Couverture de RSG_267

Article de revue

Les déterminants des émissions d'Actions à Bons de Souscription d'Actions

Pages 159 à 169

Notes

  • [1]
    Les deux hypothèses d’agence et de signal font des prévisions semblables au sujet du risque, de l’âge, de la taille des entreprises émettrices d’ABSA lors des introductions en bourse.
  • [2]
    Jean-Francois Gajewski, E. Ginglinger et M. Lasfer (2007), « Why do companies include warrants in seasoned equity offerings ? », Journal of Corporate Finance.
  • [3]
    ROE (Return on equity).
  • [4]
    ROA (Return on assets).
  • [5]
    L’Autorité des Marchés Financiers (AMF) est issue de la fusion de la Commission des opérations de Bourse (C.O.B.) et du Conseil des Marchés Financiers.
  • [6]
    On parle d’effet d’interaction lorsqu’une variable à expliquer Y est conditionnée par l’effet combiné de deux variables explicatives X1 et X2.
  • [7]
    Centrer une variable consiste à soustraire de chacune de ses valeurs initiales la moyenne de ces mêmes valeurs.

1 Les actions à bons de souscription (ABSA) sont des actifs financiers qui donnent le droit, et non l’obligation, d’acquérir à un prix déterminé une certaine quantité d’actions à créer au cours d’une période donnée.

2 Les raisons théoriques évoquées pour expliquer l’intérêt de ces titres renvoient à l’existence des conflits d’intérêt (P. Schultz, 1993) et d’asymétrie d’information (Th.J. Chemmanur et P. Fulghieri, 1997) entre les différents partenaires de l’entreprise. L’hypothèse d’agence de P. Schultz (1993) prévoit que les émissions d’ABSA réduisent les coûts d’agence du free cash-flow en permettant un financement en deux étapes. La deuxième augmentation du capital exige une appréciation du cours de l’action, les dirigeants doivent prouver que l’entreprise a de bons projets d’investissement pour réaliser cette augmentation du capital.

3 Dans leur modèle de signal, Th.J. Chemmanur et P. Fulghieri (1997) estiment que, lors des introductions en bourse et pour se signaler, les firmes les plus risquées de bonne qualité émettent des ABSA sous-évaluées et les firmes les moins risquées émettent des actions sèches, sous-évaluées également.

4 Les implications des deux théories d’agence et de signal ont été examinées empiriquement sur le marché américain (B. Jain, 1994 ; J.-L. Garner et B.B. Marshall, 2005 ; etc), et sur le marché australien (J.C.Y. How et J.S. Howe, 2001 ; M. Lee et al., 2003 ; etc.).

5 Les résultats empiriques obtenus sur les différents marchés soutiennent les prévisions communes des deux hypothèses d’agence et de signal [1]. Cependant, ces théories ont plusieurs implications différentes et sont ainsi empiriquement distinguables. Les implications uniques de l’hypothèse des coûts d’agence ne sont pas généralement soutenues par ces études. Les résultats confirment plutôt l’hypothèse de signal.

6 Sur le marché français, les justifications explicatives du recours à ce type de titres ont suscité peu d’intérêt. On dispose d’une seule étude [2] empirique effectuée sur la période allant de 1986 à 2000. Des confirmations empiriques de cette étude nous apparaissent nécessaires.

7 Notre présente recherche a pour objectif d’enrichir le débat sur cette question en analysant, sur le marché français, l’impact de plusieurs variables tirées de la littérature théorique et empirique sur la décision d’émission d’actions attachées aux bons de souscription.

8 Cet article est organisé de la manière suivante. Dans le premier point, nous exposons la revue de littérature. Dans le deuxième point, nous présentons les variables et les hypothèses de recherche. Dans le troisième point, nous décrivons l’échantillon ainsi que la méthodologie utilisée. Enfin, nous présentons et nous discutons nos résultats empiriques.

1. Revue de littérature

9 Sur le plan théorique, nous disposons de deux théories explicatives de l’émission d’ABSA : la théorie du financement séquentiel de P. Schultz (1993) et le modèle de signal de Th.J. Chemmanur et P. Fulghieri (1997).

10 Dans son hypothèse de financement séquentiel, P. Schultz (1993) met l’accent sur l’importance des émissions d’ABSA pour minimiser les coûts d’agence et inciter les dirigeants à entreprendre des projets à valeur actuelle nette (VAN) positive. L’émission d’ABSA, composée de deux augmentations de capital successives, permet de transmettre aux investisseurs de l’information sur les perspectives de la firme. En émettant des ABSA, les firmes s’engagent à une deuxième augmentation du capital, au prix d’exercice des bons, qui aura lieu lors de l’exercice des bons de souscription. Si les dirigeants ne prouvent pas la rentabilité du projet (VAN négative), le cours des actions reste inférieur au prix d’exercice du bon de souscription et la seconde étape du financement par l’exercice des bons de souscription ne se réalise pas. Dans le cas contraire, le cours des actions monte, les bons sont exercés et la deuxième opération de financement se produit. Les émissions d’ABSA poussent alors les dirigeants à prendre des décisions optimales d’investissement et à prouver la valeur d’un projet avant d’obtenir un deuxième financement.

11 P. Schultz (1993) a testé empiriquement la validité de son hypothèse sur un échantillon de 630 émissions d’actions sèches et 167 émissions d’ABSA. Ses résultats empiriques soutiennent son hypothèse de financement séquentiel selon laquelle les ABSA sont émises pour minimiser les coûts d’agence de cash-flow lorsqu’il est difficile de déterminer la rentabilité des projets potentiels.

12 Sur le plan théorique, P. Schultz (1993) n’a pas modélisé l’émission d’ABSA pour rendre compte de ses résultats empiriques. À notre connaissance, le seul modèle théorique mis en avant sur les émissions d’ABSA est celui de Th.J. Chemmanur et P. Fulghieri (1997). Ces derniers montrent que les firmes risquées émettent des ABSA pour signaler leur qualité dans un environnement caractérisé par une asymétrie d’information.

