Notes
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[1]
La méthode clinique des cas s’intéresse à la clinique du sujet et à sa singularité. Elle se base sur l’écoute du discours et l’interprétation. Cette approche qualitative vise à repérer des cas cliniques.
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[2]
Cette approche quantitative ambitionne l’explication des faits. L’hypothèse théorique souligne un lien de causalité et met en relation une variable dépendante et une variable indépendante.
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[3]
Cette méthode se caractérise par l’étude des caractères différentiels privilégiant la notion de corrélation. Le chercheur s’intéresse à la stabilité de la variabilité inter-individuelle.
-
[4]
La méthode historique vise l’explication et la compréhension d’un fait présent ou passé en se référant aux faits historiques.
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[5]
Dans cette approche qualitative, le chercheur s’intéresse à la compréhension des groupes sociaux, il étudie leurs habitudes, leurs pratiques, leurs actions… Le travail d’interprétation produit une connaissance compréhensive du fonctionnement du groupe étudié.
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[6]
Ministère de la santé et des sports. (2012) Formations des professions de santé Profession infirmier Recueil des Principaux textes relatifs à la formation préparant au diplôme d’Etat et à l’exercice de la profession. Paris : Berger-Levrault.
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[7]
Démarche dynamique, individuelle, visant la recherche d’informations et leurs analyses, tout au long de la carrière professionnelle. Elle participe au développement de compétences, à la mise en réflexion, à la prise de décisions et permet de mieux anticiper les évolutions.
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[8]
Il semblait intéressant d’identifier le pourcentage de participants s’attribuant la note de 0.
-
[9]
Cette dernière colonne comprend les pourcentages de la première colonne.
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[10]
Savoirs fondés scientifiquement et culturellement
Introduction
1En France, l’évolution de la recherche en sciences infirmières est récente comparativement à l’ensemble de la communauté professionnelle internationale. « Au Québec, dans le Canada francophone, comme dans toute l’Amérique du nord, à l’Université de Beyrouth au Liban, à l’Université de Natal en Afrique du sud et à l’Université du Caire en Egypte sur le continent africain, les activités de recherche scientifique en soins infirmiers font partie du quotidien des infirmières et des sages-femmes, comme c’est le cas dans nombre de pays de culture anglo-saxonne » (Koffi, Delmas, N’Goran, Andoch, 2010, 115) [1]. Dans le domaine de la recherche en soins infirmiers, la France affiche 50 ans de retard avec les pays anglo-saxons bien que son intérêt articulant développement des connaissances et efficience des soins ne soit plus à démontrer. Comme le note Eymard « la recherche en santé et en soins est au cœur du développement de la qualité des soins et de l’ensemble des prestations en santé » (2003, IX) [2].
2Depuis 2009, dans le cadrage européen du processus d’universitarisation, le nouveau programme de la formation initiale en soins infirmiers accorde distinctement une place à l’initiation à la recherche avec la mise en place d’une unité d’enseignement (UE) intitulée « initiation à la recherche », présente dans deux semestres avec identification des éléments de contenus et du volume horaire. Cette UE vise la professionnalisation à travers un cheminement emprunt de réflexivité, se prolongeant potentiellement post-diplôme initial. « Ce travail d’initiation à la recherche conduit l’étudiant vers sa future fonction quelle que soit sa destination. Pour le futur professionnel en quête d’autonomie et de liberté, le chemin devrait pouvoir se poursuivre par le partage de ce travail de recherche, voire par la rédaction, toujours possible, d’un article de presse. Car transmettre son savoir aux autres professionnels de santé, c’est aussi participer à la reconnaissance d’une profession » (Taldir, 2011, 42) [3].
3Après un cycle de trois ans, il convient de réaliser un bilan auprès des membres des équipes pédagogiques concernant la mise en œuvre de cette UE en tant qu’élément œuvrant au développement de la posture d’apprenti chercheur. En effet, les étudiants sont les professionnels de demain, la visée étant de pérenniser à terme une discipline en sciences infirmières en France.
Problématique et contexte général
4Le retard du développement de la recherche en soins infirmiers en France s’explique par une juxtaposition de freins qu’il convient de recenser sans prétendre à l’exhaustivité.
5Tout d’abord, il importe de souligner la tradition féminine orale comme une spécificité dans la construction des soins infirmiers au détriment d’un développement d’une culture de l’écriture. A l’origine, la transmission des savoirs infirmiers était uniquement clinique et explicitée verbalement par les pairs. La formalisation de ces savoirs au travers de manuels puis par le biais de la création d’écoles n’a pas exclue la pérennisation d’une transmission corporatiste orale. « Ces « savoirs de femmes » reposent sur des savoirs pratiques hérités de tradition, construits par l’expérience et transmis par l’oralité » (Pierre Jeanguiot, 2006, 95) [4]. Pourtant la recherche ne peut se priver d’écriture comme l’illustre l’importance de l’écrit dans la sphère scientifique. « L’écrit constitue un bien vénéré et convoité en recherche. Un chercheur qui ne produirait pas d’écrit ne pourrait pas être reconnu comme tel, si bien que la première activité à laquelle le futur chercheur doit se former, c’est l’écriture » (Van Der Maren, 1996, 59) [5]. Dans l’hexagone, la littérature scientifique infirmière reste peu visible. « L’absence de tout document de synthèse concernant l’évolution des pratiques et des connaissances de la profession infirmière fait à mon avis grandement défaut aussi bien aux soignants, qu’aux enseignants et étudiants en soins infirmiers » (Magnon, 2001, 1) [6]. Une recension des écrits en soins infirmiers souligne d’une part une faible publication et constate également que « l’analyse des écrits infirmiers français a plutôt tendance à démontrer la pauvreté de notre réflexion sur la discipline infirmière » (Delmas, Lazure, Pronost, 2003, 101) [7]. Contrairement à certains pays qui font état de plus de vingt revues scientifiques en sciences infirmières, la France affiche à ce jour une seule revue qui s’appelle « Recherche en Soins Infirmiers ».
