Notes
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[1]
On entend par discipline, une articulation historiquement ancrée d’éléments composites, pouvant faire sens de manière durable et se constituer en instance rationnelle de connaissance (Berthelot cité par Vinck, 2000, 74) [3].
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[2]
Nul ne peut le contester effectivement, sur un plan économique, la profession infirmière se trouve dans le secteur tertiaire, celui des services.
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[3]
En regard de nos conditions de vie contemporaines, les conditions de vie, de travail et d’habitat dans les classes populaires et les servantes apparaissent comme peu glorieuses au XVIIIe siècle. Ce qui n’est pas forcément vrai en regard de l’époque considérée. La vie du peuple et des classes subalternes de la société ne sont pas toujours enviables dans l’Ancien Régime, mais c’est aussi une certaine réalité.
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[4]
Il s’agit des travaux manuels, domestiques, ménagers, logistiques, comptables ou éducatifs attribués généralement aux femmes.
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[5]
En replaçant les mots dans leur contexte, notamment aux XVIIe et XVIIIe siècles, on voit que le mot pauvre qualifie en fait, une personne qui n’a que son travail pour vivre.
-
[6]
Durant tout le XIXe siècle et une partie du XXe, l’activité de l’infirmière est tributaire chronologiquement de la suprématie symbolique liée à la charité et à l’abnégation prônées par la culture religieuse, de la suprématie symbolique scientifique de la culture médicale et de la suprématie symbolique patriotique de la culture militaire (Nadot, 2003, 62) [20].
-
[7]
Par exemple, Eymard dans son ouvrage sur l’initiation à la recherche en soins dits de santé, fait une synthèse intéressante de la méthode historique [23].
-
[8]
À partir des années 1990, la micro-histoire prend de l’ampleur et permet, comme le relève Eymard (2003), de changer d’échelle. Ce qui montre que la réalité d’un sous-ensemble étudié n’est pas exactement celle du système dans lequel il s’inscrit. Le sous-ensemble évolue dans une réalité qui lui est spécifique.
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[9]
Borcard Patrice, Les archives de l’État de Fribourg sous le feu des critiques, le passé conjugué à l’imparfait. La Liberté, 7 avril 1992.
-
[10]
Gremaud J. (1868). Notice sur la fondation de l’hôpital de Gruyère. Romont : Mamert Soussens, imprimeur-éditeur.
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[11]
Rue, fondée entre 1264 et 1271, se trouve à 12 km de Romont, 40 km de Fribourg et 23 km de Lausanne, En 2003, cette cité compte 1040 habitants.
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[12]
Une très ancienne institution romontoise : L’hôpital Bourgeois, Romont : Feuille fribourgeoise, 10 septembre 1959.
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[13]
Souvent des villes de 800 à 2000 habitants avaient leur hôpital.
Rôle de l’histoire au sein d’une discipline [1]
1L’histoire de la discipline infirmière serait-elle le parent pauvre de la recherche scientifique ? Question saugrenue au vu de sa visibilité ? Nous ne le pensons pas. Peu de traces sur cette activité au sein des différents laboratoires du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), encore moins au plan universitaire... Ne parlons pas non plus des indicateurs financiers des agences de moyens de la science sur les sommes consacrées à la recherche fondamentale pour la discipline infirmière. Le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en France ne semble pas du tout concerné par le problème. On se demande même si les infirmières le sont ! Alors, le savoir des soins, comme pour d’autres disciplines, ne mérite-t-il pas des recherches historiques ? Quelle est alors l’utilité de ce type de recherche pour la profession infirmière ?
2Cet article fait référence à la fois, à la philosophie et à la méthodologie de la recherche historique pour la discipline infirmière. À défaut de recherches fondamentales sérieuses en histoire sur la standardisation de sa propre discipline, la profession infirmière continue d’alimenter les clichés, renforce le sens commun et repose sur des symboles et des croyances issus du passé ainsi que sur ce qui caractérise, de manière générale, les carrières féminines dans notre société. Le déficit de reconnaissance scientifique, que vit la profession infirmière n’est dès lors pas trop étonnant. À l’heure de la mondialisation des connaissances, quel statut international a la discipline du prendre soin institutionnel au sein de la science ? Dans quel ordre jouons-nous ? Dans l’ordre de la nature ou dans l’ordre de l’humain ? Quelle place a l’histoire de la standardisation de nos traditions de langages dans les programmes de formation en sciences infirmières ? Comment nommer l’identité de notre propre discipline (logos et nomos particulier) ? Quelles traces laissent nos langages professionnels dans le passé ? Questions certes un peu tardives pour une profession qui occupe stratégiquement depuis des générations le cœur du système de santé.
3Un des plus gros défis que la discipline infirmière doit relever au XXIe siècle, est probablement de quitter le monde symbolique qui entoure ses connaissances disciplinaires et de sortir de sa pusillanimité pour accéder aux lieux légitimes de production du savoir scientifique. Ces lieux de production et de reconnaissance du savoir pour la discipline infirmière se nomment « universités » (faculté des sciences infirmières). C’est en effet généralement au sein des hautes écoles doctorales en sciences infirmières impérativement situées au plus haut niveau du système éducatif que se développe la recherche fondamentale, notamment les questionnements épistémologiques et historiques. L’histoire est à la fois recherche et récit. Les résultats de recherche alors transformés en savoirs sont à leur tour, utilisés en recherche appliquée ou transférés dans l’enseignement supérieur comme la société le réclame pour nos hautes écoles.
4L’histoire est la mère de toutes les sciences de l’homme nous disait Michel Foucault [1]. Affirmation importante pour la pratique des soins. Cette dernière se trouve dans l’ordre humain, elle appartient donc bien aux sciences humaines. Les infirmières en sont-elles conscientes ? Dès lors, l’histoire de nos traditions de langage fait partie des premières recherches à mener pour donner une identité à notre discipline. Il est en effet plus important pour une discipline de déterminer l’identité de ses savoirs, que de s’interroger sur l’identité des personnes qui s’y réfère. On ne devient pas infirmière avant d’utiliser un savoir de même nature que l’identité proclamée. Or, l’histoire met bien en évidence que l’intitulé « infirmière » appliqué aux laïques a vu le jour avant que la conceptualisation des savoirs ne prenne forme ou que le métaparadigme « infirmier » et ses théories se fassent connaître. Dans la tradition de langage francophone, on a en effet commencé dans la première moitié du XXe siècle à « se dire infirmière » après avoir reçu une identité imposée par les médecins et avant d’avoir pu conceptualiser des modèles paradigmatiques et théoriques « infirmiers ». Ce n’est semble-t-il pas par l’histoire de nos traditions de langage, que la recherche infirmière a commencé ! (souvent de type bio-médical ou appliqué à la résolution de problèmes). La discipline infirmière, située dans l’ordre de l’humain sur le plan de la science, a de la peine à dépasser ses propres mythes pour construire son savoir spécifique. On ne sait toujours pas ce qui marque le début de notre discursivité au sein de notre espace-temps spécifique de parole par manque de recherches fondamentales en histoire. Derrière le mythe du « tout infirmier » et ses clichés, les femmes soignantes francophones subissent encore au plan épistémologique une domination culturelle imposée à la fin du XVIIIe siècle. Certains pensent encore que le mot infirmier est construit sur le fait de s’occuper des infirmes. Ce qui est réducteur et complètement faux ! À la discipline de s’approprier son histoire et de définir son objet. Mais, comme le faisait remarquer Gélis [2], « les historiens des pratiques de santé ont été pendant longtemps des médecins soucieux d’écrire le passé de leur profession ; les aides, les gardes, les soignants, n’étaient à leurs yeux que des auxiliaires. Ils participaient sans doute au progrès médical, mais n’étaient que des exécutants ; n’ayant qu’un rôle de comparses, il paraissait normal qu’ils soient absents d’une histoire toute à la gloire des grandes personnalités et des grandes découvertes. L’humble, le quotidien ; ce n’était pas… de l’histoire ! […] Mais après tout, pourquoi dénierait-on le droit à des membres d’une profession de se saisir eux-mêmes de leur passé, dès lors qu’ils satisfont aux exigences de la recherche historique ? » (p. 13 et 16).