13 L’hypothèse de signal de Th.J. Chemmanur et P. Fulghieri (1997) souligne que les ABSA peuvent être considérées comme un mécanisme de signalisation sur un marché caractérisé par une asymétrie d’information. Les firmes émettent des ABSA lorsque la valeur de leurs investissements potentiels ne peut pas être déterminée par le public.

14 Selon Th.J. Chemmanur et P. Fulghieri (1997), les émissions d’ABSA peuvent être utilisées comme un signal sur la confiance des émetteurs en leurs perspectives de croissance vu que la seconde augmentation du capital est conditionnée par une hausse du cours de l’action.

15 Au niveau des validations empiriques de ces deux théories, nous avons constaté que la majorité des études ont été effectuées sur les deux marchés américain et australien.

16 Les résultats obtenus sur ces deux marchés sont en cohérence avec l’hypothèse de signal de Th.J. Chemmanur et P. Fulghieri (1997) (S. Byoun et W.T. Moore, 2003 ; J.-L. Garner et B.B. Marshall, 2005 ; J.C.Y. How et J.S. Howe, 2001 ; M. Lee et al, 2003 ; J.-A. Suchard et M. Nicholas, 2004).

17 Sur le marché français, le sujet reste très peu exploré. J.-F. Gajewski et al, (2007) justifient l’émission d’ABSA par la flexibilité de détermination du prix d’émission. Ils montrent que le risque d’échec de l’opération d’émission peut être résolu par l’émission d’ABSA. Les bons de souscription permettent en effet une plus grande flexibilité dans la détermination du prix d’émission. Ceci s’explique par le fait que la législation française ne prévoit aucune disposition relative à la détermination du prix de souscription des bons de souscription d’actions. Lorsque l’émission est réalisée à un prix supérieur au cours de bourse, le succès de l’opération est assuré tant que le prix d’émission est inférieur à la somme des cours de l’action et du bon.

18 L’analyse des études théoriques et empiriques nous conduit à conclure que le choix des émissions d’ABSA est justifié par plusieurs variables liées aux caractéristiques des émetteurs et de l’émission.

2. Les variables du modèle et les hypothèses

19 On a défini deux groupes de variables explicatives de l’émission d’ABSA : les variables liées aux caractéristiques des émetteurs, et celles inhérentes aux caractéristiques de l’émission. Nous avons formulé des hypothèses sur le signe du coefficient de chaque variable.

2.1. Les hypothèses relatives aux caractéristiques des émetteurs

2.1.1. L’asymétrie d’information

20 D’après les deux modèles de Th.J. Chemmanur et P. Fulghieri (1997) et de P. Schultz (1993), les entreprises qui choisissent d’émettre des ABSA se caractérisent par une forte asymétrie d’information entre les investisseurs et les dirigeants. Cette relation positive entre l’asymétrie d’information et l’émission d’ABSA fut confirmée dans bon nombre d’études empiriques comme celles de J.C.Y. How et J.S. Howe (2001) ; S. Byoun et W.T. Moore (2003) et J.-A. Suchard (2005).

21 Pour notre part, nous anticipons une relation positive entre l’asymétrie d’information et l’émission d’ABSA.

22 Hypothèse 1 : Il existe une relation positive entre la variable d’asymétrie d’information et la décision d’émission d’ABSA.

23 Dans le cadre de notre recherche, nous différencions les entreprises selon leur sensibilité à l’asymétrie d’information en utilisant deux variables : la taille et le risque de l’émetteur.

24 Sous-hypothèse 1.1. : Il existe une relation négative entre la taille de l’émetteur et la décision d’émission d’ABSA.

25 Sous-hypothèse 1.2. : Il existe une relation positive entre le risque de l’émetteur et la décision d’émission d’ABSA.

26 Nous retenons le logarithme des ventes pour mesurer la taille de l’émetteur. Quant au risque de l’émetteur, il est approché par la volatilité annualisée des cours des actions calculée sur 90 jours avant l’annonce d’émission.

2.1.2. Le risque de free cash-flows

27 Le free cash-flows peut être défini comme l’ensemble des liquidités disponibles après avoir financé tout projet rentable de l’entreprise (M. Jensen, 1986). Cette disponibilité de liquidités dans l’entreprise est l’une des sources de conflits d’agence entre les actionnaires et les dirigeants.

28 Pour atténuer ce problème de free cash-flows, certains auteurs proposent le recours à l’émission d’ABSA. Selon P. Schultz (1993), l’émission d’ABSA constitue un moyen pour limiter le risque de free cash-flows et réduit, en conséquence, les conflits d’agence entre actionnaires et dirigeants.

29 Nous supposons que les entreprises qui choisissent d’attacher des bons de souscription lors des émissions d’actions sont des entreprises caractérisées par un risque élevé de free cash-flows. Hypothèse 2 : Il existe une relation positive entre la variable free cash-flows et la décision d’émission d’ABSA.

30 L’estimation des ressources disponibles et des opportunités de croissance permet d’apprécier le risque de free cash-flows. Les entreprises disposant d’importants cash-flows mais dont les perspectives de croissance sont faibles risquent de voir leurs fonds gaspillés dans des projets non rentables (risque de free cash-flows élevé).

31 Sous hypothèse 2.1. : Il existe une relation positive entre les flux de liquidité et la décision d’émission d’ABSA.

32 Sous hypothèse 2.2. : Il existe une relation négative entre le niveau des opportunités de croissance et la décision d’émission d’ABSA. Les flux de liquidités ou les cash-flows sont mesurés par le résultat net augmenté des dotations rapporté à la valeur comptable des actifs.

33 Les opportunités de croissance sont approchées par le Q de Tobin.

2.1.3. L’actionnariat dirigeant

34 Lors d’une opération d’émission, la fraction d’actions conservée par le dirigeant véhicule l’information privée sur la valeur de l’entreprise et réduit l’asymétrie d’information.

35 Dans une perspective d’agence, une faible fraction du capital détenue par les dirigeants peut être une source de conflits d’agence entre les actionnaires et les dirigeants.

36 P. Schultz (1993) note que les coûts d’agence sont inversement liés au pourcentage de capital détenu par les dirigeants. Cette relation négative a été confirmée par J.S. Ang et al, (2000).