6La non-maîtrise de la langue anglaise par les étudiants en soins infirmiers s’inscrit dans un constat général valant pour l’ensemble des étudiants de l’enseignement supérieur. « L’anglais, talon d’Achille de l’enseignement supérieur » tel est le titre annoncé dans le quotidien le Monde le 10 avril 2013 qui questionne : « les étudiants français seront-ils capables, un jour, de s’exprimer correctement en anglais ? » (Floc’h, M’bida, 2013, 1) [8]. Ce malaise se retrouve auprès de la population des soignants et constitue un autre obstacle, car la littérature consacrée à la recherche est principalement anglo-saxonne. Bien que depuis 2009, l’anglais soit au programme des études de la formation initiale, à ce jour, il représente une barrière linguistique : « de très nombreuses publications anglo-saxonnes, auxquelles les infirmières et infirmiers français peuvent difficilement accéder, faute de n’avoir pas pu ou su aborder la pratique des langues étrangères » (Magnon, 2003, 131) [6]. Dans la mouvance de la mondialisation, l’anglais est la langue de référence favorisant ainsi la communication internationale des savoirs impliquant nécessairement la maîtrise linguistique. Ce partage des savoirs s’apparente à un devoir éthique dans la discipline infirmière, dont l’intérêt des recherches scientifiques vise l’enrichissement de la réflexion et, de fait, l’efficience des pratiques soignantes. « Dans la mouvance du développement économique, social, culturel et scientifique qu’impose la mondialisation, l’universalité des connaissances relatives à une discipline s’impose à toutes les cultures linguistiques et apparaît comme le premier devoir éthique dans le domaine de la santé ». (Koffi, Leboeuf, 2007, 50) [9].
7Un autre frein se retrouve dans le manque de lisibilité de l’autonomie de l’infirmier(e) qui reste majoritairement sous l’emprise médicale. Cette prégnance du paradigme médical semble refléter une hégémonie handicapante dans le développement de la recherche. « Au début du XXème siècle, il y a véritablement bifurcation vers la conception des soins véhiculée par le courant médical, qui vient imprégner la conception transmise par les [femmes] consacrées et en remodeler le rôle. Au modèle religieux s’associe le rôle de l’auxiliariat médical créant ainsi le rôle de la [femme]-infirmière auxiliaire du médecin » (Collière, 1982, 34) [10]. Cette liaison hiérarchique verticale reste présente bien qu’une évolution s’observe : « Entre médecins et personnel infirmier, le rapport hiérarchique existe toujours. Toutefois, la nouvelle division sexuelle du travail est présentée comme un facteur de changement dans la mise en place d’une organisation de travail qui favoriserait la coopération entre les deux équipes » (Picot, 1999, 121) [11]. De plus, face à la complexité des problématiques de santé, la contribution significative et additionnelle d’une discipline en sciences infirmières à la seule discipline médicale se dessine légitimement. « C’est pourquoi, pour sauver le fondement et la qualité des soins infirmiers, habituellement réduits à la simple exécution des prescriptions médicales, il convient de développer la recherche en soins infirmiers qui légitimera la discipline infirmière en établissant sa distinction d’avec la médecine. Il s’agit de laisser apparaître la plus-value, pour souligner l’enjeu majeur que représente le développement de la discipline et de la recherche infirmière » (Koffi, Delmas, N’Goran, Andoh, 2010, 117) [1].
8D’autre part, dans le domaine sociétal, le contexte de crise économique touchant l’ensemble de la population française n’est pas facilitateur : « La difficulté majeure reste, pour les soignants, la possibilité de faire des recherches cliniques dans un contexte qui se prête peu à cette démarche : manque de crédits, de temps, de formation, de comité d’éthique, de reconnaissance de la recherche en soins » (Formarier, 2006, 3) [12]. Par ailleurs, la mise en place de la réduction du temps de travail, la montée en puissance des emplois à temps partiel, mais aussi la nécessité pour les infirmières d’assurer le double rôle de professionnelle et de chargée de famille, sont autant d’entraves potentielles à l’accès à la recherche : « L’infirmière est, hélas, encore aujourd’hui trop « coincée » entre des contraintes de temps, de vie, des conditions de travail épuisantes et stressantes, un statut de mère de famille et d’épouse ou d’amie, qui ne lui laisse guère de facilité » (Magnon, 2001, 131) [9].
9A ce jour, en France il n’existe pas de cursus universitaire complet ni de laboratoire de recherche dans le champ des sciences infirmières, pourtant : « l’académisation de la discipline est un facteur qui favorise la reconnaissance sociale du groupe infirmier et la valorisation de la contribution que ce dernier apporte dans le champ de la santé […]. De plus, il permet d’accroître le corpus de connaissances disciplinaires mais également d’approfondir la réflexion méthodologique et épistémologique » (Debout, Eymard, Rothan-Tondeur, 2010, 142) [13]. La recherche en sciences infirmières a illustré sa plus-value dans l’efficience des soins au niveau international et s’inscrit légitimement dans le contexte sanitaire français. « Alors que notre société postmoderne tente de palier l’anxiété générée par la perte de ces certitudes et par un rythme rapide d’obsolescence des connaissances, le groupe infirmier doit mettre en avant la nécessité de formaliser des savoirs qui permettront ensuite de mieux articuler certitude et incertitude dans les prises de décision des professionnels infirmiers » (Debout, Eymard, Rothan-Tondeur, 2010, 143) [13].
10Ainsi, en 2009, la Direction Générale de l’Offre de Soins (DGOS) met en place le premier Programme Hospitalier de Recherche Infirmière (PHRI) au sein d’établissements de santé qui s’élargit ensuite aux autres professions paramédicales (PHRIP). Ces appels à projets annuels sont un véritable maillage entre les besoins des usagers et les enjeux économiques et sociaux bénéficiant d’une coordination académique légitimant la discipline des sciences infirmières.
