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Article de revue

Quelles postures professionnelles dans l'éducation à l'observance thérapeutique ? « Deux expériences de terrain »

Pages 106 à 113

Notes

  • [1]
    VIH: Virus de l’Immunodéficience Humaine.
  • [2]
    OMS: Organisation Mondiale de la Santé.
  • [3]
    IST: Infections Sexuellement Transmissibles.
  • [4]
    CSST: Centre de Soins Spécialisé pour Toxicomanes.
  • [5]
    Lire TSO.
  • [6]
    Epistémè: Le consensus d’une époque. Un ensemble de connaissances, d’évidences, d’allants de soi qui prennent le pouvoir dans un groupe social, une époque donnée.

1Dans le cadre d’un parcours universitaire en Sciences de l’Éducation, nous avons été réunis par un intérêt commun pour les pratiques d’accompagnement en éducation thérapeutique en raison de nos cursus professionnels et associatif. C’est à partir de nos expériences respectives que nous avons appréhendé cette thématique ; nous avions fait le constat suivant: les professionnels appellent « éducation thérapeutique » ce qui est principalement de l’information et de l’injonction et le peu de prise en compte de la singularité de la personne dans leur démarche peut parfois favoriser les situations d’échec. Deux études ont donc été menées, l’une portant sur les pratiques de professionnels travaillant auprès de patients porteurs du VIH [1], la deuxième étude s’intéressant à une équipe accompagnant des patients toxicomanes traités par produits de substitution.

2Ces dernières décennies, l’éducation thérapeutique s’est développée de manière concomitante à l’instauration progressive de traitements des pathologies chroniques auparavant impossibles à stabiliser. Selon l’OMS [2], l’éducation thérapeutique est un processus continu, intégré dans les soins et centré sur le patient.

3Ce processus éducatif comprend des activités organisées de sensibilisation, d’information, d’apprentissage et d’accompagnement psychosocial concernant la maladie, le traitement prescrit, les soins, l’hospitalisation et les autres institutions de soins concernées. Il vise à aider le patient et son entourage à comprendre la maladie et le traitement, à mieux coopérer avec les soignants et à maintenir ou à améliorer sa qualité de vie. L’éducation devrait rendre le patient capable d’acquérir et de maintenir les ressources nécessaires pour gérer au mieux sa vie avec la maladie.

4Les pratiques d’éducation thérapeutique peuvent poser question par l’écart qui existe entre les objectifs de santé publique souhaités et les résultats observés. Dans le champ du VIH, on observe que les personnes vivant avec le VIH sont infectées par diverses IST [3], quelquefois sur-contaminées par un VIH plus résistant… alors qu’elles sont accompagnées au long cours par des professionnels dans le cadre d’une démarche d’éducation thérapeutique.

5Ce questionnement nous a amené à prendre cette problématique comme objet d’études dans le cadre d’une recherche en sciences de l’éducation. Une première enquête (2006), portant sur l’éducation thérapeutique, a donc été conduite auprès de professionnels dans le champ du VIH/SIDA.

6Une deuxième enquête (2006) auprès d’une équipe pluridisciplinaire intervenant dans un CSST [4] a porté sur l’accompagnement à l’observance thérapeutique des traitements de substitution aux opiacés [5], étude qui a été menée dans le cadre d’une évaluation des pratiques d’éducation thérapeutique. Le rapprochement de ces études a permis de mettre à jour et de comparer les modèles, les concepts en actes dans la pratique de ces professionnels dans des problématiques de santé différentes.

7La plupart des professionnels privilégient une posture éducative basée sur l’instruction de recommandations médicales visant à obtenir des comportements de santé attendus, un accompagnement de l’ordre du guidage se situant ainsi en posture d’agents. Certains ont des pratiques d’accompagnement privilégiant l’autonomie du patient, son développement et l’observance thérapeutique comme processus singulier. Cependant, leur pratique professionnelle semble basée essentiellement sur des savoirs d’expérience. Que nous apprend la mise en exergue de ces écarts? Quel est l’intérêt pour les professionnels de réfléchir à leur posture éducative, de connaître les modèles dans lesquels ils se situent? Est-ce qu’ils les articulent consciemment? Et finalement, quels bénéfices pour le patient?

