Couverture de RSI_106

Article de revue

Le rapport des français à l'alimentation, un rôle protecteur envisageable contre le surpoids et l'obésité

Pages 16 à 31

Notes

  • [1]
    Popkin B. et Doak C., « The Obesity is a worlwide Phenomenon », Nutrition Reviews, april 1998 ; vol. 56 (4) : 106-114
  • [2]
    « Elaborer des politiques de prévention à l’intention de populations entières [lesquelles] pourraient consister à promouvoir des modes de vie sains, notamment une alimentation moins riche en calories (consommation accrue de légumes, fruits et céréales), plus d’activité physique (la marche par exemple) et des changements de comportement axés notamment sur une surveillance régulière du poids plutôt que sur une perte brutale de poids »
  • [3]
    Franz M., VanWormer J., Crain A. et al. “Weight-loss outcomes : a systematic review and meta-analysis of weight-loss clinical trials with a minimum 1-year follow-up”, J Am Diet Assoc 2007 ; 107 : 1755–67
  • [4]
    Etude conduite par Majid Ezzati, comparant les données relatives à 199 pays et territoires entre 1980 et 2008, The Lancet, vol.377, Issue 9765, p.527, 12 feb. 2011
  • [5]
  • [6]
    Flegal K., Caroll M., Ogden C et al., « Prevalence and Trends in Obesity Among US Adults, 1999-2008 », JAMA 2010 ; 303(3) : 235-241
  • [7]
    Ng S., Zaghloul S., Ali H., Harrison G et Popkin B., « The prevalence and trends of overweight, obesity ans nutrition-related non communicable diseases in the Arabian Gulf States », Obesity Reviews, vol.12, Issue 1, january 2011, pp .1-13
  • [8]
    cf supra
  • [9]
    Ezzati M., Finucane M., Stevens G., Cowan M. et al., « National, regional and global trends in body-mass-index », The Lancet, vol. 377, Issue 9765, pp. 557-567, feb. 2011
  • [10]
    Source : Saint-Pol (de) T., Populations & Sociétés, n°455, INED, avril 2009
  • [11]
    AFSSA, Etude Individuelle Nationale des Consommations Alimentaires 2 (INCA 2), 2006-07, sept. 2009 (version 2), 225 p.
  • [12]
    Amadieu J.-L., Le poids des apparences, éd. Odile Jacob, 2005, 199 p.
  • [13]
    Une campagne de mensuration distincte pour les plus de 70 ans a été lancée par l’IFTH en 2007, dont les résultats ne sont pas communiqués à ce jour. D’après ObEpi 2006, qui permet d’estimer la distribution de l’obésité chez les personnes âgées, malgré les réserves méthodologiques précédemment exprimées (mesures auto-déclarées), parmi les 65-69 ans, la prévalence de l’obésité est plus forte qu’en population générale (respectivement 17,9% et 12,4%) puis diminue au fur et à mesure que les personnes avancent en âge (11,6% chez les 80 ans et plus). Par ailleurs, selon la Haute Autorité de Santé, 350 000 à 500 000 personnes âgées vivant à domicile et 100 à 200 000 en institution souffriraient de dénutrition.
  • [14]
    DREES, La santé des enfants en grande section de maternelle en 2005-2006, Etudes et Résultats, N°737, sept. 2010
  • [15]
    Laurent Degos, cité en introduction du Rapport d’information n°1131 de l’Assemblée Nationale, oct. 2008, p.11.
  • [16]
    Source INSEE (PIB) et Ministère de la Santé (comptes de la santé)
  • [17]
    Source : dépêche AFP, juin 2011
  • [18]
    Liste modifiée par le Décret n°2004-1049 du 4 Octobre 2004
  • [19]
    Prévalence et projections relatives aux diabètes dans le monde, cf. Wild S. et al., Diabetes Care. 2004 ; 27 (5)-1047-53 ; Ezzati M. et al., The Lancet, vol. 378, Issue 9785, pp. 31-40, july 2011
  • [20]
    Emery C., Dinet J., Lafuma A., Sermet C., Khoshnood B. Fagnani F., Evaluation du coût associé à l’obésité en France, La Presse Médicale, 2007/6, tome 36, n°6, cahier 1, pp. 832-840
  • [21]
    Adt V., Fischler C., Enquête Les journalistes, les médias et l’obésité, Rapport d’exécution de la convention DGS/ENSANS du 3 mai 2004, vol.1., 100p. ; Rapport d’exécution de la convention DGS/ ENSANS du 7 septembre 2005, vol.2, 52p.
  • [22]
    L’association de l’obésité aux jeunes (enfants et adolescents) est récurrente, explicite dans 78% des articles analysés et fait à l’époque peu de place au thème des inégalités sociales (5%).
  • [23]
    J.-P. Poulain traitant des controverses comme prix à payer de « l’agendatisation » évoque quant à lui une « rhétorique de l’agrégation » : chap.4, in Sociologie de l’Obésité, éd. PUF, 2009
  • [24]
    Lettre d’Information du CETSAH, n°2, été 2007
  • [25]
    Larmet Gwenaël, La sociabilité alimentaire s’accroît, Economie et Statistique n° 352-353, 2002, pp. 191-211.
  • [26]
    Fischler C. et Masson E. (dir.), Manger – Français, Européens et Américains face à l’alimentation, éd. Odile Jacob, Paris, 2008, 336p.
  • [27]
    Op. cit. supra, p.49
  • [28]
    Institut QualiQuanti pour le Comité Professionnel de Développement de l’Horlogerie, de la Bijouterie, de la Joaillerie et de l’Orfèvrerie, département des Arts de la Table, Comment les arts de la table contribuent à « mieux manger », sept.2008
  • [29]
    Verdier Y. Pour une ethnologie culinaire, L’Homme, 1969, tome 9 n°1, pp 49-57
  • [30]
    Discussion en fonction de l’âge, du sexe des enfants : e.g. style permissif (indulgent, neglectful) plus fréquent avec les garçons que les filles (S. Kremers et al., Appetite 41, 2003) ; en fonction des origines culturelles et du milieu socio-économique (S. Hugues et al., Appetite 44, 2005)
  • [31]
    Singly (de) F., « La famille contemporaine fonctionne à la souplesse », Le Monde, éd. 10 avril 2010, p.19
  • [32]
    Adt V., Fischler C., Merdji M., « Autour du repas : attitudes parentales, apprentissage et alimentation de l’enfant », contribution du Lesma (AUDENCIA, Nantes) et du Centre Edgar Morin (EHESS-CNRS, Paris) au projet DisMoiGoût du Pôle Enfant de Cholet, avec le concours de la Région des Pays-de-La-Loire et de la DRIRE des Pays-de-La-Loire, 2008-2009
English version