5La recherche historique en sciences humaines a pour fonction de révéler, à partir des traces dont on dispose, les faits du passé. Elle est de l’ordre de la recherche fondamentale. En tant que recherche qualitative (subjectiviste, naturaliste ou interprétative), elle utilise une démarche scientifique, vise la découverte ou l’avancement des connaissances et ne s’occupe pas de trouver des applications pratiques immédiates. D’une manière générale, les définitions de la recherche fondamentale se ressemblent. Fourez (p. 162) [7] pour sa part, précise que la recherche fondamentale est « une pratique qui ne se préoccupe guère des applications possibles dans un contexte de société, mais se concentre sur l’acquisition de connaissances nouvelles ». En Suisse francophone, la recherche historique fondamentale se développe dans les hautes écoles en soins infirmiers dans la mesure où ces dernières ont aussi pour mission, non seulement de « faire de la recherche et du développement dans des champs de connaissances bien établis et confirmés, mais cherchent et découvrent des domaines d’avenir de la recherche appliquée. Elles pratiquent la recherche fondamentale lorsque cela s’avère nécessaire pour atteindre les buts fixés à la recherche appliquée » (CSHES, Berne, 8.9.2005) [8]. Le financement de cette recherche est assuré par les fonds fédéraux attribués à la recherche par les agences de moyens de la science, Fonds National Suisse de la recherche scientifique (FNS, division I, sciences humaines et sociales), ce qui correspondrait approximativement à l’Institut National en Sciences Humaines et Sociales (INSHS) du CNRS pour la France. Cependant, une difficulté majeure semble en place en France, dans la mesure où il n’y a pas, à notre connaissance, de facultés de sciences infirmières reconnues et subventionnées par l’État ou par le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ce n’est en principe pas aux hôpitaux de financer ce type de recherche. La question reste ouverte : dans quelle faculté se développe la recherche historique en science infirmière menée par des infirmières pour développer la discipline des soins ? Dans quel lieu cet ensemble de connaissances et de recherches, ayant un degré d’unité et de généralité qui découlent de relations objectives qu’on découvre graduellement et que l’on confirme progressivement par des méthodes de vérification (Dallaire et Aubin, 2008, 12) [9], peut-il voir le jour, être financé, être préservé et développé ?
La discipline et ses mythes
6Avant de se précipiter sur l’exposition de méthodes propres à la recherche en histoire, l’historien ne peut éviter de se confronter à la philosophie de l’histoire. La recherche historique sur la discipline infirmière nous apprend que cette dernière repose sur une tradition de langage et de pratiques très ancienne. Comme d’autres avant elle, elle a une série de mythes fondateurs. La construction de notre discipline suit l’accès à l’écriture des femmes soignantes et accompagne la production du savoir en milieu universitaire. Les mythes rapportés par la recherche en histoire montrent que notre discipline n’a jamais été « infirmière » ou paramédicale chez les laïcs que nous sommes. Pourquoi de telles représentations ? Ces mythes savamment entretenus masquent les réels fondements de la discipline dans le langage francophone et ne permettent pas de progresser dans le développement de la connaissance. Dépasser nos propres mythes devient alors une nécessité impérative, selon les épistémologues ou les historiens, pour statuer sur le savoir propre à notre discipline. Cette affirmation présentée lors du IVe Congrès mondial du Secrétariat international des infirmiers et infirmières de l’espace francophone (SIDIIEF) à Marrakech (Maroc) en juin 2009, met en évidence que la science part des mythes et de leur critique et qu’une nouvelle connaissance s’appuie toujours sur un savoir antérieur remis en question [4]. Un ouvrage sur le mythe infirmier doit du reste, prochainement sortir cet automne à Paris dans une grande maison d’édition (cf. Infirmière Magazine No 290, 1er décembre 2011, pp. 26-27).
7La discipline infirmière se développe à des rythmes variés dans le monde entier pour mieux prendre soin de l’humain. Elle se constitue progressivement sur le long terme, selon les orientations de nos sociétés et de leurs institutions. Elle repose sur les fondements profanes du triptyque « domus, familia, hominem » mis en évidence par les historiens. Soigner, c’est prendre soin de la vie du domaine (domus), prendre soin de la vie du groupe (familia). Et bien sûr, prendre soin de la vie de « l’homme (hominem) objet de soins » et d’attentions au sein d’un espace-temps institutionnel singulier [5].
8La critique en science prend pour objet les croyances existantes et requiert, à titre de matière première pour ainsi dire, la présence de croyances ou de théories auxquelles on adhère de manière plus ou moins dogmatique [4]. Nos traditions de langages « représentent la source à l’évidence la plus importante, en qualité comme en quantité, pour notre savoir » [4]. Si le savoir de la discipline infirmière dépend autant que ça de cette tradition de langage mentionnée par les philosophes des sciences, on comprend aisément toute l’importance et l’urgence qu’il y a, à retrouver ces traditions. On parle ici d’une tradition de langage dynamique et non de « ce que l’on a toujours fait » dans le sens routinier du « faire ». C’est la tradition écrite légitime qui permet de transformer notre expérience en savoir. Notre profession « ne peut en effet être véritablement fière de ses racines, qu’à l’observation de ce qu’elles lui ont permis de produire tant bien que mal, et non à la contemplation de leur état de conservation » [6].
9Parmi les objets qui historiquement nous étonnent, un mythe principal domine : celui du « tout infirmier » (les soins sont infirmiers, la pensée est infirmière, la recherche est infirmière, la science est infirmière, nos écoles sont infirmières, le département des soins est infirmier, etc.). Ce qui est faux, bien entendu ! L’histoire met bien en évidence que les soins ne peuvent pas être infirmiers. D’où le mythe ! Ce mythe principal, découvert à partir de plusieurs recherches historiques en 1990, bouscule l’ordre établi. Il possède aussi ses pratiques discursives et ses enjeux de pouvoir. Cette découverte saluée par une émission de Radio-Canada en 2001 (Les années-lumière de Yanick Villedieu) et présentée lors du premier congrès mondial du secrétariat international des infirmières et infirmiers de l’espace francophone (SIDIIEF) à Montréal en 2000, met en évidence que le terme infirmier est un terme issu de la mythologie théologique du troisième millénaire. Repris par la théologie médiévale, il reste la propriété conceptuelle exclusive des congrégations religieuses hospitalières catholiques. Dire que le soin est infirmier provoque alors une utopie identitaire porteuse d’une aporie chez les infirmières laïques, c’est-à-dire une difficulté d’ordre rationnel paraissant sans issue qui reproduit un blocage épistémologique entraînant une prolifération de modèles théoriques qui n’ont rien d’infirmier, puisque leurs fondements sont puisés dans des disciplines ne nous appartenant pas. Le terme infirmier est construit sur ENFER et indique que celui ou celle qui porte ce nom se confronte habituellement et professionnellement à ce qui est « faible », « malade », « malsain », « mauvais » autrement dit à l’Enfer, à la puissance des ténèbres, lieu de séjour des damnés. Dans le temps, on disait enfermier (infirmier) ou enfermeté (infirmité). La découverte de ce mythe renforce alors la nécessité de rechercher les racines historiques de notre langage professionnel laïc. La profession doit pouvoir s’en servir pour définir le type de service que les infirmières rendent depuis des siècles à la société.
