39Une posture d’introspection et de réflexivité est donc nécessaire. Ces processus mentaux ont été théorisés, notamment par les sciences de l’éducation. La posture réflexive a été formalisée entre autres par Donald A. Schön dans les années 1980 (29) et qualifiée de tournant paradigmatique. Le passage du paradigme de la science appliquée à celui du praticien réflexif, décrit par Pineau (30), professeur en sciences de l’éducation, traduit un changement des questions constituantes et des objectifs. Pour le paradigme de la science appliquée celui qui réfléchit est le chercheur et sa recherche a pour objectifs l’explication et la compréhension théorique tandis que pour le paradigme du praticien réflexif celui qui réfléchit est le praticien, l’acteur ou le sujet et l’objectif de compréhension est théorique et pratique ; de plus il est complété par un objectif d’autonomisation de l’agir de l’acteur.

40Gaston Pineau (30) note que la pratique comme la réflexion et l’autoréflexion ont été éloignées de la science appliquée car risquant d’être trop subjectives. Il les défini comme « point aveugle produit d’un refoulement épistémologique et méthodologique puisque vu comme sources cognitives trop subjectives pour construire un savoir scientifique objectif. » Pour Danvers (31), la « réflexion en action » des praticiens produits des savoirs dont la valeur n’est pas inférieure à ceux théorisés par les chercheurs, au terme de raisonnements discursifs.

41Cet article, en s’intéressant à la posture réflexive de l’infirmière et ses suites, se situe dans le paradigme du praticien réflexif. C’est ce que Piaget appelle une abstraction réfléchie soit « le résultat d’une abstraction réfléchissante, lorsqu’il est devenu conscient et cela indépendamment de son niveau » (32).

42La posture réflexive « ne va pas de soi. » Selon Nicole Clerc et Martine Agogué (33), « on sollicite souvent ces compétences professionnelles, en dernier recours, lorsque le contexte impose, avec vigueur, sa surprenante complexité, ces incertitudes et incompréhensions, voir ces violences. » Elles précisent que nous avons tendance à y avoir recours lorsqu’il y a tension entre le choix de la réponse professionnelle immédiate, la plus adaptée au regard de la situation de soins, les représentations et valeurs internes individuelles et celles de la profession.

43Le comportement de l’infirmière devenue cadre est à la croisée des paradigmes « réflexif » et « analyse du travail », ce que le sociologue Philippe Perrenoud nomme : « De la réflexion dans le vif de l’action à une pratique réflexive. » Serge Blanchard (34) dans son analyse du livre de P. Perrenoud, précise que « la réflexion dans l’action est le mode de fonctionnement d’une compétence de haut niveau, alors que la réflexion sur l’action est une source d’autoformation et d’évolution des compétences et des savoirs professionnels. » Cette posture permet donc l’autonomisation responsable des professionnels. L’autonomie permet la maitrise du choix des suites à donner.

L’abstraction

44La perception d’un problème et le travail de questionnements réflexifs individuel et partagé permettent de passer de la pensée concrète à la pensée abstraite. Le partage avec le collectif (collègues, équipe, etc.) oblige à expliquer et verbaliser. Il constitue la poursuite du processus réflexif : « faire le récit d’un cours, d’une action, c’est transformer les évènements en histoire, c’est leur faire prendre place dans une totalité intelligible » (35). Pour Piaget (32) c’est l’étape du « réfléchissement. » L’exposition des différentes questions posées met en évidence le cheminement qui va de l’observation personnelle et singulière d’une situation à un thème de recherche plus large et généralisé. Les remarques empiriques, verbalisées, échangées, questionnées, dupliquées permettent d’affirmer qu’il ne s’agit pas uniquement de réflexions personnelles, mais que la perception du problème est partagée par des collectifs.

45Les questionnements, en se généralisant, confirment que le raisonnement scientifique dépasse le particulier ; qu’il est pertinent ; qu’il peut devenir une question de recherche et que la réponse fera progresser les connaissances collectives. Les observations empiriques partagées montrent que la question est généralisable, pour notre exemple, à une population de patients, ceux atteints de SEP, et à une profession, les infirmières.

46L’étape de questionnement, en science infirmière, peut se passer en deux temps. Un premier temps, tel que décrit ci-dessus, consiste à faire évoluer l’idée concrète vers une idée abstraite, la situation singulière vers un problème général ; le problème, qui mérite d’être étudié et dont la résolution participera à l’augmentation des connaissances collectives. Le second temps, consiste à examiner toutes les interrogations que suscite le problème général. Ce problème est-il propre à certaines variables : le temps, la culture, le genre, etc. ? Le chercheur recueil toutes les questions en lien plus ou moins direct avec son problème suivant un processus d’expansion. À cette étape le chercheur interroge la littérature de façon déstructurée et le travail de documentation est moins dense que dans la phase de contraction (Fig. 5). Elle lui permet de nourrir le processus mental de déconstruction/construction.

Figure 5

Losange de la problématique

Figure 5

Losange de la problématique

47Puis suit l’étape de contraction, durant laquelle le processus de documentation se structure et se densifie. Elle permet au chercheur de prendre connaissance des questions déjà traitées sur le sujet et des réponses apportées. Cette étape permet de « rétrécir », limiter, progressivement le champ de recherche à une question précise. Un problème vaste ne peut trouver de réponse. Le problème général se décline en plusieurs questions. Dans un premier temps le chercheur fait le choix de ne traiter qu’une seule des nombreuses questions, qui peuvent se poser sur son sujet. Les réponses plus ou moins partielles qu’il trouve par la recension des données de la littérature scientifique, la logique, le raisonnement, la confrontation, la réflexion collaborative voir la réfutation de pairs, participent à l’élaboration de la problématique. Ce temps de maturation de la problématique reste, la plupart du temps, invisible pour le lecteur ou le clinicien. Par contre, lorsqu’elle est bien conduite elle apporte une réponse claire et exploitable.

La généralisation

48La construction de la problématique de recherche est généralement présentée comme un travail en entonnoir consistant en partant d’une idée, plus ou moins vaste, à parvenir à une question précise. La problématique de recherche fondée sur la clinique pourrait s’imager comme un jeu de deux entonnoirs en miroirs (Fig. 4). Le premier entonnoir élargissant la réflexion, phase d’expansion, dans un souci de généralisation. Le second restreignant la question, phase de contraction, dans un souci de précision. Ce mécanisme s’opère grâce à deux processus reliés étroitement et simultanés, comme le précise Donald Long (36) : un processus de construction mentale et un processus de documentation. Les questionnements infirmiers s’amorcent le plus souvent par des observations cliniques singulières, ce qui n’est pas toujours le cas pour les chercheurs d’autres disciplines.

