1 Face aux nouveaux défis liés au vieillissement de la population, la loi de financement de la sécurité sociale (2009) est venue contraindre les entreprises à négocier et développer des politiques d’intégration des seniors. Cette loi impose en effet aux entreprises de plus de 300 salariés de signer un accord ou de mettre en place un plan senior pour une période de 3 ans, de faire émerger trois domaines d’actions parmi les six proposés, et ce avant le mois de janvier 2010.
2 Dans une première analyse d’un échantillon de 126 plans et accords seniors, N. Pijoan, G. Poilpot-Rocaboy et A. Chevance (2011), ont mis en évidence l’impact de cette loi au sein des entreprises et ont distingué trois logiques d’actions à l’égard des seniors. La logique processuelle tend à développer des processus RH (ressources humaines) tels que le recrutement, la formation et la gestion des carrières pour intégrer les seniors au sein des organisations et améliorer leur gestion. La logique environnementale vise à agir sur l’environnement de travail des seniors par l’organisation du travail, l’organisation du temps de travail… pour améliorer leurs conditions de travail. La logique interactionnelle tente de mettre en relation les acteurs d’une organisation afin de valoriser chacun d’eux et d’améliorer le climat social. Si les processus RH sont largement mobilisés par les entreprises (près de deux tiers des actions choisies), seulement 12 % se sont intéressés aux relations entre les acteurs et ont développé une logique interactionnelle. Paradoxalement, la problématique intergénérationnelle et la question de la transmission des connaissances semblent devenir essentielles dans les organisations (N. Tessier et I. Bourdon, 2009). En effet, une situation nouvelle s’impose aux entreprises. D. Ollivier et C. Tanguy (2008) ainsi que C. Dejoux et H. Wechtler (2011) évoquent que pour la première fois dans l’histoire des entreprises, quatre générations se côtoient : les « Vétérans » nés entre 1920 et 1945, les « Baby Boomers » nés entre 1945 et 1965, la « Génération X » née entre 1965 et 1980 et la « Génération Y » née entre 1981 et 2000 (W. Strauss & N. Howe, 1991 cités par C. Dejoux & H. Wechtler, 2011). Les caractéristiques de ces générations sont spécifiques, les attitudes et comportements des individus de chaque génération sont perçus comme différents et génèrent parfois des incompréhensions et des difficultés de « cohabitation ». Des croyances et stéréotypes circulent sur chaque génération et amènent à l’existence de mythes. Ainsi, une « Génération Y » déloyale, moins efficace, pressée d’avoir des postes à responsabilités mais obsédée par ses loisirs (C. Dejoux & H. Wechtler, 2011) côtoierait des « Vétérans » et « Baby-boomers » fatigués, usés, incompétents, démotivés, trop payés, incapables de s’adapter aux changements technologiques et organisationnels… (N. Pijoan, 2007). Ces représentations engendrent des défis majeurs en matière de gestion de ces générations en vue de les intégrer et de les faire travailler ensemble de manière efficace. De ce fait, nous proposons ici d’une part, d’analyser le concept de génération et de mettre en avant les enjeux d’une coopération intergénérationnelle au sein des organisations puis d’autre part, d’analyser les actions envisagées dans les entreprises de notre échantillon de 126 plans et accords seniors pour développer cette coopération. Certes les entreprises ayant choisi une logique interactionnelle, suite à l’obligation légale de maintien en emploi ou de recrutement de seniors, restent peu nombreuses (12 %, cité plus haut) mais du fait, elles peuvent être perçues comme innovantes car elles ont intégré que la diversité des générations offrait une complémentarité inédite et ouvrait de réelles opportunités.
1. L’intergénérationnel : Définition du concept et enjeux pour l’entreprise
3 Qu’est-ce que le concept de génération ? Quels sont les risques que pose la dimension intergénérationnelle au sein des organisations ? Quels sont les enjeux managériaux de l’intégration de cette dimension intergénérationnelle ? Telles sont les questions auxquelles nous tentons de répondre ici.
1.1. Le concept de génération
4 Le concept de génération n’est pas simple à appréhender et les définitions et compréhensions du concept semblent nombreuses (C. Attias-Donfus, 1988). E. Parry et P. Urwin (2011) évoquent un groupe identifiable de par l’année de naissance, l’âge, les évènements d’une vie. F. Mentré (1920), cité par C. Dejoux et H. Wechtler (2011), développe une compréhension sociologique et perçoit qu’une génération se caractérise par la création de sa propre réalité subjective, sa psychologie, ses émotions, ses valeurs et son art (W. Strauss & N. Howe, 1991). M. Devriese (1989) précise qu’une génération est une notion à géométrie variable, où coexistent des unités générationnelles formées de sous-groupes d’individus qui confrontent leur perception du réel (la génération plurielle). Il s’agit alors d’une division du monde social qui devient effective lorsqu’un lien se crée entre les individus. Elle peut ainsi être appréhendée comme une communauté d’expériences d’un groupe d’individus artificiellement saisi dans le temps. F. Grima (2007) renforce cette compréhension de partage d’expériences selon une approche managériale et évoque qu’une génération se définit comme « des individus ayant en commun une même empreinte historique, matérialisée par des expériences et des influences identiques, et un socle commun de règles institutionnelles gérant leur évolution professionnelle avant, pendant et après leur insertion dans le monde du travail » (F. Grima, 2007, p. 28-29).