L’accompagnement des personnes vivant avec le VIH: une prévalence du modèle biomédical de la santé

8Depuis1996, les antirétroviraux se sont systématisés dans la prévention secondaire et le traitement des infections au VIH. Ces traitements demandent des prises quotidiennes à vie (à ce jour, en dehors de toute fenêtre thérapeutique) et présentent fréquemment d’importants effets indésirables; la démarche d’éducation thérapeutique s’est imposée de fait pour accompagner ces difficultés bien que les traitements se soient progressivement améliorés et simplifiés. Pour cette recherche portant sur l’Éducation thérapeutique et accompagnement à l’observance aux traitements antirétroviraux, une approche méthodologique clinique a été privilégiée. Dans cette méthode, l’intérêt est porté sur l’individu en totalité, sur le sujet singulier.

9Il s’agit de découvrir l’autre dans l’écoute de son récit afin de mettre en évidence certains éléments de compréhension du fonctionnement de l’être humain à partir d’un cadre de références théoriques, (Eymard, 2003). Des entretiens semi-directifs ont été menés auprès de professionnels d’un service d’infectiologie (un médecin, trois infirmières, une diététicienne).

10Les entretiens ont porté sur l’éducation thérapeutique effectuée, ainsi que l’accompagnement à l’observance thérapeutique; il était demandé aux professionnels de décrire leurs pratiques d’accompagnement en liens avec l’observance thérapeutique.

L’éducation thérapeutique

11L’« écoute » est le terme utilisé par tous les professionnels pour définir le type d’accompagnement qu’ils effectuent auprès des patients. Mais quand ils décrivent ce qu’ils font et comment ils le font, cette notion d’écoute disparaît au profit de « on va fixer des objectifs », « on voit ce qui peut être modifié », « d’après le rapport Delfraissy », « nous dépistons des problèmes d’observance », « on va donner des règles », « je lui apprends à respecter les normes », « on donne des conseils », « j’oriente », « je corrige les grosses erreurs », « arriver à l’adhésion du traitement ».

12Mieux le patient connaît sa maladie et mieux cela se passe: c’est ce qui est énoncé comme postulat avant toute intervention éducative par certains de ces professionnels. Mais globalement, tous pensent que les bénéfices de la relation se situent dans l’adoption des comportements conformes. On veut que le patient subisse « une transformation » « comprenne ».

13Le discours est orienté sur les effets néfastes d’une mauvaise observance sur la santé, il joue fréquemment sur les registres de la peur et la culpabilité. Par cette insistance sur l’adhésion du patient au protocole de soin et la nature des méthodes de communication mises en œuvre pour l’obtenir, l’éducation thérapeutique effectuée auprès des patients est de l’ordre de la coopération pour le soigné: elle induit chez lui de la passivité vis-à-vis des soignants.

14En effet, cette façon d’envisager le soin et la relation entretenue avec les patients se voit confirmée par l’inscription de ces soignants dans une logique de contrôle du comportement du patient, de l’observance: « on voit si les objectifs sont atteints », « pareil, moins bien », « je calcule », « normes caloriques », « critères…», « échelle d’observance », « si la formulation est correcte, c’est qu’il a assimilé la façon de faire » « on réinterroge » ; ces quelques unités de sens sont extraites du discours des soignants quant à l’évaluation de leur action auprès des patients.

L’observance

15L’observance est l’action d’observer une règle, de la respecter, de s’y conformer, de l’appliquer. Dans le contexte des sciences de la santé, l’observance est caractérisée par le respect de l’ordonnance médicale, la persévérance et l’astreinte c’est-à-dire la capacité à s’astreindre à respecter les prescriptions médicales à long ou très long terme (Wilson, 1963, in Rioux & Sylvain, 2004).

