Problématique
1En l’espace de quelques mois, les relations entre le personnel du service alimentaire et les membres des équipes soignantes d’un centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) se sont gravement détériorées. Les plaintes fusent de toutes parts. Les résidents du centre d’hébergement soulignent que les employés se querellent entre eux lors des repas et qu’ils ne leur donnent pas les aliments demandés. Les membres des familles trouvent que les résidents ne mangent pas bien et que leurs goûts en matière alimentaire ne sont pas respectés. De leur côté, les employés du service alimentaire rapportent que les soignants n’en font qu’à leur tête, c’est-à-dire qu’ils ne tiennent pas compte des directives de la nutritionniste ni de celles de leur chef de service. Les soignants, quant à eux, sont convaincus que les employés du service alimentaire ne connaissent pas les résidents comme eux. Ils ajoutent d’ailleurs que ceux-ci sont à leur service et non l’inverse. Ainsi, lorsque les soignants rencontrent les employés du service alimentaire, les insultes jaillissent de part et d’autre : « La viande a l’air dur ! », « La vaisselle sale n’est jamais ramassée ! », « La soupe est claire comme de l’eau ! », « Toujours en retard pour chercher les aliments ! », « Les légumes sont trop mous ! », « Les chariots ne sont jamais bien nettoyés ! », « Vite, je n’ai pas juste cela à faire, moi ! », « Arrêtez de vous croire le nombril du monde ! » et ainsi de suite. Des échos de ces mésententes entre les employés des deux services sont même venus aux oreilles des membres du conseil d’administration du centre d’hébergement. Les dirigeants s’interrogent sur ce qu’ils doivent faire pour régler ces relations conflictuelles ; ils ne savent pas par quel bout commencer puisqu’ils n’en connaissent pas les causes. Tous les employés interrogés se disent profondément démotivés.
Cadre Théorique
2Pour être en mesure de comprendre le comportement des employés, il faut s’intéresser à ce qui les motive à agir de telle manière plutôt qu’une autre. La motivation repose sur l’ensemble des impulsions, des désirs, des besoins ou des préférences qui incitent un individu à réagir favorablement ou non ; elle oriente son futur (1). Plusieurs théories de la motivation ont été conçues au cours des dernières décennies ; elles permettent généralement de déterminer les facteurs qui peuvent motiver les employés ainsi que les moyens d’augmenter leur degré de motivation. Parmi les théories qui traitent de motivation, la théorie des besoins de Maslow (2), la théorie ESC d’Aldelfer (3), la théorie des facteurs intrinsèques de McLelland (4) et la théorie des deux facteurs de Herzberg (5) ont suscité l’intérêt et l’enthousiasme de nombreux chercheurs depuis les trente dernières années. Ces théories sont toujours actuelles et largement exploitées au sein des organisations (6). La théorie des facteurs de Herzberg demeure toutefois la plus connue et la plus utilisée. Cette théorie a ses assises dans la pyramide des besoins de Maslow et elle s’intéresse au contenu du ressenti des personnes envers leur travail. Elle permet de classer les facteurs de satisfaction et d’insatisfaction (7). Cette classification se scinde en deux catégories : les facteurs d’hygiène ou d’ambiance et les facteurs de motivation ou de valorisation. Les facteurs d’hygiène sont liés au contexte dans lequel le travail s’accomplit : le degré de supervision, les politiques et les procédures de l’organisation, les conditions de travail, les relations avec les collègues, les subordonnés et les personnes en autorité, le prestige associé au travail, la sécurité d’emploi, le salaire et les avantages sociaux. L’épanouissement, la reconnaissance des réalisations, le travail comme tel, la notion de responsabilité, les chances de promotion ou d’avancement et les possibilités de croissance personnelle relèvent des facteurs de motivation. Ils sont reliés au contenu des tâches à accomplir.
