Couverture de RSG_255

Article de revue

« Financer autrement » est-il possible ?

Pages 71 à 73

Notes

  • [1]
    Voir l’ouvrage : L’autre finance : Existe-t-il des alternatives à la banque capitaliste ? de Daniel Bachet et Philippe Naszályi (2011) pour plus de détails sur les origines de « l’autre finance ».
  • [2]
    Aude d’Andria, « Existe-t-il des alternatives aux banques capitalistes ? » Un éclairage sur d’autres pratiques financières (re)créant du lien social », La Revue des Sciences de Gestion 2011/3-4 (n° 249-250) 176 pages. I.S.B.N. 9782916490298.
  • [3]
    Philippe Naszályi, Crise ? Vous avez dit : « Crise » ?, La Revue des Sciences de Gestion, 2012/2 (n° 254), 144 pages. I.S.B.N. 9782916490335
  • [4]
    Sylvie Chevrier « Gérer autrement », La Revue des Sciences de Gestion, n° 253, 2012/1, 128 pages. I.S.B.N. 9782916490328.

1 La crise américaine récente appelée également crise des subprimes a été la source d’une très grande « tourmente » financière dans le monde, en 2008-2009. Cette dernière s’est traduite par un assèchement de liquidité important, la faillite de plusieurs banques et un dysfonctionnement quasi-total du système bancaire mondial. La panne des systèmes bancaires et financiers mondiaux est considérée aujourd’hui comme la cause principale de la crise des dettes et de la récession économique qui a touché la plupart des économies développées et émergentes. Afin de limiter de cette crise et de sauver les systèmes monétaires et financiers mondiaux, nous avons assisté à une synchronisation forte des institutions monétaires mondiales et à une multiplication des réunions et conférences entre les responsables politiques. Les analystes financiers et les économistes ont multiplié leurs critiques envers les systèmes bancaires et les pratiques financières soupçonnés d’être à l’origine de la crise et les gouvernements et responsables politiques se sont manifestés pour prendre plusieurs décisions et mesures permettant de rassurer les investisseurs. Désormais, la nouvelle règle tient à l’innovation prudente.

2 Une telle règle présuppose la révision des normes et des règles d’évaluation ainsi que les modes de mesure et de contrôle de risque. Elle rend également indispensable l’encadrement des crédits et le contrôle de la liquidité. Il s’en suit aussi un nouveau mode de notation et un contrôle plus approfondi des activités de trading et de spéculation. En d’autres termes, ce nouveau mode de gestion devrait permettre de débloquer progressivement la situation financière, relancer les investissements et stimuler l’activité économique tout en améliorant le contrôle de risque et en limitant la spéculation excessive. Autrement dit, il convient de « manager autrement », « gérer autrement » et plus particulièrement « financer autrement ». D’où l’idée de « l’autre finance » qui se veut (ou se voudrait) plus responsable, plus solidaire, plus sociale, plus éthique et plus morale que la finance conventionnelle [1].

3 Ce dossier a pour vocation de présenter quelques lignes et idées directrices pour mieux appréhender les principes et fondements de l’« autre finance ». Pour ce faire, nous rappelons, tout d’abord, les indications de l’échec de la finance conventionnelle et les principales critiques adressées aux pratiques financières usuelles (Ph. Herlin, 2009). Nous discutons, ensuite, les principaux traits, spécificités et formes de « l’autre finance ». Ce dossier prolonge le numéro spécial de La RSG de l’été 2011 (n° 249-250), dirigé par Aude d’Andria qui insistait sur « ce que fait et propose l’autre finance » [2], à la suite du colloque d’octobre 2010. Parce que le besoin de réflexions sur la crise, comme Philippe Naszályi le rappelait, dans l’éditorial du numéro 254 (mars-avril 2012) [3] et de propositions alternatives est bien prégnant, ce cahier spécial présente une réflexion complémentaire. Ce cahier « fiancer autrement » fait suite à la conférence internationale qui a été organisée à l’Université d’Evry Val d’Essonne le 24 juin 2011. Sylvie Chevrier [4], dans le numéro 253 de La RSG (janvier-février 2012) a dirigé la publication du cahier « gérer autrement » qui était la thématique centrale de cette journée de recherche. Ce sont ici, les sept meilleures communications en finance, développées ce jour là qui font l’objet de cette publication en nous focalisant uniquement sur les communications liées au thème « Financer autrement ».

