Couverture de RSG_245

Article de revue

Pertinence des normes comptables IAS/ IFRS au contexte culturel tunisien

Pages 129 à 140

Notes

  • [1]
    Le PCG était appliqué depuis 1968 et dérive du plan comptable français 1947-1957.
  • [2]
    La Tunisie figure parmi ce groupe de pays.
  • [3]
    (e i) : entretien réalisé avec un interviewé dont le rang i.
  • [4]
    « Dans les petites entreprises on peut trouver des comptables vraiment très anciens qui fonctionnent avec le Plan Comptable Général, et n'ont pas d'idée sur le nouveau système. On trouve même parfois des comptes ou rubriques du bilan qui n'existent pas avec le nouveau SCE, je donne l'exemple des frais d'établissement ». (F 3)
  • [5]
    « A 100 %, on a une culture très différente. En général, les chefs d'entreprise, pour eux, la comptabilité est une contrainte fiscale et ils ne voient pas l’intérêt de publier l’information comptable ». (F 3)
  • [6]
    Il assure l'organisation des marchés et veille à leur bon fonctionnement afin de prévenir les manipulations susceptibles d'en entraver le bon fonctionnement. Il est également chargé du contrôle de l'information financière et de la sanction des manquements ou infractions à la réglementation en vigueur.
  • [7]
    Le CMF a été contraint de saisir en référé le Président du Tribunal de Première Instance de Tunis afin d’ordonner à une société de lui communiquer ses états financiers relatifs à l’exercice 2002 et de procéder à leur publication conformément à la réglementation en vigueur (rapport annuel du CMF relatif à l’année 2003).

1 Àl’origine fondée sur l’agriculture, le pétrole et le phosphate, l’économie tunisienne s’est diversifiée et dispose actuellement d’un tissu industriel et d’un secteur touristique développés.

2 Le secteur industriel tunisien est dominé par des micro-entreprises et des petites et moyennes entreprises (PME). Les petites et moyennes entreprises jouent un rôle important dans la création de l’emploi dans la mesure où elles enregistrent 30 % de l’emploi du secteur industriel. Toutefois, le gros de l’emploi dans le secteur industriel, soit un pourcentage estimé à 61 % du total, est assuré par les grandes entreprises employant un effectif supérieur à 100 personnes (RRNC, 2006).

3 Le marché financier est constitué par la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis (BVMT), et un certain nombre de valeurs cotées et de fonds d’investissements en actions et obligations. Le secteur est placé sous l’autorité d’un organisme public le « Conseil du Marché Financier ». L’objectif des pouvoirs publics, avec l’ouverture de la BVMT en 1990, était de créer une source alternative de financement à travers la mobilisation de l’épargne publique et l’encouragement de l’investissement étranger. Les objectifs recherchés n’ont pas été réalisés. En effet, en 2002 le financement des entreprises via le marché financier s’est limité à 1 % du financement bancaire et en 2007, seulement 51 sociétés étaient cotées à la BVMT et la capitalisation boursière de ces sociétés cotées à la BVMT était 6,53 (contre 2,98 en 2003) milliards de dinars tunisiens.

4 Cependant, avec ces mutations économiques profondes qu'a connues la Tunisie visant à instituer une économie de marché (dynamisation du marché boursier, signature des accords du GATT, création d'une zone de libre échange avec l'Union Européenne, libéralisation des taux d'intérêts et des taux de change, convertibilité du dinar…), l'ancien plan comptable général (PCG) [1] ne répondait plus, à bien des égards, aux exigences des besoins en information de plus en plus diversifiés de l'utilisateur des états financiers. En outre, dans un souci d'harmonisation du système comptable (SCE) tunisien avec le référentiel international de l'IASB, un nouveau système comptable a été crée en adoptant des normes en harmonie avec celles des IAS/IFRS.

5 La loi n° 96-112 du 30 décembre 1996 a institué un nouveau système comptable pour les entreprises tunisiennes. Celui-ci s'est doté d'un cadre conceptuel qui constitue la base de référence des normes comptables alors que l'ancien système comptable était caractérisé par l'existence d'un plan comptable général.