La recherche historique, généralités
10La recherche historique pratiquée au sein des dispositifs éducatifs des filières infirmières des hautes écoles universitaires est une nécessité incontournable ne serait-ce que pour enseigner l’histoire de leur discipline aux étudiants. Qui, peut assurer cette charge aujourd’hui ? Procédure apparemment normale depuis longtemps à l’université où, selon la discipline enseignée, on peut trouver l’histoire de la psychologie, l’histoire de la médecine, l’histoire de la sociologie ou l’histoire des sciences de l’éducation pour n’en citer que quelques-unes. Logique beaucoup moins évidente au sein de la discipline infirmière ou l’histoire, lorsqu’elle est enseignée, prend des aspects hybrides, redondants, stéréotypés, laudatifs, voire hagiographiques. Elle ne permet pas toujours de saisir comment s’est effectuée la lente standardisation des traditions de langage arrivée jusqu’à nous. Ce langage est porté par les pratiques et la culture professionnelles d’aujourd’hui. Il permet alors à la profession, au travers de faits ou de données normalisées, de se mettre d’accord par rapport à ce dont on parle. Et bien sûr, l’histoire de la discipline infirmière n’a rien à voir avec l’histoire de la médecine [13]. Par absence de recherche historique permettant d’indiquer en quoi les soins infirmiers sont-ils infirmiers (?), on voit au sein des programmes de formation des contenus polysémiques, hybrides ou parfois exotiques. Ces derniers ne permettent pas de donner une information univoque sur le noyau dur spécifiant la discipline dite « infirmière ». La France contrairement à d’autres pays, ne possède pas de facultés de sciences infirmières. On ne s’étonne pas alors des problèmes d’identité ou d’orientation des contenus de formation qui interpellent les professionnels de la santé de manière récurrente. Qui n’a jamais entendu, notamment au sein d’équipes de soins composées d’acteurs de différents niveaux de formation, la fameuse question « qui fait quoi ? », ce qui correspond implicitement, toute pratique étant culturelle, à « qui sait quoi ? De quoi sont faites nos traditions de langage ?
11L’histoire nous apprend par exemple, qu’au sein des premiers hôpitaux, des pratiques et des savoirs profanes accompagnent l’émergence de la prestation de service [2] collective réclamée socialement par le « prendre soin ». Mais l’absence d’écriture permettant de transformer l’expérience des soignants profanes en savoir, l’absence de structures académiques et scientifiques, les dominations culturelles successives subies et la complexité de cette activité (prendre soin au plan institutionnel), font que le savoir spécifique reste occulté et qu’il est encore majoritairement méconnu. La discipline des soins est toujours orpheline sur le plan identitaire ; pas de logos spécifique, pas de nomos. Ni dans l’ordre de la nature ou du vivant, la science infirmière (que pour notre part, nous ne nommons pas telle), son histoire et son discours dans le monde de la science, se trouve derrière ce trièdre épistémologique des sciences humaines remarquablement décrit par Foucault [1]. Borné d’un côté par les sciences sociales et, de l’autre, par les sciences médicales, mais antérieur à ces deux entités, l’objet de la discipline soignante est à placer « à la fine pointe des sciences humaines ».
12Pour que l’histoire ait un sens pour une profession, il faut aussi que l’historien soit capable de repérer les documents qui peuvent faire sens pour la discipline qu’il est chargé d’éclairer et il lui faut surtout comprendre les documents qu’il a sous les yeux. Avoir pratiqué les soins au sein de plusieurs hôpitaux permet par exemple de savoir de quoi se compose la dynamique interne des établissements dans un contexte donné. L’histoire du soin est inséparable des valeurs portées par ceux qui pratiquent les soins. « Pour connaître son objet, l’historien doit posséder dans sa culture personnelle, dans la structure même de son esprit, les affinités psychologiques qui lui permettront d’imaginer, de ressentir, de comprendre les sentiments du passé qu’il retrouvera dans les documents. Faute de l’avoir compris, que de travaux historiques nous donnent l’impression d’être de la peinture faite par un aveugle-né, de la musique contemplée par un sourd ! » (Marrou, 1954, 97) [10]. Comprendre alors, d’où parle l’historien, à quel public il s’adresse et quel corps de connaissance il a l’intention d’enrichir, prend alors tout son sens pour l’orientation des points de vue et des valeurs dominantes. L’historien développe des catégories dont l’analyse s’effectue selon la sensibilité théorique et expérientielle du chercheur à savoir notamment : la formation disciplinaire, l’expérience de recherche, l’angle d’analyse privilégié, le contexte interprétatif initial (Paillé & Mucchielli, 2003, 163) [11]. Une recherche historique menée par un médecin, une infirmière ou une historienne qui n’est ni médecin, ni infirmière, apporte des éclairages et des interprétations fort différentes. Une infirmière historienne a forcément sa recherche, la lecture de ses documents et la composition de son discours marqués, en positif ou en négatif, par les empreintes de sa culture d’appartenance sur le plan professionnel ou scientifique.
13On peut constater par exemple, qu’à partir d’un même document relatant les descriptions de fonction du personnel de l’hôpital laïc de la ville de Genève en 1744, une historienne de la médecine (non médecin) et un historien en sciences infirmières (infirmier), qui ne se connaissent pas et ignorent les sources du langage de l’autre, arrivent pour un même document, consulté indépendamment l’un de l’autre, à des explications complètement divergentes sur le statut des soignants laïcs de l’époque profane (Walter, 1992) [13]. Pour l’une, l’histoire des soignants s’inscrit dans l’histoire de la médecine et de l’ordre de la nature, pour l’autre l’histoire des soignants, s’inscrit dans l’histoire de la discipline infirmière et dans l’ordre de l’humain au plan de la science. Pour l’une, lors de la nécessaire médicalisation des services hospitaliers genevois la référence à la science et à la médecine aurait du donner aux infirmiers en place, un statut d’interne ou de résident dans la hiérarchie hospitalière de la fin du XVIIIe siècle. Cela évite de reléguer durablement les soignants dans des échelons subalternes des professions paramédicales. Pour l’autre, les traditions de langage sur le « prendre soin », « l’aide à la vie » et le « service des malades » laissent apparaître que, la fonction spécifique et l’objet de la discipline infirmière ont été trop rapidement assimilés à une fonction dépourvue de toute originalité, quand elle n’était pas, soit ravalée à des caractéristiques féminines innées ou à des activités serviles, mercenaires ou philanthropiques. Comment porter un regard externe sur une discipline émergente et arriver à émettre de tels jugements en tant que profane, lorsque l’on n’exerce pas de pratiques dans ce champ disciplinaire méconnu ?
14L’histoire alors racontée est vraie dans la mesure où l’historien a, comme le relève Marrou [10], « des raisons valables d’accorder sa confiance à ce qu’il a compris de ce que les documents lui révèlent du Passé ». Le discours historique n’est pas naïf, il produit du sens et a des incidences diverses selon l’utilisation des résultats de recherche qui en est faite. Ceux-ci influencent le positionnement des étudiants en classe ou celui des futurs professionnels sur leurs lieux de travail ainsi que la place qu’ils prennent au sein de la société dans leur activité propre. Les enseignements de l’histoire ne peuvent être rendus possibles que si la recherche historique et sa diffusion le permettent. Il s’agit en effet d’offrir un enseignement de qualité, fondé sur des recherches solides, lesquelles doivent répondre non seulement à des besoins socio-sanitaires mais aussi aux besoins de la formation. Ce qui peut prévenir les frustrations de certaines infirmières, qui découvrent un peu par hasard parfois et un peu abruptement, leurs vraies traditions de langage. Ne pas accorder la place qu’il convient à la connaissance historique dans un programme de formation, notamment celui des infirmières ou ne pas évaluer les connaissances acquises sur le domaine, permet aussi aux dirigeants (dans notre cas des milieux de la santé) d’instrumenter les valeurs et les idéologies d’un champ. Lorsque des infirmières sont parfois manipulées, uniquement en fonction de déterminants ou de besoins socio-économiques par exemple, elles ne peuvent dès lors pas s’affirmer au nom de leurs traditions de langage, se former une identité scientifique ou participer à la critique de la raison. La connaissance historique libère l’homme du poids de son passé.