I. Les dangers de la finance conventionnelle

4 La finance conventionnelle a connu ces dernières années un essor sans précédent. Les marchés financiers se sont accrus rapidement et leurs capitalisations boursières ont augmenté hâtivement. Les produits financiers se sont intensifiés. Les institutions financières et monétaires ont dû moduler leurs fonctions afin d’accompagner cet essor spectaculaire de la finance capitaliste. La prédominance et l’omniprésence de ce système capitaliste a été favorisé par des facteurs microéconomiques et macroéconomiques. En effet, d’un côté, la libéralisation financière, la dérégulation, la déréglementation, la désintermédiation et le décloisonnement des marchés ont facilité la globalisation, l’intégration et le développement des marchés. Un tel développement a été également accéléré grâce à l’accès aux nouvelles technologies d’information et communication qui ont permis, entre autres, la réduction des frais de transaction et d’information. De l’autre côté, l’importance des profits associés à la spéculation et au trading ont augmenté l’appétit investisseurs amateurs et institutionnels et a induit une forte surévaluation rapide des titres financiers.

5 En conséquence, la globalisation financière et le développement des marchés financiers se sont produits avec un rythme plus rapide que celui de la mondialisation du marché des autres biens et services et un écart important entre la sphère réelle et la sphère financière n’a cessé de se creuser. Cette déconnexion a induit un risque excessif, a généré un système économique mondial financé essentiellement par des canaux de crédits. En outre, l’absence de fondamentaux solides soutenant ce système l’a implicitement fragilisé puisqu’en cas de retour de tendance – ce qui était le cas en 2007- la correction devient majeure et la crise des subprimes constitue le meilleur exemple.

6 A l’heure de cette crise, nous avons alors assisté à des risques excessifs induits par l’implémentation des positions et techniques assez risquées pour des produits naturellement sophistiqués, impliquant une panne totale des systèmes financiers et monétaires et générant une crise financière globalisée. Cette crise accouplée avec la forte instabilité des marchés, la panne du système monétaire et bancaire international et l’assèchement de liquidité ont amené à une tourmente mondiale plus grave que celle de la crise de 1929 (M. Aglietta, 2009). Les analystes parlent également d’une crise de confiance majeure des investisseurs dont leurs primes de risque ont été au moins quadruplées après la crise. Faut-il ajouter également l’effet de cette récession économique sur la croissance économique mondiale, les politiques économiques, les budgets des gouvernements dont les dettes publiques ont atteint des records sans précédent après la crise. En conséquence, l’économie du marché dans son ensemble s’avère sévèrement critiquée et différentes nouvelles approches de financement et mesures d’évaluation des investissements sont proposées.

7 En particulier, nombreux sont les économistes et analystes financiers qui se sont dépêchés à noter les défaillances des systèmes bancaires et monétaires, de la gouvernance, du contrôle et des normes comptables et d’évaluation et mesure du risque (Ph. Herlin, 2009). Ceci étant, il semble désormais utile et nécessaire de repenser la stabilité financière à travers un nouvel cadre réglementaire adéquat, des nouvelles normes de contrôle des banques, la surveillance de l’exposition des banques et des investisseurs au risque, la limitation de prise de risque excessif, l’interdiction temporaire de la vente à découvert des titres, la reconsidération de nouvelles disciplines de la finance, etc.