6 La réforme comptable effectuée par la Tunisie suscite notre intérêt à double titre. D'une part, elle témoigne de la première tentative faite par un pays de tradition comptable française doté jusqu'ici d'un plan comptable (1968), pour se donner un corps de normes compatibles avec les normes internationales (B. Colasse (1997) et C. Ollier (1999)). D'autre part, cette tentative a été faite dans un petit pays en voie de développement. C'est-à-dire un pays dont les entreprises ressemblent a priori assez peu aux sociétés pour lesquelles les normes comptables internationales sont conçues, de grandes sociétés se finançant sur les marchés financiers internationaux.

7 A cet effet, on pourrait se poser la question suivante dans le cadre de cette recherche : Est-ce que ce nouveau système comptable (inspiré des normes internationales) convient au contexte culturel tunisien ?

8 Pour répondre à ces interrogations, nous avons organisé ce travail de la manière suivante : nous présenterons tout d’abord une revue des études portant sur la pertinence des normes internationales aux PVD. Nous nous intéressons aux études de pertinence aux PVD étant donné que la Tunisie en fait partie et il y a une absence de recherche dans ce pays. Nous présenterons ensuite le cadre théorique choisi : nous avons adopté le modèle de G. Hofstede et S. Gray (1988) pour étudier la relation qui existe entre les valeurs culturelles et les valeurs comptables. Et nous avons expliqué l’évolution des valeurs culturelles suite aux influences des évènements dits influents en empruntant le modèle de T. Doupnik et S. Salter (1995). Enfin, nous présenterons la méthodologie suivie, les principaux résultats obtenus et nous discuterons de ces résultats en conclusion.

1. Revue des travaux sur la pertinence des normes comptables aux PVD

9 Différentes recherches comptables se sont interrogées sur la question de la pertinence des normes internationales aux pays en voie de développement (J. Samuel et J. Oliga, 1982 ; A. Belkaoui, 1988 ; R. Larson, 1993 ; E. Chamisa, 2000). Certains chercheurs ont montré que l’harmonisation comptable internationale facilite les transactions commerciales et favorise le niveau de développement économique des pays respectifs. R. Larson (1993) a testé cette hypothèse dans le cadre des PVD. L’échantillon choisi par ce dernier regroupe 35 pays africains, selon trois catégories : les pays ayant choisi d’adopter les normes IAS sans modifications, les pays les ayant adoptées avec modifications [2] et les pays n’ayant pas adopté ces normes. Les résultats de cette recherche ont confirmé l’idée que les normes comptables sont le reflet des conditions sociales, économiques et politiques du pays.

10 Les résultats de R. Larson (1993) ont par ailleurs prouvé que les normes IAS pourraient être considérées comme un moyen de développer la croissance économique des pays de la seconde catégorie, ceux qui ont adopté les IAS avec modifications, afin de refléter leurs conditions environnementales et locales. Ces résultats rejoignent ainsi l’affirmation de D. Cairns (1990) qui a noté que les normes internationales ne sont pas pertinentes pour les pays qui ne les adaptent pas à leur environnement culturel et économique. Aux recherches précédemment citées, nous pouvons ajouter celle de N. Hassan (1998), qui a réalisé une étude de perception avec les experts-comptables des pays en voie de développement afin de déterminer les principales caractéristiques d’un système comptable pertinent pour ces pays. Des questionnaires ont été établis et envoyés à 250 experts en comptabilité, se trouvant dans 35 pays en voie de développement. L’analyse des réponses montre une certaine préférence des experts de ces pays pour un système comptable uniforme. Selon ceux-ci, les PVD ont besoin, en effet, d’un système comptable simplifié, répondant aux besoins des planificateurs nationaux et des investisseurs privés (N. Hassan, 1998). Ils ont par ailleurs affirmé que les normes comptables internationales ne sont pas pertinentes pour les besoins et problèmes des PVD. Ces normes sont plutôt conçues pour répondre aux besoins des pays industrialisés.