37 Pour notre part, nous soumettons l’hypothèse suivante :

38 Hypothèse 3 : Il existe une relation négative entre la proportion du capital détenue par les dirigeants et l’émission d’ABSA.

39 Nous retenons comme mesure de l’actionnariat dirigeant le pourcentage d’actions détenues par les dirigeants l’année précédant l’émission.

2.1.4. Le niveau d’endettement de la firme avant l’émission

40 Dans une perspective de financement hiérarchique adoptée par S.C. Myers (1984) ainsi que par S.C. Myers et N.S. Majluf (1984), les entreprises privilégient le financement interne au détriment du financement externe. Dans le cas d’un recours à ce dernier, les firmes privilégient l’endettement à une augmentation de capital. Toutefois, une entreprise, ayant un endettement excessif et un besoin de financement important, est obligée de renoncer à l’endettement pour ne pas augmenter son risque de défaillance. Elle se trouve donc contrainte d’émettre des titres pour financer ses investissements mais également pour se désendetter.

41 Dans une perspective d’agence, l’existence de dettes incite les actionnaires à investir dans des projets risqués et peu rentables afin de s’approprier une partie des richesses de la firme au détriment des créanciers. Ce qui peut être à l’origine des coûts d’agence de la dette.

42 D. Mayers (1998) met en évidence l’intérêt de l’émission de dettes convertibles pour réduire les coûts d’agence de la dette. Les émissions d’obligations convertibles en tant que financement séquentiel peuvent être assimilées à des émissions d’ABSA. On suppose que les entreprises les plus endettées recourent aux émissions d’ABSA pour réduire les coûts d’agence de la dette.

43 Hypothèse 4 : Il existe une relation positive entre le niveau d’endettement de la firme avant l’émission et la décision d’émission d’ABSA.

44 Nous proposons d’utiliser deux estimations du niveau d’endettement :

45

  • niveau d’endettement total = Dettes totales/capitaux propres ;
  • niveau d’endettement financier = Dettes financières/Total actif.

2.1.5. La rentabilité de l’émetteur

46 L’insuffisance de la rentabilité face aux besoins grandissants de la croissance conduit l’entreprise à avoir recours aux ressources externes. Cet argument a été mis en évidence par S.C. Myers et N.S. Majluf (1984) dans leur théorie de financement hiérarchique. Selon cette théorie, les entreprises utilisent d’abord l’autofinancement, puis la dette, et en dernier lieu l’émission d’actions pour financer leurs investissements. Les firmes les plus rentables manifestent donc plus de capacité d’autofinancement, d’où une relation négative entre le niveau d’endettement et la rentabilité d’une part, et entre la rentabilité et l’émission d’actions d’autre part.

47 La relation négative entre le niveau d’endettement et la rentabilité a été corroborée par plusieurs études empiriques telles que l’étude de M. Harris et A. Raviv (1991), celle de R.G. Rajan et L. Zingales (1995), ou encore le travail de L. Booth et al. (2001). En revanche, d’après la théorie du ratio d’endettement optimal, une relation positive devrait exister entre la rentabilité et le niveau d’endettement. En effet, la déductibilité des charges d’intérêts incite les entreprises rentables à se financer par émission de dettes.

48 Dans certains cas, les entreprises les plus rentables devraient recourir au financement externe. Nous supposons que ce type d’entreprise choisit d’attacher des bons de souscription aux actions pour signaler sa bonne qualité et pour éviter la réaction presque toujours négative à l’annonce d’émission d’actions sèches.

49 Hypothèse 5 : Il existe une relation positive entre la rentabilité de la firme et la décision d’émission d’ABSA.

50 Cette variable est approchée par la rentabilité des capitaux propres (ROE [3]) et la rentabilité économique (ROA [4]).

2.1.6. Le secteur d’activité de l’émetteur

51 Certains chercheurs considèrent que le choix d’émission d’ABSA est lié au secteur d’appartenance de l’émetteur.

52 Th.J. Chemmanur et P. Fulghieri (1997) avancent que la majorité des émetteurs appartient au secteur industriel risqué.

53 En outre, P. Schultz (1993) montre que les émissions d’ABSA sont réalisées par des émetteurs du secteur industriel et de haute technologie.

54 Le même résultat a été constaté sur le marché américain par B. Jain (1994), J.-L. Garner et B.B. Marshall (2005), ainsi que sur le marché australien par J.C.Y. How et J.S Howe (2001).

55 Pour notre étude, on s’attend à une fréquence plus grande de l’émission d’ABSA dans ces secteurs.

56 Hypothèse 6 : Il existe une relation positive entre le secteur industriel et de haute technologie et la décision d’émission d’ABSA. Nous estimons le secteur d’activité par une variable binaire égale à 1 si la firme appartient aux deux secteurs industriel et de haute technologie, et 0 sinon.

2.2. Les hypothèses relatives aux caractéristiques de l’émission

2.2.1. La sous-évaluation

57 Certains auteurs ont examiné le lien entre la sous-évaluation et le choix d’émission d’ABSA.

58 P. Schultz (1993) met en avant une sous-évaluation des ABSA qui dépasse de 8 % celle des actions. Il explique cela par le fait que les firmes qui émettent des ABSA sont plus petites, plus jeunes, et plus risquées que celles qui émettent des actions ordinaires. Th.J. Chemmanur et P. Fulghieri (1997) montrent que les entreprises les plus risquées, caractérisées par une forte asymétrie d’information, émettent des ABSA sous-évaluées, tandis que les entreprises peu risquées choisissent d’émettre des actions sèches sous-évaluées également. Ce constat a été confirmé par les résultats obtenus par J.C.Y. How et J.S. Howe (2001) et S. Byoun et W.T. Moore (2003).

59 Sur le marché français, E. Ginglinger (1996) explique l’intérêt d’émettre des ABSA sous évaluées. Elle précise que la sous-évaluation d’ABSA donne à l’émission une plus grande souplesse et assure la réussite de l’opération d’émission.

