Introduction
1Cet article propose de faire le point sur la compréhension actuelle entourant les priorités d’intervention face à l’agitation vécue par les personnes âgées souffrant de démence en insistant sur les notions d’inconfort et d’attachement qui commencent à lui être associées. Cet article prend la forme de ce qui est convenu d’appeler un « Examen de la portée -Scoping Review » c’est-à-dire qu’il a pour but d’analyser les concepts clés à la base d’un domaine de recherche ou d’un phénomène, étant ici l’agitation. Pour paraphraser les instituts de recherche en santé du Canada, les examens de la portée sont des projets exploratoires qui ratissent la documentation disponible sur un sujet donné, en faisant ressortir les concepts clés, les théories, les sources de données probantes et les lacunes de la recherche. En général, les étapes de l’examen de la portée sont similaires à celles de la revue systématique et comprennent la sélection, la collecte et la synthèse des connaissances existantes dans un champ thématique. Toutefois, Mays, Roberts et Popay (1) suggèrent que l’ampleur d’un examen de la portée peut être réduite en fonction des connaissances cumulées sur les phénomènes d’intérêts primaire et secondaire et des ressources disponibles. Cette étape permet de mettre en perspective la complexité d’un phénomène afin de construire puis d’évaluer le processus d’implantation des interventions les plus appropriées (2). Dans le cadre de notre examen de la portée, nous avons suivi les orientations suggérées par Arksey et Malley (3) de rassembler les données scientifiques en utilisant un cadre analytique et une construction thématique afin de présenter un compte rendu narratif de la documentation existante.
2Théoriquement, c’est sur une proposition principale suggérée par la théorie du confort de Kolcaba (4) que s’appuie la construction de cet examen de la portée, à savoir que l’agitation des personnes atteintes de démence, scientifiquement documentée pour être corrélée à l’inconfort, devrait s’atténuer lorsqu’est réalisé un soin (incluant soin non-pharmacologique - soin de confort) adapté à la situation, surtout si celui-ci est plusieurs fois répété. C’est ici qu’interviennent, lors de ces soins nécessitant un contact relationnel entre soignant et patient, les connaissances sur l’activation des différents modes d’attachement des personnes atteintes de démence. Ces modes d’attachement pourraient participer à expliquer l’imprévisibilité relative des réactions lors de la réalisation d’actes habituellement considérés comme agréables. Ainsi, un bref examen de la théorie de l’attachement et des modèles internes opérants (MIO) devrait s’avérer utile pour situer l’intérêt de la connaissance des modes d’attachement des personnes atteintes de démence et de leur activation en situation d’intervention infirmière face à l’agitation. Il s’agit donc d’un examen de la portée qui inclut trois concepts ou théories que nous jugeons imbriqués : l’agitation (5), le confort (4) et l’attachement (6). Il concerne à la fois la recherche empirique et la recherche conceptuelle, sur des questions plus vastes que celle de l’agitation.
3Le choix des articles qui ont été inclus est basé sur leur pertinence, de même que sur leur niveau de preuve, mais surtout sur le fait qu’ils permettent d’étoffer les liens théoriques et empiriques entre agitation, confort et attachement. La stratégie de recherche documentaire assez classique a été réalisée sur les bases de données Pubmed et Cinahl en utilisant les descripteurs relatifs à chacun des concepts approfondis ici. Des articles proches ont également été retenus selon leur niveau de pertinence. N’ont été considérés que les documents en français et en anglais et les limites temporelles pour la sélection des méta-analyses et des études expérimentales étaient de 10-15 ans selon leur niveau d’intérêt et de preuve. Pour être retenues sans limite temporelle, les analyses approfondies de concept devaient avoir démontré une méthodologie pertinente. C’est ainsi que plus de 300 sources ont été analysées selon ces critères et 160 retenues. Pour des raisons éditoriales, seules 50 sources considérées comme principales sont référencées dans cet article. Les lecteurs intéressés peuvent demander de recevoir la bibliographie complète.
Contexte du vieillissement et de la démence
4L’augmentation de la population âgée et le vieillissement démographique dans les pays industrialisés sont des faits avérés. Il est également admis que la population âgée reste en bonne santé plus longtemps et le nombre d’années sans incapacité augmente plus rapidement que l’espérance de vie moyenne. En Suisse, la part des personnes de 65 ans et plus devrait passer de 16,6 % actuellement à environ 28 % en 2050. Il s’avère que les risques de démence augmentent avec l’âge. À ce jour, 46,8 millions de personnes sont atteintes de démence dans le monde (7). En 2030, elles seront 74,7 millions et en 2050 ce chiffre aura encore presque doublé pour atteindre 131,5 millions. Ces nouvelles estimations sont 12-13 % plus élevées que celles réalisées en 2009 (7). Cette maladie touche actuellement 116’000 personnes en Suisse dont 40 % sont institutionnalisées et desquelles plus de la moitié a atteint un stade avancé de démence. Il est attendu que 150’000 en 2020 et 300’000 en 2050 seront atteintes, touchant 13 % des plus de 65 ans. Même si les perspectives de prévention et de traitement de cette maladie sont appelées à se développer, compte tenu de l’augmentation générale des personnes âgées en Suisse, l’effectif global des patients atteints de démence va continuer à augmenter autant à domicile que dans les établissements médico-sociaux ou les hôpitaux (8).
5Notons que le concept de démence est ici considéré sous un angle syndromique, sachant qu’il en existe plusieurs types pouvant être regroupés sous le terme de « syndrome démentiel » (8). Les types de démence se différencient selon le genre de lésion, la topographie, l’étiologie, l’âge d’apparition et l’évolution de la maladie avec ses symptômes ou manifestations. Les types de démence les plus courants sont la maladie d’Alzheimer, les démences vasculaires et les démences mixtes. Il est important de noter que les personnes atteintes de démence présentent souvent des symptômes psychologiques et comportementaux de la démence (SCPD) incluant l’agitation. Certaines études indiquent qu’au moins un comportement agité sur une période de deux semaines d’observation est visible chez 95 % des personnes âgées atteintes de démence (9), alors que 34 % en manifestent au moins un par semaine (10).
Agitation
6Kong a réalisé une étude approfondie du concept d’agitation applicable aux personnes atteintes de démence (5). Elle rapporte deux dimensions principales de l’agitation, nommément la dimension physique et la dimension psychologique. La dimension physique inclut les aspects moteurs, verbaux ou vocaux. Elle est décrite dans la plupart des définitions de l’agitation reliée à la démence. D’ailleurs, certains auteurs ont limité leur définition à cette dimension. Par contre, d’autres écrits incluent la dimension psychique. Kong note que l’agitation représente un trouble de comportement qui peut être qualifié indistinctement d’inapproprié, non-intentionnel, perturbateur, dérangeant, dysfonctionnel ou inadapté. Elle note que d’autres travaux conceptualisent l’agitation comme un ensemble d’émotions et de comportements très invalidants, et que l’agitation ne correspond pas seulement à un trouble du comportement mais exprime particulièrement des composantes liées à l’humeur. En effet, en dépit des dimensions physiques et psychologiques de l’agitation et en raison des facultés de communication réduites des patients atteints de démence, les aspects observables de l’agitation sont priorisés. Il reste que ces définitions reflètent la perspective de l’observateur et ont une connotation souvent négative (5).