11 E. Chamisa (2000) a également analysé la pertinence des normes comptables internationales pour les PVD, en examinant les entreprises qui se conforment aux normes internationales. À partir des résultats obtenus, E. Chamisa (2000) a conclu que la pertinence des normes comptables internationales dépend des objectifs et des besoins auxquels ces normes sont censées servir, ainsi que du contexte spécifique national dans lequel ces normes vont être appliquées. Cette étude a également montré, d’une part, que les normes internationales ne sont pas pertinentes pour les PVD où il y a absence du marché financier et où le secteur public est dominant ; d’autre part, que les normes internationales sont considérées comme pertinentes pour les PVD où le secteur privé domine l'économie, où le marché financier est développé, et où l’on privilégie l’idée de la présentation d’une image fidèle aux actionnaires, contrairement à l’idée d’une présentation conservatrice aux créditeurs et à l’administration fiscale.

2. Cadre théorique

12 À partir de ces différentes études réalisées dans le contexte des PVD, nous avons conclu que la pertinence des normes comptables internationales pour les PVD dépend des conditions environnementales et culturelles du pays en question.

13 Outre les travaux de recherche réalisés dans les pays en voie de développement, nous pouvons nous référer aux études faites dans d’autres contextes, qui ont eu pour objectif d’analyser, à partir d’un cadre théorique, la pertinence des IAS/IFRS dans un contexte donné. Nous pouvons citer la recherche de L. Chow et al. (1995). En effet, L. Chow et al. (1995) se sont inspirés du cadre théorique de G. Hofstede (1980) et de S. Gray (1988) pour analyser la réforme comptable en Chine. En prenant conscience de l’importance des facteurs environnementaux et culturels dans le développement du système comptable, L. Chow et al. (1995) ont choisi d’analyser cette réforme comptable d’une perspective culturelle et ont mobilisé le cadre théorique de G. Hofstede (1980) et de S. Gray (1988).

14 Les résultats de l’étude de L. Chow, et al. (1995) ont montré que l’influence de la culture sur les pratiques comptables en Chine est très grande. Et que l’adoption du système comptable anglo-saxon pourrait rencontrer des difficultés en raison de la culture des comptables chinois, différente de celles des anglo-saxons. La culture comptable chinoise constitue, par conséquent, une contrainte dans l’application du nouveau système comptable inspiré des normes comptables anglo-saxonnes.

15 Cette dernière étude, celle de L. Chow et al. (1995) réalisée en Chine a montré cependant que le modèle de G. Hofstede (1980) et de S. Gray (1988) pourrait constituer un cadre théorique de référence pour analyser la pertinence d’un système comptable dans un contexte donné.

16 Le cadre théorique de G. Hofstede (1980) et de S. Gray (1988) a été adopté par d’autres études pour analyser la pertinence des systèmes comptables occidentaux aux pays en voie de développement. Nous pouvons citer l’étude de N. Baydoun et al. (1995) qui a analysé la pertinence du système comptable français au contexte libanais à partir de ce cadre théorique. Ces derniers ont analysé l’environnement culturel libanais sur la base des valeurs culturelles de G. Hofstede (1980). Ils ont utilisé les hypothèses de S. Gray (1988), reliant les valeurs comptables aux valeurs culturelles pour analyser la notion de pertinence d’un système comptable. À partir des résultats de recherche obtenus, N. Baydoun et al. (1995) ont pu montrer que le cadre théorique de G. Hofstede (1980) et de S. Gray (1988) constitue « une structure dans laquelle nous pourrions examiner la notion de pertinence d’un système comptable ».

2.1. Culture et dynamique d’évolution des systèmes comptables

17 L’un des plus importants paradigmes théoriques de recherche utilisé pour analyser la question de pertinence des systèmes comptables anglo-saxons aux PVD est le cadre théorique de G. Hofstede (1980) et de S. Gray (1988). Nous l’empruntons dans cette recherche pour analyser la pertinence du système comptable tunisien au contexte culturel. Outre la culture, il faut prendre en considération d’autres facteurs environnementaux tels que le système légal ou les systèmes politique et économique qui influencent le développement du système comptable. Ce dernier, en effet, est en interaction avec l’environnement culturel et institutionnel. T. Doupnik et S. Salter (1995) ont proposé un modèle général de développement des systèmes comptables qui s'efforce de combiner les facteurs environnementaux, culturels et institutionnels.

