Couverture de RSG_253

Article de revue

La RSE, un enjeu d'apprentissage organisationnel

Le cas de l'intégration professionnelle des personnes en situation de handicap

Pages 79 à 87

Notes

  • [1]
    Un des exemples forts de la pression exercée par l’administration publique sur les entreprises dans le cadre de la loi de 2005 a été le quasi triplement de la contribution AGEFIPH en cas de non respect du quota. La pénalité s’élève ainsi à 1500 le SMIC horaire par unité de travailleur manquante, contre 400 ou 600 auparavant.
  • [2]
    Dans un souci de confidentialité, nous ne citerons pas les noms des entreprises concernées par cette enquête.
  • [3]
    L’Agefiph est l’association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées, qui gère les contributions financières versées par les entreprises de 20 salariés et plus, soumises à l’obligation d’emploi des personnes handicapées. Au service des personnes handicapées et des entreprises, l’Agefiph propose des aides financières et des services mis en œuvre par un réseau de partenaires.
  • [4]
    Entretien avec la responsable de la politique handicap d’un grand groupe français dans le secteur de la prévoyance, Paris, mars 2009.
  • [5]
    Il convient de préciser que les difficultés analysées dans le cadre de cette recherche ont été constatées dans le contexte particulier du détachement de personnes souffrant d’un handicap mental et psychique. Il est donc difficile de généraliser ces difficultés à l’ensemble des travailleurs handicapés amenés à travailler en milieu ordinaire de travail. Les difficultés sont en effet susceptibles d’évoluer en fonction de chaque personne handicapée mais également en fonction des situations professionnelles dans lesquelles ces personnes sont amenées à travailler. Toutefois, la personne chargée de l’aide à l’insertion d’un ESAT explique que les difficultés qu’elle a pu constater chez les personnes handicapées en détachement se retrouvent dans d’autres situations d’externalisation. Selon elle, les personnes handicapées placées dans des entreprises de travail temporaire ou des entreprises de travail adapté, sont souvent des personnes qui connaissent des problèmes d’insertion en milieu ordinaire de travail et qui rencontrent ainsi des difficultés similaires.
  • [6]
    Selon l’AGEFIPH, 80 % des handicaps sont invisibles.
  • [7]
    Plus précisément : la loi de février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

1 L’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap est aujourd’hui un défi majeur pour les entreprises. Ce défi est devenu central dans les politiques de Ressources Humaines des grands groupes et des PME françaises, notamment depuis la mise en place de la Loi handicap du 11 février 2005. Celle-ci a fortement incité les entreprises à favoriser l’emploi direct ou indirect de personnes en situation de handicap, notamment par une pression financière accrue [1]. Il semble que cette politique porte ses fruits, comme le constate l’Association de Gestion du Fonds pour l’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées (Agefiph), qui estime qu’en 2010, plus de 80 % des entreprises concernées par la loi ont mis en place des actions en faveur de la lutte contre les discriminations à l’emploi des personnes en situation de handicap, soit une progression de 65 % sur ces trois dernières années.

2 Mais derrière ce constat positif se cache une difficulté profonde des entreprises à intégrer durablement des personnes handicapées dans leurs effectifs. En effet, seulement un tiers d’entre elles ont recruté des personnes handicapées et cette tendance perdure depuis plus de sept ans (L. Gérard, 2010). On peut donc se demander quelles sont les difficultés spécifiques rencontrées par les entreprises dans l’intégration des personnes handicapées ? Quelles solutions permettraient d’y répondre ? Ces questions spécifiques que pose l’insertion professionnelle des personnes handicapées permettent de questionner plus largement les freins et les moteurs à la mise en place de la RSE dans les entreprises. Cet enjeu d’apprentissage organisationnel (C. Argyris & D. Schön, 2002 ; C. Argyris, 1995 ; G.P. Huber, 1991) conduit bien sûr à analyser les relations internes entre les différents niveaux de management pour la mise en place de la politique d’intégration des personnes handicapées. En effet, de nombreuses études ont montré les enjeux de l’adaptation interne comme condition de réussite d’une telle politique handicap (C. Everaere, 2010 ; C. Naschberger, 2008). Nous allons confirmer ces résultats en allant plus loin dans l’analyse de ce type d’actions par l’étude des modes de coopération externe de l’entreprise avec des acteurs publics (Agefiph) et privés (prestataires de services, entreprises adaptées). Comment construire une politique handicap en articulant coopération interne et externe ? Sur quels outils et dispositifs de gestion repose-t-elle ? Quels sont les obstacles de ces dynamiques de transformation ? Quels sont les stratégies pour les surpasser ? Autrement dit, comment les entreprises deviennent-elles des organisations apprenantes au cours de la mise en place de politique socialement responsable ?

3 Pour comprendre concrètement la nature des freins et des moteurs de cet apprentissage, nous avons étudié deux grands groupes français situés dans les secteurs du BTP et de la prévoyance. Nous avons également rencontré les responsables d’entreprises d’intérim spécialisées dans l’insertion de personnes handicapées et d’établissements et services d’aide par le travail (ESAT) [2]. Nous avons procédé par une étude approfondie de ces différents cas (K.M. Eisenhardt 1989 ; Yin 2008) en réalisant une quinzaine d’entretiens semi-directifs auprès de responsables RH, de chargés de mission handicap, des salariés concernés et des équipes de direction. L’objectif n’est pas de décrire en détail ces deux terrains mais plutôt de partir des enseignements de cette enquête pour proposer un programme d’action et de réflexion sur les stratégies d’une politique RSE.

