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Article de revue

Significations des expériences de réconfort en santé mentale. Comparaison du réconfort vécu en soins généraux et en soins psychiatriques (Deuxième partie)

Pages 49 à 58

Notes

  • [1]
    Avoir séjourné aux soins continus était un des critères d’inclusion des patients. Les « soins continus » correspondent à une structure intermédiaire entre les « soins intensifs » et l’unité hospitalière.
  • [2]
    Dans le cadre de cette recherche, un singleton est une personne qui a été informée, a signé une formule de consentement et a choisi de participer à un entretien tout en ayant refusé - a priori et globalement - le réconfort proposé par les infirmières et infirmiers du service.
  • [3]
    Inversement aux deux « singletons » précédents, ces deux patients ont dit avoir reçu du réconfort à travers les soins postopératoires. Ils ont donc nommé une infirmière ; par conséquent, ils appartiennent à une dyade.
  • [4]
    La patiente a demandé un test HIV qui lui a été refusé.
  • [5]
    La patiente a demandé de voir un prêtre.
  • [6]
    La moyenne des âges en chirurgie 57ans ; en médecine 62,5 ans et en psychiatrie 46,5 ans. Il est important de préciser que le service de psychiatrie adulte s’adresse à des personnes âgées entre 18 et 65 ans.
  • [7]
    Service de chirurgie : les dyades sont écrites en majuscules.
  • [8]
    Service de médecine générale : les dyades et singletons sont écrits en majuscules, en italique et en gras.
  • [9]
    Service de psychiatrie adulte : les dyades sont écrites en majuscules soulignées.

Introduction

1Un des objectifs spécifiques de la recherche menée en 2003 sur le réconfort en santé mentale était d’investiguer les similitudes et les différences du réconfort dispensé à des personnes hospitalisées en soins généraux et en santé mentale.

2La première comparaison porte sur l’influence du contexte de soins sur le phénomène de réconfort et plus particulièrement sur les catégories thématiques qui le composent. A cet effet, nous utiliserons les résultats issus des études menées dans le service de chirurgie (Bécherraz, 2002 abcd) et le service de psychiatrie adulte de deux hôpitaux universitaires de Suisse francophone. Ce choix est soutenu par deux arguments principaux : d’une part les résultats définitifs du deuxième volet sont superposables à ceux obtenus en chirurgie bien qu’ils se réfèrent à un service de médecine générale d’un hôpital régional. D’autre part, il paraît opportun de comparer des résultats provenant de deux hôpitaux universitaires afin de mettre en lumière les différentes dimensions du réconfort qui y sont offertes. Par conséquent, le début de l’article est centré sur la comparaison entre le premier et le troisième volet du programme de recherche, soit entre le réconfort en phase postopératoire et le réconfort en santé mentale.

3Enfin, une analyse comparative dyadique sera réalisée. A cet effet, nous utiliserons les résultats issus des trois volets et plus spécifiquement la répartition des dyades sur deux axes orthogonaux.

1 – Patients

4Il est important de rappeler qu’en chirurgie les résultats portent sur onze dyades composées de cinq hommes et six femmes qui ont tous nommé des infirmières.

5Voici la synthèse de l’analyse des catégories thématiques des patients en phase postopératoire :

6

Pour les patients, le phénomène de réconfort commence par la rencontre, le rapprochement de deux êtres humains qui constituent la dyade. Ce n’est qu’à partir de cette phase centrée sur l’affectivité que la personne sait qu’elle peut s’appuyer sur telle ou telle infirmière, qu’elle recevra ce dont elle a besoin et qu’elle sera accompagnée dans cette rupture que représente l’hospitalisation.
De plus, plusieurs personnes disent avoir vécu une expérience existentielle importante à l’occasion de ce passage en chirurgie et elles expriment spontanément le réconfort apporté par leur entourage familial, social et par la spiritualité.
(Bécherraz, 2001, p. 117)

7Dans cette citation et dans le tableau ci-contre (N°1), il est possible d’observer des significations proches de celles qui ont émergé chez les patients hospitalisés en psychiatrie : la forte connotation affective de la rencontre avec l’infirmière, le fait d’être reconnu comme un être humain qui souffre, de ne pas être seul, d’être touché, de recevoir des soins holistiques, d’être mis en contact avec un futur meilleur et d’être réconforté par l’entourage familial et social. En d’autres termes, les six premières catégories thématiques décryptées en soins généraux correspondent parfaitement à trois des quatre dimensions extraites des analyses réalisées en santé mentale.