3Les facteurs d’hygiène répondent au besoin d’éviter la souffrance tandis que les facteurs de motivation font référence au besoin de se réaliser. En présence d’une insatisfaction au niveau des facteurs d’hygiène, la priorité est accordée à la modification du contexte dans lesquels œuvrent les employés. Il peut s’avérer nécessaire d’embaucher du nouveau personnel, de restructurer un service, de réorganiser le travail, d’augmenter les salaires, d’offrir la sécurité d’emploi, d’améliorer les conditions de travail, d’appliquer de nouvelles politiques, d’utiliser des groupes de soutien et d’effectuer un processus de résolution de problèmes (8). Lorsque l’insatisfaction se situe au niveau des facteurs de motivation, la tâche doit être enrichie en facilitant une gestion participative, en améliorant la qualité totale, en favorisant l’acquisition de nouvelles connaissances et le développement de nouvelles habiletés, en augmentant le niveau des responsabilités, et en favorisant l’accroissement de l’autonomie ou du ressourcement (9). La connaissance accrue des facteurs d’insatisfaction guidera l’action des gestionnaires (10).
4Considérant la vulnérabilité des résidents en centre d’hébergement ainsi que leur difficulté à satisfaire leurs propres besoins alimentaires, une action rapide est requise lors de situations conflictuelles entre travailleurs, car les mésententes peuvent influencer la qualité de la vie des résidents. En plus de vivre sous une tension constante, ces résidents ne reçoivent pas les aliments appropriés à leur état de santé du point de vue de viscosité, de texture et de consistance. Les problèmes nutritionnels étant devenus monnaie courante dans les maisons d’hébergement (11), tout ce qui peut perturber l’activité de l’alimentation doit être éliminé. Il importe donc d’améliorer l’ambiance de travail et la communication entre les employés responsables de l’alimentation des résidents, soit le personnel du service alimentaire et les membres de l’équipe de soins. Pour ce faire, l’ambiance de travail entre les employés responsables de l’alimentation des résidents doit être amélioré. Avant d’entreprendre des actions concrètes, une étude est réalisée dans le but d’améliorer les relations de travail entre le personnel du service alimentaire et les membres des équipes de soins du centre d’hébergement. Les objectifs spécifiques de l’étude se rapportent à l’identification des insatisfactions et à la détermination des pistes de solution.
Méthodologie
5La recherche-action est utilisée pour atteindre les objectifs de recherche. Elle permet d’étudier des phénomènes sociaux liés au changement, à partir de mise en acte dans les situations sociales concrètes, avec les acteurs concernés, d’où émerge une réorientation des actions (12). C’est un contrat formel et structuré qui a pour objectif de passer à l’action et d’élever le niveau de conscience des participants voire même des chercheurs (13). Ce type de recherche transforme le système social en donnant la parole à l’être humain dans l’action et le changement de son mieux-être (14). Les insatisfactions sont évaluées en fonction d’un modèle précis en vue d’obtenir des pistes d’action. Pour arriver aux résultats, la recherche qualitative passe à travers quatre étapes : la collecte des données, la condensation des données, l’organisation des données et l’interprétation/vérification des données. La collecte de données s’effectue sous la forme d’une enquête écrite, la condensation et l’organisation des données se font avec la technique du groupe nominal et l’interprétation/vérification se produit selon l’analyse du contenu. L’enquête écrite est réalisée par un questionnaire ; elle permet de recueillir les insatisfactions et les pistes de solution. En ce qui a trait au groupe nominal, il consiste en huit rencontres, deux avec le personnel du service alimentaire, deux avec les membres de l’unité 1, deux avec les membres de l’unité 2 et deux avec les membres de l’équipe de soir ; les rencontres viennent confirmer les insatisfactions et les pistes de solution. Quant à l’analyse de contenu, deux juges évaluent les verbatims de manière indépendante puis se réunissent en vue d’un consensus.
6L’échantillon est composé de dix-sept sujets, cinq personnes du service alimentaire et douze, des équipes de soins. Une cuisinière, deux aides-cuisinières, deux aides à l’alimentation, deux infirmières de jour, une infirmière de soir, deux infirmières auxiliaires et sept préposés féminins et masculins de jour et de soir ont répondu aux questions de l’enquête. Tous les titres d’emploi des travailleurs concernés par les conflits relationnels y sont représentés. Quatre hommes et treize femmes font ainsi partie de l’échantillon. La moyenne d’âge est de 41 ans, avec un écart-type de 10, 3 ; l’âge s’étend de 23 à 58 ans.
