Introduction
1La période de l’adolescence s’accompagne de changements très rapides aux plans biologique, psychologique, social et personnel. Durant cette période et surtout à l’adolescence précoce, les garçons et les filles atteignent leur maturité sexuelle et vivent leurs premières expériences sexuelles. Bien qu’il n’y ait pas de consensus dans les écrits par rapport à l’âge moyen de la première relation sexuelle, en Espagne, entre 1992 et 2000, l’âge moyen a chuté de 16.5 ± 1.6 ans à 15.7 ± 1.7 ans chez les garçons et de 17.2 ± 1.7 ans à 16.5 ± 1.5 ans chez les filles (Díaz-Gómez et al., 2000).
2Lorsqu’on parle d’activité sexuelle chez les adolescent(e)s, il est nécessaire de parler aussi de contraception. Les méthodes contraceptives les plus utilisées chez les adolescent(e)s sont le condom et la pilule (Martin & Wu, 2000). De nos jours, on préconise l’utilisation combinée de ces deux méthodes, communément appelée Double Dutch (Moore, 2000) laquelle a l’avantage à la fois de prévenir la grossesse et les maladies transmissibles sexuellement. Force est de constater toutefois, qu’un fort pourcentage d’adolescent(e)s n’utilise pas ou peu de méthodes contraceptives (Deschamps, et al., 1997). Cette tendance est aussi présente chez les adolescent(e)s espagnols (Dicenso & Griffith, 1998 ; Fernández, et al., 1999 ; Schering, 1999). Cette négligence entraîne des conséquences directes très importantes pour eux-elles, telle une augmentation du nombre de grossesses non désirées (Brookman 1992 ; Corcoran, 1998 ; DiCenso & Van Dover, 2000 ; Forget, Bilodeau & Tétreault, 1992) et par la même occasion, une augmentation des maladies transmissibles sexuellement, dont l’infection par le VIH (Brookman, 1992 ; DiCenso & Van Dover, 2000). Ces conséquences ont, à leur tour, des répercussions personnelles, familiales et sociales non négligeables.
3Au plan personnel, il y a une augmentation des problèmes de santé chez la mère adolescente et l’enfant (DiCenso & Van Dover, 2000 ; Corcoran, 1998 ; Ruiz, et al., 1997 ; Stevens-Simons & McAnarney, 1992). On observe un accroissement de l’utilisation des services de santé et du décrochage scolaire d’un ou des deux parents (Rodríguez & Carbelo, 1999 ; Corcoran, 1998 ; Forget, Bilodeau & Tétreault, 1992 ; Stevens-Simons & McAnarney, 1992). Au plan familial, il y a une plus grande dépendance économique et instrumentale des services sociaux (Rodríguez & Carbelo, 1999 ; Corcoran, 1998 ; Forget, Bilodeau & Tétreault, 1992) et un changement dans l’assignation des rôles et des tâches au sein de la famille (Corcoran, 1998 ; Stevens-Simons & McAnarney, 1992). Sur le plan social, on observe une difficulté à établir de nouvelles relations et par conséquent, un risque élevé d’isolement social (Corcoran, 1998 ; Stevens-Simons & McAnarney, 1992) et une croissance des coûts liés à l’utilisation des services sociaux et de santé (DiCenso & Van Dover, 2000 ; Corcoran, 1998 ; Forget, Bilodeau & Tétreault, 1992).
4En Espagne, plusieurs stratégies touchant surtout le domaine des connaissances ont été mises en place pour encourager les adolescent(e)s à recourir à la contraception (Espinaco, Ruiz & Román, 1999). Toutefois, les connaissances ne sont pas le seul facteur influençant l’adoption d’un comportement par un individu (Barnett, 1997). Les raisons les plus saillantes de la non utilisation des méthodes contraceptives chez les adolescent(e)s sont : le manque d’information par rapport à l’utilisation efficace des méthodes contraceptives (Charbonneau et al., 1989), la précocité des relations sexuelles (Darroch, Landry & Oslak, 1999 ; Charbonneau et al., 1989 ; Fernández et al., 1999), le manque d’accessibilité aux moyens contraceptifs (Libbus, 1995), l’abus d’alcool et de drogues (Curry, Doyle & Gilhooley, 1998 ; Kowaleski-Jones & Mott, 1998 ; Miret, et al., 1997), et les lacunes au niveau de l’éducation sexuelle (Fernández, et al., 1999 ; Mauldon & Luker, 1996 ; Libbus, 1995 ; Charbonneau et al., 1989).
5Il faut consulter les écrits canadiens et américains pour mieux comprendre ce phénomène. Godin et Kok (1996), à partir d’une révision des études, affirment que la Théorie du comportement planifié explique 34 % de la variance face à l‘adoption d’un comportement en général et l’intention explique à elle seule 22.4 % de cette variation. Ces auteurs affirment donc que l’intention est le meilleur prédicteur de l’adoption d’un comportement. Par ailleurs, Reinecke, Schmidt, & Ajzen (1996) parlent de l’attitude comme de l’élément jouant le rôle le plus important sur l’intention d’utiliser le condom. Lavoie et Godin (1991) affirment que l’attitude a un rôle statistiquement significatif pour comprendre l’intention d’utiliser le condom. Un lien a également été démontré entre l’intention d’utiliser le condom et la norme sociale (Reinecke, Schmidt et Ajzen, 1996). Pendant l’adolescence, les jeunes sont très influençables, car ils sont à la recherche de leur propre identité. L’adolescence est la période au cours de laquelle se forme l’identité de la personne et où les jeunes oscillent entre des rôles indépendants et dépendants (Hern, et al., 1998). Au même moment, se produit un changement profond au sein de leur réseau : les personnes de référence ne sont plus les parents mais les amis proches. Ainsi, les croyances des adolescent(e)s sont très influencées par les groupes d’amis (norme subjective) car ils/elles recherchent la conformité au groupe ; les amis proches constituent l’une des sources d’information les plus importantes à cette période (Wong, et al., 1999). Or, la perception du contrôle perçu par les adolescent(e)s face à l’adoption d’un comportement est influencée principalement par l’information qu’ils-elles reçoivent de sources externes et de leurs expériences antérieures (Ajzen, 1991). Lavoie et Godin (1991) mettent en évidence que la perception du contrôle perçu est associée avec l’intention d’utiliser le condom. Il est donc nécessaire de regarder l’information que les adolescent(e)s reçoivent de leurs ami(e)s et celle d’autres sources d’information afin d’avoir une connaissance plus juste de cette influence sur la perception du contrôle de l’adolescent(e) face à la contraception.