2.1.1. Modèle de S. Gray-G. Hofstede (1988)

18 Nous avons choisi de considérer la culture comme un système de valeurs partagées, qui font preuve d’une grande continuité. Il s’agit d’un référentiel qui guide les actions des individus. Plusieurs approches existent pour analyser les cultures nationales. Seules les études ayant cherché à formaliser des catégories de valeurs universelles peuvent nous être utiles. Le modèle de G. Hofstede (1980) répond à ce critère.

2.1.1.1. Contexte culturel et travaux de G. Hofstede

19 G. Hofstede appuie ses travaux sur une étude réalisée en 1980, à partir des données mondiales. Ces données concernent les citoyens de 50 pays et 3 régions regroupant plusieurs pays (pays arabophones, Afrique de l’Est et Afrique de l’Ouest). À l’issue des travaux effectués, 60 000 salariés d’IBM occupant des postes identiques dans les différents pays étudiés ont répondu à des questions concernant leurs valeurs. G. Hofstede (1980) a ainsi dégagé quatre variables culturelles permettant, selon lui, de caractériser toute culture dont :

20 Premièrement, on trouve une distance par rapport au pouvoir, c’est le degré à partir duquel les membres d’une société acceptent que le pouvoir dans les institutions et les organisations soit distribué inéquitablement. Les gens dans un pays à large distance au pouvoir, acceptent un ordre social dans lequel il n'est pas besoin de justifications.

21 Un deuxième construit est le niveau d’individualisme ou de collectivisme. Il caractérise des sociétés où les individus ont plus tendance à prendre soin d’eux-mêmes et de leur famille.

22 L’opposé est le collectivisme, et caractérise une volonté de resserrer le lien social. L'étude est effectuée sur le lieu de travail, à l'école ou encore dans les rapports familiaux. Les oppositions sont multiples. Citons le fait que les enfants apprennent à penser le « nous » et non le « je ».

23 Le degré de masculinité ou de féminité a été étudié. On y trouve la préférence pour l’héroïsme, la réussite matérielle, l’accomplissement dans le cas de la masculinité. G. Hofstede va par exemple porter son attention, sur l'analyse des rapports homme-femme au travail, à la maison ou à l'école.

24 Un autre construit est le degré de peur de l’incertitude, c’est le degré d’ambiguïté et d’incertitude qui fait qu’une société se sent mal à l’aise. Les sociétés mal à l’aise et dans l’incertitude maintiennent des codes très stricts et se montrent particulièrement hostiles à la déviance. Les valeurs déterminées par G. Hofstede sont liées à un ensemble de faits et de recoupements (corpus juridique, place du citoyen ou encore tendances philosophiques et scientifiques…).

25 La tentation est donc grande d’appliquer ces dimensions à ce qui peut apparaître comme un construit culturel : les systèmes comptables.

2.1.1.2. Application des travaux de G. Hofstede par S. Gray (1988) :

26 S. Gray (1988) a étendu le modèle de G. Hofstede (1980). Selon lui, d’une part, les attitudes des comptables ou les valeurs comptables sont supposées avoir une relation ou dérivent des valeurs sociétaires et, d’autre part, ces valeurs comptables à leur tour affectent le système comptable et la manière dont la comptabilité est pratiquée.

27 S. Gray (1988) a ainsi étudié dans quelles mesures les variables culturelles identifiées par G. Hofstede (1980) peuvent expliquer les différences internationales entre systèmes comptables. À ce titre, il a mis en évidence le mécanisme par lequel les valeurs culturelles sont liées aux valeurs comptables et a examiné si elles ont une influence directe sur le développement des systèmes comptables. Pour ce faire, S. Gray (1988) a identifié quatre valeurs comptables, représentant les caractéristiques des systèmes comptables, et a proposé quatre hypothèses de causalité reliant ces valeurs comptables aux valeurs culturelles de G. Hofstede (1980). L’équivalence entre ces dernières dimensions et celles de S. Gray (1988) se fait au moyen d’un tableau établi par S. Gray.