4 A travers ces différents points de vue, nous verrons que les freins à l’intégration des personnes en situation de handicap relèvent à la fois des comportements et des représentations des personnes concernées mais également des équipes de direction. Ces résistances sont également liées au type de handicap, au poste et au secteur d’activité comme l’ont déjà montré d’autres recherches sur ce sujet (C. Everaere, 2010 ; C. Naschberger, 2008). Au-delà de ces éléments de contingence que toute politique handicap doit prendre en compte, nous proposerons une série de mesures susceptibles de faciliter l’intégration des personnes en situation de handicap, à la fois en amont (notamment lorsque les entreprises font appel à des prestataires de services spécialisés) et en aval de ce processus d’insertion professionnelle. Ce travail nous permettra finalement de construire une typologie des stratégies adoptées par les entreprises au cours du processus de construction de leur politique handicap. Ce résultat de recherche constituera alors une piste de réflexion plus large pour l’élaboration des politiques RSE.

1. L’intégration des personnes en situation de handicap dans les entreprises, un enjeu d’apprentissage organisationnel

5 Les enjeux de l’élaboration et de la mise en place d’une politique « handicap » dans les entreprises tiennent une place de plus en plus grande dans les recherches en gestion (J.M. Peretti, 2006). Ils s’insèrent globalement dans les nombreux travaux de recherche sur la responsabilité sociale des entreprises (Y. Pesqueux, 2008 ; A. Acquier & F. Aggeri, 2007 ; C. Baret, 2006 ; M. Capron et F. Quairel-Lanoizelée, 2004), travaux qui insistent sur les changements de représentation du rôle des organisations et de l’évaluation de la performance. Cependant ces recherches n’interrogent que de façon limitée les conditions de la transformation des organisations. Elles laissent d’abord largement de côté les moteurs et freins de ce changement à partir des politiques RSE notamment autour de l’étude des pratiques et d’outils de gestion spécifiques (C. Everaere, 2010 ; C. Naschberger, 2008). Plus encore ce travaux de recherche se focalisent sur les difficultés de coopération interne lors de la mise en place de ce type de politique, qui certes sont l’un des enjeux majeurs de leur construction, comme on le verra dans le cas de la politique handicap, mais qui sont intimement liés aux enjeux de coopération inter-firmes.

6 Pour répondre à ces deux types d’enjeu (interne et externe) nous allons mobiliser en particulier les approches cognitivistes de la théorie de l’apprentissage organisationnel (C. Argyris & D. Schön, 2002, C. Argyris, 1995) qui cherchent à comprendre comment l’entreprise doit remettre en cause ses systèmes de règles et de croyances inscrits dans ses pratiques pour entraîner une modification et une structuration des théories de l’action. Nous chercherons, de ce point de vue, à comprendre à la fois comment une organisation devient apprenante et quels sont les différents degrés d’apprentissage. Nous allons compléter cette approche en montrant à travers la mise en place d’une politique handicap que l’apprentissage organisationnel passe également par la construction d’une coopération externe, permettant de redéfinir l’entreprise comme une coalition de parties prenantes (A. Acquier & F. Aggeri, 2007).

1.1. La politique handicap au prisme de la théorie de l’apprentissage : identifier les freins au changement organisationnel

7 L’enjeu de l’insertion des personnes en situation de handicap peut être envisagé comme un processus de changement organisationnel, mettant en évidence des enjeux d’apprentissage organisationnel. La théorie sur l’apprentissage organisationnel s’interroge en effet sur la capacité des entreprises à remettre en cause les fondements de leurs actions et permet ainsi de mieux comprendre la manière dont les entreprises peuvent repenser leur organisation du travail. Elle décrit une nouvelle forme de gouvernance d’entreprise dont le cœur est le programme d’apprentissage continu (A. Argyris, 1995). Cette nouvelle forme de gouvernance contribue à faire de l’entreprise une organisation apprenante. Pour ce faire, elle doit selon A. Argyris (1995) non seulement identifier les freins au développement des savoirs et les responsabilités de chacun, mais également inciter l’ensemble des membres à remettre en cause les valeurs qui sous-tendent leurs actions, sources d’inertie organisationnelle.

8 D’après cette approche, les organisations doivent donc permettre la transmission de nouveaux savoirs à l’ensemble de ses membres. De ce point de vue cette approche est d’autant plus intéressante qu’elle fournit à l’individu la marge de manœuvre dont il a besoin pour se sentir exister, tout en étant dans une forme de quête partagée d’évolution avec la structure. Il faut toutefois avoir conscience que la capacité des entreprises à remettre en cause les fondements de leur action est un travail difficile à réaliser. Elle demande en effet une grande implication et une grande humilité de la part des organisations car il s’agit d’un « phénomène collectif d’acquisition et d’élaboration de compétences qui plus ou moins profondément, plus ou moins durablement, modifie la gestion des situations et les situations elles-mêmes » (G. Koenig, 2006).

9 C’est donc dans ce cadre que nous avons inscrit notre travail de recherche, non seulement en tâchant d’identifier différentes formes de résistance à la mise en place d’une politique handicap, c’est-à-dire à la construction d’un cadre commun aux membres d’une entreprise pour répondre à la problématique de l’intégration professionnelle des personnes en situation de handicap. Nous avons alors distingué des freins à trois niveaux :

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  • Individuel : entre personnes valides et handicapées ;
  • Organisationnel : entre les différents niveaux hiérarchiques (entre la direction et le management opérationnel) et entre différentes fonctions (notamment entre la DRH et les fonctions opérationnelles) ;
  • Méta-organisationnel : entre marché du travail traditionnel et marché du travail protégé.

11 Nous avons également complété les approches de la théorie de l’apprentissage en montrant que les freins relèvent à la fois de dimensions :

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  • cognitives : liées aux représentations de la situation personnelle et à la communication ;
  • managériales : relatives aux outils de gestion exitants ;
  • techniques : par rapport aux enjeux d’adaptation des conditions et de l’espace de travail ;
  • et économiques : liées aux coûts de la mise en place de la politique et de l’impact sur la performance économique.