Obésité, surpoids

Cette conférence a été présentée lors des Journées d’Etude de l’ARSI 2011

1L’obésité n’est pas une nouveauté. Cependant, au seuil du XXIe siècle, elle devint un « phénomène mondial » [1] et fut déclarée « première épidémie non - infectieuse de l’histoire de l’humanité » (Organisation mondiale de la santé (OMS), 1998). Sa problématisation en tant que risque mondial de santé publique, étayée par les estimations de prévalence accompagnées de projections pour les prochaines décennies particulièrement inquiétantes, suscita une multitude d’alertes scientifiques, politiques et médiatiques. Obtenues par extrapolation des estimations, les projections suggéraient alors que, en 2025, le pourcentage de personnes obèses pourrait atteindre 45 - 50% aux Etats-Unis ; 30 à 40% en Australie, en Angleterre et sur l’île Maurice ; plus de 20% au Brésil (Annexes, figure 1). La mise en place urgente d’une action de santé publique par les gouvernements fut donc recommandée par l’OMS [2].

2En dépit des efforts déployés et de quelques résultats encourageants [3], le monde continua à grossir : en 2008, près d’un milliard d’adultes étaient en surpoids (Indice de masse corporelle (IMC) ?25 et ?29kg : m2) tandis que le nombre de personnes obèses (Indice de masse coporelle (IMC) ? 30kg/m2) s’élevait à 500 millions [4]. Quant aux enfants âgés de moins de cinq ans, 42 millions d’entre eux seraient aujourd’hui en surcharge pondérale [5]. Aux USA, l’obésité en population adulte atteint aujourd’hui 33,8% (IC 95% : 31,6%-36%), sa prévalence variant en fonction de l’âge, du sexe et du groupe ethnique [6]. Partout dans le monde, la modification des styles de vie et des habitudes alimentaires s’accompagne de l’augmentation du surpoids et de l’obésité et, ce, à un rythme particulièrement soutenu dans certains pays. C’est notamment le cas en Chine (Wang Y., 2007) ; au Moyen-Orient et en particulier dans les pays du Golfe où la surcharge pondérale (surpoids et obésité, IMC ?25 kg/m2) concerne 70-85% des hommes et 75-88% des femmes du Koweit, du Qatar et d’Arabie Saoudite et s’avère particulièrement élevée parmi les 30-60 ans [7]. En matière de surpoids et d’obésité, l’attention tend peut-être à se focaliser sur les Etats-Unis, toutefois les estimations les plus pessimistes s’appliquent au Koweit : le pourcentage d’adolescents en surcharge pondérale y est estimé à 40-46% [8].

3Effectivement donc, le monde grossit. Et, ce, au rythme de +0,4kg/m2 chez les hommes et de +0,5kg/m2 chez les femmes par décade. Cependant tous les pays ne grossissent pas au même rythme : tandis que l’IMC des Américains, des Anglais et des Australiens enregistrait un gain pondéral de +0,9-1,1kg/m2, celui des Suisses, des Italiens et des Français ne progressait « que » de +0,3-0,4 kg/m2 tous les dix ans [9]. Si l’on considère l’Eurobaromètre et la répartition des populations en fonction de leur IMC dans l’Europe des Quinze, la conclusion est identique : en France et en Italie, la corpulence moyenne apparaît moins élevée que dans les autres pays (Annexes, figure 2) [10]. Face à la problématique du surpoids et de l’obésité, certains pays s’en sortiraient donc « moins bien » / « mieux » que d’autres. D’où l’intérêt de questionner la pertinence culturelle des stratégies de prévention mises en œuvre.

4Dans le cas français, relativement à la prévalence du surpoids et de l’obésité, nous allons voir qu’il est malaisé de se faire une idée de la situation. Indéniablement, des millions de Français souffrent d’obésité. Ici comme ailleurs, elle est un facteur de risque de co-morbidités (diabète, cholestérol, affections cardiaques…) et un marqueur d’inégalités sociales, qu’elle exprime et renforce à la fois. Augmentant avec l’âge, elle croît de façon inversement proportionnelle aux revenus et au niveau d’instruction (avec un effet seuil chez les enfants néanmoins, l’observation étant valable quand le représentant de l’enfant, la mère généralement, a cessé sa scolarité en primaire [11]) et compromet les chances individuelles d’accès ou de retour à l’emploi [12]. L’image d’une France homogène n’est donc pas de rigueur, ce qu’il convient de garder présent à l’esprit quand on parle de moyennes. D’une enquête à une autre, les chiffres de la prévalence varient - et l’année 2006 fut particulièrement productive de ce point de vue :

  • 16,9% de personnes obèses et 32,4% en surpoids (ENNS, 2006)
  • 12,4% de personnes obèses et 29,2% en surpoids (ObEpi, 2006)
  • 11, 6% de personnes obèses et 31,4% en surpoids (INCA 2, 2006-2007)
  • 8,3% de personnes obèses et 26% en surpoids (CNM, 2006)
Que la prévalence moyenne de l’obésité varie fortement, du simple au double, s’explique en partie du point de vue méthodologique par :
  • Les méthodes de recueil des données : mesures auto-déclarées et recueillies par voie de questionnaire (ObEpi-Roche) ; mesures à domicile réalisées par les enquêteurs à l’aide de toises et de balances (ENNS) ; majoritairement mesurées à domicile au moyen de toises et de balances (± 0,1kg et ± 1cm) et pour une part auto-déclarées (INCA2) ; mesures anthropométriques réalisées au moyen de la technique dite de « bodyscanning », automatisées en cabines 3D (CNM).
  • La composition de l’échantillon, les catégories d’âges n’étant pas comparables :
    1. Etude Nationale Nutrition Santé (ENNS) -Caisse nationale de l’assurance maladie (CNAM), Institut national de veille sanitaire (INVS), Paris XIII. Surcharge pondérale (surpoids et obésité) à 49,3%, échantillon de 4 033 sujets, dont base de 1 620 « enfants » âgés de 3 à 17 ans et base « adultes » de 2 413 personnes âgées de 18 à 74 ans ;
    2. Etude Individuelle Nationale des Consommations Alimentaires (INCA 2) - Agence française de sécurité et des produits de santé (AFSSAPS). Surcharge pondérale (surpoids et obésité) à 43%, échantillon de 20 088 sujets, base « enfants » de 3 à 17 ans et base « adultes » de 18-79 ans ;
    3. Enquête épidémiologique nationale sur le surpoids et l’obésité (ObEpi) Roche et Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Surcharge pondérale (surpoids et obésité) à 41,6%, échantillon de 23 747 personnes âgées de 15 à 80 ans et plus ;
    4. Campagne Nationale de Mensurations (CNM) - Industrie française du textile et de l’habillement (IFTH). Surcharge pondérale (surpoids et obésité) à 34,3%, échantillon de 11 562 sujets âgés de 5 à 70 ans [13]
Chacune de ces études, on l’aura compris, présente des avantages et des inconvénients, toutefois la dernière – d’être produite hors champ de l’épidémiologie ? - reste largement méconnue. Contrainte à adapter ses produits (transports, habitat, bureaux, matériel médical, prêt-à-porter…) aux modifications morphologiques de la population et donc à caractériser précisément ces dernières, bénéficiant d’une technique dont la marge d’erreur est a priori réduite, l’interprofession textile donne en 2006 une vision chiffrée de l’obésité (8,3%) proche de celle de l’épidémiologie dix ans plus tôt (ObEpi 1997 : 8,2%).

