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Article de revue

La psychoéducation, un projet d'alliance thérapeutique soignants-familles

Pages 98 à 116

Introduction

1L’éducation thérapeutique est inscrite dans la loi depuis juillet 2009 ; dès lors les nombreuses initiatives vont être reconnues mais il faudra les structurer et les évaluer. Cette évolution trouve son origine dans la mise en lumière d’enjeux épidémiologiques alarmants.

2« Les maladies chroniques constituent la principale source d’incapacités physiques, mentales, sociales dans le monde d’ici 2020 » [1], nous dit l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Cette évolution résulte de l’allongement de l’espérance de vie et des technologies nouvelles de diagnostic et de soins. En France, 15 millions de personnes soit 20% de la population sont atteintes de maladies chroniques dont 2,5 millions pour le diabète, 3 millions pour la bronchite chronique, 3,5 millions pour l’asthme et 2,5 millions pour l’insuffisance rénale chronique. Selon l’OMS, les maladies mentales, se classent au 3ème rang des maladies en terme de prévalence et sont responsables du quart des invalidités. Elles affectent une personne sur cinq chaque année. On retient 5 maladies mentales parmi les 10 pathologies les plus préoccupantes pour le XXIème siècle : schizophrénie, troubles bipolaires, addictions, dépression et troubles obsessionnels compulsifs. [2]

3Cette pratique récente répond également à des enjeux sociologiques incontournables. Le patient acteur, le patient au cœur du système de santé, l’autonomie, la responsabilité et maintenant la co-gestion de la maladie sont les maîtres mots d’un changement culturel profond modifiant la relation soignant-soigné. Cette mutation a suivi l’évolution des droits du patient et s’est accélérée depuis la loi relative aux droits des patients de 2002. Dans le cadre de l’éducation thérapeutique, particulièrement, le respect des droits fondamentaux du patient est visé. Le rôle précurseur des associations d’usagers a été essentiel pour positionner le patient : auteur de sa propre vie, auteur de son histoire et donc partenaire essentiel dans la gestion de sa maladie. De plus, la loi du 11 Février 2005 pour l’égalité des Droits et des chances, la Participation et la Citoyenneté des personnes Handicapées reconnaît, pour la première fois, le handicap psychique. Ainsi, la primauté accrue des droits de l’individu et notamment le droit de décider des choix qui concernent sa propre existence, bouleverse la philosophie du soin. Ces principes ont fait le lit de la nécessaire « posture éducative » des professionnels de santé dans la mise en œuvre d’un programme d’éducation thérapeutique.

4Plus largement, cela nous amène aux enjeux philosophiques, éthiques du soin. L’éducation thérapeutique oblige le professionnel de santé à un renoncement de sa toute puissance liée à sa connaissance face au patient, jusqu’alors jugé incompétent à gérer sa maladie. Mais comment espérer améliorer la qualité de vie des personnes sans leur demander où elles placent le curseur de la qualité de leur vie ? Cet enjeu dépasse largement le champ médical stricto sensu. On est dans une approche anthropologique de l’être humain intégrant les champs psychologique, environnemental, interrogeant fortement le sens même, l’éthique du soin.

5Au-delà de ces révolutions et de ces interrogations, l’enjeu économique, bien présent, reste incertain. « L’objectif principal de l’éducation thérapeutique est d’améliorer la prise en charge de la pathologie avec comme indicateur une diminution de la morbidité ou un ralentissement à la survenue de certaines complications ou incidents. Cette diminution du recours aux soins peut par voie de conséquences, entraîner une diminution des dépenses de santé ou des dépenses indirectes » [3].

6D’après la Haute Autorité de Santé (HAS) [4], l’efficience de l’éducation thérapeutique est démontrée de façon encore insuffisante. Il est possible de distinguer plusieurs domaines pour lesquelles l’éducation thérapeutique semble offrir des résultats tant cliniques qu’économiques notamment pour l’asthme pédiatrique et l’asthme adulte par une réduction des recours aux urgences, pour le diabète de type 1 par une réduction des hospitalisations, diminution de l’incidence et du coût des complications à long terme. Il est à noter que c’est en diabétologie que l’éducation thérapeutique a commencé dans les années 70. En cardiologie, on remarque également une réduction importante des ré hospitalisations.

7Plus particulièrement, en santé mentale, l’éducation thérapeutique recouvre le vocable de la psychoéducation ou thérapies psycho éducatives, née en 1980. Elle s’adresse tout d’abord aux familles de patients atteints de schizophrénie. Les méthodes sont également utilisées dans le traitement des troubles bipolaires. Plus largement, la psychoéducation s’adresse à tous les patients souffrants de troubles psychiatriques et pouvant être intégrés dans un programme de réadaptation sociale. Elle se définit comme « l’éducation ou la formation théorique et pratique axée sur la compréhension du trouble, sur les différentes mesures thérapeutiques et sur la réinsertion du sujet. » [5]

8« Les mesures psycho éducatives ont prouvé leur efficacité. Les dernières études publiées rapportent une diminution de la durée d’hospitalisation, un meilleur équilibre de la vie familiale et une amélioration de la qualité de la vie » [6].

9En revanche, il n’y a pas d’étude portant sur l’impact de la psycho éducation à long terme. D’autre part, la spécificité de la maladie mentale occasionne des obstacles intrinsèques à la pathologie qui seront développés plus loin. Cependant, divers outils sont, aujourd’hui, utilisés tels que :

  • La remédiation cognitive visant à diminuer les déficits cognitifs des patients souffrant de schizophrénie. Elle fait partie d’un arsenal d’autres actions telles que le traitement médicamenteux et la psychothérapie. Plusieurs programmes sont aujourd’hui disponibles. Bien qu’étant appréciés par la simplicité de leur utilisation et ayant fait l’objet de nombreuses études contrôlées attestant de leur efficacité dans le domaine cognitif, ces programmes sont critiqués du fait du surentraînement cérébral sans rapport avec le déficit fonctionnel du patient dans la vie quotidienne et de l’absence d’outil permettant de suivre l’évolution des performances et de leur maintien. [7]
  • L’entraînement aux habilités sociales [8] aide le patient porteur de multiples déficits sociaux à changer son comportement dans ce qui se voit et s’entend afin d’augmenter les possibilités de renforcement social dans son environnement habituel. Les pratiques ont un impact direct sur l’ampleur de leurs symptômes psychiatriques et sur les risques de rechutes. Il permet aux patients et à leurs proches d’apprendre les pratiques nécessaires pour identifier et désamorcer des situations de conflits, ce qui réduit le stress. Parmi ces entraînements, le Programme de Renforcement de l’Autonomie et des Capacités Sociales (PRACS) du Dr Lancon, Marseille, vise la réadaptation sociale, il existe depuis 20 ans.
Psychose, Aider, Comprendre, Traiter (PACT) est également un programme d’entraînement aux habilités sociales. Le programme PACT existe depuis 1997. Il est utilisé dans au moins un service de chaque établissement psychiatrique français. C’est un programme pédagogique audiovisuel d’animations de réunions destiné aux patients schizophréniques et à leurs familles, développé par le laboratoire Janssen - Cilag en 3 éditions :

10PACT 1 : Dire la maladie, vivre avec son traitement, vivre avec sa maladie

11PACT 2 : Comprendre la vulnérabilité, prévenir la rechute

12PACT 3 : Vers la rémission

13Il facilite la prise en charge globale de la maladie, est utilisé en fonction des besoins et du temps des équipes, en groupe ou en individuel, par conséquent il se caractérise par sa souplesse d’utilisation, la liberté d’appropriation des équipes. Il garantit un espace d’échanges avec les patients et leurs familles luttant contre le délitement des liens intrafamiliaux et inter humains.

14C’est à partir de cette dernière méthode, utilisée notamment au CH de Jury, par plusieurs équipes qu’il paraît intéressant d’en rechercher l’impact sur l’évolution de l’autonomisation des patients dans la gestion de leur maladie afin d’aller plus avant dans l’objectivation d’indicateurs de suivi. De plus, quelles sont les incidences sur l’évolution des compétences des professionnels utilisant cette méthode ? Ces effets peuvent-ils devenir le ciment d’une nouvelle philosophie du soin ? L’éducation thérapeutique se trouverait alors à la croisée des chemins entre un retour aux fondamentaux de la profession infirmière et la mise en place des pratiques avancées. Pour cheminer dans cette réflexion, nous aborderons une approche conceptuelle de l’éducation thérapeutique, les atouts et les obstacles à la mise en œuvre de l’éducation thérapeutique aujourd’hui, en santé mentale, nous analyserons les résultats de l’enquête sur l’impact de l’utilisation de PACT au CH de Jury pour enfin en dégager des facteurs de réussite à la mise en place de ce programme à priori objectivable et dynamisant.