15Enfin, « l’histoire alimente en représentations sociales les identités. Elle dit les origines (…) elle justifie les appartenances, dresse les tableaux et les portraits qui instituent les différences qu’on a avec les autres et les ressemblances qu’on a avec les siens, à toute échelle (…). Elle procède à une mise en ordre, permet de trouver un système de repérage en vue de réduire l’angoisse et l’incertitude (…). L’histoire consacre et légitime les bonnes causes, les ordres établis, dénonce les mauvais camps » (Moniot, 1993, 29) [12]. L’universalité ou la généralité, la validité des concepts mis en œuvre par l’histoire sont bien comme l’indique Marrou[10], « dépendants, non pas à proprement parlé de la personnalité de l’historien, de sa mentalité, de son temps, mais bien de la vérité de la philosophie, implicite et, il faut le souhaiter, explicite, qui lui a permis de les élaborer ». Tout dépend de ce que l’on cherche à valoriser en faisant une recherche historique. L’exercice d’une activité au sein d’une communauté socialement habilitée à faire de la recherche, un environnement local façonné par des filiations disciplinaires, des traditions de recherche, des champs de pratique et des règles de conduite à divers niveaux et une situation pratique précise de professeur, chercheur, consultant, ou doctorant « implique l’adoption de comportements socialement définis, traversés par des enjeux » (Paillé & Mucchielli, 2003, 39) [11].
16Le passé est souvent appelé au service d’une connaissance réaliste (évite l’angélisme, l’histoire hagiographique, nuance les clichés) et permet, à partir d’un travail de problématisation à la méthode historique de recherche, d’expliquer ou de comprendre un ou plusieurs faits du passé à partir des facteurs qui l’ont constitué dans un espace-temps délimité, ou dans un processus d’évolution à travers le temps. C’est le poids du passé qui rend possible l’invention du futur. L’histoire évite aussi l’aliénation des générations futures et évite la production de « travailleurs consommateurs performants et des êtres sans mémoire, sans identité, sans racines » (Bugnon-Mordant, 2004) [14]. Devons-nous être des pions anonymes et interchangeables que l’on déplace sur l’échiquier économique de la santé en fonction des besoins ? Rappelons-nous aussi que par l’identification des traditions, des fondements et des racines disciplinaires, l’histoire participe à la construction de l’identité professionnelle. Mais à quoi peut bien servir cette dernière ? « L’identité professionnelle est cette condition essentielle de la maturité de la personnalité, elle permet le fonctionnement social harmonieux d’une personne dans son environnement, tout autant qu’à la cohésion des groupes » (Rocher, 1968, 163) [15]. Ce à quoi contribue l’enseignement de l’histoire, c’est de faire partager aux jeunes la mémoire actuelle des adultes – telle que ceux-ci la réélaborent aujourd’hui à cet effet. L’enseignement de l’histoire donne aussi, « prémédités ou non, des aliments à ce qui est et sera le travail de la mémoire de ceux qui nous suivent. La fonction de la mémoire représentée par le dicton « pour savoir où l’on va, il faut savoir (et accepter) d’où l’on vient » n’est pas de célébrer l’office du passé, mais d’aider à imaginer l’avenir » (Moniot, 1993, 39) [12]. S’il est intéressant de découvrir de quoi sont faites les traditions de langage du prendre soin, nous devons aussi accepter un passé pas forcément glorieux à l’époque profane. Dans une société préindustrielle, la plupart des professionnels viennent de la campagne ou de la domesticité, et l’école n’est pas encore obligatoire.
17Pourquoi toujours rejeter le début du soin profane, parce que peu glorieux [3] (logistique, économie, ménage, ordre, propreté, toilettes, activité s’exerçant au sein d’un domaine agricole, évacuation des humeurs et odeurs putrides, aide dans les activités de la vie quotidienne, petits boulots, etc.) ? À titre de comparaison, l’époque où les Romains employaient des médecins-esclaves grecs, était-elle plus glorieuse sur le plan de la production des savoirs ? Et dans les cités médiévales du monde arabo-musulman, comme dans le bîmâristân Nûr al-Din de Damas fondé en 1157, faut-il aussi occulter les soins donnés par le domestique soignant nommé mushrifun ? À qui revient le devoir de valoriser une activité d’emblée perçue comme « domestique » pour sortir des préjugés et montrer toute la complexité qu’a le soin à l’humain en milieu institutionnel ? Ce n’est pas parce que les femmes soignantes de la classe des servantes et des classes populaires ne peuvent pas toujours accéder à l’instruction au XVIIIe siècle qu’il faut ignorer l’utilité, la singularité, la complexité et la pénibilité de leur tâche.
18Dans l’histoire du prendre soin institutionnel, on voit par exemple, au XVIIIe siècle, l’hôpital encourager les apprentissages de son personnel. Il donne des bourses (les livrances) pour acheter des livres, aller étudier la couture ou le repassage. Les hôpitaux médiévaux, notamment en milieu rural, calqués sur le fonctionnement de grands domaines ou collectivités agricoles et d’auberges, engagent un personnel issu de la classe populaire et des servantes. Ces dernières doivent justifier d’expériences professionnelles dans la gouvernance de collectivités, dans les activités de la vie quotidienne ou dans la tenue du ménage au sein de familles nombreuses (expérience en pension bourgeoise comme on disait). Il faut cependant avoir une instruction minimum et savoir lire, compter et écrire pour les tâches requises, à savoir, réaliser les « ouvrages du sexe [4] » comme on disait. Certes, le spectacle des misères, l’architecture hospitalière ou l’urbanisation des cités dans l’Ancien Régime n’a rien de bien reluisant pour nos regards d’aujourd’hui. Cela n’empêche pas de trouver, déjà au XVIIIe siècle, des hôpitaux laïcs avec une organisation complexe, du personnel qui prête serment de bien exercer son métier, et qui reçoit en échange un salaire en espèce et en nature pour prendre soin. Il y a aussi des langages liés aux soins à domicile effectués par les soignantes à partir de l’hôpital. Elles quittent leurs services pour aller prendre soin des pauvres [5] dans la cité. Il faut distribuer les « prébendes » ou la « passade » et encore au XIXe siècle, effectuer des visites à domicile à partir de l’hôpital.
19L’histoire de la discipline infirmière permet aussi de dénoncer et mesurer les effets des colonisations successives sur le savoir propre à la discipline, effectuées par de nombreuses cultures dominantes (l’Église, l’Armée, la Médecine pour ne citer que quelques lieux communs) [6]. Dans ce sens, la domination multiséculaire du modèle franco-catholique, du modèle de la Bourgeoisie anglo-protestante ou de l’organisation militaro-médicale de l’Alliance suisse des gardes-malades et de la Croix-Rouge suisse (Nadot-Ghanem, 1999 [16] ; Nadot, 2002 [17]), expliquent comment les pratiques sont orientées par des cultures souvent étrangères aux valeurs et aux connaissances spécifiques des acteurs de terrain. L’histoire de la discipline n’est pas un sujet porteur inscrit dans les programmes de formation. Collière, qui a fait œuvre de pionnière en France, signale déjà en 1992 que les travaux des historiens au sein de la discipline soignante sont généralement « dévalorisés par les infirmières et infirmiers eux-mêmes qui – sauf exception – ignorent leur publication, n’en voient pas l’intérêt, ne se sentent pas concernés. Ce n’est d’ailleurs pas le souci des cadres de santé qui, dans leur majorité, méconnaissent l’histoire ou en craignent les interrogations » (Collière, 1992) [18]. Vingt ans après, nous en sommes où ? Peu de choses ont changé. L’histoire des femmes soignantes et du personnel infirmier, expurgée de ses poncifs et de ses lieux communs, reste « tout autant méconnue des médecins, psychologues, pédagogues et sociologues que du public infirmier, a fortiori lorsque les travaux d’ethno-histoire sont réalisés par des historiens issus du milieu professionnel (Ibid.[18]). Ajoutons qu’il y a très peu d’infirmiers professeurs d’histoire en milieu académique au sein de la discipline.