5En santé publique, les données ENNS font souvent référence et sont par ailleurs reprises dans les comparaisons internationales de l’International obesity task force (IOTF) (2008). Même en se basant sur ces données, les plus élevées donc, la France demeure l’un des pays occidentaux où la prévalence de l’obésité et du surpoids est la plus faible malgré des disparités au sein de la population.

6D’après une étude conduite par les médecins et infirmières de l’Education Nationale auprès de plus de 23 000 enfants âgés de 5-6 ans à l’occasion du bilan de santé obligatoire avant le passage en école primaire, en 2005-2006, la prévalence du surpoids était de 12, 1% ; celle de l’obésité de 3,1% (contre 3,4% en 1999-2000). Cependant, en ZEP (zone d’éducation prioritaire), la part d’enfants obèses s’élevait à 5,1% contre 2,9% dans les écoles publiques localisées hors ZEP et 1,8% dans les écoles privées [14]. De même le calcul des écarts par rapport à la moyenne nationale montre que la répartition géographique du surpoids est inégale (Annexes, figure 3). Plus largement - puisque les résultats ENNS portent sur la corpulence des 3-17 ans, faisant pendant au surpoids et à l’obésité, le déficit pondéral paraît notable (Annexes, figure 4).

7Il reste à considérer que l’importance de l’enjeu n’est pas seulement déterminée par les statistiques. Elle dépend aussi de l’état du système. Or notre système de protection sociale résisterait mal à une forte augmentation de la prévalence de l’obésité. Il menace déjà d’imploser. A cet égard, les propos du Président de la Haute Autorité de Santé (HAS) sont clairs : « Seuls les pays qui auront su maîtriser l’épidémie d’obésité pourront préserver leur système de protection sociale » [15].

8Les recettes de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie ne parviennent pas à combler le montant total des dépenses de santé (+/– 11% du PIB), ces dernières évoluant plus rapidement que la croissance de la richesse nationale [16]. D’après la Commission des Comptes de la Sécurité Sociale, la seule branche maladie présentait en 2010 un déficit de 11,5 milliards d’euros. A ce déficit, les affections longue durée (diabète, cancers, maladies cardiovasculaires, psychiatriques, etc.) contribuent fortement puisque, dans le dispositif français, les assurés sociaux souffrant d’ALD bénéficient d’une prise en charge à 100% des soins. La progression régulière de leur effectif (de 13,5% en 2005 à 15,5% en 2010, potentiellement 17% de la population française en 2014 selon les prévisions de la CNAM [17]) notamment sous l’effet du vieillissement de la population ne porte pas à l’optimisme pour l’avenir. Plusieurs maladies liées à l’obésité figurent sur la liste des ALD30 [18] - dont le diabète, lequel aurait coûté environ 10 milliards d’euros à la Sécurité Sociale en 2010 [19]. Enfin, si peu d’études permettent de chiffrer les coûts liés à l’obésité en France, une enquête menée auprès d’un échantillon permanent d’assurés sociaux en 2002 dans le cadre de l’IRDES (Institut de Recherche et Documentation en Economie de la Santé) estimait la consommation moyenne de soins et de biens médicaux d’une personne obèse deux fois plus importante que celle d’une personne normo-pondérale [20].

9Pour conclure cette première partie, quel discours médiatique sur l’obésité et le surpoids ? L’enquête « Les journalistes, les médias et l’obésité » conduite en 2004 et 2005 [21] consistant notamment en l’analyse du contenu de près de 500 articles saisissait un discours alarmiste, des prévisions déformées - e.g. : « En France, un enfant sur quatre sera obèse en 2020 » ; « 16% d’enfants obèses »[22]. L’amplification du problème par agrégation des chiffres relatifs au surpoids à ceux de l’obésité observée, également appréhendée et analysée par ailleurs [23], trouva en partie son explication dans les contraintes professionnelles mises en lumière par la série d’entretiens menés en face-à-face avec des journalistes (en réunion de rédaction, l’une des premières questions posées à la suggestion d’un papier est : combien de personnes sont-elles concernées ?). Au-delà, il est aussi jugé « plus facile » de parler d’obésité infantile que d’obésités massives ou morbides de façon à « impliquer » les adultes. L’obésité pose néanmoins un problème de définition aux journalistes ; des discussions de la mesure (IMC) apparaissent, laquelle est directement mise en cause par plusieurs interviewés. La comparaison France / Etats-Unis est présente dans la majorité des discours, saisie en relation avec l’augmentation du phénomène et la notion d’épidémie. Cette notion (liée au fait de « savoir » que “ça augmente d’année en année”) se heurte à l’idée d’une « exception française » : tous les journalistes, à une exception près, en parlent ou y font implicitement référence : “En France, on se croyait à l’abri, différents des Américains qui sont des gens qui mangent mal” ; “Je n’aimerais pas que ce soit quelque chose qui vienne des Etats-Unis et qui galope comme ça en France. Je préférerais que nos traditions culinaires, et tout, aient raison” ; “L’alimentation, c’est la dernière chose qui reste après que tout ait disparu dans notre culture. Le dernier truc qui reste, c’est la bouffe”. Plusieurs attitudes sont alors observées : douter de la capacité de résistance du modèle alimentaire français ; miser sur sa résistance, y puiser des motifs de (se) rassurer [24].