Le cadre conceptuel

Le développement de l’éducation pour la santé [9]

15Historiquement, deux conceptions de la santé et de la maladie coexistent. La première est centrée sur l’objectivation de la maladie dans le corps, la deuxième appréhende la santé et la maladie comme un mode de relation de l’homme avec son milieu où interviennent les facteurs humains, les conditions écologiques, économiques et sociales. Au fil du temps, la prévalence oscille entre ces deux modèles. L’éducation à la santé suit ce même mouvement entre le curatif et le préventif. Bien que, conscient de l’influence des conditions de vie, d’hygiène sur la santé et la maladie, le XIXème siècle est avant tout marqué par la percée du mystère de la maladie. Les communications sur la pratique de l’hygiène restent des initiatives personnelles. Le courant hygiéniste est né vers 1880 pour lutter contre la tuberculose, fléau social d’une envergure considérable. De là, des volontés politiques ont permis d’asseoir l’Office National d’Hygiène Social puis en 1904 d’initier des actions en matière d’hygiène alimentaire. Il s’en suivra diverses ligues dont, en 1920, la ligue française d’hygiène mentale. Il faut attendre 1945 pour voir apparaître le premier système préventif français et la fondation du Centre National d’Education Sanitaire, Démographique et Sociale. Les flous de financement entre le public et le privé sont déjà bien présents et paralysent les projets.

16Ce n’est qu’au milieu des années 70 que l’éducation pour la santé évolue vers des communications grand public sur le tabac, initiées par Madame S. Veil, ministre de la santé ; les comités régionaux et départementaux se mettent en place. Dans les années 80, l’Observatoire Régional de la santé (ORS) a vu le jour ainsi que le concept de promotion de la santé, au croisement du sanitaire et du social. Le Sida a bouleversé beaucoup de certitudes, de conceptions, de stratégies en éducation pour la santé. L’évolution de la précarité a diversifié les acteurs en éducation pour la santé en mobilisant les acteurs sociaux. En 1986, la Charte d’Ottawa est produite lors de la première conférence internationale pour la promotion de la santé. Cet extrait de la charte annonce le concept de l’éducation à la santé :

17« La santé est engendrée et vécue dans les divers contextes de la vie quotidienne, là où l’individu s’instruit, travaille, se délasse ou se laisse aller à manifester ses sentiments. Elle résulte du soin que l’on prend de soi même et d’autrui et de la capacité à prendre des décisions et à maîtriser ses conditions de vie ; elle réclame, en outre, une société dans laquelle les conditions voulues sont réunies pour permettre à tous d’arriver à vivre en bonne santé. » [10]

18Parallèlement, les droits de l’individu, les droits du patient ont évolué dans un contexte d’essor technologique, sociétal et donc dans la multiplicité des choix qui s’offrent à lui. Des questions éthiques sont nées avec la contraception, l’avortement, la procréation médicalement assistée, l’acharnement thérapeutique, le don d’organe et tout autre progrès scientifique. Aujourd’hui, le problème du choix est au cœur de toutes les stratégies du prendre soin. Cela implique inévitablement le droit de choisir et la capacité d’agir du patient.

19Brigitte Sandrin-Berthon écrit en 1995 :

20« L’éducation pour la santé a pour but de faciliter la rencontre entre les compétences des professionnels de santé et les compétences de la population : de cette rencontre naissent de nouvelles compétences qui contribuent à rendre plus autonomes les partenaires de l’action éducative » (définition reprise par l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé - INPES). En 2000, elle écrit « l’éducation pour la santé du patient a pour but que la personne qui consulte un professionnel des soins, quelque soit son état de santé, soit en mesure de contribuer elle-même à maintenir ou améliorer sa qualité de vie. » [11]

L’éducation thérapeutique

21Définie par l’OMS en 1998, elle a fait l’objet de discussions en France qui ont abouti à une recommandation, dans le rapport C. Saout, jugée d’un caractère plus opérationnel centré sur le besoin d’autonomie du patient atteint d’une maladie chronique comme suit :

22« L’éducation thérapeutique s’entend comme un processus de renforcement des capacités du malade et/ou de son entourage à prendre en charge l’affection qui le touche, sur la base d’actions intégrées au projet de soins. Elle vise à rendre le malade plus autonome par l’appropriation de savoirs et de compétences afin qu’il devienne acteur de son changement de comportement, à l’occasion d’évènements majeurs de la prise en charge (initialisation du traitement, modification du traitement, évènements intercurrents,…) mais aussi plus généralement tout au long du projet de soins, avec l’objectif de disposer d’une qualité de vie acceptable. » Ce n’est pas lui délivrer une information, ce n’est pas la responsabilisation excessive du patient et ce n’est pas non plus le rendre plus obéissant.

La psychoéducation, socle d’une philosophie de soin

23La psychoéducation comme tout autre dispositif d’éducation pour la santé et de surcroît d’éducation thérapeutique n’est pas une simple transmission d’informations. Elle doit être accompagnée d’un travail pédagogique, psychologique et comportemental. Elle vise à informer le patient et les proches sur le trouble psychiatrique et à promouvoir les capacités pour y faire face. Elle est née au Québec au milieu des années 50 au profit d’enfants présentant des troubles affectifs graves, puis s’est développée aux Etats-Unis et en Europe, notamment en Suisse dans les années 80.

24Pour mettre en œuvre la psychoéducation, cela oblige une redéfinition du concept de santé, de la conception de la personne, de la conception des soins, qui sous-tendent les grands principes de la réhabilitation psychosociale décrits par le Dr Ram Cnaan [12]. En santé mentale et plus particulièrement dans le cas de la schizophrénie, la santé peut être définie comme la capacité de poursuivre sa croissance dans les différentes étapes du cycle vital malgré la maladie. Cela implique que le patient parvienne à gagner du contrôle sur sa maladie et son traitement. Pour les habiletés sociales, il peut mieux faire face au stress.

25La personne soignée doit être conçue comme un être capable de croissance et d’apprentissages, même si ceux-ci sont ralentis par la maladie. Ce principe permet aux soignants d’adapter leurs attentes aux possibilités du patient et de réduire le stress lié à des exigences trop élevées. Deux postulats sont énoncés par le Dr R. Cnaan.

26« - Il existe en chaque individu une motivation à développer maîtrise et compétences dans le domaine de la vie qui vont lui permettre de se sentir indépendant et confiant en lui-même. De nouveaux comportements peuvent être appris et les individus sont capables d’y avoir recours et de les adapter pour répondre à leurs besoins de base. »

27Les soins sont basés sur une collaboration entre le patient et le soignant mais axés sur les objectifs personnels du patient. Ils visent à favoriser sa capacité à prendre des décisions et faire ses choix en évaluant leurs conséquences. Soigner implique non seulement une maîtrise de la compétence relationnelle comme l’empathie mais aussi l’utilisation de techniques d’apprentissage visant à contourner les altérations cognitives et comportementales du patient, à bâtir une étroite collaboration avec l’entourage. Les principes de la réhabilitation psychosociale définis par le Dr R. Cnaan en 1988 sont au nombre de 13 :

  • l’utilisation maximale des capacités humaines : travailler avec les parties saines de son Moi
  • doter les personnes d’habiletés élémentaires pour agir dans un environnement social
  • l’autodétermination pour faire des choix éclairés
  • la normalisation : vivre comme tout le monde
  • l’individualisation des besoins et des services : le surmesure
  • l’engagement des intervenants : limiter les abandons
  • la déprofessionnalisation de la relation d’aide : tout repose sur l’humain de l’intervenant
  • intervenir précocement : éviter les rechutes
  • structurer l’environnement immédiat : travail avec les proches
  • changer l’environnement plus large : informer le public, dé stigmatiser
  • pas de limite à la participation : processus continu, en constant réajustement
  • la valeur du travail : le travail est un besoin et une force d’intégration pour tout être humain
  • priorité au social par rapport au médical : favoriser une approche globale de la personne centrée sur son autodétermination, ses capacités, son apprentissage, son propre environnement social
Ces conceptions de la personne, de la santé et des soins sont le socle de toute éducation thérapeutique notamment en santé mentale. Voyons maintenant quels sont les atouts et les obstacles à sa mise en œuvre en France aujourd’hui.