11Dans cette dynamique, l’École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP) crée en 2009, un département d’enseignement et de recherche en sciences infirmières et paramédicales (DSIP) dirigé par Monique Rothan-Tondeur. Ainsi, en partenariat avec Aix-Marseille Université, un master en sciences cliniques infirmières est ouvert et propose plusieurs spécialités de master en pratiques avancées. Puis en janvier 2012, un département universitaire en sciences infirmières (DUSI) ouvre à Aix-Marseille Université. « Un phare semble percer avec l’officialisation du département de sciences infirmières à la Faculté de médecine d’Aix-Marseille. Ce dernier n’a pas, selon le Doyen Léonetti, vocation à se substituer aux structures existantes mais plutôt celle d’être une aide à la mise en place des réformes (…) L’annonce de perspectives vers la création d’une unité de recherche clinique, d’un doctorat en sciences infirmières et de l’ouverture d’une discipline en sciences infirmières augurait des avancées positives » (Depoire, 2013, 5) [14].
But de l’étude
12Alors qu’en 2009, les accords de Bologne propulsent la formation initiale infirmière dans le dispositif universitaire avec la reconnaissance par le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche d’un grade licence (1er cycle universitaire), il convient de réaliser un état des lieux de l’avènement du nouveau programme porteur d’un cadrage du contenu et du volume horaire de l’UE initiation à la recherche visant à compenser modestement le retard affiché en matière de développement de la recherche en soins infirmiers. La formation initiale s’apparente alors à un maillon du déploiement à terme d’une discipline en sciences infirmières en France. Selon Moncet, « La formation infirmière inscrit les nouveaux diplômés dans un grade de licence uniquement. C’est notamment dans ce dispositif que sera regardé de près la capacité des professionnels du soin à s’inscrire dans la recherche spécifique, à produire des travaux écrits et des publications, en matière de travail de fin d’études ou de mémoire afin d’évoluer vers une véritable discipline universitaire en soins, à l’instar de ce qui est fait dans de nombreux pays soucieux de la valorisation des métiers du soin » (Eymard, Thuilier, Vial, 2011, VI) [15]. Ainsi, il a été jugé opportun de mener une étude exploratoire au niveau national auprès des instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) ; l’objectif étant de caractériser la mise en place de cette UE initiation à la recherche.
Méthode
Participants
13L’enquête par questionnaires a été adressée à 305 IFSI repartis sur le territoire français. Les questionnaires ont été envoyés aux directeurs et aux secrétaires selon les adresses courriels répertoriées. Ces personnes ressources devaient ensuite les diffuser en interne auprès des différents membres de l’équipe par liste de diffusion. Le relais n’a cependant pas été systématique.
14Deux populations sont concernées par l’enquête, ce qui nécessite la diffusion de 2 questionnaires différents. Aucun critère d’exclusion n’est retenu.
15Le premier questionnaire est destiné aux personnes responsables de l’UE initiation à la recherche. Il y a eu 22 répondants soit un faible taux de retour de participation. Le profil type des participants correspond à un cadre formateur, de sexe féminin, âgé de plus de 40 ans et bénéficiant d’une ancienneté supérieure à sept ans dans cette fonction (voire plus de 15 ans pour un quart). L’effectif cumulé de cadres supérieurs responsable de cette UE est de deux. La détention d’un master 2 concerne près de la moitié des responsables d’UE répondants à l’enquête. Il n’y a pas de participant doctorant ou détenant un doctorat.
16Le second questionnaire est adressé aux formateurs ainsi qu’aux membres de la direction ; les personnes répondants à ce 2ème questionnaire ne sont donc pas responsables de cette UE. 93 réponses ont été enregistrées. Le profil sociodémographique se caractérise également par une population majoritairement âgée de plus de 40 ans ; voire près de la moitié des répondants ont plus de 50 ans. L’effectif cumulé des membres de l’équipe de direction est de sept. La détention d’un master 2 représente près d’un quart des répondants. Ici aussi, aucun participant ne détient de doctorat ou n’est doctorant.
Collecte des données
17Pour réaliser cette enquête exploratoire, le choix de questionnaires fut retenu. Les deux questionnaires sont composés de questions fermées : questions dichotomiques (sexe, oui/non) et questions à choix multiples (tranche d’âge, fonctions, ancienneté dans la fonction, niveau d’étude universitaire, discipline en lien avec la formation universitaire…). Le second questionnaire comprend en plus, des questions d’évaluation : sur une échelle de 0 à 10, situez votre niveau d’expertise concernant la maîtrise de l’anglais, des paradigmes de recherche, de certaines méthodes de recherche…. 0 étant : « je ne connais absolument pas » et 10 : « je me sens très experte ».
18Le premier questionnaire destiné aux responsables de l’UE « initiation à la recherche » visait à recueillir leur profil sociodémographique, l’utilisation d’articles de recherche dans la construction et/ou animation de cette UE, l’état des lieux des enseignements (identification des intervenants, volume horaire réalisé, méthodes de recherche enseignées…), les modalités de rédaction et d’accompagnement du mémoire, ainsi que les attendus concernant l’évaluation de cette UE dans le semestre 4 et le semestre 6… Ce questionnaire est composé de 34 questions fermées.