Figure 4

Double entonnoir du processus de problématisation

Figure 4

Double entonnoir du processus de problématisation

49Selon A. Lamoureux, cité par Donald Long (36), ils peuvent amorcer une recherche sur un sujet vaste et vague et n’ont donc pas toujours besoin du premier entonnoir. Le travail de problématisation, particulièrement dans les contextes utilisant les méthodologies qualitatives, relève d’un processus de « déconstruction et (re)construction » de la question (22).

50Les recherches en soins infirmiers sont fréquemment initiées par des situations de soins cliniques, souvent singulières. La problématique élaborée dans une perspective des sciences infirmières peut être représentée par un losange (Fig. 5). Il convient de rappeler que certaines étapes sont simultanées et que le passage d’une étape à l’autre n’est pas linéaire. Le chercheur procède par tâtonnement, proposant un premier objet de recherche, puis le précisant, puis le changeant, puis reprenant le premier en le complexifiant, etc. La posture de chercheur est faite de prise de recul, de doutes, d’hésitations, de sérendipidité, de choix. Cela demande une certaine capacité de flexibilité cognitive, associée à une capacité de rigueur.

51Durant l’étape de contraction, le processus de documentation scientifique qui participe à la construction de la problématique peut se réaliser de différentes manières selon que l’on se dirige vers une recherche à caractère hypothético-déductif ou inductif (17). La revue de la littérature peut concerner une catégorie d’études scientifiques lorsqu’elle est protocolisée et systématique (ex. les normes de production de revues systématiques selon le modèle de diagramme de flux Preferred Reporting Items for Systematic reviews and Meta-Analyses (PRISMA) de Cochrane).

52L’objectif du processus de documentation est de synthétiser l’état des connaissances relatives au problème, de prendre connaissance d’éventuelles solutions, de limiter la problématique et de l’orienter vers une perspective encore non abordée. Si le problème trouve des réponses pertinentes et suffisantes dans la littérature il ne sera pas nécessaire de réaliser une recherche. Dans ce cas le processus s’arrête ou bien il est orienté vers une Evaluation des pratiques professionnelles (EPP). Par contre, dans le cas inverse la problématique conduit à la formalisation d’une question de recherche qui a pour but de combler les lacunes dans les connaissances. Une fois la question formalisée le chercheur recommence le processus de documentation de façon plus exhaustive. Ce processus, ne se réduit pas à trouver de l’information sur son sujet, mais nécessite une lecture critique et une analyse comparative des documents trouvés. La lecture critique de l’information suppose de regarder la source et le niveau de preuve des documents (37) avant de confronter les résultats de leur recherche.

53Pour résumer, la problématique permet d’amorcer une réflexion sur l’objet même de la recherche, de poser les limites et d’énoncer une question de recherche originale, argumentée, convaincante quant à son intérêt, apporter des connaissances nouvelles, suffisamment précise pour être abordée scientifiquement et apporter des réponses. Le travail de problématisation permet aussi au chercheur de se distancier de son sujet et de prendre conscience des éventuels affects en jeux afin, par un souci de transparence et d’objectivité, de les rendre visibles aux lecteurs, d’en tenir compte dans l’analyse des résultats.

54La problématique est perpétuellement en mouvement, se transformant au gré de la réalité clinique, du terrain d’étude et de la littérature, mais aussi du raisonnement du chercheur, de sa façon d’intégrer ses différentes données avec le contexte spécifique dans lequel il évolue.

Construction d’une problématique en sciences infirmières issue de l’analyse du cas de Nathalie Dubois

55La situation de Nathalie Dubois illustre concrètement les étapes décrites précédemment. Cependant, pour les besoins de l’exposition l’ordre des éléments rend partiellement compte de la réalité du processus itératif de construction de la problématique.

Le problème : l’écart entre la situation réelle et la situation souhaitable

56Le dernier entretien avec Nathalie Dubois a généré, au niveau singulier de l’infirmière, une prise de conscience de l’insuffisance des réponses apportées au sujet de la santé sexuelle. Elle perçoit l’écart entre la situation réelle et celle souhaitable. Après avoir pris congé de Nathalie Dubois lors de la dernière rencontre l’infirmière voit en « flash-backs » percutants cinq images de Nathalie Dubois : jeune, célibataire, indépendante, enthousiaste ; femme amoureuse, stimulée et sûre d’elle-même ; patiente pudique, presque honteuse, confiant ses difficultés sexuelles ; épouse fatiguée, résignée et conciliante malgré la peine et la tristesse occasionnée par l’évolution de son couple et le partage de l’homme aimé plus ou moins consenti ; mère sans plus aucune estime d’elle-même, vulnérabilisée par l’absence de son mari, écorchée vive par la perte de la garde de ses enfants et de ses autonomies physique, psychologique et financière. C’est ce ressenti singulier de l’infirmière, fort en émotions, qui conduit à la posture réflexive de celle-ci et à se remémorer des remarques d’autres patientes. Une, disant que les caresses de son conjoint étaient désagréables, limite douloureuses. Une autre que la sexualité était difficile. Une autre qu’elle avait choisi un kinésithérapeute masculin pour pouvoir fantasmer durant les soins et se procurer ainsi un peu de plaisir. Une autre encore qu’elle acceptait, que deux soirs par semaine, son mari ait des relations sexuelles avec une autre femme. L’infirmière se souvient aussi avoir conseillé aux patients d’échanger sur le sujet, avec leur neurologue référent lors de leur prochaine consultation. Les réponses des patients étaient qu’il était très difficile d’aborder un tel sujet en consultation neurologique de suivi ou d’urgence. Les raisons étant multiples : manque de temps, d’intimité, de connaissance, etc.

57Plus l’infirmière devient compétente dans l’exercice de sa profession, plus des questions cliniques émergent. La démarche scientifique est une bonne option pour apporter des réponses fiables et satisfaire les attentes des patients vis-à-vis des professionnels de santé. Les flash-backs intenses et les situations que l’infirmière se remémore réinterrogent les soins infirmiers proposés en termes de santé sexuelle. La remémoration de situations, issues de son expérience professionnelle, la conduisent à adopter une posture réflexive puis à entreprendre une démarche scientifique. L’infirmière n’était absolument pas préparée à cette évolution. Les mémoires de fin d’études réalisés lors de la formation initiale et de cadre de santé ont été vécus comme une contribution douloureuse à la recherche. A posteriori, elle réalise qu’elle n’a pas saisi l’intérêt du mémoire mais à « juste » suivi un processus opérationnel sans en comprendre le sens et la puissance. Ses représentations sur le monde de la recherche et le monde infirmier étaient assez manichéennes : deux mondes antagonistes. Le premier rigoureux, aseptique, réfléchi, plutôt « à sang froid » œuvrant pour l’avancée de l’humanité. Le second, celui qui soigne la plaie infectée, le corps souillé, malade, chaud, avec spontanéité, n’ayant de cesse d’accompagner le singulier. Deux mondes qui ne peuvent pas se rencontrer (27). Or, la situation de soins relatée permet de prendre conscience que l’observation des patients et les questionnements des pratiques professionnelles peuvent conduire à la démarche scientifique.