Les atouts et les obstacles a la mise en Œuvre de l’éducation thérapeutique en santé mentale

Les atouts

28L’éducation thérapeutique bénéficie d’une légitimité réglementaire et de recommandations de plus en plus nombreuses :

  • La loi n° 2002-203 du 4 mars 2002 affirme que « toute personne prend, […], les décisions concernant sa santé. Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix » ;
  • La loi du 9 Août 2004 relative à la politique de santé publique vise à promouvoir la prévention des maladies, l’amélioration de la qualité de vie des personnes malades, l’information et l’éducation à la santé de la population ;
  • La loi n° 2007-248 du 26 février 2007 portant diverses mesures d’adaptation au droit communautaire, oblige un cadrage juridique des programmes d’accompagnement proposés par l’industrie pharmaceutique ;
  • La loi HPST n° 2009 -279 du 29 juillet 2009 portant réforme de l’Hôpital et relative aux Patients, à la Santé et aux Territoires, dans le titre III, inscrit l’éducation thérapeutique du patient dans le Code de la Santé Publique, elle fait de l’éducation thérapeutique une priorité nationale et l’identifie comme partie intégrante du parcours de soins ;
  • Les Agences Régionales de Santé (ARS) financent les programmes suivant un maillage territorial, évaluent la conformité des actions à un cahier des charges national et labellisent les équipes et les structures. L’évaluation des programmes, au niveau national, est confiée à la Haute Autorité de Santé (HAS) ;
  • L’éducation thérapeutique est citée dans le SROS (Schéma régional d’organisation sanitaire) dit de troisième génération, elle est donc désormais admise et connue ;
  • La profession d’infirmière définie, par le décret 2004 - 802 du 29 juillet 2004 légalise sa participation à des actions de prévention, de dépistage, de formation et d’éducation à la santé ;
  • L’arrêté du 31 juillet 2009 relatif au diplôme d’Etat d’infirmier décline un référentiel de compétences dont la compétence 5 est d’initier et de mettre en œuvre des soins éducatifs et préventifs ;
  • La HAS, de 2001 à 2007, a diffusé diverses recommandations pour l’éducation thérapeutique du patient, tant pour l’éducation relative à des pathologies telles que l’asthme que plus globalement, pour l’élaboration d’un programme spécifique dans le champ des maladies chroniques. « Les objectifs proposés pour évaluer un programme d’éducation thérapeutique visent surtout le processus d’éducation thérapeutique. Ils ne concernent ni l’impact, ni les effets du programme. » [13] Cependant, des recommandations précieuses sont identifiées pour évaluer l’impact du programme sur le patient et les professionnels. Elle a écrit des recommandations concernant les finalités, les organisations en 2007 et a rédigé des supports méthodologiques pour proposer, réaliser l’éducation thérapeutique. Elle a défini la liste des compétences nécessaires mais non exhaustives à la mise en œuvre des actions éducatives au sein d’un programme. Le manuel de certification V 2010, au critère 23a, a défini les 4 indicateurs de mise en œuvre, reconnaissant et labellisant l’éducation thérapeutique comme une pratique notamment hospitalière ;
  • Enfin des rapports nationaux confirment la réelle volonté de développer des actions d’éducation thérapeutique notamment en santé mentale :
• Missions et organisation de la santé mentale et de la psychiatrie en janvier 2009, rapport E. Couty, dont la recommandation n° 7 « développer des structures de soins de réhabilitation psychosociale et d’éducation thérapeutique du patient psychiatrique »

29• Le rapport de Messieurs C. Saout, B. Charbonnel et D. Bertrand de septembre 2008, intitulé « pour une politique nationale de l’éducation thérapeutique » visant à définir les modèles de l’éducation thérapeutique les plus pertinents en France, préciser les modalités de mise en œuvre et proposer une typologie des actions d’accompagnement à la qualité de vie et d’aide à l’observance. Très récemment, en juin 2010, ils ont complété ce rapport sur les actions d’accompagnement en précisant le périmètre de celles-ci [14], les intervenants impliqués, en proposant un cahier des charges national et des modes de financement. Ce rapport énonce clairement les actions d’accompagnement au profit de l’entourage des patients ;

30• Le rapport de Monsieur D. Jacquat [15], en juillet 2010, intitulé « Education thérapeutique du patient. Propositions pour une mise en œuvre rapide et pérenne ». Il apporte des propositions concrètes en terme de financements, de formations, préconise la mise en œuvre de ces programmes en ambulatoire et valorise un travail pluridisciplinaire, une coordination ville-hôpital ;

31• Depuis ces derniers rapports, les programmes d’éducation thérapeutique du patient sont soumis à une réglementation visant une harmonisation de leur structuration, les derniers textes sont les suivants :

  • Le décret n° 2010-904 du 2 Août 2010 explicite les conditions d’autorisation des programmes d’éducation thérapeutique du patient ;
  • Le décret n° 2010-906 du 2 Août 2010 précise les compétences requises pour dispenser l’éducation thérapeutique du patient ;
  • L’arrêté du 2 Août 2010 définit le cahier des charges des programmes et la composition du dossier de demande de leur autorisation.
De 2002 à 2006, une multitude d’études, de programmes spécifiques et de recommandations par pathologie ont été réalisés par la HAS, l’INPES et l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale).

Les obstacles

32Malgré tout cet arsenal d’études, de recommandations et de textes, les mises en œuvre sont hétérogènes et timides en psychiatrie.

33La politique nationale est davantage centrée sur l’éducation des patients souffrants de pathologies somatiques. Le rapport C. Saout, dans la recommandation n° 2, propose que les pathologies prioritaires soient le diabète, les pathologies cardiovasculaires, l’asthme et le VIH. Ces choix proviennent de l’état actuel des expériences en France et de la validation de l’éducation thérapeutique au niveau scientifique. On peut aussi remarquer que ces choix sont corroborés par l’affluence des textes de référence établis tels que, par exemple, le programme diabète 2002-2005, le plan asthme 2002-2005, le programme national 2005-2010 pour les bronchopneumopathies obstructives, le programme d’éducation thérapeutique national relatif à la prise en charge de l’obésité infantile et adulte en 2006. A ces programmes s’ajoutent des recommandations nationales pour l’asthme, l’hypertension artérielle, le diabète et l’hépatite C de la HAS entre 2000 et 2005. Le monde de la psychiatrie manque cruellement d’appui politique et d’encouragement pour l’utilisation de méthodes en matière d’éducation thérapeutique.

34Au-delà des priorités nationales, le financement des programmes d’éducation thérapeutique ne suit pas une logique de tarification à l’activité (T2A). Des fonds vont être attribués aux ARS, chargées de financer les programmes qu’elles auront jugés de qualité. Cela pourrait créer des incertitudes relatives au financement peu propices aux initiatives. En outre, les recommandations faites dans les derniers rapports nationaux prennent en compte cet élément.

Les formations sont hétérogènes

35Selon l’INPES [16], 55% des structures de formation initiale proposent un enseignement spécifique en la matière, les autres se contentent d’évoquer certains aspects dans le cadre de cours portant sur une pathologie spécifique. Les enseignants en éducation thérapeutique sont eux-mêmes peu formés sur ce point. L’enseignement porte essentiellement sur l’approche relationnelle, la technique et la pédagogie sont peu abordées. Aucun dispositif de Validation des Acquis Académiques (VAA) n’est en place pour l’éducation thérapeutique. En revanche, les plans de formation continue proposent des Diplômes Universitaires en éducation thérapeutique. Aujourd’hui, malgré les obligations légales, la formation initiale en éducation thérapeutique des professionnels de santé varie beaucoup d’un établissement à un autre, allant de 60 heures à 20 heures [17]. Elle est également très hétérogène selon les futurs professionnels impliqués : 24 h pour les sages-femmes, 155 h pour les diététiciens. Les éléments à décharge invoqués sont la surcharge des programmes et le manque de moyens financiers. Cependant, le diplôme d’État infirmier, par l’arrêté du 31 juillet 2009, officialise au moins 150 heures de formation théorique et pratique sur les soins éducatifs et préventifs.

Les obstacles de la psychiatrie

36Particulièrement en psychiatrie, un frein lié à la démographie médicale est à noter. D’ici 2025, le nombre de psychiatres diminuera de 36 %. Or les programmes d’éducation thérapeutique bien que pluridisciplinaires ne peuvent être conduits sans médecin.

37La sectorisation pousse à l’isolement, chaque secteur est attaché à démontrer son indépendance au détriment d’une coordination de projets transversaux. Les politiques de secteur définissent leurs priorités. Alors que l’éducation thérapeutique devrait être une priorité institutionnelle pluridisciplinaire ; mais qui va la porter ?

38Les psychiatres français ont longtemps montré leurs réticences aux approches neurocognitives et cognitivocomportementales, arguant de la fin de la relation duelle et de l’écoute du thérapeute, voyant ces théories comme la fin du « Maître à penser » [18].