13 En agissant sur ces différentes dimensions, les entreprises peuvent enclencher un processus d’apprentissage plus ou moins poussé, en simple ou en double boucle (C. Argyris et D. Schön 2002).

1.2 L’apprentissage en simple et double boucles : enjeu de coopération interne et externe

14 Selon C. Argyris et D. Schön (2002), il existe deux formes d’apprentissage organisationnel qui font référence à des modes d’apprentissage plus ou moins profonds au sein des organisations. La première forme d’apprentissage renvoie à une approche comportementale et appréhende l’apprentissage organisationnel comme une capacité d’adaptation de l’organisation à son environnement. Il s’agit de l’apprentissage en simple boucle. A ce niveau, l’organisation va remettre en cause les raisonnements défensifs en matière de handicap et ainsi permettre l’intégration des travailleurs handicapés. La deuxième forme d’apprentissage qui correspond à l’apprentissage en double boucle, renvoie à une approche cognitive et envisage donc l’apprentissage comme un changement centré sur les savoirs et représentations des acteurs. Ce niveau d’apprentissage passe par la remise en cause des principes fondateurs de l’action et notamment les routines défensives. L’entreprise développe alors de nouvelles valeurs directrices et procède ainsi à un changement profond de mentalité. La théorie de l’apprentissage organisationnel est donc un outil théorique riche pour comprendre la façon dont les entreprises peuvent passer de l’externalisation à l’intégration des activités exercées par les personnes en situation de handicap. Ces deux niveaux d’action mettent en évidence les formes de coopération qui peuvent se nouer avec les partenaires de l’entreprise : relation de sous-traitance d’une partie de l’activité ; soutien aux activités de gestion ; partenariat stratégique pour construire la politique. Ainsi le degré d’apprentissage des organisations ne dépend pas seulement des modalités d’organisation interne mais également des modes de coopération externe.

15 Ces deux niveaux d’apprentissage sont complémentaires car les dispositifs mis en place pour changer les stratégies d’action pourront conduire à une modification des valeurs directrices et donc au passage d’un apprentissage en simple boucle à un apprentissage en double boucle. Ce passage dépend à la fois de l’engagement de la direction dans la construction de la politique handicap mais également de l’élaboration de partenariats avec des acteurs externes, comme l’Agefiph [3], des cabinets de recrutement spécialisés et des entreprises adaptées. En effet, la construction de relations pérennes avec des organismes spécialisés dans les enjeux du handicap va permettre l’acquisition de compétences nouvelles. Ce processus passe par le croisement de compétences de différents acteurs, autrement dit par une forme d’apprentissage par greffe (G.P. Huber, 1991), grâce au nombre et à la diversité des interprétations produites, élargissant ainsi l’éventail des comportements possibles (G. Koenig, 2006). Analysons à présent plus en détail la mise en place de politiques d’intégration professionnelle de personnes handicapées dans différents cas d’entreprises pour comprendre les difficultés rencontrées dans les pratiques des responsables des ressources humaines et des membres d’associations spécialisées ainsi que les dispositifs mis en place pour répondre à ces freins.

2. La construction d’une politique handicap : de l’identification des raisonnements défensifs à l’élaboration de stratégies d’actions

16 L’approche par l’apprentissage nous amène à considérer les difficultés, pouvant survenir lors de l’intégration des activités exercées par les travailleurs handicapés, comme des freins à la construction d’une organisation apprenante. D’après les entretiens réalisés avec différents chargés de mission handicap, les raisonnements défensifs apparaissent chez les personnes handicapées lors de leur mission en entreprise mais également chez les membres de l’équipe amenés à travailler avec ces personnes. En effet, tous les acteurs du milieu de handicap interrogés s’accordent à dire que les difficultés qui apparaissent lors de l’internalisation d’activités exercées par les travailleurs handicapés en milieu ordinaire de travail, proviennent également des managers. Ce frein à l’insertion des personnes handicapées est notamment exprimé par les chargés de mission handicap interrogés. Par exemple, la responsable de la politique handicap dans le secteur de la prévoyance souligne les inquiétudes qu’elle a pu ressentir concernant l’accompagnement des managers dans l’intégration des personnes handicapées : « j’avais en effet certaines inquiétudes sur la façon dont les managers allaient accepter les travailleurs handicapés dans leurs équipes et sur la manière dont ils allaient parvenir à travailler ensemble » [4].

17 Cette recherche permet de compléter ou confirmer des travaux antérieurs comme ceux de Christine Naschberger (2008) ou de Christophe Everaere (2010) qui ont identifié un certain nombre de difficultés dans les processus d’intégration des personnes en situation de handicap à la fois d’ordre :

18 cognitif : préjugés et méconnaissance du handicap par les membres de l’équipe ;

19 technique : adaptation des postes de travail ;

20 économique : période de crise peu favorable à l’insertion.

21 Il est important de préciser que ces difficultés varient en fonction du type et de l’importance du handicap mais également en fonction des situations de travail [5]. L’analyse de nos différents cas nous permet de distinguer deux grandes phases dans l’émergence des freins et dans la réponse à ceux-ci : de l’amont du recrutement à la mise en place du processus d’identification et de sélection (phase amont) ; de l’embauche à l’intégration professionnelle (phase aval).

2.1. L’identification des freins et des stratégies d’actions en amont du recrutement : sensibiliser sur le handicap et identifier les profils recherchés

22 Les responsables des directions des ressources humaines rencontrés mettent en évidence que le principal frein à la mise en place d’une politique handicap est lié à la conception que les directions générales ont du handicap. En effet, de leur point de vue (sauf cas exceptionnel), le handicap est uniquement perçu comme un coût ou une contrainte supplémentaire pour l’entreprise. Cette conception s’incarne à la fois dans la nécessité d’adapter le poste de travail et dans le sentiment que l’intégration d’une personne handicapée est synonyme de baisse de la performance économique des activités productives.