Le recours à la posture réflexive

58Comme mentionné précédemment la posture réflexive s’exprime souvent face à une situation engendrant incertitude et incompréhension (33). Schell (38) et Kotronoulas & al. (39) notent que les infirmières vivent et travaillent dans une société qui évite généralement de parler de la sexualité ou uniquement sur le ton de la plaisanterie. L’évocation de ce sujet peut générer pour l’infirmière de la gêne vis-à-vis d’elle-même et risquer de la susciter chez le patient. Dans la situation de soins rapportée il y a donc risque de tension entre les représentations et les valeurs internes à chacun des professionnels et celles relatives à chacun des patients, ainsi que celles, plus collectives, de la profession infirmière et de la société. Le citoyen contribuable, qui peut être infirmier ou malade, se représente-t-il que ses impôts peuvent financer la santé sexuelle des malades parfois en fin de vie ? Le patient dont la santé sexuelle se dégrade en même temps que son état de santé général, l’éloignant de son partenaire comme de son aidant, se représente-t-il qu’il doit lui-même, seul, améliorer sa santé sexuelle ? La jeune infirmière novice se représente-t-elle qu’elle doit aborder la question de la sexualité qui a été ignorée jusqu’à ces dernières années par la profession ? Ce soin s’ajoutant à une longue liste d’autres soins plus valorisés par l’institution. Ces tensions, associées à l’évolution du parcours de vie de Nathalie Dubois expliquent le recours à la posture réflexive. Posture qui, dans notre exemple, se concrétise par la remise en question et la réflexion sur les pratiques en santé sexuelle auprès des patients atteints de SEP, d’abord de l’infirmière, puis des autres professionnels de son service, puis des autres professionnels des autres services de neurologie. Cette posture participe à la généralisation et à la construction de la problématique lors d’une démarche scientifique, notamment en sciences infirmières.

La généralisation : passage de la pensée concrète à la pensée abstraite

59La généralisation se fait ici entre, d’une part, le passage du « personnel » d’une infirmière à un groupe, une communauté infirmière et, d’autre part, du cas singulier de Nathalie Dubois au groupe des patients atteints de SEP.

60Les questions et réponses suivantes émergent :

  • Q. Quel accompagnement en soins infirmiers a été proposé à Nathalie Dubois ces 20 dernières années, concernant la santé sexuelle ? [question doublement singulière concernant une infirmière et un patient] ;
    • R. L’infirmière n’a jamais interrogé spontanément la santé sexuelle de la patiente [réponse singulière] ;
    • R. Quand elle a abordé ses difficultés l’infirmière a mis du temps à les entendre, ainsi que l’ensemble de l’équipe infirmière [réponse singulière] ;
    • R. Quand la plainte a été entendue les infirmières ont dirigé Nathalie Dubois vers d’autres professionnels et n’ont jamais interrogé les résultats des orientations proposées [réponse plus générale au niveau de la collectivité infirmière, mais ne concerne qu’un patient] ;
  • Q. L’infirmière a-t-elle accompagné d’autres patients qui ont abordé les difficultés en lien avec la santé sexuelle ? Qu’est-ce qu’elle leur a proposé ? [question singulière concernant une infirmière, mais plus générale au niveau des patients] ;
    • R. Oui, comme les collègues, elle a orienté ces patients vers le neurologue référent se sentant démunie faute de connaissances et pensant que cela ne relevait pas de son champs d’activités professionnelles [réponse doublement générale tant au niveau patients qu’infirmier] ;
  • Q. Quelle prise en charge les infirmières proposaient, dans leur secteur d’activité, aux patients atteints de SEP et ayant des troubles sexuels ? [question doublement générale tant au niveau patients qu’infirmier].

61Ces questions/réponses ne concernent qu’une unité de soins. Ce travail réflexif est poursuivi avec l’équipe infirmière managée par l’infirmière devenue cadre de santé et participe à la confirmation de la pertinence de la question au niveau scientifique :

  • Q. Avons-nous, dans notre secteur, des patients ayant abordé des difficultés en lien avec la santé sexuelle ? Que leurs avons-nous proposé ?
    • R. Elle est unanime. Les infirmières de l’équipe sont déstabilisées et insatisfaites des réponses apportées. Celles-ci se résument à orienter les patients vers un autre professionnel afin de ne pas avoir à traiter la demande.

62Plusieurs patients atteints de SEP, suivis en neurologie dans un établissement hospitalier, se plaignent du ressenti et du vécu de leur sexualité. Plusieurs infirmières se sentent démunies face à la sexualité des patients et, lorsque le sujet est abordé, proposent une solution unique consistant à orienter le patient vers le neurologue référent. Les observations empiriques partagées montrent que la question est généralisable aux populations de patients atteints de SEP et d’infirmières. À ce stade, le problème singulier devient général abstrait, à la base de l’entonnoir 1 (Fig. 4). Durant cette phase d’expansion le chercheur est « perméable » à toutes les questions qui surviennent. Dans ce cas précis elles ont concerné :

  • les patients :
    • les troubles de la sexualité énoncés sont-ils en lien avec la SEP ou avec la maladie neurologique en général ?
    • des outils existent-ils pour interroger les difficultés sexuelles des patients ? Si oui les outils existants sont-ils spécifiques aux patients atteints de SEP ?
    • les patients atteints de SEP accepteraient-ils d’être interrogés sur leur sexualité ?
    • l’évaluation des troubles sexuels et leur prise en charge amélioreraient-elles la qualité de vie des patients atteints de SEP ? De leurs partenaires ?
  • les infirmières :
    • le champ d’activité des infirmières permet-il d’interroger la santé sexuelle ? De l’évaluer ? De proposer des interventions ?
    • pourquoi les infirmières se sentent elles démunies ?
    • quelles sont les pratiques infirmières en santé sexuelle dans un service de neurologie ?
  • l’organisation :
    • ces questions sont-elles propres aux services de neurologie d’un établissement hautement spécialisé ?
    • la sexualité doit-elle être interrogée dans un établissement public ?

63Le processus de documentation permet d’éclairer ces questionnements de la phase d’expansion puis d’établir une question de recherche et de limiter celle-ci dans la phase de contraction (Fig. 5).

