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Article de revue

Le care dans les soins et dans la pratique d’apprentissage infirmier informel

Pages 44 à 51

Introduction

1De tout temps, l’infirmière est une soignante conjuguant à la fois le care et le cure dans sa pratique professionnelle, de par sa définition dans l’article L. 473 de la loi du 31 mai 1978 (1) : « Est considérée comme exerçant la profession d’infirmière ou d’infirmier toute personne qui, en fonction des diplômes qui l’y habilitent, donne habituellement des soins infirmiers sur prescription ou conseil médical, ou bien en application du rôle propre qui lui est dévolu. En outre, l’infirmière ou l’infirmier participe à différentes actions, notamment en matière de prévention, d’éducation de la santé et de formation ou d’encadrement ».

2Le fait que les infirmières, pour être compétentes dans leur exercice professionnel, se forment de manière formelle et/ ou informelle est admis par tous. L’enseignement est plus orienté vers le cure que vers le care depuis le programme d’études de 1902. La formation initiale infirmière s’adapte et s’ajuste au fur et à mesure des mutations et avancées de la société ou du domaine de la santé, allant jusqu’à l’universitarisation des études en 2009 alors que la formation continue vise le développement professionnel continu de chacun. Si la formation sur le tas existe historiquement pour les infirmières, celle-ci prend de l’ampleur face aux nouvelles exigences auxquelles sont confrontées les professionnelles : la montée en puissance de la division et de la complexité du travail, l’avènement de l’hôpital-entreprise entrant dans une logique gestionnaire. Le travail du « prendre soin » se complexifie, l’hôpital étant plus axé sur la dispensation de soins techniques et aigus. La pratique infirmière se transforme, devenant plus flexible, en réseau, en collaboration, nécessitant une efficience rapide des professionnelles. La forme que prend l’apprentissage en est impactée.

3L’actualisation et le développement permanent des connaissances et des compétences des professionnelles deviennent un enjeu majeur pour répondre aux besoins en santé de la population. Les savoirs, non pérennes, mobilisés par les infirmières dans la pratique quotidienne évoluent en permanence et rapidement, nécessitant des professionnelles, de les acquérir en continu tout au long de la vie pour savoir agir en situation. L’apprentissage informel, défini selon le Centre Européen pour le Développement de la Formation Professionnelle comme « apprentissage secondaire aux activités de la vie quotidienne, n’étant ni organisé ni structuré et ayant un caractère non intentionnel la plupart du temps » (2) est un moyen pour des adultes de se former dans la pratique. Cependant, celui-ci n’est à ce jour ni quantifié, ni formalisé ou validé.

4Le care est présent dans la pratique infirmière, tout particulièrement dans le rôle propre alors que soigner est considéré comme le premier art de la vie (3). La littérature à ce sujet est féconde. Le care correspond à la manière de « prendre soin » d’autrui, d’avoir le souci de l’autre avec une sollicitude, une bienveillance ou encore une inquiétude empreinte d’anxiété. Il prend en compte le caractère de vulnérabilité des personnes, englobe le cure (4). Considéré tour à tour par les auteurs comme un état (5), une activité (6) ou un processus (7), il revêt un caractère concret, situé, incarné et invisible (4).

5Nous nous intéressons au care en tant qu’activité consistant à « apporter une réponse concrète aux besoins des autres » (5). Cette activité selon Tronto permet d’« apporter une réponse aux besoins des autres-travail domestique, de soin, d’éducation, de soutien ou d’assistance, entre autres » (5). « Soutien » est entendu au sens de la définition du « Trésor de la langue française informatisé » (8) comme l’« action d’aider à la réalisation de quelque chose ou d’aider quelqu’un en vue de lui permettre de réussir à mener à bien quelque chose ». Le care recouvre alors l’activité de soin rendu à autrui, patient mais aussi celle de pratique d’apprentissage informel rendu aux pairs, traduisant les préoccupations humaines et les enjeux du monde dans lequel nous vivons. Le care peut être envisagé comme un trait d’union, introduisant une transversalité entre les deux activités de soin et d’apprentissage informel infirmier dans la pratique. Si « prendre soin », « soigner » est enseigné en formation initiale, « apprendre de manière informelle » ne l’est pas.