60 Pour P. Chollet et E. Ginglinger (2001), la sous-évaluation des ABSA est un mécanisme de signalisation utilisé par les émetteurs risqués pour inciter les investisseurs à souscrire à l’opération d’émission

61 En reprenant l’intuition de ces modèles, nous supposons que l’émission d’ABSA est liée positivement au degré de sous-évaluation.

62 Hypothèse 7 : Il existe une relation positive entre le niveau de sous-évaluation et la décision d’émission d’ABSA.

63 La sous-évaluation correspond à la différence entre le cours boursier de l’action et le prix d’émission rapporté au prix d’émission.

64 La mesure de la sous-évaluation des ABSA tient compte de la valeur des deux titres qui les composent (action et bon). L’évaluation des bons de souscription d’actions est fondée sur le modèle d’évaluation des options de F. Black et M.J. Scholes (1973) et tient compte des caractéristiques spécifiques liées à la dilution et à l’estimation de la volatilité.

2.2.2. Le produit de l’émission

65 Les résultats obtenus par P. Schultz (1993) montrent que la probabilité de l’émission des ABSA diminue avec le produit de l’émission, et que le produit de l’émission est trois fois plus bas pour l’émission des ABSA que pour l’émission des actions. S. Byoun et W.T. Moore (2003) notent que le produit de l’émission d’ABSA est sept fois inférieur à celui de l’émission d’actions ; un résultat opposant à P. Schultz (1993) ainsi qu’à M. Lee et al, (2003).

66 J.C.Y. How et J.S. Howe (2001) ne constatent aucune différence significative de la taille d’émission entre les émetteurs d’actions et d’ABSA.

67 Sur le marché français, les résultats trouvés par J.-F. Gajewski et al, (2007) montrent que le produit de l’émission d’actions est plus faible que celui provenant de l’émission d’ABSA. Ce résultat confirme l’hypothèse du produit net de J.-C. Yeoman (2001) selon laquelle les firmes émettent des ABSA pour minimiser le risque d’échec des émissions importantes.

68 De son côté, E. Ginglinger (1996) constate que le ratio « Produit brut de l’émission/Capitalisation boursière » est en moyenne plus important pour les opérations d’émissions d’actions sèches que pour les ABSA. Elle attribue cela au fait que les ABSA sont souvent émises par des sociétés saines, alors que la plupart des opérations de restructuration sont réalisées à l’aide d’actions sèches. Nous supposons que le produit de l’émission influence négativement la décision d’émission d’ABSA.

69 Hypothèse 7 : Il existe une relation négative entre le produit de l’émission et la décision d’émission d’ABSA.

70 Nous mesurons le produit brut de l’émission par le logarithme du produit brut en millions d’Euros.

2.2.3. La dilution

71 Certains travaux (J.-F. Gajewski et al, 2007) soulignent que les émissions d’ABSA entraînent une dilution moins forte par rapport aux émissions d’actions sèches. Ceci s’explique par le fait que les firmes émettrices d’ABSA reçoivent le produit de l’émission en deux étapes.

72 Dans notre analyse, nous nous intéressons à la dilution immédiate. Le test de l’effet de la dilution anticipée n’est pas jugé nécessaire et a été par conséquent écarté de notre analyse vu qu’il est fortement corrélé avec la sous-évaluation.

73 Hypothèse 8 : Il existe une relation négative entre la dilution immédiate et la décision d’émission d’ABSA.

74 La dilution est calculée avant l’exercice des droits préférentiels de souscription et avant l’exercice des bons de souscription d’actions.

equation im1
Nombre d'actions nouvelles (ou d'ABSA)
Dilution =
Nombre d'actions anciennes + Nombre d'actions nouvelles (ou d'ABSA)

75 Le tableau suivant présente un récapitulatif des hypothèses formulées.

Tableau 1

Récapitulatif des hypothèses formulées

Variables Signe attendu Mesure utilisée
Asymétrie d’information Positif Taille de l’émetteur (négatif)
Risque de l’émetteur (positif)
Cash-flows Positif Flux de liquidité (positif)
Perspectives de croissance (négatif)
Actionnariat dirigeant Négatif Pourcentage détenu par les dirigeants
Ratio d’endettement Positif Dettes totales/Capitaux propres
Dettes financières/Total actif
Rentabilité Positif Rentabilité des capitaux propres
Rentabilité économique
Secteur Positif Appartenir aux secteurs industriels et de haute technologie
Sous-évaluation Positif Sous-évaluation des actions
Sous-évaluation des ABSA
Produit de l’émission Négatif Logarithme du produit brut
Dilution Négatif Le rapport entre le nombre des nouvelles actions et la somme des anciennes actions et des nouvelles actions provenant de l’émission d’ABSA. Nombre total d’actions après l’opération
figure im2

Récapitulatif des hypothèses formulées

3. Données et méthodologie

76 Nous nous intéressons à la procédure de constitution de l’échantillon et à la méthodologie utilisée.

3.1. Présentation de l’échantillon de l’étude

77 L’échantillon de l’étude comporte toutes les émissions d’actions et d’ABSA qui ont eu lieu entre 1999 et 2006 sur la bourse de Paris. La liste des entreprises émettrices a été constituée à partir des rapports annuels de la COB pour les années 1999 à 2002 et des rapports annuels de l’AMF [5] de 2003 à 2006.

78 Notre échantillon initial comporte 76 émissions d’ABSA et 359 émissions d’actions. Toutefois, et compte tenu de notre objectif de recherche, nous avons procédé à une sélection des échantillons appropriés. Notre échantillon final a été limité à 70 émissions d’ABSA et 137 émissions d’actions.

79 Les émissions retenues dans notre recherche ont été sélectionnées comme suit :

80

  • sont retenues les émissions réalisées par voie d’appel public à l’épargne ;
  • sont retenues les émissions réalisées par des entreprises non financières ;
  • sont exclues de l’échantillon les émissions effectuées par des banques, des compagnies d’assurance, des sociétés immobilières ou d’autres institutions financières ;
  • on a éliminé les opérations liées à l’introduction en bourse ;
  • pour éviter tout problème de contamination, on a éliminé de cet échantillon tout émetteur ayant fait une autre annonce que l’annonce d’émission.