Le processus de documentation et revue de la littérature

64L’infirmière interroge donc spontanément un moteur de recherche grand public. Les résultats montrent que ce problème dépasse le contexte des services publics de neurologie hautement spécialisés. Elle circonscrit la population aux femmes, considérant que celles-ci sont plus nombreuses à s’être confiées et que le ratio F/H dans la SEP est de 2 femmes/3 cas. Elle élabore une question de recherche centrée sur la qualité de vie, car c’est la baisse de celle-ci chez Nathalie Dubois qui l’a interpellée. Le choix de la démarche hypothéticodéductive est influencé par les habitudes de recherche pratiquées dans le service où elle exerce.

65Pour formaliser sa question, elle suit la méthode PICO :

  • Patient : la femme atteinte de SEP ;
  • Intervention : l’évaluation et la prise en charge précoce des troubles sexuels ;
  • Comparaison (non exprimée dans la question) : avant/après intervention ;
  • Outcome/Résultat : les interventions amélioreraient elles sa qualité de vie.

66La formalisation de la question issue de la formulation PICO : « L’évaluation et la prise en charge précoce des troubles sexuels de la femme atteinte de sclérose en plaques amélioreraient-elles sa qualité de vie ? »

67Ensuite, la question est confrontée aux résultats des études qui portent sur le même sujet, en réalisant une revue de la littérature scientifique. Les recherches documentaires et l’analyse de la littérature ont été réalisées en quatre étapes successives. La première étape a permis d’examiner les recommandations nationales. En France, quatre documents ont été trouvés sur le site de la Haute autorité de santé (HAS), dont trois s’appuient sur le premier, la conférence de consensus de 2001. Celle-ci répond à cinq questions, dont l’indication thérapeutique à visée symptomatique, le suivi de la SEP : évaluation de l’évolution et les modalités de la prise en charge.

68L’analyse des trois documents postérieurs à la conférence de 2001 a participé à la maturation de la problématique et à l’élaboration de la question de recherche pour les raisons suivantes :

  • le guide affectation de longue durée SEP (5) dans lequel l’Éducation thérapeutique du patient (ETP) occupe une place importante. Celle-ci est identifiée comme une des fonctions de l’infirmier. Ce document confirme que la prise en charge des troubles génitaux-sphinctériens améliore la qualité de vie. Cela avait déjà été mentionné en 2001 par la conférence de consensus ;
  • la liste des actes et prestations de longue durée (SEP), mise à jour en 2010 (40), fait apparaitre le sexologue parmi les professionnels de la SEP et précise qu’il y a un intérêt à la rééducation périnéale. Les lubrifiants sont préconisés, mais non remboursés ;
  • la prise en charge de votre maladie (41) : document très synthétique où les difficultés sexuelles ne sont pas abordées, néanmoins l’ETP peut permettre leur prise en charge.

69Ces documents de grade de recommandation A, niveau de preuves 1 (37), confirmant l’impact de la prise en charge des troubles sexuels sur la qualité de vie, l’infirmière n’a pas interrogé la qualité de vie dans la revue de la littérature sur les autres moteurs de recherche. Cependant, il fallait travailler sur l’apport de l’évaluation précoce.

70Lors de la deuxième étape, deux bases de données internationales portant sur des thématiques de santé (Cochrane et PubMed) ont été interrogées avec les mots clés et l’équation : « multiple sclerosis » AND « sexual dysfunction ». La conférence de consensus de la HAS, élaborée sur une synthèse de la littérature antérieure à 2001, la période retenue a été « 2001 à aujourd’hui. » Les critères d’exclusion sont les problèmes urinaires, car la recherche porte sur l’évaluation des troubles sexuels uniquement. Les résultats de l’étude de la littérature de cette étape sont : Cochrane : 1 article sur la SEP portant sur la psychologie (non retenu) ; PubMed : 200 articles dont 17 résumés retenus. L’utilisation du thésaurus MeSH a permis de réinterroger plus précisément la base PubMed avec les équations : « multiple sclerosis »[Mesh] AND (« sexual dysfunctions, psychological » [Mesh] OR « sexual dysfunction, physiological » [Mesh]). Avec PubMed 2 : 142 articles trouvés dont 26 résumés retenus. Puis avec PubMed mutualisé : 32 résumés dont 8 articles retenus (Annexe 2) dont quatre revues de littérature (niveau de preuve 2, grade de recommandations B) (37). Ces articles sont tous publiés dans des revues scientifiques.

71Des articles, quelle que soit la base de données interrogée, n’ont pas été retenus pour trois raisons : inaccessibles, hors sujet, écris à une date antérieure à la conférence de consensus de 2001.

72La troisième étape a consisté à réaliser une synthèse des données recueillies lors de la revue de la littérature, elle a accompagné l’évolution de la problématique. Des extraits de la synthèse de cette revue de la littérature [5] (42) concrétisent le travail de problématisation, les réponses aux questions énoncées précédemment et les raisonnements qui ont conduit à la question de recherche.

73Dans 10 % des cas les troubles sexuels ont précédé le diagnostic de SEP ; justifie que la question de recherche précise le dépistage précoce. La fréquence des troubles sexuels est plus élevée chez la femme atteinte de SEP que chez la femme non atteinte ; répond à la question : les troubles de la sexualité énoncés sont-ils en lien avec la SEP. Parmi les femmes atteintes de SEP, 40 à 75 % souffrent de troubles sexuels et expriment souvent au moins deux symptômes de ces troubles (43) ; justifie la réflexion et la mise en œuvre d’une prise en charge. Ces troubles ont un impact sur la qualité de vie (43,44) et sont sous-estimés (44) ; conforte la nécessité de dépistage précoce. Les problèmes sexuels féminins sont actuellement négligés dans les essais cliniques, car il y a un manque d’outils de mesure sensibles. L’envie impérieuse d’uriner n’est pas un facteur prédictif de l’anorgasmie ; certains soignants doutent de l’intérêt de l’interrogation de la santé sexuelle lorsque les troubles urinaires apparaissent, pensant qu’il n’y a plus d’intérêt pour le patient et pas de thérapeutique. Évaluer les effets d’une prise en charge sur la qualité de vie générale et la qualité de vie sexuelle peut participer à l’évolution des représentations. Parmi les patients souhaitant trouver des solutions à leurs difficultés sexuelles, 94 % n’avaient jamais été interrogés sur le sujet (43) ; conforte l’intérêt du dépistage. Beaucoup de patients sont embarrassés pour aborder leur sexualité et les préoccupations qu’ils peuvent vivre (43,44). Uniquement 7 % (contre 10 % pour les patients atteints de maladies chroniques) abordent la sexualité alors que 40 à 75 % éprouvent des difficultés ; justifie le choix de la population SEP ; 50 % préfèrent que leur médecin initie le débat ; 83 % vivent l’entrevue sexuelle comme une expérience positive. Les patients se sentent plus à l’aise lorsqu’elle se fait dans le même lieu que leur suivi thérapeutique ; justifie la prise en charge dans le service de neurologie. Les raisons expliquant les difficultés à aborder ce sujet sont :

  • pour le patient : la honte, le fait d’admettre l’existence d’un problème sexuel, la faible estime de soi, la peur de paraitre ridicule ;
  • pour le médecin : la complexité de la maladie, la contrainte de temps, la confusion pour engager la communication, le manque de formation.