6Les attitudes, la norme subjective et la perception du contrôle comportemental sont tous des éléments significatifs par rapport à l’utilisation du condom chez les adolescent(e)s (Rannie & Craig, 1997). Craig et al. (2000) affirment que l’intention d’utiliser le condom est associée à l’attitude chez les filles alors que, chez les garçons, l’intention est liée à l’attitude, la norme subjective et la perception du contrôle. Il est donc très important d’examiner tous les aspects reliés à l’adoption du comportement de contraception chez les adolescent(e)s car, à cette étape, les comportements ne sont pas encore enracinés et il semble exister des différences entre les adolescentes et les adolescents.
7Selon le comité d’experts à l’Euro Conférence réunis à Salamanca en 1999, la promotion de la santé chez les adolescent(e)s est une des priorités de la recherche en sciences infirmières pour la prochaine décennie, car les adolescent(e)s représentent l’avenir. Ils ne sont généralement pas malades, mais la prévention est importante afin de leur éviter de contracter une maladie ultérieurement puisqu’une partie très importante du travail infirmier est l’éducation pour la santé. Dans ce domaine il faut inclure l’éducation sexuelle, laquelle intègre l’adoption de comportements sexuels responsables. Toute infirmière qui aspire à développer une intervention efficace en regard de la contraception chez les adolescent(e)s doit connaître l’ensemble des facteurs ayant une influence sur l’utilisation de la méthode contraceptive Double Dutch. Les recherches traitant du comportement contraceptif chez les adolescent(e)s sont quasi inexistantes en Espagne et il n’y a aucune information concernant l’utilisation du Double Dutch chez les adolescent(e)s espagnols. Celles répertoriées ne considèrent pas les aspects qui, selon Ajzen (1991), influencent l’adoption d’un comportement par un individu. De surcroît, les connaissances relatives à la sexualité chez les adolescent(e)s de moins de 15 ans restent peu documentées et ce, à travers le monde (Thériault, 1994). Ce triple constat justifie la nécessité d’explorer davantage l’utilisation du Double Dutch chez les adolescent(e)s de cet âge.
Cadre de référence
8La Théorie du comportement planifié (Ajzen, 1991), qui sert d’assise à la présente étude, est composée de cinq éléments principaux : le comportement, l’intention, les attitudes, les normes subjectives et la perception du contrôle perçu (Figure 1). La théorie stipule que le comportement est influencé directement par l’intention et indirectement par la perception qu’a la personne de son contrôle sur l’adoption ou non du comportement. À son tour, l’intention est influencée directement par l’attitude, la norme subjective et la perception du contrôle.
9Le comportement est une manifestation, une réponse visible à une situation précise par rapport à un objectif spécifique (Ajzen, 1991). Le comportement est une fonction d’intentions compatibles et de perceptions du contrôle perçu. D’un côté plus conceptuel, la perception du contrôle perçu modère l’effet de l’intention sur le comportement. D’un côté plus pratique, l’intention et la perception du contrôle perçu ont souvent un résultat sur le comportement, mais l’interaction entre ces deux éléments n’est pas significative.
10L’intention est la variable antérieure au comportement. C’est la représentation cognitive de la volonté de l’individu à réaliser un comportement donné. Elle est déterminée par trois éléments conceptuellement indépendants : l’attitude, la norme subjective et la perception du contrôle perçu. Chaque élément a un poids relatif différent en fonction du comportement et de la population cible.
11L’attitude est l’estimation positive ou négative d’un individu vers l’adoption d’un comportement donné. Elle se développe à partir des croyances saillantes d’un individu en rapport avec un « objet » ou comportement, à partir de l’association entre celui-ci et certains de ses attributs (conséquence ou résultat de la réalisation de ce comportement). L’attitude se détermine en faisant la sommation des croyances comportementales pondérées par l’évaluation subjective que l’individu fait positivement ou négativement des conséquences de la réalisation de ce comportement. Alors, plus l’attitude est positive vers la réalisation d’un comportement déterminé, plus grande sera l’intention de l’adopter et vice-versa.
12La norme subjective réfère à la pression sociale que perçoit l’individu pour adopter ou non un comportement. Elle est influencée par les « référents », c’est-à-dire les personnes significatives de l’entourage de l’individu. Les croyances liées à la norme subjective s’appellent des croyances normatives. Elles sont attachées à la perception que l’individu a des personnes de référence par rapport à l’adoption ou non d’un comportement. La norme subjective se détermine en faisant la sommation des croyances normatives pondérées par la motivation à se conformer ou non à l’opinion des référents. Donc, quand un individu pense que son entourage croit qu’il doit adopter un comportement, s’il est motivé à se conformer à l’opinion des autres, son intention d’adopter ce comportement sera plus grande.
13La perception du contrôle perçu est le troisième déterminant de l’intention. Il s’agit de la perception que l’individu a du comportement en termes de facilité ou difficulté à adopter le comportement. Elle est aussi basée sur les expériences passées et sur les obstacles anticipés. La perception du contrôle perçu joue un rôle essentiel, elle a une influence indirecte par le biais de l’intention et une influence directe sur le comportement. Elle influence directement le comportement pour deux raisons. D’un côté, si l’intention est constante, un comportement a plus de possibilités d’être adopté si la personne a une perception de contrôle élevée sur ce comportement. D’un autre côté, la perception du contrôle perçu peut être considérée comme une mesure du contrôle réel, c’est-à-dire lorsqu’il y a concordance entre la perception du contrôle du comportement et du contrôle réel exercé par la personne. De la même façon que les autres variables qui influencent l’intention, la perception du contrôle perçu est déterminée par les croyances, plus concrètement par les croyances de contrôle qui sont basées sur les expériences antérieures et l’information que l’individu reçoit des ressources externes. Elle se détermine en faisant la sommation des croyances de contrôle pondérées par la perception du pouvoir exercé par des ressources qui facilitent ou inhibent l’adoption d’un comportement donné.
14La théorie tient compte d’autres aspects qui peuvent influencer l’intention de réaliser un comportement, comme les variables externes, par exemple, les variables socio-démographiques, les traits de personnalité, etc. Ces variables sont filtrées à travers les croyances comportementales, normatives et de contrôle. Cette théorie a été utilisée dans des études auprès d’adolescent(e)s (Godin & Kok, 1996 ; Lavoie & Godin, 1991 ; Otis, 1992 ; Rannie, & Craig, 1997 ; Reinecke, Schmidt & Ajzen, 1996). Les études qui utilisent la Théorie du comportement planifié pour explorer l’utilisation du Double Dutch chez les adolescent(e)s américains sont très rares (Craig, et al., 2000).
But et questions de recherche
15Le but de l’étude est d’expliquer le comportement d’adolescent(e)s espagnols face à l’utilisation de la méthode Double Dutch. Quatre questions de recherche sont examinées :
- Quelles sont l’intention, l’attitude, la norme subjective et la perception du contrôle des élèves espagnols de 15-16 ans par rapport à l’utilisation du Double Dutch ?