39Le patient schizophrène souffre de troubles cognitifs hétérogènes, d’intensité variable, tendant à s’aggraver avec le temps. Les traitements anti-psychotiques sont peu efficaces sur les troubles cognitifs. Les personnes ne se perçoivent pas comme malade. Il s’agit d’un défaut de perception et non d’un défaut d’éducation aux troubles. Tout essai, de les convaincre qu’ils se trompent, est voué à l’échec, voire même risque de mettre en danger l’alliance thérapeutique. La schizophrénie a aussi la particularité d’une difficulté à poser le diagnostic précocement. Les études montrent que le début du processus pathologique apparaît en moyenne 1 à 2 ans avant le 1er épisode psychotique constaté.

40Les pathologies mentales sont très concernées par la mauvaise observance du traitement : on chiffre le cas de 53% des patients souffrant de dépression unipolaire, 41% des patients souffrant de troubles bipolaires et entre 25% et 80% des patients souffrant de schizophrénie [19]. Cette forte occurrence explique la fréquence des rechutes, l’évolution vers des symptômes plus marqués et l’augmentation des ré hospitalisations. Les co-morbidités associées sont fréquentes également : alcool, cannabis, tabac ; ce qui complique la prise en charge. Ainsi, une des finalités de la psychoéducation est de réduire la mauvaise observance du traitement.

41Les soins du patient schizophrène accompagnent le mouvement de la mutation de la psychiatrie en intégrant des techniques de soins scientifiquement évalués plus systématiques, espérant que le temps de l’enfermement et de la stigmatisation disparaissent. [20].

42C’est dans ce décor de réelle nécessité, que je souhaite approfondir la recherche des effets bénéfiques pour les patients et les professionnels à utiliser un programme particulier d’éducation thérapeutique tel que PACT. Il me paraît opportun, aujourd’hui, de donner la parole aux familles des patients et aux professionnels du CH de Jury qui ont œuvré à la mise en place d’un tel programme pour tenter d’objectiver cette démarche à la fois sur l’évolution de l’autonomisation du patient dans la gestion de sa maladie et sur l’évolution des compétences des professionnels impliqués.

La méthodologie de l’étude et ses résultats

L’étude

43La méthodologie de travail comprend, dans un premier temps, la recherche documentaire autour de plusieurs axes : le cadrage réglementaire de l’éducation thérapeutique, la structuration des programmes, les expériences existantes, la spécificité en psychiatrie, l’état des lieux des formations initiales en éducation thérapeutique en France, la réflexion éthique inhérente à la conception du soin éducationnel, les compétences nécessaires à la mise en œuvre de programme. Dans un second temps, des échanges informels avec les équipes du CH de Jury sur la place incontournable des familles dans ces dispositifs, ont permis de construire ma réflexion, de guider la recherche tant sur les aspects conceptuels du soin que sur les compétences requises. Petit à petit, la place privilégiée des infirmiers dans la mise en œuvre de tels programmes s’est clarifiée. Ainsi, les deux dimensions de la recherche portent sur le vécu des familles et sur les compétences infirmières à mobiliser.

44Concernant les familles, un guide d’entretien a été élaboré portant sur la compréhension de la maladie, les facteurs de stress pouvant déstabiliser le patient, le repérage des signes de rechute. La recherche de l’impact du programme sur l’autonomie du patient, sur l’évolution de l’équilibre familial et environnemental de la personne ont permis d’entrevoir des pré-requis à toute inclusion dans un programme, d’esquisser des objectifs opérationnels et des indicateurs de suivi de la démarche. Des points de vigilance ont pu être relevés tels que le bénéfice des échanges entre les familles, l’importance d’une relation de confiance entre soignant, soigné et famille. Les familles ont également exprimé leur perception des limites de ce programme. Les CMP ont chacun intégré une trentaine de familles depuis 10 ans dans ce dispositif. Les services utilisent la totalité des 3 modules ou une partie du programme, le plus fréquemment utilisé est le PACT 1. Dans les CMP du CH de Jury, les cassettes ont été présentées et commentées lors des « rencontres familles » accompagnées de leurs proches atteints de la maladie. Sur les 10 familles choisies par les équipes, 8 ont accepté de me rencontrer ou de participer à un entretien téléphonique.

45Concernant le questionnaire aux professionnels, la posture éducative et les techniques d’apprentissage ont été déclinées en critères évaluables issus des recherches documentaires. Un axe de recherche porte aussi sur les pré-requis tant en terme de formation que de compétences requises ou encore de réflexion éthique. L’impact et les limites sont recherchés tant pour les professionnels que pour les familles, les patients et l’institution hospitalière. Enfin, un lien est recherché entre la mobilisation des compétences, l’émergence de pratiques avancées et les valeurs fondamentales de la profession infirmière. Trois centres médico-psychologiques (CMP) ont participé à l’étude. Il s’agit des CMP du 3ème secteur sous la responsabilité du Dr C. Teissédre et des CMP des 5ème et 6ème secteurs sous la responsabilité du Dr M. Blanc. Sur les 33 questionnaires adressés, j’en ai recueilli 14.

Les résultats

L’enquête auprès des professionnels :

46Les équipes questionnées sont composées de psychiatres, psychologues et d’infirmiers. Le taux de retour est de 42,4%, seul 1 psychologue a répondu soit 14%, les 13 autres réponses proviennent des infirmiers soit 86%. Une secrétaire a rempli le questionnaire mais, je n’ai pas intégré ces données du fait des réponses exclusivement centrées sur le travail infirmier, en outre ces réponses étaient concordantes avec celles des infirmiers.

Compétences mobilisées et formation

4764% des répondants utilisent eux - mêmes le programme PACT.

48Seulement 29% sont formés à l’éducation thérapeutique, 36% sont formés à la dynamique de groupe, le programme PACT ne fait pas l’objet de formation spécifique.

4998% des professionnels estiment avoir les compétences nécessaires à la mise en œuvre d’une posture éducative composée comme suit :

  • Etre capable de susciter l’intérêt, la motivation du patient
  • Etre capable de susciter l’intérêt, la motivation de la famille
  • Savoir négocier des objectifs
  • Savoir expliquer, transmettre des savoirs
  • Créer un climat de confiance
  • Communiquer sur l’évolution pour maintenir la motivation
85% considèrent qu’ils ont la capacité à développer une technique d’apprentissage se définissant selon les critères suivants :
  • Planifier et organiser des séances
  • Formaliser des objectifs quantifiables
  • Savoir évaluer l’atteinte des objectifs
  • Rendre compte de l’évolution en équipe pluridisciplinaire
Les besoins en formations continues exprimés et préalables à la mise en œuvre de ce dispositif sont :
  • pour 100% d’entre eux l’animation et la conduite de réunion
  • pour 100% d’entre eux le travail avec les familles
  • pour 91% d’entre eux la relation d’aide
  • pour 90% d’entre eux l’entretien infirmier de 1ère ligne
Par ailleurs, 100% estiment qu’au préalable, une réflexion sur les droits du patient, l’éthique du soin et la place des familles dans les prises en charge sont incontournables pour la mise en œuvre de l’éducation thérapeutique.

50La majorité explique que les compétences mobilisées pour l’éducation thérapeutique sont déjà nécessaires à un travail infirmier en CMP au quotidien. L’expérience et le partage avec l’équipe construisent ces capacités. Bien évidemment, une bonne connaissance de la pathologie est un pré requis pour pouvoir transmettre des savoirs.

L’impact de l’utilisation du programme vu par les professionnels

51- Sur les patients et les familles : ces rencontres favorisent une dynamique soignant-soigné, par l’adhésion aux soins, une meilleure compréhension de la maladie et développent une grande tolérance des « aidants » face à la crise. Les patients et les familles apprennent à vivre avec cette maladie. Un climat de confiance s’instaure entre les familles et les professionnels par plus de proximité dans la relation, les familles partagent leurs expériences de vie et se sentent moins isolées.

52- Sur les professionnels : cette démarche participe au développement de l’observation clinique, c’est un outil d’aide aux entretiens pour expliquer le traitement et la maladie, cela permet la prise en compte de l’environnement du patient et son contexte familial, cela facilite l’évaluation du niveau de compréhension. Il est important d’aménager une place au dialogue avec les familles, cela permet de créer une alliance thérapeutique, laissant une plus grande ouverture à leurs préoccupations.

53- Sur l’équipe soignante : l’utilisation de cette méthode concourt à la dynamique de l’équipe en renforçant l’implication de chacun dans la construction de projets de vie.