81 Nous avons recueilli les informations concernant les opérations d’émission de l’année boursière, des bulletins mensuels d’information de la commission des opérations de bourse et du site de l’AMF.

82 Les informations relatives aux caractéristiques des entreprises ont été extraites des trois bases de données ORBIS, OSIRIS et Wordscope et des rapports annuels des entreprises.

83 Les cours boursiers ont été extraits de la base de données Datastream. S’agissant de données caractérisant l’émission, elles ont été collectées dans les prospectus et les notes d’informations des émetteurs disponibles sur le site de l’AMF, des avis et décisions d’Euronext ou encore des avis publiés au BALO.

84 Nous avons décelé la présence de quatre valeurs extrêmes dans l’échantillon. On a décidé de conserver ces valeurs. À notre avis, l’inclusion de ces données dans le modèle de régression permet de tenir compte du comportement contradictoire de ce groupe d’entreprises par rapport aux entreprises de notre échantillon. Nous avons vérifié aussi l’absence de corrélation entre les prédicteurs. Lorsque certaines variables sont fortement corrélées entre elles, on ne les inclut pas dans le même modèle.

3.2. Présentation de la méthodologie

85 Nous proposons deux types d’analyse : une analyse univariée et une analyse multivariée.

86 L’analyse univariée est réalisée afin de mettre en évidence les différences entre les émetteurs d’ABSA et ceux d’actions.

87 Pour l’analyse multivariée, notre choix porte sur la méthodologie Logit. Ce type d’analyse est une extension de la régression multiple. Il est aussi une solution aux problèmes posés lorsque la variable à expliquer est binaire.

88 La variable à expliquer dans notre modèle est dichotomique : c’est le choix entre les actions ordinaires (0) et les actions à bons de souscription d’actions (1).

89 L’analyse Logit (ou la régression logistique) suppose que les variables explicatives sont indépendantes les unes des autres. Contrairement à la régression multiple, ce type d’analyse n’exige pas que les prédicteurs soient distribués normalement ou linéaires. Ainsi, il ne fait aucune hypothèse d’homogénéité des variances, de normalité ou d’homoscédasticité des résidus.

90 Par ailleurs, cette technique s’applique uniquement à de grands échantillons.

91 La technique Logit est un modèle de probabilité non linéaire. Elle détermine les probabilités qu’un événement survienne ou non.

92 La probabilité associée à l’évènement Yi = 1 est définie comme la valeur de la fonction de répartition de la loi logistique au point (? + ?Xi).

4. Résultats

4.1. Résultats de l’analyse descriptive univariée

93 L’analyse descriptive univariée est effectuée dans le but de simplifier les données issues de plusieurs variables. Nous avons eu recours à deux types de tests de différence de moyennes : paramétrique et non paramétrique.

94 Lorsque l’hypothèse de normalité est vérifiée, les tests paramétriques sont plus puissants que les tests non paramétriques. Au contraire, dans le cas de non-normalité, les résultats des tests paramétriques risquent d’être biaisés.

95 On a vérifié la normalité de la distribution de variables ; les résultats des tests de normalité pour les deux échantillons d’actions et d’ABSA nous ont montré que la normalité de la distribution n’est vérifiée que pour quelques variables explicatives. L’utilisation des seuls tests paramétriques, basés sur l’hypothèse de normalité n’est pas suffisante pour comparer ces deux échantillons. Il était alors jugé nécessaire de confirmer les résultats par d’autres tests non paramétriques.

96 Nous avons choisi d’utiliser le test paramétrique de Student sachant qu’il est réputé très puissant et que souvent, il rejette la normalité pour des grands échantillons.

97 Pour les tests non paramétriques, nous avons utilisé le test de Mann Whitney pour évaluer la significativité de la différence des moyennes. Ce test est équivalent au test de Wilcoxon mais plus facile à mettre en pratique. Il est aussi plus puissant que le test de la médiane.

98 Les résultats des deux tests sur la différence des moyennes de nos variables entre les deux échantillons d’actions et d’ABSA sont présentés dans le tableau 2 :

99 La différence de moyenne de la variable risque de l’émetteur entre les deux échantillons est significative au niveau de 5 % avec le test paramétrique de Student. Cette différence n’est par contre pas significative avec le test non paramétrique de Mann Whitney. Ce résultat ne nous permet pas de confirmer l’hypothèse selon laquelle les émetteurs d’ABSA sont plus risqués que les émetteurs d’actions ordinaires.

100 Pour les autres variables, nous constatons que les résultats des deux tests paramétrique et non paramétrique sont très proches. Les différences de moyenne sont significatives avec les deux tests pour cinq variables : « la taille », « la part du capital détenue par les dirigeants », « le secteur d’activité de l’émetteur », « la sous-évaluation » et « la dilution ».

101 Les deux variables « Flux de liquidité » et « Rentabilité économique » montrent un résultat significatif uniquement pour le test non paramétrique.

Tableau 2

Résultats des tests paramétriques et non paramétriques sur l’égalité des moyennes

Variables Moyenne Différence de moyenne Test Student Test Mann Whitney
Actions ABSA
Risque de l’émetteur 0,6765 0,8029 - 0,1264 1,995 - 1,629
(0,049) (0,103)
Taille de l’émetteur 18,1031 17,5386 0,5645 2,061 - 1,817
(0,041) (0,069)
Flux de liquidité - 0,0079 0,0203 - 0,0282 - 1,36 - 1,817
(0,175) (0,069)
Perspectives de croissance 1,3806 1,6882 - 0,3076 - 1,424 - 0,974
(0,157) (0,330)
Part du capital détenue par les dirigeants 0,4221 0,2971 0,125 3,404 - 3,009
(0,001) (0,003)
Niveau d’endettement total 3,3265 2,744 0,5825 0,779 - 0,078
(0,437) (0,937)
Niveau d’endettement financier 0,2599 0,2699 - 0,01 - 0,319 - 0,007
(0,750) (0,994)
Rentabilité des capitaux propres - 0,247 - 0,2817 0,0347 0,186 - 0,135
(0,853) (0,893)
Rentabilité économique - 0,0382 - 0,011 - 0,0272 - 1,16 - 2,036
(0,247) (0,042)
Secteur d’activité 0,3942 0,5857 - 0,1915 - 2,648 - 2,61
(0,009) (0,009)
Sous-évaluation 0,1211 0,2198 - 0,0987 - 2,831 - 2,222
(0,005) (0,026)
Produit de l’émission 16,691 16,8387 - 0,1477 - 0,656 - 0,706
(0,513) (0,480)
Dilution 0,2864 0,2155 0,0709 2,498 - 3,068
(0,013) (0,002)
figure im3