7On note quand même que certains instruments incluent des items comme les sautes d’humeur, l’inquiétude, l’anxiété, la crainte ou les croyances incorrectes pénibles. Une telle description de l’agitation permet de capter l’expression d’un besoin ou d’un sentiment du point de vue des personnes atteintes de démence. Cette description est considérée comme étant plus positive car elle implique de donner un sens aux manifestations d’agitation liées à la démence et de ne plus uniquement les interpréter comme des comportements « perturbateurs » inacceptables, en rupture des normes sociales attendues (5). Pour l’auteur, ces indicateurs d’interprétation permettent de comprendre quels sont les besoins physiques et psychologiques sous-jacents au comportement. Ce changement de perspective demande d’élargir la compréhension des facteurs pouvant précipiter l’agitation. Les derniers travaux publiés vont totalement dans cette perspective d’une compréhension des besoins non satisfaits des patients pour diminuer l’agitation (11).
8Récemment, l’Association internationale de psychogériatrie (IPA) (12) a rédigé une définition consensuelle provisoire de l’agitation après consultation auprès de 828 personnes tout au long du processus de définition. Celle-ci inclut la présence simultanée de cinq conditions, soit : 1) une détérioration cognitive ou un syndrome démentiel, 2) un comportement évoquant de la détresse émotionnelle, 3) une activité motrice excessive, agressive ou non, 4) des comportements provoquant des incapacités importantes qui ne sont pas directement imputables à un autre trouble psychiatrique ou à une substance et finalement, 5) un comportement qui peut être vu comme la manifestation d’un état émotionnel de colère ou de détresse émotionnelle.
9Il apparaît donc peu à peu un accord dans les diverses définitions conceptuelles et cliniques de la simultanéité entre un comportement inapproprié d’agitation, et un état intérieur d’inconfort ou même de détresse psychologique. Il reste qu’à ce jour, les limites du phénomène de l’agitation ne font pas encore consensus dans les diverses conceptualisations tirées de la littérature (5).
10Kong a répertorié les facteurs pouvant précipiter l’agitation chez les personnes atteintes de démence. Parmi ceux-ci, on compte les facteurs neurologiques, physiques, psychologiques et fonctionnels, la communication interpersonnelle, les facteurs environnementaux, et tous types de contrainte physique ou d’effets néfastes des médicaments, tels l’intoxication aux drogues, le retrait du médicament et les interactions médicamenteuses. Certaines études catégorisent ces antécédents d’agitation en deux groupes : les facteurs fondamentaux et les facteurs proximaux. Les facteurs fondamentaux incluent la stabilité neurologique, l’état cognitif et les facteurs psychosociaux, alors que les facteurs proximaux sont d’origine environnementale et sociale. D’autres auteurs relèvent aussi que les interactions complexes interpersonnelles et environnementales du patient peuvent causer de l’agitation (9).
11Ainsi, sur la base d’évidence ou de concepts préexistants, Kong propose un modèle intégratif de l’agitation qui inclut des antécédents précipitateurs et des conséquences qui sont illustrées à la figure 1 et explicitées dans les sections qui suivent.
Antécédents primaires et secondaires de l’agitation et ses conséquences selon Kong (5), adaptés et traduits
Antécédents primaires et secondaires de l’agitation et ses conséquences selon Kong (5), adaptés et traduits
Antécédents primaires de l’agitation
12Selon Kong (5), qui se base sur de nombreux écrits, les antécédents primaires de l’agitation comprennent les facteurs liés au patient, à l’environnement, aux relations interpersonnelles et aux restrictions subies. Les facteurs liés au patient sont relatifs aux facteurs neurologiques en jeu dans la démence, à la gravité et à l’avancée de cette maladie, aux comorbidités, aux douleurs, aux troubles du sommeil, aux états psychologiques tels l’anxiété et la dépression, aux déficits sensoriels et fonctionnels, aux déficits communicationnels et au genre. Les facteurs en rapport avec l’environnement se rapportent aux bruits et sons qui peuvent engendrer des réactions (sentiment d’invasion de l’espace personnel), une interprétation inappropriée des stimuli environnementaux, une température insuffisante des locaux et une dotation insuffisante de personnel. Les rapports personnels peuvent également engendrer de l’agitation, en cas d’incompréhension de la langue utilisée par le personnel soignant, lors de conflits avec les soignants et lors de certains contacts physiques inappropriés ou perçus comme envahissants. Les contraintes comme les restrictions ou contraintes physiques ainsi que des médicaments tels les antipsychotiques peuvent également provoquer de l’agitation.
Antécédents secondaires de l’agitation
13Les antécédents secondaires de l’agitation comprennent, selon Kong, l’inconfort et les besoins non satisfaits (5). En raison des difficultés des patients atteints de démence à s’exprimer, ils apparaissent comme une condition préalable de l’agitation. Les comportements agités pourraient ainsi être le seul moyen pour ces patients sévèrement atteints d’exprimer leurs besoins. Ces suggestions sont appuyées par une très récente étude de Cohen-Mansfield. Les besoins non satisfaits y apparaissent prioritairement en lien avec l’ennui par privation sensorielle, avec la solitude par manque d’interaction sociale et avec un besoin d’activités plus significatives que celles réalisées quotidiennement (11). Par ailleurs, il est à relever que les connaissances spécifiques aux professions des soignants (médecins, infirmières ou psychologues) pourraient favoriser une interprétation différenciée des étiologies des manifestations d’agitation (13). L’auteure relève l’intérêt d’une approche interdisciplinaire pour contribuer à une analyse complète et multidimensionnelle des situations individuelles d’agitation incluant des analyses plus poussées en ce qui concerne l’inconfort (13).
Inconfort chez les personnes âgées démentes
14L’inconfort n’ayant pas fait l’objet d’une analyse approfondie, il reste à ce jour un concept peu mature (14). Il est toutefois considéré comme un phénomène complexe référant à un état physique ou émotionnel négatif, sujet à variation dans son amplitude en réponse aux conditions internes ou environnementales et qui engendre des besoins non satisfaits. D’autres auteurs utilisent invariablement les termes inconfort et douleur mais diverses conditions telles la douleur, la détresse, la dépression, la solitude, le manque de stimulation, le manque de sommeil peuvent contribuer à l’inconfort. Des travaux notent que l’inconfort apparaîtrait lorsqu’il y a des besoins physiologiques et psychologiques non-comblés (14). Les sources d’inconfort seraient donc multiples et hétérogènes (14) et pourraient être perçues de manière aigüe par le patient en situation d’hyperréactivité émotionnelle (15). À l’aide d’une approche modifiée de Morse, Lamont (14) a donc étudié le concept d’inconfort en utilisant une méthodologie qualitative d’analyse du diagnostic, une revue d’écrits, des entrevues et des études de cas. Ses résultats suggèrent que les études sur l’inconfort se divisent en quatre catégories : a) les définitions et les termes connexes, b) les études suggérant la notion de l’inconfort, c) les études différenciant les concepts de douleur et d’inconfort, et finalement, d) les études assimilant la douleur à l’inconfort ou utilisant ces termes avec ambiguïté. Lamont rapporte que les cliniciens expriment leur soutien à la notion de l’inconfort comme un concept diagnostic distinct de la douleur et incluant des interrelations complexes avec des malaises émotionnels comme la peur. Néanmoins, il conclut que les travaux actuels sont insuffisants pour délimiter clairement le concept de l’inconfort en raison de l’absence de consensus sur ses manifestations cliniques et suggère de développer le concept afin de fournir des orientations d’interventions dont les résultats seraient mesurables à partir d’un choix de variables étayées et permettant l’élaboration d’un diagnostic infirmier (14).