6Notre intérêt porte sur la démonstration de la présence du care dans la pratique d’apprentissage informel des infirmières à l’hôpital. Dans une recherche ayant fait l’objet d’une thèse en Sciences de l’éducation intitulée « Des apprentissages infirmiers informels à l’organisation apprenante », recherche qualitative de type compréhensive, nous mettons en exergue les similitudes entre la transversalité du care dans le soin et la pratique d’apprentissage informel infirmière.

Méthodologie et objet de recherche

7Recueillir la perception des professionnelles elles-mêmes en leur donnant la parole pour traiter des apprentissages infirmiers permet d’écouter et d’entendre les infirmières qui les vivent et les font vivre dans leur pratique. Les outils de recueils des données choisis, le journal de bord ou les entretiens, privilégient la dimension déclarative pour pouvoir répondre à la question de recherche : Quelle est la perception d’apprentissage des infirmières dans leur pratique quotidienne ?

8L’enquête exploratoire s’est déroulée sur une durée de neuf mois. L’échantillon de population est composé de trente infirmières, recrutées sur la base du volontariat et/ou sur proposition des cadres sur deux lieux d’enquête (21 issues de l’hôpital et 9 de la clinique). Les postes occupés par les infirmières sont des postes de jour et de nuit ou en alternance jour/nuit. Les services sont ceux de médecine, chirurgie, USIC- réanimation, bloc, prison et psychiatrie. Ce choix est motivé par l’éventail de lieux, de population, de discipline ou encore de pratiques professionnelles appréhendés.

9Les professionnelles consignent quotidiennement pendant six semaines les éléments suivants dans un journal de bord : la date, les connaissances, habiletés/savoir-faire, ou attitudes apprises dans la journée, l’occasion de cet apprentissage, les ressources humaines ou matérielles utilisées, ainsi que l’intérêt pour la pratique professionnelle. Un premier entretien en face à face permet d’introduire la consigne de remplissage du journal, un second entretien à l’issue de ce remplissage consiste en une relecture de ce journal de bord pour faciliter la compréhension des écrits et la classification des données sans dénaturer les propos des professionnelles. Chaque infirmière relate ce qu’elle a écrit, pourquoi et comment elle l’a écrit. De mémoire, elle reconstruit et réarticule les liens entre activités-ressources-apprentissages pour faciliter la compréhension de l’écrit. En le clarifiant, elle prouve s’être appropriée un savoir. En même temps qu’elle l’explique à l’apprentie-chercheuse, elle se l’explique aussi à elle-même, cela faisait résonnance. La professionnelle repense la situation, faisant ainsi émerger des apprentissages « sur soi », que ce soit en termes de processus de motivation, de construction, de raisonnement ou de positionnement. Ce dernier entretien, permettant une explicitation selon Vermersch (9), augmente ainsi le niveau d’information et de compréhension objective des apprentissages formalisés afin de compléter et classer les réponses avant l’analyse (10).

10Le traitement des données recueillies, codées puis classifiées, permettent de créer des catégories en fonction de concepts ou de référentiels utilisés dans le domaine infirmier. La catégorisation des apprentissages s’est effectuée en regard des différentes dimensions du soin infirmier, diagnostique, thérapeutique, organisationnelle, législative, relationnelle ou éducative. Les occasions d’apprentissage sont classées selon les activités du référentiel d’activités infirmier. Les ressources sont discriminées en ressources humaines ou matérielles. Les finalités font l’objet d’une répartition plus simple en fonction des éléments déclaratifs saturés des professionnelles.

11Cette phase exploratoire/qualitative donne lieu de manière heuristique à la description des contenus et des modalités d’apprentissages informels pour l’échantillon de population concernée. L’analyse est qualitative et quantitative. Les résultats renseignent sur la perception d’apprentissages perçus des professionnelles, les activités et modalités d’apprentissage, leur finalité faisant ainsi émerger la place du care. Le care est une activité infirmière, commune et transversale, que ce soit dans les soins ou dans l’apprentissage. De manière similaire, les infirmières soignent et apprennent de manière informelle en prenant soin du patient et de leur collègue-pair.