- Est-ce que l’intention, l’attitude, la norme subjective, la perception du contrôle du comportement d’utiliser la méthode Double Dutch chez des élèves de 15-16 ans varient en fonction des variables externes (genre, type de lycée, niveau socioéconomique et avoir eu ou pas des relations sexuelles) ?
- Est-ce que l’intention d’utiliser le Double Dutch varie en fonction de l’attitude, la norme subjective et la perception du contrôle perçu chez des élèves espagnols de 15-16 ans ?
- Quelle est la nature (la force et la direction) des relations entre l’intention d’utiliser la méthode Double Dutch chez des élèves de 15-16 ans et leurs attitude, norme subjective et perception du contrôle du comportement face à son adoption ?
Méthode
Milieu
16L’étude a été réalisée dans la ville de Sabadell, Barcelone, Espagne dont la population est d’environ de 188 000 habitants (Institut National de statistique d’Espagne, 2000). La ville est divisée en sept districts qui sont divisés en 29 quartiers. Le nombre total d’écoles secondaires est de 33 : 12 publiques laïques, 10 privés catholiques et 11 privés laïques. Le nombre total d’adolescent(e)s inscrits en quatrième année d’enseignement secondaire est de 2,268, dont 1,170 sont inscrits aux centres publiques et 1,098 aux centres privés (Ajuntament de Sabadell, 2001).
17À l’origine, une méthode d’échantillonnage stratifié par district et par type d’école (publique et privée) était planifiée pour assurer une meilleure représentation des différents niveaux socio-économiques de cette région (Fortin, 1996). Toutefois, ce type d’échantillonnage n’a pu être appliqué puisque la permission de seulement trois lycées privés a été obtenue. Le manque de représentativité des écoles privées devient une limite importante de l’étude.
Participants
18Les participants à l’étude ont été recrutés dans 10 centres d’enseignement secondaire, 7 publics (n = 222) et 3 privés (n = 59) auprès d’élèves âgé(e)s de 15 ou 16 ans et inscrits en quatrième année. Selon les calculs statistiques effectués avec un intervalle de confiance de 95 %, un ? = 0.05 et un ? = 0.20, la taille de l’échantillon nécessaire est de 239. Puisque habituellement les études faites auprès des adolescents ont un taux élevé de questionnaires annulés, nous avons distribué 400 questionnaires. Le nombre final de questionnaires valides est de 281 correspondant alors au n total de l’étude. L’échantillon est composé de 152 filles (54,1 %) et de 129 garçons (45,9 %). La presque totalité des participant(e)s sont né(e)s en Catalogne (97,2 %). La majorité proviennent de niveau socio-économique moyen (53.2 %), puis dans une proportion moindre de niveau inférieur (32,9 %) ; seulement 13,9 % sont de milieu socio économique élevé. En regard des relations sexuelles, 77,6 % (n = 218) des adolescent(e)s ont déclaré n’avoir jamais eu de relations sexuelles, tandis que 22.4 % (n = 63) affirment être actifs sexuellement. Cette variable a été contrôlée lors des analyses statistiques.
Déroulement de l’étude
19La responsable du département de promotion de la santé de l’Hôtel de Ville a été contactée et a écrit une lettre de présentation de l’étude pour chacun des 33 centres. Les différents directeurs et enseignants concernés ont été contactés pour les informer du but de l’étude et solliciter la participation des élèves. La passation des questionnaires a été effectuée en une seule fois pour chaque centre afin de maximiser le nombre d’adolescent(e)s par classe. La présence de l’investigateur et de l’enseignant a permis d’assurer que les participants ne parlaient pas entre eux lors de la passation du questionnaire. Chaque participant devait retourner son questionnaire dans une boîte fermée afin de garantir la confidentialité. L’enseignant n’avait aucun accès aux questionnaires déposés dans la boîte. L’étude avait reçu l’assentiment du Comité d’Éthique de l’Université de Montréal.
Instrument de mesure
20Pour la collecte de données, un questionnaire a été élaboré selon les recommandations de Ajzen & Fishbein (1997). L’élaboration implique plusieurs étapes, (1) identification des croyances saillantes, (2) analyse et comparaison des croyances saillantes personnelles de l’ensemble des participants, (3) identification des croyances modales, c’est-à-dire les croyances saillantes chez une population concrète, et (4), l’élaboration des items visant la mesure des construits de la théorie du comportement planifié. En plus de cette procédure, deux questionnaires déjà utilisés auprès des adolescent(e)s ont été consultés, le questionnaire de Craig et al. (2000) et celui de Godin (1998).
21L’intention a été mesurée de façon directe à l’aide d’une seule question concernant l’intention d’utiliser le Double Dutch pour chaque relation sexuelle au cours des 3 prochains mois.
22L’attitude « A » a été rendue opérationnelle par une mesure indirecte à deux composantes, soit 10 questions portant sur les composantes cognitives (ou croyances comportementales « b ») et 10 questions portant sur les composantes affectives (évaluation des conséquences « e ») en regard des conséquences de l’adoption de ce comportement (Ajzen, 1991). L’attitude est calculée à l’aide de la formule élaborée par Ajzen (1991) : A = ?? b ? e.
23La norme subjective « NS » a été rendue opérationnelle à partir d’une composante cognitive (croyance normative « n ») et d’une composante affective (motivation à se conformer « m »). Trois sous-sections du questionnaire permettent de mesurer les normes subjectives, une première section permet d’identifier les référent(e)s les plus significatifs des adolescent(e)s, une deuxième permet de connaître l’opinion de ces référent(e)s par rapport à l’utilisation du Double Dutch (mesurée en termes de « en faveur », « je ne sais pas » et « en défaveur »), la troisième section permet de connaître la tendance des adolescent(e)s à se conformer à l’opinion des référents identifiés (mesurée en termes de « la plupart du temps », « de temps en temps » et « rarement »). La norme subjective (NS) est déterminée indirectement à l’aide de l’équation : NS = ?? n ? m.
24La perception du contrôle perçu « PCP » est mesurée de façon directe et indirecte. Pour la mesure directe, une seule question a été utilisée. La mesure indirecte comprend deux composantes, soit 7 questions portant sur une composante cognitive (croyance de contrôle « c ») et 7 questions portant sur une composante affective (pouvoir perçu « p »). La perception du contrôle perçu se mesure indirectement à l’aide de la formule suivante : PCP = ?? c ? p.