5 Au regard de ces définitions, une communauté d’individus, partageant des influences communes (expériences, histoire, contextes, évènements, âge…) serait pourvue de valeurs proches et développerait des comportements et attitudes communs. Cette proximité d’influences, de valeurs et de comportements justifierait la qualification de génération pour distinguer des groupes d’individus.
6 Des débats existent sur l’importance accordée à chaque facteur d’influence pour comprendre la communauté de valeurs et de comportements d’un groupe d’individus. Par exemple, E. Parry et P. Urwin (2011), dans leur revue critique de la littérature sur la construction du concept de génération, évoquent qu’il est difficile d’évaluer si l’impact d’événements socio-historiques est plus marquant que l’impact de l’âge (et les traits spécifiques associés) pour distinguer une génération. Par exemple, les valeurs attribuées aux jeunes d’aujourd’hui seront-elles durables et donc représentatives d’une génération ? Sera-t-il possible de repérer ces mêmes valeurs dans 10, 15 ou 30 ans pour cette même population ou évolueront-elles dans le temps avec ce que certains qualifient de maturescence en référence à l’adolescence (C. Attias-Donfut, 1988 ; E. Marbot, 2005 et 2007).
7 Si la question se pose, elle ne nous semble pas déterminante pour le gestionnaire des ressources humaines dont l’objectif est de distinguer les valeurs et les comportements des personnes dans le but d’adapter les pratiques de gestion des individus au sein des organisations. En effet, comme le soulignent E. Parry et P. Urwin (2011), l’important pour les gestionnaires est de connaître les différences de profils afin d’appréhender les attentes des diversités de générations et les faire travailler ensemble. L’identification des valeurs et des comportements spécifiques semble aujourd’hui faire l’objet d’un consensus dans toutes les économies occidentales et fait émerger une catégorisation des individus au travail en quatre générations (E. Parry et P. Urwin, 2011 ; L. Lieber, 2010 ; T. Saba, 2009).
8 La première met en avant « les traditionalistes ou vétérans ». Née entre 1920 et 1945, cette génération est appelée la « génération silencieuse » (L. Lieber, 2010). Elle a connu la seconde guerre mondiale et la grande dépression (C. Dejoux & H. Wechtler, 2011). Elle se caractérise par un grand respect de l’autorité et des règles. Ces individus partagent des valeurs de « sacrifice », de « conformisme », de « loyauté », de « fiabilité », de « patience », du « devoir avant le plaisir » (T. Saba, 2009). Le « travail est une expérience de long terme », une « fin en soi ». S’ils reconnaissent un management autoritaire et des modes de gestion hiérarchique formelle, ils sont déstabilisés par les « approches informelles du travail » et le « manque de respect et des conventions » des plus jeunes (T. Saba, 2009). Aujourd’hui certains restent aux commandes d’entreprises familiales.
9 La seconde génération est celle « des Baby-Boomers ». Nés entre 1945 et 1965, ils sont qualifiés par L. Lieber (2010) de « rebelles qui ont été contraints à se conformer ». Cette génération a évolué dans le cadre d’une prospérité économique. Ils ont bénéficié de la croissance économique et du plein emploi. Ils ont davantage tendance à contester les règles et partagent l’inquiétude d’une perte de l’interaction humaine dans la relation de travail. Ce défi à l’autorité les rend plus fidèles à l’équipe qu’à l’organisation. Cette génération a inventé la société de consommation, croit en la réussite sociale et développe un besoin d’utilité sociale (S. Guérin, 2005). Ils véhiculent des valeurs d’« optimisme », d’« esprit d’équipe », d’« engagement », le besoin de « croissance personnelle », « de réussite professionnelle », la valeur du travail… (T. Saba, 2009). Cette génération est loyale envers l’entreprise et la hiérarchie tout en prônant l’autonomie individuelle. Elle part aujourd’hui progressivement à la retraite (C. Dejoux & H. Wechtler, 2011).
10 La troisième génération est la « génération X ». Née entre 1965 et 1980, elle a été marquée par la crise économique, l’effondrement des valeurs et le choc technologique. Elle se caractérise par un certain scepticisme vis-à-vis du futur (C. Dejoux & H. Wechtler, 2011). Cette génération a vu ses parents être licenciés dans les années 1980, ce qui influence leur perception du travail. L’incertitude apparaît et l’emploi peut prendre un caractère temporaire selon les circonstances et le contexte économique. Pour cette génération, ce cadre place l’entreprise comme un passage, un tremplin pour d’autres expériences… (E. Parry & P. Urwin, 2011). Les individus sont davantage orientés vers une « carrière nomade » (L. Cadin, A-F. Bender et V. De Saint Giniez, 2003). Ils ont une perception de l’organisation fidèle à son propre fonctionnement mais qui oublie son engagement à l’égard des salariés (parfois investis toute une vie dans cette entreprise et remerciés brutalement, et mis au placard…). L’entreprise n’étant plus considérée comme loyale à l’égard des individus, ceux-ci se définissent par un besoin d’indépendance, de contrôle du temps, de faible loyauté… Le travail n’est plus une fin en soi mais un moyen de gagner de l’argent. Pour eux, le travail devient l’occasion d’acquérir de nouvelles compétences. Il s’agit d’établir des relations de long terme non plus avec l’organisation mais avec des personnes qui leur permettent d’améliorer leur employabilité. Plus flexibles que les générations précédentes, ils perçoivent le changement comme une opportunité et valorise l’équilibre entre leur vie personnelle et leur vie professionnelle (T. Saba, 2009). Cette génération est actuellement au pouvoir.