Le care dans deux activités situées dans la pratique infirmière

12Soigner et apprendre de manière informelle sont deux activités contextualisées dans le champ professionnel infirmier, dans la pratique infirmière quotidienne. Le care vise le « soigner-prendre soin » du patient. Le care dans le soin tel que le décrivent les infirmières peut être considéré, à l’instar de Rothier-Bautzer (4) comme un « concept multiforme » selon deux acceptions, un état, c’est-à-dire « être dans un état subjectif de se sentir concerné par quelque chose » ou une activité, les deux pouvant se combiner selon diverses modalités.

13Le care dans la pratique d’apprentissage informel vise le développement de connaissances et de compétences chez une autre professionnelle afin que celle-ci se sente et soit en capacité de dispenser des soins de qualité en situation de travail. 70 % des professionnelles de l’échantillon déclarent apprendre pour être compétentes. L’ensemble de leurs apprentissages (N=481) se réalisent à l’occasion des neuf activités du référentiel d’activités infirmier rappelant que cet apprentissage est secondaire à une autre activité dans les différents moments de la vie : « Toute activité d’apprentissage entreprise à tout moment de la vie, dans le but d’améliorer les savoirs, savoir-faire, aptitudes, compétences et/ou qualifications, dans une perspective personnelle, sociale et/ ou professionnelle » (11).

14Le souci de l’autre pousse le soignant à satisfaire les besoins et les attentes d’un patient. Prendre soin de l’autre-professionnel, collègue-pair, c’est lui transmettre les savoirs actualisés à mobiliser dans la pratique pour qu’il se perçoive et soit compétent, qu’il puisse agir avec pertinence en situation (12, 13).

15Apprendre de manière informelle s’inscrit dans le care le souci de l’autre-le soigné pour améliorer la qualité du soin qui lui est prodigué. Les apprentissages informels permettent d’acquérir, développer puis mobiliser des ressources, des données actualisées pour produire un soin plus efficient. La notion de care est alors perceptible dans le souci d’apporter à l’autre (le patient) un soin plus adapté. La notion de relation de confiance entre les personnes dans les deux cas est énoncée dans les entretiens.

16Martine, infirmière en réanimation, qui doit dans le « juste à temps » effectuer un soin sans pour autant connaître les modalités de sa réalisation eu égard au changement de protocole ou de procédure dans le service, apprend de manière informelle comment faire, pour bien faire, par exemple, en respectant les protocoles de l’établissement de santé ou les recommandations de la Haute Autorité de Santé. Elle saura alors agir avec pertinence en situation. Ainsi, le care dans l’apprentissage informel s’exprime-t-il à deux niveaux, le care entre soignant et soigné et le care entre soignants.

17Il est alors question, d’après une typologie de Tronto (14), pour les infirmières de care about, de se soucier de, que ce soit du patient ou de leur pair dans l’apprentissage. Les activités s’emboîtent, prendre soin de la collègue en lui permettant de réaliser des apprentissages informels permet de prendre aussi soin du patient. La réponse au besoin, à la vulnérabilité avec bienveillance est en cascade. Le care for est aussi convoqué par l’implication dans l’action de répondre au besoin du patient et du pair, visant à lui « apporter une réponse aux besoins des autres-travail domestique, de soin, d’éducation, de soutien ou d’assistance, entre autres ». Cela correspond à l’élargissement de la notion d’activité dans la définition du care visant à maintenir ou restaurer la santé des personnes au sein de leur environnement : « une activité caractéristique de l’espèce humaine qui inclut tout ce que nous faisons en vue de maintenir, de continuer ou de réparer “notre monde” de telle sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible. Ce monde inclut nos corps, nos individualités (selves) et notre environnement que nous cherchons à tisser ensemble dans un maillage complexe qui soutient la vie » (6).

Une déclinaison de l’activité du care en quatre temps

18L’exploitation des données des entretiens permet de mettre en évidence quatre temps du care. Se souciant du patient et de leur collègue, les professionnelles apprennent seules, apprennent « des » autres et apprennent « aux » autres. Les ressources d’apprentissages évoquées dans le recueil de données sont pour 82 % des ressources humaines dont pour 44 % des collègues. L’activité de care se décline en quatre temps. En premier lieu, l’infirmière ayant le souci des autres reconnaît un besoin auquel elle doit répondre soit pour le patient, soit pour une collègue. Il s’agit du caring about. Elle se sent responsable de la prise en charge et de l’adaptation de la réponse au besoin que ce soit dans le soin ou l’apprentissage (taking care of). Elle prend soin de l’autre, dans l’activité de soin ou d’apprentissage avec les moyens requis, ce qui correspond au care giving.