19Le second questionnaire adressé aux formateurs ainsi qu’aux membres de la direction n’étant pas responsables de cette UE, avait pour objectif le recueil de données concernant le profil sociodémographique de ceux-ci, la réalisation personnelle de(s) mémoire(s) d’initiation à la recherche au sein de leurs parcours, la publication d’articles, la quantification d’articles de recherche lus sur une année, l’autoévaluation concernant la maîtrise de l’anglais, leurs connaissances sur l’Evidence Based Nursing (EBN) et le niveau d’expertise en lien avec les paradigmes et les méthodes de recherche. Concernant les autoévaluations, il est demandé aux participants de se positionner sur une échelle allant de 0 à 10, 0 étant « je ne connais absolument pas » et 10 étant « je me sens très experte ». Concernant le niveau d’expertise en lien avec le paradigme, deux paradigmes sont énoncés : le paradigme biologique ou constructiviste puis le paradigme mécaniciste ou positiviste. Les méthodes citées dans le questionnaire, qui font référence à des approches qualitatives ou quantitatives sont : la méthode clinique des cas (casuistique) [1], la méthode expérimentale [2] ou quasi expérimentale, la méthode différentielle [3], la méthode historique [4] et les méthodes de l’ethnos [5]. Enfin, le questionnaire visait, à partir d’échelles cotées de 0 à 10 (0 : « pas du tout » et 10 : « fortement »), à repérer l’importance de l’initiation à la recherche en formation initiale, à quantifier les échanges entre collègues à propos des finalités de l’initiation à la recherche en formation initiale et à visualiser le besoin ressenti d’avoir une formation en recherche. Il comprenait 31 questions fermées.
20Les questionnaires étaient hébergés sur une plateforme HTML permettant d’allier la large diffusion au regard de la dispersion géographique, la garantie de l’anonymat des répondants et une participation en temps réel des participants. Une phase de pré-test a été réalisée.
21Les IFSI ont été contactés au préalable par courriel en vue de les informer de l’enquête : objectifs et déroulé. En pièce jointe figurait la charte du laboratoire de recherche Apprentissage, Didactique, Évaluation, Formation (ADEF).
22La période de la collecte des données s’est déroulée du 5 février 2012 au 16 mars 2012. Tous les questionnaires renseignés se sont avérés exploitables.
Analyse des données
23Le traitement statistique des données est une analyse descriptive qui vise à résumer en quelques chiffres les caractéristiques de l’implantation de l’UE « initiation à la recherche » en formation initiale. Il est donc question ici d’effectif, d’effectif cumulé, de fréquence et de pourcentage. La représentation graphique retenue permettant une visualisation globale de la répartition des caractères qualitatifs est le diagramme circulaire (répartition par fonctions, niveaux d’études universitaires…).
Principaux résultats
Les responsables d’UE initiation à la recherche
Faible utilisation des articles de recherches dans les enseignements de l’UE initiation à la recherche
24Une des questions visait à repérer le nombre d’articles de recherche utilisés pour construire et/ou animer les séquences pédagogiques de l’UE « initiation à la recherche » du semestre 4 et du semestre 6. Sachant que les modalités d’évaluation de cette UE au semestre 4 portent sur le résumé de l’analyse d’un article de recherche, il semble logique d’envisager une utilisation de nombreux articles. Or, l’enquête met en évidence un faible quota : le nombre d’articles utilisés se situe majoritairement entre deux et trois.
Enseignements : écart entre le prescrit et le réalisé et hétérogénéité
25L’enquête s’est intéressée à l’identification des intervenants de cette UE ainsi qu’au volume horaire réalisé. Cette UE « initiation à la recherche » comprend 8 éléments de contenu dans le semestre 4 et autant dans le semestre 6. Il a été demandé qui intervenait pour chaque élément de contenu. Tous enseignements confondus, l’enquête souligne la participation majoritaire du responsable de l’UE (42,31 %) puis des formateurs (34.5 %), suivi des universitaires des disciplines médecine et santé publique (27,18 %) qui devancent sensiblement les universitaires issus des disciplines de sciences humaines (25,56 %).
26L’étude pointe que le volume horaire observé dans le cadre de l’étude est bien en deçà de celui acté par le référentiel de formation. Bien que près de la moitié des IFSI répondants respecte la totalité du volume prescrit et qu’un quart des IFSI déclare accomplir plus des trois quarts du programme, néanmoins un cinquième des étudiants auront reçu moins de la moitié du programme. Pour exemple, l’élément de contenu en lien avec l’utilisation des méthodes statistiques est déclaré comme non abordé dans 18 % des cas.
27La question en lien avec les méthodes enseignées propose six réponses possibles, à savoir : la méthode clinique des cas (casuistique), la méthode expérimentale ou quasi expérimentale, la méthode différentielle, la méthode historique, les méthodes de l’ethnos. La rubrique « autres » permet aux répondants d’insérer des méthodes non référencées. Ainsi, la méthode clinique des cas représente 77 % des réponses et la méthode expérimentale 59 %. Le taux total est supérieur à 100 % car plusieurs réponses étaient envisageables. Cette donnée permet d’envisager une approche pluri-référentielle en termes d’enseignements des méthodes au sein de plusieurs IFSI ; ce qui corrobore avec les attendus du programme. Les réponses en lien avec l’item « autres » représentent 23 % des réponses. Y sont évoquées la méthode de recherche en sciences humaines et sociales, la méthode subjectiviste et la démarche compréhensive. L’enquête révèle une hétérogénéité dans le choix des méthodes de recherche utilisées et un discours non homogène.
Mémoire : travail individuel avec un accompagnement sur plusieurs semestres alternant l’individuel et le collectif
28La réalisation d’un mémoire de fin d’études par les étudiants correspond à l’évaluation de cette UE du semestre 6 [6]. Ainsi, différents points ont été abordés. Les résultats soulignent qu’il s’agit majoritairement d’un travail individuel dont le thème est choisi par l’étudiant dans la moitié des cas déclarés dans l’étude. Il est demandé une production de mémoire traditionnel entre 15 et 20 pages dans la moitié des IFSI répondants. Aucune réalisation n’excède les 50 pages. Les attendus du mémoire pointent des divergences : pour la moitié des IFSI répondants il est demandé d’argumenter le choix de la méthode de recherche et de construire des outils de recueil de données ; pour un tiers il est demandé aux étudiants de poursuivre la démarche d’initiation à la recherche jusqu’au recueil de données, leurs traitement et interprétation.
