Notes
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[1]
Sur ce thème, voir le numéro thématique de la Revue Internationale de Psychosociologie (2012/44).
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[2]
Sur ce sujet, voir les travaux pionnier de Ch. Comegys (1976).
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[3]
Pour notre part, nous entendons par cognition, la description, l’explication et, le cas échéant, la simulation des principales dispositions et capacités de l’esprit humain : langage, raisonnement, perception, coordination motrice, planification.
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[4]
Oubliant quelque part les affres de la conception.
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[5]
En d’autres termes, l’idée couramment retenue est que la conception ne participe pas aux mécanismes de détermination de la valeur.
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[6]
Le profil-type des entrepreneurs n’est pas le seul aspect normatif de l’entrepreneuriat. Le plan d’affaires s’inscrit aussi dans cette logique.
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[7]
Il ne s’agit pas de cultiver ses talents, ce qui reviendrait à s’inscrire dans le débat entre l’inné (les compétences distinctives) et l’acquis (cultiver des compétences), mais de s’intéresser à l’activité cognitive de la conception.
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[8]
Cette idée avait déjà été émise par H. Simon (1991). Pour cet auteur, est concepteur « quiconque imagine quelque disposition visant à changer une situation existante en une situation préférée » (H. Simon, 1991, p. 201).
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[9]
Au sens premier du terme, supposition qu’une chose est possible.
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[10]
On retrouve ici la notion de disegno chère à Léonard de Vinci, qui peut se différencier en disegno interno (dessein) et disegno externo (dessin).
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[11]
La résolution de problèmes renvoie à des problèmes dits fermés dont les contours sont connus ou donnés.
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[12]
Cf. le disegno interno (dessein) et disegno externo (dessin) évoquésen supra.
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[13]
Cette épistémologie est appelée « radicale » par E. von Glasersfeld (1988) parce qu’elle « rompt avec la convention, et développe une théorie de la connaissance dans laquelle la connaissance ne reflète pas une réalité ontologique “objective” ».
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[14]
Le traitement des problèmes reçoit chez J. Dewey (1938-1993 : 169) le terme générique d’enquête : « l’enquête est la transformation contrôlée et dirigée d’une situation indéterminée en une situation qui est si déterminée en ses distinctions et relations constitutives, qu’elle convertit les éléments de la situation originelle en un tout unifié ».
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[15]
Il existe aussi des problèmes, dits fermés, qui se caractérisent par l’énoncé du problème non seulement connu à l’avance mais aussi l’énoncé du problème comme indépendant de la personne qui est amenée à le résoudre.
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[16]
« Toute entreprise de résolution de problème doit commencer par la création d’une représentation du problème, autrement dit d’un espace de problème dans lequel la recherche de la solution pourra s’exercer. Bien sûr pour la plupart des problèmes que nous rencontrons dans nos vies quotidiennes, personnelles ou professionnelles, nous récupérons simplement dans notre mémoire une représentation que nous avons déjà utilisée dans une situation précédente et mémorisée. (…) Il arrive pourtant parfois que nous rencontrions une situation qui ne semble pas pouvoir s’ajuster aux espaces de problèmes que nous avons rencontrés précédemment, même en les étendant et en les transformant. Nous sommes alors confrontés à une tâche de découverte/invention qui peut être aussi considérable que celle de la recherche d’une nouvelle loi naturelle. Si Newton put découvrir la loi de la gravitation, c’est parce qu’il avait précédemment trouvé un nouveau mode de représentation, le calcul différentiel. (…). La plupart du temps, les problèmes de représentation sont de difficulté intermédiaire entre la simple adaptation d’une représentation connue et l’invention d’un nouveau mode de représentation » (H. Simon 1991).
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[17]
De l’allemand : espace pour manœuvrer. Le Spielraum réfère au champ d’action, au champ opérationnel effectif d’une personne en situation, appelé aussi le champ des possibles
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[18]
Bien souvent ces problèmes d’adaptation proviennent du fait que ce sont les représentations qui font la différence dans la difficulté de la résolution de problème. Une partie des difficultés des entrepreneurs pourraient alors se comprendre comme un problème de représentation de situations nouvelles. Pour résoudre le problème, il faut travailler sur l’espace de problématisation.
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[19]
Ce point sera approfondi dans le paragraphe suivant.
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[20]
Pour illustrer la distinction entre réalité de premier ordre et réalité de second ordre, reprenons ici l’histoire de la bouteille à moitié pleine et à moitié vide couramment mobilisée : « la différence entre un optimiste et un pessimiste devant la même bouteille de vin est que l’optimiste dit de la bouteille de vin qu’elle est à moitié pleine, le pessimiste à moitié vide. La réalité de premier ordre est la même pour les deux (une bouteille qui contient du vin) ; leurs réalités de second ordre sont différentes, et il serait vraiment inutile d’établir qui a raison et qui à tort » (P. Watzlawick, 2000, p. 31).
1 Comme le montrent D. Grégoire et al. (2011) ; L.J. Filion (2008) et Ch. Schmitt (2015), la cognition entrepreneuriale [1] est l’une des voies de recherche les plus prometteuses pour l’entrepreneuriat. Ces recherches viennent conforter l’extension du domaine de l’entrepreneuriat (E.-M. Hernandez, 2006) et plus particulièrement les recherches sur le processus entrepreneurial (A. Fayolle, 2003). À travers cette perspective cognitiviste, la recherche en entrepreneuriat cherche à s’émanciper des approches portant sur les traits de l’entrepreneur et de celles liées aux faits de l’entrepreneur (R. Baron, 2004 ; R. Mitchell et al., 2002). Cette émancipation n’est pas récente [2] et le recours à la notion de cognition ces dernières années est exponentiel, sans pour autant trouver de consensus [3] (P. Cossette, 2010). Elle permet d’inscrire durablement la recherche en entrepreneuriat dans une perspective cognitiviste (D. Forbes, 1999 ; J. Katz et D. Shepherd, 2003 ; R. Baron, 2004 ; D. Grégoire et al, 2011 ; Ch. Schmitt, 2015). Toutefois, l’approche cognitive de l’entrepreneuriat ne doit pas être considérée comme une alternative aux autres approches dans le domaine de l’entrepreneuriat, mais plus comme une position englobante par rapport aux connaissances que nous pouvons avoir dans le domaine en question.
2 Cet article se veut une proposition de réponse à l’appel lancé par L.J. Filion (1998) à la communauté de chercheurs en entrepreneuriat pour développer des recherches sur « la conception, l’articulation et la mise en œuvre de systèmes d’activités composés d’une multiplicité d’actions humaines » (p. 16) et contribuer au développement de « connaissances plus approfondies et plus fondamentales sur ce qu’est un système de pensée qui conduit à l’activité entrepreneuriale » (p. 17). Dans cette perspective, nous nous proposons de nous intéresser à la notion de conception, base des pratiques entrepreneuriales et caractéristique fondamentale de la cognition entrepreneuriale (S. Sarasvathy, 2003). Comme nous l’envisageons dans cet article, la conception participe au travail de représentation de l’entrepreneur, à la pensée projective et à la définition du projet entrepreneurial. Elle est la base de notre capacité à projeter des séquences d’actions dirigées vers un but. À travers cette notion, il ne s’agit pas simplement de mettre au centre de la réflexion un concept trop longtemps négligé dans la recherche en entrepreneuriat, mais aussi d’élaborer une nouvelle représentation de l’entrepreneuriat et de l’intelligence humaine, en redonnant toute son importance à la dynamique des interactions entre l’entrepreneur et son environnement, ainsi qu’à la construction que l’entrepreneur se fait du monde (R. Moreau, 2004 ; L.J. Filion, 2008). Il s’agit, à travers la notion de conception, de (ré) affirmer et de (re)donner une place importante à l’entrepreneur comme individu cognitif et social évoluant dans une complexité finalisée et finalisante.