II. Vers une nouvelle finance

8 La crise financière a clairement montré les risques associés aux techniques financières conventionnelles et mis en évidence les limites des banques capitalistes. En outre, les interventions successives des institutions monétaires internationales et des gouvernements développés et émergents n’ont pas suffi pour sauver les systèmes économiques de la récession et re-instaurer la confiance des investisseurs. Au contraire, cela a dégénéré de nouveaux conflits économiques et sociaux et de nouvelles crises (i.e. crise des dettes). En effet, d’une part, les banques capitalistes se sont avérées incapables de surmonter cette crise et nombreux sont les analystes suggérant la nécessité d’un nouveau type de banques ayant des dimensions plus sociales et solidaires. En particulier, les institutions de microfinance, les banques coopératives et les banques islamiques sont citées comme des alternatives aux banques capitalistes. Ces institutions semblent afficher plus de performance sociale et moins de risque que les banques classiques. D’autre part, les analystes financiers et les économistes soulèvent plusieurs nouvelles formes et modèles de financement alternatif.

9 A ce sujet, nous parlons désormais d’innovations du financement et de finance alternative (W. Barnett et F. Jawadi, 2013). Une telle nouvelle finance propose des pratiques et des techniques financières alternatives. Ces pratiques requièrent néanmoins une nouvelle structure de gouvernance, une nouvelle réglementation des marchés financiers et de nouveaux circuits financiers définissant ainsi une « autre finance ». A cette fin, de nouvelles formes de la finance alternative et solidaire ont récemment été développées et constituent actuellement l’objet de plusieurs débats. Leurs spécificités consistent à limiter le risque et la spéculation inhérents à la finance conventionnelle. En effet, la finance alternative a su développer assez rapidement de nouveaux outils financiers plus adaptés aux objectifs de la finance alternative (épargne salariale solidaire, investissement socialement responsable, fonds éthique et islamiques, etc. Parallèlement, de nouvelles banques plus éthiques et collaboratives ont été développées permettant d’assurer le financement de l’économie sociale et solidaire. En outre, les institutions de microfinance sont de retour. Tout cela suggère une nouvelle finance plus participative, durable, éthique, morale, solidaire et sociale et dont le potentiel est a priori considérable (B. Sentissi, 2010)

III. Quelques réflexions sur la finance alternative

10 Les différentes communications que nous avons sélectionnées, présentent des visions différentes de la finance alternative et lancent de nouvelles voies de recherche prometteuses en sciences de gestion.

11 Le papier d’Elizabeth Franklin-Johnson et Katia Richomme-Huet intitulé : « Crise et gestion de la responsabilité sociétale des entreprises du CAC 40 : Analyse de leur communication sur leur politique RSE entre 2007 et 2010 » introduit le cahier en rappelant l’importance de la finance classique. Il y apporte cette vision nouvelle qu’est la gestion de la responsabilité sociétale des entreprises côtés à la bourse de Paris à l’heure de la crise. En utilisant des indicateurs plutôt qualitatifs, les auteurs montrent que l’un des effets positifs de la crise est le développement d’importantes opportunités de croissance et de transformation impliquant une autre façon de diriger pour ces entreprises. Cette nouvelle façon de manager et notamment de gérer semble néanmoins être plus une conséquence passive qu’un choix proactif. Elle est une transition entre « gérer autrement » et « financer autrement ».

12 Christophe Revelli et Patrick Sentis, s’interrogent pour savoir si « L’investissement socialement responsable (ISR) diffère vraiment de l’investissement conventionnel ? ». Ils expliquent les spécificités des ISR. Ils suggèrent l’importance de leur degré d’éthicité étant donnée l’absence de profil financier notamment par rapport aux produits conventionnels. De tels produits affichent un potentiel important notamment à l’heure de la crise financière.

13 L’étude de Daniel Bachet intitulée « La banque coopérative peut-elle devenir une alternative à la finance capitaliste ? » pose la question des banques coopératives comme forme alternative. Après avoir dressé les principales différences entre les banques coopératives et les banques conventuelles, l’auteur rappelle les dérives des banques coopératives et propose des solutions permettant un retour vers l’esprit solidaire et social de ces institutions. Enfin, l’auteur développe les conditions institutionnelles indispensables pour que la finance coopérative ne soit plus cantonnée à un champ d’interventions restreint.