11 Enfin la quatrième génération est la « génération Y ». Née entre 1981 et 2000, cette génération évolue avec la mondialisation et les technologies de l’information (d’où la qualification parfois de « génération internet »), le progrès et l’impression que tout est possible (C. Dejoux & H. Wechtler, 2011). Cette génération cherche à apporter une contribution à la société et faire la différence. Elle est impatiente de progresser dans l’organisation, confiante et optimiste. Elle souhaite travailler moins mais mieux. Ainsi, souhaite-elle créer des règles pour elle-même. Ils peuvent apparaître peu fidèles à leurs pairs, peu loyaux à l’égard de l’entreprise car ils n’hésitent pas à la quitter pour accumuler de l’expérience, développer leur employabilité et rechercher une qualité de vie au travail qui les satisfasse. Souvent perçue comme trop confiante et autocentrée, souffrant de difficultés à distinguer leur vie privée de la vie professionnelle, elle peut apparaître comme la génération des « enfants rois ». L’autonomie dans l’organisation de leur travail et de leur temps professionnel et personnel est un vecteur de fidélisation à l’entreprise (Y. Barel, S. Fremeaux et F. Salladarré (2009). Les ordinateurs font partie intégrante de leur développement, ils préfèrent réaliser plusieurs tâches à la fois. En quête d’autonomie et d’indépendance, ils visent le développement de multi-compétences par la participation à de nombreuses fonctions dans l’entreprise et le travail d’équipe. Ils recherchent davantage l’égalité dans leur relation de travail et remettent en cause le lien hiérarchique. Leur besoin de socialisation montre l’importance qu’il faut accorder à leur intégration dans l’organisation (T. Saba, 2009).
12 Ainsi, ces quatre générations sont pourvues de valeurs spécifiques et développent des comportements qui leur sont propres. Faire travailler ensemble ces quatre générations de manière efficace représente alors un réel défi managérial pour les entreprises.
1.2. Risques et enjeux managériaux de la cohabitation intergénérationnelle
13 Les différences recensées entre les générations peuvent rendre leur cohabitation difficile au sein d’une même organisation. Les risques de conflits intergénérationnels, de perte d’efficacité organisationnelle, d’absence de motivation collective et d’irrespect de la loi ont été repérés par divers auteurs. F. Grima (2007) définit le conflit intergénérationnel (CIG) comme « une difficulté à travailler avec des personnes d’une génération différente, voire une préférence pour travailler avec des personnes d’une même génération » (p. 29). Il étudie les conséquences organisationnelles du conflit intergénérationnel et montre qu’au-delà des stéréotypes sociaux, la cohabitation intergénérationnelle est susceptible de remettre en cause les coopérations au travail. Ses travaux montrent les risques d’une détérioration des relations au travail générée par les conflits intergénérationnels. Il conclut que les CIG peuvent conduire à des ambiguïtés de rôle, des incertitudes dans le contenu des missions, dégradent la perception du sens du travail et l’implication organisationnelle, remettent en cause toute possibilité de coopération et stérilisent les dynamiques apprenantes dans l’organisation. S. Lefebvre (2000) renforce cette dernière idée et place les rapports intergénérationnels comme l’un des enjeux les plus importants au regard de la construction des savoirs dans les organisations. Il pointe l’intérêt de stimuler la solidarité intergénérationnelle par des formes de jumelage entre expérimentés et apprentis (S. Lefebvre, 1997) pour développer la compétence collective et assurer le transfert de connaissances entre générations. F. Seguin et R. Pommaville (1988) soulignent aussi la vertu de ce type d’échanges qui, en plus de la compétence collective, améliore la qualité de la culture organisationnelle, développe de nouveaux réseaux de communication et favorise l’intégration des nouvelles recrues. Ces enjeux de transmissions de savoirs, de qualité des relations intergénérationnelles… mettent en avant un risque fort de perte d’efficacité organisationnelle (S. Riffaud, 2007), dans un contexte où la transmission des savoirs est source de création de valeur et créatrice d’avantage compétitif (E-M. Pertusa Ortega & L. Rienda Garcia, 2005). En effet, le retournement démographique accentue la pression sur le maintien de l’expertise et de la performance dans les organisations. De plus, de nombreux facteurs viennent limiter les possibilités d’échange et de partage au sein des organisations. Par exemple, des facteurs individuels tels que la motivation des collaborateurs à partager leurs connaissances avec leurs collègues dans un environnement individualiste et compétitif freinent ces échanges (N. Tessier et I. Bourdon, 2009). De plus, des facteurs organisationnels tels que les contraintes productives (intensification du travail) ou la structure de l’organisation (E-M. Pertusa Ortega & L. Rienda Garcia, 2005) entravent la transmission des savoirs. Les contraintes de temps limitent les espaces d’interaction entre les acteurs. L’organisation du travail amène à une parcellisation des tâches et une sous-traitance qui isolent les individus. Face à ces risques de perte d’efficacité organisationnelle, S. Volkoff, A-F. Molinié et A. Jolivet (2000) montrent l’intérêt de reconstruire les espaces de transactions intergénérationnelles. Si ces interactions ne sont pas maintenues, cette expertise de l’entreprise risque d’être perdue (S. Lefebvre, 2000). De même, S. Habhab-Rave (2010) dans son analyse des outils de knowledge management, suggère qu’il existe d’autres façons de concevoir la gestion des connaissances notamment par la mise en place de pratiques concrètes comme lieu d’échange. Ainsi, des outils tels que la GPEC, le tutorat peuvent être mobilisés pour éviter cette perte de compétences due au départ à la retraite des seniors (G. Guérin & T. Saba, 2003) ou suite à leur licenciement pour gérer la flexibilité (A. Pichon, 2008).