3 Pour aborder la notion de conception en entrepreneuriat, nous devons effectuer un changement de regard sur la recherche menée. En effet, il ne s’agit plus de savoir ce que nous connaissons au niveau de la recherche en entrepreneuriat mais plutôt de savoir comment nous connaissons l’entrepreneur et ses pratiques pour reprendre la pensée de H. von Foerster (2000). La notion de conception favorise ce changement de regard. Dans cet article, nous souhaitons nous interroger sur l’intérêt de la notion de conception, pour la recherche en entrepreneuriat et sur la compréhension des mécanismes cognitifs développés par l’entrepreneur dans ses pratiques. L’article est organisé en trois parties : La première partie s’intéresse à la place de la conception dans la recherche en entrepreneuriat. Plus précisément, nous chercherons à comprendre pourquoi la conception n’est pas présente dans la recherche en entrepreneuriat. Cela s’explique principalement par la façon dont l’entrepreneuriat s’est construit autour des sciences économiques, où la notion de conception était soit envisagée sous un angle non productif à la différence de la production, soit sous un angle divin, où la création/conception est l’œuvre seule de Dieu. Bien qu’encore émanent dans les recherches en entrepreneuriat, l’usage de la notion de conception a évolué. Orientée vers les compétences, la conception peine cependant à paraître dans les travaux de recherche. Dans le sillage dela recherche des compétences distinctives, la recherche en entrepreneuriat, à quelques rares exceptions près, ne considère pas la conception comme une compétence distinctive. Pourtant, les pratiques entrepreneuriales laissent envisager une place plus importante que ne donnerait pas la recherche à la notion de conception. Cela laisserait sous-entendre que la conception est une compétence ordinaire. Si tel est le cas, il devient urgent de l’intégrer dans la recherche en entrepreneuriat. La deuxième partie de cet article porte sur l’intégration de la conception dans le processus entrepreneurial. Pour cela, nous partirons d’une définition largement admise de la conception, développée par H. Simon (1991). De cette définition, nous proposons de mettre en relief trois mécanismes cognitifs qui sont en jeu dans le processus entrepreneurial : la projection d’un futur souhaité, les mécanismes de problématisation et le projet entrepreneurial. La projection est relativement bien connue au niveau de la littérature dans le domaine de l’entrepreneuriat à travers la notion de vision (L.J. Filion, 1991). Or, il conviendrait d’aller plus loin par rapport à cette notion de vision et de comprendre les mécanismes qui sont derrière, comme notamment la problématisation. Le projet entrepreneurial apparaît alors comme un résultat en construction permanente, un objet intermédiaire issu de ces mécanismes cognitifs. Enfin, la troisième partie propose d’organiser ces trois éléments autour d’une modélisation des mécanismes cognitifs de la conception et de montrer son implication au niveau d’un domaine de l’entrepreneuriat : l’accompagnement entrepreneurial. L’introduction de la notion de la conception au niveau de l’accompagnement interpelle non seulement les modalités d’accompagnement mais aussi le rôle de l’accompagnateur.
1. La conception dans la recherche en entrepreneuriat : une relation à construire
4 La notion de conception est peu présente dans la recherche en entrepreneuriat alors qu’elle fait partie intégrante du processus cognitif mis en œuvre par les entrepreneurs dans leur pratique. Dans cette première partie, nous avons cherché à comprendre cette absence au niveau de la recherche en entrepreneuriat. Nos recherches ont permis de mettre en évidence différentes raisons pour comprendre l’absence de cette notion dans la recherche en entrepreneuriat. Dans un premier point, nous avons porté un regard historico-culturel sur cette notion pour comprendre son absence au niveau de la recherche en général. Cette absence a selon nous, une conséquence forte sur la façon dont l’entrepreneuriat a fait l’objet d’un développement au niveau de la recherche. C’est l’objet du second point. Nous montrerons que la recherche en entrepreneuriat s’est focalisée essentiellement sur des compétences distinctives en négligeant la conception. Une explication pourrait venir du fait que, finalement, concevoir n’est pas une compétence distinctive mais simplement ordinaire.
1.1. Approche historico-culturelle de l’absence de la notion de conception dans la recherche
5 Pour comprendre la faible présence de la notion de conception dans le domaine de l’entrepreneuriat, il est nécessaire d’élargir notre spectre de représentation. La notion de conception renvoie à deux aspects différents mais qui ont eu pour conséquence une mise à l’écart de cette notion au niveau de la recherche dans le domaine de l’organisation, en général, et de l’entrepreneuriat, en particulier. À travers les travaux G. de Terssac (1996), il est possible de présenter la première représentation de la conception autour de deux éléments :
6 L’autre représentation de la conception renvoie aux travaux de H. Joas (1992) sur la créativité. Pour cet auteur, il est difficile de travailler sur ces notions, comme sur celles qui y sont liées, car elles sont de nature divine. En effet, concevoir relève de la faculté qu’un chrétien ne pouvait reconnaître qu’à Dieu. Cette représentation de la conception est loin d’être neutre dans la façon d’aborder l’entrepreneuriat en Europe et en Amérique. Dans la perspective chrétienne, prévaut « une création du monde à partir du néant par l’action du seul et unique Dieu créateur » (H. Joas, 1992, p. 83). On parlera de creatio ex nihilo. Il est possible de compléter cette représentation chrétienne par une autre, antique, puisée à la tradition grecque. Dans cette tradition, la notion de démiurge ne renvoie pas à un mode d’action relatif à des idées à modeler à dessein mais déjà données : les mythes grecs ne participent pas à la création ; ils sont juste le résultat de la démonstration divine. Il faut attendre l’arrivée du protestantisme pour faire évoluer cette relation à la conception et redonner à l’homme la possibilité d’être créateur de son environnement. En effet, dans l’optique protestante, entreprendre et faire des affaires ont pour enjeu principal de se montrer à la hauteur du Créateur. Dans cette optique, il apparaît nécessaire, non seulement de travailler à la besogne tant que dure le jour, mais de toujours chercher à réformer et à recréer sa besogne, de manière à la rendre plus florissante, plus rentable et de se montrer, de la sorte, à l’image de Dieu, autrement dit de se montrer créateur soi-même (comme l’enseigne la Parabole des talents dans les Évangiles). À travers cette approche historico-culturelle, il est possible de comprendre le développement de l’entrepreneuriat dans certains pays par rapport à d’autres, donnant aux travaux de Max Weber, pour qui l’esprit protestant est à l’origine du capitalisme (1904-1989), une forte actualité.