Méthodologie de la recherche en histoire : le cas de la discipline dite « infirmière »
20Essayons maintenant de distinguer, à partir de recherches empiriques menées dès 1990 et subventionnées par le Fonds National Suisse de la recherche scientifique (FNS) en 2005, quelques aspects d’ordre méthodologique dans la recherche historique au sein de la discipline dite « infirmière ».
21Après une étude de faisabilité et un échantillonnage, on va s’assurer qu’il existe bien des traces de l’activité soignante laïque et que l’on peut y accéder. Nous commencerons l’étude du prendre soin en comparant les archives hospitalières d’une région catholique avec celles d’une région protestante. Quels points communs y a-t-il entre les institutions de soins laïques en place avant celles de la Charité privée de l’Église ou de la mainmise médicale sur l’hôpital ? L’espace-temps du prendre soin n’est en effet pas le même ! Un Hôtel-Dieu n’est pas un hôpital ni un hospice. Par qui, le service offert à la société est réalisé ? Les infirmières ne sont pas des laïques. Si on néglige ce principe, on introduit un biais dans la recherche historique. Comme déjà mentionné, en histoire, le chercheur assume son implication dans la recherche. L’objet de recherche est construit par lui et le fait historique étudié relève de son choix, donc de sa culture, de ses instruments mentaux de connaissance et de son questionnement. L’histoire est donc partielle parce qu’elle consiste à observer les traces documentaires retrouvées d’un certain point de vue, sous un certain angle. Infirmier laïc de formation avec une expérience professionnelle de trente ans passés dans les quatre champs d’activité professionnels à l’époque de nos recherches, ce sont les ancêtres de l’époque profane qui nous intéressent. Ils deviennent alors le centre de nos investigations, même si par nécessité, il nous faut aussi à un certain moment, nous questionner sur l’évolution du contexte local et international. Pourquoi, à un moment donné, on voit l’arrivée de la culture religieuse catholique d’abord, protestante ensuite, suivi de la médecine au sein de l’hôpital laïc ? C’est l’époque ou le langage profane n’a pas encore le mot « infirmier » comme référentiel. Le statut du terme « infirmier », les concepts qui l’accompagnent, les connaissances et les valeurs qu’il contient, n’ont rien à voir avec l’histoire des pratiques soignantes laïques. Il faut prendre alors la précaution de ne pas mélanger l’histoire de l’Hôtel-Dieu et de la culture soignante religieuse qui relèvent de l’histoire de la religion et de ses pratiques en vue de procurer un bénéfice spirituel et céleste aux acteurs de la Charité, avec l’histoire de l’Hôpital et de la culture soignante laïque dont les pratiques n’obligent pas à se retirer du monde et relèvent des sciences humaines tout en procurant un bénéfice économique et terrestre aux acteurs en place. Ce n’est absolument pas sur les théories de soins religieuses ou sur les connaissances progressivement déléguées par les médecins que nos traditions de langage et la discipline dite « infirmière » se sont développées. Au XVIIIe siècle, la santé est un luxe et l’hôpital n’est pas médicalisé aussi bien dans son fonctionnement que dans son propos. On cherche principalement au sein des hôpitaux de cette époque à promouvoir la survie, à aider à vivre les plus démunis tout en assurant le contrôle social de certains marginaux au sein d’un contexte culturel spécifique.
22Nos recherches ont pour objectif de mettre en lumière l’hôpital ancien, en tant que « miroir » d’une société locale qui l’héberge. L’hôpital qui formate les pratiques est un lieu privilégié et singulier pour étudier l’espace, le temps, les conditions de vie et les pratiques de soins et d’assistance apportée à la collectivité. C’est de ces pratiques, de ces espaces et de ces constructions culturelles, que s’est constitué et transmit le patrimoine professionnel d’aujourd’hui. Sommes-nous toujours en continuité dans nos pratiques de soins contemporaines, avec celles héritées des siècles passés ?
23Il existe bien sûr, plusieurs ouvrages généraux sur la méthodologie de la recherche historique [7]. Nous n’avons pas l’intention d’en rajouter à ce qui existe déjà. En abordant la méthodologie de l’histoire, on mentionne seulement notre propre expérience et démarche à titre d’exemple. Au plan méthodologique, notre recherche empirique de type exploratoire, descriptive et compréhensive met en évidence les méthodes que les individus utilisent (le personnel de l’hôpital) pour donner un sens à leurs actions quotidiennes. L’ethnométhodologue et l’historien ne cherchent pas à faire rentrer ce qui est l’objet de leur recherche dans une grille préétablie, ils accueillent les données comme elles leur viennent. Sensibilisés aux principaux pièges liés à la recherche historique, nous serons particulièrement sensibles dans nos analyses, notamment aux pièges de l’anachronisme, de l’ethnocentrisme et du localisme. Mais on reste critique sur ces différents aspects. Par exemple, on constate une pratique de déplacement chez les soignants de l’époque médiévale. Il y a aussi une pratique de déplacement dans le premier modèle conceptuel en science infirmière de l’Europe francophone construit à partir des traditions de langage [27]. Mais ce qui change essentiellement au travers des époques, c’est l’espace et le sens de cette pratique de déplacement. L’architecture de l’hôpital médiéval, celle de l’hôpital du XVIIIe siècle ou celle de l’hôpital d’aujourd’hui, va forcément modifier ces pratiques, d’autant plus que les institutions au plan des valeurs formatent toujours ces dernières. On ne peut vraisemblablement pas parler d’anachronisme dans ce cas de figure.
24Le chercheur travaille à la compréhension des individus, des groupes dans leur contexte de vie à partir de ce que l’on en dit ou de leurs points de vue sur ce qu’ils sont, ce qu’ils font, comment ils se décrivent ou sont décrits, dans leur fonctionnement, leur situation, leurs institutions, ainsi que sur le sens attribué par les traces historiques retrouvées. Une monographie portant sur un groupe suffisamment restreint pour que l’auteur ait pu rassembler la majeure partie de son information grâce à une expérience personnelle, constitue le type même de l’étude ethnographique. L’emprunt à l’ethnométhodologie, son approche contextualisée, réflexive et descriptible (observable et rapportable) permet d’étudier dans l’ensemble de nos recherches historiques des sources primaires couvrant la période du XIVe au XIXe siècle (macro-temps). L’hypothèse étant centrale dans la recherche historique, nous en avons formulé quatre dans nos travaux :
25H1. Le point de vue de Foucault semble encore méconnu. L’hôpital général n’est pas un établissement médical aussi bien dans son fonctionnement que dans son propos. Nous faisons l’hypothèse que les hôpitaux laïcs (bâtiments anciens aujourd’hui disparus) de Genève, Fribourg, Yverdon, Bulle et Romont (Suisse), n’échappent pas à cette logique.