25Les variables externes peuvent influencer l’intention d’adopter ou non un comportement (Ajzen, 2001). Cette section contient des questions référant aux différentes variables recensées dans les écrits comme influençant la contraception : conscientisation d’atteinte de la maturité sexuelle, utilisations antérieures des méthodes contraceptives, facilité d’emploi de chaque méthode, aisance à utiliser les différentes méthodes contraceptives, perception de la méthode la plus efficace pour la prévention de la grossesse et des MTS, sources d’information, accessibilité des différentes méthodes contraceptives, influence de la consommation d’alcool et de drogues.
26Validité : L’instrument de mesure fut soumis à trois experts en contraception à l’adolescence qui ont aussi une expérience en recherche. Ils se sont prononcés sur la pertinence et la clarté des énoncés de chaque item. De la même façon, ils ont été invités à ajouter leurs commentaires et suggestions, tant sur le fond que sur la forme de l’instrument de mesure. Pour garantir la clarté des énoncés, une étude pilote fut réalisée auprès de 10 élèves sélectionnés dans cette population. À partir des commentaires des adolescent(e)s consulté(e)s lors de l’étude pilote, des exemples et des explications quant à la façon de répondre à certaines questions furent ajoutés.
27Fiabilité : L’instrument de mesure utilisé a obtenu un alpha de Cronbach global de 0,60. Les coefficients calculés pour chaque partie, attitude, norme subjective et perception du contrôle perçu sont respectivement de 0,68, 0,53 et 0,48.
Analyses statistiques
28Compte tenu du caractère descriptif de l’étude, des statistiques de mesure centrale et de dispersion ont servi à décrire l’intention, l’attitude, la norme subjective, la perception du contrôle et les variables sociodémographiques. L’association entre les variables qualitatives fut analysée à l’aide de tests de khi-2 de Pearson et la différence entre les variables à l’aide de test t de Student. Des corrélations de Spearman ont été calculées pour les différentes variables significatives et l’intention. La régression logistique multiple a été utilisée afin d’identifier les facteurs prédictifs du comportement étudié.
Résultats
QR1 : Intention, attitude, norme subjective et perception du contrôle perçu
29Les résultats des analyses descriptives pour les composantes des attitudes, de la norme subjective et de la perception du contrôle perçu sont présentés au Tableau 1. La moyenne globale de l’intention est de 5,07 ± 1,64 (min = 1 ; max = 7) ; celle-ci se situe au dessus de la moyenne théorique de l’échelle qui est de 4 (Tableau 1). En fait, l’intention des adolescents et adolescentes interrogés face à l’utilisation du Double Dutch (DD) est positive dans une proportion de 66,7 %.
30L’attitude correspond à la somme des croyances comportementales pondérées par l’évaluation des conséquences donnant accès à un score variant de 1 à 49. De manière arbitraire, nous avons pris la valeur centrale 24,5 comme point de démarcation entre une attitude favorable ou défavorable. La moyenne globale de l’attitude face aux avantages est de x- = 34,3 SD ± 8. Par rapport aux moyennes individuelles des différents énoncés, on observe une grande variation : x- = 22,5 SD ± 1,7 à = 41,6 SD ± 8,8. L’attitude ayant la moyenne la plus faible est : « l’utilisation du DD ne présente aucun désavantage » et celle obtenant la moyenne la plus élevée est : « l’utilisation du DD est plus efficace pour la prévention de la grossesse ». Par rapport aux désavantages liés à l’utilisation du DD, la moyenne globale est de : x- = 21,8 SD ± 7,8. Pour ces énoncés, les moyennes se situent autour de 25 sauf dans le cas d’une attitude qui obtient une moyenne très basse (x- = 8.4 SD ± 8.7) : « l’utilisation du DD ne présente aucun désavantage ».
31Par rapport aux éléments qui composent les attitudes, la moyenne des moyennes calculées pour l’ensemble des croyances comportementales favorables et défavorables est égale à 4,84. Toutes les moyennes individuelles se situent au-dessus de la moyenne théorique, à l’exception de celle d’un seul item (#20). La variation est maximale pour chacun des 10 items. En général, 76,1 % des adolescent(e)s ont des croyances favorables à l’utilisation du D ; par contre 55,5 % ont des croyances défavorables face à l’utilisation de DD. L’évaluation des conséquences (composante affective) a obtenu une moyenne des moyennes de 5,42 avec une variation maximales pour l’ensemble des items. En général, 84,7 % des adolescent(e)s évaluent les conséquences favorables à l’utilisation du DD comme très importantes puisque toutes les moyennes sont plus élevées que 4,8 SD ± 1,6. La prévention de la grossesse est la conséquence ayant obtenu la plus forte moyenne. Par contre, au niveau des conséquences défavorables, aucune des moyennes n’est supérieure à 5,7. Un item a obtenu une moyenne très faible de 2,7 : il est très important de penser que le DD ne présente aucun avantage.
32La moyenne globale pour la norme subjective est de 2,63 avec un écart-type de ±1,64 (min = 1 ; max = 9). Cette valeur se situe au dessous de la moyenne théorique indiquant une norme subjective favorable à l’utilisation du DD. Bien que les adolescent(e)s aient été informés que l’ordre d’énumération de leurs référents n’avait pas d’importance, on note que les parents ont été les personnes sélectionnées le plus fréquemment dans les deux premiers choix de la liste. Globalement, 57 % des participants ont indiqué que leurs référents étaient en faveur de l’utilisation du DD, alors que 34,9 % ignoraient l’opinion de ces référents et que 8,1 % de ces personnes étaient contre. En moyenne 45,4 % des adolescent(e)s avaient une prédisposition à se conformer, la plupart du temps, à l’opinion des référents, 43,2 % de temps en temps et, finalement, 11,4 % rarement. Les adolescent(e)s consultés ont surtout tendance à se conformer à l’opinion de leur copain-copine et de leur mère.
33La perception de contrôle perçu (PCP) a été mesurée de façon directe et indirecte. La mesure directe indique qu’en général, la PCP des adolescent(e)s est élevée par rapport à l’utilisation du DD : x- = 5,09 ± 1,37 (min = 1 ; max = 7). Lorsque les valeurs de l’échelle sont regroupées en trois catégories, 64,8 % ont une PCP élevée par rapport à ce comportement, 26 % ont une perception neutre et 9,2 % une perception faible. Ainsi, les deux tiers des adolescent(e)s croient que le contrôle de l’utilisation du DD dépend, dans une large mesure, d’eux-mêmes.