Tableau 1

Relation entre les valeurs culturelles de G. Hofstede et les valeurs comptables de S. Gray

Valeurs culturelles Professionnalisme Uniformité Conservatisme Secret
Distance
Hiérarchique
Contrôle de l’incer
titude
Individualisme
Masculinité
-
-
+
?
+
+
-
?
?
+
-
-
+
+
-
-
figure im1

Relation entre les valeurs culturelles de G. Hofstede et les valeurs comptables de S. Gray

28

  • Relation négative ; + Relation positive ; ? Absence de relation Les valeurs comptables identifiées sont décrites ci-après :
  • Le Professionnalisme – Régulation par la loi : Le « professionnalisme » – ou la « régulation par la profession » – montre une certaine préférence pour l'exercice du jugement professionnel individuel et le maintien d'une profession autonome qui crée ses propres règles. À l’opposé, la « régulation par la loi », incarne l'importance attachée aux prescriptions légales et aux contrôles statutaires.
  • L’Uniformité – Flexibilité : La valeur « uniformité » montre une préférence pour l'application des procédés comptables uniformes entre les entreprises et pour l'application de ceux-ci tout au long de la durée des entreprises (par exemple PCG). La valeur « flexibilité » fait référence à une certaine souplesse dans l’utilisation des pratiques comptables, en fonction des circonstances ou des situations perçues.
  • Le Conservatisme – Optimisme : La valeur « conservatisme » montre une préférence pour une approche prudente lors de l'évaluation des postes du bilan et de la détermination des résultats. Cette attitude reflète le besoin de s'accommoder de l'incertitude des événements futurs. L'opposé, c'est une attitude plus optimiste, un laisser faire et une manière plus risquée d'aborder les problèmes.

29 La prudence dans la mesure des actifs et des résultats est perçue comme une attitude fondamentale de la part des comptables du monde entier. Toutefois, le niveau de prudence peut varier selon les pays : très élevé dans les pays d’Europe continentale comme l’Allemagne et la France ou plus faible au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis (C. Nobes, 1984).

30

  • Enfin, la Valeur « secret » – ou « Confidentialité » montre une préférence pour la restriction des informations à ceux qui sont impliqués dans la gestion et le financement de l’entreprise. L'opposé, c'est une plus grande « transparence », une ouverture et une approche qui rendent compte de la gestion à un public beaucoup plus vaste.

31 Le cadre théorique de S. Gray (1988) représente une contribution importante à la recherche interculturelle. Ce cadre a permis, en effet, de comprendre l’influence de la culture sur le système comptable et de déterminer la relation entre la culture, les valeurs comptables et les pratiques comptables.

2.1.2. Dynamique d’évolution du système comptable : modèle de T. Doupnik et S. Salter (1995)

32 Dans le modèle comptable, l’environnement (système scolaire, économie, politique) est déterminé par des facteurs institutionnels (corporations, bourse, et régulation…), et par les décideurs (investisseurs, émetteurs) (S. Anderson et W. Lanen, 1999). L’environnement et les institutions, dans le cadre d’une trame culturelle nationale, fournissent l’information, au public, afin de livrer les meilleures décisions. Le changement comptable serait à la fois le produit du changement lié au conjoncturel et à l’interaction continuelle du système comptable et des systèmes connexes. L’évolution du système comptable d’une nation s’opère à partir de trois éléments. L’environnement externe qui affecte à la fois la culture de la société, sa structure institutionnelle et introduit des motivations externes lesquelles provoquent le changement. Les valeurs culturelles, qui affectent la structure institutionnelle (incluant le système comptable, est déterminée par l'environnement externe, les normes et les valeurs culturelles). Elles pilotent dans l’élaboration de stimuli externes appropriés, les interactions entre structures institutionnelles et la structure institutionnelle, à l’intérieur de laquelle les réponses et les adaptations sont élaborées (T. Doupnik et S. Salter, 1995).

33 La figure suivante constitue le schéma représentatif du modèle de T. Doupnik et S. Salter (1995).

Figure 1

Le modèle général d’évolution comptable.

figure im2

Le modèle général d’évolution comptable.