14 Les trois communications qui suivent ont pour thématique la finance islamique et ses défis. Michel Roux dans « Finance éthique, finance islamique : quelles convergences et potentialités de développement dans la banque de détail française ? » examine les enjeux et les potentialités de la finance éthique et de la finance islamique. L’auteur y explique rigoureusement les structures, points de convergence et de divergence entre ces deux appellations de la finance. Il en discute en outre les avantages, mais aussi les limitations dues essentiellement aux réticences des acteurs et aux obstacles réglementaires.

15 Geneviève Causse aborde « Le sort des banques islamiques : de la difficulté de satisfaire des objectifs multiples ». Elle y traite des défis et des difficultés de la finance islamique. Après en avoir rappelé l’histoire, l’auteur pose la question des spécificités propres aux produits de la finance islamique et présente les difficultés associées au développement de cette nouvelle forme de finance. Elle expose bien que la multiplicité des objectifs de la finance islamique risque de freiner son essor. Retenons enfin, l’intérêt des propositions du système financier islamique notamment pour reformuler ou réinventer le système financier conventionnel.

16 En troisième lieu, le papier intitulé « La finance islamique est-elle à l’abri de la crise financière globalisée ? » étudie l’effet de la crise financière sur la finance conventionnelle et sur la finance islamique. Après avoir abordé les spécificités de la finance islamique et ses produits, nous démontrons que ses produits seraient plus performants que ceux de la finance conventionnelle. En effet, pourtant touchée également par la crise, l’industrie de la finance islamique semble avoir plutôt échappé à la tourmente mondiale des marchés financiers.

17 Le dernier article de ce cahier : « Microfinance et pauvreté subjective en Algérie : Essai d’analyse » d’Ahmed Smahi, Samir Malikil et Salah-Eddine Arif, examine l’efficacité de la microfinance pour le développement des pays en voie de développement, en l’occurrence en Algérie. Les auteurs insistent sur le fait que les produits de la microfinance dont les microcrédits ont un effet favorable pour lutter contre la pauvreté et réduire les inégalités entre les classes sociales.

18 Pour résumer, ces différentes études suggèrent des formes distinctes de finance, réellement fondées sur des principes différents de ceux de la finance conventionnelle. Récentes et à l’évidence, pas encore assez développées, ces nouvelles approches de finance alternative semblent disposer d’un énorme potentiel (B. Sentissi, 2010 ; E. Jouini et O. Pastré, 2011).

Bibliographie

Références bibliographiques

  • Aglietta, M. (2009), La crise, Michalon.
  • Bachet D. & Naszályi Ph. (2011), L’autre finance : Existe-t-il des alternatives à la banque capitaliste ?, Editions du croquant, 323 pages, Paris.
  • Barnett, W. and Jawadi, F (2013), Recent Developments in Alternative Finance : Empirical Assessments and Economic Implications, International Symposia in Economic Theory and Econometrics, Emerald Publishing, Bingley, UK, forthcoming.
  • Herlin, Ph. (2009), « Les fondements erronés de la finance », Les Echos, 5 janvier.
  • Jouini, E. et Pastré, O. (2011), « Enjeux et opportunités du développement de la finance islamique pour la place de Paris », Rapport d’activité, 133 pages, Paris.
  • Sentissi, B (2010), « Finance alternative : Un énorme potentiel », L’Economiste, avril.

Notes

  • [1]
    Voir l’ouvrage : L’autre finance : Existe-t-il des alternatives à la banque capitaliste ? de Daniel Bachet et Philippe Naszályi (2011) pour plus de détails sur les origines de « l’autre finance ».
  • [2]
    Aude d’Andria, « Existe-t-il des alternatives aux banques capitalistes ? » Un éclairage sur d’autres pratiques financières (re)créant du lien social », La Revue des Sciences de Gestion 2011/3-4 (n° 249-250) 176 pages. I.S.B.N. 9782916490298.
  • [3]
    Philippe Naszályi, Crise ? Vous avez dit : « Crise » ?, La Revue des Sciences de Gestion, 2012/2 (n° 254), 144 pages. I.S.B.N. 9782916490335
  • [4]
    Sylvie Chevrier « Gérer autrement », La Revue des Sciences de Gestion, n° 253, 2012/1, 128 pages. I.S.B.N. 9782916490328.
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