29Concernant l’accompagnement des étudiants, les séances collectives sont très majoritairement présentes avec une variabilité en termes de taille du groupe. En effet, le nombre de participants varie entre six personnes et la promotion entière. Quant au rythme, près de la moitié des IFSI répondants propose une à trois séances collectives, l’autre moitié en propose quatre à six. L’accompagnement individuel en face à face pédagogique et par suivi courriel est présent dans tous les IFSI participants à l’enquête. Ce suivi est majoritairement assuré par l’ensemble des formateurs en IFSI et n’est jamais réalisé par un universitaire. Les universitaires sont présents dans l’animation de séquences pédagogiques mais pas dans l’accompagnement du mémoire d’initiation à la recherche. Les séances d’accompagnement (tant individuelles que collectives) ont lieu habituellement en semestre 4 et 5 et certaines se poursuivent en semestre 6.
Disparités dans l’évaluation de l’UE
30Le référentiel métier énonce les modalités d’évaluation de l’ensemble des UE. Concernant l’UE du semestre 4 il s’agit de la présentation d’un résumé de recherche à partir de l’analyse d’un article de recherche et le semestre 6 vise un travail écrit, mémoire de fin d’études.
31Concernant l’évaluation du semestre 4, les trois quarts des IFSI répondants déclarent que la construction de l’évaluation est réalisée par le responsable de l’UE et par les formateurs ; les universitaires interviennent également dans la construction dans plus d’un quart des IFSI répondants. De façon majoritaire, il s’agit d’un travail individuel et moins fréquemment un travail de groupe de trois à cinq étudiants. Dans près de la moitié des IFSI répondants, il s’agit d’un contrôle sur table et parfois d’un dossier sur thème à rendre.
32L’évaluation de l’UE du semestre 6 se base sur la production écrite du mémoire et sa soutenance. Dans les membres du jury, les formateurs qui accompagnent l’étudiant sont présents dans la majorité des situations mais pas systématiquement. L’universitaire est absent du jury.
Formateurs et membres de la direction
L’expérience dans la réalisation d’un mémoire d’initiation à la recherche
33Il a été demandé aux participants, si au cours de leur parcours professionnel voire universitaire, ils ont dû rédiger un ou plusieurs mémoire d’initiation à la recherche. Près des quatre cinquièmes des répondants répondent par l’affirmative. Ils ont donc été confrontés à cet exercice. Les méthodes de recherche les plus usitées lors de leurs travaux sont la méthode clinique puis la méthode expérimentale. Néanmoins 10 % des répondants se positionnent dans la case « autres ». Il est alors question de méthode subjectiviste (une hypothèse interprétative laisse penser que cette méthode est associée à l’approche herméneutique), méthode déductive, approche descriptive qualitative, comparative, recherche action et recherche exploratoire. Ce pourcentage vient éclairer les divergences possibles en termes de méthodes utilisées.
Faible publication d’articles
34Le questionnaire visait aussi à recenser le nombre de formateurs et membres de la direction ayant publié des articles. 81 % des répondants n’ont jamais publié d’article dans le domaine des sciences infirmières. Les publications réalisées se font essentiellement dans des revues professionnelles en soins infirmiers et également dans la revue de l’ARSI dans une plus faible proportion.
Faible représentativité des articles de recherche dans la veille professionnelle [7]
35Le questionnaire proposait de quantifier le nombre d’articles de recherche lus par les participants. Près de deux tiers des formateurs répondants lisent moins de deux articles de recherche ou productions de recherche par trimestre. La provenance des articles est issue très majoritairement de l’ARSI puis des revues de santé publique mais le critère de scientificité n’est pas précisé. La revue Soins Preuves (version française de l’EBN) bien qu’ayant fait l’objet de seulement deux numéros parus en 2007 est citée.
36Les sites Internet consultés de façon prévalente sont : Cairn, HAS, Cadre de santé.com, ARSI, santé.gouv et INPES.
Faible utilisation d’articles de recherche dans les enseignements
37Il a été demandé combien d’articles de recherche étaient utilisés pour construire ou animer des séquences pédagogiques sans tenir compte de l’UE « initiation à la recherche ». Près d’un tiers des formateurs répondants déclare n’utiliser qu’un à deux articles de recherche par an et un tiers déclare ne jamais en utiliser.
Auto-évaluation : faible expertise déclarée
38Les membres des équipes pédagogiques en IFSI ont été invités à évaluer leur niveau d’expertise sur une échelle de 0 à 10. En ce qui concerne le niveau d’expertise en langue anglaise, quatre cinquièmes des membres de l’équipe s’attribuent une note inférieure à 5/10 (0 correspondant au critère « je ne connais absolument pas » et 10 étant « je me sens très experte ») ; ce qui constitue un barrage de la langue tant au niveau de l’écrit que de l’oral pour l’analyse de texte scientifique en anglais.
39Concernant l’EBN, près de la moitié des formateurs répondants déclare absolument ne pas connaître et plus des quatre cinquièmes de l’équipe (87 %) s’administrent une note inférieure ou égale à 5.
40Plus d’un tiers de l’équipe s’administre la note de 0 concernant le niveau d’expertise en lien avec le paradigme biologique ou constructiviste et le paradigme mécaniciste ou positiviste.
41Le tableau 1 ci-dessous illustre les principaux résultats concernant l’auto-évaluation des répondants en méthodologie de la recherche :
Auto-évaluation des membres répondants de l’équipe pédagogique concernant leur niveau d’expertise dans les différentes méthodes de recherche [8] [9]
42Sur les 93 réponses, seules deux personnes se sont positionnées comme étant très expertes dans l’une des méthodes : l’une en méthode clinique, l’autre dans les méthodes de l’ethnos.
43Ce bilan souligne la difficulté que rencontrent les formateurs à l’égard de la recherche.