Tableau N°1

Comparaison des catégories thématiques des patients en phase postopératoire versus des patients en santé mentale

Tableau N°1
Patients en phase postopératoire 2001 Patients en santé mentale 2003 Etre ému d’être reconnu comme un être humain qui souffre Dimension relationnelle (engagement) Ne pas être seul Dimension relationnelle Etre projeté dans un futur meilleur Dimension relationnelle Bénéficier d’une suppléance physique et émotionnelle (être soulagé) Dimension relationnelle et corporelle Etre touché physiquement Dimension corporelle Etre entouré par sa famille, ses amis et ses collègues Dimension du lien social Etre soutenu spirituellement Nihil Nihil Dimension contextuelle

Comparaison des catégories thématiques des patients en phase postopératoire versus des patients en santé mentale

8Par contre, deux significations sont différentes selon les services : la dimension contextuelle n’est pas présente chez les patients de chirurgie et le soutien spirituel n’apparaît pas au travers des narrations des patients hospitalisés en psychiatrie. Ces deux constatations peuvent s’expliquer par le fait que tous les opérés avaient séjourné aux soins continus [1] et par conséquent qu’ils ont approché la mort de très près. Ce type d’expérience existentielle semble avoir relié - certains d’entre eux - à la dimension spirituelle. De plus, il est très probable que durant cette période d’endurance pour vivre (Morse & Carter, 1996), la dimension contextuelle telle qu’elle apparaît en psychiatrie ne faisait pas partie de leurs priorités.

9Inversement, tous les patients hospitalisés en psychiatrie étaient valides, autonomes et capables d’interagir avec leur environnement. Par conséquent, ils étaient tous à même de commenter le manque de personnel infirmier et de transmettre leurs appréciations concernant les travaux de réfection des locaux et des bâtiments. Par contre, l’interprétation du silence relatif à la spiritualité en psychiatrie est plus délicate à émettre ; raison pour laquelle nous ne ferons que poser des questions qui mériteraient de faire l’objet de futures recherches en soins infirmiers : l’expérience de la souffrance psychique suscite-t-elle moins de réflexions spirituelles que l’expérience de la finitude ? Les patients hospitalisés en psychiatrie ne parlent pas de spiritualité : ont-ils peur des réactions des professionnels de la santé ? Les troubles de la pensée que présentent certains patients empêchent-ils d’accéder à la spiritualité ?

2 – Infirmières et infirmiers

10En chirurgie, les résultats portent sur onze infirmières, alors que des infirmiers étaient présents dans le service. Ils représentaient 12% du personnel diplômé.

11Voici la synthèse de l’analyse des catégories thématiques des infirmières en phase postopératoire :

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Du côté de l’infirmière, le réconfort commence par un « feeling », par une sorte d’attraction réciproque entre les partenaires de la dyade. Cette attraction est subtile, difficile à raconter et elle semble non volontaire. Parfois, l’infirmière s’identifie à la personne soignée alors qu’à d’autres occasions, elle dit voir un membre de sa famille à travers le patient. Cette phase de rapprochement entre deux êtres humains est très réconfortante pour l’opéré qui se sent reconnu et confirmé.
Ce n’est qu’à partir de ce rapprochement « réussi » qu’intervient la compassion, l’envie d’aider, de soutenir, d’accompagner l’autre dans l’épreuve. Par ailleurs, lors de la narration d’expériences spécifiques, toutes les infirmières affirment que le réconfort comporte au minimum deux dimensions, l’une centrée sur le physique, l’autre sur le psychique. La dimension sociale n’est prise en compte qu’à l’occasion d’un long séjour, alors que l’aspect spirituel - à l’inverse des patients - n’est pas abordé explicitement par les infirmières, même si ce dernier apparaît en filigrane dans certains entretiens.
Par ailleurs, il est intéressant de constater que « la cible du réconfort » n’est pas toujours aussi altruiste qu’il y paraît de prime abord. Plusieurs infirmières ont dit d’une manière ou d’une autre qu’elles attendaient de la reconnaissance de la part du patient ou tout au moins suffisamment de « répondant » et de réciprocité pour qu’elles puissent continuer à donner et à investir d’elle-même dans la relation.
(Bécherraz, 2001, p. 117)

13Dans cet extrait d’analyse et dans le tableau (N°2), il est possible d’observer des significations légèrement différentes de celles qui ont émergé chez les professionnels en santé mentale. La connotation affective de la rencontre est présente en psychiatrie mais le plus souvent, elle est minimisée par les infirmières et les infirmiers. Leurs discours suggèrent que la reconnaissance d’un être qui souffre et son accueil découlent plus d’un engagement éthique et relationnel que dans les soins généraux où l’amorce est éminemment affective. Ceci dit, les deux modalités bien que différentes, conduisent à un réconfort de qualité.