26H2. Dès que la vie existe, il faut en prendre soin pour qu’elle puisse demeurer (Collière, 1982) [19]. On doit pouvoir retrouver au travers des ustensiles, des comptes, des règlements et statuts du personnel, du mobilier, du matériel ou des denrées utilisés, les traces de cette aide à la vie, notamment dans l’activité domestique et logistique, pratique complexe dès lors qu’elle est humaine et formatée par les institutions, pratique hospitalière au sens premier de ce mot.
27H3. L’hôpital est le reflet de la société civile qui l’héberge. Retrouver de quoi il est parlé dans les textes, donne un aperçu des mœurs du temps et des conditions de vie qui prévalent dans des contextes singuliers.
28H4 : Pas encore médicalisé, l’hôpital joue un rôle primordial de préservation de la vie ou de promotion de la survie au sein des collectivités urbaines ou rurales. Les pratiques d’alors ne doivent pas vraiment se distinguer de celles d’aujourd’hui. Il doit exister des pratiques atemporelles au sein d’espaces institutionnels mouvants. Ces pratiques permettent de soigner c’est-à-dire d’aider à vivre et de prendre soin (Caring), des personnes qui doivent mener leur vie, en dépit des conditions adverses, qui l’affecte.
29On va capter des faits en tant « qu’accomplissement continu d’activités concertées de la vie quotidienne des membres, qui utilisent, en les considérant comme connus et allant de soi, des procédés ordinaires et ingénieux pour cet accomplissement » (Garfinkel, 1967) [22]. Sur les traces d’hôpitaux urbains et ruraux aujourd’hui démolis, on étudie alors de façon plus emblématique, l’évolution d’institutions hospitalières singulières (micro-temps), selon trois axes typologiques : l’espace et le temps (Thème 1), l’hôpital comme miroir de la société (Thème 2), l’acteur, aux frontières de la préservation de la vie et préservation de l’humanité au sein de la cité (Thème 3). En fonction des documents rencontrés, nous vérifions si la typologie développée lors de nos travaux d’histoire réalisés entre 1986 et 1992, reste pertinente. Le modèle conceptuel d’intermédiaire culturel issu de nos travaux antérieurs en ethnohistoire [27], peut aussi nous servir de cadre de classification ou d’analyse de l’activité soignante hospitalière retrouvée.
30Nos résultats de recherche, sur la dynamique hospitalière des villes, sont aussi comparés avec d’autres recherches menées dans des espaces ruraux. À une époque où le seuil d’accessibilité aux soins est de deux heures de marche, soit 8 km ou 10 à 20 km en diligence, il est utile de trianguler les données et nos invariants théoriques des milieux urbains avec l’histoire des hôpitaux laïcs ruraux plus modestes pour vérifier que le terme infirmier, encore utilisé aujourd’hui, relève bien du mythe et de l’abus de langage reconduits par habitus. Cette microscopie régionale [8] s’appuie sur des sources archivistiques originales et primaires, notamment sur des archives découvertes pas hasard (documents bruts non classés) dans les sous-sols de bâtiments publics ou les abris de protection atomique d’un hôtel de ville. C’est là que l’on peut trouver des archives qui n’intéressent pas grand monde. Heureusement pour nous !
Tiroir contenant des parchemins anciens sur l’hôpital laïc de Romont (Suisse). Abris de protection civile de l’Hôtel de Ville de Romont, 25 août 2005
Tiroir contenant des parchemins anciens sur l’hôpital laïc de Romont (Suisse). Abris de protection civile de l’Hôtel de Ville de Romont, 25 août 2005
Grosses de l’hôpital laïc, reliure plein cuir. Abris de protection civile de l’Hôtel de Ville de Romont, 25 août 2005
Grosses de l’hôpital laïc, reliure plein cuir. Abris de protection civile de l’Hôtel de Ville de Romont, 25 août 2005
31Ces archives relatent le quotidien des petites gens engagés pour prendre soin dans les hôpitaux de personnes « sans feu ni lieu », à une époque où l’hôpital n’est ni médicalisé, ni religieux. En regardant les denrées consommées, les inventaires de matériels, les horaires de travail, les missions prescrites au personnel, le nom des espaces de vie, etc., on peut se faire une idée de la discursivité utile au prendre soin. Ces sources, notamment règlements, inventaires, constitutions religieuses, livres de comptes des hospitaliers et Manuaux de la Bourgeoisie, sont d’un grand intérêt pour rendre compte du quotidien et de la dynamique de l’aide à la vie, aussi bien à la ville qu’à la campagne, dans des lieux prévus pour cela et dès lors institutionnalisés. Avec comme question de départ : en quoi les soins infirmiers sont-ils infirmiers ? Notre problématique s’articule sur ce que soigner veut dire. Sur quoi reposent nos traditions de langage ? D’où partent les énoncés, jusqu’à quand ils se répètent, par quels canaux ils sont diffusés, dans quels groupes ils circulent, quel horizon général ils dessinent pour la pensée des hommes, quelles bornes ils lui imposent ? C’est pour répondre à cette question inspirée par les travaux de Michel Foucault sur l’archéologie du savoir (1969) [21] que nous abordons la longue durée de traces significatives des conditions d’exercice de la fonction énonciatrice nécessaire au prendre soin (près de 2 000 pages d’archives et de documents significatifs). Cela facilite la perception des non-changements ou changements qui arrivent au sein d’une société donnée.
32Les historiens issus du Sérail trouveront probablement à redire face à l’absence de repérage de ces archives, classées grossièrement ou à l’abandon à l’époque où nous développions nos recherches [9]. Ces archives reposent parfois dans des locaux non prévus pour leur conservation ou avec une insuffisance de personnes pour s’en occuper, faute de moyens. Avec une bonne connaissance des villes et des espaces possibles pour l’implantation d’un hôpital, notre démarche s’apparente parfois à de la recherche archéologique, car les hôpitaux recherchés sont tous démolis. Non répertoriées pour une grande partie d’entre elles, nous avons commencé à faire des relevés topographiques et décrire les archives trouvées, à les mesurer et à les peser. Certains volumes plein cuir, notamment « les grosses » de l’hôpital, pèsent jusqu’à cinq kilos. Comme pour les sources primaires trouvées dans le passé (Nadot, 1993) [24], on retrouve dans notre troisième recherche historique un corpus inexploré de plusieurs liasses. Non répertorié par des services archivistiques officiels, ce corpus a échappé partiellement au tri que font en général les archivistes en ne conservant parmi les pièces remises que celles qui semblent dignes de mémoire, dignes d’entrer dans le patrimoine archivistique. On donne ainsi pour exemple, les sources des traces que l’on peu trouver dans le district de la Gruyère, situé dans le sud du Canton de Fribourg (Suisse). On dépoussière, défaisons les ficelles qui relient des dizaines de manuscrits. On inventorie les premières pièces, notamment celles du XVIIIe siècle (micro-temps). On photographie quand c’est possible. Y a-t-il des liens à faire avec nos connaissances antérieures (macro-temps). Les archives retrouvées dans les sous-sols du Musée Gruérien à Bulle, chef-lieu de district de la Gruyère par exemple, sont analysées. Il s’agit :
- Des comptes de la commune de Bulle ;
- Des manuaux du Conseil communal ;
- Du Manual de l’Assemblée communale 1705-1719 ;
- Du Manual de la Bourgeoisie 1734-1747 ; 1771-1783 ;
- Des comptes de l’hôpital : 1700-1720 ; 1721-1738 ; 1742-1754 ; 1761-1780 ; 1781-1793 ;
- De l’inventaire des meubles du « Charitable hôpital de Bulle » (XVIIIe siècle) ;
- Des documents de « reconnaissances » de l’hôpital ;
- Des parchemins non classés (en vrac) ;
- De la correspondance et des copies de lettre entre l’hôpital et le Conseil communal de Bulle ;
- Un plan de la ville de Bulle en 1722 qui permet de repérer l’hôpital de la ville.