Le rapport culturel à l’alimentation des français

10Contrairement à l’idée selon laquelle le rapport culturel alimentaire des Français serait aujourd’hui déstructuré, la relative stabilité du modèle (pattern, structure) est bien documentée (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC), Comportements et consommations alimentaires en France (CCAF) 1988, 1995, 2000, 2003, 2007 et Baromètre Santé Nutrition de l’Institut national de prévention et de l’éducation pour la santé (INPES) 1996, 2002 et 2008).

11Des évolutions du comportement alimentaire sont néanmoins perceptibles : diminution du temps consacré à la préparation du repas ; simplification de sa structure par diminution du nombre de plats servis (formule « plat unique » ; menu « entrée-plat » / « plat-dessert ») ; plateau-repas et plateau-télé ; formes informelles de convivialité ; manger en parallèle d’une autre activité (regarder la télé, lire le journal, téléphoner, envoyer des sms, utiliser l’ordinateur) ; raccourcissement de la durée du repas (déjeuner ++) ; flexibilité horaire (dîner et weekend, jeunes adultes surtout) ; grignoter ou sauter un repas.

12Quoiqu’il en soit ces évolutions alimentaires sont loin d’avoir sonné le glas du rapport des Français à l’alimentation. La sociabilité alimentaire connaît des formes différenciées, dans le temps et dans l’espace - chez soi et au dehors (repas en famille au sein du foyer ; chez des parents ; avec des amis ou avec des tiers, au restaurant ou au café) néanmoins elle tend à s’accroître [25]. D’après les enquêtes Emploi du temps de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), elle est désormais davantage le fait de toutes les catégories socio-professionnelles qu’autrefois (Annexes, figure 5).

13Une enquête transculturelle menée dans six pays (France, Italie, Suisse, Allemagne, Angleterre et Etats-Unis) auprès de 7000 personnes permet de comparer le modèle alimentaire français par rapport au modèle anglo-saxon : le premier est typiquement commensal-culinaire ; le second individualiste-diététique [26]. Chez les Français, manger obéit à certaines « formes » et la sociabilité alimentaire joue un rôle prépondérant et « ce qui apparaît le plus spécifique [déclarent les auteurs] c’est un principe d’ordre, la référence à une nécessaire structure intrinsèque du manger, établie et reconnue par leur culture du quotidien alimentaire ». Alors que dans l’échantillon américain, poursuivent-ils, « tous les répondants, y compris les profanes, s’expriment en termes “médicalisés” », chez les Français, « c’est un ordre culinaire “traditionnel” qui est présent à travers la séquence et l’ordonnancement du repas ou les manières de table » [27].

14En 2008, une étude quantitative menée auprès de 1005 personnes / France entière par questionnaire internet montre que pour 94% des personnes interrogées « bien manger, c’est partager un repas en bonne compagnie » et que pour 85%, « bien manger, c’est bien se tenir à table », les manières de table apparaissant moins être une contrainte qu’une marque de respect, notamment « ne pas parler la bouche pleine » (89%) et « ne pas sortir de table avant la fin du repas » (78%) [28]. Dans cet échantillon, 84% des répondants déclarent « faire attention à leur alimentation (= « varier son alimentation » ; « ne pas cuisiner trop gras » ; etc.) et 81% estiment que manger sainement équivaut à ne pas grignoter entre les repas. Ceci allant de paire avec l’observation en phase qualitative d’un hyper-investissement de certains repas (avec sociabilité, festivité, présentation soignée) et le désinvestissement de l’acte alimentaire solitaire ou à visée fonctionnelle (avaler vite-fait quelque chose, sauter le déjeuner). Il est intéressant de noter que 72% des répondants se disent tout-à-fait d’accord et assez d’accord avec la proposition « manger dans de la belle vaisselle fait que l’on a plus de plaisir à manger » ; 47% adhérant à la proposition « l’on apprécie mieux ou différemment le goût des aliments », le contenant influençant la perception du contenu. Selon l’ethnologue Y. Verdier, une « cosmétique » - au sens étymologique d’ordonnatrice - permet de garder en ordre ce qui risque d’être livré au désordre ; la cuisine, le repas, la table joueraient ce rôle ordonnateur [29]. Le repas à table et les manières de table participent d’une « esthétique de la vie quotidienne » susceptible de la transformer en art de vivre et d’être étendue aux liens sociaux par agencement, organisation de l’espace et du temps (Carré et Jeudy, 2000).

Temps

figure im1

Temps

Temps consacré à manger, moyenne par jour/mn
Source : OCDE, 2009

Synchronisme alimentaire

figure im2

Synchronisme alimentaire

A 12.30, 54.1 % des Français sont en train de manger ; à 13.10, 17.6 % des Britanniques (T. de Saint Pol, 2007.
Source : Time use survey, ONS, 2000 et Enquête emploi du temps, INSEE, 1998-99)
Dans le monde, c’est en France que l’on consacre le plus de temps à manger, en moyenne par jour / mn

15La sociabilité alimentaire, la commensalité et les manières de table (des règles de commensalité), le temps consacré à manger, le synchronisme alimentaire et les horaires des repas sont structurés socialement et structurant du repas comme de l’alimentation des individus. En France, les heures des repas forment des pics nets, avec plus d’un mangeur sur deux qui s’alimente à midi et demi, fait non observé chez les Britanniques dont les prises alimentaires s’étalent davantage au cours de la journée.

16Cette enquête de la CCAF a également permis d’analyser la distribution des repas selon qu’ils sont pris seuls ou à plusieurs : en France, en 2007, 8 repas sur dix étaient « conviviaux ». Leur durée est > à 27 mn (40%), > à 33 mn et < à 45mn (25%) et ? à 1 heure (15%).

Les repas des français ont des horaires bien placés

figure im3

Les repas des français ont des horaires bien placés

Distribution des prises alimentaires des français selon l’heure et les occasions (en %)
Base : Prise alimentaires des adultes promo-étudiants (18 ans et plus) en % du nombre idéal de prises sur sept jours de consommation alimentaire
Source : CRÉDOC Enquête CCAF, 2007
Toutes prises alimentaires considérées, les horaires des repas au nombre de quatre avec le goûter demeuraient précis en 2007

17Manger à la française suppose notamment un ensemble de règles, le partage d’un repas commun à table (la commensalité, de com, ensemble et mensa, table) autrement désignée par convivialité ou par « sociabilité alimentaire » ; ainsi que du synchronisme alimentaire, la fréquence et la durée des repas. Quid de la transmission de ce modèle dont il est envisageable qu’il joue un rôle « protecteur » contre le surpoids et l’obésité ?