7L’observation directe des contacts humains entre les deux types d’employés confirme les relations conflictuelles lors des repas des résidents. La technique de l’entretien collectif ne pouvait pas être utilisée devant des employés qui s’insultent lorsqu’ils sont en présence des patients. Les employés de chacun des services impliqués sont rencontrés lors d’une séance d’information. Le but du questionnaire leur a été expliqué ainsi que ses objectifs. Les chercheurs veulent les aider à comprendre ce qui cloche entre les deux services. Ils agissent en toute neutralité ; ils ne sont pas là pour prendre le parti d’un groupe en particulier. La confidentialité des réponses leur est assurée ; en effet, dès que les verbatims des questionnaires complétés sont retranscrits sur un document, ils sont détruits. Aucune personne ne peut être identifiée à l’aide des verbatims. Les actions préconisées ne devraient viser aucun employé en particulier. Le rapport fourni à la fin de l’étude est donné à la direction avec leur accord sur le contenu. Sur le questionnaire, ils indiquent leur âge, leur sexe et leur titre d’emploi. Ils répondent ensuite à deux questions : « Quels sont les insatisfactions que vous vivez avec le service alimentaire ou avec l’équipe de soins ? » et « Quelles sont les solutions que vous préconisez pour régler vos insatisfactions ? ». Les questionnaires sont ensuite remis en main propre aux chercheurs. Les verbatims des questionnaires sont retranscrits sur un document que les juges vont consulter individuellement puis ensemble.
8En plus des actions dégagées, des facteurs de Herzberg sont ensuite proposés aux employés des deux services lors de rencontres en groupe nominal, les verbatims sont lus puis commentés par les participants de chaque groupe, ils font pareil pour les pistes de solution. Les employés du service alimentaire sont consultés sur les verbatims des membres de leur groupe et non sur ceux des membres des équipes de soins, la même chose pour les soignants. Un journal de bord recueille les commentaires des rencontres avec les employés du service alimentaire et les membres des trois équipes soignantes. Un rapport regroupant les verbatims pertinents, les facteurs d’hygiène et de motivation des travailleurs des deux services ainsi que les actions suggérées est remis à la direction de l’établissement de santé.
9L’analyse de contenu des verbatims se fait à l’aide du modèle de Herzberg sous deux catégories, les facteurs d’hygiène et de motivation. D’après les définitions des éléments du modèle, les deux juges, une nutritionniste et une infirmière classifient les insatisfactions et les pistes de solution selon les sous-catégories suivantes : la réalisation, la considération reçue, le travail lui-même, la responsabilité, l’avancement, la croissance, les politiques ou la gestion, la supervision reçue, les relations interpersonnelles, le salaire et les bénéfices, les conditions de travail et la sécurité d’emploi. Les six premières sous-catégories se rapportent aux facteurs de motivation ou de valorisation et les sous-catégories suivantes relèvent des facteurs d’hygiène ou d’ambiance.
Résultats
Les employés du service alimentaire
10Le travail comme tel compte dix énoncés dont en voici quelques-uns : « les commandes arrivent trop tard des unités de soins », « il y a trop de tâches pour le temps que nous disposons », « il manque de nourriture pour les résidents », « il n’y a pas de choix valable » et « le menu n’est pas respecté les fins de mois ». Les relations avec les collègues se manifestent dans trente-six énoncés dont en voici quelques exemples : « malgré nos avertissements, le personnel de soins passe impunément derrière le comptoir de service lorsque nous travaillons à l’heure de la distribution des repas », « lors du service, surtout le soir, tout le monde parle en même temps », « les gens ne sont jamais satisfaits, ils se plaignent constamment », « ils veulent tout en même temps, pas dans 5 minutes », « personne ne consulte les cartons des allergies et si on leur signale, ils deviennent agressifs et insultent le personnel au comptoir », « il y a autant de façon de faire qu’il y a de préposés, chacun est maître du résident ». Les relations avec les supérieurs les inquiètent. Quatorze énoncés s’y rapportent : « nous avons l’impression que nous n’avons pas notre mot à dire », « plusieurs supérieurs ont des attitudes méprisantes à notre égard », « nos supérieurs ne nous soutiennent pas », « la direction exerce trop de pression sur notre travail », « la tension est visible entre la diététicienne, la responsable du service alimentaire et les responsables des soins et nous devons subir tout cet ensemble de petits patrons ».