Des difficultés liées aux coûts d’adaptation de l’organisation du travail

23 En effet, lorsqu’une personne handicapée est amenée à travailler au sein d’une entreprise, cela peut nécessiter, selon le type de handicap, une adaptation de l’organisation du travail à son handicap. Au-delà de l’adaptation des locaux ou des outils informatiques, qui certes sont une partie importante et visible des politiques handicap mais qui ne touchent qu’une minorité des personnes en situation de handicap [6], on peut citer plus spécifiquement les actions visant à : l’adaptation des horaires de travail afin de permettre à la personne en situation de handicap de s’intégrer progressivement au sein de l’entreprise ; l’automatisation d’une communication par e-mail pour s’adapter à un handicap visuel ; la planification des tâches adaptée à son rythme d’apprentissage ; la mise en place d’un binôme afin d’accompagner le travailleur handicapé dans la réalisation de sa mission.

24 L’identification de ces freins, qui découle d’une analyse des deux cas d’entreprises étudiés, rejoignent les résultats de travaux de recherche de C. Everaere (2010) et C. Naschberger (2008) qui soulignent aussi les difficultés qu’ont parfois les membres de l’équipe à comprendre la nécessité de repenser l’organisation du travail pour s’adapter aux travailleurs handicapés. Les membres de l’équipe établissent en effet des modes de travail adaptés à leur propre mode de fonctionnement. Ainsi, ils établissent très rapidement au sein de l’organisation un rythme de travail particulier (horaire de travail, durée d’accomplissement des tâches) et ils se définissent un mode de communication adapté au service (mail, téléphone, explications orales…). Ce phénomène ne faisant que renforcer la mise en évidence des freins au changement liés aux habitudes et à la routine.

Rôle de la loi et des conventions Agefiph : rendre l’inaction plus chère que l’action… et l’inscrire dans la durée

25 C’est justement sur cette dimension que la loi de 2005 sur le handicap [7] a cherché à agir. D’abord en augmentant les contraintes financières faisant en sorte qu’il soit, depuis son application, plus onéreux pour l’entreprise de ne rien faire que de mettre en place une politique handicap. Mais cette politique incitative s’est également accompagnée de deux dispositifs permettant d’agir encore davantage sur ce frein : la mise en place d’aides financières pour les adaptations de poste et le rôle de conseil de l’Agefiph grâce à la mise en place de conventions pluriannuelles. On peut néanmoins souligner un paradoxe de cette loi qui peut conduire à rendre plus difficile la mise en place d’une politique volontariste de recrutement. En effet, d’un côté la loi de 2005 incite les entreprises à avoir une politique proactive dans le recrutement de personnes en situation de handicap mais, de l’autre côté, les lois de lutte contre les discriminations interdisent de réserver certains postes pour des personnes handicapées et ainsi de cibler davantage le processus de recrutement. Cette contradiction de la loi est souvent évoquée par les DRH et les chargés de mission handicap rencontrés, comme un frein supplémentaire dans la construction de leur politique handicap.

Inquiétudes relatives à une diminution de la performance

26 Par ailleurs, nos analyses de terrain ont montré que les membres des équipes sont souvent réticents à favoriser le recrutement de personnes handicapées car ils envisagent les travailleurs handicapés comme un frein potentiel à la performance de leur service. Ainsi, il arrive que les managers associent la modification des modes de travail avec une perte d’efficacité. Ils estiment souvent que cette modification aura pour conséquence une perte de temps due à des changements dans leurs habitudes et leurs modes de travail. Et cette perte de temps aura elle-même pour conséquence une perte d’efficacité pouvant engendrer une baisse de la performance économique. Les membres de l’équipe voient ainsi souvent l’impact de l’arrivée d’un travailleur handicapé sur le court terme et parviennent difficilement à se projeter sur le long terme et à évaluer les bénéfices que peut susciter l’intégration de ces personnes au sein de leur équipe.

Sensibilisation lors de journées ou d’actions dédiées : voir le handicap comme une valeur ajoutée pour l’entreprise

27 Pour agir sur cette réticence des managers, les chargés de mission handicap mettent en place des actions ou journée de sensibilisation pour valoriser les compétences des travailleurs en situation de handicap mais également insister sur l’idée que la situation de handicap peut aussi être un facteur de motivation supplémentaire pour le salarié ou le développement de compétences telles que le courage, la persévérance, l’humilité. L’identification de ces compétences doit être évidemment un critère de sélection privilégié lors du processus de recrutement.

De la difficulté de trouver un haut niveau de compétences à la nécessité de les développer

28 Mais le niveau de compétence peut de ce point de vue apparaître comme l’une des principales difficultés dans le recrutement des personnes handicapées. Plus largement l’enjeu pour les entreprises est, au même titre que tout autre recrutement, de permettre la bonne adéquation entre le poste et les compétences du candidat. Et, sous cet angle, apparaît un frein lié au faible niveau de formation des personnes handicapées. En effet, 80 % des personnes handicapées ont un niveau de formation inférieur au bac (Agefiph, 2011). Cette situation pose particulièrement un problème. Elle invite aussi et surtout à réfléchir sur le rôle des écoles de formations initiales (notamment les écoles de management) à la fois dans l’intégration des personnes handicapées et dans la sensibilisation des futurs managers.