15L’intégration de plusieurs dimensions fait donc du concept de l’inconfort un phénomène complexe, aux composantes cliniques peu précises et difficiles à séparer les unes des autres. Toutefois, selon Lemay (16), l’inconfort est considéré comme présent chez 70 % à 86 % des patients institutionnalisés atteints de démence. Cet auteur rapporte que, malgré leur intrication, deux grandes dimensions de besoins non satisfaits provoquent de l’inconfort : les besoins se rapportant à l’inconfort physique et ceux à l’inconfort psychologique. L’inconfort physique se rapporte essentiellement à la notion de douleur, alors que l’inconfort psychologique est discuté dans cette étude en regard des symptômes d’anxiété et de dépression apparaissant fréquemment chez les personnes atteintes de démence. Toutefois, la littérature est beaucoup plus développée sur les concepts de la douleur, de la dépression et de l’anxiété chez les personnes âgées atteintes de démence que sur celui de l’inconfort.
Association entre agitation et inconfort
16Tel qu’explicité dans le modèle de Kong, l’inconfort ferait partie des antécédents secondaires de l’agitation des personnes atteintes de démence (5). Toutefois, l’association entre des comportements spécifiques d’agitation physique ou verbale et l’inconfort sont encore peu compris (17). Néanmoins, des auteurs suggèrent que l’apparition d’agitation survient lorsque des besoins de base, comme la gestion de la douleur, ne sont pas satisfaits mais il reste que l’association entre l’agitation et l’inconfort n’est pas encore tout à fait clair.
17D’autres travaux réalisés auprès de participants souffrant de démence moyenne à avancée et ayant au moins un type de douleur indiquent une corrélation modérée mais significative entre l’agitation et l’inconfort. Les auteurs suggèrent que les comportements agités sont des expressions de sensations douloureuses même si une part importante de l’inconfort s’expliquerait aussi par la sévérité de la démence (17).
18Une autre étude réalisée auprès de patients atteints de démence démontre que l’association entre l’inconfort et l’agitation globale est significative, et plus encore avec l’agitation verbale. L’association entre l’inconfort et l’agitation physique non agressive est plus faiblement significative et ne l’est pas du tout pour l’agitation physique agressive, probablement en raison du manque de puissance statistique de cette catégorie (18). Des travaux sur l’association entre l’agitation et l’inconfort durant la toilette montrent que l’agitation globale est également associée de manière très significative avec l’inconfort et l’agitation verbale.
19En conséquence de ces résultats, il apparaît que le choix des interventions à réaliser dans des situations d’agitation et d’inconfort doit tenir compte de l’ensemble des causes possibles. Les comportements agités, en raison de leur lien avec une forme d’hyperréactivité émotionnelle, peuvent être soit améliorés ou aggravés par les comportements et l’état psychique des personnes qui prennent soin d’eux (15). Cependant, malgré ces idées développées depuis de nombreuses années, il apparaît que ces besoins non satisfaits restent sous détectés par les soignants, surtout ceux en rapport avec l’inconfort et la douleur (11). Les chercheurs en sciences infirmières argumentent ainsi la nécessité de développer des études en rapport avec le concept de confort. Certains affirment que les soins infirmiers visent à aider les patients à retrouver une santé optimale, de même qu’un sentiment de confort et d’accomplissement de soi. Pour d’autres, le confort représente une contribution unique à la profession infirmière aux soins de santé et en serait même le but ultime (4). La théorie du confort de Kolcaba permet de faire suite à la modélisation de Kong qui explique les liens entre l’agitation et l’inconfort du patient atteint de démence. Cette théorie intermédiaire propose en effet une compréhension des dimensions en jeu dans la construction de la perception du confort des patients (4).
Structure taxonomique du confort selon Kolcaba
20Kolcaba (4) emprunte des travaux de Murray qui a synthétisé les principaux éléments des théories de la personnalité à la lumière d’un modèle holistique cohérent. La perspective infirmière unique de Kolcaba l’a conduite à une théorie fondée sur les besoins des personnes recevant des soins de confort des infirmières dans un environnement donné. La définition des « besoins » dans cet article se fonde sur les écrits de Murray. Ils représentent les tensions induites produites par des facteurs obstructifs qui vont engendrer un sentiment d’inconfort et nécessiter les activités appropriées pour y répondre. Si celles-ci sont adaptées, les besoins sont alors satisfaits et le ressenti immédiat de la personne devient positif. Selon Kolcaba, l’efficacité des interventions de confort promulguées par les infirmières sont perçues par les personnes elles-mêmes et démontrent des résultats visibles. Elle propose de définir le confort comme l’expérience que vit le patient lorsque ses besoins fondamentaux : 1) d’être soulagé, 2) de ressentir du bien-être, et 3) de dépasser ses problèmes (transcendance), sont pris en compte et satisfaits au moyen d’approches adaptées ; ceci dans les contextes aussi bien physique, pycho-spirituel, environnemental que socioculturel. Cette définition établit le confort en deux dimensions, majeures, nommément : le “type d’état de confort” et “le contexte de confort”(4). Ainsi, le patient expérimente un état de confort total lorsque les trois types de besoins de confort sont satisfaits dans les quatre contextes de la structure taxonomique (figure 2).
Structure taxonomique du confort selon Kolcaba (4) adaptée et traduite
Structure taxonomique du confort selon Kolcaba (4) adaptée et traduite
21Pour la dimension du « type d’état de confort », le soulagement correspond à l’état éprouvé lorsqu’un besoin spécifique a été correctement pris en compte. L’état de bien-être représente un état de calme et de contentement, de satisfaction qui permet à la personne d’effectuer des performances efficientes. L’état de transcendance indique le dépassement de problèmes et/ou la douleur à un niveau surpassant les deux états précédents et offrant potentiellement la possibilité d’exprimer des performances singulières (4). Chacun de ces trois états de confort contient des relations positives à la performance nécessitant un renforcement. Le renforcement du confort et son impact favorable sur les performances physiques et psychologiques fournit l’argument principal pour viser systématiquement l’intégration de ce concept dans les soins infirmiers. Les états de confort sont souvent linéaires mais se superposent et deviennent de plus en plus interdépendants particulièrement lors de la fin de vie lorsque la personne nécessite des forces intérieures pour accepter sereinement l’approche de la mort (4).
22La seconde dimension du confort, dérivée de l’holisme, correspond aux différents contextes dans lesquels s’expérimentent les états de confort (4). Le premier contexte est physique, en rapport avec les sensations corporelles et l’homéostasie. Le deuxième contexte est psycho-spirituel et correspond à un état intérieur incluant l’estime de soi, la sexualité, le sens de sa vie et les relations à un ordre supérieur. Le troisième contexte dans lequel le confort est expérimenté est l’environnement qui inclut la lumière, le bruit, l’ambiance, la couleur, la température et les éléments naturels et synthétiques. Le quatrième contexte est socioculturel, relatif aux relations interpersonnelles, familiales et culturelles. Le contexte social inclut les dimensions financières et informatives de la vie sociale. La coordination des « états de confort » et des « contextes » résulte en 12 facettes possibles de confort (figure 2).
23L’analyse des sources d’inconfort via la structure taxonomique permet aux soignants de déceler les besoins non satisfaits des patients et de mettre en place une stratégie pour que ces derniers y répondent eux-mêmes ou pour les aider par une suppléance infirmière (4). Une situation de soins infirmiers peut être considérée comme un stimulus favorisant ou pas le développement de la personne. Selon Kolcaba, la situation d’un patient correspond à la somme des besoins non satisfaits (besoins du patient), des interventions infirmières pour répondre à ces besoins (soins infirmiers), ainsi qu’au contexte personnel du patient et à ses expériences antérieures (forces d’interaction) (4).