19Si Annie, infirmière a besoin d’acquérir un savoir pour agir en situation urgente et en fait la demande, son collègue lui permet d’appréhender ce savoir nouveau. Il devient une ressource pour elle et répond à son besoin/sa demande. Autre exemple, Cécile, infirmière, ayant conscience des changements constants de la pratique s’interroge avant de réaliser un soin sur les savoirs qu’elle maîtrise et ceux requis pour ce soin. Partant de ce constat, elle cible et recherche le savoir nécessaire, questionne, ajuste ses connaissances. Elle est amenée à s’approprier les savoirs manquants, à prendre en charge ses apprentissages. Puis, se souciant de sa collègue, elle lui transmet les savoirs dont elle aussi va avoir besoin dans une situation similaire. La réception du care du soin (care-receiving) est convoquée. Ces deux professionnelles ont réalisé : « L’activité d’aider une autre personne à croître et à s’actualiser, un processus, une manière d’entrer en relation avec l’autre qui favorise son développement » (8).

20Marguerite, infirmière à l’hôpital, ayant vingt-huit ans d’ancienneté dans le métier et quatre ans d’ancienneté dans un service de médecine déclare être en situation de vulnérabilité quand elle ne sait pas : « Quand je ne sais pas quoi ou comment faire, je demande à ma collègue. Après, je le transmets aux autres pour qu’elles sachent ». La notion de solidarité, d’entraide ou de soutien mutuel est présente entre pairs : « J’explique à ma collègue quand je sais le faire, mais parfois, c’est moi qui ne sais pas et qui demande ».

Une finalité commune : le prendre soin du patient

21Le care est au service de la production de soins et de la production de compétences. L’analyse des apprentissages informels montre qu’ils sont réalisés en fonction du care avec une suprématie liée à une visée curative ou de maintenance favorisée lors des interventions visant à lutter contre la maladie, ses causes, ses conséquences et à supprimer ou à limiter ses manifestations (15). 53 % des savoirs et 34 % des habiletés apprises concernent la dimension thérapeutique des soins. Cette dimension de maintenance inhérente aux soins liés aux fonctions vitales est plus importante dans les services de chirurgie, réanimation ou bloc opératoire comme constatés dans les journaux de bord. Les apprentissages comblent l’écart entre les connaissances acquises et celles requises pour un soin de qualité au patient. Ils correspondent à un moyen, apprendre, pour atteindre le but de mieux soigner, en évitant les effets indésirables, pour un bien-être du patient. L’actualisation des connaissances au quotidien, ce tout au long de la vie, répond aux dimensions d’adaptabilité et de flexibilité nécessaires à la pratique soignante, et à la performance dans le juste à temps de l’activité de soin.

22Soigner et apprendre de manière informelle dans la pratique infirmière ont un contexte et une finalité commune, l’objectif in fine étant la qualité et la sécurité du soin au patient. 20 % des professionnelles déclarent apprendre pour une meilleure qualité de soins au patient. La notion de care est présente dans le souci d’apprendre mais aussi d’apporter/transmettre à l’autre-le soignant, un savoir actualisé, pour qu’il puisse produire à son tour un soin plus efficient. Il est noté de la part des professionnelles une réciprocité des apprentissages, un care entre soignant et soigné et un care entre soignants. Le deuxième impacte le premier, le professionnel plus compétent prendra mieux soin du soigné. Transmettre ou apprendre de manière informelle signifient alors prendre soin de l’un et de l’autre.

Une posture professionnelle identique

23Le care que ce soit dans les soins ou la pratique d’apprentissage informel permet la réponse aux impondérables, aux dysfonctionnements dans la pratique, dans l’organisation. 84 % des apprentissages sont réalisés à l’occasion des apprentissages incidents, liés à des situations inopinées de soin. Si le care dans les soins se veut transgénérationnel, celui des apprentissages l’est aussi. Aucune variation n’existe selon les générations dans l’échantillon de population infirmière étudié. Si le care entretient un lien avec la féminisation, aucune différence genrée n’est cependant constatée au cours de l’apprentissage informel.