16Pour les professionnels, l’observance se révèle être de l’ordre de l’adhésion, comme une réponse obligatoire au diagnostic posé par le médecin « le raisonnable », « c’est faire ce que dit le docteur », « quand on ne peut pas prendre le traitement, c’est qu’on ne le veut pas », « c’est choisir de démarrer le traitement », et ce, pour tous les professionnels rencontrés. L’adhésion du patient est de l’ordre de la compliance quand le sujet agit avec « 100 % des prises régulières », « 95 % d’observance » en rapport à la norme (Delfraissy en 2002, Yéni en 2006), « une fois démarré, il faut être sur les rails ».

17La compliance décrit un résultat lié au désir du patient de se conformer aux prescriptions médicales: elle suppose un rôle actif du patient sur son traitement, une occasion pour lui de participer aux soins de sa maladie, à sa gestion (Doazan, 1997).

18L’observance n’a donc pour objet que le traitement et le respect des recommandations pour tous les professionnels. Elle est décrite par ces professionnels dans des conditions d’exécution préétablies en dehors du patient, il s’agit de normes, de « règles d’hygiène, d’alimentation », « arriver à la normalité ». Il s’agira pour ces professionnels de vérifier le bon comportement ; les patients sont décrits comme « non observants » « ayant une bonne observance » ou encore « observants » (dans le sens qu’ils respectent les recommandations).

19Quand, dans le discours, sont abordées les questions de stabilité sociale, de recherche d’emploi ou d’argent, de précarité, il s’agit là de difficultés empêchant cette « observance/compliance ». En général, ces difficultés sont prédictives d’une non-observance pour les soignants. Dans le discours, l’observance serait assimilée plus à de la compliance avec une nécessaire adhésion du patient au traitement. L’observance serait recalée au rang de réponse à la question « cette personne prend-telle ses traitements? Oui, elle est observante! (sous entendu entre 95 % et 100 % de prise) ».

20Même si ces professionnels disent « écouter » leurs patients, cette écoute est au service du contrôle du comportement d’observance; alors que tous ces professionnels s’accordent à dire qu’un accompagnement individualisé est essentiel en matière de VIH.

Les pratiques professionnelles

21Une organisation verticale de la prise en charge est exprimée dans le discours des professionnels. Le médecin prescrit, les autres soignants adoptent des postures professionnelles de l’ordre de l’exécution, au service de la prescription: « les consultations sont prescrites par le médecin », « on remplit un document de liaison », « on transmet au médecin », « voir si la prescription faite par le médecin est adaptée », « on signale au médecin », « on est pas habilitées à faire les psychologues », « soit ils sont observants sinon on passe à la psychologue ». Les professionnels se situent comme « agents » au sens d’Ardoino (2000). Même si une négociation est possible avec le patient sur l’aménagement du régime alimentaire, il reste prescrit par le médecin. Certaines infirmières travaillent surtout à la vérification du respect par le patient de la prescription du médecin.

L’accompagnement des personnes sous traitement de substitution aux opiacés: l’articulation de différents modèles

22La deuxième étude a été menée suite à une demande d’un CSST, afin d’entrer dans une démarche d’évaluation des pratiques professionnelles. Pour cette recherche, l’approche méthodologique privilégiée est clinique. 13 professionnels (médecin, psychiatre, chef de service, infirmières, assistantes sociales, éducatrices spécialisées, psychologue, secrétaire) ont été rencontrés. La recherche portait sur l’accompagnement à l’observance thérapeutique des personnes toxicomanes sous traitements de substitution. Les thèmes de l’éducation thérapeutique, de l’observance ont également fait l’objet d’investigation.

L’éducation thérapeutique

23Dans cette catégorie, trois conceptions sont décrites dans le discours des professionnels. Si nous nous référons aux modèles de l’évaluation (Vial, 2003), nous pouvons y retrouver les deux logiques de l’évaluation.

24Il est fait état d’un accompagnement où l’on crée du lien par la confiance, dans une relation où la parole est libérée, où les professionnels et consultants sont partenaires «…ensemble, mais vraiment ensemble, s’il n’y a pas de partenariat, ça ne marche pas… », où la recherche du sens est privilégiée « C’est un travail éducatif, d’écoute et voir un peu ce que veut la personne de l’autre côté…»…nous sommes donc dans une évaluation-questionnement (Vial, 2003).