34La mesure indirecte de PCP est obtenue à l’aide des croyances de contrôle et du pouvoir perçu (ressources facilitatrices/inhibitrices). Six des sept croyances de contrôle sont défavorables à l’utilisation du DD. La plupart des moyennes calculées pour les croyances défavorables se retrouvent autour de la valeur neutre (4) à l’exception de deux croyances. La moyenne la plus basse (x- =2,8 SD ± 1,8) est celle qui a trait à la confiance dans le partenaire. En ce qui concerne le pouvoir perçu, 70,7 % des adolescentses ont déclaré être en accord avec l’énoncé : je pourrais avoir plus de plaisir avec le DD lors d’un rapport sexuel si je n’ai pas à me tracasser si le condom s’abîme. Par contre, quatre moyennes des éléments identifiés comme barrières sont en dessous de la moyenne théorique signifiant que les barrières identifiées a priori, n’aient finalement pas été identifiées comme telles.
QR2 : Variables externes
35Les résultats quant aux variations de l’intention, l’attitude, la norme subjective et la perception du contrôle perçu en fonction des variables externes : le genre, le type de lycée, la précocité des relations sexuelles et le niveau socioéconomique. sont présentés au Tableau 2. Aucune différence significative n’a été détectée entre le type de lycée, le sexe des répondants, la précocité des relations sexuelles, le niveau socio-économique, et l’intention d’utiliser le DD (p < 0,05). Les résultats indiquent que les adolescent(e)s qui étudient dans un lycée privé montrent une attitude significativement plus favorable à l’utilisation du DD comparativement à ceux et celles qui étudient dans un lycée publique (p < 0,05).
36Aucune autre différence significative n’a pu être détectée entre les autres variables externes et l’attitude. La norme subjective varie en fonction que les adolescent(e)s soient actif(ve)s sexuellement ou pas. Les adolescent(e)s qui ont déclaré n’avoir jamais eu de relations sexuelles vivent dans un environnement plus favorable à l’utilisation du DD (p < 0,05). La norme subjective ne semble pas varier en fonction des autres variables externes. La perception du contrôle perçu varie en fonction du genre. Les filles indiquent davantage de contrôle que les garçons face à l’utilisation du DD, car les éléments identifiés comme barrières sont moins importants pour elles (p < 0,05). Les autres variables externes ne modifient pas la perception.
QR3 : Facteurs liés à l’intention
37Les corrélations effectuées dans le but de déterminer la relation entre des variables externes, l’attitude, la norme subjective, la perception de contrôle et l’intention d’adopter ou non la méthode DD font l’objet du Tableau 3. Les résultats montrent que, parmi toutes les variables pouvant être associées à l’intention d’adopter le DD, seules l’attitude et la norme subjective présentent une relation statistiquement significative. L’attitude et la norme subjective se comportent de façon similaire car elles sont directement proportionnelles l’une à l’autre ; plus les participants font preuve d’une attitude favorable face à l’utilisation du DD, plus grande est leur intention d’utiliser cette méthode contraceptive et vice versa. De la même manière, plus la norme subjective est favorable, plus forte est l’intention d’utiliser le DD.
QR4 : Nature des relations
38La contribution particulière de chaque variable à la variabilité de l’intention a été mesurée par une régression logistique. Les deux variables contribuent indépendamment avec une variance de r2 = 6,8 % pour l’attitude et de r2 = 9,1 %, pour la norme subjective. Les résultats sont différents si on les examine en fonction du genre. Ainsi, les filles ont une attitude et une norme subjective significativement associées à l’intention. L’attitude contribue à la variance de l’intention avec un r2 = 7,5 % et à la norme subjective avec un r2 = 11,8 %. Par contre, pour les garçons, trois variables ont une contribution significative avec un r2 = 6 % pour l’attitude, r2 = 6,5 % pour la norme subjective et r2 = 3,2 % pour la perception du contrôle perçu.
Autres variables
39La sexualité des individus est fortement influencée par la société et la culture dans laquelle ils évoluent. En tenant compte de ces facteurs, des aspects pouvant influencer l’utilisation générale des méthodes contraceptives chez les adolescent(e)s ont été analysés. Par rapport à la prise de conscience de leur maturité sexuelle, 9,6 % (n = 27) des adolescent(e)s considèrent avoir atteint complètement leur maturité sexuelle, 42 % (n = 118) moyennement, 36,7 % (n = 103) un peu et finalement 11,7 % (n = 33) pas encore. Ces résultats ne varient pas en fonction du genre.
40Des 281 participant(e)s, 21,7 % (n = 63) étaient sexuellement actifs au moment de l’étude. Parmi ceux-ci, 96,8 % (n = 60) ont déclaré avoir déjà utilisé des méthodes contraceptives et la méthode la plus utilisée est le condom. Par contre, le taux de participants n’ayant pas utilisé de méthodes contraceptives efficaces lors des relations sexuelles est de 11,3 % dont 7 qui ont utilisé le coït interrompu sans faire appel à aucune autre méthode.
41Selon l’opinion des adolescent(e)s, le condom et la pilule sont les méthodes les plus faciles à utiliser. Par contre, les deux tiers (63 %) des adolescent(e)s considèrent que le coït interrompu est la méthode contraceptive la plus difficile à utiliser. Il est nécessaire de souligner que 14,5 % des adolescent(e)s ne connaissent pas le spermicide. Par rapport à l’efficacité des méthodes contraceptives, le condom et la pilule sont les méthodes privilégiées. La pilule est considérée comme très efficace par 35,6 % des adolescent(e)s et assez efficace par 54,8 % d’entre eux-elles. On note que les adolescent(e)s considèrent que le spermicide et le diaphragme sont des méthodes assez efficaces pour prévenir la grossesse. Près des deux-tiers (62,6 %) considèrent que le coït interrompu n’est pas efficace pour prévenir la grossesse. C’est le condom qui a été jugé la méthode contraceptive la plus efficace pour la prévention des MTS par 53 % des adolescent(e)s, alors que 69 % d’entre eux soutiennent que le coït interrompu n’est pas efficace pour prévenir les MTS. Le spermicide est la méthode contraceptive la moins connue. Si nous regroupons la valeur assez et très, 15,3 % des adolescent(e)s consultés considèrent que la pilule est efficace pour la prévention des MTS.
42Les sources d’information les plus les plus consultées par les adolescent(e)s pour ce qui a trait à la sexualité sont, par ordre décroissant, les amis-es x- = 7,5 SD ± 2,0 (min = 1 ; max = 10), suivies des professionnelles de la santé x- = 6,7 SD ± 2,9 (min = 1 ; max = 10) et la famille x- = 6,5 SD ± 2,6 (min = 1 ; max = 10). Les revues pornographiques et les films pornographiques sont les sources les moins consultées, x- = 3,67 SD ± 3 (min = 1 ; max = 10) et x- = 4 SD ± 3,1 (min = 1 ; max = 10) respectivement. Des différences importantes selon le genre des participants sont notées. Les filles consultent significativement moins que les garçons les revues et les films pornographiques (Filles : x- = 2,3 SD ± 2 (min = 1 ; max = 10) et x- = 2,6 SD ± 2,2 (min = 1 ; max = 10) ; garçons (x- = 5 SD ± 2,4 (min = 1 ; max = 10) et x- = 6 SD ± 2,5 (min = 1 ; max = 10).