14 La cohabitation de valeurs et de comportements différents engendre également un risque d’absence de motivation collective. En effet, la connaissance de ces spécificités et l’adaptation des pratiques de GRH à chaque génération sont une condition au maintien d’un niveau de motivation de chacun au sein d’une organisation. Ainsi, la motivation des traditionalistes passera-t-elle davantage par la reconnaissance de leur expérience historique et de leur expertise, celle des baby-boomers par la promotion professionnelle et la reconnaissance du statut social, alors que les générations X et Y seront plus sensibles aux besoins de flexibilité et de croissance professionnelle (L. Lieber, 2010). Par exemple, S. Guérin et N. Pijoan (2009) constatent les bienfaits des échanges intergénérationnels sur la motivation collective dans une situation de démotivation généralisée d’une équipe de travail. Le transfert intergénérationnel des compétences a permis de valoriser les seniors, de diversifier leur activité agissant ainsi sur leur motivation. Plus largement un cercle vertueux des échanges intergénérationnels installé a permis de dynamiser les équipes de travail multi- générationnelles.
15 Finalement, le contexte de crise renouvelle l’intérêt RH de la gestion des quatre générations au travail (L. Lieber, 2010). Le report de l’âge du départ à la retraite amène à une plus grande répartition des âges des salariés au sein des entreprises. La loi de financement de la sécurité sociale de 2009 impose une réflexion sur les mesures de maintien en emploi et de recrutement des salariés âgés au sein des organisations au risque de ne pas être en conformité avec les obligations légales.
16 Intégrer la coopération intergénérationnelle dans les pratiques de gestion des ressources humaines apparaît donc un réel défi pour les entreprises. Au-delà de la perception des spécificités des générations, elles doivent capitaliser sur la richesse de chaque génération et mobiliser les outils susceptibles de stimuler la coopération intergénérationnelle. Nous proposons dans la partie suivante de repérer si les entreprises dépositaires de plans et signataires d’accords ont été dans ce sens.
2. Les outils et objectifs de coopération intergénérationnelle : Prédominance du tutorat et triple logique de Gestion des Ressources Humaines
17 Notre logique est de nature compréhensive. Elle consiste d’une part, à identifier les outils de coopération intergénérationnelle mobilisés au sein des entreprises puis d’autre part, à repérer les finalités recherchées lors de la mobilisation de ces outils. La méthodologie est ici précisée avant de repérer les outils et les motivations de la coopération intergénérationnelle. Cette analyse met en avant le réel défi qu’ont à relever les entreprises car l’objectif d’augmentation du taux d’emploi des seniors, recherché par la loi, ne relève pas uniquement de statistiques à atteindre mais implique de nouvelles relations de travail qu’il s’agit de redéfinir.
2.1. Méthodologie : l’analyse de 126 accords et plans seniors
18 Cette étude empirique résulte d’une collaboration, avec l’ARACT et la DIRRECTE Bretagne, qui nous a permis d’accéder à un échantillon de 126 accords et de plans seniors signés dans la région. Elle fait suite à une première analyse réalisée autour des principales logiques d’action identifiées dans cet échantillon (N. Pijoan, G. Poilpot-Rocaboy & A. Chevance, 2011).
2.1.1. Constitution de l’échantillon d’accords et de plans d’actions seniors
19 L’échantillon (constitué par la DIRECCTE Bretagne) représente 15 % des 840 demandes de rescrits déposés au 31 mai 2010. Il est constitué de 126 plans et accords, répartis de façon quasi proportionnelle au poids relatif des plans et accords déposés dans les 4 départements de la Bretagne : (15 % pour le département des Côtes d’Armor, 27 % pour le Finistère, 37 % pour l’Ile-et-Vilaine et 21 % pour le Morbihan, pour une part théorique respective de 15 %, 28 %, 34 % et 23 %).
20 L’échantillon présente un panel de secteurs diversifiés (Industrie : 37 %, Services : 27 %, Commerce : 19 %, Transport : 10 % et Construction 7 %). Près de la moitié des entreprises étudiées ont un effectif variant de 50 à 300 salariés à l’image des prescriptions de la loi relative aux plans et accords seniors. Néanmoins, on peut remarquer que le tiers des entreprises a un effectif de moins de 50 salariés (donc non soumises à l’obligation). Il s’agit là, pour la plupart des entreprises, d’établissements rattachés à un groupe plus grand (donc soumis à la loi) mais ayant élaboré un plan propre à l’établissement.
2.1.2. Construction d’une grille d’analyse des plans et accords seniors
21 Les 126 accords et plans d’action seniors constituent un corps textuel hétérogène tant du point de vue de la longueur (de 2 à 25 pages selon les cas) que du degré de précision et de mise en contexte des actions (diagnostics préalables, situations des pratiques et politiques RH de l’entreprise dans lesquelles s’insèrent les actions choisies). Afin de faciliter leur traitement, nous avons construit une grille d’analyse centrée sur les obligations légales (dénominateur commun à tous plans et accords) complétée par une prise de notes (éléments de contexte). Le tableau ci-dessous récapitule les différentes étapes de construction et d’analyse opérées.