33Poursuivant nos investigations aux Archives de l’État de Fribourg (AEF), nous avons découvert que la ville de Rue [11] avait fondé un hôpital le 19 septembre 1601 et que l’hôpital de Romont, qui date de la moitié du XIIIe siècle, a un hospitalier à sa tête en 1482 [12]. Deux répertoires consultés ultérieurement aux AEF confirment les sources d’archives, titres et comptes des hôpitaux de Romont et de Gruyères, dès 1542. Une chose est sûre : dans les hôpitaux anciens, en fonction de la démographie [13], les soins de proximité sont possibles. C’est une prestation de service pour ceux qui « manquent de forces, manquent de biens et manquent de santé » et qui, pour cette raison, souvent seuls et parfois sans logis, ne peuvent plus assumer seuls les activités de la vie quotidienne.
34Les sources retrouvées sont bien sûr construites par d’autres, assez souvent par les classes dominantes ou intellectuelles de l’époque. D’une manière générale, l’analyse qualitative est en partie un travail de manipulation des données. Nos annotations qualitatives se rapportent dans les grandes lignes en « rubriques », « thèmes », « énoncés », « codes » ou « catégories ». Les types de manipulation et d’écriture en lien avec nos matériaux sont analogues avec ceux mentionnés par Paillé & Mucchielli[11], à savoir : « marquages », « annotations informelles », « inventaires », « notes analytiques » et surtout « schématisations ».
Livrances et livres de comptes de l’hôpital laïc de Romont. Abris de protection civile de l’Hôtel de Ville de Romont, 25 août 2005
Livrances et livres de comptes de l’hôpital laïc de Romont. Abris de protection civile de l’Hôtel de Ville de Romont, 25 août 2005
35Après avoir mis sur pied un laboratoire d’histoire des hôpitaux au sein de la haute école de santé de Fribourg (Suisse) pour préserver les documents et pouvoir travailler dessus, nous faisons une première catégorisation des traces retrouvées en vue de classer les sources contextuelles et historiques selon les axes thématiques et typologiques qui accompagnent nos hypothèses. Nous aurons ainsi :
- L’espace et le temps (Th1) ; il s’agit de faire les relevés topographiques, retrouver des plans, des cartes qui mentionnent des hôpitaux. Noter les transformations architecturales, les déménagements, la description générale des bâtiments, l’aménagement intérieur (chauffage, éclairage, approvisionnement en eau, évacuation des déchets, etc) ;
- L’hôpital comme miroir de la société (Th2) ; mentionner les objets courants et le matériel rapportés par les archives. Noms des ustensiles, meubles, victuailles, usages, comptabilité (dépenses singulières), coûts des denrées, aspects économiques et logistiques de la Maison, etc. ;
- L’acteur et son/ses statuts au sein de l’hôpital (Th3) ou dans la cité (son rôle : préserver la vie ou et préserver l’humanité). Statuts, appellations, conditions de travail, sanctions positives ou négatives projetées sur les employés, leur salaire en espèce et en nature, l’organisation et la direction (recteurs, officiers ou hospitaliers), inventaires des employés ou habitants de l’hôpital, actions mentionnées dans les textes, etc. Sur l’ensemble de nos résultats de recherche, un élément intéressant au plan de la synthèse se détache. Le langage soignant présente une certaine continuité malgré les changements de société et certaines ruptures imposées. Le métier du prendre soin se transmet de génération en génération.
Perspective de continuité du langage soignant
Perspective de continuité du langage soignant
Transmission intergénérationnelle à cohérence systémique au sein de l’espace-temps36Sur le schéma précédent, les lignes horizontales représentent l’arrivée des langages et de leurs pouvoirs portés par les acteurs du soin dans les espaces de paroles liés à la profession (temps approximatif, car ce n’est pas du jour au lendemain qu’une nouvelle culture prend pied). Les lignes obliques indiquent la suprématie, ou plus exactement la forte influence d’une culture sur la précédente.
37On constate aussi, que les anciens participent souvent à la transmission des savoirs auprès des novices et que la modification architecturale d’un hôpital engendre de nouvelles compétences à acquérir pour le personnel hospitalier.
38Les résultats de nos recherches ont déjà fait l’objet de nombreuses publications scientifiques et nous n’avons ici ni le temps ni la place pour tous les rapporter. Signalons toutefois à partir du schéma de synthèse ci-dessus, une mise en perspective de la continuité transgénérationnelle des langages professionnels soignants et des dominations culturelles qui se sont imposés à eux. Un ouvrage sur l’origine du mot infirmier doit prochainement sortir de presse à Paris cet automne. Il démontre notamment que le mot « infirmier » n’est pas construit sur « infirme » et celui qui s’occupe d’eux, comme on l’entend trop souvent. N’allez pas vérifier dans les dictionnaires, la plupart en ont perdu la trace !
39Sur environ cinq siècles, plusieurs langages se succèdent. Les nouveaux langages qui s’imposent sont en interaction avec les langages anciens existants. Les anciens en place dans une institution assurent souvent l’orientation et l’encadrement temporaire des nouveaux arrivants et novices. À l’intérieur de l’espace-temps spécifique du prendre soin institutionnel, ils composent le patrimoine des soins et de la discipline soignante un peu à l’image des couches successives d’un oignon. Le noyau central de l’époque profane est entouré par les couches additives qui cherchent à dominer par métissage de pouvoirs l’espace-temps du langage et des traditions se soins.
40Pour clore cette petite partie méthodologique, on peut aussi dire que, si l’histoire est recherche, elle est aussi récit. En fait, comme le relèvent Guibert et Jumel (2002, 15) [25], trois genres historiques coexistent : le récit, le tableau et le commentaire.
- Le récit traduit la dimension diachronique de l’histoire, le déroulement des événements, l’exposé des faits, l’enchaînement des situations. Il s’attache à exposer la conjoncture, à rechercher les circonstances, à établir des chronologies, à traduire des chaînes causales. La structure du récit est d’ordre logique. La recherche des causes et l’administration de la preuve incitent l’historien à valoriser la recherche des faits et des indices qui le conduiront à des conclusions plus ou moins fondées ;
- Le tableau, quant à lui, a une fonction toute différente. Il expose la structure et traduit la dimension synchronique de l’histoire, c’est-à-dire qu’il met en évidence les liens entre tous les aspects d’une société : économie, mentalités, culture, politique… Le tableau présente des situations et les explique en montrant les permanences et les ruptures ;
- Le commentaire est le genre qui s’attache à présenter des points de vue contemporains différents, à les expliquer, à en montrer les limites. Le commentaire met en lumière les conceptions singulières de leurs auteurs, il est d’ordre discursif.
Conclusion
41La méthode historique est essentiellement descriptive, compréhensive, interprétative et explicative. Le dispositif de recherche dépend de l’objet de recherche, de la période concernée, et de tout un travail d’interprétation des faits historiques. L’enrichissement de la culture est par là, mise en évidence des valeurs du passé récupéré. C’est, en définitive, comme le rappelle Marrou [10] « le seul argument qui peut justifier, en dernière analyse, l’effort de l’historien aux yeux de ceux si tentés de mettre en question le savoir ».
42La profession dite « infirmière » se doit par devoir de mémoire, de développer ses savoirs sur les acquis de la tradition de langage pour assurer le développement de la discipline, au lieu de se référer à toutes sortes de savoirs qui ne permettent pas toujours d’assurer la reconnaissance de la singularité de la fonction. Certes, tous les savoirs sont utiles. Mais parmi eux, il y en a qui sont plus utiles que d’autres pour statuer sur les connaissances propres à la discipline du prendre soin. Encore faut-il des lieux adéquats pour permettre à la recherche fondamentale d’exister. Les disciples associés aux docteurs en science infirmière font encore défaut, notamment au plan académique et universitaire (où sont les facultés en science infirmière ?).