24Les professionnelles montrent des dispositions au prendre soin des patients et de leurs pairs. Des similitudes existent entre la manière dont les infirmières prennent soin du patient, et dont elles prennent soin de leurs collègues en favorisant leur développement professionnel. Elles ont une disposition au care, le care étant axé sur le souci de l’autre, le désir d’aider l’autre, ou de le soutenir. Si la finalité du care est de rendre la société plus attentive aux autres, plus démocratique, l’apprentissage a lui aussi une visée démocratique et citoyenne. Chaque infirmière est en capacité d’apprendre de manière informelle dans l’organisation grâce au care de son pair. La réciprocité des apprentissages infirmiers, les uns apprenant aux autres de façon continue, renvoie au partage des ressources relevant de la justice, selon Tronto (14). La réciprocité de la reconnaissance des mêmes droits et libertés à l’autre qu’à soi, s’applique au droit d’apprendre et de disposer de la liberté pour avoir un jugement autonome, être responsable de ses choix et les assumer.

Une prise en compte de la vulnérabilité

25Le caractère de vulnérabilité dans lequel se trouve le soignant ainsi que le patient est pris en compte. De la même manière que le patient est en situation de vulnérabilité, le soignant lui aussi peut être considéré en situation de vulnérabilité. L’apprentissage revêt le caractère attentionné et responsable du care, qu’il naisse de l’estime de l’autre, du désir de lui transmettre des savoirs ou d’une charge, celle de contribuer à un travail effectué dans les règles de l’art, selon un jugement de beauté. L’intention d’aider est liée à la vulnérabilité du patient, ou à la double vulnérabilité du pair et du patient dans la précarité des soins, lorsqu’il y a méconnaissance des savoirs à mobiliser en situation. Le soin est précaire si un manque de connaissance existe pour le réaliser. L’apprentissage, lui, devient une valeur ajoutée de qualité.

26La perception de fonction de soutien de la professionnelle dans le soutien à l’apprentissage de sa collègue est apparue dans les journaux de bord et lors des entretiens. Qu’il s’agisse de soutien émotionnel, d’estime, ou d’information. Ce soutien perçu peut-être qualifié de soutien social défini tel un : « processus d’interactions sociales qui augmente les stratégies d’adaptation, l’estime de soi, les sentiments d’appartenance et la compétence par des échanges réels ou prévisibles de ressources pratiques ou psychosociales » (16). Les soutiens émotionnels et d’information sont perceptibles dans les encouragements et les informations du soignant envers son collègue, celui d’estime permet d’avoir une perception positive de lui-même et de l’autre.

27Le care résulte d’un statut et d’une posture des professionnels, acteurs et auteurs, qui en prennent l’initiative. Le soignant n’est pas un simple exécutant d’une activité croissante et complexifiée. Il pense voire (re)pense l’activité, dans un engagement de soi spontané lié à des convictions qui sont moteurs d’action. Il est impliqué, investi et réflexif.

28Le care fait partie du rôle propre, lequel n’est que peu valorisé dans les aspects de charge en soins et de gestion. Le care et l’apprentissage renvoient à une dimension historique professionnelle de la vocation et du « prendre soin » des personnes en situation précaire. Le care réhabilite les figures de la vulnérabilité. Les êtres étant vulnérables, l’autonomie peut être acquise ou conquise par l’aide et le soutien. Être autonome revient alors à vivre avec ses vulnérabilités.

Un don de soi

29Le care ne résulte pas d’un contrat mais d’une obligation morale, d’une responsabilité, d’une prise en charge de la vulnérabilité ou encore d’un processus d’attachement. A l’heure de la rentabilité, le care s’inscrit dans une logique de don et non d’échange marchand, augmentant la perception du travail bien fait et synonyme d’accomplissement de soi lié au don de soi pour soigner l’autre. Cependant le risque de marchandisation du care est de l’ordre du possible (17). La reconnaissance de l’individualité donne un sentiment d’existence, d’appartenance à une communauté de pratique. La notion de don contre don avec une réciprocité des apprentissages existe entre professionnelles. Un don volontaire dans un engagement de soi librement consenti. Ce don de soi, en temps et ressources, cet engagement personnel est ignoré, banalisé, non reconnu à sa juste valeur ou peu valorisé. Forme-t-on de manière formelle à ce don de soi, en formation initiale ou continue ?