24Plus précisément, les besoins non satisfaits correspondent à l’ensemble des stimuli négatifs résultant de la santé de la personne, y compris les effets secondaires des maladies ou des traitements, l’environnement et/ou les expériences sociales nocives, les sensations émotionnelles telles que la peur, l’anxiété, l’impuissance ou la solitude. Ces stimuli négatifs engendrent ainsi des besoins non satisfaits. Les interventions infirmières visant à répondre aux besoins subsistants après que les réserves propres de la personne soient épuisées par les forces obstructives (4). Les expériences des patients représentent l’addition des expériences passées de la personne, son âge, son état émotionnel, le système de soutien, ainsi que la totalité des éléments de sa situation vécue qui sont probablement aussi, entre autres influencés, vécus et interprétés en fonction du type d’attachement individuel. L’ensemble de ces éléments cohabitent de manière intégrée chez l’individu et agissent de concert. Elles sont donc toutes estimées simultanément et engendrent chez le patient une perception globale de confort. Cette perception est donc très individuelle et peut, par des expériences positives répétées, se modifier positivement. Les sentiments de confort vont engendrer de nouveaux comportements de santé ou favoriser une mort paisible. La dernière partie de la théorie (intégrité institutionnelle) représente pour Kolcaba les valeurs, la stabilité financière et l’intégrité des organisations de soins de santé tant au niveau local, régional, national, qu’au niveau national. Ces points mériteraient une attention particulière mais s’éloignent quelque peu du sujet initial et ne seront pas plus développés ici.
25Ainsi, en résumé, une perception de confort global ne signifie pas que des tensions négatives initiales ont été éliminées mais que les interventions infirmières en atténuent l’impact sur le sentiment de confort. Selon Kolcaba, si la personne a une perception d’un confort globalement amélioré, elle sera conduite à renforcer les habitudes qui lui permettent de réduire les tensions (4). La compréhension de la structure des habitudes du succès fournit aux soignants une orientation pour l’action future (figure 3).
Modèle conceptuel de la théorie du confort (19), adapté et traduit
Modèle conceptuel de la théorie du confort (19), adapté et traduit
Les propositions et hypothèses de la théorie du confort
26Kolcaba (20) évoque plusieurs propositions pour les soins infirmiers en relation avec la théorie du confort. Les voici énoncées :
- Les infirmières identifient les besoins de confort des patients qui n’ont pas été satisfaits par les systèmes de soutien existants.
- Les infirmières identifient les interventions nécessaires pour satisfaire ces besoins.
- Les variables intermédiaires sont prises en compte dans l’élaboration d’interventions pour un confort immédiat ou ultérieur.
- Un confort augmenté renforce les patients à s’engager dans des comportements de recherche de santé.
- Lorsque les patients recherchent des comportements favorables à une meilleure santé ou développent une attitude sereine face à la mort suite à des mesures réconfortantes réalisés par des infirmières, les patients aussi bien que les infirmières sont plus satisfaits des soins de santé.
- Lorsque les patients sont satisfaits de leurs soins de santé dans une institution spécifique, cette institution maintient son intégrité.
27Quatre hypothèses sont également explicitées par Kolcaba dans sa théorie du confort (20) :
- Les êtres humains ont des réponses globales à des stimuli complexes.
- Le confort est un résultat holistique souhaitable et pertinent pour la discipline infirmière.
- Les êtres humains s’efforcent de satisfaire leurs besoins minimums de confort. Il s’agit d’une entreprise active.
- L’intégrité institutionnelle a une composante normative et descriptive basée sur un système de valeurs axé sur le patient.
Conséquences de l’agitation
28Selon Kong, l’évidence est à l’effet que l’agitation des patients atteints de démence a des conséquences négatives pour le patient, le soignant ou encore pour l’organisation des soins (5). Ces conséquences comprennent la détresse, la frustration, une incidence plus élevée de chutes, des pertes de poids et de l’anorexie, de la déshydratation, des restrictions physiques et pharmacologiques, des restrictions dans les activités quotidiennes et dans la vie sociale, de l’institutionnalisation accrue et une diminution de la qualité de vie. Des auteurs évoquent aussi les conséquences de l’agitation verbale sur les autres patients les amenant même à des réactions agressives nécessitant une contrainte chimique (21). Les patients atteints de démence hospitalisés dans les unités spécialisées de l’âge avancé ou institutionnalisés sont souvent à un stade assez avancé de la démence, avec une difficulté à assurer seuls les activités de la vie quotidienne. Cette dépendance va s’aggraver et devenir progressivement très importante, rendant les soins de plus en plus complexes, répétitifs et pourtant chaque fois singuliers. La prise en charge physique, intellectuelle et surtout émotionnelle de ces patients occasionne chez les soignants, des sentiments de stress pouvant engendrer une forme d’épuisement (9, 22). Pour Kong (5), ce stress peut engendrer chez les soignants et les aidants des difficultés familiales ainsi qu’une diminution de la qualité de vie.
29D’autres études démontrent en outre que des comportements d’agitation, pour lesquels peu d’interventions efficaces sont systématiquement mises en place, peuvent provoquer chez les infirmières et autres soignants une certaine forme de sentiment d’impuissance. Celle-ci peut s’exprimer par la création de remparts physiques et émotionnels (23), détériorant la relation soignant-soigné (9). En effet, certains soignants développent des réactions de frustration, d’anxiété et de colère les amenant à se distancer de ces patients, voire même à les exposer à de la maltraitance ou à un comportement potentiellement nocif. Ces patients sont ainsi à risque d’être victimes d’une relation dysfonctionnelle avec les personnes qui s’en occupent (9). Ces comportements aggravent alors les comportements perturbateurs. Des études physiologiques récentes démontrent l’existence d’un stress empathique chez les proches des personnes atteintes de désordres mentaux et souffrant de stress (24, 25). Plus cette relation est proche et intime, plus le stress empathique est important (24). Cette activation physiologique paraît néanmoins influencée par les prédispositions personnelles au stress émotionnel dans les interactions sociales. D’autres auteurs relèvent que l’observation des actions et des émotions d’autrui active les régions cérébrales impliquées dans l’expérience des activités et des émotions similaires impliquant une mosaïque de composantes affectives, motrices et somato-sensorielles (26).
30Ainsi, le stress ressenti par les soignants quotidiennement proches de ces patients agités pourrait expliquer qu’ils mettent en place des remparts émotionnels et physiques lors des comportements d’agitation (23). Toutefois, les auteurs rappellent qu’habituellement les soignants réagissent positivement à l’agitation verbale. Mais la charge de travail paraît avoir un impact sur le seuil de tolérance des soignants à l’agitation verbale, comme par exemple lors d’un ratio patient-personnel diminué (5). La charge de travail des soignants apparaît également corrélée à la fréquence moyenne des comportements d’agitation perturbateurs (10). Ainsi, certaines des conséquences de l’agitation peuvent à leur tour avoir une incidence sur l’antécédent primaire « facteur relationnel » (Figure 1), connu comme précurseur des comportements agités (5, 15). Considérant l’importance et l’impact du facteur relationnel sur l’agitation, une réflexion en rapport avec la théorie de l’attachement paraît appropriée. Un accent particulier sera mis sur les expériences d’attachement antérieures des patients, qui pourraient influencer la perception globale de confort ressentie par la personne soignée mais aussi celles des personnes qui s’en occupent.