- la place de la conception par rapport à la réalisation. La conception ne renvoie pas à la même image que celle du travail, véhiculée par la réalisation, c’est-à-dire renvoyant à l’idée de labeur et de souffrance [4]. De plus, la conception ne se situe pas, à la différence de la réalisation, au rang d’une « activité productive », permettant de générer de la valeur [5] ;
- conception et réalisation ont été longtemps envisagées de façon dissociée, voire de façon disjonctive. Cette séparation entre les deux s’inscrit dans une approche taylorienne de l’organisation. Les uns avaient à concevoir l’activité des autres sans pour autant qu’il y ait de lien entre les deux. La conception renvoie au département R & D et nécessiterait des compétences spécifiques souvent détenues par les ingénieurs. Ingénieur et entrepreneur apparaissent comme deux figures différentes de l’entreprise.
8 Les deux représentations de la conception ont eu pour conséquence de délaisser purement et simplement cette notion au niveau de la recherche en entrepreneuriat, alors même qu’elle est l’un des moteurs de la recherche en innovation. Les fondements des sciences économiques ne sont pas neutres par rapport à la non-mobilisation de la notion de conception dans la recherche actuelle de l’entrepreneuriat.
1.2. La place de la conception dans la recherche en entrepreneuriat : des compétences distinctives aux compétences ordinaires
9 En se focalisant sur la question « qui est l’entrepreneur ? » (Approche par les traits), la recherche en entrepreneuriat s’est centrée principalement sur la mise en évidence de compétences distinctives au niveau de l’entrepreneur. Ainsi, les recherches se sont essentiellement structuréesen deux temps (E.-M. Hernandez, 1999) :
- le premier temps correspond à repérer dans une population les personnes qui sont plus susceptibles que les autres de créer une entreprise ;
- le deuxième temps, découlant directement du premier, doit permettre de faire émerger les caractéristiques des créateurs ayant réussi par rapport à ceux qui échouent.
11 Ces approches behavioristes conduisent à une compréhension normative [6] de l’entrepreneuriat et, plus particulièrement, de l’entrepreneur. Il s’agit de développer un profil-type et de travailler sur les écarts entre ce profil-type et le profil de la personne considérée. Dans cette perspective, un grand nombre de travaux portant sur le profil-type ont été développés, aboutissant à des questionnaires notamment utilisés par les structures d’accompagnement. Allant dans ce sens, une analyse de la littérature permet de voir que traditionnellement la conception n’a pas de place dans les référentiels de compétences développés. Quelques exceptions notables sont toutefois à signaler. Les travaux de L.J. Filion (1997), à travers la notion de vision, ont permis de la mettre en évidence. L.J. Filion par le notamment de compétences relatives à la conception/pensée systémique. Les travaux d’E. Laviolette et Ch. Loue (2006) et ceux de Ch. Schmitt (2005 et 2015) l’intègrent aussi dans leur approche des compétences. En cherchant des compétences distinctives, le chercheur en entrepreneuriat, pour reprendre une métaphore connue, ne se comporterait-il pas comme l’ivrogne qui cherche ses clefs sous le lampadaire alors qu’il les a perdues plus loin ? Le chercheur ne cherche-t-il pas les clés sous le lampadaire car il s’agit du seul endroit qui soit éclairé ! Parallèlement à ce développement de la recherche, certains auteurs proposent une conception tout à fait différente par rapport à cette idée de compétences distinctives : entreprendre serait un talent ordinaire [7].
12 À la lecture de l’article de D. Lavoie (1988), une autre voie de compréhension s’ouvre sur le fait que la conception ne fasse pas partie de la recherche en entrepreneuriat. En effet, à la lecture de l’article intitulé « Créativité, innovation, invention, -entrepreneurship-intrapreneurship- où est la différence ? », la conception n’apparaît plus comme une compétence distinctive dans la mesure où elle se retrouve dans d’autres situations que celles vécues par les entrepreneurs. Pour l’auteur, les mécanismes en jeu dans ces différentes situations sont les mêmes, même si les situations sont fondamentalement différentes. Dans cette logique, la conception n’est pas un signe d’originalité mais, au contraire, un acte mental banal [8]. Pour reprendre les termes de H. Simon (1991, p. 201), est concepteur « quiconque imagine quelque disposition visant à changer une situation existante en une situation préférée ». La conception apparaît comme une compétence mise en œuvre dans notre quotidien, au-delà de la créativité, de l’innovation, de l’invention, ou de l’entrepreneuriat… La conception dépasse les seules activités évoquées par D. Lavoie (1988). Au niveau des entreprises, comme le souligne A. Ch. Martinet (2000, p. 121), les situations que rencontrent les acteurs de l’entreprise « ressemblent de plus en plus à celles qui caractérisent la conception et le développement de nouveaux produits ». R. Teulier-Bourgine (1997, p. 99) affirme que « le management, ainsi que beaucoup de tâches dans l’organisation deviennent de plus en plus, du point de vue cognitif, des tâches de conception ». Cette proposition est soutenue par différents chercheurs en cognition, s’intéressant à l’esprit imaginant (I. Roth, 2007 ; M. Runco, 2007 ou encore J. Cottraux, 2010). La capacité à concevoir est une des caractéristiques fondamentales de la cognition humaine. Elle est entendue comme la capacité à produire des images mentales et à les associer pour former des « mondes possibles ». L’introduction de la notion d’abduction prend ici tout son sens dans la mesure où l’abduction est le processus par lequel les personnes forment une hypothèse (Pierce, 1932-1958, cité par H. Joas, 1992).
13 À l’heure actuelle, la conception ne dispose pas d’une place importante dans la recherche en entrepreneuriat. Cela est principalement dû au regard porté sur la notion de conception. Un autre aspect non négligeable consiste en la faiblesse des approches cognitives dans la recherche en entrepreneuriat (D. Grégoire et al, 2011). Si la conception est une activité ordinaire dans le domaine de l’entrepreneuriat, force est de constater que la recherche dans le domaine de l’entrepreneuriat accuse un retard important. Dans le point suivant, nous présenterons l’intérêt que peut avoir la conception pour la recherche en entrepreneuriat.
2. La conception comme mécanisme de la cognition entrepreneuriale
14 Entreprendre ne se limite pas à la création (Th. Verstraete, 1999). C’est un processus complexe dans lequel la conception joue un rôle important, notamment au niveau de la création de la valeur nouvelle apportée (Ch. Bruyat, 1993 ; E. Jouison-Laffite, 2008 ; Ch. Schmitt, 2010). En effet, il s’agit d’imaginer suffisamment tôt le potentiel de valeur du projet entrepreneurial et de pouvoir le communiquer aux parties prenantes du projet (J. Perrin, 2001 ; Ph. Lorino, 1999 ; M.-L. Caron-Fasan et V. Chanal, 2009). Partons trivialement de la définition donnée par H. Simon (1991, p. 225) concernant la notion de conception. La conception est « la description d’un objet artificiel par son organisation et son fonctionnement – son interface entre les environnements internes et externes ». À travers cette définition, plusieurs éléments méritent une discussion : l’objet artificiel renvoie à l’idée d’une projection dans le futur. La description de son organisation et son fonctionnement correspondent à une logique de problématisation et l’interface entre les environnements interne et externe qui forment ce qu’on peut appeler le projet entrepreneurial. Ces éléments participent aux mécanismes cognitifs en jeu dans un processus entrepreneurial.