43Méconnaissant l’histoire de leur discipline par déficit de recherche fondamentale sur le sujet, et avec une filiation disciplinaire erronée (on présente de faux parents aux infirmières, notamment en France), les infirmières ne peuvent pas retrouver l’identité propre de leur rationalité. Comment avec de « faux parents » peut-on construire une identité professionnelle et scientifique univoque ? Comment les activités de recherche d’aujourd’hui peuvent-elles contribuer à la critique de nos connaissances anciennes en vue de développer une discipline si l’on méconnait les traditions de langage du passé et les savoirs anciens qui la fondent ? La profession dite « infirmière » n’est pas née par génération spontanée au XIXe siècle. Et comme le dit Debray, « nos ancêtres n’avaient pas les mêmes panoplies, mais ils avaient les mêmes compétences que nous » (1998, 12) [26]. Avec des pratiques identiques dans le temps et des valeurs différentes dans l’espace, les traditions de langage se sont enchaînées autour du statut des acteurs : musshafera (ou langue locale, patoisante), gouvernante des malades, servante des malades, gardienne de l’hôpital, garde-malade, infirmière. Cependant, une constante demeure. Sous réserve de l’évolution politique, architecturale, technologique et économique, toutes les catégories travaillent dans un espace-temps dont la délimitation est quasiment identique. Cet espace, l’hôpital, est un espace institutionnel qui formate les pratiques. Pourquoi la profession infirmière bénéficie-telle d’une forte reconnaissance symbolique, mais éprouve des difficultés à faire reconnaître ses orientations propres dans le monde de la science, le monde politique ou le monde économique ?
44Il ne s’agit cependant pas de proclamer un retour aux pratiques médiévales. Le contexte des soins à heureusement changé depuis. Bien que marquant le début du langage propre à notre discipline, nous avons dépassé aujourd’hui le triptyque profane domus, familia, hominem. Cependant, même si l’infirmière, notamment à cause d’une surcharge de travail, a délégué un ensemble de pratiques à d’autres corps de métiers nouveaux et à ses auxiliaires, elle demeure néanmoins comme par le passé, au cœur des institutions de santé, celle qui a une vision globale de la dynamique institutionnelle, des espaces de paroles, d’échanges et des flux informationnels en circulation vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
45Avec la recherche historique on peut dépasser le mythe infirmier et assurer la mise en évidence sur un plan disciplinaire de la partie profane des savoirs du prendre soin institutionnel. On honore ainsi dans un paradigme d’antériorité et de continuité, les habiletés, activités, connaissances et identités de « ces pauvres vulgaires dévouements », c’est-à-dire des soignants d’avant l’ère « infirmière » qui nous ont précédés. La profession semble retrouver sa mémoire. Il serait peut-être bénéfique de le faire savoir !
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- 10MARROU H.-I. De la connaissance historique. Paris, Seuil, 1954.
- 11PAILLÉ P. & MUCCHIELLI A. L’analyse qualitative en sciences humaines et sociales. Paris, Armand Colin, 2003.
- 12MONIOT H. Didactique de l’histoire. Paris, Nathan, 1993.
- 13WALTER F. (Sous la direction de) Peu lire, beaucoup faire, beaucoup voir, pour une histoire des soins infirmiers au 19e siècle. Genève, éd. Zoé, 1992.
- 14BUGNON-MORDANT M. (2004). Cet endoctrinement qui passe par PISA. In : « La Liberté », 16 décembre 2004.
- 15ROCHER G. (1968) Introduction à la sociologie. In : Tome 1 : l’action sociale. Paris, HMH Ltée, 1968.
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- 19COLLIÈRE MF. Promouvoir la vie. In : De la pratique des femmes soignantes aux soins infirmiers. Paris, InterEditions, 1982.
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- 21FOUCAULT M. L’archéologie du savoir. Paris, Gallimard, 1969.
- 22GARFINKEL H. Studies in Ethnomethodology, Englewood Cliffs N.J. Prentice-Hall 1967.
- 23EYMARD Ch. Initiation à la recherche en soins de santé. Rueil-Malmaison, Lamarre, 2003.
- 24NADOT M. Des médiologues de santé à Fribourg, histoire et épistémologie en sciences infirmières. Thèse de doctorat inédite, Université Lyon 2. 1993 ; 589.
- 25GUIBERT J. & JUMEL G. La socio-histoire. Paris, Armand Colin, 2002.
- 26DEBRAY R. Histoire des quatre M. Les cahiers de médiologie, pourquoi des médiologues ? Paris, Gallimard, 1998 ; 6 : 7-24.
- 27NADOT M. La fin d’une mythologie et le modèle d’intermédiaire culturel. In : Le savoir infirmier, au cœur de la discipline et de la profession, DALLAIRE C. (sous la direction de). Montréal, Gaëtan Morin, 2008 : 360-382.
Mots-clés éditeurs : histoire, science, mythe, discipline infirmière
Date de mise en ligne : 11/01/2014
https://doi.org/10.3917/rsi.109.0057Notes
-
[1]
On entend par discipline, une articulation historiquement ancrée d’éléments composites, pouvant faire sens de manière durable et se constituer en instance rationnelle de connaissance (Berthelot cité par Vinck, 2000, 74) [3].
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[2]
Nul ne peut le contester effectivement, sur un plan économique, la profession infirmière se trouve dans le secteur tertiaire, celui des services.
-
[3]
En regard de nos conditions de vie contemporaines, les conditions de vie, de travail et d’habitat dans les classes populaires et les servantes apparaissent comme peu glorieuses au XVIIIe siècle. Ce qui n’est pas forcément vrai en regard de l’époque considérée. La vie du peuple et des classes subalternes de la société ne sont pas toujours enviables dans l’Ancien Régime, mais c’est aussi une certaine réalité.
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[4]
Il s’agit des travaux manuels, domestiques, ménagers, logistiques, comptables ou éducatifs attribués généralement aux femmes.
-
[5]
En replaçant les mots dans leur contexte, notamment aux XVIIe et XVIIIe siècles, on voit que le mot pauvre qualifie en fait, une personne qui n’a que son travail pour vivre.
-
[6]
Durant tout le XIXe siècle et une partie du XXe, l’activité de l’infirmière est tributaire chronologiquement de la suprématie symbolique liée à la charité et à l’abnégation prônées par la culture religieuse, de la suprématie symbolique scientifique de la culture médicale et de la suprématie symbolique patriotique de la culture militaire (Nadot, 2003, 62) [20].
-
[7]
Par exemple, Eymard dans son ouvrage sur l’initiation à la recherche en soins dits de santé, fait une synthèse intéressante de la méthode historique [23].
-
[8]
À partir des années 1990, la micro-histoire prend de l’ampleur et permet, comme le relève Eymard (2003), de changer d’échelle. Ce qui montre que la réalité d’un sous-ensemble étudié n’est pas exactement celle du système dans lequel il s’inscrit. Le sous-ensemble évolue dans une réalité qui lui est spécifique.
-
[9]
Borcard Patrice, Les archives de l’État de Fribourg sous le feu des critiques, le passé conjugué à l’imparfait. La Liberté, 7 avril 1992.
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[10]
Gremaud J. (1868). Notice sur la fondation de l’hôpital de Gruyère. Romont : Mamert Soussens, imprimeur-éditeur.
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Rue, fondée entre 1264 et 1271, se trouve à 12 km de Romont, 40 km de Fribourg et 23 km de Lausanne, En 2003, cette cité compte 1040 habitants.
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Une très ancienne institution romontoise : L’hôpital Bourgeois, Romont : Feuille fribourgeoise, 10 septembre 1959.
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Souvent des villes de 800 à 2000 habitants avaient leur hôpital.