Tableau N°2

Comparaison des catégories thématiques des infirmières en phase postopératoire versus des infirmières et infirmiers en psychiatrie

Tableau N°2
Infirmières en phase postopératoire 2001 Infirmières et infirmiers en santé mentale 2003 Se sentir proche d’un être humain qui souffre Dimension relationnelle (engagement) Etre avec Dimension relationnelle Projeter dans un futur meilleur et réaliste Dimension relationnelle Prendre soin de manière holistique Dimension relationnelle et corporelle Toucher physiquement, regarder Dimension corporelle Maintenir les liens avec l’environnement familial et social Dimension du lien social Considérer les limitations liées au contexte socio sanitaire Dimension contextuelle Nihil (spiritualité) Nihil (spiritualité)

Comparaison des catégories thématiques des infirmières en phase postopératoire versus des infirmières et infirmiers en psychiatrie

14Par contre, on retrouve l’importance d’être là et d’évoquer un futur meilleur avec le patient, comme d’ailleurs l’importance du toucher, des soins du corps et du réconfort apportés par l’entourage familial et social. Les aspects contextuels sont également présents et centrés sur la collaboration intra et inter équipes de même que sur la conjoncture économique.

15Globalement les sept premières catégories thématiques décryptées en soins généraux correspondent aux quatre dimensions extraites des analyses réalisées en santé mentale. Toutefois, la dimension relationnelle est beaucoup plus riche en santé mentale et elle procède d’un ancrage éthique plus évident qu’en soins généraux. Même si la réciprocité de l’engagement relationnel au sein de la dyade est souvent présente, les infirmières et infirmiers en psychiatrie ne l’attendent pas pour maintenir et poursuivre la relation avec la personne malade. Enfin, dernier point commun : quel que soit le service, les professionnels des soins infirmiers ne parlent pas de spiritualité avec la personne hospitalisée.

16Les phénomènes de réconfort extraits de l’analyse des données recueillies auprès des personnes hospitalisées en phase postopératoire et en santé mentale sont superposables pour les dimensions relationnelle, corporelle et celle du lien social. Cependant l’étiquetage des catégories utilisé en soins généraux est plus concret et plus découpé qu’en psychiatrie. Ainsi on observe six catégories thématiques en soins généraux pour trois dimensions en psychiatrie (Tableau N°2). Par contre, le phénomène de réconfort présente deux différences majeures liées au contexte : en soins généraux, les patients évoquent l’importance du soutien de la spiritualité alors que cette dimension n’émerge pas des narrations des patients de psychiatrie. Par ailleurs, les bénéficiaires en phase postopératoire ne mentionnent pas la dimension contextuelle alors que les personnes hospitalisées en santé mentale y sont très sensibles. Il s’agit de différences liées au contexte de soins.

17Les phénomènes de réconfort issus des discours des professionnels sont superposables pour toutes les dimensions (relationnelle, corporelle, du lien social et contextuelle). La même observation peut être faite concernant le niveau d’abstraction de l’intitulé des dimensions qui est comparativement supérieur dans le volet psychiatrique. Par conséquent, les sept catégories thématiques des soins généraux correspondent aux quatre dimensions des soins de santé mentale (Tableau N°2). Enfin, une comparaison avec la septième catégorie des patients permet de dire que la dimension spirituelle est totalement absente du discours des professionnels en soins infirmiers concernant le réconfort.

18Au terme de cette comparaison thématique, il est possible de dire que le phénomène de réconfort, tel qu’il apparaît suite à trois investigations dans des contextes de soins différents, comprend quatre dimensions stables (relationnelle, corporelle, du lien social et contextuelle) et une dimension instable (la spiritualité).

3 – Dyades, exemplaires et singletons

19Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est utile de rappeler quelques éléments de comparaisons consignés dans le Tableau N°3. En chirurgie, les résultats portent sur onze dyades composées de cinq hommes et six femmes qui ont tous nommé des infirmières. En médecine générale, l’analyse des données concerne onze dyades composées de sept hommes et quatre femmes qui ont nommé dix infirmières et un infirmier. De plus, l’analyse des données fait émerger deux singletons [2] composés d’une femme. Ces personnes ont refusé le réconfort proposé, elles n’ont nommé aucun professionnel de la santé, par conséquent elles n’appartiennent à aucune dyade. En santé mentale l’analyse touche quatorze dyades composées de sept hommes et sept femmes qui ont nommé six infirmiers et huit infirmières.