Les étapes et modalités de construction et d’analyse de la base de données
Etapes | Modalités |
Etape 1 Elaboration d’une grille de saisie |
Une grille récapitulative a été créée sous le tableur
Excel comprenant : - Les 6 domaines d’action définis par la loi : Recrutement des salariés âgés dans l’entreprise ; Anticipation de l’évolution des carrières professionnelles ; Amélioration des conditions de travail et prévention des situations de pénibilité ; Développement des compétences et des qualifications et accès à la formation ; Aménagement des fins de carrière et de la transition entre activité et retraite ; Transmission des savoirs et des compétences et développement du tutorat - Pour chacun d’entre eux 3 actions possibles : précisant l’intitulé de l’action, les indicateurs et objectifs associés (comme prévu par la loi). |
Etape 2 Test et codage des données |
- La grille a été testée : au moyen de 4 plans
et accords par les codeurs 1 et 2. Des écarts
dans le choix de codage des actions ont émergé.
Dans certains plans, plusieurs actions pouvaient être
décrites afin de justifier la mise en œuvre de l’une
d’entre elles dans le plan ou accord. - Une règle de codage a été définie : afin d’uniformiser le codage réalisé par les 2 codeurs, nous avons opté pour retenir uniquement les actions pour lesquelles un indicateur et un objectif avait été associés à une action. |
Etape 3 Traitement des données |
La saisie des données s’est effectuée dans le cadre
des locaux de la DIRRECTE. La grille a donc été remplie, avec une prise de notes complémentaires pour des informations contextualisant les actions identifiées (cf. verbatim). Une phase de vérification a permis d’épurer la base de données (doublons, actions codées sans objectif associé…). |
Etape 4 Analyse du domaine (6) intergénérationnel |
L’analyse des données a été réalisée en 3 temps par
3 codeurs : - De la base de données à l’identification d’une classification d’actions : Une première analyse par domaine d’action a permis de faire émerger une liste de type d’actions. Cette analyse réalisée par les codeurs 1 et 2 a été construite à partir de la base de données. - De la classification d’actions à l’analyse de leur contenu : Une seconde analyse par actions ainsi identifiée a ensuite permis de construire 41 fiches actions qui a facilité leur analyse (Codeurs 1 et 3). - De l’analyse du contenu des actions (transmission des savoirs et des compétences) à la prise en compte de leur contexte organisationnel : Une troisième analyse a permis une étude approfondie des 64 actions visant la mise en relation d’acteurs et de dégager les objectifs visés (Codeurs 1 et 3). |
Les étapes et modalités de construction et d’analyse de la base de données
22 L’analyse présentée ci-dessous est le résultat du processus de construction et d’analyse de ces quatre étapes.
2.2. Repérage des outils de coopération intergénérationnelle
23 Une étude précédente (N. Pijoan, G. Poilpot-Rocaboy et A. Chevance, 2011) montre que si la logique interactionnelle est visible dans les accords et plans seniors analysés, elle reste rare. Parmi les 523 actions définies dans les 126 plans et accords analysés, seules 64 (soit 12,2 %) tentent de mettre en relation les acteurs. L’analyse de ces actions fait émerger trois grandes pratiques.
24 La première est une incitation des salariés seniors à participer à des jurys d’examens. Cette action, présente dans quatre accords et plans, cible les salariés de plus de 45 ans (pour 3 entreprises), de plus de 55 ans (pour 1 entreprise) et repose sur le volontariat.
25 La seconde action consiste à constituer des équipes de travail d’âge mixte. Cinq entreprises développent cette pratique et s’engagent sur des objectifs précis : « 70 % des équipes comprennent au moins un senior au terme de la première année » ; « 75 % des groupes autonomes de travail sont mixtes en âge » ; « L’entreprise s’engage à mettre en place 3 équipes mixtes (équipe commerciale, équipe secrétariat commercial et équipe technique) »…
26 La troisième action est dominante. Présente dans 55 entreprises, elle vise à développer des missions de tutorat exercées par les seniors. Les modalités de mise en œuvre sont précisées dans les accords et plans selon trois logiques. La première met en avant un « quota senior » à atteindre : « 10 % des formateurs internes ont plus de 55 ans » ; « 6 % des salariés de 45 ans et plus sont tuteurs » ; « 20 % du tutorat est exercé par des seniors » ; « 45 % des tuteurs habilités ont 50 ans et plus » ; « Un tiers des salariés de 55 ans et plus deviendront tuteurs »… La seconde logique met en avant un objectif de croissance chiffré des missions de tutorat : « Augmenter de 2 % les pratiques de tutorat dans l’entreprise » ; « Augmenter de 3 % le nombre de salariés de 45 ans et plus accédant aux missions de tutorat »… La troisième logique est beaucoup moins impliquante et reste non chiffrée : « Développer le tutorat » ; « Développer des actions de parrainage » ; « Faciliter la fonction tutorale des seniors »…
27 Au-delà de ces précisions, les conditions pour accéder au rôle de tuteur peuvent être définies dans les accords et plans. Le volontariat, des prérequis, une expérience reconnue, une légitimité professionnelle sont des conditions récurrentes relevées dans les entreprises : « Le parrain accueillant possédera les qualités relationnelles et devra avoir une vue d’ensemble de son secteur d’activités et de l’entreprise lui permettant l’accompagnement d’un nouveau collaborateur ».