25Le professionnel est également décrit comme un guide, il va obtenir du consultant son adhésion, il l’aide à mieux s’orienter «…c’est un bateau, quelle que soit la tempête, tu maintiens le cap, tu es toujours là pour aider à remonter dans le wagon et remettre une direction en marche…». Certains professionnels ont également pour modèle le tutorat où la personne doit faire selon les recommandations dictées «…il nous est demandé de les rencontrer pour voir un petit peu avec eux, pour faire un bilan, un diagnostic, en vue d’une orientation vers les soins ».

26Globalement, la démarche éducative des professionnels semble centrée sur le développement du sujet par un ajustement du discours aux problématiques individuelles. Il y est privilégié une meilleure connaissance du sujet, des risques inhérents à sa problématique toxicomaniaque; on l’instruit tout de même des bonnes pratiques face au traitement et aux autres produits toxiques, nous retrouvons ici la logique de l’évaluation-contrôle (Vial, 2003); on peut noter la complémentarité, l’articulation des deux logiques.

L’observance

27Dans ce thème, les professionnels se situent principalement dans le modèle global de la santé positive par adaptation individuelle et ajustement social même si certain éléments du discours relève d’une santé définissant « l’existence du sujet autonome et ouvert sur le monde » (Eymard, 2004).

28Dans le même temps, les professionnels chercheraient à savoir ce que fait la personne avec son traitement, ils s’intéressent aux écarts entre prescriptions et prises de traitement dans le but de mieux gérer le traitement et adapter leur action à la personne, le modèle de l’observance développé est celui de la compliance: «…j’insiste beaucoup sur le fait de mettre carte sur table, c’est-à-dire de venir me le dire… », « …ce n’est pas parce qu’ils le disent pas qu’ils prennent le traitement correctement… ».

29Les obstacles à l’observance décrits par les professionnels et les consultants sont: - socio-économiques (précarité du logement) – sociologiques (le regard des autres, celui de la société) – psychologique (personne fragile) – psycho-sociologiques (des histoires de vie emplies de difficultés, un faible environnement familial, un manque d’étayage,..) – liés aux représentations que se font les personnes de leur traitement, de la perte de repère spatio-temporels, de la peur de la dépendance chez les personnes – liés à la poly-prescription médicamenteuses – liés aux effets secondaires des traitements – liés aux dispositifs institutionnels de substitution.

Les pratiques professionnelles

30Au sein du CSST, les fonctions sont décloisonnées, ce qui génère une certaine polyvalence renforcée par l’attribution d’un référent pour tous les usagers du dispositif (rôle attribué à un membre de l’équipe, I.D.E, A. S ou encore E. S, indépendamment de sa fonction). Les professionnels sont donc polyvalents dans cette fonction de référent. Ils déclarent notamment développer des stratégies, des astuces, des habiletés mises en œuvre en situations pour faire face à l’imprévu inhérent à l’accompagnement de ce public.

31L’ interdisciplinarité est mise en pratique dans le CSST par l’utilisation de la parole, des échanges dans des espaces formels et informels mettant l’usager au centre du dispositif favorisant une approche globale.

32Le rapprochement de ces études a permis de constater une certaine similitude notamment quant aux modèles de la santé et de l’observance chez les professionnels; les modèles de l’éducation et de l’accompagnement sont utilisés de manière différente par les professionnels rencontrés:

  • les soignants accompagnant les patients VIH mettent en œuvre une éducation thérapeutique centrée sur l’instruction et l’application des directives médicales;
  • l’équipe du CSST utilise les modèles de manière complémentaire selon les situations (appliquer et négocier les protocoles médicaux, accompagner les patients dans leur choix de vie).
Les théories de l’apprentissage et les modèles de la santé et de l’évaluation semblent pouvoir éclairer les différents discours des professionnels en matière d’éducation thérapeutique.