2.1. Concevoir un objet artificiel, c’est se projeter dans un futur
15 Lorsqu’on parle de projection, naturellement, il convient de convoquer la notion de vision mise en évidence au niveau de l’entrepreneuriat par les travaux pionniers de L.J. Filion. On entend par vision « l’image projetée dans le futur, de la place qu’on veut voir occuper éventuellement par ses produits sur le marché, ainsi que l’image du type d’organisation dont on a besoin pour y parvenir. En résumé, vision signifie une image de l’entreprise projetée dans le futur » (L.J. Filion, 1991, p. 34). La vision est indéniablement de nature stratégique (M.-J. Avenier, 1997) et proactive (L. Zampetakis, 2008). Celle de l’entrepreneur ne peut se résumer aux rêves. Cela renvoie à l’utopie évoquée par L.J. Filion (1991). En soi, les rêves ne favorisent pas l’action. La vision vient en soutien de la connaissance acquise et à acquérir. Bien qu’intéressante, la notion de vision ne semble pas suffisante. C’est pourquoi il serait bon de nous interroger sur les mécanismes cognitifs en jeu pour développer une vision. La notion de vision est donc à rapprocher de la notion de conception, notamment en tant que résultat issu de la conception. Ces mécanismes cognitifs sont liés à la manière de construire le futur. Au moins deux façons peuvent être mobilisées pour cela. La première, la plus classiquement identifiée, est une extrapolation dans le futur d’une situation connue, donc passée ou présente. La seconde, mobilisée par une grande partie des entrepreneurs (S. Sarasvathy, 2001), correspond à une inversion temporelle. Plus précisément, les entrepreneurs ont une idée de ce qu’ils souhaitent développer et qu’il conviendrait de faire. Ils émettent des hypothèses [9] plausibles. Ce jeu d’hypothèses plausibles forme ce que l’on peut appeler un scénario (Ch. Schmitt, M. Fick, F. Laurent, 2007). L’entrepreneur invente donc un monde possible ou un fragment de monde possible. Par la suite, son activité va l’amener à montrer l’acceptabilité ou non de ce qu’il a projeté. Toutefois, la logique du temps n’est pas à envisager de façon linéaire : ce n’est pas du présent vers le futur qu’il faut envisager ces mécanismes cognitifs, mais comme un mécanisme allant du futur vers le présent de façon récursive (B. Cazes, 1986) afin de « créer une réalité réalisable » (P. Watzlawick, 2000). Nous retrouvons ici une autre idée émise par P. Watzlawick (1988, p. 74), selon laquelle « ce n’est pas le passé, mais le futur, qui détermine le présent ». L’entrepreneur construit le présent à partir de la vision de l’avenir qu’il a en utilisant des outils cognitifs, ainsi qu’en créant de nouveaux artefacts facilitant cette construction. Cette orientation projective est très importante dans les sciences cognitives, notamment à travers l’aspect imaginaire (I. Roth, 2007 ; M. Runco, 2007). Souvent, la première hypothèse plausible émise par l’entrepreneur est sa projection à partir d’un produit ou d’un service (Ch. Schmitt, 2010). Plus l’entrepreneur avance dans son projet, plus sa projection sera large et précise. Elle sera large car la projection va englober un grand nombre de points relatifs au projet entrepreneurial. Elle sera précise car elle va pouvoir aller en profondeur sur ces points du fait de la quasi-décomposabilité des systèmes (S. Sarasvathy, 2003). La projection n’est pas une image déconnectée, ni une image floue. Plus qu’un jeu d’images, c’est un processus de construction où les concepts, les objets, les acteurs, les parties prenantes, etc., sont mis en relation.
16 Si l’on retient cette perspective projectiviste, il apparaît donc possible de pouvoir aider les entrepreneurs à construire leur futur à partir d’hypothèses plausibles. La conséquence directe de cette perspective projective est qu’il n’est pas possible de juger la valeur de ce jeu d’hypothèses à la lumière d’une recherche d’une réalité objectivable. En revanche, il est possible de discuter des fondements des hypothèses posées, ainsi que de la cohérence du scénario construit. L’aide apportée aux entrepreneurs propose de favoriser la construction d’hypothèses permettant de mieux organiser les réalités de l’entrepreneur autour d’un design entrepreneurial.
2.2. Concevoir la description de son organisation et son fonctionnement, c’est problématiser
17 La conception diffère d’autres approches par la nature même de la situation à traiter. En effet, les situations en relation avec la conception sont souvent peu ou mal définies (ou, autrement dit, mal « représentées ») et les solutions n’existent pas forcément a priori (M. Fabre, 1999 ; J.-P. Micaëlli et J. Forest, 2003). L’entrepreneur se construit d’abord une représentation plus ou moins précise de la solution qu’il souhaite mettre en œuvre. Comme évoqué précédemment, le point de départ pour l’entrepreneur est une hypothèse plausible autour du produit ou du service à proposer. Cette représentation initiale va évoluer en fonction de l’avancée du projet et des rencontres faites par l’entrepreneur, lui permettant de construire un scénario autour des différentes hypothèses plausibles. Souvent, la situation ou l’artefact à construire se précise peu à peu en explorant les solutions possibles (F. Darses, 1994). Il existe une articulation entre le dessein que l’entrepreneur a en tête et le dessin de ce qu’il souhaite développer [10].
18 Il s’agit donc d’un processus d’aller-retour entre l’énonciation du problème et sa résolution (F. Gautier, 2003). Les représentations construites par l’entrepreneur correspondent à sa représentation. On parlera de problématisation (problem setting) pour faire la différence avec la résolution de problème [11] (problem solving) (M. Fabre, 1999 ; Ch. Gérard, 2005 ; Ch. Schmitt et L.J. Filion, 2009). La problématisation est liée directement à la vision du projet entrepreneurial et inversement. Nous nous trouvons dans une situation dialogique au sens donné par E. Morin (1977). Au niveau de l’entrepreneur, il s’agit de donner du sens par rapport à des hypothèses plausibles et par rapport au scénario construit. Il va de soi que les mécanismes de problématisation ne sont pas définitifs, nécessitant, notamment dans sa phase de départ, une reformulation régulière de la situation. Ce travail de problématisation est largement dépendant des représentations de l’entrepreneur, en tout cas de sa représentation du monde. On voit ici l’importance du rôle joué par les représentations (L.J. Filion, 2008). L’entrepreneur redéfinit en permanence la situation traitée et même les solutions envisagées. Ce travail ne se fait pas de façon isolée. Il se fait en situation. Il serait illusoire de penser l’entrepreneur comme un être isolé. Les travaux de M. Zafirovski (1999) ; P.-A. Julien (2005) ou G. Jones et D. Wadhwani (2006) insistent sur l’intégration sociale de l’entrepreneur. Ce travail se fait de façon implicite ou non avec l’ensemble des parties prenantes du projet entrepreneurial. Celui-ci apparaît comme un outil d’intermédiation favorisant l’action (A. Jeantet et al.1996), c’est-à-dire comme un instrument de dialogue et de construction auprès des parties prenantes du projet. En paraphrasant A. Ch. Martinet (1993), nous pouvons dire que l’entrepreneur doit faire preuve de cette forme d’intelligence qui consiste moins en la résolution d’un problème qu’en la mise en forme d’un monde partageable. Le travail de conception participe de cette façon à la structuration et à la communication du projet entrepreneurial comme objet artificiel.