11Deux facteurs d’hygiène ou d’ambiance qui ont été retenus par les juges et validés par le personnel du service alimentaire sont les relations avec les collègues et les relations avec les supérieurs que l’on retrouve dans une cinquantaine d’énoncés. Le travail en tant que tel, l’un des facteurs de motivation, ne représente qu’un sixième de l’ensemble des énoncés. Ils n’ont pas fait mention de réalisation, de considération reçue, de responsabilité, d’avancement et de croissance. Beaucoup de propos concernent la supervision reçue et les relations interpersonnelles. Le nombre plus important de facteurs d’hygiène met de la pression sur la direction pour que celle-ci modifie l’entourage des employés du service alimentaire.
12Les vingt-huit solutions répertoriées par les employés du service alimentaire se rapportent à l’organisation de la distribution alimentaire, au travail du supérieur et de la compagnie qui le chapeaute et aux rencontres avec les membres de l’autre service. L’organisation de la distribution découle des affirmations suivantes : « les résidents devraient se présenter plus tard » et « on devrait augmenter le personnel au comptoir à l’heure des repas ».Le travail de leur supérieur et de la compagnie qui l’embauche est souvent pris à partie dans les énoncés suivants : « la compagnie devrait mieux nous soutenir et écouter nos problèmes une fois la semaine » et « surveiller les employés des soins lors de la distribution des repas ». Les rencontres avec les membres de l’autre service leur apparaissent bénéfiques dans les propos suivants : « il faudrait avoir des rencontres avec les soignants pour comprendre ce que le personnel alimentaire vit à la cuisine, nous sommes des travailleurs et des syndiqués comme les employés aux soins » et « il faut expliquer au personnel de soins que ce n’est pas nous qui décidons du menu, nous ne faisons que cuisiner les plats du menu ».
Les membres des équipes de soins
13Les relations avec les collègues recueillent treize énoncés suivants : « le personnel au service alimentaire est stressé, maussade et irritable », « les employés du service alimentaire répondent négativement aux employés des soins, et ce, sans vérifier », « c’est nous le service essentiel, pas eux ; ces employés doivent être à notre service ! », « le personnel de soins doit constamment les mettre à l’ordre ». Le travail comme tel se retrouve dans trente-huit énoncés dont les plus intéressants sont : « ils perdent du temps avec la manipulation de l’argent », « le matin, ils laissent le service pour commencer la vaisselle », « ils vont et viennent de la cafétéria à la cuisine, car ils ont toujours oublié quelque chose ; ils perdent du temps et ils sont mal organisés ».« Après 13 heures p.m., il est impossible d’avoir de la nourriture pour les résidents à l’exception des sandwichs », « le montage des chariots cause des difficultés », « ils ne prennent pas le temps de préparer la table chaude avant de commencer, alors il manque souvent quelque chose », « les habitudes et la façon de faire du personnel n’ont pas été modifiées depuis 20 ans ». Les relations avec les supérieurs surtout celui de l’autre service apparaissent dans quatorze énoncés ; à titre d’exemple : « leur patron manque d’ouverture d’esprit », « elle nous reçoit comme une porte de prison », « nous sommes tannés que la direction n’écoute pas ses employés et ne tienne pas compte de ce que le personnel lui dit ».
14Les membres des équipes de soins retiennent les mêmes facteurs du modèle de Herzberg que leurs collègues du service alimentaire soient : les relations avec les collègues, le travail comme tel et les relations avec les supérieurs, mais le poids des énoncés est différent. Le facteur de motivation, le travail comme tel, compte le plus d‘énoncés, soit près de 60 % des réponses. Les relations avec les collègues et avec les supérieurs représentent respectivement près de 20 % de l’ensemble des énoncés. L’importance accordée à ces trois facteurs devrait inciter la direction à enrichir les tâches des employés.