Éclairage théorique

33Eymard (2004) a proposé une articulation des trois modèles de la santé et des trois modèles de l’éducation donnant ainsi une grille de lecture, des repères pour éclairer les pratiques professionnelles en matières d’éducation thérapeutique.

Modèle de l’éducation thérapeutique pour une santé biomédicale

34Par l’instruction, l’ objectif est la transmission de savoirs scientifique, il y a une notion de contrôle, de norme.

35En santé, il y a une centration sur la maladie, le problème à soigner que l’on veut éradiquer pour que la personne redevienne indépendante. Ici, la santé « c’est le silence des organes » Leriche (1937). Au croisement de ces modèles, il y a transmission de savoirs médicaux, des protocoles, le patient est informé des dangers, l’éducation basée sur la peur de la maladie et de ses complications. Le soignant est amené à contrôler les bonnes pratiques (Le respect des prises, des horaires et des posologies des traitements antirétroviraux et de substitution mais également le contrôle biologique des toxiques illicites ou non prescrits,…). L’excès d’information médicale élude la question de la rencontre avec l’autre: informer n’est pas communiquer.

36Dans le modèle du développement du sujet (théorie constructiviste), l’éducation thérapeutique serait centrée sur la communication, le patient est aidé à accéder à une meilleure connaissance de soi (fonctionnement organique), son rythme est respecté. Ses difficultés d’adoption des bons comportements de santé sont prises en compte dans l’idée que tout individu à un potentiel de croissance. L’objectif reste la lutte contre les maladies, les écarts au protocole (un non respect de la prise quotidienne de la méthadone par exemple) sont intégrés à la démarche éducative. Dans un modèle socioconstructiviste, c’est le développement de l’individu en tant qu’être social qui est valorisé, le contexte est pris en compte. Il s’agit de développer la conscience individuelle et collective dans une perspective de maîtrise de la non maladie (ex : les groupes de paroles des alcooliques anonymes) pour le bien de soi et celui des autres (Eymard, 2004).

Modèle de l’éducation thérapeutique privilégiant une santé globale et positive

37Par l’instruction, les savoirs scientifiques sont enseignés visant l’adaptation du patient, l’atteinte d’un équilibre, une « bonne santé », la plénitude et le bien-être (« Faites du sport » « manger cinq fruits et légumes!, ….). En privilégiant le développement du sujet, par l’individuel ou le collectif, l’objectif est d’aider la personne à mieux se connaître pour être en harmonie avec son environnement, dans des normes de santé socialement admises (ex: groupe de pairs véhiculant les bonnes pratiques de nutrition…).

Modèle de l’éducation thérapeutique privilégiant l’existence d’un sujet autonome ouvert sur le monde (Eymard, 2004, p15)

38Cela peut être une transmission d’informations pour permettre au patient de faire des choix.

39Dans le développement du sujet, le patient est accompagné dans une connaissance de soi et une prise de décision individuelle dans un environnement social (loi de 2002, un patient co-auteur de son projet thérapeutique, « co-prescripteur »).

40Par l’interaction sociale, il est visé l’autonomie du sujet et des groupes sociaux, il y est travaillé l’autodétermination en santé des sujets.

41De ces modèles de l’éducation thérapeutique découlent des modèles de l’observance.

L’observance comme résultat

42Le modèle biomédical de la santé négative recherche l’adhésion du sujet à la prescription, le soignant va transmettre des informations scientifiques de façon « hiérarchique » verticale, il instruit son patient. Il va contrôler la bonne application de la prescription pour s’assurer de l’apprentissage chez le patient de son problème de santé dans l’objectif de contrôler les bons comportements. Il s’agit en fait d’un conditionnement basé sur la peur de la maladie et la culpabilité du patient. Le modèle de l’observance est celui de la compliance de l’anglais « to comply » c’est-à-dire se soumettre, se conformer (le toxicomane devra se conformer aux règles des programmes de substitution).