Résultats des tests paramétriques et non paramétriques sur l’égalité des moyennes

Notes : ce tableau présente les résultats des tests paramétriques et non paramétriques sur l’égalité des moyennes. La première colonne présente les variables étudiées. La deuxième et la troisième colonne présentent les moyennes des différentes variables, la 4e colonne présente les différences de moyenne, les deux dernières colonnes présentent respectivement les résultats du test paramétrique de Student et du test non paramétrique de Mann Whitney. Sont mises entre parenthèses les probabilités correspondantes de rejet à tort de l’hypothèse nulle H0.

102 Étant donné que la distribution de ces deux variables n’est pas normale, le test de Mann Whitney sera alors considéré comme le test le plus puissant. Les résultats confirment donc l’hypothèse selon laquelle les entreprises rentables, ayant d’importantes ressources disponibles sont les plus émettrices d’ABSA.

103 Les deux échantillons d’actions et d’ABSA ne présentent pas de différence significative au niveau de cinq variables : « Perspectives de croissance », « Endettement total », « Endettement financier », « Rentabilité des capitaux propres » et « Produit de l’émission ».

4.2. Résultats de la régression logistique

104 Contrairement à l’analyse univariée, la régression logistique permet de prendre en compte l’interaction des variables les unes sur les autres.

105 La régression logistique modélise la relation entre un ensemble de variables indépendantes et la probabilité qu’un cas est membre d’une des catégories de la variable dépendante.

106 En codant par 1 ou 0 les choix des émetteurs, le modèle donne les variables qui augmentent les probabilités d’émettre des ABSA plutôt que des actions.

107 Nous utilisons la représentation suivante :

equation im4
L=Ln (Pi)
1? Pi
equation im5
L = B0 + B1RISQ + B2TAIL + B3Cash + B4QTob + B5CAP + B6End.total + B7End.finan
+B8ROE + B9ROA + B10SECT + B11SEV + B12 Pr od + B13Dilu + ?

108 Avec :

109

  • L est la variable explicative de notre analyse. Elle prend la valeur 1 lorsque l’entreprise choisit d’émettre une ABSA, et 0 si elle choisit d’émettre une action ordinaire.
  • on a identifié 13 variables explicatives : Risque de l’émetteur (RISQ) ; Taille de l’émetteur (TAIL) ; Flux de liquidité (Cash) ; Perspectives de croissance (QTob) ; Part du capital détenue par les dirigeants (CAP) ; Niveau d’endettement total (End. total) ; Niveau d’endettement financier (End.finan) ; Rentabilité des capitaux propres (ROE) ; Rentabilité économique (ROA) ; Appartenance aux deux secteurs industriel et de haute technologie (SECT) ; Sous-évaluation (SEV) ; Produit de l’émission (Prod) ; Dilution (Dilu).
  • les coef ficients « B » donnent le signe de la relation entre la variable dépendante et les variables explicatives. Un coefficient positif indique que la variable explicative est positivement liée à la probabilité que l’évènement survienne, c’est-à-dire que l’entreprise émette des ABSA.

4.2.1. Présentation des résultats avant suppression des valeurs corrélées

110 Le tableau ci-dessous présente les résultats de la régression logistique en prenant en compte toutes les variables indépendantes. Les résultats obtenus relatifs à l’incidence des deux variables, taille et risque de l’émetteur, sont cohérents avec nos hypothèses : le risque de l’émetteur augmente la probabilité d’émettre des ABSA alors que la taille diminue cette probabilité. Ce résultat valide l’hypothèse d’une influence positive de la variable asymétrie d’information. Ainsi, les entreprises risquées de petite taille, caractérisées par une forte asymétrie d’information, émettent plus d’ABSA que d’actions.

111 Dans le but d’affiner notre analyse, nous avons testé l’effet d’interaction [6] entre les deux variables « risque » et « taille » après avoir centré [7] ces deux variables.

112 Les résultats d’analyse de l’effet d’interaction entre ces deux variables représentant l’asymétrie d’information indiquent que le choix d’émission d’ABSA par les firmes est conditionné par le couplage de ces deux variables. Ceci soutient l’hypothèse que les entreprises les plus assujetties à l’asymétrie d’information (petite taille et forte volatilité) émettent plus d’ABSA que d’actions ordinaires.

113 Ces résultats concordent avec ceux des études menées sur les marchés américain et australien. Cependant, nos résultats sont contraires à ceux obtenus sur le marché français par J.- F. Gajewski et al, (2007). Ces derniers indiquent que les ABSA sont émises par les firmes avec une importante capitalisation boursière et ne constatent pas d’influence significative du risque sur la décision d’émission d’ABSA.

114 Concernant la variable free cash-flow (FCF), on l’a estimée par l’effet combiné de la présence des flux de liquidité « Cash » et des opportunités de croissance « QTob ». De ce fait, les entreprises ayant de faibles opportunités de croissance et d’importantes liquidités sont celles ayant un risque élevé de free cash-flow.

115 Les signes attendus des deux variables représentant le risque de FCF sont observés. Le coefficient de la variable « QTob » est négatif et celui de la variable « Cash » est positif. Néanmoins, seul l’effet de la variable « Cash » est significatif.