28 Il est à noter que les accords et plans envisagent de faciliter ce rôle de tuteur en prévoyant divers éléments : aménagements de l’organisation et de la charge de travail (mission de tutorat quantifiée pour permettre une meilleure répartition des autres activités, décharge d’heures prévue pour le tutorat…), suivi d’une formation spécifique pour développer les qualités pédagogiques du tuteur, soutien du tuteur (une réunion mensuelle d’une heure entre le tuteur et son responsable hiérarchique), rédaction d’un guide résumant les missions de l’accompagnant, existence d’un formulaire de suivi du tutoré… « Le tutorat s’analyse comme une mission complémentaire au poste occupé, intégrant le contenu de l’emploi pour une période donnée… Les tuteurs devront disposer du temps et de la formation nécessaire pour garantir la réussite de la mission qui leur est confiée » ; « Afin de transmettre ses compétences, le salarié senior aura à sa demande, les moyens nécessaires pour faciliter sa démarche de transmission (temps, formation au tutorat) ».
29 Enfin, les missions de tutorat peuvent être reconnues par le versement d’une prime (« Prime brute annuelle minimum de 750 euros pour une année de tutorat », « prime de 50 euros par mois »), ou par la prise en compte de ces missions dans l’appréciation des performances individuelles des tuteurs : « Dans l’esprit, la société favorisera les pratiques du tutorat par la prise en compte de la mission de tuteur dans la fixation des objectifs annuels, dans les conditions d’exercice de l’activité, dans l’appréciation de la performance individuelle » ; « En revanche, la mission tutorale entre dans le champ de l’évaluation du salarié, au même titre que les missions habituelles du poste/de l’emploi » ; « La mission de tutorat confiée à un salarié senior sera prise en compte dans l’appréciation de ses résultats individuels grâce à l’évaluation des formés ».
30 Ainsi trois catégories d’outils, présentées dans le schéma 1, sont développées dans une logique interactionnelle pour mettre en relation les générations au sein des entreprises étudiées.
Repérage des outils de coopération intergénérationnelle.
Repérage des outils de coopération intergénérationnelle.
2.3. Repérage des objectifs de coopération intergénérationnelle
31 L’analyse du contenu des accords et plans des 64 entreprises incluant les outils ci-dessus permet de mettre en exergue les objectifs poursuivis par les entreprises. Trois grandes finalités de Gestion des Ressources Humaines apparaissent alors : 1. Intégrer les nouveaux salariés, 2. Transférer les compétences entre les générations, 3- Mobiliser les acteurs de l’entreprise.
2.3.1. Intégrer les nouveaux salariés
32 L’intégration des nouveaux collaborateurs est une finalité recherchée dans les entreprises étudiées. L’outil mobilisé pour tendre vers cet objectif est le tutorat. En effet, le tutorat facilite d’une part, l’accueil des nouveaux : « Pour faciliter l’intégration des nouveaux embauchés et les accompagner dans leurs connaissances de l’entreprise, les seniors pourront se voir confier leur parrainage sur la base du volontariat, dans le cadre de la mission d’accueillant. » ; « La direction depuis quelques années met l’accent sur l’accueil des nouveaux salariés, qui sont principalement des saisonniers et qui ont besoin de connaître l’entreprise et leur poste de travail » ; « La mission de tuteur assurée par des seniors a pour objet d’accompagner les salariés nouvellement embauchés lors de la prise de poste : le tuteur sera le « référent » qui pourra transmettre les informations sur les autres métiers de l’entreprise, présenter les locaux du centre et notamment les locaux sociaux, présenter l’ensemble des salariés du centre ». D’autre part, le tutorat permet d’accompagner les nouveaux lors de leurs premiers pas dans l’entreprise : « Il est ainsi prévu que tout nouveau salarié soit accompagné par une personne volontaire, prioritairement âgée de 45 ans et plus, bénéficiant d’une expérience suffisante dans l’entreprise, qui jouera un rôle de référent au quotidien, sans intégrer une dimension de formation technique sur le poste » ; « Leur rôle sera d’accompagner les nouveaux salariés pendant les 3 premiers mois suivant leur prise de fonction, de leur expliquer le fonctionnement de l’entreprise et de leur transmettre leurs compétences techniques » ; Plus généralement les tuteurs ont pour mission d’accueillir, d’aider, d’informer, de guider les bénéficiaires et de veiller au respect de leur emploi du temps ». L’importance accordée à cet objectif d’intégration est parfois liée aux spécificités de l’entreprise : « Compte tenu de son activité saisonnière, l’entreprise accueille un nombre important de nouveaux salariés. A ce jour dans son effectif en CDI, 26 % de l’effectif de l’entreprise ont plus de 50 ans. Consciente de la nécessité de développer l’accueil et l’accompagnement au poste, la direction s’engage à avoir un minimum de 30 % de personnes de plus de 50 ans parmi les volontaires dans cette double fonction d’accueil et de tutorat ». Le retour sur investissement attendu de l’intégration des nouveaux est notamment leur fidélisation au sein de l’organisation : « Désireuse de développer sa capacité à accueillir et bien former et à fidéliser les jeunes, l’entreprise souhaite développer le tutorat et confier aux salariés seniors, et en particulier aux salariés de 45 ans et plus, l’accompagnement, l’accueil et la fidélisation des jeunes nouvellement recrutés ou qui effectuent des stages ou des périodes de formation dans l’entreprise ».
2.3.2. Gérer et transmettre les compétences entre les générations
33 La seconde finalité mise à jour par l’analyse est celle de la gestion et de la transmission des compétences au sein de l’entreprise. Les trois outils repérés dans les accords et plans – participation à des jurys d’examens, constitution d’équipes mixtes et tutorat- sont mobilisés pour gérer prévisionnellement, former et transmettre les compétences au sein des organisations.