L’attachement : un ancrage clé pour comprendre l’agitation
31Le besoin d’attachement, selon l’analyse de concept de Klette, est au centre des besoins humains (27). Un besoin non satisfait sur ce plan pourrait donc, sur la base de la théorie de Kolcaba, engendrer un inconfort psychologique important (4). La santé psychologique d’un individu se fonde en effet prioritairement sur les interactions et les expériences de la vie réelle. Même si pour Bowlby les conflits interpersonnels restent des éléments majeurs pour comprendre le développement de l’individu, l’attention doit prioritairement se centrer sur la satisfaction réelle ou au contraire les dénis des besoins de base pendant les premières années de l’enfant (27). Cette démarche sera déterminante pour amener l’individu à développer puis maintenir des relations sociales essentielles à sa bonne santé psychologique. Goldbeter relève que les théoriciens décrivent la fonction adaptative du processus d’attachement qui constituerait donc, selon Ainsworth, un besoin social primaire jugé aussi important que celui de boire ou de manger (28, 29). Le phénomène de l’attachement permet en effet à l’enfant de mobiliser la source de protection identifiée par Bowlby comme base de sécurité lors des situations stressantes. Cette base constitue pour l’enfant un socle de sécurité sur lequel il peut évoluer, grandir psychiquement et gagner en indépendance. Goldbeter (28) évoque les travaux de Ainsworth qui ont déterminé différents types d’attachement chez les enfants à partir d’un procédé d’observation dénommée la « situation étrange », lors de laquelle l’enfant est observé dans une salle de jeux et soumis à des situations successives plus ou moins stressantes, en présence de sa mère, lorsqu’elle quitte la pièce, lors de l’arrivée d’une personne étrangère dans la pièce, etc. Ce procédé permet de mettre en évidence différentes attitudes chez l’enfant observé, qui lui permettent de préserver la « base sécurisante » nécessaire à son bien-être quand il cherche à s’adapter à une situation donnée.
32Goldbeter présente trois types de catégories d’enfants présentant chacun des comportements spécifiques décrits par Ainsworth. Les enfants de type sécuritaire gardent un comportement calme si leur mère reste présente et n’activent leur système d’attachement qu’en cas de danger potentiel lors d’absence de la mère. Les enfants anxieux qui manifestent des comportements du type évitant vont se focaliser essentiellement sur leur environnement et esquiver l’attention à leur mère. Les enfants anxieux recherchent l’attention à leur égard en manifestant de forts signes d’attachement au départ de leur mère et à son retour. L’investissement sur l’environnement est limité et ils ont une grande dépendance vis-à-vis de leur mère (30). Un quatrième type d’attachement a été décrit par Main et Solomon : les enfants désorganisés ont des comportements d’appréhension qui démontrent une stratégie d’attachement peu cohérente, vacillant selon les enfants entre l’approche d’attachement envers le parent ou au contraire une approche démontrant en être effrayés.
33Klette (27) évoque la notion d’Internal Working Models (IWM) ou de Modèles Internes Opérants (MIO) développée par Bowlby (31) mais empruntée à Craik. Il s’agit des représentations mentales, conscientes et inconscientes, du monde extérieur et de soi à l’intérieur de ce monde. C’est à partir de ce système interne de perceptions que l’individu va prévoir et interpréter les événements, anticiper les réactions d’autrui, planifier son futur et construire des projets (32). Les interactions répétées avec sa figure d’attachement privilégiée vont donc amener l’enfant à intérioriser un modèle relationnel qui va façonner un MIO qui servira de schéma mental pour ses futures relations (32).
34Pour Guedeney, le MIO correspondrait à la fois à la perception d’une image d’un soi méritant plus ou moins d’être aimé et à une perception des autres plus ou moins sécurisante selon leur attention et sensibilité à ses besoins. Il reste que les avis des auteurs divergent quant à la pluralité ou non des MIO (32) en fonction des différentes relations composant la vie sociale de l’individu. Cet auteur évoque la conceptualisation de Crittenden qui propose un « métamodèle » composé à la fois d’un modèle général d’attachement et des sous-modèles à chaque fois spécifiques à une relation donnée (32). Une telle structure permettrait à l’individu de se construire une identité et d’agir et de réagir en fonction des spécificités propres à chaque relation (32). Un modèle général de soi n’exclut en rien les modèles internes spécifiques à des relations différenciées ou le fait que d’autres MIO relatifs à de nouvelles relations peuvent se former à tout âge. Finalement, les MIO amènent à anticiper et déduire comment peuvent se passer de nouvelles interactions, mais n’empêchent pas l’intégration de nouvelles informations même si elles vont à l’encontre de ces modèles initialement établis. Les comportements ne sont donc pas rigidifiés et l’individu reste libre d’ajuster sa manière d’être en fonction des expériences vécues (32). Ce système interne intrique aussi bien les perceptions de l’individu lui-même que les attentes de sa figure d’attachement. Il va offrir à l’enfant une source d’interprétation et de compréhension des comportements de ses proches puis de prévision des réactions d’autrui. Le MIO se structure entre 6 et 9 mois pour s’affermir vers 5-6 ans. À moins de sérieux événements stressants de la vie tels les ruptures, les décès et les maladies, le MIO reste similaire tout au long de la vie (32).
35Ces modèles relativement consolidés dans l’enfance vont prédisposer les personnes atteintes de démence à mobiliser certains types d’interactions et de comportements (33) lors de situations nouvelles comme l’hospitalisation ou toute autre situation potentiellement incomprise par le patient pouvant être une source de stress. Chez l’enfant, les constructions des systèmes d’interaction sont flexibles et adaptatives car ils se basent sur des mémoires dites « explicites ». Chez la personne atteinte de maladie d’Alzheimer, Lejeune énonce que les MIO qui se basaient alors sur des mémoires implicites telles que les valeurs familiales, les habitudes, les empreintes biologiques, se rigidifient graduellement (33). Or, chez ces malades, les systèmes d’attachement sont souvent mobilisés (33-35) amenant le malade à rechercher une figure d’attachement souvent représentée par le soignant (35, 36).
36Les soins de confort réalisés par les soignants pourraient, en diminuant la détresse émotionnelle et en répondant aux autres besoins physiques des personnes atteintes de démence, améliorer leur sentiment de confort physique et psychologique et susciter ainsi des conditions favorables à un attachement sécuritaire. Nous supposons en outre qu’une telle expérience positive s’inscrit dans les forces d’interaction décrites par Kolcaba (4) se manifestant, suite à des expériences répétées et positive des soins de confort par une diminution de l’agitation. Cette supposition infère néanmoins que le geste de confort réalisé et l’intention positive qui l’accompagne soit perçu positivement par le patient atteint de pertes cognitives, ce qui pourrait être mis en doute. En effet, ces pertes pourraient le conduire à des difficultés d’interprétation des interventions de confort réalisées par les soignants. Il semble néanmoins que celles-ci touchent surtout aux interprétations cognitives des événements et non pas celles relatives aux intentions affectives des soignants (37), ou alors de manière modérée. En outre, l’assez bonne préservation du fonctionnement du système limbique de cette population (15) autorise à espérer un apprentissage des bénéfices agréables liés aux nouvelles expériences de confort et de relation suscitant de l’intérêt et du plaisir (15).
Concept de l’attachement chez la personne âgée
37L’analyse du concept d’attachement réalisée par Cookman (6) permet de poser quelques constats additionnels pour la population des personnes âgées, mais ne peut être que partiellement utilisée pour mettre en perspective les caractéristiques d’attachement des personnes atteintes de démence en raison de leurs difficultés cognitives. Une meilleure compréhension du concept de l’attachement en lien avec le vieillissement, moment de la vie où les pertes relatives à la famille et aux amis s’accumulent, permettrait d’en voir les spécificités en tenant compte des vulnérabilités de cette étape de vie car avec l’âge, le développement et les comportements d’attachement deviennent non seulement plus complexes mais sont plus intériorisés (6). Cookman a d’ailleurs réalisé une des rares analyses du concept de l’attachement chez l’adulte âgé en privilégiant une procédure dérivée de celle de Wilson et de Walker et Avants. Selon Cookman, le concept d’attachement chez la personne âgée fait référence au sentiment de sécurité offert par la proximité de figures d’attachement en réponse à des situations engendrant soit de la colère, des défis ou des conflits qui peuvent s’exprimer de manière confiante. La personne peut dans ces situations interagir pleinement avec l’environnement en mobilisant des ressources de développement, et en développant des tâches cognitives (6).