Tableau N°3

Comparaison du nombre et de la composition des dyades et des singletons par service

Tableau N°3
Services Chirurgie Médecine Psychiatrie Total Dyades 11 11 14 36 Singletons — 2 — 2 Total des patients 11 13 14 38 Genre des patients F 6 H 5 F 6 H 7 F 7 H 7 F 19 H 19 Total des professionnels 11 11 14 36 Genre des professionnels F H F H F H F H 11 — 10 1 8 6 29 7

Comparaison du nombre et de la composition des dyades et des singletons par service

20Les analyses dyadiques mettent en évidence une différence majeure entre les deux contextes soumis à comparaison. En phase postopératoire, certains patients refusent le réconfort « relationnel [3] » qui est proposé par l’infirmière alors que cette attitude n’apparaît pas en psychiatrie. Voici un rappel des principaux éléments du contexte chirurgical :

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Deux cas exemplaires reflétant un refus de réconfort sont présents dans les verbatim. Il s’agit d’hommes âgés respectivement de quarante et un et quarante trois ans. La première situation est celle d’un ouvrier du bâtiment qui ne souhaite pas parler de son alcoolisme socialement bien accepté dans son milieu mais que l’infirmière perçoit comme problématique. L’autre situation est celle d’un patient, manutentionnaire, qui ne veut recevoir aucun réconfort de la part de l’infirmière, estimant que le réconfort est une affaire privée qui se vit exclusivement à l’intérieur de son couple.
Dans ces deux cas, les infirmières se sentent terriblement frustrées de ne pouvoir « aider plus » la personne opérée, alors même que cette dernière ne fait aucune demande explicite ou implicite et qu’elle n’est pas intéressée par ce qui lui est offert en termes relationnels. Tout se passe comme si la personne recevait ce dont elle a besoin à travers l’attention qui lui est prodiguée à l’occasion des soins physiques. La présence, la gentillesse et le sourire des infirmières sont réconfortants et suffisants.
Face à ce que les infirmières perçoivent comme une absence d’ouverture et de dialogue, le patient lui, n’a aucun besoin de parler de son vécu. Il est dans une dynamique de réparation de son corps et son objectif est d’être sur pieds afin de retrouver le plus vite possible son réseau social et familial. Il est possible de dire que les infirmières sont décontenancées face à ces deux patients qui sont des hommes d’une quarantaine d’années et qui n’ont pas l’habitude de se préoccuper et de parler de leurs émotions. Dans ces deux situations, il est possible de dire que les infirmières ne sont pas en contact avec les besoins réels du patient mais avec ceux qu’elles projettent sur lui. D’une certaine manière le patient prive involontairement l’infirmière du soin relationnel qu’elle souhaite lui offrir mais dont il ne sait que faire. A ce moment, l’infirmière s’interroge, se pose des questions sur son attitude, et s’autocritique. Elle peut aussi désinvestir émotionnellement le patient.
(Bécherraz, 2001, p. 120)

22C’est sur la base de ces deux analyses de cas (exemplaires) que des liens avaient été suggérés entre le genre, la scolarité et le refus de réconfort relationnel. Il est important de préciser à ce stade de la comparaison que les résultats issus du service de médecine interne confirment uniquement les liens entre la scolarité et le refus de réconfort. En effet, dans ce contexte, deux femmes âgées de trente deux et soixante quatorze ans, possédant les scolarités les plus courtes, avaient explicitement refusé le réconfort qui leur était proposé par les infirmières. Ces deux femmes représentent donc des « singletons ». Voici un rappel des principaux éléments les concernant :

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Une femme âgée vivant seule, n’attend du réconfort que de ses enfants et petits enfants. De ce fait, elle s’arrange pour être la plus autonome possible pendant l’hospitalisation, en ce qui concerne les soins du corps et la relation. Cette personne passe presque inaperçue puisqu’elle ne demande rien, parle peu et ne tisse -apparemment - aucun lien avec l’équipe soignante. Cette autonomie semble avoir été « apprise », dès son plus jeune âge, par la nécessité de subvenir rapidement à ses besoins fondamentaux. Travailler loin de chez elle, loin des siens, était le seul moyen de manger, de se vêtir, d’être logée et de ne pas être à la charge de ses parents. Dès lors, il devient possible d’envisager que même la création d’un lien avec une infirmière, représente un manque d’autonomie difficilement supportable.
Enfin, il est important de retenir qu’une jeune patiente, divorcée, mère d’un enfant peut demander qu’on la « laisse tranquille », sans que cela signifie qu’elle n’a pas de souci. De plus, des demandes apparemment incohérentes[4] pour l’équipe soignante peuvent prendre sens lorsqu’elles sont analysées avec d’autres demandes qui paraissent tout aussi incongrues[5]. D’ailleurs, il serait intéressant de demander à la patiente quel est le lien entre ses différentes requêtes. Elle est probablement la seule détentrice des liens secrets qui unissent son souci, ses pleurs, ses symptômes et ses demandes.
(Bécherraz, 2002e, p. 13-14)