34 La gestion prévisionnelle des compétences est en effet repérée comme une préoccupation des entreprises. La participation à des jurys d’examens proposée aux seniors est alors utilisée pour repérer des « manques » éventuels de savoirs, de savoir-faire, et de savoir-être chez les « jeunes » dans un but d’anticiper les compétences qu’il faudra leur transmettre lors de leur recrutement éventuel. Le tutorat est aussi largement utilisé pour la GPEC : « Ce domaine d’action doit permettre de recenser les savoirs, les savoir-faire, que l’entreprise doit impérativement conserver pour maintenir et développer ses activités et dont elle doit assurer la transmission entre les salariés » ; « Le tuteur sera invité à participer au bilan à 3 mois des salariés accompagnés et pourra proposer les actions de formation nécessaires à leur évolution professionnelle ».
35 La formation est aussi un objectif de la coopération intergénérationnelle. La participation à des jurys d’examens vise à actualiser les connaissances des seniors et à les préparer à l’évolution de leur métier. La constitution d’équipes mixtes contribue à la formation des individus par le partage des expériences et des expertises professionnelles de chaque génération. Le tutorat contribue à la formation permanente de chacun dans l’organisation : « Plus généralement les tuteurs ont pour mission d’assurer la liaison avec l’organisme ou le service de formation chargé de mettre en œuvre les actions de formation ; de participer à l’évaluation du suivi de la formation. La direction affirme que le développement des missions de parrainage et de tutorat constitue une des conditions de réussite de la politique d’intégration, de formation et de développement de compétences de l’entreprise, permettant par ailleurs de contribuer à réduire les écarts générationnels par le partage de connaissances et d’expériences ».
36 La transmission des compétences est un objectif présent dans la logique de coopération intergénérationnelle. Le tutorat est utilisé pour satisfaire cet objectif de transmission de savoirs et de savoir-faire entre les acteurs de l’organisation : « Organiser et développer la transmission du savoir au sein de l’entreprise sont deux objectifs prioritaires de la politique Ressources Humaines… ans le cadre de cette mission, le salarié senior devra : transmettre ses connaissances au regard de ses méthodes de travail, de son savoir-faire, de sa technique. La légitime reconnaissance des savoirs et de l’expérience acquise par les « anciens » repose également sur leur implication dans l’intégration des jeunes, dans une véritable logique de tutorat » ; « Il est convenu que sur les postes où la connaissance du produit ou l’expérience sont déterminantes (postes clés), le salarié senior puisse transmettre ses connaissances par tous moyens adaptés. L’entreprise mettra à sa disposition les outils et le temps nécessaire pour ce transfert de connaissances… » ; « La direction entend développer le transfert de compétences (transmissions intergénérationnelles), en valorisant les compétences des salariés âgés de plus de 45 ans… » ; « L’entreprise souhaite aussi développer un tutorat spécifique à destination de certains métiers notamment ceux pour lesquels il est difficile de recruter directement sur le marché du travail ou à forte technicité, métiers pour lesquels la transmission du savoir-faire interne est essentielle » ; « La mission de tuteur assurée par des seniors a pour objet d’organiser le partage des savoirs et bonnes pratiques acquis par les tuteurs, maintenir la « mémoire » de l’entreprise, notamment en termes de connaissances des différents produits, des clients et des outils de gestion »).
37 Au-delà des savoirs et savoir-faire, le tutorat est aussi utilisé pour permettre la transmission de savoir-être entre les acteurs de l’organisation : « Leurs missions consistent à transmettre leurs compétences et leur culture « métier », partager les bonnes pratiques et les valeurs de l’entreprise » ; « Le tutorat constitue enfin, quand il associe des salariés âgés et de jeunes entrants, un moyen d’assurer la coopération entre générations et la transmission de la culture et des valeurs de l’entreprise ».
2.3.3. Mobiliser les individus de toutes générations
38 La troisième finalité mise à jour par l’analyse de la logique de coopération intergénérationnelle repérée au sein des entreprises étudiées est celle de la mobilisation des individus de toutes générations au sein des entreprises. L’atteinte de cet objectif passe par diverses actions. La première est la reconnaissance des seniors. L’incitation à participer à des jurys d’examens est le moyen pour certaines entreprises de reconnaître l’expérience des seniors et de leur témoigner leur confiance. Il en est de même pour le tutorat : « Les seniors ont des atouts, une grande capacité de recul, une compétence technique et pédagogique renforcée et affirmée, une expérience irremplaçable à transmettre aux plus jeunes. Les compétences des seniors peuvent être valorisées et bien utilisées : en leur confiant des projets, en portant une attention à la mixité des âges au sein de nos équipes » ; « La mission de tuteur assurée par des seniors a pour objet de valoriser l’expérience professionnelle des salariés seniors… » ; « Les salariés âgés constituent une source de compétences et de savoir-faire spécifiques importante faisant partie du patrimoine de l’entreprise. Il s’agit d’un des atouts majeurs de la diversité des âges et des apports possibles entre les différentes générations. C’est pourquoi les salariés âgés pourront utilement être investis d’un rôle de transmission de savoirs et de compétences » ; « Le départ d’un senior expérimenté constitue une perte de « mémoire » et de savoir-faire pour l’entreprise ».
39 La seconde action est la constitution d’équipes de travail d’âge mixte afin de partager la pénibilité du travail entre les seniors et les plus jeunes. Ce souhait de partage de la pénibilité physique du travail entre les générations met en avant la préoccupation et l’écoute de l’entreprise à l’égard de populations parfois fatiguées et contribue à la mobilisation des seniors.