74Des échelles d’évaluation des troubles sexuels existent, notamment le « Multiple Sclerosis Intimacy and Sexuality Questionnaire-19 puis 15 (MSISQ 19 ou MSISQ15), qui sont validées pour la population SEP (45,46). Outre l’évaluation des troubles, les échelles peuvent également servir de support pour améliorer le niveau de confort des discussions. Des entrevues organisées avec le partenaire, durant lesquelles est abordée, entre autres, la peur de perdre le contrôle de sa vessie peuvent soulager le stress du couple. Par ailleurs, l’équipe exprime que cet outil lui permet de dépasser sa propre gêne et l’appréhension de provoquer celle des patients en abordant la question très intime et personnelle de la sexualité. S’agissant d’un autoquestionnaire, la personne qui ne souhaite pas aborder sa sexualité ne renseignera pas le questionnaire.

75Il est important d’évaluer de quels troubles sexuels souffrent les patients, car la prise en charge sera différente (44) ; ce qui conforte à nouveau l’intérêt d’un dépistage précoce. De plus, le temps de l’évaluation peut permettre la transmission de documents d’informations susceptibles d’être une aide à la communication dans le couple (47). Ce point a été perçu comme très important pour l’équipe soignante, les pathologies neurologiques, et notamment la SEP étant des maladies chroniques, la prise en compte de l’aidant [6] est capitale afin de ne pas risquer son isolement, son épuisement voir son départ comme le mari de Nathalie Dubois. L’explication de la cause du trouble rassure la patiente et améliore l’estime de soi (47), cet élément justifie l’un des objectifs secondaires de l’étude ainsi que le critère de jugement : l’évaluation de l’estime de soi.

76Durant cette étape, on note l’émergence de la prise de conscience de l’impact de la sexualité sur la qualité de vie. Celle-ci peut aussi être un indicateur de la bonne gestion des troubles de la sexualité par les patients et/ou d’une prise en charge efficace du système de santé. Cela a conduit à proposer un autre objectif secondaire : l’évaluation de la qualité de vie avant et après l’intervention.

77Détecter et évaluer les troubles de la femme atteinte de SEP permet de trouver des solutions adaptées, améliore les problèmes affectifs, la communication et donc la qualité de vie. Le « dépistage » précoce peut retarder, voir annuler, l’évolution de difficultés sexuelles en troubles insurmontables, déstabilisants, avec des répercussions sur l’évolution de la santé.

78Cette troisième étape de la revue de la littérature rend visible la puissance du processus de documentation, associé au processus mental de construction vécu lors de l’élaboration de la problématique, et l’impact concret qu’il peut avoir sur la recherche dans son ensemble.

79La quatrième étape visait à établir s’il restait des aspects à investiguer par la recherche. Les études disponibles sont généralement rétrospectives et réalisées sur un petit nombre de patients. La pertinence d’une étude prospective à plus grande échelle, objectivant l’impact de la détection précoce et de la prise en charge des troubles sexuels des patients atteints de SEP par les infirmières sur la qualité de vie, est établie. Compte tenu des résultats de la revue de la littérature la recherche ne proposera pas d’étudier un nouveau phénomène puisqu’il est déjà montré que la santé sexuelle à un impact sur la qualité de vie et donc sa prise en charge aussi. Cependant, ces connaissances peuvent être complétées en ajoutant la variable que sont les soins infirmiers et en initiant une étude prospective et interventionnelle.

80Lors de la rédaction de cette première étude, l’infirmière apprentis chercheur n’avait pas appréhendé le point de vue disciplinaire sur lequel appuyer les résultats de sa recherche. Lors de la mise en œuvre du projet elle prend conscience de deux choses :

  • les infirmières de l’équipe, nombreuses lors de la rédaction du projet et convaincues de la nécessité d’interroger la santé sexuelle, n’osent pas passer à « l’action » ;
  • elle aborde la santé sexuelle avec son regard et ses pratiques infirmières.

81Ces deux constats conduisent l’infirmière à retravailler sa problématique en interrogeant les modèles conceptuels infirmiers. Le modèle d’Imogène King, détaillé dans le paragraphe suivant, lui permet de lier différentes visions de la sexualité en respectant la spécificité de son regard et de sa pratique infirmière. Il est recommandé de réaliser cette étape, avant la formalisation de la question. En effet, elle contribue à préciser et à délimiter la question de recherche et impacte directement l’analyse des résultats de la recherche. Pour notre exemple, elle aurait permis d’anticiper un volet concernant les pratiques infirmières et de s’orienter vers une méthodologie mixte.

82La question telle que présentée précédemment conduit à une réponse binaire de type oui/non. L’évolution des scores de la MSISQ15 permet d’affirmer ou d’infirmer que le dépistage et la prise en charge de la santé sexuelle des patients atteints de SEP, par une infirmière améliore la qualité de la santé sexuelle du patient. Mais elle n’explique pas ni comment, ni pourquoi. L’utilisation d’un cadre conceptuel permet de donner du sens.