24En soins généraux, il est possible d’identifier deux attitudes de la part des infirmières face au refus de réconfort d’une personne hospitalisée. Premier cas de figure, la clinicienne tente à plusieurs reprises d’entrer en matière avec le patient sur un problème qu’elle a identifié. Si celui-ci refuse ses invitations, l’infirmière ressent de la frustration et désinvestit la relation tout en maintenant une offre en soins physiques de qualité. Deuxième cas de figure, une patiente refuse d’emblée et explicitement une relation avec les infirmières et ces dernières acceptent apparemment cette mise à l’écart. Cependant, lorsque la patiente procède ultérieurement à des demandes détournées et maladroites, ces dernières ne sont pas prises en considération par les infirmières. L’inadéquation des demandes est l’argument énoncé pour ne pas y répondre.

25En santé mentale, aucun patient n’a dit avoir refusé le réconfort qui lui était proposé. Pourtant, les scolarités effectuées par les patients ne sont ni plus longues ni supérieures à celles des personnes hospitalisées en soins généraux. Le client hospitalisé en santé mentale semble être plus en attente d’un réconfort global (physique, psychologique et social) que certains patients de soins généraux – homme et femme – qui considèrent « la réparation » de leur corps comme prioritaire ou qui ne voient pas – a priori – l’intérêt de parler de leurs soucis à une professionnelle en soins infirmiers. Il est possible que ces bénéficiaires ne connaissent tout simplement pas ou mal les compétences des cliniciennes.

26En définitive, la présente recherche ne fournit aucune information sur la manière dont les infirmières et infirmiers gèrent la frustration en santé mentale. Ils sont peut-être mieux outillés que leurs collègues de l’hôpital général.

27Par ailleurs, les personnes hospitalisées sont plus âgées en soins généraux qu’en psychiatrie adulte [6]. Ces malades présentent souvent des polypathologies qui rendent parfois le traitement et les soins complexes. Le cas exemplaire ci-dessous en est une illustration :

28

Dans le groupe des femmes âgées de 70 à 75 ans se trouve une veuve qui ne se remet pas de la perte de son mari qui était aux petits soins pour elle. La mort du conjoint remonte à trois ans. De plus, la patiente présente une pathologie douloureuse dont l’antalgie est difficile à gérer. Il semble qu’un cercle infernal de type dépression – douleur – dépression soit engagé, ce qui complexifie la prise en charge médicale et infirmière. La patiente se plaint de douleur alors que l’infirmière parle du futur et cherche un placement en Unité d’Accueil Temporaire (UAT). Cette intervention est extrêmement pertinente si elle vise à combattre la solitude de la patiente. Toutefois, tout se passe comme si la confrontation insupportable à la douleur était évacuée au profit d’une action visant le départ de la plaignante. D’ailleurs, la fille de la patiente énonce le préalable à la sortie en termes clairs : « Je veux bien la prendre à la maison si elle n’a plus mal ».
Un traitement antidépresseur a été introduit et l’analyse de l’entier de la situation de cette patiente est prévue à court terme. Ce cas exemplaire illustre la complexité d’une situation où la douleur et la tristesse se potentialisent, rendant le réconfort difficile - voire impossible -.
(Bécherraz, 2002e, p.14)

29Un extrait du dernier cas exemplaire permet de constater que le développement d’une complication postopératoire peut passer inaperçu alors même que la patiente présente des plaintes et un questionnement qui ne sont intelligibles qu’a posteriori.