Une absence de visibilité et d’évaluation

30Aucun outil de mesure n’existe pour l’un ou l’autre. Il est non lisible, non tracé, non évalué, non reconnu voire même parfois dévalorisé à un niveau macrosociologique de l’organisation, de la part de la hiérarchie bien qu’il y aurait quand même des aspects observables et objectivables dans la production du soin et la satisfaction du patient. Est-ce le fait que le care soit considéré comme peu productif qui le ferait n’être ni comptabilisé ni budgété ? S’il l’était, le regard qui lui est porté serait-il différent ? Pourrait-on envisager une grille d’évaluation analytique, des indicateurs d’évaluation de la qualité des pratiques de care dans le soin et dans l’apprentissage informel ? Le fait qu’il soit évalué serait souhaitable mais présenterait aussi peut-être un caractère de dangerosité. Si cette évaluation est quantitative, il se pourrait qu’il perde sa spécificité pour devenir de simples actes et tâches à évaluer. La question devient donc : comment évaluer sans réduire (18).

31Le caractère invisible du care dans le soin est uniquement rendu visible lorsqu’il dysfonctionne (4). Le parallèle pourrait être fait avec le care comme face indigne, cachée de faits dotés de visibilité sociale et politique (7), et le care dans les apprentissages informels eux aussi souterrains, peu reconnus, peu valorisés. Malgré leur efficacité dans la production de soin. Si le « prendre soin » est un travail invisible, peu reconnu socialement, les apprentissages informels sont de même, des apprentissages buissonniers, cachés, considérés immergés tel un iceberg ou souterrains (19, 20, 21). Bien que cachés, ils sont néanmoins de plus en plus fondamentaux et nécessaires en fonction des évolutions qui n’ont de cesse à l’hôpital.

La conception du soin influençant la pratique d’apprentissage

32Deux approches du soin, le care et le cure nécessaires tous deux pour soigner/traiter sont déclinées d’ordinaire dans la pratique infirmière. Piguet (22) différencie une « pratique en santé » selon une approche singulière et compréhensive de la personne alors qu’une « pratique de soins » serait dans une perspective globale des soins selon la mission de l’établissement dans la pratique infirmière. Le care apporte une attitude de bienveillance accompagnant les gestes techniques. Il englobe le cure dans la pratique pour une prise en charge globale/holistique du patient. La représentation du savoir à mobiliser par les professionnelles dépend du regard porté sur leurs différents rôles, propre ou en collaboration. La différence de conception du care et du cure des professionnelles entraîne une différence de représentation et de définition des savoirs nécessaires de connaître et donc à apprendre pour être en mesure de soigner le patient. L’infirmière exerce un jugement sur ce qui est à apprendre ou pas. Majoritairement, les apprentissages sont réalisés en fonction de « pratiques de soins » liées aux missions de l’institution et au rôle infirmier en collaboration. Une conception différente des professionnelles du « prendre soin » (23) entraîne une représentation différente de ce qui est important à apprendre pour pouvoir accompagner ou soigner le patient. Si les apprentissages infirmiers informels se font majoritairement en fonction du cure, les mots « soin », « soigner » ou « prendre soin » sont mentionnés au quotidien sans pour autant être évalués au même niveau. La conception du soin influence la pratique d’apprentissage. La philosophie humaniste est présente que ce soit dans les soins ou l’apprentissage, dans les approches soignante et pédagogique.

Une conception transversale du care

33Ainsi l’activité d’apprentissage par son caractère informel, dans la transmission de savoir auprès d’un pair se rapproche du care, le « prendre soin » d’autrui le soigné ou d’autrui, le pair-soignant. Les activités professionnelles de service rendu à autrui, et notamment celles d’apprentissage participent de ce processus de care. Les apprentissages favorisent le développement de la professionnelle, grâce à la relation établie entre soignants. Ils sont liés à des soins plus complexes et techniques. L’importance de la dimension technique montre que les besoins d’apprentissage relèvent davantage du rôle infirmier en collaboration sur prescription médicale que du rôle propre dans le champ d’autonomie de l’infirmière. Ceci valide le travail de « prendre soin » comme un problème complexifié par l’évolution de la technologie et de l’organisation hospitalière orientée surtout vers la dispensation des soins aigus, impliquant et orientant les professionnels sur le diagnostic et la thérapie médicale.