La philosophie du projet

83Dans notre exemple, l’objet de recherche est le soin infirmier en santé sexuelle des patients atteints de SEP. Cette maladie pouvant se déclarer dès l’enfance et étant chronique, ce soin s’entend à tous les âges de la vie en allant de l’information au suivi. Il comprend donc l’information, le dépistage, la prévention, le traitement (conseil, écoute active, renforcement positif, prescription, orientation) et le suivi. Il s’appuie sur le potentiel de la personne accompagnée, ce qui est préconisé en promotion de la santé, et répond à la nature ontologique de la santé d’Imogène King (infirmière). Pour King la santé représente des expériences de vie dynamiques d’un être humain et implique une adaptation continue aux facteurs de stress, dans l’environnement interne et externe, par l’utilisation optimale de ses ressources pour atteindre un maximum de potentiel pour la vie quotidienne. King a proposé une première version de son système conceptuel dès 1964. Puis elle l’a précisé par d’autres écrits, notamment en incluant le concept d’adaptation (48). La santé est positionnée comme objectif des soins infirmiers (49). Ce système conceptuel s’inspire du courant systémique : « C’est une philosophie qui revoie le “réductionnisme” et le remplace par le “perspectivisme” […] ce mouvement m’a donné l’espoir que l’on puisse étudier la complexité des soins infirmiers comme un tout “organisé” » (traduction libre) (50). La vision philosophique d’I. King intègre le contexte spécifique dans lequel le phénomène se situe (la question de la sexualité de Nathalie Dubois jeune célibataire n’est pas la même que celle de Nathalie Dubois divorcée résignée). La personne est un être bio-psycho-socio-culturo-spirituel (ce qui répond parfaitement à la multidimensionalité de la sexualité) et les relations sont interactionnelles voir transactionnelles (50). Dans le système conceptuel proposé par King l’humain est un Être de réaction, un Être temporel orienté et un Être social, soit sensible, rationnel, réagissant, percevant, contrôlant, intentionnel, orienté vers l’action et le temps, spirituel. Les individus interagissent au sein de trois systèmes ouverts, dynamiques et interactifs : le système personnel, le système interpersonnel et le système social (50). L’environnement physique et social aide l’individu à grandir et à se développer en tant qu’être humain et à passer d’un état de dépendance dans l’enfance à un état d’indépendance et d’interdépendance à l’âge adulte (50). Gagnon et Simon, sociologues, proposent en 1960 la notion de script de la sexualité (51) déterminé par trois dimensions : sociale (normes culturelles apprises), interpersonnelle (comment s’organise la sexualité mise en commun au regard des normes de chacun) et intrapsychique, propre à chaque individu, qui dépend de son vécu ce qui rejoint la vision proposée par King. Ces visions sociologiques et infirmières de la sexualité dépassent la vision biomédicale mécanique et naturaliste de Kinsey (52,53) et la vision psychanalytique de Freud.

84La vision de la santé sexuelle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ainsi que celle de King répond davantage au courant post constructiviste que positiviste ; il n’existe pas qu’une réalité, mais chaque être humain perçoit une réalité en fonction de son environnement, de ses valeurs et de sa culture. L’OMS rappelle que la santé sexuelle repose sur des droits humains et pour King l’infirmière doit participer à la reconnaissance accrue des droits humains de toutes personnes (49) ce qui conforte le choix du cadre conceptuel.

85King considère que la fonction de la théorie est de décrire, expliquer et prédire les phénomènes pour développer les connaissances en science infirmières, une théorie étant un ensemble de propositions, un ensemble de concepts (54). Dans sa théorie de l’atteinte des objectifs, dérivée de son système conceptuel, King propose des concepts qui fournissent des connaissances substantielles sur la nature des êtres humains et des soins infirmiers (50). Le moi, la perception, le rôle, la communication, l’interaction, la transaction, la croissance et le développement, le temps, l’espace et le stress. En reliant ces concepts, King propose un processus transactionnel entre le patient et l’infirmière (50).

86Elle explique les transactions dans les interactions humaines comme des échanges d’énergie et d’informations. L’infirmière à la faculté de reconnaitre le potentiel, au travers des forces et des faiblesses, et d’élaborer avec le patient une vision réaliste de l’avenir s’appuyant sur son potentiel ; ensemble ils établissent des objectifs à atteindre et travaillent sur les moyens nécessaires pour y parvenir (50). Ce modèle a permis de construire l’intervention de l’étude. En effet, la première consultation se termine en notant les objectifs à travailler pour la consultation suivante.

87L’étude s’appuie aussi sur l’évaluation de l’influence des symptômes de la SEP sur l’activité et la satisfaction sexuelle et l’influence perçue des symptômes de la SEP sur la qualité globale des relations intimes évalués par le MSISQ15 (46). Cet outil complète le modèle d’I. King pour laquelle la perception est un concept fort participant à la notion de santé. Le stress interne peut être lié à la perception qu’a l’individu de son environnement.

88En s’appuyant sur cet exemple, il est possible de confirmer que c’est bien l’association des processus mentaux de construction et de documentation (Fig. 5) vécue durant la construction de la problématique qui pose toute l’architecture de la recherche à venir.

89Les éléments de construction de la problématique illustrés par la situation de Nathalie Dubois et sa généralisation peuvent être résumés de la façon suivante :

  • les éléments déclencheurs : les soins relatifs à la santé sexuelle dispensés à Nathalie Dubois insatisfaisants ;
  • l’intérêt de l’étude : elle permet d’évaluer l’impact du dépistage et des soins relatifs à la santé sexuelle des patients atteint de SEP par la profession infirmière ;
  • l’originalité : la santé sexuelle des patients atteint de SEP est étudiée, mais les soins dispensés par les infirmières sont très peu documentés, et quand c’est le cas ce sont généralement des études, de faible niveau de preuve, rétrospectives réalisées sur de petits échantillons ;
  • l’état des connaissances : les patients atteints de SEP éprouvent des difficultés, des troubles, des dysfonctions sexuelles, leur dépistage et des interventions appropriées peuvent améliorer la sexualité de ces personnes ;
  • l’apport de connaissances : objectiver ce que peuvent apporter les pratiques infirmières en santé sexuelle aux patients atteint de SEP souffrant de trouble de la sexualité ;
  • la délimitation de l’étude : les questionnements initiaux portaient sur deux axes : les patients et les infirmières. Il a été fait le choix de se centrer sur les patients ;
  • les perspectives théoriques : le système conceptuel d’I. King et notamment la théorie de l’atteinte des objectifs (50). L’évaluation de l’influence perçue des symptômes de la SEP sur l’activité et la satisfaction sexuelles et l’influence perçue des symptômes de SEP sur la qualité globale des relations intimes (46) ;
  • le contexte de l’étude : les patients atteints de SEP suivis dans des services spécialisés de neurologie ;
  • la justification des choix : commencer par la population des patients est fondée pour au moins deux raisons : le service rendu aux personnes soignées, l’approche la plus acceptable pour l’équipe ;
  • les limites éthiques : la participation à l’étude requiert le consentement éclairé des patients et de leur partenaire. Ils peuvent interrompre leur participation à tout moment sans aucun retentissement sur la poursuite de leur prise en charge. Les résultats de la recherche leurs seront communiqués à la fin de l’étude ;
  • les retombées pour :
    • les patients : une reconnaissance de leur souffrance, une amélioration de la satisfaction sexuelle et de la qualité de vie ;
    • les infirmières : des interventions et des pratiques professionnelles validées et adaptées aux besoins de santé des patients soignés ;
    • la discipline : la validation ou non d’une pratique clinique dans le champ des soins infirmiers ;
    • la société : la participation à l’évolution du regard sur le handicap et sur l’expression de la sexualité des personnes en situation de handicap. La participation à l’atteinte des objectifs de la feuille de route de la Stratégie nationale de santé sexuelle 2017-2030.