43Par rapport à l’accessibilité des méthodes contraceptives les plus utilisées, c.-à-d. le condom et la pilule, la plupart (n = 186, 66,2 %) des adolescent(e)s considèrent que le condom est très accessible, tandis que 34,2 % (n = 96) considèrent que la pilule est peu accessible. En regard de l’influence possible de l’alcool ou des drogues sur la fréquence des relations sexuelles, 69,8 % (n = 196) des adolescent(e)s affirment que l’alcool ne les inciterait pas à avoir davantage de relations sexuelles, alors que seulement 30,2 % d’entre eux-elles (n = 85) soulignent que l’alcool est un élément pouvant les inciter à avoir des rapports sexuels. Quant à l’habitude de prendre de l’alcool ou des drogues avant un rapport sexuel, 82,6 % (n = 232) des participant(e)s considèrent qu’ils n’ont pas ou n’auraient pas cette habitude. Par contre 40,6 % (n = 114) croient qu’ils pourraient oublier d’utiliser une méthode contraceptive tandis que 59,4 % (n = 167) considèrent qu’ils n’oublieraient pas de l‘utiliser.
Discussion
44Les adolescents et adolescentes espagnols ont une intention et une attitude favorables à l’utilisation du Double Dutch (DD). Plus concrètement, la majorité des participants-es sont en faveur des avantages de l’utilisation de la méthode DD. Ces résultats sont congruents avec ceux d’autres études qui utilisent la Théorie du comportement planifié pour étudier l’utilisation du condom (Blue, 1995 ; Lavoie et Godin, 1991 ; Reineck, Schmidt & Ajzen, 1996) et du DD (Craig et al. 2000).
45La majorité des adolescent(e)s croient que l’utilisation de cette méthode contraceptive est positive pour eux-elles. La croyance dominante est que l’utilisation du DD est plus efficace pour la prévention de la grossesse et que l’utilisation de DD donne un sentiment de plus grande sécurité. En termes d’évaluation des conséquences, la prévention de la grossesse est l’élément le plus important, suivi de la protection contre les MTS montrant que la grossesse est l’élément qui préoccupe le plus les adolescent(e)s. D’autres auteurs mentionnent que les adolescent(e)s sont davantage préoccupés par la prévention de la grossesse que par celle des MTS (Weisman et al. 1991) et leur désir d’éviter la grossesse est le facteur qui influence le plus l’utilisation des doubles méthodes contraceptives (Crosby et al., 2001). Le principal avantage d’une double méthode contraceptive est d’augmenter la protection, en ce qui regarde le DD, cette méthode a l’avantage de prévenir à la fois la grossesse et les MTS.
46L’entourage des adolescent(e)s participants est favorable à l’utilisation de la méthode DD. Les parents suivi des ami(e)s sont les référents les plus significatifs pour les participant(e)s qui ont tendance à se conformer à l’opinion de leurs référents.
47Ces résultats diffèrent des écrits consultés qui indiquent qu’à la période de l’adolescence un changement profond se produit au sein des réseaux des adolescent(e)s, ceux-ci recherchant la conformité aux groupes d’amis ; ce sont leurs amis proches qui sont les personnes de référence et non plus les parents (Carretero, Palacios, Marchesí, 1997 ; Wong & al., 1999). Les programmes d’éducation sexuelle centrés sur les adolescent(e)s devraient donc tenir compte des parents et de l’influence qu’ils peuvent encore exercer sur leurs enfants.
48En général, les adolescent(e)s croient avoir assez de contrôle face à l’adoption de la méthode DD, surtout les filles. Les barrières les plus importantes face à l’utilisation du DD sont les coûts et la possibilité d’avoir des rapports sexuels sous les effets de l’alcool et de la drogue. Ces résultats corroborent ceux rapportés par Vermelho (1994) qui souligne que l’un des inconvénients majeurs face à l’utilisation de deux méthodes contraceptives est l’augmentation des coûts. Toutefois, si nous tenons compte du pouvoir perçu, l’élément le plus important pour eux est le fait d’avoir un rapport sexuel non planifié constituant alors la barrière la plus importante face à l’utilisation de cette méthode, ensuite viennent les deux éléments cités antérieurement. Par ailleurs, l’Institut de la Statistique du Québec (1998) indique que les adolescent(e)s vivant plus de promiscuité que les adultes, il leur était alors plus difficile de planifier un rapport sexuel ; c’est donc pour cette raison que cet aspect constitue une barrière importante face à l’utilisation des doubles méthodes.
49La majorité des écrits consultés considèrent l’âge et l’ethnie comme variables d’influence, alors que dans la présente étude, ces variables ont été contrôlées. Une modification significative de l’attitude a été décelée en fonction du type de lycée fréquenté. Les adolescent(e)s qui étudient dans un lycée privé font preuve d’une attitude davantage favorable envers l’utilisation du DD que ceux qui étudient dans un lycée publique. Ces résultats concorderaient avec ceux des écrits consultés si les adolescent(e)s des lycées privés provenaient d’un niveau socio-économique plus élevé que les adolescent(e)s fréquentant les lycées publiques. Mais une analyse plus approfondie indique que le niveau socio-économique des participant(e)s à l’étude est semblable dans les deux types de lycées. En tenant compte de cet aspect, nous pouvons difficilement expliquer ces résultats ni à l’aide des écrits scientifiques, ni à l’aide de la logique. Une hypothèse plausible serait une influence du milieu en termes de responsabilisation des jeunes face à leur sexualité.
50Les adolescent(e)s qui ont déclaré n’avoir jamais eu de relations sexuelles perçoivent leur environnement comme plus favorable à l’utilisation du DD laissant présager que, dans un environnement davantage favorable à l’utilisation du DD, il serait plus facile d’employer cette méthode. Les adolescent(e)s n’ayant pas encore eu de relations sexuelles complètes ont répondu à partir du comportement idéal, c’est-à-dire de façon théorique, il est donc plus facile de penser se conformer à l’opinion des référents. Par contre, les adolescent(e)s ayant eu des relations sexuelles ont répondu à partir de leur propre expérience, ils possèdent plus d’éléments pour comparer et penser à d’autres alternatives, car ils connaissent davantage les difficultés liées à l’usage des méthodes contraceptives. Cet aspect pourrait expliquer les résultats obtenus.