2.3. Concevoir un projet entrepreneurial au confluent des environnements interne et externe
19 Il s’agit de sortir de l’hypothèse implicite de séparation entre les approches « internalistes » (approche par les traits) et les approches « externalistes » (approche par les faits), selon laquelle la recherche en entrepreneuriat s’est développée ces dernières années. L’objectif est d’envisager l’entrepreneuriat dans sa globalité. Il est temps, en effet, de considérer l’entrepreneur comme un construit social (P.-A. Julien, 2005), situé (L.J. Filion, 2008) et téléologique (finalisé). Si la recherche en entrepreneuriat ne néglige pas l’entrepreneur, comme nous l’avons évoqué précédemment, elle ne prend pas explicitement en compte la personne humaine et sociale qu’est l’entrepreneur, c’est-à-dire le fait que « les individus ne sont pas seulement des processeurs d’information intéressés seulement par eux-mêmes ; ils ont aussi des liens tangibles, des attaches, des affiliations à des communautés, ce sont des êtres émotionnels et, oui, ils ont un corps » (H. Tsoukas, 2005). Elle ne prend pas non plus en compte d’autres caractéristiques attribuées aux humains, telles que la conscience, la réflexivité (T. Numagami, 1998 ; K. Weick, 1999), la créativité, l’intentionnalité, le désir, la capacité de se donner des buts évolutifs, de communiquer, d’interpréter, de partager et de contester des interprétations (D. Yanow, 2006). Or, ces éléments jouent un rôle crucial dans les phénomènes étudiés par la recherche en entrepreneuriat. La conception n’est pas simplement liée à un produit ou à un service, elle favorise la construction d’un objet artificiel, le projet entrepreneurial, permettant de faire le lien entre l’interne et l’externe [12]. Toutefois, un produit ou un service doivent aussi être considérés comme favorisant la construction de sens du projet entrepreneurial.
20 Dans cette perspective, la conception permet de dépasser l’hypothèse de séparation entre l’interne et l’externe, comme l’indique la définition retenue en exergue de cette partie (P. Le Masson et al, 2006, S. Sarasvathy, 2003). Ainsi, il est possible de résumer le projet entrepreneurial autour de la question suivante : Que suis-je capable de faire à partir de ce que je sais faire et de ce que je comprends de mon environnement ? À travers cette question, apparaît la dimension éthique de l’entrepreneuriat développée en son temps par I. Kirzner (1973).
21 Le projet entrepreneurial est telle une construction finalisante et finalisée, façonnée par l’homme. Il est le fruit d’une relation que le sujet entretient avec le monde par ses actes. À travers cette relation, le sujet se construit, construit des artefacts, les fait évoluer, construit du sens et participe à la construction d’autrui en relation avec la situation (L.J. Filion, 2008). Nous entendons donc par conception, la capacité cognitive de l’entrepreneur à développer un dessein dans le but de réaliser un dessin. Plus précisément, comme le souligne J.-P. Boutinet (1993, p. 56) « le dessein de la conception doit se matérialiser dans un dessin de la réalisation, lequel va modifier, corriger le dessein initial, ce dernier conduisant à une nouvelle concrétisation ».
22 Comme nous venons de le montrer, la conception renvoie à des mécanismes cognitifs tels que la projection, la problématisation ou encore le projet entrepreneurial. Pour conclure cette partie relative à la notion de conception, reconnaissons que nous sommes loin de la représentation classique, voire romantique, de la conception (H. Joas, 1992). Nous sommes loin des images habituellement mobilisées pour évoquer l’entrepreneur : le mythe d’Euréka, d’Archimède, de la pomme de Newton, ou encore le mythe des temps modernes avec les produits Apple de Steve Job où l’entrepreneur est seul et entreprenant de façon héroïque (F. Janssen et Ch. Schmitt, 2011). L’entrepreneur en tant que concepteur ne part pas de rien. Ces images traditionnellement véhiculées au niveau de l’entrepreneuriat ne sont que la face visible de l’iceberg, la partie consciente de l’entrepreneuriat. Il devient donc urgent et nécessaire de dépasser ces images, en étudiant les modes de pensée qui conduisent à entreprendre, comme en le faisant avec la notion de conception. Pour terminer sur cette présentation de la notion de conception, il conviendrait de dire que la conception est en fait un enjeu stratégique permettant aux entrepreneurs de pouvoir dégager une rente de conception (A. David, 2002).
3. Les mécanismes cognitifs de conception du projet entrepreneurial : proposition d’une modélisation et application à l’accompagnement entrepreneurial
23 Après avoir envisagé les différents aspects liés à la notion de conception, cherchons à présent à les articuler. Dans le début de cette troisième partie, nous proposons donc une modélisation de cette notion permettant de montrer les mécanismes cognitifs qui sont en jeu. De cette modélisation, nous proposons un premier point de réflexion sur la notion d’accompagnement des porteurs de projet. Si, comme nous avons pu l’envisager, concevoir n’est pas une activité qui se fait de façon isolée, nous pourrons appréhender, dans un second point, l’implication de la notion de conception au niveau de l’accompagnement des projets entrepreneuriaux.
3.1. Proposition d’une modélisation à partir de la notion de conception
24 Bien souvent, les sciences de gestion ont considéré - et considèrent encore pour un pan de la discipline - que la conception est par nature ontologique, c’est-à-dire objectivable, correspondant à une réalité en dehors de la personne qui évolue dans la situation conçue. Ainsi, comprendre la conception, dans un paradigme épistémologique relevant des sciences classiques, nécessite seulement de pouvoir observer le résultat de cette conception : une situation entrepreneuriale. En nous référant à un paradigme épistémologique, cette fois-ci constructiviste radical [13] selon l’acception de E. von Glasersfeld (1988, p. 42), nous pourrions considérer la conception « comme la mise en ordre et l’organisation d’un monde constitué par nos expériences ». Selon une approche téléologique, une situation entrepreneuriale peut être considérée comme une conception humaine tenant compte du contexte, à un moment donné, par rapport à un futur projeté.
25 La mise en ordre évoquée précédemment est un élément important de la conception. L’entrepreneuriat commence donc par l’invention d’un monde possible ou d’un fragment de monde possible. « Il ne suffit pas d’imaginer le futur, on doit aussi le construire » (C. Prahalad, 1997, p. 78). L’entrepreneur doit faire cette double tâche qui concerne la conception du futur et le plan stratégique pour le construire. Cet espace des possibles inclut le produit, le projet, l’entrepreneur, les parties prenantes… Autrement dit, il inclut les aspects réels et imaginés par l’entrepreneur.
26 Il s’agit pour l’entrepreneur de construire du sens pour reprendre la terminologie employée par K. Weick (1999), ou encore de construire une situation, un problème selon la terminologie de J. Dewey [14] (1938-1993). La situation apparaît comme un processus « néguentropique » consistant à chercher, à organiser les choses par rapport à du désordre ou à des problèmes ressentis et à leur donner du sens (Th. Verstraete, 1999 ; Ch. Schmitt, 1999 et 2015). C’est le cas de l’entrepreneur qui cherche à donner du sens à la situation entrepreneuriale qu’il va définir. Finalement, l’entrepreneur se retrouve aux prises avec la notion d’équilibration mise en évidence par J. Piaget (1979) : l’entrepreneur transforme le monde en réalité (assimilation) et transforme son activité (son connaître) pour y naviguer de mieux en mieux (accommodation). Une question sous-jacente émerge de cette remarque : quels sont les liens entre conception, situation entrepreneuriale, problématisation et projection ? La réponse que nous souhaitons y apporter, dans cet article, prend la forme d’une modélisation de l’activité de conception.