15Quarante-sept solutions sont rapportées par les soignants soient l’amélioration de la formation des employés, la réorganisation du service alimentaire, la collaboration entre le personnel impliqué dans l’alimentation et la modification des comportements personnels. La formation des employés se traduit dans les réponses suivantes : « apprendre de nouvelles méthodes de travail », « former le personnel aux nouveaux besoins des résidents », « augmenter les connaissances sur les diètes » et « renseigner le personnel attitré aux soins sur leurs responsabilités respectives ». La réorganisation du service alimentaire se retrouve dans les énoncés suivants : « présenter des aliments de meilleur goût », « une vraie cuisine maison » et « des choix de desserts intéressants ». La collaboration entre le personnel concerne les énoncés : « se rencontrer pour se parler » et « régler les plaintes au fur et à mesure ».La modification de leur comportement personnel relève des énoncés : « faire preuve d’un peu plus de patience et de civisme », « attendre son tour et être poli » et « être à l’écoute des résidents et de leur famille lors des repas ».
16Globalement, les deux parties concernées désirent que les conflits relationnels cessent. Lors du groupe nominal, ils soutiennent qu’ils ne s’en veulent pas personnellement. Ce sont le fonctionnement du service alimentaire et la production et la distribution qui ont besoin d’être modifiés en profondeur.
Discussion
17En accord avec l’interprétation du modèle de Herzberg, les facteurs d’hygiène causent le plus de problèmes aux travailleurs du service alimentaire, principalement les relations de travail avec leurs collègues des soins. Les relations de travail avec les supérieurs les affectent à un degré moindre tandis que le travail en tant que tel, un facteur de motivation, les préoccupe moins que les deux autres. Comme les problèmes relationnels sont prépondérants, la modification des éléments perturbateurs devient une priorité, les collègues et les supérieurs en sont maintenant conscients. Qui plus est, ils ont besoin de ventiler ce qu’ils vivent au quotidien. La direction a réaménagé la production et la distribution des aliments de façon à ce que le personnel du service alimentaire ait moins de contact avec les membres du personnel de soins. Elle a amélioré l’alimentation en dictant des fiches portant sur les régimes de chaque résident. Un nouveau patron a été engagé pour diriger le service alimentaire. Le personnel du service alimentaire a reçu le soutien de tous les autres types d’employés dans leur démarche. Contrairement aux employés du service alimentaire, les insatisfactions des soignants se rapportaient davantage aux facteurs de motivation. C’est le travail lui-même qui les perturbe le plus. Ils ne sont pas satisfaits du fonctionnement actuel du service alimentaire et de la production des aliments fournis à la clientèle. Les facteurs d’hygiène problématiques soient, les relations avec les collègues et avec les supérieurs les dérangent beaucoup moins puisqu’ils ne sont pas la cible des plaintes émises sur l’alimentation par les résidents et leur famille. Ils se voient comme des courroies de transmission de l’insatisfaction alimentaire et ils disent faire leur travail en dénonçant la mauvaise qualité des aliments. Ils n’ont pas conscience de leur implication dans le processus de détérioration de l’alimentation des résidents. Comme le travail représente un problème en soi, la direction effectue l’enrichissement des tâches par un programme d’acquisition des connaissances et de développement des habiletés en alimentation.
18En ce qui a trait aux facteurs de motivation (l’épanouissement personnel, la reconnaissance des réalisations, l’augmentation des responsabilités et le développement professionnel), la direction les considère comme des attentes très personnelles de leurs employés. Les travailleurs ne les ont pas retenus non plus. Beaucoup d’entre eux trouvent leur épanouissement ailleurs. La reconnaissance de l’accomplissement du travail est une denrée rare en milieu de soins ; les gestionnaires préfèrent s’attaquer à ce qui accroche. Le nombre des responsabilités étant déjà élevées, les employés sont peu enclins à en accepter d’autres. Le développement des compétences du personnel coûte cher et donne rarement des résultats tangibles à court terme.