Besoin exprimé en formation à la recherche
44Des questions viennent interroger l’importance de l’initiation à la recherche en formation initiale, la présence ou pas d’échanges avec les collègues concernant les finalités de l’initiation à la recherche en formation initiale ainsi que le souhait de se former à la recherche en sciences infirmières. L’enquête affiche qu’un quart des formateurs répondants déclare que la recherche est peu, voire, pas importante en formation initiale. Dans cette même lignée, il est à noter que près d’un tiers des formateurs répondants déclare ne pas ou peu échanger quant aux finalités de l’initiation à la recherche en formation initiale.
45La majorité des membres des équipes pédagogiques répondants exprime un besoin de formation à la recherche. Sur une échelle de 0 à 10, 10 étant le besoin ressenti fortement, les trois quarts des répondants indiquent un besoin supérieur ou égal à 5 et plus d’un tiers se positionne entre 8 et 10.
Discussion
46Tout en prenant en prenant en compte l’aspect intrusif d’une enquête, le faible taux de retour (115 questionnaires renseignés), notamment des directeurs d’IFSI (effectif cumulé à deux), ainsi que la non diffusion systématique des questionnaires auprès des membres de l’équipe pédagogique oriente vers plusieurs pistes interprétatives. Outre la récurrence d’une densification de la charge de travail, ce taux d’abstention pourrait présumer l’expression d’un éventuel malaise envers le nouveau programme, l’universitarisation et/ ou la place de la recherche en formation initiale. Une autre hypothèse interprétative peut relever de l’appréhension à devoir se positionner ou d’une crainte d’un contrôle des activités et des productions réalisées au sein de l’IFSI, avec notamment un regard universitaire (cette étude se déroulant dans le cadre d’un cursus universitaire). Pour autant, la non-généralisabilité et la non-représentativité des résultats sont des limites de l’étude étant donné le taux de réponses. Comme l’enquête prend place lors de la phase initiale de la mise en œuvre de l’universitarisation, soit à la fin d’un cycle de trois ans, elle devrait être reproduite afin d’en confirmer ou infirmer ces premiers résultats, dans un avenir plus ou moins rapproché. Néanmoins, les principaux résultats et la discussion gagnent à être livrés dans une visée réflexive.
47Les résultats soulignent un nombre croissant de formateurs détenant un master 2. Cette dynamique reflète probablement, pour une part, une volonté institutionnelle affichée. « Le directeur de l’IFSI a un rôle prépondérant dans le développement des compétences des formateurs pour les amener à changer de posture » (Novic, 2010, 92) [16]. La question se pose quant à la légitimité pour le formateur sans détention d’un diplôme de deuxième cycle (Master) d’exercer auprès d’étudiants visant un diplôme de 1er cycle universitaire, soit en France : le grade licence. En effet, « […] si des infirmières sont formées au niveau licence on ne comprendrait pas que les professionnels exerçant dans les instituts de formation et/ou les secteurs de soins de santé, ne soient pas titulaires de masters et de doctorats » (Jovic, 2009, 4) [17]. De probables remaniements se dessinent au sein des instituts de formation initiale : « Pour les IFSI, l’évolution de la formation va modifier le rôle de chacun des acteurs dans la prise en charge des étudiants. […] A terme cela signifie que les formateurs devront valider au moins un master, si ce n’est un doctorat, pour être légitimés dans leurs fonctions » (Novic, 2010, 86) [16]. La détention d’un master peut être interprétée comme une tendance à se former pour recouvrir une légitimité. Cette « […] course au master relève en partie des craintes des formateurs d’un hypothétique manque de légitimité par rapport aux enseignants universitaires, elle vient surtout de la volonté des cadres de rester des acteurs majeurs de la formation pour garantir l’apprentissage du cœur de métier » (Yahel, Mounier, 2010, 27) [18].
48Les résultats présentés ne peuvent pas mesurer la distance entre le déclaratif et le faire, en effet « […] un questionnaire n’a pas pour but de renseigner sur ce que les gens font mais plutôt sur ce qu’ils déclarent faire ou ce qu’ils pensent faire » (Eymard, 2003, 63) [2]. Néanmoins, les résultats rendent compte d’éléments de convergence avec l’empirie. Les résultats présentés mettent en exergue le questionnement sur le sens et la finalité de l’initiation de la recherche en formation initiale : « La recherche en soins infirmiers est un objet complexe et évoluant avec la profession. La question du sens et de la signification de la recherche en soins infirmiers se pose de manière récurrente » (Wietrich, Regnier, 2005, 89) [19]. L’identification de nombreux freins au développement de la recherche est repérable au sein des IFSI, lieu qui devrait s’apparenter à l’accès privilégié de la mise en place de l’initiation à la recherche : « S’appuyer sur les cadres formateurs d’instituts jugés plus compétents en recherche en soins et développer le questionnement, la réflexion critique et scientifique en IFSI » (Catanas, 2012, 41) [20]. Or, cette logique est à discuter. En effet, les formateurs répondants font état d’humilité en nommant leurs axes perfectibles en matière d’appropriation des connaissances en lien avec l’EBN, les paradigmes et les méthodes de recherche. Dans le cadre actuel de l’universitarisation, le manque d’expertise des formateurs dans le domaine de la recherche met en lumière un défaut de convergence dans la rencontre souhaitée entre une culture professionnelle et une culture scientifique. De plus, outre l’absence de maîtrise de la langue anglaise venant complexifier l’accès aux publications anglo-saxonnes, cette étude souligne le faible taux de publication réalisé par les formateurs répondants. Ce trait dont la causalité peut se situer dans un défaut de la culture de l’écriture, peut aussi révéler une carence d’intégration d’une philosophie et de connaissances partagées dans la perspective unique d’un champ disciplinaire. Pourtant, « […] nous savons qu’une profession a toujours intérêt à théoriser sa pensée, sa pratique, son savoir-faire ; la recherche en est la voie royale […] » (Carré, 2011, 55) [21].