Quel apprentissage fait par les enfants ?

18Un débat existe dans la communauté scientifique à propos des styles éducatifs parentaux (Baumrind 1967, 1971) typologisés par Maccoby et Martin en 1983 en « autoritaires » (authoritarian), « pédagogues » (authoritative), « indulgent » et « neglecful » (négligents) [30].

19D’après François de Singly, commentant un sondage BVA-Nestlé, la famille française contemporaine fonctionne à la souplesse [31]. Pour « acheter » la paix familiale à table en quelque sorte, les parents lâcheraient prise sur les exigences nutritionnelles et les manières de table qu’ils sacrifieraient ainsi à la convivialité. Ce qui expliquerait en partie l’augmentation du surpoids et de l’obésité selon Singly, lequel suggère qu’une solution réside « sans doute dans l’invention de repas différenciés en famille », ce que permettent des « offres alimentaires de plus en plus individualisées ».

20Une enquête réalisée en 2008-2009 dans les Pays-de-Loire [32] au moyen d’une série d’entretiens en face-à-face conduits dans une vingtaine de foyers choletais (phase qualitative d’étude) et par interrogation de 266 binômes parents-enfant (phase quantitative, questionnaire auto-administré, 13 pages) vérifie au niveau micro-social l’apprentissage du modèle alimentaire français mis en évidence par les résultats de l’enquête macro (transculturelle) évoquée plus haut. Nos conclusion à l’issue de cette étude diffèrent de celles de Singly – peut-être parce qu’elle porte sur des enfants de 5-8 ans et leurs parents ? Il aurait pu en aller autrement avec des adolescents. Probablement même. Synthèse des résultats.

21L’échantillon est constitué sur la base de 266 foyers de la région des Pays-de-Loire, l’une des régions de France où nous savons les enfants âgés de 6 ans parmi les plus « épargnés » par la surcharge pondérale (cf. étude DREES précitée et fig.3), situés en milieu rural ou semi rural (57%) et en milieu urbain (43%).

  • 43% des répondants résident à Cholet (> 50 000 hab.)
  • 57% habitent une commune du Maine-et-Loire (4) ou une commune vendéenne (1)
  • 21,5% des foyers sont situés dans 3 communes rurales (> 500 hab. et < 5 000 hab.)
  • 35,5% des foyers sont situés dans 2 communes semi-rurales (> 5 000 hab. et < 10 000 hab.)
Les parents sont en majorité âgés de 35-44 ans (63%) / 24-35 ans (26%) ; 45 ans et plus (11%) ; les urbains sensiblement plus âgés que les non-urbains ; les femmes sensiblement moins âgées que les hommes.

2278% vivent en couple (mariés, pacsés, concubins, union libre) / 10% vivent seuls (divorcés, séparés, célibataires) ; 12% se sont abstenus de répondre à cette question. La moyenne d’enfants par foyer est de 2,6 - légèrement supérieure à la moyenne nationale. Du point de vue des catégories socioprofessionnelles (nomenclature INSEE appliquée), l’échantillon constitué est relativement contrasté :

  • 47% des parents ont un niveau d’études ou un diplôme supérieur au Bac
  • 46% inférieur ou égal au Bac
  • 7% non-répondants
Le comportement alimentaire de l’enfant est plus souvent jugé « difficile » à 5-6 ans par ses parents (20% des 5-6 ans contre 15% des 8-9 ans), sans distinction entre filles /garçons. Toutefois, la majorité sont qualifiés de « faciles » ou perçus comme n’étant « ni l’un, ni l’autre ».

Réparation par catégorie professionnelle

figure im4

Réparation par catégorie professionnelle

Filles et garçons / âge (n.266)

figure im5

Filles et garçons / âge (n.266)

Observations - Pas de déclaration de chômage pour le chef de famille (NR ?) - Près de 10% de femmes au foyer
Les enfants du binôme, 124 filles et 142 garçons, sont âgés de 4 à 10 ans, majoritairement des 5-8 ans (86%)

Observation

23Tous les questionnaires ne comportent pas les données nécessaires au calcul de l’IMC. Le cas échéant, en tenant compte du sexe, de l’âge et du poids / taille au carré de l’enfant référés à la courbe de croissance, l’insuffisance pondérale paraît plus fréquente que la surcharge pondérale et, ce, chez les filles comme chez les garçons.

24Résumé

25Résidant en milieu rural ou semi-rural et en milieu urbain, plus « cols bleus » que « cols blancs », les répondants sont majoritairement des 35-44 ans vivant en couple, parents de 2 ou 3 enfants dont un enfant ayant participé au projet DisMoiGoût dans le cadre de son école et appartenant à la tranche d’âge des 5-8 ans. Cet enfant, au sein du binôme parents-enfant (266), est à peu près aussi souvent une fille qu’un garçon (respectivement 124 et 142). Lorsqu’il est âgé(e) de 5-6 ans, une fois sur cinq son comportement alimentaire est jugé « difficile ».

Autour du repas : attitudes parentales, apprentissage et alimentation de l’enfant

26On observe que 4 repas structurent la journée (/ « constant eating » américain)

  • Dans l’ensemble, la journée de l’enfant apparaît structurée par quatre repas : les trois repas principaux et le goûter. Le goûter peut être considéré ici comme un « vrai » repas
  • Peu de grignotage déclaré (ou perçu) par les parents en dehors de ces repas, le cas échéant, une fois sur deux, par mimétisme (voir quelqu’un d’autre manger surtout), en réponse à une sollicitation visuelle ou en route : « un morceau de pain en passant par la boulangerie… »
Les repas sont caractérisés par la commensalité, y compris le petit-déjeuner et le goûter :

27Petit-déjeuner

  • Dans 70% des foyers, le petit-déjeuner se prend « tous à table, en même temps » / 21,5% « à table et à la salle de bains à tour de rôle »
  • Font une distinction semaine / week-end : 2,5%
  • En se préparant, sans vraiment s’attabler : 4,5%
  • En route : 1,5%
Le répertoire du petit-déjeuner des enfants et des parents a été interrogé. Celui-ci révèle un « pilotage culturel » à travers la quasi exclusion du « petit-déjeuner à l’anglaise » (œuf, jambon, fromage…) au profit du petit-déjeuner continental. Les parents « n’apprennent » pas volontairement à leur enfant à ne pas manger d’œuf au petit-déjeuner cependant l’enfant fait l’apprentissage de contextes de consommation différenciés. En clair, il peut aimer consommer un aliment dans un contexte, pas dans un autre et de ce point de vue l’œuf du petit-déjeuner ne sera pas l’œuf du déjeuner ou du dîner, quoique sa valeur nutritionnelle reste inchangée.