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Nous avons également observé que la personne est dans l’impossibilité de demander l’aide nécessaire lorsqu’une complication postopératoire se développe à bas bruits. Ses questions peuvent paraître incongrues. Cette situation est une source d’informations importantes pour la discipline, car elle permet de mettre en évidence que ce n’est qu’à partir du point de vue de la personne et de son état clinique qu’une interprétation des questions qu’elle pose, peut être faite. En effet, ce n’est pas parce que la patiente pose des questions sur ses résultats sanguins, sur la nature de l’écoulement de ses drains, sur sa plaie opératoire qu’elle est forcément « angoissée ». Elle peut l’être, mais les douleurs, la fièvre, les vomissements, la fatigue, suggèrent d’autres interprétations.
Un point important à retenir dans le cadre de cette étude, est qu’une personne peut se sentir réconfortée moralement par la présence de l’infirmière et simultanément continuer à dire qu’elle a mal. Cette situation devrait alerter l’équipe soignante, en particulier lorsqu’il s’agit d’une femme de plus de soixante cinq ans qui par son éducation et son histoire de vie n’a pas l’habitude de se faire entendre et d’exiger qu’on réponde à ses questions.
(Bécherraz, 2001, p. 119-120)

4 – Axes orthogonaux

31Toujours dans le projet de comparer les similitudes et les différences selon le contexte de soins, regardons maintenant la répartition des dyades sur les axes orthogonaux. Pour cela il est nécessaire d’utiliser les analyses réalisées lors des trois volets du programme de recherche. La terminologie des axes a été légèrement modifiée après l’analyse réalisée en phase postopératoire car la non conscience du réconfort dispensé par les infirmières nécessitait d’être mise en lumière par l’intitulé des axes. La comparaison porte ainsi sur des éléments issus d’une même logique à savoir la conscience ou la non conscience du réconfort proposé par l’infirmière ou l’infirmier à la personne hospitalisée.

32Le schéma B permet de visualiser la répartition des informants sur les deux axes. Tout service confondu, trente deux personnes sur trente six (32/36) appartenant à une dyade disent avoir reçu du réconfort. Cette observation est cohérente avec la problématique et la question de recherche qui vise le développement de connaissances en regard du phénomène de réconfort. Par contre, plus de la moitié des praticiennes et praticiens ne sont pas conscients de l’effet qu’ils produisent sur la personne qu’ils ont réconforté (18/32). Tous les infirmiers sont dans cet espace inférieur droit du schéma. Ils constatent qu’ils n’ont rien fait de particulier ou « rien de plus » pour la personne qui les a nommés que pour une autre. Les femmes semblent être plus conscientes de « l’utilisation de soi » que leurs collègues masculins.

Schéma B

Répartition sur deux axes orthogonaux des 36 dyades et de 2 singletons des services de chirurgie [7], de médecine [8] et de psychiatrie [9]

Schéma B

Répartition sur deux axes orthogonaux des 36 dyades et de 2 singletons des services de chirurgie [7], de médecine [8] et de psychiatrie [9]

33Toute proportion gardée, il est possible de dire que les infirmières travaillant en soins généraux sont légèrement plus conscientes du réconfort qu’elles proposent que leurs collègues de santé mentale. Il est probable que l’importance consacrée à la technique, au « faire » présent en chirurgie et en médecine soit plus « conscientisante » que la valeur octroyée aux habiletés relationnelles typiques des soins psychiatriques. Ceci dit, il paraît néanmoins suspect que des professionnels de la santé ne soient pas plus conscients de leur efficacité et de la qualité des soins qu’ils dispensent.

34La dispersion géographique des dyades de soins généraux sur les deux axes est plus grande que celle des dyades de santé mentale. En soins généraux, tous les espaces sont utilisés, même l’intersection qui comprend les singletons. Cette dispersion géographique signifie que quatre patients ne sont pas réconfortés et que deux autres refusent le réconfort. Inversement, il est possible d’observer un regroupement des dyades de santé mentale du côté droit du schéma, signifiant que tous les patients ont dit avoir reçu du réconfort.

35Enfin, les dyades ou singletons encadrés représentent les cas exemplaires qui apportent des informations complémentaires et inattendues concernant le phénomène à l’étude. Ils sont plus nombreux en soins généraux qu’en santé mentale. Le plus souvent, ces cas présentent une forte connotation douloureuse, voire des douleurs incoercibles ou le développement de complications postopératoires. En psychiatrie, l’unique cas exemplaire est relié à la pauvreté du discours de l’infirmière en regard du réconfort qu’elle a apporté - malgré elle - à un patient psychotique.

Synthèse

36Au terme de cet article consacré à une analyse comparative du phénomène de réconfort tel qu’il apparaît dans trois contextes de soins différents, quelques points de convergence et de divergence sont à retenir.