51Les filles perçoivent qu’elles ont un plus grand contrôle que les garçons face à l’utilisation du DD. Ce constat semble concorder avec les écrits consultés, car on y dit qu’au même âge les filles étant plus matures, elles peuvent avoir plus de contrôle (Wong et al., 1999). Par contre, les écrits soulignent que les filles ont plus de difficulté à utiliser le condom car ce sont les garçons qui ont le contrôle sur l’adoption de cette méthode, en ce sens que l’usage du condom dépend davantage de la volonté des garçons (Woodsong et Kok, 1999). Bien que ceci semble sexiste et que nous n’ayons pu trouver des écrits appuyant cette interprétation, nous pensons que les garçons seraient toujours prêts à avoir des relations sexuelles comparativement aux filles qui elles ont davantage besoin d’un état émotionnel particulier pour décider si elles auront ou non des rapports sexuels. Nous devons tenir compte que les relations sont socialement construites et cela affecte la façon dont les filles vivent leur sexualité. Ainsi, les filles sont socialisées à contrôler la contraception et doivent assumer davantage les conséquences d’une grossesse non planifiée que les garçons. Elles doivent donc se responsabiliser et exercer plus de contrôle.
52Tout comme le prédisait la théorie, l’intention (d’utiliser le DD) est reliée à l’attitude et à la norme subjective, et ceci de la même façon pour les filles et pour les garçons. Ces résultats sont semblables à ceux obtenus par l’équipe de Craig et al. (2000). Ces chercheurs avaient constaté que l’intention d’utiliser le DD était influencée, chez les filles et chez les garçons, par l’attitude, la norme subjective et la PCP. Si nous examinons la contribution particulière de chaque variable à la variabilité de l’intention et comparons nos résultats aux leurs, dans l’étude de Craig et al. (2000) ces variables contribuent davantage à la variation de l’intention que les variables de la présente étude : 19,3 % de la variance chez les filles comparativement à 31,1 % et chez les garçons, 15,7 %, comparativement à 22,6 %.
53Dans sa méta-analyse sur l’utilisation du condom, l’équipe d’Albarracín et al. (2001) a constaté que les variables jouant un rôle significatif face à l’adoption de ce comportement sont également l’attitude et la norme subjective. La PCP n’est associée qu’aux comportements passés. Les composantes du modèle théorique expliquent autour de 45 % de la variance, beaucoup plus que les résultats obtenus dans la présente étude (15,9 %). Selon Godin & Kok (1996), en général, la Théorie du comportement planifié explique 34 % de la variance des comportements de santé. Les résultats de cette recherche montrent que la Théorie du comportement planifié donne de meilleurs résultats pour expliquer les comportements additifs que pour expliquer le comportement contraceptif (utilisation du condom). Le peu de variance expliquée pourrait être due au fait que la majorité des adolescents n’étaient pas actifs sexuellement ou bien, pour ce comportement, il existe des variables externes autres que celles mesurées qui exerceraient une influence sur l’adoption de ce comportement.
54Plusieurs auteurs soutiennent qu’un niveau socioéconomique élevé est un facteur qui retarde le début des relations sexuelles (Lammers et al., 2000) et contribue à accroître l’usage des méthodes contraceptives (Thériault, 1994). Dans la présente étude, le niveau socio-économique n’est pas associé au début des relations sexuelles. De plus, en tenant compte du nombre peu élevé d’adolescent(e)s ayant déclaré être actifs sexuellement et n’utilisant pas de méthodes contraceptives, nous ne pouvons pas faire de tests statistiques permettant de savoir si cette variable est associée au fait d’utiliser la contraception tel que suggéré dans les écrits scientifiques. De la même façon, l’âge du début des relations sexuelles n’était pas associé au niveau de scolarité des parents ni à leur occupation. Les résultats obtenus en regard de la maturité sexuelle s’écartent de ceux publiés dans les écrits consultés. Les garçons se considèrent plus matures que les filles et cet aspect ne semble pas relié au début des relations sexuelles (Murphy & Bogges, 1998). Nous pouvons faire un lien entre cet aspect et le fait que les adolescents de cet âge ont tendance à avoir un comportement narcissique et à s’idéaliser (Wong et al., 1999).
55Un facteur qui pourrait influencer le début des relations sexuelles est la consommation d’alcool et de drogues. Dans cette recherche, nous n’avons pas mesuré cette variable en terme de quantité. Nous leur avons demandé s’ils croyaient que la consommation d’alcool et de drogues avant d’avoir des relations sexuelles pouvait faire en sorte qu’ils oublient de faire usage de méthodes contraceptives ; une proportion assez élevée de jeunes croit que oui. Ces résultats ne varient pas en fonction du genre. Sur ce point de vue, les résultats de notre recherche et ceux des écrits consultés sont en concordance (Lammers et al, 2000 ; Paul et al., 2000).
56En général, les amis représentent la source d’information la plus importante utilisée par les adolescent(e)s en ce qui se rapporte à la sexualité. Une analyse plus fine indique que cette source est cotée de façon plus élevée par les adolescent(e)s qui ont déjà eu des relations sexuelles. Selon les écrits, les adolescent(e)s attribuent la première relation sexuelle à une forte pression sociale, et leurs ami(e)s proches jouent un rôle déterminant sur leur décision de devenir actifs sexuellement (Shaffer, 1999). Nous pouvons nous rendre compte que l’entourage des adolescent(e)s qui ont déjà des relations sexuelles complètes semble favorable à la sexualité active, bien qu’il semble moins favorable à l’utilisation du DD. Par rapport à l’accessibilité aux méthodes contraceptives, ce sont le condom et la pilule qui sont davantage utilisés chez les adolescent(e)s, bien qu’un grand nombre d’entre eux considèrent que la pilule semble peu accessible. Il ne faut pas sous-estimer cet aspect car l’accessibilité des méthodes contraceptives est un facteur qui influence l’emploi des méthodes contraceptives (Libbus, 1995). Si nous voulons encourager les adolescent(e)s à utiliser la méthode DD, cet élément semble crucial et il faut rendre la pilule plus accessible.
Forces et limites de l’étude
57Cette recherche est la première à utiliser la Théorie du comportement planifié pour mesurer l’intention, l’attitude, la norme subjective et la perception du contrôle chez les adolescent(e)s en regard de l’utilisation de la méthode DD. Dans la seule étude que nous ayons trouvée, des chercheurs américains (Craig et al, 2000) utilisent une double mesure de cette méthode : ils ont demandé aux garçons s’ils utilisaient le condom et si leur comportement changerait s’ils savaient que les filles prennent la pilule et vice versa pour les filles. Dans notre étude, les recommandations d’Ajzen (1991) ont été suivies et nous avons considéré le DD comme une méthode unique, donc comme un comportement indivisible. Un questionnaire a été élaboré spécifiquement pour cette recherche, à partir des croyances saillantes des adolescents et en ajoutant un complément pour obtenir de l’information sur les principales variables qui influencent les relations sexuelles et la contraception en général. L’étendue de l’information obtenue par le biais de cette recherche est d’une grande utilité pour élaborer un programme d’éducation sexuelle pour les adolescent(e)s de cet âge.