54- Au niveau institutionnel : cette pratique permet de redéfinir le soin dans la famille et permet une diminution des rechutes et donc des ré hospitalisations. Pour que l’éducation à la santé soit plus harmonieuse, un projet d’équipe est absolument nécessaire.

Les limites

55Par rapport à la pathologie : d’une part, ce programme ne s’adresse qu’aux schizophrènes, cela semble trop limité ; et d’autre part, tant que le diagnostic n’est pas clairement énoncé et accepté, les autres étapes sont vaines. Ce programme n’est qu’un outil, un maillon dans un continuum de prise en charge.

56Au niveau organisationnel et logistique, la démarche n’est pas assez construite, le manque de temps et de personnel sont évoqués de façon récurrente. C’est une activité chronophage et les séances sont insuffisantes en nombre. Il n’y a pas de locaux ni de matériel audiovisuel dédiés. La formation spécifique est inexistante.

57Cette démarche participe à l’évolution du métier d’infirmier dans le sens où elle amène forcément une réflexion éthique, une prise de responsabilité et d’engagement dans les prises en charge. Elle participe au développement du partenariat avec les familles. Elle est basée sur la confiance des médecins face aux infirmiers si toutefois ces derniers sont jugés autonomes.

58La philosophie du soin est centrée sur le partage d’expériences, la globalité du soin à la personne, la prise en compte des facteurs environnementaux et familiaux, sur la complémentarité de la famille et des professionnels. C’est un soin basé sur le lien et la reconnaissance des personnes ressources tant professionnelles que dans la sphère privée du patient.

Résultats des entretiens avec les familles

59Les résultats portent sur 13,3% des familles intégrées dans ce programme, 6 familles ont été intégrées, il y a moins de 5 ans ; 2 ont suivi ce programme, il y a 10 ans. Les séances sont toutes terminées, en revanche le suivi régulier en CMP est toujours maintenu.

Un programme permettant l’échange, la rupture de l’isolement et la confiance

606/8 familles considèrent que ce programme leur a permis d’exprimer leurs peurs, leurs attentes, leurs besoins dans la compréhension de la maladie. Une famille estime avoir été submergée par l’émotion ce qui a empêché l’échange. La dernière famille n’a pas pu s’exprimer du fait d’un questionnement encore présent sur le diagnostic, d’une incertitude sur la véracité du diagnostic annoncé. Malgré tout, l’expression est souvent décrite comme difficile par peur du regard des autres. Le fait de s’exposer au regard des autres familles, la honte et la culpabilité sont des sentiments souvent décrits. En outre, l’échange a été facilité ultérieurement lors des rencontres singulières avec l’infirmier et le psychiatre. Pour les familles qui ont réussi à s’exprimer, le programme leur a permis de mettre des mots sur leur souffrance, de faire appel en cas de besoin, a facilité un partage d’expériences et contribué à la dé stigmatisation de la maladie. Beaucoup regrettent le manque de suivi des séances, le nombre trop restreint de séances. Une personne a envie d’aider les autres à son tour, a besoin de témoigner de son parcours pour donner de l’espoir aux autres. Quelques une parlent de déculpabilisation aussi. Non seulement ces familles ont confiance en elles, mais disent être en confiance avec l’équipe qui les prend en charge. « Je sais que je ne suis pas seul, si j’ai un problème, je téléphone et ils m’aident. »

Un programme permettant la compréhension de la maladie

61-7/8 familles ont compris la maladie dont souffre leur proche, elles en connaissent les symptômes et le traitement suite au programme. La famille qui ne reconnaît pas que le programme a permis cette avancée reste dans le doute du diagnostic. Elle a été informée antérieurement par d’autres canaux : l’entourage et les recherches personnelles. Le gain le plus important est dans l’identification des facteurs de stress et dans l’adaptation de leurs attitudes et comportements visant à éviter toutes les situations qui pourraient déstabiliser leur proche. Tous arrivent à identifier les signes de rechute, les plus souvent cités sont : l’augmentation de consommation de cigarettes, la nervosité, le repli sur soi, l’ennui ou le désintérêt, les rendez-vous manqués au CMP, la mauvaise observance du traitement.

62- 6 familles décrivent des relations familiales plus détendues, des relations « acceptables, vivables », « une vie presque normale », moins de conflits, plus de dialogue et de communication.

63- 1 patient a pu reprendre une vie amoureuse

64- 1 autre famille décrit que le couple parental a pu partir seul en vacances en laissant leur fils au domicile soutenu par une voisine, cette liberté a permis un nouvel équilibre dans le couple.

65- 1 famille explique que leur fils participe entièrement aux choix et décisions prises en famille.

66Toutefois, même si, dans la plupart des cas, une avancée dans la qualité des relations familiales est reconnue, la vigilance reste de mise au quotidien pour éviter les déséquilibres potentiels.

L’impact du programme sur l’évolution de la maladie

67- Concernant l’autonomie dans les actes de la vie quotidienne, les situations sont très hétérogènes, très individualisées. Les degrés d’atteinte de la maladie sont très variables et directement en lien avec le niveau d’autonomie dans les actes de la vie. Cette échelle va de paire avec les différents niveaux de stimulation nécessaire. Il est difficile de faire des liens entre la compréhension de la maladie et les évolutions dans ce domaine. On peut penser que la stabilité de l’humeur est directement liée à l’observance médicamenteuse et au contexte familial aidant et par conséquent que les actes de la vie quotidienne sont facilités (hygiène corporelle, activités à la maison, conduite d’un véhicule…). Le lien avec le programme seul ne semble pas avéré.

68- Le retour à une activité professionnelle : 2 personnes ont pu reprendre une activité, pour l’un bénévole, pour l’autre, rémunérée.

69- A propos de l’observance du traitement : 7 familles valident le fait que l’observance est bien améliorée lorsque la maladie et les effets du traitement sont bien compris. La 8ème famille dit avoir bien compris mais son fils reste dans le déni et ne peut donc prendre son traitement seul. La plupart des patients prennent leurs traitements seuls et sont compliants. La famille est là pour veiller et réaffirmer cette nécessité lorsque des doutes resurgissent. La fragilité du dispositif est réelle, une nouvelle compagne, par exemple, ou des soucis familiaux nécessitent de redoubler de vigilance. Tout nouvel arrivant dans la sphère privée du patient doit être informé, rien n’est jamais acquis.

70- Concernant les rechutes, les ré hospitalisations et l’avenir : 2 patients sur 8 ont été ré hospitalisés depuis la mise en place du programme qui remonte au moins à 3 ans. Pour les 6 autres, les rechutes sont rares et gérées en ambulatoire. Il n’y a pas eu d’hospitalisation du tout pour certains et pas de ré hospitalisation pour les autres.

71Les familles sont toutes très soucieuses de l’avenir, « l’après eux », quand l’aidant ne sera plus là. Les doutes sont réels quant à la réelle autonomie de leur proche invalidé par la maladie, l’incapacité à se projeter dans la vie professionnelle, dans la réalisation d’une vie affective propre, la création de son propre foyer. En revanche, les certitudes résident dans la prise de traitement à vie et dans la fragilité des avancées.

Discussion

Les limites de l’étude

72Parmi les 60 familles ayant bénéficiées de ce programme, seulement 10 familles ont été sollicitées, 8 ont pu être jointes. Ce faible nombre ne permet pas de généraliser les interprétations. Cependant les familles qui ont participé, ont été très ouvertes et intéressées par cette étude. Cette phase expérimentale mériterait d’être déployée pour confirmer ou infirmer les indicateurs de suivi surtout au niveau de l’évolution des patients.

73Concernant les professionnels, la remarque est la même, 14 personnes dont 13 infirmiers, cela n’est pas suffisamment représentatif pour pouvoir généraliser sans risque. En outre, le simple fait que seuls, les infirmiers ont répondu à ce questionnaire démontre qu’ils sont en première ligne dans cette activité. Il est regrettable que les médecins n’aient pas répondus car ils sont non seulement les prescripteurs d’un programme d’éducation et ils interviennent notamment en amont dans l’annonce du diagnostic, élément primordial du processus d’intégration de la maladie. En tout état de cause, les résultats de l’enquête auprès des professionnels sont en bonne concordance avec les publications sur le sujet.

74Bien évidemment, cette étude est bien trop restreinte pour permettre de valider les indicateurs de suivi. Il faudrait étendre cette étude aux autres services ambulatoires du CH de Jury ainsi qu’à plusieurs établissements hospitaliers spécialisés en psychiatrie afin de s’assurer de la reproductibilité des indicateurs et de la fiabilité des impacts escomptés.