T. Doupnik et S. Salter (1995)

2.2. Description des systèmes comptables tunisien et américain en fonction des valeurs culturelles de G. Hofstede (1980) et des valeurs comptables de S. Gray (1988)

34 Afin de faciliter la comparaison entre les contextes culturels, G. Hofstede (1980) a attribué aux pays étudiés des indices pour chacune des valeurs culturelles déterminées dans sa recherche. Ainsi, pour déterminer les indices des valeurs culturelles de la Tunisie et des Etats-Unis, nous nous sommes référés aux résultats obtenus par G. Hofstede (1980).

35 La Tunisie n’a pas fait l’objet d’étude de manière individuelle par G. Hofstede, nous avons donc choisi de la classer dans la recherche qu’il a réalisée parmi les résultats des pays arabes. Ce groupe de pays constitue en effet celui le plus proche culturellement de la Tunisie.

36 Selon les résultats de recherche de G. Hofstede (1980), les valeurs culturelles des pays anglo-américains (indice de la distance au pouvoir faible, contrôle d’incertitude faible, individualisme élevé) sont contraires à celles de la Tunisie (distance hiérarchique élevée, contrôle d’incertitude élevé, individualisme faible).

37 Ceci entraîne, dans les pays anglo-saxons et en Tunisie, des valeurs comptables différentes. Il existe une préférence pour le jugement professionnel individuel et une flexibilité en accord avec les situations perçues dans les systèmes comptables des pays anglo-américains, alors qu’il existe une préférence pour l’obéissance à des obligations légales et à un contrôle légal, le maintien de pratiques comptables uniformes entre entreprises, et l’application fidèle de telles pratiques dans le temps, dans le système comptable tunisien.

Tableau 2

Les valeurs comptables des Pays Arabes et des Etats-Unis

Valeurs comptables Pays Arabes (Tunisie) Etats-Unis
Professionnalisme Faible Elevé
Uniformité Elevé Faible
Conservatisme Elevé Faible
Confidentialité Elevé Faible
figure im3

Les valeurs comptables des Pays Arabes et des Etats-Unis

38 En nous appuyant sur le cadre théorique de Hofstede-Gray (1988) et au vu du précédent tableau, nous pouvons affirmer que les valeurs comptables tunisiennes sont différentes des valeurs comptables américaines. Nous nous interrogerons donc sur la pertinence du Système Comptable tunisien à orientation anglo-saxonne dans le contexte tunisien.

39 En nous appuyant sur le modèle de T. Doupnik et S. Salter (1995), nous supposons qu’il existe une évolution des valeurs culturelles pour s’adapter aux mutations économiques ainsi qu’à l’harmonisation comptable internationale. Ainsi, les valeurs culturelles vont connaître une évolution des valeurs culturelles tunisiennes pour s’adapter au nouveau système comptable inspiré des normes comptables internationales. Par référence au cadre théorique de Hofstede-Gray (1988) les valeurs comptables également connaîtront, par conséquent, une évolution.

40 L’évolution des valeurs culturelles se fait donc dans le sens suivant :

41

  • la distance hiérarchique tend à être plus faible ;
  • le contrôle d’incertitude tend à être plus faible ;
  • l’individualisme tend à être plus élevé ;
  • et la masculinité tend à être plus élevée.

42 En nous appuyant sur le cadre théorique de S. Gray (1988) nous pouvons affirmer que les valeurs comptables connaîtront les changements suivants :

43

  • un degré de professionnalisme plus élevé ;
  • un degré d’uniformité plus faible ;
  • un degré de conservatisme plus faible ;
  • une discrétion plus faible.

44 Ceci constitue en effet les caractéristiques d’un système comptable anglo-saxon.

45 En définitive, nous pouvons supposer que la pertinence du SCE pour la culture comptable en Tunisie implique une évolution des valeurs culturelles tunisiennes suite au passage du PCG au SCE. D’où les caractéristiques suivantes du système comptable tunisien :

46

  • un degré de professionnalisme élevé ;
  • un degré d’uniformité faible ;
  • un degré de conservatisme faible ;
  • une discrétion faible.