27 La conception de situations entrepreneuriales doit s’envisager comme un problème dit ouvert [15], c’est-à-dire ne comportant pas de solution prédéterminée. L’idée qu’il n’y ait pas de solution prédéterminée ne signifie pas que l’entrepreneur n’a pas de solution en tête. Bien au contraire, comme évoqué précédemment, l’entrepreneur a au moins une solution liée au produit ou au service qu’il souhaite développer. Cela signifie que la solution retenue par l’entrepreneur n’a que le statut d’hypothèses plausibles. Cette solution est donc amenée à évoluer. En d’autres termes, « on connaît un problème par sa solution » (P. Watzlawick, 2000, p. 25). D’ailleurs, les difficultés rencontrées par les entrepreneurs, proviennent à ce stade, de leur difficulté à considérer leurs hypothèses comme pouvant évoluer. On pourrait affirmer que l’entrepreneur a la solution avant de connaître le problème. Cette situation n’est pas facile à envisager car les logiques sont inversées par rapport à nos mécanismes cognitifs habituels (problème → solution). Il n’est pas aisé de comprendre la solution d’un problème qui n’existe pas encore.
28 La conception relie donc le contexte futur, souhaité, au contexte actuel pour former ce que nous avons appelé une situation entrepreneuriale. Cette activité de conception ne constitue qu’un ensemble de règles d’actions qui guident la recherche de solutions. Cette construction va largement conditionner la délimitation de la situation en tant que telle, mais aussi la vision que va développer l’entrepreneur, et inversement. Par exemple, la situation entrepreneuriale délimitée par l’activité de conception sera différente selon que l’on considère le projet « Production d’œufs enrichis en oméga 3 » ou « Production et commercialisation d’œufs enrichis en oméga 3 ». Dans le second projet, il est nécessaire d’envisager l’activité de commercialisation, qui n’est pas sous-traitée comme d’habitude, à un distributeur. Les réponses apportées vont fortement dépendre de la construction de sens faite par l’entrepreneur autour de la situation, donc de la délimitation de la situation entrepreneuriale [16].
29 La situation entrepreneuriale peut être envisagée comme un chaînon manquant dans la compréhension du phénomène entrepreneurial (Ch. Schmitt, 2009 et 2015). Concevoir ne consiste pas à s’enfermer dans un monde imaginaire, de fantaisie, mais à se donner des outils intellectuels pour analyser une situation. « Ce que l'on doit se demander, est quelle est la participation des opportunités futures que l'on peut atteindre avec nos habilités actuelles et quelles nouvelles habilités on devra développer pour maximiser la participation de ces opportunités futures » (C. Prahalad, 1997, p. 78). L’entrepreneur doit identifier les outils disponibles pour la construction de son projet. Cependant, il est plus important de reconnaître ce qu’il doit apprendre et désapprendre afin d’avancer dans son projet.
30 À travers cette notion de situation entrepreneuriale, on retrouve la notion d’« espace de problématisation » développée par Ph. Jonnaert (2006), d’« espace de problème » de H. Simon (1991) ou encore de Spielraum de M. Heidegger (1964) [17]. La situation entrepreneuriale peut être envisagée comme un espace autour de contraintes, de limitation des possibles et d’imposition de lignes de conduite par rapport à un champ des possibles. L’action de l’entrepreneur ne peut être envisagée simplement comme une réponse à une situation, mais plutôt comme une création, une innovation et une attribution de sens (A. Touraine, 1999) [18].
L’articulation entre conception, problématisation et situation entrepreneuriale
L’articulation entre conception, problématisation et situation entrepreneuriale
31 Toutefois, force est de constater le peu d’importance accordée aux outils dédiés à la conception de projet entrepreneuriaux (Ch. Schmitt, 2006) face à l’abondance de ceux dédiés à la résolution de problèmes [19]. Bien souvent, cette phase est faite de façon empirique. Or, problématiser ne s’improvise pas. La conception demande un travail d’imagination organisé et structurant (J.-P. Boutinet, 1993). Cela requiert de la méthode, des efforts (L.J. Filion, 1997). Ces différents constats nous amènent à avancer qu’une grande partie des difficultés rencontrées par les entrepreneurs est plus liée à la conception de situations qu’à la résolution de problèmes, c’est-à-dire à la mise en place de solutions (Ch. Schmitt, P.-A. Julien, R. Lachance, 2002).
32 Se dégagent alors des voies de réflexion intéressantes pour la recherche en entrepreneuriat. Ces voies portent non seulement sur les notions de conception, de situations entrepreneuriales, ou encore de problématisation, mais aussi sur les relations entre ces différentes notions. Plus précisément, il s’agit d’un genre nouveau de recherche qu’il convient de développer. En effet, il n’est pas possible d’abstraire l’entrepreneur de la situation et la situation n’a pas de sens si elle est définie par une personne extérieure à la situation. Se pose ici une question fondamentale du point de vue de la recherche autour du tiers-inclus. Cela signifie que l’observation ne peut être séparée de l’observateur. Un changement de regard épistémologique nous semble essentiel pour le développement d’une recherche prenant en considération les mécanismes cognitifs comme la conception. Nous défendons l’idée avec H. von Foerster (2000, p. 74) que « si le principe fondamental du discours scientifique, exige la séparation entre observateur et observé, il est de notre devoir de le transgresser ». Comme le suggère J.-J. Lambin et al. (2009), « il faut comprendre le marché comme un « écosystème » où tous les agents participants sont fonctionnellement connectés ». L'entrepreneur est donc une partie de cet écosystème, dont il est nécessaire d’envisager du point de vue de la recherche et des actions à mener la complexité.
3.2. Accompagner un projet entrepreneurial : aider les entrepreneurs à concevoir pour sortir de la logique de résolution de problèmes
33 Ph. Caillé (1991) nous propose à travers la métaphore des planètes Alpha et Bêta de mettre en évidence deux figures de l’accompagnement dans le domaine de l’entrepreneuriat. Ces deux figures vont nous permettre de mieux comprendre les positions que peuvent prendre les accompagnateurs dans un processus de création d’entreprise :
- sur Alpha, chaque organisation est dotée d’un « engin », qui fournit automatiquement les réponses adéquates à tous les problèmes pouvant surgir. Lorsque cet engin est en panne, l’organisation fait appel à un « réparateur » qui assurera les réglages nécessaires et remplacera les éléments défectueux ;
- sur Bêta, chaque organisation construit ses outils avec les moyens dont elle dispose. Ces organisations peuvent, en cas de difficulté, faire appel à un « facilitateur ». « Le facilitateur » ne vient pas apporter de solution, il n’y a pas de solution préconçue. Il se sert avant tout de sa position pour aider le système à se donner une représentation réflexive de lui-même, à ne pas s’enfermer sur son point de vue, à percevoir ce qui est ou peut être autrement, à redevenir acteur et créateur de son devenir.