Points de divergence

37Paradoxalement en soins généraux, les soins du corps, l’installation, la suppléance, l’anticipation d’une difficulté du patient sont dévalorisés (par les professionnels) au profit d’un discours relationnel éminemment affectif. Dans le cadre des entretiens, les infirmières parlent essentiellement de « savoir être », un peu comme si le « savoir faire » n’était pas important. Inversement en psychiatrie les soins du corps sont valorisés et utilisés à buts thérapeutiques tout comme la relation instaurée avec la personne hospitalisée.

38En psychiatrie, aucun patient n’a fait référence à la spiritualité et aucun patient n’a refusé le réconfort qui lui était proposé.

39Dans ce même contexte, il a été possible d’investiguer la spécificité du réconfort masculin qui apparaît comme lié à la personne de l’infirmier, à sa spontanéité et aux activités sportives et de loisirs qu’il favorise et partage avec les patients. Le réconfort proposé par l’infirmier est basé sur un engagement éthique et il intègre les quatre dimensions (relationnelle, corporelle, du lien social et contextuelle). Les objectifs de soins sont réalistes et font l’objet d’une négociation avec la personne hospitalisée.

40En médecine et en psychiatrie, aucun professionnel n’a soulevé la nécessité d’un lieu de parole où il serait possible d’élaborer et de conceptualiser - avec un(e) spécialiste - les ruptures successives ou les difficultés rencontrées au quotidien dans l’équipe pluridisciplinaire. En chirurgie, cet aspect était apparu à plusieurs reprises en termes de besoin prioritaire qui devait être satisfait afin de pouvoir continuer à s’investir et à réconforter. Il est important de rappeler que ces infirmières étaient confrontées simultanément à des patients dont la vie avait été menacée par une pathologie sévère et à des chirurgiens vécus comme des « réparateurs de corps défaillants ».

41Enfin, il semble qu’il y ait une méconnaissance chez certaines infirmières en soins généraux quant aux buts poursuivis par la relation intersubjective. En effet, cette dernière est une forme d’engagement éthique visant le « bien » du patient et une assistance dans la réponse à son souci prioritaire et ce, même si ce dernier paraît incohérent pour l’infirmière ou l’infirmier. C’est là un des avantages de l’équipe de soins que de permettre la mise en discussion de points de vue différents. Cela implique que la divergence soit tolérée et « l’étiquetage sauvage » du patient soit remis en question.

Points de convergence

42A ce jour, le phénomène de réconfort se présente comme constitué de quatre dimensions stables (relationnelle, corporelle, du lien social et contextuelle) et d’une dimension instable, la spiritualité. En terme de convergence, la spiritualité semble être le facteur oublié des soins infirmiers de ce troisième millénaire. Les patients hospitalisés en chirurgie et en médecine la considèrent comme une source importante de réconfort. Cependant, l’infirmière et l’infirmier, tous services confondus, n’en parlent pas explicitement à l’intérieur de la dyade. Cette constatation interpelle car paradoxalement l’aspect relationnel envahit complètement le discours des professionnels. Il est probable que ces derniers n’identifient pas « l’accompagnement » qu’ils offrent à une expérience spirituelle, alors même que la relation significative qu’ils construisent avec la personne malade peut en faire partie.

43L’infirmière et l’infirmier ne sont pas conscients de tout ce qu’ils mettent en œuvre pour réconforter la personne qui souffre. Ils n’identifient pas l’usage de connaissances personnelles, éthiques et pratiques comme étayant leurs stratégies de réconfort. Curieusement, l’utilisation des connaissances empiriques est minimisée. Il paraît important de favoriser cette prise de conscience afin de décrire les spécificités des soins infirmiers.

44Le refus de réconfort n’est pas lié au genre comme cela paraissait être le cas initialement. Par contre, la durée de la scolarité semble être un des éléments déterminant. En effet, les quatre patient(e)s qui refusent (tout ou partie) du réconfort infirmier, possèdent les scolarités les plus courtes des trente huit bénéficiaires interrogés. Il est important de prêter attention à cet aspect car ces personnes passent volontiers inaperçues. Il est probable que leur souci primordial ne soit pas identifié.

45Enfin, si la pénibilité des conditions de travail était dénoncée, en 1999, uniquement par les infirmières du service de chirurgie, ce sont les patients hospitalisés en médecine en 2001 et en psychiatrie en 2003 qui en parlent le plus. Dans l’ensemble, il est possible de dire que certains patients supportent mal les délais entre l’émergence d’un besoin et la réponse de l’infirmière ou de l’infirmier. De plus, en observant les conditions de travail, ils semblent apprécier d’être à leur tour les avocats des professionnels de la santé. Mais est-ce bien leur rôle ?