38Tel qu’évoqué précédemment, l’attachement est vu comme un concept continu tout au long de la durée de vie. Une des principales caractéristiques du bon fonctionnement de la personnalité qui assure une bonne santé mentale consiste en l’aptitude de créer des liens avec d’autres personnes. Par conséquence, des phénomènes tels que l’attachement sont d’un intérêt particulier pour les infirmières qui cherchent à optimiser la croissance et le développement en tant que composants essentiels de promotion de la santé et de la prévention de la maladie (6). Les conditions imposées par la maladie chronique grave comme la maladie d’Alzheimer impliquent à la fois la personne malade et son aidant. Les questions entourant la perte et le deuil ont été reconnues comme des défis de développement auxquels sont confrontés les adultes plus âgés. De même, l’influence de l’attachement sur le bien-être à l’âge adulte plus âgé est reconnue depuis longtemps. Mais au-delà de la formulation d’hypothèses à propos de la pertinence de tenir compte des modes d’attachement pour le vieillissement, une démarche plus systématique de clarification du concept de l’attachement pour un âge avancé était nécessaire (6).
39Les caractéristiques des antécédents activant les comportements d’attachement se rapportent à des situations impliquant des peurs ou des interactions conflictuelles, et l’auteur y inclut les maladies et les pertes. Cookman se basant sur les écrits de plusieurs auteurs, présente trois catégories d’antécédents de l’attachement. Les situations provoquant des peurs et conduisant à la recherche de lieux de sécurité composent la première catégorie, ce qui est en cohérence avec les descriptions initiales de l’attachement comme ayant des fonctions protectrices. En outre, les expériences difficiles telles l’épuisement, la détresse et la maladie, associées à la vulnérabilité et à la dépendance semblent précéder les comportements d’attachement (6). Le deuxième antécédent, serait composé des situations difficiles qui conduisent les adultes à rechercher des figures d’attachement fournissant une base solide de sécurité. Le troisième antécédent est composé des interactions conflictuelles qui semblent également être des activateurs des systèmes d’attachement. Finalement, il apparaît que les activateurs de l’attachement peuvent inclure le simple fait d’être « seul » pour entraîner des comportements d’attachement (6).
40Ainsi, pour Cookman, définir les attributs de l’attachement permet de dresser une liste des caractéristiques qui aident à différencier un phénomène (6). Ainsworth a énuméré trois critères de l’attachement qui peuvent servir à définir ou critiquer ses attributs (29). Tout d’abord, elle déclare que 1) « …les figures d’attachement ne sont jamais totalement interchangeables ou remplaçables par une autre, même s’il y a d’autres figures proches » (29, p. 799). Cette notion d’une figure d’attachement comme « préférée et différenciée » est un élément central et largement accepté de l’attachement. Le deuxième attribut concerne le fait que 2) le « désir de proximité avec le partenaire ainsi que la nécessité de maintenir cette proximité » (29, p. 800). Le troisième critère est l’effet d’une base sécurisée qui est décrite comme : 3) « l’expérience de confort et de sécurité dans la relation à l’autre qui soutient la capacité à se déplacer hors de cette base sécurisée en se livrant avec confiance à d’autres activités » (29, p. 800).
41Concernant les conséquences de l’attachement, Cookman évoque un apaisement observable à travers trois résultats : 1) une expérience affective de bien-être mental et physique, un sentiment de satisfaction et de plaisir dans ce que l’on fait, 2) un sentiment de confiance et de l’estime de soi dans la capacité à atteindre à court ou à plus long terme des objectifs conformes aux étapes de la vie, à ses aptitudes et intérêts, et 3) la conscience d’un environnement personnel favorable et sécurisant, avec des possibilités d’interactions et de soutien (6). Ce résultat peut être observé chez le patient atteint de démence par un comportement verbal et non verbal plus calme et apaisé. Cet apaisement correspond à l’état ressenti par le patient quand ses divers besoins sont satisfaits, engendrant une perception globale de confort (4) tel qu’illustré à la (figure 3).
L’attachement chez les personnes atteintes de démence
42Dans la relation soignant-soigné, la théorie de l’attachement est un modèle qui permet aux professionnels de compléter leur compréhension de l’origine de certains symptômes comportementaux relatifs aux modes relationnels des patients et d’y répondre de manière adaptée (38). En effet, des rapports peuvent être raisonnablement établis entre les types de mode d’attachement des patients, leur lien avec les infirmières et leur comportement en rapport avec la santé et la maladie. Une meilleure compréhension des modes d’attachement des patients permet aux professionnels d’ajuster leurs propres comportements pour favoriser l’établissement de liens sécurisants (38).
43Concernant les personnes atteintes de démence, Lejeune décrit les comportements relatifs à leurs types d’attachement sur la base de divers travaux (33). Selon lui, et à l’opposé de l’attachement anxieux, l’attachement sécuritaire s’exprime chez le patient atteint de démence par sa capacité à vivre avec l’autre une relation de confiance qui procure une certaine stabilité émotionnelle. L’attachement ambivalent s’organise autour de conflits non résolus et les comportements relationnels s’expriment alors de manière imprévisibles, tantôt distants, tantôt au contraire intrusifs et exagérément affectueux. L’attachement désorganisé se manifeste par des peurs inexpliquées qui entravent la relation à l’autre et la rendent difficilement durable. L’attachement insécure empêche le partage d’émotions stables et limite la profondeur des relations qui restent distantes, instables et précaires (33). Plusieurs auteurs attestent que les personnes atteintes de démence présentent plus fréquemment des modes d’attachement anxieux que sécuritaires (35). Le mode d’attachement le plus fréquemment rencontré semble être le type évitant (35). Un style d’attachement sécuritaire chez la personne atteinte de démence est associé à une meilleure estime de soi et à moins de symptômes d’anxiété (35). Les types d’attachement apparaissent importants pour le bien-être psychologique entre patients et infirmières, mais il n’y aurait pas de lien significatif de nature réciproque des types d’attachement des partenaires de cette dyade (39). Toutefois, les auteurs concluent que le mode d’attachement entre ces malades et les infirmières se situe dans le cadre d’une relation dynamique qui peut évoluer en fonction du déclin cognitif (35).
44Ainsi, une approche individualisée qui reconnaîtrait l’importance d’un lien relationnel permettrait de potentialiser le bien-être de la personne atteinte de démence (35) considérée, quand elle est agitée, comme étant atteinte de détresse émotionnelle (12). Ces connaissances renforcent la nécessité de tenir compte des modes d’attachement de ces patients et d’y répondre de manière appropriée lors de la réalisation d’approches non pharmacologiques. Elles corroborent les conclusions d’autres auteurs (36) qui soulignent la nécessité d’intégrer les caractéristiques individuelles de modes d’attachement des personnes atteintes de démence dans des démarches centrées sur le patient afin de développer des rapports de confiance (36). Ces auteurs appuient sur l’importance d’établir et de maintenir des relations d’attachement à travers les interventions de soins afin d’aider ces patients à se sentir émotionnellement en sécurité (36).
Revue des approches pour diminuer l’agitation
45Plusieurs auteurs rapportent l’efficacité limitée des approches pharmacologiques (antipsychotiques, sédatifs/hypnotiques, anxiolytiques, inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, mémantine, antidépresseurs), à soulager les troubles comportementaux et des effets secondaires associés. Ces approches pharmacologiques souffrent en outre de manque d’évidence scientifique en raison de différentes lacunes méthodologiques (40). Ainsi, même si certaines voies médicamenteuses prometteuses sont actuellement explorées, le consensus reste à l’effet qu’il est nécessaire de considérer en première intention des approches non pharmacologiques pour diminuer les manifestations d’agitation des personnes atteintes de démence (8, 41). Un dépistage précoce de l’agitation et une mise en place préventive de soins globaux et interdisciplinaires sont donc jugés prioritaires pour ces patients, et cela, qu’ils soient hospitalisés ou non. Ces soins doivent avant tout prioriser la qualité de vie des patients et le bien-être de leur entourage.