35 De manière métaphorique, la planète Alpha considère l’intervention comme une expertise de la situation, alors que la planète Bêta la perçoit comme une construction de sens, une aide à concevoir un monde partageable.
36 Il conviendrait donc de faire la différence entre :
- le réparateur qui apporte des solutions toutes faites et qui considère comme réelle la situation donnée à laquelle il est confronté (planète Alpha). Nous sommes ici dans la résolution de problèmes ;
- le facilitateur qui, lui, a notamment pour rôle d’aider les acteurs du système à se donner une représentation réflexive d’eux-mêmes pour trouver des solutions, ou au niveau des porteurs de projet, de construire des opportunités (planète Bêta). C’est le domaine de la conception, de la problématisation de la situation et des représentations qui est présente à ce niveau.
38 Cette distinction renvoie à la différenciation faite par P. Watzlawick (2000) autour de la réalité de premier ordre et la réalité de second ordre [20]. Le passage d’une réalité de premier ordre à une réalité de second ordre, de la posture du réparateur à celle du facilitateur, nécessite un changement de niveau épistémologique. Autant la réalité de premier ordre renvoie à une posture épistémologique traditionnelle, autant la réalité de second ordre s’inscrit dans « cette branche de l’épistémologie contemporaine appelée constructivisme radical » (P. Watzlawick, 2000, p. 32). La réalité de second ordre ne peut être envisagée en dehors de toute expérience humaine ; le réel est donc considéré comme expérimenté par les humains (Ch. Schmitt et L.J. Filion, 2009 et Ch. Schmitt, 2015). Le concept de « vrai » (relevant d’une épistémologie positiviste) cède la place à celui de vraisemblable, plausible, faisable, réalisable (relevant d’une posture constructiviste). Ce changement de regard n’est donc pas neutre sur la manière d’accompagner les entrepreneurs. L’entrepreneur passe d’un monde de projection à un monde de possibilités. « L’entrepreneur est donc l’homme qui délibère pour bien agir » (F. Facchini, 2007, p. 30), sommes-nous amenés à rajouter, et inversement.
39 À travers la figure du réparateur, on retrouve principalement les accompagnateurs qui s’inscrivent dans une logique de résolution de problèmes. Pour eux, la création d’entreprise est comme du papier à musique : il suffit d’avoir l’outil qui permet de lire la musique. Leur recours, l’utilisation du plan d’affaires (F. Nlemvo et O. Witmeur, 2010). L’utilisation qui en est faite s’inscrit dans une logique de normes, avec une recherche de conformité des actions développées par l’entrepreneur (D. Kirsch et al, 2009). Dans une logique de résolution de problème, ces accompagnateurs mettent au point des démarches à portée universelle, qui fonctionnent pour tout projet et dans toutes les situations. Leur démarche est très séduisante pour les entrepreneurs, car il suffirait de suivre les étapes de la démarche pour réussir. Cette démarche se veut avant tout rassurante. Si l’accompagnateur est un réparateur, cela veut dire qu’il est à la recherche d’une solution à partir des éléments donnés par l’entrepreneur qui apparaissent comme des vérités. Si l’accompagnateur est un facilitateur, les données fournies par l’entrepreneur apparaissent avant tout comme des hypothèses plausibles, comme des solutions potentielles susceptibles d’être discutées. Il ne s’agit pas de prédire ce qui va arriver mais ce qui peut arriver. En effet, « le développement d’une jeune entreprise est caractérisé par tant d’incertitudes et d’inconnues qu’il est quelque peu illusoire de le réduire à un exercice de planification décrivant un futur essentiellement prévisible » (F. Nlemvo et O. Witmeur, 2010, p. 48). La définition du projet entrepreneurial à ce niveau de la réflexion est un enjeu majeur plus que de travailler sur le plan d’affaires. Dans ce cas de figure, le projet entrepreneurial peut servir d’objet artificiel d’intermédiation et de structuration du projet entrepreneurial (L. Knoll et al, 2003).
40 Il ne s’agit pas d’un effet de balancier où il s’agirait d’être plus facilitateur qu’expert. Ce sont deux postures qui apparaissent comme complémentaires. Si le rôle de réparateur est largement plus répandu, il convient de s’assurer qu’il existe aussi des espaces où il sera possible d’aider l’entrepreneur à concevoir avant de l’aider à créer son entreprise.
41 Des endroits de ce genre existent déjà, pas forcément dans une logique de création d’entreprises mais plutôt dans des entreprises autour de l’innovation : Accelerated Solutions Environment de Capgimini, Creaholic d’Elmar Mock (cocréateur de la Swatch), ou encore la démarche Living Lab. Bien que le passage de l’idée à l’opportunité soit un élément inhérent à la recherche en entrepreneuriat (D. Chabaud et K. Messeghem, 2010), les mécanismes cognitifs qui favorisent ce passage restent encore à travailler. Tout entrepreneur est en soi une entité unique et originale. Il a des rêves, des outils et des connaissances. Il construit un processus individuel d’apprentissage en produisant sa propre expérience. Ainsi, l'échange d’expériences parmi les entrepreneurs offre à chacun des perspectives différentes sur la façon d’aborder les projets.
42 Dans cette perspective, la méthode des cas peut être considérée comme une méthode d’investigation pertinente. En effet, « cette proposition de différenciation offre un outil pédagogique supportée sur les méthodes interactives d'apprentissage. Elle a la particularité de travailler avec situations réelles et actuelles permettant à [l’entrepreneur] de s'immerger dans la réalité organisationnelle et sociale. Ainsi, [l’entrepreneur] peut analyser et comprendre cette réalité à travers les concepts théoriques (et l'expérience pratique) déjà appris et à apprendre » (E. Rosker, 2006).
Conclusion
43 Dans cet article, l’objectif visé était de mettre en lumière une notion peu mobilisée dans la recherche en entrepreneuriat : la notion de conception. La première partie de l’article a permis de comprendre la quasi-absence, voire l’absence, de la conception dans la recherche en entrepreneuriat. Cette absence peut se comprendre en partie à la lumière d’une approche historico-culturelle de la construction de la recherche en entrepreneuriat à partir des sciences économiques.
44 Pour une autre partie, cette absence peut se comprendre par le fait que la conception n’est pas considérée comme une compétence distinctive mais ordinaire. Il existe une certaine dissonance entre, d’un côté, la recherche en entrepreneuriat où la conception est relativement absente du débat de recherche et, de l’autre côté, les pratiques entrepreneuriales où la conception fait partie des compétences ordinaires.