L’observance comme processus

43Loin de l’instruction et d’une santé négative, « l’observance apparaît désormais comme une variable dynamique, jamais définitivement acquise mais, au contraire, fluctuante au cours du temps, et dépendante des évènements qui surgissent dans la vie des personnes », Tourette-Turgis. C (2002, p13). Il va s’agir d’accompagner la personne dans ce processus au regard des facteurs pouvant freiner ou favoriser l’observance et de ceux qui la renforcent ; s’intéresser donc « […] aux variables fluctuantes dans la vie subjective du patient et dans sa réalité objective (conditions de vie, évènements) », Tourette-Turgis. C (2001).

Deux logiques de l’évaluation

44

  • Une Évaluation contrôle dans une vision mécaniciste, le monde y est considéré comme « un moteur, que l’homme […] peut démonter, réparer, reconstruire », Vial (2000, p30). C’est la conformité à des normes qui est privilégiée. Des normes qui sont explicites mais également implicites au sujet, il y est retrouvé:
    • L’épistémè [6] (Vial, 2001) de « l’évaluation-mesure ». C’est se situer sur une échelle de mesure. Une hiérarchisation, un tri seront effectués, il sera décrété la valeur: un jugement de valeur sera porté pour sélectionner. Ici, évaluer c’est mesurer. Les comportements sont quantifiés, cette évaluation fournit une évaluation causale à des effets constatés, il y est privilégié l’objectivité de données chiffrées à l’aide d’outils métriques comme des échelles de mesure, des statistiques, les écarts y sont comparés. L’observance est ici compliance.
    • L’épistémè de « la gestion ». Ici, il est tenté d’y faire toujours mieux. Ce modèle contient le précédent, il y est procédé une évaluation-mesure mais pour maîtriser, mieux gérer, mieux fonctionner; il y a une centration sur les procédures, l’efficacité est le maître mot, la valeur est réduite à l’économique pour une meilleure rentabilité des pratiques.
L’individu est évalué au regard d’objectifs auxquels il doit se conformer, l’évaluation s’y réfère.

45En santé, les soins prodigués visent à l’amélioration des comportements de santé, tout sera fait et dit pour que le patient adopte les meilleurs comportements de santé.

  • Une logique du reste avec «l’évaluation-questionnement » comme problématique du sens attentive au processus dans une vision globale du monde « qui rejette en arrière fond l’analyse des détails, des parties: ce qui importe, c’est l’impression le climat général », Vial (2000, p30). Ici, c’est une centration sur les processus, les dynamiques de changement du sujet, les motivations, la valeur est ici qualitative, l’action fait l’objet de questionnement, de recherche de sens. En santé, le patient sera amené à se questionner, à problématiser sur sa santé, les soins… Les obstacles repérés par le patient et le professionnel peuvent être l’objet d’une co-évaluation.

Discussion

46La première enquête a fait émerger un positionnement unique des professionnels alors que l’autre recherche a montré une plus grande diversité. L’intérêt de ces recherches est d’observer sur le terrain l’articulation possible de ces modèles.

47Le modèle de l’instruction et de la santé biomédicale sont toujours présents chez tous les professionnels. L’étude auprès des professionnels du CSST a également montré l’utilisation du modèle de la santé positive et d’une éducation favorisant le développement du sujet.

48L’intérêt des modèles théoriques est de donner des repères, des références pour interroger les pratiques professionnelles. Cela renvoie également à questionner la posture professionnelle des soignants. Connaître les modèles de la santé, de l’éducation… cela peut permettre d’articuler différentes postures professionnelles et par conséquent permettre au patient de modifier également la sienne.

49Le travail sur le discours de ces professionnels était très éclairant quant à la posture de ces personnes en action. Pour postures, il faut entendre un sens particulier c’est-à-dire un « système d’attitudes et de regards vis-à-vis des partenaires, des situations, des objets, dans le cadre des recherches ou des pratiques sociales », Ardoino (2000).