Les atouts de l’étude

75Avoir donné la parole aux familles est une expérience riche d’enseignement, base même d’un travail de partenariat dans la construction d’un programme d’éducation thérapeutique. Cela va dans le sens du dernier rapport de juin 2010 sur les actions d’accompagnement. En effet, les programmes dits « d’éducation thérapeutique du patient » sont, à mon sens, mal nommés, trop restrictifs car les grands oubliés de l’affaire sont bien les proches, l’entourage familial. Particulièrement en psychiatrie, les proches sont les personnes ressources incontournables, ceux qui partagent la vie du patient et donc subissent, comme ce dernier, la lourdeur du handicap, ceux qui maintiennent de toute leur force un équilibre familial, sans lequel rien ne serait possible. « Les familles, nos partenaires » c’est souvent un slogan à la mode, mais au-delà du discours, il s’agit de prendre en compte leur vécu, d’apprendre d’eux ce qui se passe pour le patient en dehors des consultations. C’est avec beaucoup d’humilité et de respect que je les ai écoutées. Elles étaient très intriguées par ma démarche, souvent un peu méfiantes au départ, mais dès que le dialogue s’installait, elles devenaient très loquaces, précises et pertinentes.

Les enseignements de l’étude

La nécessité de construire un projet d’éducation thérapeutique en psychiatrie et de structurer la démarche

76Les équipes soignantes déplorent le manque de temps pour animer les ateliers, les familles regrettent qu’il n’y ait pas plus de séances. En effet, l’éducation thérapeutique, bien que faisant partie des préoccupations des équipes, est la première activité supprimée quand la charge de travail augmente. Comme dans bien d’autres équipes en psychiatrie ou en hôpital général, ces activités sont portées par une poignée de professionnels motivés, convaincus de l’utilité de l’éducation thérapeutique. Ils restent sans ressource complémentaire, sans possibilité de définir des plages horaires fixes et une rythmicité dans l’organisation pour garantir la pérennité de l’action. Il n’y a pas de formation spécifique à l’éducation thérapeutique et à l’animation des séances PACT. En revanche, les formations d’animation de groupe, à la relation d’aide, à l’écoute sont fréquentes en psychiatrie. Les équipes ambulatoires sont composées d’infirmiers expérimentés, ayant une très bonne connaissance de la clinique. La mise en place des entretiens infirmiers de 1ère ligne a bien sûr contribué à leur autonomie professionnelle. Souvent, les professionnels considèrent qu’ils ont les compétences nécessaires du fait qu’ils travaillent en CMP, l’enquête auprès des familles relativise cette donnée. En effet, les familles ne sont pas toujours associées à la formulation des objectifs, peu de personnels parlent de contrats de soins avec les familles, le climat de confiance propice à l’échange avec d’autres familles n’est pas aussi évident, selon les familles, l’évaluation de l’atteinte des objectifs n’est ni formalisée ni même partagée avec les familles. Ces constats nous amènent à devoir structurer davantage cette activité pour en assurer sa pérennité.

Le projet d’éducation thérapeutique s’inscrit dans le projet d’établissement, le projet médical et le projet de soins

77Il est essentiel que ce projet soit soutenu par la Direction, discuté au niveau institutionnel pour espérer une autorisation de l’Agence Régionale de Santé d’une part et un financement, d’autre part, des moyens nouveaux nécessaires à la mise en œuvre d’une organisation solide et stable.

78Le projet médical et le projet de soins définissent un plan d’action institutionnel en clarifiant les objectifs poursuivis, les étapes de mise en œuvre, les moyens humains nécessaires et les compétences existantes et à acquérir, les collaborations à développer en interne et en externe. La formation des professionnels est essentielle. En attendant que les propositions faites dans les derniers rapports nationaux sur la formation initiale des professionnels de santé soient mises en œuvre, les établissements hospitaliers ont recours au plan de formation continue pour former tous les personnels concernés et notamment les coordonnateurs des projets.

79Pour éviter de s’éparpiller au risque de perdre en efficience, il est important que les équipes définissent la population cible pour l’éducation thérapeutique, par conséquent clarifient les critères d’inclusion et les critères d’exclusion du programme. En lien avec le dernier rapport de juillet 2010, l’éducation thérapeutique doit rester essentiellement une activité ambulatoire ; d’une part, le patient doit être stabilisé, la crise n’est pas un moment où le patient peut se tourner vers son avenir. D’autre part, les CMP, par définition, à proximité du domicile des patients, sont les structures idéales pour organiser les rencontres avec les familles. Le choix de l’outil importe finalement peu car tous les outils portant sur les habiletés sociales se rejoignent.

Afin d’objectiver la démarche, une dynamique d’évaluation des pratiques professionnelles est nécessaire

80Les résultats de l’enquête sur l’impact du programme montrent une réelle difficulté à objectiver l’évolution relative à l’autonomisation du patient à gérer sa maladie. En revanche, l’amélioration de l’observance semble être reconnue ainsi que l’amélioration du climat familial. En outre, le pré requis indispensable réside dans l’intégration du diagnostic auprès du patient et des familles. Ces constats sont partagés par les professionnels et les familles. Il apparaît un manque méthodologique pour tracer les observations à toutes les étapes du programme. Les outils propres à la psychiatrie n’existent pas, il est bien difficile de définir des standards de qualité de vie et de surcroît de les quantifier. Toutefois, il s’agit de mettre en place une grille d’indicateurs de suivi, issue des données de l’enquête, cette grille nécessite un test à plus grande échelle pour en asseoir sa reproductibilité. Les indicateurs proposés sont les suivants :

81Indicateurs de processus :

  • Diagnostic annoncé
  • Diagnostic accepté
  • Nombre de séances d’éducation prévues, écart avec le nombre réalisé
  • Niveau de connaissance : du traitement, des symptômes, des facteurs de stress, des signes de rechutes
  • Formalisation d’objectifs personnalisés en lien avec les troubles propres, les signes de rechute propre à chaque individu
Indicateurs de résultats :
  • Evaluation de l’atteinte des objectifs posés à périodicité définie
  • Nombre de RDV de suivis réalisés / nombre de RDV prévus
  • Nombre de rechutes (appel au CMP inopiné, consultation en urgence, hospitalisation)
  • Nombre de ré hospitalisations
  • Niveau d’observance du traitement
  • Evolution dans la relation familiale (critères individualisés)
  • Evolution dans l’autonomie des actes de la vie courante (critères individualisés)
  • Capacité à faire des projets
Comme le définit l’arrêté du 2 août 2010 relatif au cahier des charges des programmes d’éducation, les outils d’évaluation devront être travaillés avant la mise en place du programme pour pouvoir évaluer nos pratiques et les réajuster.

L’opportunité d’affirmer l’évolution du métier d’infirmier par la mise en place des pratiques avancées [21]

82Bénéficiant d’un programme de formation initiale dans le domaine des soins éducatifs et préventifs, les infirmiers n’ont pas besoin d’attendre un aménagement de textes réglementaires pour mettre en œuvre les programmes d’éducation. Les problèmes de démographie médicale à venir confortent encore cette position. Le dispositif Licence-Master-Doctorat (LMD) facilite aussi l’ouverture de la filière d’expertise en soins, la mise en place de pratiques avancées notamment en psychiatrie, s’agissant des entretiens infirmiers de 1ère ligne et des programmes d’éducation thérapeutique à l’instar de ce qui se fait au Canada, en Allemagne et aux Pays-Bas. Les pratiques avancées ou « Advanced Nursing Practice » [22] en anglais s’entendent, dans le contexte international, comme une pratique de soins infirmiers d’avant-garde nécessitant une expertise reconnue par un niveau élevé de certification. Les domaines prédominants d’exercice sont les consultations infirmières de 1ère ligne axées sur les déterminants de la santééducation, la fonction conseil, la prévention des facteurs de risques sanitaires, le suivi des patients vulnérables, le suivi des patients atteints de pathologies chroniques. Cette pratique infirmière vise essentiellement à la substitution des pratiques médicales, dans un contexte de pénurie de médecins.

83En France, cette évolution se développe aussi depuis une vingtaine d’années, toutefois sans reconnaissance officielle. La consultation infirmière prend son essor dans tous les secteurs médico-chirurgicaux. En psychiatrie, les entretiens de 1ère ligne se généralisent ; ils visent à accueillir, évaluer le niveau d’urgence de la demande et orienter les patients. L’éducation thérapeutique pour les patients atteints de pathologies chroniques est aussi un champ fort investi par les infirmiers.

84Un Master de pratiques avancées sous le vocable de « sciences cliniques infirmières » a vu le jour en 2009, en France, dans le cadre des coopérations entre professionnels de santé issues de la loi HPST.