2.2. L’identification des freins et des stratégies d’actions en aval du recrutement : favoriser l’intégration et le maintien sur le poste

29 Après le recrutement apparaissent aussi de nombreux freins pour mettre en place une bonne intégration des salariés handicapés au sein des équipes et donc au maintien dans l’emploi de ces personnes. Ont été souvent cités au cours de notre enquête : le sentiment de manque de reconnaissance par les équipes dirigeantes, les difficultés de communication liées à la peur de l’échec, les difficultés de dialogue autour d’un sujet sensible comme le handicap. Ces difficultés ne sont pas spécifiques à la situation de handicap mais cette situation peut amplifier leurs effets comme on a pu le constater dans le cas des enjeux de communication pour des handicaps psychiques.

30 Les travailleurs handicapés rencontrent souvent des difficultés à dialoguer avec les autres membres de l’équipe. La personne chargée de l’aide à l’insertion au sein de l’ESAT étudié a précisé que ce problème de communication est souvent dû à deux facteurs, le handicap et la peur de l’échec. Cet ESAT accueille des personnes ayant un handicap psychique et mental qui peuvent avoir des problèmes d’élocution et de compréhension. Ces personnes handicapées sont donc davantage confrontées à des problèmes de communication à l’égard des autres membres de l’équipe. Mais ces problèmes de communication peuvent également être causés par la peur de l’échec. En effet, les travailleurs handicapés avec lesquels la chargée de l’insertion a travaillé ont souvent du mal à exprimer les difficultés rencontrées lors de l’accomplissement de leur mission. Selon elle, ils craignent en effet d’être jugés automatiquement par les managers et les autres membres de l’équipe comme étant en situation d’échec. La communication est alors faussée empêchant toute évolution de la part du travailleur handicapé.

31 Ce problème de communication est aussi intimement lié au comportement des autres membres de l’équipe. Les personnes concernées peuvent souvent être inquiètes de la façon dont elles doivent communiquer avec les travailleurs handicapés. En effet, les managers rencontrés ont exprimé en particulier : leurs craintes de blesser leurs interlocuteurs ou d’exprimer les critiques de façon maladroite ; des difficultés quant à la manière dont ils doivent accompagner le travailleur handicapé dans sa mission. Ces inquiétudes sont souvent liées à une méconnaissance du handicap et à l’absence d’interlocuteurs pouvant les conseiller et les rassurer.

32 Pour répondre à ce problème central dans l’intégration des personnes en situation de handicap – qui n’est pas nécessairement spécifique mais souvent amplifié par la situation de handicap – les entreprises étudiées mettent en place un référent handicap (le chargé de mission handicap) pour jouer un rôle de médiateur entre les personnes concernées. Ont été aussi mis en place des dispositifs de tutorat sous la forme de binômes qui permettent une meilleure intégration et un dialogue plus facile. Nous avons synthétisé les enseignements de l’analyse de nos différents cas dans un tableau présentant les différents freins et les préconisations internes et externes.

33 Pour conclure sur cette partie nous pouvons dire que l’analyse des entretiens révèle comme on l’a vu précédemment que de nombreuses difficultés peuvent apparaître lors de l’intégration des personnes handicapées telles que des problèmes de communication, de gestion des émotions et d’adaptation de l’organisation du travail. Une fois ces raisonnements défensifs identifiés, l’entreprise doit, dans un deuxième temps, mettre en place des dispositifs adaptés à l’organisation du travail, aux managers et aux travailleurs handicapés. Ces dispositifs peuvent être mis en place en amont et tout au long de l’insertion professionnelle du travailleur handicapé. Pour passer de l’externalisation à l’intégration des activités exercées par les travailleurs handicapés, les entreprises doivent donc réaliser un apprentissage organisationnel en simple boucle et devenir une entité apprenante capable de surmonter les raisonnements défensifs avec la mise en place de dispositifs adaptés. L’apprentissage en simple boucle peut permettre à l’entreprise de réaliser un apprentissage en double boucle en modifiant ses valeurs directrices (C. Argyris, 1995) et ainsi prendre en compte la responsabilité sociale de ses actions. Cette transformation des valeurs directrices peut permettre finalement une prise en compte de l’ensemble des problématiques de diversité.

3. L’entreprise comme organisation apprenante : de l’élaboration d’une politique handicap à la construction d’une stratégie RSE

3.1. Apprentissage en double boucle : du handicap à la prise en compte de l’ensemble des problématiques de RSE

34 La question de l’insertion des personnes handicapées dans les entreprises constitue un excellent levier de diversité car les entreprises sont amenées à repenser leurs activités pour respecter la dimension sociale. L’insertion des personnes handicapées conduit ainsi les entreprises à remettre en cause les valeurs directrices qui guident leurs actions et à prendre en compte davantage leur responsabilité sociale. Cette remise en cause des valeurs directrices fournira à l’entreprise un nouveau regard sur les différentes problématiques de RSE.

Tableau

L’élaboration d’une politique handicap : de l’identification des freins à la mise en place d’actions internes et de coopérations externes

Niveau d’intervention Freins Actions internes Modes de coopération externe privilégiés
En amont du recrutement Des difficultés liées aux coûts d’adaptation de l’organisation du travail Rôle de la loi et des conventions Agefiph : rendre l’inaction plus
chère que l’action… et l’inscrire dans la durée
Mise en place de conventions pluriannuelles avec l’Agefiph
Inquiétudes relatives à une diminution de la performance Sensibilisation lors de journées ou d’actions dédiées : voir le handicap comme une valeur ajoutée pour l’entreprise Mise en place de paliers à l’insertion dans les structures de travail adapté
Le manque de formations et de compétences de haut niveau Développer des compétences : rôle des écoles et de l’alternance
En aval du recrutement Problèmes de communication Mise en place d’un référent dans l’entreprise Etablissement d’un suivi par les prestataires de services
Mise en place de binôme et de tutorat
tableau im1

L’élaboration d’une politique handicap : de l’identification des freins à la mise en place d’actions internes et de coopérations externes