34Le care se heurte à la standardisation onmiprésente dans les soins vers la singularité de la situation du patient. Il privilégie et renforce l’attention singulière portée au patient, dans l’individualisation des soins, de même que le care dans la pratique d’apprentissage informel renforce le développement et l’actualisation des savoirs de chaque professionnel singulier, et par là sa performance dans l’activité de soin. Les connaissances acquises de chacun sont singulières dans leur modalité d’appropriation, même si l’apprentissage oral avec un pair prédomine. Malgré toutes les procédures existantes, nul ne peut éviter les imprévus, les aléas des situations de soin. Chaque activité de soin et d’apprentissage est complexe et singulière puisque relative à l’humain qui par définition ne ressemble à aucun autre. Elles ne peuvent se limiter à des procédures, chaque situation étant singulière et comportant une part d’imprévisibilité. La singularité répond à la complexité.

Conclusion

35De par sa définition même dans la notion de monde ou du rapport aux mondes, le care peut être utilisé pour autrui, un objet ou pour l’environnement (17). Nous avons mis en exergue les liens existants entre le care du patient et du soignant au travers des soins et l’apprentissage informel dans l’environnement de la pratique infirmière à l’hôpital. Le care a été observé selon les similitudes entre les pratiques mais aussi en en montrant le caractère transversal. Le care est au service du « prendre soin » et d’« ap-prendre » le soin. La nature du « prendre soin » est la même dans ces activités mais appliquée à des objets différents (24). Une culture et une écologie du care existent, pouvant se déployer encore davantage au sein de l’organisation hospitalière.

36Le soutien par les pairs vivant et/ou ayant vécu une même situation est évoqué. Les soignants sont dans le « prendre soin », ont le souci de l’autre, que l’autre soit patient ou soignant. Le souci de l’autre est présent dans les soins au patient, que ce soit dans la manière de soigner, la modalité de la prise en charge ou la finalité du soin. Les professionnelles ont le souci de bien faire, de faire au mieux pour effectuer des soins efficients. Le care correspond alors à la fois à un moyen et à une finalité. Le care, peut être considéré en tant que souci de l’autre, l’autre étant potentiellement ou à la fois le soignant et le soigné ou en tant qu’activité.

37Face aux tensions du contexte de soin et d’apprentissage, avec leur habitus, leurs compétences, les professionnelles « concilient au quotidien, l’action de compréhension et l’action de transformation du monde » (25). Elles montrent dans leur rapport au monde et leur posture une approche compréhensive des phénomènes de care et d’apprentissage, des dispositions à l’engagement de soi et à l’apprenance. Plusieurs paradoxes émergent. La logique du tout sécuritaire et de la traçabilité constante contraste avec le caractère caché du care et de l’apprentissage. Alors que la politique sécuritaire alourdit et complexifie le travail des soignants, enclin et soumis de plus en plus au respect de procédures et de protocoles établis, la part du travail invisible ne cessa d’augmenter (26). Une partie de ce travail invisible qui semble occulté dans les mesures de charge en soins correspond au care. Celui-ci ayant pour but premier de soigner, est une activité primaire de soin, alors qu’apprendre est un but secondaire au décours d’une autre activité, le soin.

38Si les termes care et soin sont assez souvent réunis dans la littérature, le lien entre care et apprentissages informels infirmiers est innovant. La création d’une société démocratique développant le care est elle envisageable, de l’ordre de la réalité ou est-elle une utopie ou un mythe ? Dans ce sens, la profession serait dans la logique des sciences de gestion qui se seraient enrichies ces dernières années de travaux sur l’éthique et la philosophie du care (27). Pour autant, il reste à rendre plus visible le care de manière transversale dans les diverses activités. Son apprentissage doit faire exister l’informel dans la formation formelle, les deux se complétant. L’écologie du care est à ce prix.

Conflits d’intérêts

39L’auteure ne déclare aucun conflit d’intérêts.

Références

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Mots-clés éditeurs : pratique infirmière, care, conception de soin, apprentissage informel, activité

Date de mise en ligne : 15/10/2015

https://doi.org/10.3917/rsi.122.0044

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