85Le Programme Hospitalier de Recherche Infirmière et Paramédicale (PHRIP) [23] de 2011 a retenu 21 projets financés, 10 d’entre eux sont portés par des équipes infirmières. « Les pratiques d’information du patient et des familles par rapport au diagnostic de la schizophrénie » est un thème faisant parti des projets retenus. Ces programmes de recherche contribuent à l’amélioration des soins et des pratiques professionnelles dans les établissements de santé et visent la validation de nouvelles méthodes de soins en objectivant l’impact des différentes pratiques.

86Ces évolutions confortent la place privilégiée des infirmiers, la reconnaissance de leurs compétences. Certes les pratiques avancées sont accessibles aux professionnels ayant plusieurs années d’expérience clinique dans la discipline, des compétences avérées et aussi des qualités relationnelles leur permettant de se positionner dans cette fonction. Ce triptyque (expérience, compétences et qualités relationnelles) m’amène à revenir aux fondamentaux de la profession infirmière me permettant de penser que ce sont ces professionnels les mieux placés pour mettre en œuvre les programmes d’éducation thérapeutique. Pourquoi ?

87Marie-Françoise Collière explique très bien dans son ouvrage « Promouvoir la vie » écrit en 1982, que l’éducation thérapeutique a d’abord une dimension sociale. Il s’agit d’offrir des soins aux individus et à leur famille par les moyens qui leur sont acceptables, avec leur participation et à un coût abordable. Cela fait appel à la connaissance de la personne dans son milieu de vie, en prenant en compte leurs conditions de vie, leurs craintes, leur niveau de difficulté à s’adapter à leur handicap. Cette approche réinsère le soin dans le tissu social et économique de la vie quotidienne. C’est un retour aux valeurs fondamentales de la profession. Il s’agit de chercher avec le patient et sa famille comment ils vont pouvoir compenser la diminution de l’autonomie. Ainsi, c’est bien, la relation avec le patient et son entourage qui devient le pivot du soin. A partir du recueil de données, l’infirmier va mobiliser ses compétences pour analyser la situation et s’adapter à chaque contexte pour trouver ce que la personne et son entourage seront capables de mobiliser afin de compenser les atteintes. L’approche globale, anthropologique de la personne est bien au cœur de la démarche de soins. A cela s’ajoute la recherche des centres d’intérêt, des aspirations du patient afin d’identifier les éléments moteurs ou inhibiteurs d’adaptation à une situation de handicap. Cela fait appel au vécu de la personne, à la connaissance de ce qui va la faire réagir. Notamment, en situation de handicap psychique, il est essentiel de discerner les facteurs de stress de chaque individu pour espérer prévenir les situations de crise et donc de rechute. La connaissance infirmière sur la conception de la santé, de l’homme sain dans un environnement adapté, enseignement de base du programme d’étude en IFSI (Institut de formation en soins infirmiers), facilite la mobilisation des compétences nécessaires à l’éducation thérapeutique. C’est l’appropriation des soins infirmiers différents et complémentaires des soins médicaux qui « redonnent sens à la vie de ceux qui les reçoivent comme à celle de ceux qui les donnent » [24]. Ce retour aux fondamentaux de la profession engage forcément une réflexion autour des valeurs et du sens des soins éducationnels.

La démarche réflexive autour des valeurs et du sens du soin éducationnel

88A ce stade de la discussion, on pourrait admettre qu’un programme d’éducation thérapeutique du patient en psychiatrie est objectivable et dynamisant pour les professionnels. Cependant, un dernier point émerge et va au-delà des hypothèses formulées et ce pourrait bien être le point essentiel, le pré requis à toute démarche éducative, celui de la démarche réflexive autour des valeurs et du sens du soin éducationnel [25].

89Les résultats de l’enquête montrent des points de vigilance. Tant que le diagnostic n’est pas réellement intégré, l’observance au traitement est chaotique, les rechutes sont plus fréquentes, la tension familiale a du mal à s’améliorer. Bien que ces éléments soient tous liés entre eux, il me semble primordial de s’attarder sur la spécificité du diagnostic d’une maladie chronique. Qu’est ce que cela veut dire pour la famille et le patient ?

90La chronicité fait appel à l’irréversible, cette nouvelle implique le renoncement, le deuil d’une vie dite « normale ». Etre conscient du deuil qu’impose l’acceptation d’une maladie chronique, c’est se rappeler que l’annonce du diagnostic n’est donc pas une simple information, « c’est l’effondrement de la dénégation qui protégeait le psychisme jusqu’à cet instant ». Le patient et sa famille ne peuvent donc entendre et accepter que s’ils sont invités à trouver d’autres solutions pour continuer à se sentir heureux, invités à se projeter dans d’autres possibles en intégrant la réalité. Ce chemin demande du temps, il s’inscrit dans la durée, la réaffirmation de cette nouvelle réalité. Comment faire naître ce processus de réflexion chez le patient ? Comment aider une famille à trouver des solutions si le soignant ne connaît pas son histoire et sa singularité ? « Cultiver le phronesis » selon Aristote c’est « la sagacité, l’intelligence du singulier par laquelle le soignant pourra guider son patient et s’engager avec lui dans une démarche réflexive qui donne lieu à délibération. L’éducation thérapeutique relève plus d’un savoir partagé que d’une transmission de savoir. » N’est-ce pas dans cette posture d’altérité que le soignant pourra créer un climat de confiance ? Cela bouscule fondamentalement ce qu’ont appris les soignants, selon un modèle paternaliste, entre ceux qui savent et ceux qui ne savent pas. Dans un projet d’éducation thérapeutique, il y a un co-apprentissage, un travail d’accompagnement dans la construction d’un projet défini ensemble. De plus, du fait de la chronicité, tout s’inscrit dans la durée, rien n’est jamais vraiment acquis, donc, il faut apprendre la patience et savoir sans cesse réajuster car les trajectoires de vie ne sont pas linéaires, de surcroît quand la maladie touche les fonctions cognitives et provoque des difficultés de raisonnement, appelées « insight » en psychiatrie. Dès lors, la confiance est toujours teintée d’une relation asymétrique dans laquelle la famille est demandeuse de conseils, de régulation.

91Un autre point de vigilance réside justement dans le climat de confiance, les projets sont posés ensemble, les solutions sont consensuelles, tout cela pour aller vers plus d’autonomie du patient. Mais qu’en est-il lorsque le patient n’atteint pas les objectifs ou rechute ? Le risque est de le porter totalement responsable de l’échec car aller vers l’autonomie, cela veut dire aller vers plus de responsabilité. Ainsi faut-il nuancer le principe du respect de l’autonomie du patient, le patient n’est pas un élève, le risque de dérive sur la responsabilité est bien présent.

92Ainsi, un espace spécifique de réflexion et de communication au sein de l’institution pour développer des valeurs communes autour de l’éducation thérapeutique me semble être à la fois prudent et nécessaire.

Conclusion

93Le développement des maladies chroniques positionne l’éducation thérapeutique comme une offre de soin essentielle pour aider la population à vivre avec la maladie tout en conservant une qualité de vie au sein du cercle familial. Dès lors les enjeux épidémiologiques, sociologiques, économiques ne sont plus à démontrer. Des volontés nationales se confirment de jour en jour, les derniers textes réglementaires donnent un cadrage assez précis de la structuration d’un programme d’éducation thérapeutique, mais la culture hospitalière est encore fortement empreinte de la dimension curative du soin. Le soin éducatif nécessite de repenser la conception du soin autour d’une approche plus globale de la personne, d’intégrer les familles et les données de l’environnement social et culturel du patient dans les programmes d’éducation thérapeutique. En marge des concepts, les formations des professionnels de santé sont hétérogènes et souvent insuffisantes. La particularité de la psychiatrie réside dans la mise en œuvre de programmes auprès d’une population atteinte de pathologie chronique dont les troubles cognitifs sont d’intensité variable, rendant le partenariat d’apprentissage difficile. Aussi, le CH de Jury s’est lancé depuis 10 ans dans ce travail conjoint avec les familles des patients. Les professionnels de 3 CMP et les familles partenaires, utilisateurs du programme PACT, ont accepté de participer à une étude visant à objectiver la démarche sur l’évolution de l’autonomisation du patient à gérer sa maladie et sur l’évolution des compétences des professionnels. Malgré un panel restreint de professionnels et de familles, les actions à mettre en œuvre pour développer les projets d’éducation thérapeutique au sein de l’institution se concrétisent. D’une part, ces projets jusqu’alors portés par quelques personnes motivées et convaincues, souffrent de manques de moyens humains, de compétences spécifiques, d’organisation et d’appui institutionnel. L’inscription de ce projet dans le projet médical et le projet de soins de l’établissement permet d’officialiser les actions, de les formaliser, de les communiquer notamment à l’ARS. Depuis août 2010, ces activités sont soumises à autorisation et peuvent permettre d’obtenir des moyens supplémentaires. Le plan de formation continue de l’établissement favorise l’accès aux formations pluridisciplinaires pour acquérir les compétences spécifiques à mobiliser lors de ces programmes. La mise en place d’une démarche qualité autour de l’éducation thérapeutique permet de cadrer la méthodologie de projet, de travailler sur des indicateurs de suivi afin de rendre cette démarche objectivable et donc dynamisante pour les équipes.