L’apprentissage organisationnel en double boucle : une remise en cause des valeurs directrices

35 Chris Argyris et Donald Schön (2002) nous proposent une deuxième réflexion en analysant le niveau d’apprentissage organisationnel des entreprises. L’apprentissage en double boucle va plus loin que l’apprentissage en simple boucle car il se traduit par une remise en cause des valeurs directrices. Lorsqu’on s’intéresse à l’insertion des personnes handicapées au sein des entreprises, on s’aperçoit qu’une des valeurs directrices peut se définir comme la volonté pour les entreprises de réduire leur contribution Agefiph. Ce constat financier pourrait paraître inadéquat lorsqu’il s’agit du handicap, mais il est vrai que les enjeux financiers et économiques prennent le pas sur les enjeux sociaux et sociétaux, notamment dans le cas du handicap (C. Fanjeau, 2007). Les entreprises sont donc confrontées à une forte pression financière et peuvent envisager le handicap comme un moyen de réduire les coûts. Ainsi, dans un contexte où les entreprises sont « frappées au portefeuille », la dimension financière a un impact sur la dimension sociale puisqu’elle guide les actions menées par les entreprises. La volonté de réduire les coûts financiers peut donc constituer pour les entreprises une valeur directrice dans la politique du handicap et peut être à l’origine de l’insertion des personnes handicapées.

36 Toutefois, on assiste à une montée en puissance de nouvelles valeurs portées par la généralisation des politiques RSE (J. Igalens, 2004 ; J. Igalens et M. Joras, 2002). En effet, en insérant des travailleurs handicapés au sein de leur organisation, les entreprises sont amenées à repenser leurs activités pour respecter la dimension sociale. Pour parvenir à insérer des travailleurs handicapés, les entreprises combattent leurs raisonnements défensifs et prennent en compte la dimension sociale dans l’organisation du travail et dans les relations avec les autres membres de l’équipe. Ces changements peuvent être schématisés par un processus en trois phases (infra).

Schéma 1

Le processus d’apprentissage en double boucle : de la pression financière à la RSE.

tableau im2

Le processus d’apprentissage en double boucle : de la pression financière à la RSE.

37 Une première phase se traduit par la volonté qu’ont les entreprises à insérer des personnes handicapées. Cette première phase est souvent animée par une volonté de réduction des coûts financiers et envisage donc le handicap à travers une dimension financière. Dans la deuxième phase, c’est le processus d’insertion des personnes handicapées qui est mis en œuvre. Les entreprises entrent donc dans une phase d’action pour aboutir à une réelle insertion des personnes handicapées dans leur organisation. Pour cela, elles vont identifier les raisonnements défensifs et mettre en place des dispositifs adaptés à l’organisation du travail, aux travailleurs handicapés et aux managers. La réalisation de cette phase aboutira comme on l’a vu précédemment à un apprentissage en simple boucle. Ce processus va conduire l’entreprise à repenser ses activités pour inclure, dans ses modes de fonctionnement, une dimension sociale. Ainsi, de la volonté première de réduire les coûts financiers, l’entreprise va évoluer vers la responsabilité sociale des entreprises. Les entreprises vont alors progressivement intégrer dans leurs activités commerciales des préoccupations sociales.

38 Les deux phases d’apprentissage organisationnel ne sont pas déconnectées l’une de l’autre puisque l’apprentissage en simple boucle est une étape intermédiaire pour aboutir à un apprentissage en double boucle.

39 Il convient toutefois de nuancer ces propos car doit-on parler de remise en cause des valeurs directrices ou de nouvelle hiérarchie des valeurs ? Il semble qu’il s’agisse davantage d’une nouvelle hiérarchie de valeur car la performance financière qui était au départ prise en compte pour l’insertion des personnes handicapées n’est pas abandonnée au profit de la performance sociale mais est conditionnée par ces valeurs.

40 Au départ, la volonté d’insérer des personnes handicapées est financière puisqu’il s’agit de réduire les coûts financiers. La valeur financière avait donc un impact sur la dimension sociale. Dorénavant, c’est la valeur sociale qui peut avoir un impact sur la dimension financière puisque l’entreprise est soumise à de nouvelles exigences sociétales.

41 Enfin, la prise en compte de la responsabilité sociale des entreprises et ainsi le passage à un apprentissage en double boucle sont souvent conditionnés par le secteur d’activité. En effet ce dernier peut conditionner la mise en place d’une politique RSE spécifique. Les personnes chargées de la mission handicap au sein des deux entreprises étudiées expliquent en effet que leurs secteurs d’activité – le BTP et la prévoyance – ont été des secteurs moteurs dans les enjeux de RSE : soit du fait du poids des normes ou des risques spécifiques, comme dans le cas du BTP ; soit du fait d’une dimension sociale ancrée dans l’activité comme c’est le cas de la prévoyance.

42 Au-delà de la contingence sectorielle, la mise en place de politique RSE dépend étroitement des relations internes et externes spécifiques au domaine de la RSE abordé (social, écologique, économique ou culturel)

3.2. Vers une typologie des stratégies d’entreprise en matière de RSE : d’un engagement limité à un engagement responsable

43 La construction des politiques RSE dépendent étroitement de deux facteurs, que l’on a mis en évidence à travers l’analyse de la mise en place d’une politique handicap :

44

  • le rythme et l’intensité du déploiement des actions en interne : ponctuelles ou durables ;
  • la conception de la coopération externe : externalisation ou partenariat.