46En définitive, le phénomène de réconfort tel qu’il apparaît à travers trois recherches herméneutiques est soustendu par la « phronesis » ou la sagesse pratique. Cette dernière fait appel à un sens profond de la responsabilité - comprise comme une valeur éthique - en regard de la souffrance humaine. Toutefois, il est important de rappeler que la « phronesis » est éclairée simultanément par la relation transpersonnelle et par la rigueur du raisonnement formel qu’exige la situation du patient. En d’autres termes, elle nécessite des connaissances pratiques (Benner, 2002a), empiriques, éthiques, personnelles et esthétiques (Carper, 1978).

47Enfin, la sagesse pratique a l’avantage de prendre en compte le contexte micro et macro social dans lesquels s’inscrivent les expériences vécues par les êtres humains.

La recherche menée en 2001-2002 a été financée par le Fond National de la Recherche Scientifique (FNS) et la Commission pour la Technologie et l’Innovation (CTI). Ce financement octroyé dans le cadre de l’action « DORE », visait le développement de compétences - en recherche - dans les Hautes Ecoles de la Santé et du Social.

Bibliographie

Bibliographie

  • Bécherraz, M. (2002a). Expériences et significations du réconfort pour la personne opérée et pour l’infirmière qui en prend soins (1ère partie). Recherche en Soins Infirmiers, 69, 80-87.
  • Bécherraz, M. (2002b). De l’intérêt de la phénoménologie pour la mise en évidence de l’expertise infirmière et le développement de connaissances en soins infirmiers (2ème partie). Recherche en Soins Infirmiers, 69, 88-99.
  • Bécherraz, M. (2002c). Expériences et significations du réconfort pour la personne opérée (3ème partie). Recherche en Soins Infirmiers, 69, 100-110.
  • Bécherraz, M. (2002d). Expériences et significations du réconfort pour l’infirmière (4ème partie). Recherche en Soins Infirmiers, 69, 111-121
  • Bécherraz, M. (2002e). Expériences et significations du réconfort pour l’adulte hospitalisé dans un service de médecine et pour l’infirmière qui en prend soins. Etude phénoménologique. Rapport de recherche réalisé dans le cadre de l’action DORE : Fond National de la Recherche Scientifique et de la Commission pour la Technologie et l’Innovation. Document non publié.
  • Bécherraz, M. (2001) Une phénoménologie du réconfort. Trélex : Phronesis-Edition.
  • Benner, P. (2000a). Clinical wisdom. Conference at the Department of Nursing. February 11. Montreal : Jewish Montreal Hospital.
  • Benner, P. (2000b). Interpretive phenomenology. Seminar at the McGill School of Nursing. February 10. Montreal : McGill University.
  • Carper, B.A. (1978). Fundamental patterns of knowing in nursing. Advances in Nursing Science, 1, 13-23.
  • Morse, J.M., & Carter, C.S. (1996). The essence of enduring and expressions of suffering : The reformulation of self. Scholarly Inquiry for Nursing Practice : An International Journal, 10, 43-60.

Notes

  • [1]
    Avoir séjourné aux soins continus était un des critères d’inclusion des patients. Les « soins continus » correspondent à une structure intermédiaire entre les « soins intensifs » et l’unité hospitalière.
  • [2]
    Dans le cadre de cette recherche, un singleton est une personne qui a été informée, a signé une formule de consentement et a choisi de participer à un entretien tout en ayant refusé - a priori et globalement - le réconfort proposé par les infirmières et infirmiers du service.
  • [3]
    Inversement aux deux « singletons » précédents, ces deux patients ont dit avoir reçu du réconfort à travers les soins postopératoires. Ils ont donc nommé une infirmière ; par conséquent, ils appartiennent à une dyade.
  • [4]
    La patiente a demandé un test HIV qui lui a été refusé.
  • [5]
    La patiente a demandé de voir un prêtre.
  • [6]
    La moyenne des âges en chirurgie 57ans ; en médecine 62,5 ans et en psychiatrie 46,5 ans. Il est important de préciser que le service de psychiatrie adulte s’adresse à des personnes âgées entre 18 et 65 ans.
  • [7]
    Service de chirurgie : les dyades sont écrites en majuscules.
  • [8]
    Service de médecine générale : les dyades et singletons sont écrits en majuscules, en italique et en gras.
  • [9]
    Service de psychiatrie adulte : les dyades sont écrites en majuscules soulignées.
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