Tableau 3

Coefficients du modèle explicatif de l’émission d’ABSA

Variable dépendante = 1 si le titre émis par l’entreprise est une ABSA
Chi-deux 46,017***
- 2Loglikelihood 218,865
R2 de Nagelkerke 0,276
% correct 76,30 %
Variables explicatives B Exp (B) Sig.
RISQ 0,980** 2,664 0,037
TAIL - 0,272** 0,762 0,021
Cash 1,503* 4,493 0,058
QTob - 0,061 0,941 0,660
CAP - 1,461** 0,232 0,033
End.total 0,003 1,003 0,953
End.finan 1,587* 4,889 0,077
ROE - 0,128 0,880 0,545
ROA 0,746 2,108 0,759
SECT 0,710** 2,034 0,040
SEV 2,224*** 9,245 0,005
Prod 0,182 1,199 0,204
Dilu - 3,287** 0,037 0,016
Constante 0,645 1,906 0,785
figure im6

Coefficients du modèle explicatif de l’émission d’ABSA

***, **, * significatif aux seuils de 1 %, 5 % et 10 %.

116 Nous avons aussi vérifié l’existence d’un effet d’interaction entre ces deux variables représentant le risque de free cash-flow. Les résultats obtenus ne sont pas significatifs. La prise en compte de l’effet d’interaction entre ces deux variables n’apporte pas d’information complémentaire à notre analyse.

117 Ces résultats ne nous permettent pas de confirmer notre hypothèse selon laquelle la décision d’émission d’ABSA est associée à l’existence de risque du free cash-flow.

118 Le coefficient indiquant l’impact du niveau d’endettement financier est positif et significatif au niveau de 10 %. Cela traduit le fait que les émetteurs d’ABSA sont plus endettés par rapport aux émetteurs d’actions sèches et que l’émission d’ABSA est réalisée éventuellement pour réduire le taux d’endettement financier des entreprises. Un même résultat est constaté pour le coefficient du niveau d’endettement total. Ce coefficient, bien que positif, n’apparaît pas significatif. Cela peut s’expliquer par la non-pertinence de cette mesure. En effet, certains auteurs, en l’occurrence R.G. Rajan et L. Zingales (1995), notent que tout ratio d’endettement exprimé en fonction des dettes totales ne constitue pas un bon indicateur, et qu’il ne permet pas de mettre en exergue le risque de faillite de l’entreprise.

119 Le niveau de sous-évaluation, la part du capital détenue par les dirigeants et la dilution immédiate permettent de séparer les deux groupes d’entreprises : les émissions d’ABSA sont fortement sous-évaluées par rapport aux émissions d’actions ordinaires ; le fait de détenir une faible proportion du capital par les dirigeants augmente les chances de faire partie du groupe émetteur d’ABSA ; la dilution immédiate a une incidence négative sur la probabilité de ce choix.

Tableau 4

Matrice des corrélations

RISQ Tail Cash QTob CAP End.total End.finan ROE ROA SEV Prod Dilu
RISQ 1
TAIL - 0,26** 1
Cash - 0,20** 0,16* 1
QTob 0,06 - 0,28** 0,15* 1
CAP - 0,06 - 0,10 - 0,04 0,02 1
End.total - 0,07 0,07 0,01 - 0,15* 0,19** 1
End.f inan - 0,13 0,12 0,09 - 0,03 0,03 0,17* 1
ROE - 0,09 0,04 0,33** 0,05 - 0,06 - 0,60** - 0,03 1
ROA - 0,25** 0,19** 0,88** 0,16* - 0,03 - 0,06 0,03 0,38** 1
SEV 0,08 0,05 - 0,14* - 0,17* - 0,10 - 0,03 0,06 - 0,11 - 0,16* 1
Prod - 0,19** 0,56** 0,25** 0,08 - 0,20** 0,00 0,03 0,10 0,28** 0,05 1
Dilu 0,23** 0,01 - 0,37** - 0,33** 0,12 0,10 0,24** - 0,09 - 0,43** 0,17* - 0,13 1
figure im7

Matrice des corrélations

***, **, * significatif aux seuils de 1 %, 5 %, et 10 %.

120 Les signes des coefficients constatés de la variable produit de l’émission ne confirment pas l’hypothèse de l’existence d’une relation négative entre le produit de l’émission et la décision d’émission d’ABSA. Cela suggère qu’il ne s’agit pas d’un facteur d’influence déterminant du choix entre l’émission d’actions et l’émissions d’ABSA.

121 Il a été constaté aussi que faire partie du secteur industriel ou de la haute technologie est davantage associé à l’émission d’ABSA. Les résultats obtenus sont peu concluants au sujet de l’influence de la rentabilité de l’émetteur sur le choix d’émission d’ABSA. Le signe du coefficient de la variable « ROA » est bien positif alors qu’il est négatif pour la variable « ROE ».

122 Afin d’affiner notre analyse, nous avons vérifié l’existence de corrélations entre les différentes variables explicatives.

123 Le tableau 4 présente une synthèse des corrélations entre l’ensemble des variables :

124 On observe deux corrélations importantes (mises en gras) : un coefficient de corrélation positif et significatif au niveau de 5 % entre la variable « ROA » et la variable « Cash », et un coefficient de corrélation négatif et significatif de -0,60 entre les deux variables « End.total » et « ROE ».

125 Pour éviter les problèmes de colinéarité entre les variables explicatives, nous présentons dans ce qui suit plusieurs modèles de régression en n’introduisant pas les variables corrélées dans un même modèle.

4.2.2. Présentation des résultats après suppression des valeurs corrélées

126 Les résultats dégagés après suppression des valeurs corrélées sont présentés dans le tableau suivant :

127 On remarque que la suppression des valeurs corrélées ne change pas les signes des coefficients.

128 À l’exception des deux variables « ROE » et « Prod », les signes attendus des autres coefficients sont conformes aux hypothèses que nous avons faites initialement. Les variables les plus significatives sont les variables représentant le risque, la taille, l’actionnariat, le secteur d’activité, la sous-évaluation et la dilution immédiate.