40 La troisième action vise à améliorer le climat social. Le tutorat et la constitution d’équipes mixtes permettent cette amélioration : « Le parrainage est un atout majeur de la diversité des âges et de la cohabitation harmonieuse des différentes générations » ; « La complémentarité des connaissances et des expériences des générations favorise l’esprit d’équipe et l’enrichissement mutuel ». Enfin la dernière action vise au développement d’une gestion des carrières des seniors : « L’allongement de la vie professionnelle doit correspondre à de réelles opportunités de développement individuel pour les salariés. Il convient alors de s’attacher à développer l’employabilité de chacun tout au long de sa carrière professionnelle en lui donnant les moyens de faire évoluer ses compétences et son poste tout en maintenant sa motivation professionnelle » ; « L’entreprise est dotée de formateurs qui enseignent à leurs pairs les fondamentaux du métier de vendeur. Le statut de formateurs valorise le salarié au sein de l’entreprise, lui confère un statut d’expert et le valorise aux yeux de ses collègues. Le formateur se sent plus impliqué dans la bonne marche de l’entreprise. Afin de garder intacte la motivation et l’implication de nos seniors, l’entreprise s’engage à ce que les salariés de plus de 50 ans représentent… en 2012, 15 % des formateurs qui dispensent de la formation ».
Conclusion
41 La situation nouvelle de côtoiement de quatre générations dans les entreprises ainsi que l’obligation légale de maintien en emploi et de recrutement des seniors imposent le développement de pratiques nouvelles de GRH visant à la construction de coopérations intergénérationnelles, à la valorisation et au respect de chaque génération au travail. Une analyse précédente a mis en avant qu’une minorité d’entreprises (12,2 % des entreprises analysées) avait conscience de ce nouveau défi. L’étude ici de ces organisations montre que trois outils de coopérations intergénérationnelles ont été mobilisés pour atteindre trois types d’objectifs représentés dans le schéma 2 : 1- L’intégration des nouvelles générations ; 2- La gestion et le transfert des compétences entre les générations ; et 3- La mobilisation de l’ensemble des acteurs de l’entreprise.
0bjectifs de la coopération intergénérationnelle
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42 Au-delà de l’identification des outils permettant de mettre en relation les différentes générations, l’intérêt managérial de cette étude est, d’abord, de recenser l’ensemble des objectifs poursuivis par les entreprises étudiées lors du développement d’un de ces trois outils. Le constat que chaque entreprise peut rechercher, en mobilisant un même outil, un objectif différent, montre une grande capacité de ces outils à permettre la coopération intergénérationnelle. Ce recensement de tous les objectifs recherchés nous permet d’évaluer le retour sur investissement potentiel de ces outils et de recommander aux entreprises d’avoir cette compréhension globale, présentée dans le schéma 2, afin d’optimiser les bénéfices de la mobilisation de ces outils.
43 Cette recherche conforte, ensuite, les résultats de travaux antérieurs concernant le rôle de la coopération intergénérationnelle en matière de risques de perte d’efficacité organisationnelle et d’absence de motivation des individus (G. Guérin & T. Saba, 2003 ; S. Riffaud, 2007 ; S. Guérin et N. Pijoan, 2009 ; L. Lieber, 2010…). Elle met également en exergue l’importance d’une autre logique, celle de l’intégration des nouveaux salariés dans le cadre de la coopération intergénérationnelle en satisfaisant le besoin de socialisation de la « génération Y » (T. Saba, 2009). Elle complète, également, ces travaux en précisant les objectifs de la logique de gestion et de transfert de compétences. En effet, la formation, son anticipation et le transfert de compétences permettent de concilier les attentes de la génération Y en matière d’acquisition de compétences, ceux de la génération des Baby-boomers et leur besoin de croissance personnelle, tout en relevant les défis de perte d’efficacité organisationnelle évoqués par S. Riffaud (2007), N. Tessier et I. Bourdon (2009) et les risques de perte de compétences des seniors pointés par G. Guérin et T. Saba (2003).
44 Enfin cette recherche suggère de nouvelles pistes concrètes dans le cadre de la logique de mobilisation des acteurs. Les enjeux de la réhabilitation d’espaces de transactions intergénérationnelles évoqués par S. Volkoff et al. (2000) trouvent ainsi un exemple concret par le partage de la pénibilité du travail en situation de mixité des âges des équipes de travail. De même, le risque de détérioration des relations au travail dû au conflit intergénérationnel défini par F. Grima (2007) est reconnu et combattu par des outils de coopérations intergénérationnelles (tutorat et équipes mixtes de travail) qui visent à améliorer le climat social. La limite essentielle de notre recherche résulte de la méthodologie développée. L’analyse de contenu des accords et plans seniors évalue en effet les intentions d’actions des entreprises mais ne valide en aucun cas la mise en place effective des actions annoncées. Une seconde étape de la recherche consiste alors à développer des études de cas pour vérifier l’effectivité de la mise en place des outils et de la réalisation des objectifs poursuivis dans ce cadre de l’obligation légale qui est le nôtre.
45 Malgré cette limite, il nous semble intéressant de noter qu’au-delà de l’énonciation d’outils, les entreprises ont su anticiper leurs impacts en précisant les objectifs recherchés pour chacun d’entre eux. De ce fait, nous pouvons conclure que les organisations ont pris conscience qu’au-delà de la complexité liée à la mixité d’âge, la présence de diverses générations représente aussi une complémentarité inédite et leur ouvre de réelles opportunités (C. Dejoux & H. Wechtler, 2011).
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