28De la ressemblance et de la différence parents/ enfant, liée à un effet d’âge : lait et corn-flakes appartiennent au répertoire des enfants, pas à celui des parents dont le petit-déjeuner est typiquement café-tartine beurrée voire confiture et jus de fruits (relativement fréquents, plus que fruits).

29Goûter

  • 91% des enfants goûtent tous les jours et en compagnie de frères, sœurs, camarades et/ou de la mère ; une minorité d’enfants goûtent seuls ; en faisant autre chose (jeux, devoirs…), chacun des résultats < 10%
  • 65% prennent leur goûter à table ; 6% sans s’attabler ; chez 29,5% des enfants, la pratique est déclarée variable (à table ou pas)
Le répertoire du goûter : eau, lait froid, jus de fruits (sodas peu consommés), typiquement un morceau de pain avec un carré de chocolat, avec ou sans beurre, parfois il s’agit d’un goûter invariable (avec variantes : pâte-à-tartiner chocolatée ou compote / petits gâteaux sucrés, secs ou moëlleux…). Exceptionnellement des produits salés sont consommés au goûter.

30Hors goûter, les enfants passent à table un peu plus de 80mn / jour

  • Le dîner légèrement plus long que le déjeuner, ce dernier plus long que le petit déjeuner (15-20mn)
  • Une minorité prend davantage de temps pour dîner (45mn-1h : 26%)
  • Moins de plats sont servis au dîner (typiquement 1 plat garni + 1) qu’au déjeuner, mais sensiblement plus de temps lui est consacré
Observation : un peu plus de la moitié des enfants ne déjeune pas à la cantine tous les jours (influence du lieu de résidence)

31Styles de cuisine et « effet pochoir » des aversions alimentaires

  • Non pas un mais des styles de cuisine, dominés par une cuisine « simple », « traditionnelle », « variée ».
  • Homme et femme cuisinent dans plus du tiers des foyers
  • 7/10, on ne cuisine pas ce qui est objet d’aversion (« les tripes, la langue, les poulpes… » ; « les choux, le poireau, les salsifis… »), éventuellement s’il s’agit de VPO (viande-poisson-œuf). Faute de cuisiner l’objet de son aversion, on ne sait pas toujours si elle est partagée par l’enfant.

L’individualisme alimentaire pèse 23%

32Le cas échéant, cuisiner quelque chose de vite-fait » ; « servir un plat tout-prêt » est soit une réponse unique (46%) ; soit une alternative (54%) à la demande faite à l’enfant de « se forcer un peu » ou au conseil de « se rattraper sur autre chose ». Sauf à considérer les « restes de la veille » comme un plat individuel…

33Parallèlement, peu de parents déclarent offrir le choix du plat principal (14%). Changer et le plat et l’accompagnement est quasi exclu. Le cas échéant, le choix concerne essentiellement les éléments satellites du repas, qui ne se cuisinent pas (dessert en particulier).

Un style éducatif parental combinant souplesse et autorité

34- Règles et consignes nutritionnelles

35Inciter l’enfant à manger certains aliments comme le dissuader d’en manger d’autres se « justifie » et se fonde sur un savoir commun nutritionnel

  • « C’est bon pour la santé » ; « c’est plein de vitamines » ; « ça fait grandir » (7/10 à 5/10)
  • « Ca donne des caries » ; « ce n’est pas pour les enfants » ; « ça fait grossir » (6/10 à 2/10)
A travers ces consignes nutritionnelles, on perçoit que l’attitude incitative ou dissuasive vise plus particulièrement certains groupes d’aliments (fruits et légumes ; produits sucrés voire produits gras notamment). La fréquence de citation respective de ces consignes montre que le style éducatif est argumenté, plus incitatif que dissuasif tout au moins en ce qui concerne l’alimentation car l’apprentissage ne se résume pas au contenu de l’assiette.

figure im6
Q. 45 - “Vous cuisinez un plat pour le diner que n’aime pas l’un d’entre vous mais qui est apprécié des autres membres de la famille. Le sachant, prévoyez-vous…”
Attitude consistante (1 rép.) : 78,6 %
Attitude variable (2 ou 3 rép.) : 22,4 %
Indépendamment du regard porté sur le comportement alimentaire de l’enfant (difficile, facile, ni-ni) - Khi2 - p-value >0.05

36- Règles de table ou règles de commensalité

37Les règles de table (ou règles de commensalité) quant à elles ne se justifient pas. En moyenne on dénombre une quinzaine de règles enseignées par foyer (27 items de réponse proposés), sans différence significative entre catégories socioprofessionelles (CSP).

38Font consensus (8-9 fois / 10) : les règles de politesse ; ne pas se lever de table, se tenir bien à table ; le devoir de goûter avant de dire « je n’aime pas » (aussi au sens de faire honneur aux plats, à celui ou celle qui a cuisiné).

39Chez la majorité (7/10 environ) : règle de respecter la nourriture, de ne pas jouer avec la nourriture.

40Des exceptions, des dérogations sont néanmoins constatées : « manger les frites avec les doigts, sinon, ce n’est pas drôle ! ». Mais des règles qui s’imposent, s’ordonnent.

41Soit un style éducatif parental « combiné », associant consignes nutritionnelles et règles de table.

Des dérogations

42Des « soirées relâche » ; des « plateaux télé » (tendance urbaine, PCS+, < 10%) ; un membre de la famille parfois retenu par son travail, une activité culturelle ou sportive.

43Des sorties au restaurant en famille (Mc DO, cafétéria, brasserie) : la majorité des parents déclarent « toujours » donner le choix à l’enfant mais, en réalité, un choix limité au « menu enfant ».

44? Le cas de l’apéritif enfantin

4588,7% des enfants sont autorisés à prendre un « semblant d’apéritif » avec les adultes, souvent (67%) ou parfois. Tandis que 11,3% des enfants ne participent pas à l’apéritif (que les parents en consomment un eux-mêmes ou pas).