90Les choix effectués lors de la construction de la problématique sont déterminants pour l’élaboration de la méthodologie qui constitue l’étape suivante du processus de recherche. Les autres étapes se déroulent ensuite de façon logique.

91Une première ébauche de problématique, plus proche de l’expression d’un contexte, issue de l’analyse de la situation de Nathalie Dubois a permis la formalisation d’un projet de recherche fondé sur une étude interventionnelle, quantitative, prospective intitulée : « Dépistage précoce et prise en charge paramédicale des difficultés sexuelles dans les maladies du système nerveux : l’exemple de la sclérose en plaques et des tumeurs cérébrales. » Cette première étude scientifique financée, centrée sur les patients a permis d’élaborer une nouvelle problématique centrée sur les pratiques infirmières en France. La multiplication des études avec pour objet les soins infirmiers et la santé sexuelle des malades atteints de pathologies neurologiques constitue le programme de recherche « Neurosex. »

92Chaque recherche est singulière et oblige à faire le travail d’élaboration du projet. L’expérience de la recherche permet d’aller plus rapidement à l’essentiel, mais il est illusoire de penser qu’avec l’habitude il s’agit de reproduire des éléments. La construction d’une problématique est une affaire qui mobilise un ensemble d’éléments à la fois scientifiques et profanes qui concourent à la réflexion et à la progression des idées.

93Le niveau de complexité, de pertinence, d’originalité d’une problématique, comme de l’ensemble de la recherche se construit à l’image d’un escalier à pas japonais (Fig. 6) dans lequel les marches sont décalées. La progression dans la maîtrise de la méthodologie de la recherche et de la connaissance ne se fait pas en même temps, mais par étapes. Une certaine maîtrise de la méthodologie permet d’accéder à un certain niveau de connaissances, lui-même permettant de progresser vers des méthodologies plus élaborées et plus sophistiquées donnant accès à des connaissances, et ainsi de suite.

Figure 6

Escalier à pas japonais de progression alternative méthodologies-connaissances du processus de recherche. Le cas de N. Dubois

Figure 6

Escalier à pas japonais de progression alternative méthodologies-connaissances du processus de recherche. Le cas de N. Dubois

Facteurs et dynamiques facilitant la construction de la problématique de recherche

94L’identification des composantes de la problématique et l’appropriation de leur incorporation simultanée en facilite la construction. Certaines dimensions sont susceptibles de potentialiser le travail de problématisation (55).

La dimension critique

95La première marche de l’escalier à pas japonais du projet initié par le cas de Nathalie Dubois, qui en a entrainé d’autres, n’aurait pas été atteinte si une infirmière n’avait pas exercé son esprit critique sur sa propre pratique et adopté une posture réflexive. Un problème en lien avec la santé sexuelle des patients a été décelé et aurait pu perdurer avec des réponses telles que : ce n’est pas à moi de le prendre en charge, nous n’avons pas assez de moyens pour y répondre.

96La dimension critique et la posture réflexive sont porteuses dans une démarche scientifique, car elles suscitent la détection du problème, des questionnements, l’interrogation de ses certitudes et préjugés qui conduisent à l’immobilisme. Elles peuvent inciter à « déconstruire » des pratiques présentées comme intuitives, mais qui, une fois interrogées, se révèlent associées à des connaissances intériorisées. La démarche scientifique peut aussi prémunir des effets de mode en examinant la réalité et la profondeur du phénomène.

97Cette dimension critique, associée à l’optimisme, à la ténacité, et un esprit entrepreneurial, au sens d’oser se lancer dans l’aventure de chercher des réponses et des solutions malgré les difficultés pressenties, est de nature à initier un processus conduisant à un projet de recherche.

La dimension créative

98L’invention de l’escalier à pas japonais est en soi dû à la créativité de la personne qui a eu idée de décaler les marches pour l’adapter à des espaces réduits.

99La définition de la créativité est multiple, certains la définissent comme un changement dans la perception qu’a un individu de la réalité. Runco (56) précise, après avoir analysé l’histoire de ce concept, qu’il y a deux impératifs à la créativité : la notion d’originalité et la notion d’utilité. Cette idée répond parfaitement à l’exigence de la démarche de recherche. Dans notre exemple, la créativité réside dans la proposition de soins relatifs à la sexualité dispensés par des infirmières dans une institution publique alors que le problème de santé sexuelle, connu dans la littérature et perçu par des infirmières, était ignoré.

100La démarche créative se décline du brain storming au design thinking en passant par l’accélération de projet. Tim Brown (57) propose trois étapes à la démarche créative : inspiration, idéation, implémentation. Les deux premières sont des étapes de la problématique, l’implémentation peut se rapprocher de la mise en œuvre du projet de recherche, la phase empirique (Fig. 1).

101La créativité, c’est aussi faire des essais, tester en acceptant de se tromper et de recommencer autant que de besoin en cherchant de nouvelles solutions, interventions. Comme expliqué précédemment, la première revue de la littérature avait été réalisée sans utiliser les termes MeSH et la première problématique sans référence philosophique. Ces manques, identifiés et corrigés par l’infirmière, ont été révélés par la mise en œuvre concrète et l’acquisition de nouvelles connaissances (Fig. 6).

La dimension méthodologique

102La montée de cette marche de l’escalier à pas japonais a été facilitée par les différentes formations que les infirmières de l’équipe porteuse du projet ont suivies. Celles-ci ont permis notamment de connaître et de s’approprier le processus et des méthodologies de recherche, de prendre la mesure de l’exigence de précision et de rigueur propre à la recherche, d’acquérir des compétences et des réflexes, tant cognitifs que pratiques, pour la réalisation de revues de la littérature, d’appréhender le raisonnement qui permet d’analyser et de confronter les différents résultats des études afin qu’ils nourrissent le travail de recherche en cours.

103La dimension méthodologique, bien qu’en matière de recherche elle ait ses propres règles prends appui aussi sur des modèles de conduite de projet, les modalités de réponses à des appels à projets (formes, contraintes, codes, etc.).

La dimension collaborative

104La montée des marches successives avec des déplacements progressifs en fonction des acquisitions de connaissances et de méthodes, de production de savoirs, se fait par des rencontres, des confrontations, des échanges avec d’autres personnes dans divers milieux tant professionnels que personnels et scientifiques.

105La dimension collaborative dans la construction de la problématique de recherche c’est la capacité à dialoguer, en utilisant le langage de la science, avec des personnes constituant des équipes qui se mobilisent, s’impliquent, pour atteindre un objectif. Il s’agit également d’établir des collaborations au sein de réseaux.