94En outre, valoriser le travail infirmier, notamment dans la mise en œuvre de ces projets, s’inscrit dans le dispositif LMD et facilite l’ouverture d’une filière d’expertise en soins. La communication des travaux permet la reconnaissance des pratiques avancées et donc est susceptible de relancer l’attractivité de la profession.

95Toutefois, la démarche éducative nécessite au préalable une réflexion éthique. L’annonce de la maladie chronique et l’acceptation de cette maladie ne va pas de soi ; pourtant sans cette étape, aucun programme éducatif ne peut être efficace.

96Créer un climat de confiance avec les familles et le patient va bien au-delà des compétences relationnelles ou pédagogiques, c’est avoir intégré la nécessité d’un réel partenariat avec la famille et le patient pour construire leur projet de vie avec toute la dimension d’altérité, de partage que cela représente. Par conséquent, un espace spécifique de réflexion au niveau institutionnel prend toute sa place dans un tel projet.

97Les équipes qui se lancent dans cette aventure, aujourd’hui, sont conscientes de l’ampleur de la tâche mais en perçoivent les opportunités en terme de dynamique institutionnelle, de motivation individuelle, de recul et d’analyse sur le sens même du « prendre soin » dont les maîtres mots sont : compréhension, partage, confiance, autonomie, reconnaissance. C’est une aventure passionnante parce que c’est une aventure humaine dans toute sa singularité et sa recherche d’altérité. Les familles sont partantes depuis longtemps, alors allons-y !

Remerciements

Je remercie tout particulièrement les familles et les équipes des Centres Médico-Psychologiques des Docteurs BLANC et TEISSEDRE du Centre Hospitalier de JURY qui ont accepté de participer à cette étude. La richesse de leurs vécus a nourri ma réflexion.

Annexe 1 - Lettre d’accompagnement des questionnaires aux équipes soignantes

98Sylvie LANG

99Directrice des soins

100CH JURY

101Le 9 juin 2010

102Docteur, Madame, Monsieur,

103Dans le cadre d’un master 2 en management éthique hospitalier, j’ai choisi de faire une étude sur les effets du programme PACT tant au niveau de l’autonomisation du patient que de l’évolution des compétences professionnelles. Cette étude devrait être publiée si la qualité de l’article est jugée satisfaisante par mes responsables pédagogiques. J’ai prévu une enquête auprès des familles de patients ayant intégrés le programme PACT et un questionnaire à l’intention de l’ensemble de l’équipe soignante impliquée dans cette pratique.

104Je vous serais très reconnaissante de bien vouloir m’aider dans cette tâche en remplissant le questionnaire ci-joint.

105Bien évidemment, les équipes ayant participées à l’étude seront citées et remerciées dans l’article. Je vous tiendrai informé de la suite apportée à l’enquête.

106Vous remerciant par avance pour votre contribution, je vous prie de croire, Docteur, Madame, Monsieur, à l’expression de mes sincères salutations.

Annexe 2 - Questionnaire aux équipes CMP

tableau im1
Objectif : Mesurer les effets du programme PACT sur le développement des compétences professionnelles 1/ Quelle est votre fonction ? Médecin o Psychologue o Cadre o Infirmier o Secrétaire o Autre o (précisez) 2/ Utilisez-vous, vous-même, le programme PACT ? oui o non o 3/ Avez-vous été formé à l’éducation thérapeutique ? oui o non o 4/ Avez-vous été formé à l’utilisation d’outils relatifs à l’éducation thérapeutique ? oui o non o 5/ Avez-vous été formé aux pratiques s’appuyant sur la dynamique de groupe ? oui o non o 6/ Avez-vous été formé au programme PACT ? oui o non o 7/ A votre avis, avez-vous, vous-même, les compétences nécessaires à la mise en œuvre d’un programme PACT ? Compétences Critères oui non Commentaires Développer une position éducative Etre capable de susciter l’intérêt, la motivation du patient Etre capable de susciter l’intérêt, la motivation de la famille Savoir négocier des objectifs Savoir expliquer, transmettre des savoirs Créer un climat de confiance Communiquer sur l’évolution pour maintenir la motivation Etre capable de reformuler Etre capable de valider les points de vue et les expériences Etre capable d’être à l’écoute Etre capable de favoriser les solidarités Autres, citez Développer une technique d’apprentissage Planifier et organiser des séances Formaliser des objectifs quantifiables Savoir évaluer l’atteinte des objectifs Rendre compte de l’évolution en équipe pluridisciplinaire Autre, citez
tableau im2
Quelles sont Formation à la relation d’aide les formations préalables à cette démarche ? Conduite d’entretien infirmier de 1ère ligne Animation de conduite de groupe Travail avec les familles Autre, citez Voyez vous d’autres éléments incontournables favorisant une position éducative ? Réflexion sur les droits du patient Réflexion sur l’éthique du soin Réflexion sur le rôle des familles et autres partenaires Autre, citez 8/ Quels sont les impacts et questionnements liés à l’utilisation d’un tel programme - pour vous-même ? - pour l’équipe ? - au niveau institutionnel ? - pour les patients et les familles - autre ? (explicitez) 9 / Quelles en sont les limites - pour vous-même ? - pour l’équipe ? - au niveau institutionnel ? - pour les patients et les familles - autre ? (explicitez) 10/ Pensez-vous que ces pratiques participent à l’évolution du métier d’infirmier et/ou des autres métiers concernés par les soins et l’intégration ? Si oui, en quoi ? 11/ Pensez-vous que ces pratiques concourent à l’émergence d’une nouvelle philosophie du soin ? Si oui, en quoi ? 12/ Autres commentaires Merci pour votre précieuse collaboration, veuillez me retourner ce questionnaire par l’intermédiaire du cadre de l’unité pour le 21 juin 2010 Sylvie LANG

Annexe 3 - Lettre d’information aux familles

107Sylvie LANG

108Directrice des soins

109CH JURY

110Le 29 mai 2010

111Madame, Monsieur,

112Le CMP participe à une étude sur l’utilité et les effets du programme PACT. Une personne de votre entourage proche est atteinte d’une maladie mentale et est suivi par notre équipe soignante. Elle a été intégrée, au cours de sa prise en charge, dans le programme PACT avec votre participation. Aussi, votre avis nous intéresse. Pour pouvoir en discuter, nous vous proposons de venir au CMP le à.

113Nous comptons vivement sur votre participation à cette étude. L’entretien durera environ une demie heure. Si vous êtes d’accord, veuillez confirmer votre présence au CMP (N° téléphone)

114Merci d’avance pour votre aide.

115Veuillez agréer, Madame, Monsieur, l’expression de nos sincères salutations.

Annexe 4 - Guide d’entretien avec les familles

1161/ Quand avez-vous (et votre proche) été intégrés dans le programme PACT ?

1172/ Est-ce terminé ou en cours ?

1183/ Pensez-vous que ce programme vous a permis d’exprimer vos attentes, vos besoins par rapport à la compréhension de la maladie ?

1194/ Qu’avez-vous compris de la maladie ?

  • connaissance des symptômes
  • connaissance du traitement
  • connaissance de l’évolution de la maladie
  • connaissance des facteurs de stress
  • repérage des signes de rechute
  • autre
5/ Avez-vous pu fixer des objectifs avec l’équipe soignante ?
  • par rapport à votre vie familiale, affective (aspect relationnel)
  • par rapport aux actes de la vie quotidienne (socialisation)
  • par rapport à une activité professionnelle
  • autre
6/ Pensez-vous avoir atteint certains objectifs ? lesquels ?

1207/ Que constatez-vous aujourd’hui ? Quels sont les résultats du programme ?

  • vous sentez-vous moins seul face aux difficultés ?
  • Vous sentez-vous en confiance avec l’équipe soignante ?
  • Y a-t-il moins de rechutes ?
  • Y a-t-il moins de réhospitalisations ?
  • Le traitement est-il mieux pris ?
  • Autre
8/ Voyez-vous des limites ou obstacles qui ne pourront pas être franchis ?

121Lesquels et pourquoi ?

Bibliographie

Références bibliographiques

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