45 Face à cette dissonance, la seconde partie propose d’intégrer au débat, dans le domaine de la recherche en entrepreneuriat, la notion de conception. En partant de la définition de H. Simon (1991) de la conception, nous avons cherché à montrer sa déclinaison au niveau de l’entrepreneuriat et à mettre en évidence les mécanismes cognitifs en jeu comme la projection dans un futur souhaité, les mécanismes de problématisation et le projet entrepreneurial. La troisième et dernière partie avait pour objectif de proposer une modélisation de la notion de conception permettant d’articuler les mécanismes cognitifs évoqués précédemment et de montrer l’implication de la notion de conception dans un domaine de l’entrepreneuriat : l’accompagnement entrepreneurial. Cela a permis de montrer de nouvelles perspectives dans ce domaine. Intégrer la notion de conception dans le domaine de l’entrepreneuriat n’est pas neutre. En effet, concevoir, c’est considérer l’expérience que l’entrepreneur peut avoir en tant que personne, comme la cause dont le monde qu’il a construit, en est la conséquence. En d’autres termes, notre recherche s’inscrit dans un cadre épistémologique constructiviste (M.-J. Avenier et Ch. Schmitt, 2010), dans la mesure où nous ne cherchons pas à connaître la réalité, « mais à mieux comprendre comment les représentations se construisent et de quelle manière elles peuvent servir à atteindre des finalités pragmatiques » (A. Yatchinovsky, 1999, p. 23).
46 Ainsi, la faiblesse des recherches dans le domaine de la cognition entrepreneuriale devient compréhensible. Poser un regard différent sur le processus entrepreneurial étant nécessaire, il est indispensable de recourir dans cette optique à des méthodologies de recherche, quantitatives et qualitatives, appropriées aux aspects cognitifs (F. Bornard, 2012).
47 Dans le cadre de cette réflexion méthodologique, il conviendrait de ne pas oublier que le chercheur est amené à agir en tant qu’individu connaissant auprès d’autres individus connaissant et non dans une rationalité économique, comme l’a souvent suggéré la recherche en entrepreneuriat (A. Tounes et A. Fayolle, 2006). Ce glissement ouvre la voie à de nouvelles représentations de l’entrepreneuriat.
48 Finalement, le parti pris de cet article, en l’occurrence envisager la recherche en entrepreneuriat à travers la notion de conception, ne devrait pas être compris comme un rejet des autres recherches dans le domaine. Il est à entendre comme la mise en évidence d’une opportunité pour la recherche en entrepreneuriat de s’enrichir en s’autorisant à ne plus se limiter seulement à des recherches sur les traits ou des recherches sur les faits – lesquelles sont en fait indissociablement liées au sein de l’entrepreneuriat comme le sont l’avers et le revers d’une même pièce. Cet article se veut également un plaidoyer pour le développement de recherches dans le domaine de l’entrepreneuriat en envisageant l’entrepreneur dans sa globalité, ses interactions et son contexte situé.
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Mots-clés éditeurs : accompagnement, conception, entrepreneuriat
Date de mise en ligne : 25/04/2016.
https://doi.org/10.3917/rsg.273.0071Notes
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[1]
Sur ce thème, voir le numéro thématique de la Revue Internationale de Psychosociologie (2012/44).
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[2]
Sur ce sujet, voir les travaux pionnier de Ch. Comegys (1976).
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[3]
Pour notre part, nous entendons par cognition, la description, l’explication et, le cas échéant, la simulation des principales dispositions et capacités de l’esprit humain : langage, raisonnement, perception, coordination motrice, planification.
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[4]
Oubliant quelque part les affres de la conception.
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[5]
En d’autres termes, l’idée couramment retenue est que la conception ne participe pas aux mécanismes de détermination de la valeur.
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[6]
Le profil-type des entrepreneurs n’est pas le seul aspect normatif de l’entrepreneuriat. Le plan d’affaires s’inscrit aussi dans cette logique.
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[7]
Il ne s’agit pas de cultiver ses talents, ce qui reviendrait à s’inscrire dans le débat entre l’inné (les compétences distinctives) et l’acquis (cultiver des compétences), mais de s’intéresser à l’activité cognitive de la conception.
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[8]
Cette idée avait déjà été émise par H. Simon (1991). Pour cet auteur, est concepteur « quiconque imagine quelque disposition visant à changer une situation existante en une situation préférée » (H. Simon, 1991, p. 201).
-
[9]
Au sens premier du terme, supposition qu’une chose est possible.
-
[10]
On retrouve ici la notion de disegno chère à Léonard de Vinci, qui peut se différencier en disegno interno (dessein) et disegno externo (dessin).
-
[11]
La résolution de problèmes renvoie à des problèmes dits fermés dont les contours sont connus ou donnés.
-
[12]
Cf. le disegno interno (dessein) et disegno externo (dessin) évoquésen supra.
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[13]
Cette épistémologie est appelée « radicale » par E. von Glasersfeld (1988) parce qu’elle « rompt avec la convention, et développe une théorie de la connaissance dans laquelle la connaissance ne reflète pas une réalité ontologique “objective” ».
-
[14]
Le traitement des problèmes reçoit chez J. Dewey (1938-1993 : 169) le terme générique d’enquête : « l’enquête est la transformation contrôlée et dirigée d’une situation indéterminée en une situation qui est si déterminée en ses distinctions et relations constitutives, qu’elle convertit les éléments de la situation originelle en un tout unifié ».
-
[15]
Il existe aussi des problèmes, dits fermés, qui se caractérisent par l’énoncé du problème non seulement connu à l’avance mais aussi l’énoncé du problème comme indépendant de la personne qui est amenée à le résoudre.
-
[16]
« Toute entreprise de résolution de problème doit commencer par la création d’une représentation du problème, autrement dit d’un espace de problème dans lequel la recherche de la solution pourra s’exercer. Bien sûr pour la plupart des problèmes que nous rencontrons dans nos vies quotidiennes, personnelles ou professionnelles, nous récupérons simplement dans notre mémoire une représentation que nous avons déjà utilisée dans une situation précédente et mémorisée. (…) Il arrive pourtant parfois que nous rencontrions une situation qui ne semble pas pouvoir s’ajuster aux espaces de problèmes que nous avons rencontrés précédemment, même en les étendant et en les transformant. Nous sommes alors confrontés à une tâche de découverte/invention qui peut être aussi considérable que celle de la recherche d’une nouvelle loi naturelle. Si Newton put découvrir la loi de la gravitation, c’est parce qu’il avait précédemment trouvé un nouveau mode de représentation, le calcul différentiel. (…). La plupart du temps, les problèmes de représentation sont de difficulté intermédiaire entre la simple adaptation d’une représentation connue et l’invention d’un nouveau mode de représentation » (H. Simon 1991).
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[17]
De l’allemand : espace pour manœuvrer. Le Spielraum réfère au champ d’action, au champ opérationnel effectif d’une personne en situation, appelé aussi le champ des possibles
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[18]
Bien souvent ces problèmes d’adaptation proviennent du fait que ce sont les représentations qui font la différence dans la difficulté de la résolution de problème. Une partie des difficultés des entrepreneurs pourraient alors se comprendre comme un problème de représentation de situations nouvelles. Pour résoudre le problème, il faut travailler sur l’espace de problématisation.
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[19]
Ce point sera approfondi dans le paragraphe suivant.
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[20]
Pour illustrer la distinction entre réalité de premier ordre et réalité de second ordre, reprenons ici l’histoire de la bouteille à moitié pleine et à moitié vide couramment mobilisée : « la différence entre un optimiste et un pessimiste devant la même bouteille de vin est que l’optimiste dit de la bouteille de vin qu’elle est à moitié pleine, le pessimiste à moitié vide. La réalité de premier ordre est la même pour les deux (une bouteille qui contient du vin) ; leurs réalités de second ordre sont différentes, et il serait vraiment inutile d’établir qui a raison et qui à tort » (P. Watzlawick, 2000, p. 31).