129 Au contraire, les variables représentant la rentabilité de l’émetteur, le niveau d’endettement avant l’émission et le risque de free cash-flow ne présentent pas de résultats significatifs. Les résultats peuvent être ainsi synthétisés :

130

  • les émetteurs d’ABSA sont plus risqués et plus petits par rapport aux émetteurs d’actions ordinaires ;
  • les firmes ayant d’importantes ressources disponibles préfèrent émettre des ABSA ;
  • lors des émissions d’ABSA, les actionnaires dirigeants détiennent une faible part du capital émis ;
  • les émetteurs d’ABSA appartiennent au secteur industriel ou à celui de la haute technologie. Ces deux secteurs risqués sont caractérisés par une forte asymétrie d’information ;
  • les émissions d’ABSA sont davantage sous-évaluées que celles d’actions ordinaires. on interprète l’émission d’ABSA sous-évaluées comme un signal de bonne qualité. Seules les entreprises de bonne qualité vendent leurs actions en deux étapes et choisissent de sous évaluer leurs titres lors de la première cotation ;
  • la dilution provenant de l’émission d’actions est plus importante que celle provenant de l’émission d’ABSA.

131 Les résultats obtenus s’accordent à montrer que, dans un contexte d’asymétrie d’information, l’émission d’ABSA permet de signaler la valeur de l’entreprise au marché financier.

Tableau 5

Coefficients des modèles explicatifs de l’émission d’ABSA après suppression des valeurs corrélées

Variable dépendante = 1 si le titre émis par l’entreprise est une ABSA
Chi-deux 45,453*** 45,675*** 45,594*** 45,922***
- 2Loglike lihood 219,428 219,207 219,287 218,960
R2 de
Nagelkerke
0,273 0,274 0,274 0,276
% correct 75,8 % 75,4 % 75,8 % 76,3 %
Variables explicatives Modèle 1 Sans Cash et ROE Modèle 2 Sans Cash et End.total Modèle 3 Sans ROE et ROA Modèle 4 Sans End.total et ROA
B Exp (B) Sig. B Exp (B) Sig. B Exp (B) Sig. B Exp (B) Sig.
RISQ 1,002** 2,723 0,032 0,977** 2,656 0,035 0,996** 2,706 0,033 0,969** 2,634 0,038
TAIL - 0,269** 0,764 0,023 - 0,274** 0,760 0,021 - 0,265** 0,767 0,024 - 0,269** 0,764 0,022
Cash 1,691** 5,422 0,022 2,202** 9,043 0,016
QTob - 0,045 0,956 0,741 - 0,057 0,945 0,677 - 0,050 0,951 0,715 - 0,063 0,939 0,647
CAP - 1,523** 0,218 0,026 - 1,492** 0,225 0,027 - 1,468** 0,230 0,031 - 1,429** 0,240 0,033
End.total 0,020 1,021 0,546 0,019 1,019 0,569
End.finan 1,585* 4,877 0,073 1,651* 5,210 0,063 1,528* 4,609 0,083 1,571* 4,813 0,076
ROE - 0,120 0,887 0,443 - 0,128 0,880 0,418
ROA 1,460 4,304 0,246 1,859 6,417 0,187
SECT 0,725** 2,065 0,036 0,709** 2,032 0,039 0,719** 2,052 0,037 0,703** 2,019 0,041
SEV 2,229*** 9,292 0,004 2,200*** 9,029 0,005 2,252*** 9,507 0,004 2,227*** 9,272 0,005
Prod 0,172 1,188 0,227 0,181 1,198 0,205 0,176 1,193 0,212 0,186 1,204 0,189
Dilu - 3,209** 0,040 0,016 - 3,180** 0,042 0,017 - 3,341** 0,035 0,012 - 3,375** 0,034 0,012
Constante 0,714 2,042 0,763 0,713 2,039 0,763 0,576 1,780 0,806 0,536 1,710 0,819
figure im8

Coefficients des modèles explicatifs de l’émission d’ABSA après suppression des valeurs corrélées

***, **, * significatif aux seuils de 1 %, 5 % et 10 %.

Conclusion

132 Notre contribution a eu comme principal objet d’investiguer sur la détermination des raisons pour lesquelles les entreprises émettent des actions à bons de souscription d’actions (ABSA). Nous avons présenté une synthèse des principaux travaux théoriques et empiriques explicatifs de l’intérêt du recours à l’émission d’ABSA, et nous avons dressé un ensemble d’hypothèses. Les résultats obtenus permettent de fournir aux dirigeants les critères de choix entre les actions et les ABSA. Ils mettent aussi en évidence le rôle des ABSA dans le signalement des projets de bonne qualité.

133 Notre étude sur le marché français confirme les résultats d’études antérieures réalisées sur les deux marchés américain et australien. Cependant, nos résultats ne sont pas cohérents avec ceux obtenus sur le marché français par J.-F. Gajewski et al, (2007). Cela peut s’expliquer, à notre avis, par la différence de la période d’étude et par le changement de comportement des émetteurs au fil du temps.

134 Nous pourrions envisager de faire une étude sur données de panel afin de vérifier l’attitude des émetteurs dans le temps, et de rendre compte de la dynamique des comportements des émetteurs et de leur éventuelle hétérogénéité.

135 Cette étude permettrait de justifier la différence de nos résultats obtenus sur la période 1999-2006 et ceux dégagés par J.-F. Gajewski et al, (2007) sur une période plus ancienne allant de 1986 à 2000.

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Mots-clés éditeurs : actions à bons de souscription d'actions(ABSA), résultats, asymétrie d'information, déterminants

Mise en ligne 28/01/2015

https://doi.org/10.3917/rsg.267.0159

Notes

  • [1]
    Les deux hypothèses d’agence et de signal font des prévisions semblables au sujet du risque, de l’âge, de la taille des entreprises émettrices d’ABSA lors des introductions en bourse.
  • [2]
    Jean-Francois Gajewski, E. Ginglinger et M. Lasfer (2007), « Why do companies include warrants in seasoned equity offerings ? », Journal of Corporate Finance.
  • [3]
    ROE (Return on equity).
  • [4]
    ROA (Return on assets).
  • [5]
    L’Autorité des Marchés Financiers (AMF) est issue de la fusion de la Commission des opérations de Bourse (C.O.B.) et du Conseil des Marchés Financiers.
  • [6]
    On parle d’effet d’interaction lorsqu’une variable à expliquer Y est conditionnée par l’effet combiné de deux variables explicatives X1 et X2.
  • [7]
    Centrer une variable consiste à soustraire de chacune de ses valeurs initiales la moyenne de ces mêmes valeurs.
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