49Or, « […] si on veut qu’un métier progresse, il faut sans cesse augmenter le potentiel de compétences des formateurs puisqu’ils transmettent les savoirs professionnels. Un formateur guide les étudiants en leur impulsant le goût de la découverte et de la recherche de connaissances par eux-mêmes […]. Les étudiants ont de plus en plus besoin de ce type de formateurs » (Coudray, 2004, 193) [22]. Les résultats soulignent clairement le besoin de formation en recherche. Bien que quatre cinquièmes des formateurs répondants déclarent avoir réalisé un (ou des) mémoire(s) d’initiation à la recherche, le besoin de formation est très présent. Pour l’heure, les résultats de cette enquête interrogent sur le critère de scientificité du dit mémoire d’initiation à la recherche ? D’autre part, la disparité rencontrée dans les méthodes utilisées invite à une nécessité d’harmonisation des discours. En effet, le formateur, dans l’initiation à la recherche n’est pas simplement un « passeur ». Certes, il transmet des valeurs professionnelles, des savoirs et d’une certaine manière la passion du métier, mais le phénomène n’est pas unilatéral. Il y a co-construction de savoirs entre formateur et apprenti chercheur. Qu’en est-il de cette co-construction si un décalage se dessine entre les compétences attendues des formateurs et leurs compétences actuelles ?
50De plus, « […] rares sont les IFCS qui exigent des étudiants qu’ils réalisent une recension des écrits pour inscrire leur recherche dans les savoirs existants » (Formarier, 2007, 35) [23]. L’évolution de la profession sous-tend en aval, une formation initiale des étudiants en soins infirmiers qui, à terme, va bénéficier de formateurs infirmiers universitaires, gage d’une plus-value dans les relations transdisciplinaires, notamment avec le corps médical. « Plus l’enseignement de la profession infirmière s’éloignera de l’empirisme, plus il sera scientifique et précis, plus les médecins auront de chance d’avoir des collaboratrices qui se tiendront dans leur rôle, mais qui rempliront celui-ci avec une compréhension qui rendra les soins plus efficaces » (Coudray, 2004, 66) [22].
51Ainsi, un besoin de formation en recherche, clairement exprimé, conjugué au non-respect du volume horaire prescrit dans le référentiel métier, à une hétérogénéité dans le dispositif pédagogique et les attendus du mémoire, ainsi qu’à une faible utilisation d’articles de recherche dans les enseignements pose la question légitime des répercussions sur l’apprentissage des étudiants dans le domaine de l’initiation à la recherche ainsi que leur ancrage identitaire au sein d’une discipline formalisée par des savoirs théoriques de références. « La discipline infirmière se doit de fournir une philosophie et des connaissances qui guident la pratique, la formation, la gestion et la dimension politique » (Pepin, Kerouac, Ducharme, 2010, III) [24]. Il semble incontournable de former les étudiants à lire des articles de recherche. Cette lecture requiert la mobilisation de connaissances en lien avec les méthodes afin de donner sens aux recherches. L’étudiant pourra alors mesurer l’utilité des recherches dans une visée réflexive et d’amélioration continue de la pratique soignante voire prétendre se situer comme acteur dans des recherches : « Ils seront avertis et pourront participer plus étroitement à ces recherches pilotées par un chercheur de métier. Ils pourront aussi être demandeurs de recherches issues de leurs préoccupations professionnelles et dont les résultats pourraient intéresser leur corps professionnel » (Vial, 2000, 123) [25].
52Concernant la question des méthodes de recherche abordées, le taux de réponse supérieur à 100 % signifie que plusieurs méthodes sont enseignées ; il s’agit-là d’un élément qui converge avec les attendus du référentiel de formation. Cet enseignement pluriréférentiel est professionnalisant : « La recherche est alors un moyen de professionnaliser les acteurs de la santé. La caractéristique de la formation universitaire […] a pour projet d’activer et de promouvoir chez l’auteur le processus (inachevable) de professionnalisation par la diversité des références théoriques avec lesquelles étayer sa praxis professionnelle » (Vial, 2000, 124) [25]. En effet, « […] entre une approche monoréférentielle de la recherche considérant ou laissant imaginer qu’il n’y a qu’une seule façon de faire de la recherche et une approche pluriréférentielle privilégiant le débat d’idées, la critique épistémologique, le choix de formation participe à l’ouverture à des personnages professionnels différents, ne serait-ce que dans leur rapport aux savoirs académiques, même si, la formation ne peut pas être considérée comme le seul lieu de transformation du sujet » (Eymard, 2006, 40) [26]. Les travaux d’Eymard pointent le caractère professionnalisant de la formation par la recherche qui conjugue l’art de problématiser et les questionnements méthodologique et épistémologique. Ainsi, la phase de problématisation permet à l’étudiant de mettre en tension savoirs savants [10] et savoirs d’expériences (penser sa pratique) et de les confronter à ses connaissances. Cette démarche invite l’étudiant à écouter, observer et enfin à savoir argumenter : « La formation par la recherche est alors une occasion à saisir pour confronter les apprenti chercheurs au débat épistémologique. Le travail de recherche nécessite de rompre avec des certitudes, des croyances, et des allants de soi » (Eymard, 2005, 129) [27]. En effet, la formation par la recherche permet le développement de compétences : « En questionnant la valeur épistémologique des savoirs d’actions et des pratiques professionnelles, l’étudiant est invité à penser sa pratique. Problématiser réclame écoute et observation, conformation et confrontation, mais aussi acceptation et refus des apparences, des évidences, reconnaissance et métissage de points de vue variées » (Eymard, 2006, 159) [28]. Autant d’éléments transférables dans la pratique professionnelle. L’étudiant en sciences infirmières se trouve confronté à des obstacles épistémologiques qui œuvrent à une culture de débat épistémologique permettant la modélisation d’un système de pensée, une relation aux savoirs savants et expérientiels et un positionnement professionnel. Une piste de recherche s’annonce. En effet, bien que les enseignements déclarés soulignent une approche pluriréférentielle, il serait intéressant de connaître si dans le cadre de la réalisation du mémoire, le choix de la méthode est imposé ou non à l’étudiant. En effet, seulement la moitié des IFSI répondants demande aux étudiants d’argumenter le choix de la méthode de recherche utilisée. La question posée n’est pas assez explicite, il est difficile d’interpréter les résultats obtenus. La réponse ne permet pas de savoir si dans l’autre moitié des situations la méthode est imposée, ou bien si le choix est possible mais que la partie argumentation du choix n’est pas une demande institutionnelle. Pourtant le choix de la méthode importe : « Selon la méthode de recherche privilégiée, le rapport aux savoirs n’est pas le même, selon le degré de pluriréférentialité des approches épistémologiques, le rapport aux savoirs initiés en formation initiale n’est pas le même » (Eymard, 2006, 40) [26].