46Ces approches non pharmacologiques font l’objet de divers types de classification et il sera fait référence ici à celle de Cohen-Mansfield (42), distribuée en huit catégories :
- les interventions sensorielles stimulantes ou relaxantes qui incluent la musique, le toucher et le massage, des bruits atténués et autres stimulations sensorielles,
- les contacts sociaux (réels ou simulés) qui incluent les interactions en tête à tête, la visite d’animaux et la présence simulée par des vidéos,
- les interventions environnementales incluant des lieux de déambulation libre, naturels ou améliorés et une diminution des stimulations environnementales,
- les soins infirmiers et médicaux incluant la diminution de la douleur, les aides auditives et la levée de restrictions physiques,
- les approches comportementales,
- la formation du personnel,
- les activités, incluant les activités structurées, les promenades à l’extérieur et l’activité physique,
- les thérapies combinées, incluant les traitements individualisés et en groupe.
47Toutes ces catégories attestent de résultats d’efficacité variables. Néanmoins, aucun consensus clair ne se dégage sur les approches à réaliser en priorité. Ainsi, ne seront relatées ici que les conclusions de deux études parmi les plus récentes.
48Une méta-analyse (43) n’incluant que les devis expérimentaux contrôlés (RCT) évoque l’efficacité des approches suivantes sur de l’agitation sévère de patients vivant en milieu institutionnel de long séjour. Selon cette analyse, l’efficacité apparaît immédiatement après l’intervention jusqu’à une durée de six mois. Il s’agit des soins centrés sur la personne, de la formation en compétences communicationnelles et de l’approche « dementia care mapping » (observation ciblant dans une cartographie l’ensemble des événements, comportements et émotions positives et négatives exprimées par le patient). La réalisation d’activités appréciées et l’écoute de musique diminuent l’agitation globale. Les approches sensorielles (incluant toutes au moins une forme de toucher) diminuent l’agitation juste après l’intervention. L’aromathérapie et la thérapie par la lumière ne démontrent pas d’efficacité significative (43)
49Cohen-Mansfield (41) déplore les limites imposées dans cette méta-analyse (43) qui ne sélectionne que les approches expérimentales randomisées contrôlées avec au moins 45 participants. En effet, en raison de la complexité du phénomène de l’agitation et de la difficulté à réaliser de telles études en milieu clinique, il est regrettable d’exclure de plus petites études pertinentes qui ne présentent pas de résultats significatifs en raison du faible échantillon mais dont la taille d’effet indique un effet pourtant important. Elle suggère, dans la même perspective actuellement en développement dans le champ de l’évaluation et la construction d’interventions complexes (44), d’identifier les « ingrédients » les plus actifs dans les différentes approches non pharmacologiques. Elle propose d’inclure dans les méta-analyses les synthèses d’études qualitatives mettant en évidence les nuances et les caractéristiques méthodologiques d’approches non pharmacologiques proches ou réalisées de manière combinée (41). Par exemple, des « ingrédients » tels que la supervision de l’équipe, la présence d’un contact social, la prévention de l’ennui pourraient faire l’objet d’analyses algorithmiques pour déceler des particularités transversales aux approches non pharmacologiques les plus efficaces.
50Ainsi, dans une étude innovante réalisée dans une perspective proche de celle suggérée par Craig (2), Cohen-Mansfield a comparé différentes interventions non pharmacologiques pour des personnes présentant de l’agitation et vivant dans des institutions de long séjour (45). Suite à une recherche préalable décelant les besoins et préférences des participants, des interventions adaptées leur ont été proposées. L’impact de chaque intervention sur les symptômes comportementaux et sur l’intérêt de la personne a été mesuré immédiatement après l’intervention. Les interventions les plus utilisées dans les deux phases de l’essai et du traitement étaient : 1) l’intervention sociale soit par une interaction réelle de personne à personne, ou par interaction simulée (poupée ou vidéo), 2) l’intérêt autour d’un thème de magazine, et 3) la stimulation sensorielle par l’écoute de musique. Les interventions ayant eu le plus d’impact sur les symptômes comportementaux sont 1) l’interaction en tête à tête, 2) le massage des mains, 3) la musique, 4) la vidéo, 5) les soins infirmiers, 6) le pliage de serviette (45).
51D’autres interventions ayant eu un impact élevé sont la marche, les sorties, l’arrangement de fleurs, la prise de boisson ou d’aliments, les activités de groupe, la présentation de livres, le lancer de balle, le coloriage et la peinture, et les vidéos familiales (45). Il est à noter que la grande majorité de ces interventions efficaces font nécessairement intervenir une composante relationnelle avec un soignant ou un assistant de recherche pouvant induire une relation émotionnellement satisfaisante suscitant des affects positifs chez les patients agités (15). Ceux-ci seraient renforcés par l’intérêt que le patient accorderait aux soins réalisés répondant à ses besoins. Cohen-Mansfield évoque en effet une association élevée et positive entre l’engagement du patient (son intérêt) et ses affects positifs (son plaisir) (46). Par contre, une association positive importante et constante apparaît entre le comportement agité et l’affect négatif, alors qu’une corrélation négative est identifiée entre le comportement agité et le plaisir et l’intérêt (46).
52D’autres méta-analyses suggèrent la nécessité de combiner les approches non pharmacologiques de manière résolument individualisée à chaque patient afin de réduire les sources d’inconfort (41, 47). Des auteurs recommandent de continuer à tester ces interventions non pharmacologiques dans les contextes réels des milieux cliniques (43, 47) et notamment d’en analyser les coûts effectifs (47).
Les représentations des soignants envers les approches non pharmacologiques et les barrières à leur implantation dans le milieu clinique
53L’usage et la prescription d’approches non pharmacologiques semblent influencés par les représentations des soignants. En effet, même si les directives actuelles recommandent les interventions non pharmacologiques comme traitement de première intention, les interventions pharmacologiques continuent à être utilisées en priorité (48). Une étude a analysé les attitudes des médecins, des psychologues et des infirmières cliniciennes envers les approches pharmacologiques et non pharmacologiques et leurs connaissances dans ces deux types d’approches. Les résultats indiquent des résultats assez paradoxaux. Les médecins sont les plus convaincus de l’efficacité des approches pharmacologiques sur les troubles comportementaux. Les psychologues sont les moins convaincus et les infirmières se situent entre les deux. Les médecins avaient une connaissance des approches non pharmacologiques significativement plus faible que les psychologues ou les infirmières cliniciennes, même si chez ces derniers, les connaissances diffèrent sur l’usage à faire des différentes interventions possibles (48). Les trois groupes attribuent prioritairement et de manière similaire les symptômes comportementaux de ces patients à la démence et aux autres conditions médicales sous-jacentes. Mais le groupe des psychologues est plus susceptible d’indiquer la dépression, la solitude/l’ennui, la communication patient/ soignant déficiente et le manque d’activités intéressantes comme des étiologies à prendre également en compte. L’auteure relève l’intérêt d’une approche interdisciplinaire pour contribuer à une analyse complète et multidimensionnelle des situations individuelles d’agitation incluant des analyses plus poussées en ce qui concerne l’inconfort (13).