46L’apéritif enfantin constitue une « zone de liberté » qui contribue au maintien du modèle et l’enseigne « en creux ». C’est une forme de transgression sociale ritualisée d’une consigne de santé publique vis-à-vis des produits gras, salés, sucrés, socialement encadrée (à consommer avec modération, une fois sur deux), conférant aux produits consommés une valeur « d’extras ». Cette prise alimentaire permet également à l’enfant de faire l’apprentissage de contextes de consommation différenciés (ordinaire, quotidien / extra-ordinaire).

Répertoire de « l’apéritif enfantin » : gras, salé, sucré

47

  • Jus de fruits (77,1%), sodas (57,6%), eau additionnée de sirop (29,6%)
  • Le verre d’eau consommé au déjeuner n’est pas le verre d’eau consommé à l’apéritif : à ce moment-là, boire un verre d’eau « ça le fait pas ! » (16,5%)
  • Les plus jeunes aux jus de fruits, les plus âgés, plus nombreux à consommer des sodas (ces derniers apparaissent peu lors des autres prises alimentaires, y compris au goûter <10%)
  • Boire sans manger parfois, mais jamais manger sans boire
  • Typiquement des petits biscuits salés (77%), de la charcuterie (51,7%) et du fromage (50,4%)
  • Légumes crus : une tendance urbaine

Répertoire de l’apéritif enfantin : produits consommés

figure im7

Répertoire de l’apéritif enfantin : produits consommés

48D’où conclure que, à table, le groupe familial prime. La commensalité demeure la norme, l’individualisme alimentaire est une attitude minoritaire – servant alors une fois sur deux d’alternative.

49Le style éducatif des parents, avec des 5-8 ans, combine autorité (règles à table) et pédagogie (incitations, consignes nutritionnelles) avec des dérogations occasionnelles (apéritif enfantin par ex.). De ce point de vue la permissivité (i.e. indulgent, neglectful) est rarement un trait dominant des attitudes parentales.

50Toutefois, père et mère n’ont pas nécessairement la même attitude et le style éducatif est susceptible de varier d’un enfant à l’autre, en fonction de l’âge (observation participante, phase qualitative).

51Des influences tant socio-culturelles que familiales sont vérifiées (effet pochoir observé aux deux niveaux) ainsi que la transmission d’un modèle commensal susceptible de jouer un rôle préventif contre le surpoids et l’obésité (Adt et Fischler 2006, 2007 ; Fischler et Masson 2008 ; CREDOC, 2010) en dépit de la « pression » sur le modèle liée à l’évolution du comportement alimentaire : l’influence des facteurs environnementaux et la modification des styles de vie en particulier « poussent » dans le sens de la déstructuration des repas, de la multiplication des prises alimentaires et de l’individualisme alimentaire. De ce point de vue, mentionnons que les conséquences métaboliques de la fréquence et de la déstructuration des repas sont une piste de recherche actuellement explorée par le projet SAFRAN, (Centre de recherche en nutrition humaine (CRNH) de Rhône-Alpes et Institut Paul Bocuse).


Figure 1

Prévalences et projections de l’obésité chez les adultes en 2025

Figure 1

Prévalences et projections de l’obésité chez les adultes en 2025

Source : International Obesity Task Force (IOTF) / International Union of Nutritional Sciences (IUNS, http://www.iuns.org)
Figure 2

Répartition des populations / IMC dans l’Europe des Quinze (hommes et femmes confondus)

Figure 2

Répartition des populations / IMC dans l’Europe des Quinze (hommes et femmes confondus)

Source : Eurobaromètre 59.0, Commission Européenne, 2003 reproduit in Saint-Pol de, 2010, p.107
Figure 3

Prévalences de la surcharge pondérale à six ans selon la région en 2005-2006

Figure 3

Prévalences de la surcharge pondérale à six ans selon la région en 2005-2006

Distribution géographique du surpoids chez les enfants de six ans en 2005-2006 et écarts / moyenne nationale
Source : ministère de la Santé, DREES.
Figure 4

Prévalence mesurée du déficit pondéral, de la normo-pondéralité, du surpoids et de l’obésité parmi les filles et les garçons âgés de 3 à 17 ans en France

Figure 4

Prévalence mesurée du déficit pondéral, de la normo-pondéralité, du surpoids et de l’obésité parmi les filles et les garçons âgés de 3 à 17 ans en France

Source : Etude Nationale Nutrition Santé, ENNS, 2006.
Figure 5

Rythme de sociabilité alimentaire / catégorie socioprofessionnelle

Figure 5

Rythme de sociabilité alimentaire / catégorie socioprofessionnelle

Lecture : en ordonnée figure le temps consacré à la sociabilité, en minutes, suivant la catégorie sociale de l’individu ; en abscisse les neuf plages horaires, définies selon l’heure du jour et le jour de la semaine.
En 1986, les cadres consacraient le samedi soir en moyenne 46 mn à la sociabilité alimentaire, et les agriculteurs 19 mn.
En 1998, les cadres consacraient le samedi soir en moyenne 43 mn à la sociabilité alimentaire, et les agriculteurs 38 mn
Sources : enquêtes Emploi du temps 1985-1986 et 1998-1999, Insee.

Bibliographie

Références bibliographiques

  • Adt V., « Les enfants à table », La Recherche n°443, juillet/août 2010, pp.78-80
  • Adt V., Fischler C., Les journalistes, les médias et l’obésité, rapport d’exécution de la convention DGS/ENSANS du 3 mai 2004 et DGS/ENSANS du 7 septembre 2005, vol. 1, 100p. et vol. 2, 52p.
  • Fischler C., Masson E. (dir.), Manger. Français, Européens et Américains face à l’alimentation, éd. Odile Jacob, Paris, 2008, 336p.
  • Larmet G., « La sociabilité alimentaire s’accroît », Economie et Statistique n°352-353, INSEE, 2002, pp. 191-211
  • Pettinger C., Holdsworth M., Gerber M., « Meal patterns and cooking pratices in Southern France and Central England », Public Health Nutrition :9(8) 2006, pp.1020-1026
  • Poulain J.-P., Sociologie de l’Obésité, PUF, Paris, 2009, 360p.
  • Saint Pol (de) T., « Le dîner des Français : un synchronisme alimentaire qui se maintient », Economie et Statistique n°400, INSEE, 2006, pp. 45-69
  • Tavoularis G., Mathé T., « Le modèle alimentaire français contribue à limiter le risque d’obésité », CREDOC n° 232, sept.2010