45 Ces deux critères vont nous permettre de construire une typologie des stratégies des entreprises lors de la construction de leur politique RSE (infra) qui précise quatre types d’engagement possibles des entreprises :

46

  • L’engagement limité est marqué par la mise en place d’actions ponctuelles et des relations externes conçues comme une externalisation. C’est par exemple le cas pour les entreprises qui, pour répondre aux obligations de la loi handicap, vont faire appel à un ESAT pour proposer des actions ponctuelles de sensibilisation ;
  • L’engagement amorcé caractérisé par la construction d’actions partenariales progressives sans l’élaboration d’une véritable politique RSE. C’est souvent la stratégie adoptée par les entreprises pour construire une politique handicap en créant une convention avec l’Agefiph ;
  • L’engagement déconnecté met en évidence la mise en place d’actions pérennes en interne tout en gardant des relations plus ponctuelles avec son environnement. C’est le cas des entreprises qui mettent en place des actions de sensibilisation ou de recrutement à long terme tout en gardant des relations plus ponctuelles avec les parties prenantes du handicap comme les prestataires de services ou les organismes publics ;
  • L’engagement responsable marque l’aboutissement d’une stratégie RSE : mise en place d’actions durables et constitution de relations partenariales pérennes avec les différentes parties prenantes. Dans le cas de la politique handicap, on retrouve des entreprises qui ont mis en place une mission handicap qui construit les politiques de recrutement, de formation ou de sensibilisation régulières et des conventions pluriannuelles avec l’Agefiph mais aussi avec d’autres partenaires comme les ESAT.

47 La construction de cette typologie des stratégies des entreprises doit nous permettre de situer les différentes politiques RSE mais également de mettre en évidence leurs trajectoires selon l’évolution des relations internes et des coopérations externes. De ce point de vue nous avons élaboré une cartographie des politiques RSE qu’il faut coupler avec les différents degrés d’apprentissage des organisations. Autrement dit, le passage d’un engagement limité à un engagement responsable passe par le développement d’une capacité à passer d’un apprentissage en simple boucle à un apprentissage en double boucle.

Schéma 2

Typologie des stratégies des entreprises lors de la construction d’une politique RSE

tableau im3

Typologie des stratégies des entreprises lors de la construction d’une politique RSE

Conclusion

48 En mobilisant les travaux sur l’apprentissage organisationnel (C. Argyris et D. Schön, 2002 ; C. Argyris, 1995 ; G.P. Huber, 1991) nous avons montré que la mise en place d’une politique d’intégration des personnes handicapées passe par un processus de transformation profonde des organisations qui entraîne la construction de nouveaux outils de gestion, l’implication de nouveaux acteurs et plus largement la transformation des pratiques RH (recrutement, gestion de carrière, formation), l’acquisition ou le renouvellement de compétences spécifiques. Ces actions permettent d’enclencher des mécanismes susceptibles de passer d’un apprentissage en simple boucle (simple loop learning) à un apprentissage en double boucle (double loop learning), caractérisé par la modification des valeurs directrices de l’action et l’intégration de ces valeurs dans des dispositifs de gestion.

49 Nous avons donc montré que les entreprises parviennent à passer de l’externalisation à l’intégration des activités exercées par les travailleurs handicapés par un processus d’apprentissage continu. Pour ce faire, les entreprises doivent être capables de reconnaître les limites de leurs raisonnements défensifs et ainsi faire preuve d’une grande humilité. Par ce processus d’apprentissage continu, les entreprises deviennent des entités apprenantes capables de remettre en cause les valeurs qui sous-tendent leurs actions à travers la mise en place de dispositifs adaptés à l’organisation du travail, aux managers et aux travailleurs handicapés. Ces dispositifs se caractérisent par une adaptation de l’organisation du travail, une sensibilisation des managers, des actions de formation, l’établissement d’une négociation, la mise en place d’un référent dans l’entreprise, l’établissement de suivi chez les prestataires de services et la mise en place de paliers d’insertion dans les structures de travail adapté. En collaboration avec les entreprises de travail temporaire et des structures de travail adapté, les entreprises sont donc en mesure de repenser leur organisation. Ces formes de coopération externe deviennent donc l’une des conditions de réussite du processus d’apprentissage organisationnel.

50 Cette étude révèle aussi qu’il existe de nombreux freins internes à l’intégration des travailleurs handicapés. Ce qui apparaît comme autant de raisonnements défensifs de la part des personnes en situation de handicap et aux managers se situant à des niveaux relationnels, cognitifs et organisationnels. Toutefois, ces freins semblent pouvoir être combattus grâce à la mise en place de dispositifs favorisant l’intégration des travailleurs handicapés. Ce processus amène à repérer les différents niveaux d’apprentissage organisationnel qui conditionnent la prise en compte de l’ensemble des problématiques RSE.

51 Une fois le processus réalisé, les entreprises connaissent comme on l’a vu un changement profond de mentalité et remettent en cause leurs valeurs directrices en dépassant les enjeux financiers liés au handicap et en prenant en compte davantage dans leur stratégie les enjeux sociétaux de la RSE (apprentissage en double boucle). La question de l’insertion des personnes handicapées au sein des entreprises est donc une question primordiale qui ne peut être négligée par les entreprises car elle constitue un excellent levier de transformation en fournissant une opportunité de traiter d’autres formes de discrimination. Les réponses apportées par la politique handicap contribuent en effet à transformer plus largement le regard des membres de l’organisation sur le handicap mais aussi plus largement sur la diversité sociale dans l’entreprise.

52 La question de l’insertion des travailleurs handicapés est un enjeu de plus en plus stratégique pour la société dans son ensemble pour trois raisons principales. D’une part l’insertion des personnes handicapées est un enjeu de société car elle interroge la capacité de la société à intégrer des personnes en marge de celle-ci. D’autre part, l’insertion des personnes handicapées constitue un enjeu majeur pour les personnes handicapées elles-mêmes puisque leur intégration dans la société est favorisée par l’acquisition d’une certaine autonomie notamment rendue possible par l’accès au travail. Enfin l’insertion des personnes handicapées constitue un enjeu pour les entreprises car elle interroge la capacité de l’entreprise à intégrer une diversité des compétences et donc à acquérir de nouveaux savoirs et savoir-faire, voire à bénéficier d’un phénomène de surmotivation (C. Everaere, 2010).