19En ce qui concerne les facteurs d’hygiène (les politiques et les procédures, la supervision, les conditions de travail, le salaire, le statut professionnel et la sécurité d’emploi), ils n’ont pas été retenus par les employés de l’organisation puisqu’ils ont presque tous des éléments liés à des négociations entre les travailleurs du réseau de la santé et des services sociaux et les représentants gouvernementaux de ce secteur. Les conventions collectives sont renégociées généralement au bout de deux à cinq ans ; les articles négociés ne peuvent être changés. Les politiques et les procédures sont souvent des règlements imposés par les corporations professionnelles. Les employés savent bien que leur organisation n’a pas de pouvoir sur les articles négociés et les règlements.
20En se basant sur les principes sous-jacents de la théorie des facteurs d’hygiène et de motivation de Herzberg (15), la direction a aussi adopté les comportements suivants lors de la modification du travail et du soutien des employés du service alimentaire et de l’enrichissement des tâches des membres des deux unités de soins : cibler les comportements positifs des employés, encourager la prise de décision des employés, communiquer directement avec les travailleurs, souligner l’excellence des employés ou des groupes, offrir de la formation et maintenir un système d’évaluation de la satisfaction des familles et des résidents du travail des employés. Le changement organisationnel n’est possible que si la direction soutient ses employés.
21La plus grande force de l’étude est liée au fort niveau d’implication des participants. En effet, tous les membres du personnel de la cuisine se sont prononcés et le tiers des soignants ont répondu aux deux questions relatives à l’insatisfaction et aux pistes de solution. La plus grande difficulté rencontrée lors de l’étude est liée au fait que les participants éprouvaient de la difficulté à énoncer des pistes de solution. Ils voyaient bien ce qui n’allait pas, mais ne savait pas ce qu’ils devaient faire. De plus, les juges ont éprouvé certaines difficultés à sélectionner les bons facteurs, car certains énoncés chevauchaient deux ou plusieurs facteurs.
22D’autres chercheurs travaillant sur le même site et utilisant un autre modèle d’évaluation des besoins sont arrivés aux mêmes résultats (16), ils ont utilisé successivement les techniques de l’entretien collectif et de l’entrevue individuelle pour recueillir les données. Même, les interviewers étaient différents. Cette procédure de triangulation, la double collecte des données (17) a permis de valider le contenu de nos résultats. Dans la recherche qualitative, la validité dite méthodologique doit être regardée, ainsi lorsque deux études fournissent des résultats semblables, la validité de l’étude s’en trouve renforcée. La durée prolongée du séjour des chercheurs dans le milieu a permis d’accroître la validité de cette étude. Deux ans plus tard, les actions entreprises dans le centre d’hébergement grâce à un programme de formation, de médiation et de suivi systématique ont favorisé l’acquisition de nouvelles connaissances et le développement de nouvelles habiletés chez les employés. L’embauche d’un nouveau supérieur et la réorganisation de la distribution des aliments auprès du personnel du service alimentaire de même que la création d’un comité permanent sur l’alimentation, regroupant des représentants des deux services, ont permis d’éliminer les conflits.
Conclusion
23Somme toute, la théorie des facteurs d’hygiène et de motivation de Herzberg se révèle un cadre théorique intéressant pour évaluer des problématiques organisationnelles reliées à des situations conflictuelles entre employés de plusieurs services. Il permet, d’une part, de déterminer les besoins des employés et, d’autre part, de guider l’action en proposant des stratégies d’action pertinentes pour satisfaire ces besoins. L’application de cette théorie fournit, entre autres, des éléments fort utiles de réflexion aux chercheurs, aux cliniciens et aux gestionnaires.
24Ce type de recherche a permis d’apporter un nouvel éclairage sur la situation, de faire face aux conflits ou de résoudre des problèmes pratiques du quotidien. Les intervenants des deux services ont pris conscience de leurs différends et par la suite ils ont élaboré des solutions à leurs problèmes.
Bibliographie
Références
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Mots-clés éditeurs : employé, conflit, ambiance, hygiène, motivation, modèle
Mise en ligne 11/01/2014
https://doi.org/10.3917/rsi.103.0092