50Il existerait trois postures différentes dans la relation éducative:

  • l’Agent, à qui on prescrit une tâche, on attend de cette personne un produit fini selon une procédure, des moyens, des objectifs précis. Pour évaluer le produit fini de cet agent, il s’agira de mesurer les écarts entre l’attendu et le réalisé.
    « Je redonnais des renseignements au médecin », « nous ne travaillons que sur prescription médicale », « le médecin prescrit le régime », « je fais un compte-rendu au médecin », « tel ou tel problème qui va être identifié par le médecin, nous on traduit en alimentation ». « Les consultations sont prescrites par le médecin », « on remplit un document de liaison », « on transmet au médecin », « voir si la prescription faite par le médecin est adaptée », « on signale au médecin », « on est pas habilitées à faire les psychologues », « soit ils sont observants sinon on passe à la psychologue ». Après lecture des différents discours, il apparaît clairement que certains professionnels sont au service de la prescription, en posture d’« agents ».
  • l‘Acteur; il interprète la prescription. Il va contrôler souvent le travail de l’agent. Mais le sens lui a été donné par la prescription.
  • l’Auteur, c’est le prescripteur, il en est responsable, il peut la changer; il détient un certain savoir et donc un pouvoir.
Peut-on être agent, acteur ou encore auteur en santé? Oui, comme nous venons de le voir. Le médecin est auteur car il prescrit aux patients et aux autres professionnel. Le fait d’apporter des connaissances sur les modèles (ici de santé, d’éducation, d’accompagnement…), c’est mettre le professionnel en posture d’auteur; il va pouvoir réfléchir, questionner le sens de son action, inventer des dispositifs.

51Même si une ligne directrice est donnée par le médecin car il détient des savoirs biomédicaux et scientifiques, le soignant qui accompagne le patient à l’observance est autonome lorsqu’il comprend ce qu’il met en jeu dans sa démarche éducative; il sera en mesure d’opérer des choix selon le patient, le moment, l’étape de la maladie ; il sera capable d’analyser l’impact en terme de santé de son action éducative et d’y trouver du sens, plutôt qu’on lui prescrive le sens, qu’on le lui donne. C’est cette posture d’auteur du soignant qui pourra favoriser l’autonomie du patient par rapport à son problème de santé.

De la coopération…

52Deccache & Lavendhomme (1989) parle d’un passage d’un rapport activité (soignant)-passivité (patient) à celui d’une coopération en référence à Szasz & Hollender cité in Révillot (2006). Dans ce cas, on est encore loin de l’autonomie, la relation est toujours directive vis-à-vis du patient maintenu dans une position d’agent. Le patient est toujours objet de soins parce que le projet de santé est pensé en dehors de lui et lui demande d’y adhérer.

… Au partenariat

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« Avoir comme horizon l’accélération du changement de l’autre et il s’agit bien cette fois d’éducation pour la santé […] Il s’agit que l’autre assume sa maladie ou son risque, qu’il vive avec, qu’il apprenne à prendre soin de lui même dans un projet où il est lui seul responsable ».
Eymard (2004, p21) dans le troisième modèle de la santé

54Il va donc s’agir de favoriser les apprentissages des patients pour qu’ils soient effectivement « […] partenaires des soins de santé avec les professionnels de la santé. Exister prend une place centrale dans le processus de santé », (Ibid., p21). Il s’agit « d’opérer un renversement et de voir le malade comme un créateur de sens, de valeurs, un chercheur itinérant sur sa vie », Tourette-Turgis (2006, p7), il s’agit là de rendre le patient auteur de sa vie.

55L’éducation du patient aurait pour objectif d’accompagner les malades et les non-malades à gagner en autonomie et donc en responsabilité par rapport à leur santé. L’éducation se réaliserait dans une relation soignant/soigné en fonction des valeurs, des connaissances, des savoir-faire, de l’expérience de chaque protagoniste dans une relation de collaboration mutuelle. Le sens du projet et de l’action éducative en santé est co-construit dans la relation où le patient devient avec le soignant co-prescripteur et co-évaluateur.

56Le patient non plus agent-prescrit devient co-auteur de son projet de santé avec le soignant comme l’énonce la loi de 2002 « comme processus de construction d’un système commun de signification avec les soignants », Ravestein (2003). Soignants qui se retrouvent être des « médiateurs » Develay (2000), dans l’écoute du sujet à former, des soignants « passeurs, entremetteurs, catalyseurs, accompagnateurs » (Ibid., p195). Patients considérés en tant que malades mais également personnes et citoyens, l’éducation du patient pourrait aussi s’inscrire dans une dynamique de rencontre de personnes ayant le même problème de santé, une approche socioconstructiviste pour des prises de décisions collectives.