Mots-clés éditeurs : comportement alimentaire, prévention obésité, culture

Mise en ligne 11/01/2014

https://doi.org/10.3917/rsi.106.0016

Notes

  • [1]
    Popkin B. et Doak C., « The Obesity is a worlwide Phenomenon », Nutrition Reviews, april 1998 ; vol. 56 (4) : 106-114
  • [2]
    « Elaborer des politiques de prévention à l’intention de populations entières [lesquelles] pourraient consister à promouvoir des modes de vie sains, notamment une alimentation moins riche en calories (consommation accrue de légumes, fruits et céréales), plus d’activité physique (la marche par exemple) et des changements de comportement axés notamment sur une surveillance régulière du poids plutôt que sur une perte brutale de poids »
  • [3]
    Franz M., VanWormer J., Crain A. et al. “Weight-loss outcomes : a systematic review and meta-analysis of weight-loss clinical trials with a minimum 1-year follow-up”, J Am Diet Assoc 2007 ; 107 : 1755–67
  • [4]
    Etude conduite par Majid Ezzati, comparant les données relatives à 199 pays et territoires entre 1980 et 2008, The Lancet, vol.377, Issue 9765, p.527, 12 feb. 2011
  • [5]
  • [6]
    Flegal K., Caroll M., Ogden C et al., « Prevalence and Trends in Obesity Among US Adults, 1999-2008 », JAMA 2010 ; 303(3) : 235-241
  • [7]
    Ng S., Zaghloul S., Ali H., Harrison G et Popkin B., « The prevalence and trends of overweight, obesity ans nutrition-related non communicable diseases in the Arabian Gulf States », Obesity Reviews, vol.12, Issue 1, january 2011, pp .1-13
  • [8]
    cf supra
  • [9]
    Ezzati M., Finucane M., Stevens G., Cowan M. et al., « National, regional and global trends in body-mass-index », The Lancet, vol. 377, Issue 9765, pp. 557-567, feb. 2011
  • [10]
    Source : Saint-Pol (de) T., Populations & Sociétés, n°455, INED, avril 2009
  • [11]
    AFSSA, Etude Individuelle Nationale des Consommations Alimentaires 2 (INCA 2), 2006-07, sept. 2009 (version 2), 225 p.
  • [12]
    Amadieu J.-L., Le poids des apparences, éd. Odile Jacob, 2005, 199 p.
  • [13]
    Une campagne de mensuration distincte pour les plus de 70 ans a été lancée par l’IFTH en 2007, dont les résultats ne sont pas communiqués à ce jour. D’après ObEpi 2006, qui permet d’estimer la distribution de l’obésité chez les personnes âgées, malgré les réserves méthodologiques précédemment exprimées (mesures auto-déclarées), parmi les 65-69 ans, la prévalence de l’obésité est plus forte qu’en population générale (respectivement 17,9% et 12,4%) puis diminue au fur et à mesure que les personnes avancent en âge (11,6% chez les 80 ans et plus). Par ailleurs, selon la Haute Autorité de Santé, 350 000 à 500 000 personnes âgées vivant à domicile et 100 à 200 000 en institution souffriraient de dénutrition.
  • [14]
    DREES, La santé des enfants en grande section de maternelle en 2005-2006, Etudes et Résultats, N°737, sept. 2010
  • [15]
    Laurent Degos, cité en introduction du Rapport d’information n°1131 de l’Assemblée Nationale, oct. 2008, p.11.
  • [16]
    Source INSEE (PIB) et Ministère de la Santé (comptes de la santé)
  • [17]
    Source : dépêche AFP, juin 2011
  • [18]
    Liste modifiée par le Décret n°2004-1049 du 4 Octobre 2004
  • [19]
    Prévalence et projections relatives aux diabètes dans le monde, cf. Wild S. et al., Diabetes Care. 2004 ; 27 (5)-1047-53 ; Ezzati M. et al., The Lancet, vol. 378, Issue 9785, pp. 31-40, july 2011
  • [20]
    Emery C., Dinet J., Lafuma A., Sermet C., Khoshnood B. Fagnani F., Evaluation du coût associé à l’obésité en France, La Presse Médicale, 2007/6, tome 36, n°6, cahier 1, pp. 832-840
  • [21]
    Adt V., Fischler C., Enquête Les journalistes, les médias et l’obésité, Rapport d’exécution de la convention DGS/ENSANS du 3 mai 2004, vol.1., 100p. ; Rapport d’exécution de la convention DGS/ ENSANS du 7 septembre 2005, vol.2, 52p.
  • [22]
    L’association de l’obésité aux jeunes (enfants et adolescents) est récurrente, explicite dans 78% des articles analysés et fait à l’époque peu de place au thème des inégalités sociales (5%).
  • [23]
    J.-P. Poulain traitant des controverses comme prix à payer de « l’agendatisation » évoque quant à lui une « rhétorique de l’agrégation » : chap.4, in Sociologie de l’Obésité, éd. PUF, 2009
  • [24]
    Lettre d’Information du CETSAH, n°2, été 2007
  • [25]
    Larmet Gwenaël, La sociabilité alimentaire s’accroît, Economie et Statistique n° 352-353, 2002, pp. 191-211.
  • [26]
    Fischler C. et Masson E. (dir.), Manger – Français, Européens et Américains face à l’alimentation, éd. Odile Jacob, Paris, 2008, 336p.
  • [27]
    Op. cit. supra, p.49
  • [28]
    Institut QualiQuanti pour le Comité Professionnel de Développement de l’Horlogerie, de la Bijouterie, de la Joaillerie et de l’Orfèvrerie, département des Arts de la Table, Comment les arts de la table contribuent à « mieux manger », sept.2008
  • [29]
    Verdier Y. Pour une ethnologie culinaire, L’Homme, 1969, tome 9 n°1, pp 49-57
  • [30]
    Discussion en fonction de l’âge, du sexe des enfants : e.g. style permissif (indulgent, neglectful) plus fréquent avec les garçons que les filles (S. Kremers et al., Appetite 41, 2003) ; en fonction des origines culturelles et du milieu socio-économique (S. Hugues et al., Appetite 44, 2005)
  • [31]
    Singly (de) F., « La famille contemporaine fonctionne à la souplesse », Le Monde, éd. 10 avril 2010, p.19
  • [32]
    Adt V., Fischler C., Merdji M., « Autour du repas : attitudes parentales, apprentissage et alimentation de l’enfant », contribution du Lesma (AUDENCIA, Nantes) et du Centre Edgar Morin (EHESS-CNRS, Paris) au projet DisMoiGoût du Pôle Enfant de Cholet, avec le concours de la Région des Pays-de-La-Loire et de la DRIRE des Pays-de-La-Loire, 2008-2009
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