Perspectives conclusives
53L’étude réalisée interroge la place de l’IFSI en tant que partenaire dans le développement de la recherche en sciences infirmières : est-ce une utopie ou une épreuve de vérité ?
54Cette enquête met en lumière les freins au développement de cette recherche mais aussi la volonté clairement exprimée des professionnels répondants exerçant en IFSI à se former à la recherche. Cette détermination déclarée de formation dessine la mouvance de la profession vers la reconnaissance de l’intérêt de la recherche en soins visant la construction de savoirs et la reconnaissance à terme de la discipline infirmière en France. Néanmoins, « de nombreux obstacles viennent freiner l’appropriation de cette nouvelle intelligibilité, cadrage pour une autre manière de voir et de faire. Ce blocage épistémologique recouvre en fait des enjeux plus profonds, à la racine de l’être et de l’identité : le refus, le rejet des théories de la complexité et de la pensée complexe » (Mallet, 1998, 19) [29].
55Comme le souligne Allin-Pfister, « nous formons la relève et je suis convaincue que cette relève doit être formée à la recherche, dans un esprit de créativité et de rigueur scientifique, qu’elle doit trouver un sens à la recherche afin de participer au développement des professions socio-sanitaires » (2005, 145) [30]. Or, il semble légitime d’énoncer, qu’au regard de cette étude ancrée dans un processus d’universitarisation récent, des étudiants auront développé des compétences attendues en matière de recherche et d’autres ne les auront pas ou peu développées, selon leur appartenance institutionnelle. Pourtant la finalité de la formation est la professionnalisation des étudiants et la formation par la recherche est un moyen pour y parvenir : « […] Vont avec ce changement de paradigme toutes les conceptualisations de la transformation sociale, notamment la professionnalisation qui serait assurée par une formation à et par la recherche » (Etienne, 2008, 121) [31].
56De plus, « la recherche est certainement le moyen qui fait le plus consensus pour engager la profession vers l’avenir. On pourra dire qu’elle est l’outil « vertueux » dans ce sens qu’elle suscite l’envie de se former, qu’elle développe la construction de savoirs scientifiques et opérationnels. (…) En se construisant une pensée disciplinaire, les infirmières se donnent les moyens d’une réflexion épistémologique et éthique qui contribue au développement des sciences de la santé » (Vigil-Ripoche, 2010, 3) [32].
57Recherche, professionnalisation, discipline : l’ébauche d’un glissement paradigmatique ne s’annonce-t-il pas ? En France, le défi qui se profile est celui de la reconnaissance des sciences infirmières au travers de la capacité des professionnels actuels et futurs à s’engager dans un processus d’académisation des savoirs infirmiers par le biais de la recherche, et d’inscrire de façon légitime les soins infirmiers dans une discipline. « Un système de santé qui investit dans l’expertise infirmière, fait un choix éclairé, porteur d’une véritable transformation des soins qui marquera le XXIème siècle » (SIDIIEF, 2011, p. 1) [33].
Remerciements
Les auteurs remercient vivement la participation des différents membres des équipes pédagogiques qui ont renseigné cette enquête. Sans eux, ce travail n’aurait pu aboutir.Références bibliographiques
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Mots-clés éditeurs : difficultés, formation en soins infirmiers, formateur, professionnalisation, initiation à la recherche
Date de mise en ligne : 23/05/2014
https://doi.org/10.3917/rsi.116.0070Notes
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[1]
La méthode clinique des cas s’intéresse à la clinique du sujet et à sa singularité. Elle se base sur l’écoute du discours et l’interprétation. Cette approche qualitative vise à repérer des cas cliniques.
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[2]
Cette approche quantitative ambitionne l’explication des faits. L’hypothèse théorique souligne un lien de causalité et met en relation une variable dépendante et une variable indépendante.
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[3]
Cette méthode se caractérise par l’étude des caractères différentiels privilégiant la notion de corrélation. Le chercheur s’intéresse à la stabilité de la variabilité inter-individuelle.
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[4]
La méthode historique vise l’explication et la compréhension d’un fait présent ou passé en se référant aux faits historiques.
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[5]
Dans cette approche qualitative, le chercheur s’intéresse à la compréhension des groupes sociaux, il étudie leurs habitudes, leurs pratiques, leurs actions… Le travail d’interprétation produit une connaissance compréhensive du fonctionnement du groupe étudié.
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[6]
Ministère de la santé et des sports. (2012) Formations des professions de santé Profession infirmier Recueil des Principaux textes relatifs à la formation préparant au diplôme d’Etat et à l’exercice de la profession. Paris : Berger-Levrault.
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[7]
Démarche dynamique, individuelle, visant la recherche d’informations et leurs analyses, tout au long de la carrière professionnelle. Elle participe au développement de compétences, à la mise en réflexion, à la prise de décisions et permet de mieux anticiper les évolutions.
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[8]
Il semblait intéressant d’identifier le pourcentage de participants s’attribuant la note de 0.
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[9]
Cette dernière colonne comprend les pourcentages de la première colonne.
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[10]
Savoirs fondés scientifiquement et culturellement