Conclusion

57L’accompagnement des patients ayant une pathologie chronique a amené certains professionnels à modifier leurs pratiques d’éducation en santé. Les modèles de la santé biomédicale et celui de l’instruction ne semblent plus suffisants pour accompagner les patients vivant avec ce type de pathologie. Une première étude portant sur les pratiques d’accompagnement des professionnels en direction des personnes traitées par trithérapie a montré la prévalence du modèle biomédical de la santé induisant une vision unique de l’éducation thérapeutique. Les professionnels pensent qu’écouter les patients est fondamental, qu’un accompagnement individualisé est essentiel mais mettent en œuvre ce positionnement d’écoute surtout dans la visée de contrôler les comportements d’observance. La deuxième étude, portant sur l’accompagnement des personnes sous TSO, a montré également l’existence de ce modèle de santé, toutefois articulé avec d’autres conceptions de la santé et de l’éducation thérapeutique. Le souci du respect de la prescription est toujours présent mais les professionnels s’intéressent également aux obstacles à l’observance et adaptent leur action à la situation de la personne. Des espaces et des temps de parole sont favorisés afin de créer du lien et de nouer des relations s’inscrivant dans un rapport de partenariat.

58Pour les soignants, la connaissance des modèles de la santé, de l’éducation permet une prise de conscience et une réflexion quant aux postures éducatives possibles. Cette posture réflexive du soignant permet d’évaluer les éléments mis en jeu dans la relation avec le patient, elle permet la co-construction du projet thérapeutique, elle favorise le développement de l’autonomie et la responsabilité chez le patient.

Bibliographie

Bibliographie

  • Ardoino. J, Les avatars de l’éducation, Paris: Ed. PUF, 2000.
  • Deccache. A, Lavendhomme. E, Information et éducation du patient : des fondements aux méthodes, Bruxelles: Ed. De Boeck Université, Collection Savoirs & Santé, 1989.
  • Delfraissy. J-F (sous la dir.), Prise en charge des personnes infectées par le VIH. Recommandations du groupe d’experts, Paris : Ed. Flammarion, 2002.
  • Develay. M, A propos de l’éducation du patient, in Sandrin-Berthon, B., L’éducation du patient au secours de la médecine, Paris : Ed. PUF, 2000, p190-198.
  • Doazan, J., Facteurs influençant la compliance, in Actions Traitements, n°52, 1997, www.actions-traitements.org.
  • Eymard. C., Initiation à la recherche en soins et santé, Rueil-Malmaison: Ed. Lamarre, 2003.
  • Eymard. C., Eduquer à ou pour la santé, quels enjeux pour la formation et pour la recherche?, Questions vives, n°5 volume 2. Aix-en-Provence: Ed. Les sciences de l’éducation En question, 2004.
  • Leriche. R, La Chirurgie de la Douleur, Paris: Ed. Masson, 1937.
  • Ravestein. J, Réflexion sur l’autonomie du patient, Aix en Provence: in Revue En questions?, 2003.
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Mots-clés éditeurs : observance, postures professionnelles, éducation thérapeutique, substitution, antirétroviraux

Date de mise en ligne : 11/01/2014.

https://doi.org/10.3917/rsi.092.0106

Notes

  • [1]
    VIH: Virus de l’Immunodéficience Humaine.
  • [2]
    OMS: Organisation Mondiale de la Santé.
  • [3]
    IST: Infections Sexuellement Transmissibles.
  • [4]
    CSST: Centre de Soins Spécialisé pour Toxicomanes.
  • [5]
    Lire TSO.
  • [6]
    Epistémè: Le consensus d’une époque. Un ensemble de connaissances, d’évidences, d’allants de soi qui prennent le pouvoir dans un groupe social, une époque donnée.
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