Conclusion

106Le consensus quant à la nécessité de la problématique et sa place dans le processus de recherche est établi. Les mêmes composantes sont présentes, mais la dénomination, la formalisation, le développement du contenu varient selon les disciplines et les paradigmes de recherche dans lesquels les chercheurs situent leurs études.

107La construction d’une problématique est un processus complexe nécessitant de mener plusieurs opérations concomitamment et de façon itérative et intégrative. Les composantes rassemblées dans l’article et rendues visibles, ainsi que l’illustration par une situation réelle, montrent les différentes opérations, les articulations et la progression pour parvenir à une question précise. Cet exposé de l’histoire invisible de la construction de la problématique et des composantes peut faciliter les explications, l’enseignement et la mise en pratique de cette étape de la recherche. Étape essentielle qui positionne la recherche dans un continuum de savoirs disciplinaires et en l’occurrence dans l’histoire des savoirs infirmiers.

108La situation, centrée sur les soins infirmiers relatifs à la santé sexuelle des patients atteints de SEP, théorisée est transposable à d’autres maladies neurologiques et plus largement à toute interrogation, idée, observation, susceptible de faire l’objet d’une problématique et d’une recherche scientifique.

Conflits d’intérêts

109Les auteures déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt.

Remerciements

Nous remercions Salma Patel pour son aimable autorisation à reproduire la figure issue de son article « The research paradigm - methodology, epistemology and ontology - explained in simple langage ».

Annexe 1

Description synthétique de la sclérose en plaques

110La SEP est une maladie chronique, invalidante, dégénérative, multifactorielle du système nerveux central touchant la gaine de myéline et reposant sur une anomalie immunologique. En France, 80 000 personnes sont atteintes de cette maladie. Chaque année 2 000 nouveaux cas sont diagnostiqués avec une prédominance de femmes (2/3 cas). L’âge de début d’apparition des symptômes se situe entre vingt et quarante ans. Cliniquement, la SEP se caractérise par l’existence d’une très grande diversité de manifestations et de modes évolutifs. Une multiplicité d’évolutions dans l’espace (existence de plusieurs lésions) et dans le temps (répétition imprévisible de poussées et de rémissions) (4). La sémiologie révélatrice est multiple : des signes oculaires, des troubles moteurs (faiblesse musculaire, trouble de l’équilibre, paralysie) sont révélateurs de la maladie dans 40 % des cas, des troubles sensitifs (fourmillements, sensations de décharges électriques) sont révélateurs dans 20 % des cas, des troubles génitaux, des troubles de l’élimination, une atteinte des nerfs crâniens (diplopie, névralgies du trijumeau, anesthésie de la face), une atteinte cérébelleuse (démarche ébrieuse, troubles de la coordination, dysarthrie) et des troubles généraux comme la fatigue, la difficulté de concentration et la dépression. Il existe trois formes cliniques de SEP :

  • rémittente–récurrente : des poussées inflammatoires interviennent de manière imprévue et ont une durée variable. Elles sont suivies d’une période de rémission. La récupération peut être totale ou partielle. Environ 80 % des patients sont atteints par cette forme de la maladie (5). En raison de son caractère fluctuant, les patients passent par des périodes où la maladie ne se voit (presque) pas et lors desquelles ils ne se sentent pas malade, à des moments où le handicap est manifeste et empêche la réalisation des activités quotidiennes. L’incertitude est constamment présente ;
  • progressive primaire : les symptômes progressent en l’absence de poussées distinctes. Elle représente 10 % à 15 % des personnes atteintes de SEP (5). Un sentiment d’impuissance, lié à l’inéluctable déclin des capacités peut affecter les patients ;
  • progressive secondaire : elle se caractérise par une évolution constante de la maladie, qui n’est pas dépendante des poussées. Après une période de 10 ans, la moitié des patients présente une forme progressive de la maladie (6).

111L’évolution des SEP progressives primaire et secondaire est variable. Elle peut prendre trois formes :

  • bénignes : définies comme des formes sans invalidité après quinze années d’évolution, elles représentent 20 à 30 % des cas ;
  • graves : très actives, entraînant rapidement un handicap très sévère, elles représentent environ 10 % des cas ;
  • intermédiaires : avec toutes les formes possibles entre bénignes et très sévères (7,8).

Annexe 2

Extrait des résultats de la revue de la littérature de 2010

tableau im7
Réf. Titre de l’article Auteur Revue PMID Niveau de prevue 43 Female sexuality in multiple sclerosis : the multidimensional nature ofe the problem and the intervention. Bronner G, Elran E, Golomb J, Korczyn AD. Acta Neurol Scand. 2010 May ;121(5) :28 9-301. Epub 2010 Jan 12. 20301492 Revue de literature 44 Sexual dysfunction in multiple sclerosis. Kessler TM, Fowler CJ, Panicker JN. Expert Rev Neurother. 2009 Mar ;9(3) :341-50. 19271943 Revue de literature 45 Rehabilitation of intimacy and sexual dysfunction in couples with multiple sclerosis. Foley FW, LaRocca NG, Sanders AS, Zemon V. Mult Scler. 2001 Dec ;7(6) :417- 21. 11795465 Étude pilote 47 A comparison of written materials vs. materials and counselling for women with sexual dysfunction and multiple sclerosis. Christopherson JM, Moore K, Foley FW, Warren KG. J Clin Nurs. 2006 Jun ;15(6) :742-50. 16684170 Étude comparative

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Mots-clés éditeurs : problématique, soins infirmiers, sclérose en plaques, santé sexuelle, recherche

Date de mise en ligne : 28/01/2020

https://doi.org/10.3917/rsi.139.0123

Notes

  • [1]
    Prénom et nom modifiés.
  • [2]
    Le terme patient est utilisé comme terme générique qui désigne aussi bien les hommes que les femmes lorsque cela concerne les patients atteint de SEP en général. Le terme patiente est utilisé quand il s’agit de la situation singulière de Nathalie Dubois.
  • [3]
    L’infirmière ne travaille plus dans le service, car courant 2002 elle est entrée en formation à l’Institut de formation des cadres de santé. Elle ne dispense plus de soins à Nathalie Dubois. Cependant, il lui arrive de la croiser dans l’hôpital ou d’avoir de ses nouvelles par ses anciennes collègues, cela lui permet de poursuivre le récit de son parcours de soins.
  • [4]
    Le terme infirmière est conservé pour faciliter la lecture.
  • [5]
    Les références 43, 44, 45, 47 sont extraites de la revue de la littérature prise en exemple, illustrant le cas clinque de Nathalie Dubois et synthétisée dans le tableau (Annexe 2).
  • [6]
    L’aidant est très souvent le conjoint, c’est pourquoi la santé sexuelle est importante à interroger.

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