54Par ailleurs, de nombreuses barrières pour implanter les approches non pharmacologiques dans les milieux cliniques sont relatives aussi bien aux patients, aux contextes environnementaux qu’aux processus cliniques de détection (49). En effet, le refus de participation du patient ou sa non disponibilité au moment de la réalisation de l’intervention non pharmacologique sont des obstacles importants de succès de l’intervention (49). De même, les barrières liées au personnel soignant et à leurs connaissances et priorisation différenciées des approches non pharmacologiques ou pharmacologiques selon leur position professionnelle (médecins, infirmières, psychologues) (13, 48), les obstacles liés à la famille et les obstacles environnementaux sont à prendre en compte (49). Cohen-Mansfield relève que les interventions relatives à la nourriture ou à la boisson ainsi qu’à l’interaction individuelle sont celles qui présentent le moins d’obstacles (49). Les activités rencontrant le plus de barrières sont celles qui concernent les activités artisanales et artistiques ainsi que les puzzles (49). L’auteure indique que lorsque les activités sont présentées en tenant compte des obstacles possibles décelés après une période de faisabilité, celles-ci rencontrent moins de difficultés d’implantation. L’auteure suggère que l’identification des barrières et une approche interdisciplinaire pourraient favoriser une adaptation sur mesure de l’intervention adaptée à chaque participant en fonction de son environnement (49). Ainsi, un soutien durable de l’équipe dans la réalisation d’une démarche systématique de détection des besoins des patients atteints de démence, puis une adaptation des interventions non pharmacologiques spécifiques au milieu clinique semblent nécessaires pour l’intégration systématique des approches non pharmacologiques dans les soins (41).
Conclusion
55L’agitation, appartenant aux SCPD, apparaît être le fruit de déterminants d’étiologies multiples, liés aux caractéristiques du syndrome démentiel ainsi qu’à celles du patient et de son environnement incluant l’inconfort. Les modèles théoriques de l’agitation indiquent que la non satisfaction des besoins psychologiques et relationnels de ces patients provoquent chez eux de la détresse émotionnelle. Ils participent à expliquer l’apparition de comportements d’agitation. L’évidence relative à l’agitation permet de brosser un tableau large incluant de nombreuses dimensions sur lesquelles on peut agir.
56La théorie du confort décrit les manières de procéder au dépistage des sources d’inconfort d’un point de vue infirmier. Elle permet d’identifier les différentes dimensions en jeu lors de comportements d’agitation et le processus pour y faire face. L’infirmière doit donc non seulement dépister les sources d’inconfort provoquant de l’agitation, mais également assurer de manière répétée l’infrastructure nécessaire pour offrir un cadre de prise en charge physiquement et émotionnellement confortable et rassurant. Le patient peut ainsi se construire progressivement une expérience d’un meilleur confort global, ce qui peut diminuer son agitation.
57La littérature nous informe sur le fait que les conséquences de l’agitation sont également multiples et peuvent être sévères. Pour les patients eux-mêmes, bien sûr, qui vivent une grande détresse et un inconfort important, mais également pour les soignants qui s’en occupent. Les sentiments d’impuissance et de stress ressentis par les soignants peuvent les amener à se distancer des patients agités et même à établir des remparts émotionnels. Les soignants, en première ligne lors des soins aux patients atteints de démence, sont alors confrontés à un paradoxe et à une spirale potentielle de désengagement. L’agitation des personnes atteintes de démence, par certaines réactions de distance du soignant va en effet provoquer des difficultés relationnelles supplémentaires considérées, selon le modèle de Kong, comme des antécédents primaires de l’agitation. En outre, les caractéristiques complexes d’attachement de ces patients peuvent compliquer la construction d’une relation de confiance entre soignants et patients, renforçant la détresse émotionnelle de cette population.
58Une meilleure compréhension des différentes dimensions présentées dans la théorie du confort devrait donc favoriser une détection améliorée des besoins des patients pour y répondre de manière personnalisée. De même, la compréhension des expériences antérieures du patient et la mobilisation de ses réactions personnelles d’attachement devrait permettre au soignant de réaliser des gestes de confort de manière individualisée. Ces connaissances peuvent le motiver à persévérer en cas de premières réactions de crainte ou de retrait en reportant et proposant de nouveau ces gestes de confort à un moment plus approprié. En effet, les aptitudes relativement préservées de la théorie de l’esprit et du système limbique des patients atteints de démence laissent espérer que les expériences répétées soient mieux comprises et vécues. Ainsi, nous concluons qu’une réalisation individualisée, combinée et répétée de gestes de confort devrait à chaque fois accroître la perception globale de confort des personnes souffrant de démence et d’agitation. Cette perception globale d’apaisement nous paraît offrir de bonnes conditions pour la construction d’une relation d’attachement positive. Cela pourrait être vrai non seulement pour les patients mais pour les membres des équipes soignantes.
59Toutefois, il semble évident que les besoins à l’origine des comportements d’agitation sont malheureusement insuffisamment détectés par les soignants. Ces derniers interprètent en priorité l’agitation comme une conséquence de la démence et de ses caractéristiques. Ainsi, les réponses thérapeutiques face à l’agitation font trop souvent d’abord appel aux approches pharmacologiques malgré leurs limites pourtant mentionnées par la littérature scientifique. Les recommandations de prioriser les approches non pharmacologiques sont reconnues et recommandées dans les guidelines et pourtant elles restent insuffisamment suivies. Il semble aussi y avoir des obstacles à mettre en place les approches non pharmacologiques dans un service de soins, obstacles relatifs aussi bien au patient lui-même qu’aux soignants, à l’environnement et au processus d’implantation des approches. Les médecins et les infirmières sont plus nombreux que les psychologues à croire et à se fier aux effets positifs des médicaments sur l’agitation. Il apparaît néanmoins qu’avec une formation et un suivi des équipes cliniques basé sur des recommandations de preuves, ces obstacles puissent être levés. Les approches non pharmacologiques seraient alors plus utilisées auprès des patients agités et plus souvent introduites dans le catalogue des interventions possibles à réaliser auprès de cette population.
60Les possibilités d’approches non pharmacologiques sont multiples et nécessitent prioritairement une détection appropriée et individualisée des besoins des patients manifestant de l’agitation. À ce jour, les synthèses de la littérature ne permettent pas de faire des recommandations consensuelles d’interventions à adopter. L’étude de ces approches non pharmacologiques nécessite d’employer des approches méthodologiques nouvelles, proches de celles suggérées pour les interventions complexes (2, 44, 50). En effet, les difficultés méthodologiques liées à ce type d’études ne donnent que rarement des conclusions sans équivoques. Certains auteurs recommandent d’inclure dans les revues systématiques des méta-synthèses qualitatives (41) selon une méthodologie proche de celle suggérée pour les interventions complexes (50). Une telle amélioration des connaissances incluant une surveillance continue de la pratique d’un point de vue également clinique et qualitatif offre des pistes de recherche pour tester des suggestions d’ingrédients transversaux à toutes les approches non pharmacologiques efficaces. Ainsi, une perspective d’étude pourrait être de vérifier de manière rigoureuse si les modes d’attachement des patients atteints de démence sont des indicateurs transversaux à prendre en compte dans toute intervention non pharmacologique efficace.
Conflits d’intérêts
61L’auteure ne déclare aucun conflit d’intérêt.
Remerciements
Remerciements chaleureux à la Fondation Leenaards (Lausanne) pour l’octroi de deux bourses doctorales ainsi qu’à la Haute Ecole Santé Vaud (HESAV, Lausanne) pour leur soutien à la réalisation de cet article dans le cadre de la thèse de l’auteur principal.Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : attachement, agitation, interventions infirmières, démence, théorie de l’inconfort
Mise en ligne 13/07/2016
https://doi.org/10.3917/rsi.125.0068