47 La conceptualisation des valeurs comptables de S. Gray (1988) est largement influencée par le construit des valeurs culturelles de G. Hofstede (1980). S. Gray (1988) s’est basé sur un raisonnement a priori et l’expérience générale des régimes comptables internationaux, non sur la base de techniques empiriques. Ainsi, il a exprimé ses valeurs comptables en terme de préférence. D’où la difficulté de conceptualisation de ces variables. Différentes recherches ont tenté de valider ce construit et de mieux opérationnaliser ces valeurs comptables.

48 N. Baydoun et al. (1995) ont montré que le professionnalisme et l’uniformité influencent l’autorité et le degré d’application des aspects du système comptable ; alors que le conservatisme et la confidentialité sont en relation avec les pratiques de mesure et de divulgation et donc influencent plutôt les aspects techniques comptables. De même, selon L. Chow et al. (1988), le professionnalisme et l’uniformité sont en rapport avec le degré de normalisation du système comptable par le gouvernement, ainsi que le degré de préférence pour une application de méthodes comptables uniformes par rapport aux méthodes comptables flexibles. Nous suivrons la démarche de ces derniers chercheurs. Pour répondre aux objectifs présentés ci-dessus, des choix méthodologiques s’imposent. Dans ce cadre, il s’agit – compte tenu de l’objet de notre recherche – de réaliser des entretiens et des questionnaires.

3. Méthodologie

49 Nous avons choisi de recourir aux entretiens dans le cadre de cette recherche. La technique d’entretien nous paraît la plus adéquate pour comprendre la mise en œuvre concrète de la réforme comptable en Tunisie.

50 À partir de l’analyse de contenu de 23 entretiens réalisés avec des experts-comptables tunisiens et des membres du comité de pilotage et du CNC, des questionnaires ont été élaborés et administrés directement aux différents acteurs de la comptabilité en Tunisie (préparateurs et utilisateurs des états financiers). Au total 127 questionnaires ont été administrés (à 53 entreprises, 26 analystes de crédit, 25 fonctionnaires de l’administration fiscale et 27 analystes financiers).

4. Résultats et discussions

Analyse des valeurs comptables, présentation des résultats

51 Nous analyserons, dans les points suivants, chacune de ces valeurs comptables : professionnalisme, uniformité, conservatisme et discrétion.

52 Dans un dernier point, nous récapitulerons les résultats obtenus pour l’ensemble des valeurs comptables, afin de discuter de la pertinence du Système Comptable des Entreprises au contexte culturel tunisien.

4.1. Professionnalisme et uniformité

53 Nous analyserons la valeur comptable professionnalisme puis nous exposerons les résultats des analyses de la valeur comptable uniformité.

4.1.1. Professionnalisme

54 L’analyse des entretiens réalisés avec des membres de l’Ordre des Experts Comptables de Tunisie et des normalisateurs comptables, ainsi que l’analyse des lois et des textes réglementaires nous ont permis d’affirmer que :

55

  • la profession comptable en Tunisie est encore jeune et n’est pas organisée ;
  • la réglementation comptable relève exclusivement de l’affaire du ministère des Finances ;
  • la profession comptable n’est pas contre une intervention du gouvernement ;
  • nous avons noté certaines lacunes et des insuffisances sur le plan organisme de normalisation et également l’absence d’organisations professionnelles privées ;
  • enfin, nous avons relevé une certaine préférence pour une obéissance légale et un contrôle légal.

56 Nous pouvons donc conclure à partir de ces constats et par référence à la définition de la valeur comptable « professionnalisme » que : le niveau de professionnalisme est faible et il existe une importance attachée aux prescriptions légales et aux contrôles statutaires.

4.1.2. Uniformité

57 À partir de l’analyse des entretiens, nous avons montré que la profession comptable en Tunisie n’est pas contre une intervention du gouvernement. En outre, il y a un intérêt pour les lois, le maintien d’un certain ordre, un besoin d’une réglementation écrite. Par conséquent, nous pouvons affirmer que les comptables tunisiens pourraient avoir une préférence pour une application des méthodes comptables uniformes par rapport aux méthodes comptables flexibles.