Bibliographie

Bibliographie

  • Acquier, A. et Aggeri, F. Une généalogie de la pensée managériale sur la RSE. Revue Française de Gestion, 2007, n° 180.
  • Argyris, C. et D. Schön. Apprentissage organisationnel. Théorie, méthode, pratique. De Boeck, 2002, Bruxelles.
  • Argyris, C. Savoir pour agir. Surmonter les obstacles à l’apprentissage organisationnel. InterEditions, 1995, Paris.
  • Baret, C. « L’évaluation contingente de la Performance Globale des Entreprises : Une méthode pour fonder un management sociétalement responsable ? ». Actes de la 2e journée de recherche du CEROS, 2006, pp. 1-24.
  • Capron, M. et F. Quairel-Lanoizelée. Mythes et réalités de l’entreprise responsable. Edition La Découverte, 2004, Paris.
  • Eisenhardt K. Building theories from case study research. Academy of Management Review, 1989, vol. 14, n° 2, p. 532-550
  • Everaere, C. Insertion et maintien dans l’emploi des personnes handicapées. Le cas des grandes surfaces de bricolage, Revue Française de Gestion, 2010, n° 202, p. 13-31.
  • Fanjeau, C. Efficacité relative de la discrimination positive dans l’accès à l’emploi des travailleurs handicapés, in Batifoulier & al. Les approches institutionnalistes des inégalités sociales, L’Harmattan, 2007.
  • Gérard, L. Travailleurs handicapés, Une insertion toujours difficile. Entreprise & Carrière, juillet 2010, n° 1010, p. 20-22.
  • Huber, G.P. Organizationnal learning : the contributing processes and the literatures. Organizationnal Science, 1991, vol. 2, p. 88-115.
  • Igalens J. Tous responsables, Editions d’organisation, 2004.
  • Igalens, J. et M. Joras. La responsabilité sociale de l’entreprise, Edition d’organisation, 2002.
  • Kerroumi, B. La déficience du management face au handicap.
  • In Mercier, M. L’identité handicapée, Presse Universitaire de Namur, septembre 2007.
  • Koenig G., L’Apprentissage organisationnel : repérage des lieux, La Revue des Sciences de Gestion, 2006/1, n° 160, DOI 10.3166/rfg.160. pp 293-328
  • Moisdon, J.-C.. Du mode d’existence des outils de gestion, Edition Séli Arslan, 1997
  • Naschberger, C., La mise en œuvre d’une démarche « diversité en entreprise ». Le cas de l’intégration des personnes en situation de handicap, Revue management et avenir, 2008, n° 18, p. 42-56.
  • Peretti, J.-M. Tous différents. Gérer la diversité dans l’entreprise, Eyrolles, 2006, Paris.
  • Pesqueux, Y. La responsabilité sociale de l’entreprise comme thème de gestion. La Revue des Sciences de Gestion, 2008, 64, p. 209-224.
  • Point, S. (Re) considérer le handicap : regards croisés sur les approches en entreprise. Management et Avenir, 2010/8 n°38.
  • Yin, R.K. (2008). Case study research : Design and methods, Sage Publications.
  • Références internet :
  • Agefiph, Bilan 2010 de l’Agefiph, mars 2011, disponible sur : http://www.agefiph.fr/content/.../1/.../chiffres+de+l’emploi +bilan+2010.pdf - consulté le 22/02/12

Notes

  • [1]
    Un des exemples forts de la pression exercée par l’administration publique sur les entreprises dans le cadre de la loi de 2005 a été le quasi triplement de la contribution AGEFIPH en cas de non respect du quota. La pénalité s’élève ainsi à 1500 le SMIC horaire par unité de travailleur manquante, contre 400 ou 600 auparavant.
  • [2]
    Dans un souci de confidentialité, nous ne citerons pas les noms des entreprises concernées par cette enquête.
  • [3]
    L’Agefiph est l’association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées, qui gère les contributions financières versées par les entreprises de 20 salariés et plus, soumises à l’obligation d’emploi des personnes handicapées. Au service des personnes handicapées et des entreprises, l’Agefiph propose des aides financières et des services mis en œuvre par un réseau de partenaires.
  • [4]
    Entretien avec la responsable de la politique handicap d’un grand groupe français dans le secteur de la prévoyance, Paris, mars 2009.
  • [5]
    Il convient de préciser que les difficultés analysées dans le cadre de cette recherche ont été constatées dans le contexte particulier du détachement de personnes souffrant d’un handicap mental et psychique. Il est donc difficile de généraliser ces difficultés à l’ensemble des travailleurs handicapés amenés à travailler en milieu ordinaire de travail. Les difficultés sont en effet susceptibles d’évoluer en fonction de chaque personne handicapée mais également en fonction des situations professionnelles dans lesquelles ces personnes sont amenées à travailler. Toutefois, la personne chargée de l’aide à l’insertion d’un ESAT explique que les difficultés qu’elle a pu constater chez les personnes handicapées en détachement se retrouvent dans d’autres situations d’externalisation. Selon elle, les personnes handicapées placées dans des entreprises de travail temporaire ou des entreprises de travail adapté, sont souvent des personnes qui connaissent des problèmes d’insertion en milieu ordinaire de travail et qui rencontrent ainsi des difficultés similaires.
  • [6]
    Selon l’AGEFIPH, 80 % des handicaps sont invisibles.
  • [7]
    Plus précisément : la loi de février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.
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