58Il est important de souligner que bien que de taille appropriée l’échantillon de cette étude constitue une limite. Nous n’avons pas obtenu la permission de passer le questionnaire dans plusieurs lycées privés et surtout dans les lycées catholiques. Cette difficulté au niveau de l’accès dans les lycées privés a pour résultat que l’information colligée n’est pas suffisante pour assurer la représentativité de cette population. Les écrits indiquent que le niveau socio-économique et les convictions catholiques jouent un rôle important quant au début des relations sexuelles et de l’utilisation de la contraception. Nous n’avons pas pu estimer quel est l’impact de ces variables car l’échantillon provenant de lycées privés était trop petit. On ne peut donc pas généraliser les résultats à la population générale des adolescent(e)s sans en vérifier la représentativité.
Recommandations
59L’être humain évolue dans un environnement déterminé et son état de santé dépend de ses capacités à découvrir les ressources en lui-même et dans son environnement. Le rôle de l’infirmière est, entre autres, de développer une stratégie facilitatrice pour l’individu afin qu’il identifie à chaque période de la vie ses besoins et, apprenne à découvrir et à utiliser les ressources disponibles (Kérouac, et al., 1994). Une façon de développer des comportements sains chez les adolescent(e)s serait de les informer sur la contraception et les ressources disponibles de façon à ce qu’ils se responsabilisent face à leur sexualité et ce, avant même qu’ils/elles deviennent actif(ve)s sexuellement. En tenant compte de cet aspect, un des rôles clés des infirmières est la promotion de la santé.
60En général, les adolescent(e)s sont davantage préoccupés par la grossesse que par les MTS et ont une perception favorable de l’utilisation du DD. Il est donc nécessaire de poursuivre les interventions infirmières qui encouragent la double fonction de la contraception d’aujourd’hui c’est-à-dire celle qui englobe à la fois la prévention de la grossesse et la protection contre les MTS.
61Un autre aspect particulier à prendre en compte lors de nos interventions concerne l’entourage des adolescent(e)s. Le fait que l’environnement de ces adolescent(e)s soit influencé par les parents et par les ami(e)s proches exige une réflexion de la part des professionnels qui œuvrent auprès de cette clientèle et une révision de leurs croyances. L’implantation d’un programme d’éducation sexuelle devra tenir compte de ces référents et surtout exigera, a priori, une évaluation des personnes significatives dans la vie des jeunes. Nous avons constaté l’influence qu’ont les ami(e)s proches par rapport au début des relations sexuelles. C’est pourquoi ces référents seront des éléments clés dans le développement et la réussite d’un programme d’éducation.
62Nous ne pouvons pas parler des référents sans parler des sources d’information. Une fois de plus, les ami(e)s sont des éléments clés au niveau de l’information. Il faut se souvenir que les adolescent(e)s de cet âge, surtout les garçons, considèrent les films et les revues pornographiques comme une source d’information sexuelle. Ces films sont une source importante d’information sexuelle mais ils éduquent très peu et renvoient à une conception biaisée de la sexualité. D’un côté, il est rare que dans les scènes de ces films, les protagonistes utilisent un moyen de contraception avant d’avoir un rapport sexuel et, d’un autre côté, il arrive souvent qu’une pression soit exercée pour que les filles aient un rapport sexuel sans vraiment obtenir leur consentement.
63Nous avons déjà fait remarquer que l’une des limites de cette recherche était l’absence d’adolescent(e)s provenant des lycées privés. Nous recommandons donc, lorsque se feront d’autres études sur le sujet, que des stratégies soient envisagées afin d’être capable de recruter des adolescent(e)s dans ce milieu afin d’obtenir une représentativité plus juste de cette population. Il serait aussi opportun de reproduire cette étude auprès d’échantillons d’adolescent(e)s de différents âges afin d’évaluer si les résultats seraient similaires et à travers différents pays de l’Europe. Un volet qualitatif permettrait d’avoir une vision plus en profondeur de cette problématique et aussi de tenir compte de certains aspects culturels. Nous recommandons finalement d’établir un programme d’éducation sexuelle basé sur toute l’information obtenue à la suite de la présente étude et d’en évaluer les effets.
Conclusion
64En général, les adolescent(e)s de la ville de Sabadell possèdent une intention, une attitude et une norme subjective favorables à l’utilisation du Double Dutch. Par contre, la perception du contrôle perçu ne joue pas un rôle significatif sur l’adoption de cette méthode contraceptive. Les adolescent(e)s se préoccupent de la prévention d’une grossesse mais portent moins attention à la protection contre les MTS. À la différence des écrits américains, les référents les plus importants pour les adolescent(e)s espagnols sont d’abord les parents et par la suite, les ami(e)s. À cet âge, ils ont encore tendance à porter attention à l’opinion des personnes significatives de leur entourage. Une réflexion plus approfondie est essentielle afin d’identifier d’autres variables d’influence face à ce comportement contraceptif.
Moyennes et écarts-types des attitudes, norme subjective et perception de contrôle face à l’utilisation du Double Dutch
Moyennes et écarts-types des attitudes, norme subjective et perception de contrôle face à l’utilisation du Double Dutch
La colonne « a » réfère aux croyances comportementales (attitudes), aux croyances normatives (norme subjective) et aux croyances de contrôle (PCP). La colonne « b » réfère à l’évaluation (attitudes), à la motivation à se conformer (norme subjective) et au pouvoir perçu (PCP). Le produit = « a x b ». L’étendue des résultats pour les questions sur les croyances comportementales, l’évaluation, les croyances de contrôle et le pouvoir perçu est de 1 à 7 et, les croyances normatives et la motivation de 1 à 3.Variation de l’intention, l’attitude, la norme subjective et la perception du contrôle perçu en fonction des variables externes*
Variation de l’intention, l’attitude, la norme subjective et la perception du contrôle perçu en fonction des variables externes*
*. p < 0,05Statistiques descriptives de l’intention des adolescent(e)s d’utiliser la méthode Double Dutch en fonction des variables
Statistiques descriptives de l’intention des adolescent(e)s d’utiliser la méthode Double Dutch en fonction des variables
Schéma de la théorie du comportement planifié (inspiré de Ajzen, 1991 et Marcil, 2000)
Schéma de la théorie du comportement planifié (inspiré de Ajzen, 1991 et Marcil, 2000)
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Mots-clés éditeurs : sexualité, contraception, théorie du comportement planifié, adolescents
Mise en ligne 11/01/2014
https://doi.org/10.3917/rsi.082.0071