58 En analysant les rapports annuels publiés par les sociétés cotées sur la BVMT, nous pouvons noter que toutes les entreprises présentent leurs états financiers de la même manière. Les personnes interviewées ont également noté l’uniformité des états financiers. N. Baydoun et R. Willett (1995) ont montré que l’uniformité, en tant que caractéristique technique des états financiers, pourrait englober les deux qualités suivantes : la comparabilité et la cohérence des états financiers. Nous avons ainsi demandé, dans le cadre de nos questionnaires administrés aux utilisateurs des états financiers, leur jugement sur la comparabilité des états financiers.

59 L’analyse des résultats des questionnaires administrés aux utilisateurs des états financiers montre qu’à première vue, les états financiers sont comparables. En effet, plus de 77 % des utilisateurs des états financiers estiment que les états financiers des entreprises tunisiennes sont comparables.

60 La probabilité critique bilatérale (2-Tailed Probability) obtenue pour le test binomial de COMPARABLE est égale à zéro pour une proportion testée de 50 %. Nous ne pouvons donc pas rejeter l’hypothèse nulle pour COMPARABLE, pour une proportion supérieur à 77 %. Par conséquent, la population d’origine de l’échantillon considère au moins à 77 % les états financiers comme étant comparables.

61 À partir des résultats obtenus du test binomial nous pouvons affirmer que les états financiers préparés par les entreprises tunisiennes sont comparables. La majorité des entreprises tunisiennes présentent des états financiers qui ont le même format quel que soit le secteur (ou l’activité) auquel elle appartient. Ce niveau élevé d’uniformité s’explique par les anciennes habitudes des comptables, héritées de l’ancien Plan Comptable Général. Nous pouvons conclure à partir des résultats des analyses des entretiens et des analyses des questionnaires que : le degré d’uniformité est élevé dans les pratiques comptables tunisiennes.

4.2. Conservatisme et discrétion

62 L’analyse des résultats des questionnaires a montré que les principaux utilisateurs des états financiers sont les utilisateurs internes, l’administration fiscale et les bailleurs de fonds. En effet, plus de 50 % des répondants ont indiqué que ceux-ci font partie de leurs utilisateurs des états financiers.

63 Les résultats du classement des répondants ont montré que les utilisateurs internes occupent le premier rang. Plus de 69 % des répondants ont classé cet utilisateur au premier rang. Plus de 43 % des utilisateurs ont choisi l’administration fiscale comme principal utilisateur, classé au deuxième rang. Les bailleurs de fonds et les investisseurs sont classés respectivement au troisième et quatrième rang.

64 Les utilisateurs internes et l’administration fiscale, constituent donc les utilisateurs privilégiés pour les entreprises tunisiennes. Les investisseurs sont placés au dernier rang, après les bailleurs de fonds. Nous pouvons expliquer ces résultats par le fait que la majorité des entreprises tunisiennes se financent par les crédits bancaires et n’ont pas recours au marché financier. Par conséquent, le marché financier reste limité et les investisseurs constituent les utilisateurs des états financiers les moins privilégiés.

65 Nous avons demandé également aux entreprises de déterminer l’utilité de tenir une comptabilité selon le SCE et de classer leurs besoins par ordre de priorité. Les résultats ont montré que pour une écrasante majorité (plus de 94 %) la comptabilité est un outil pour répondre aux besoins internes. Celle-ci constitue pour plus de 64 % une contrainte fiscale et une contrainte légale pour 62 % des répondants. La comptabilité constitue par ailleurs, un outil pour répondre aux besoins des investisseurs et des bailleurs de fonds pour plus de 43 %. Pour une minorité de répondants, la comptabilité est un outil pour répondre aux autres partenaires et groupes d’intérêts.

66 Nous pouvons de ce fait conclure que, dans le contexte culturel tunisien, la comptabilité est un outil pour répondre aux besoins internes. Par ailleurs, elle constitue une contrainte légale et fiscale pour certaines entreprises. Les besoins des bailleurs de fonds et des investisseurs et bailleurs sont à satisfaire après avoir répondu aux règles légales ainsi qu'aux déclarations fiscales. Ceci est cependant différent de la conception du SCE qui privilégie les utilisateurs externes, notamment les bailleurs de fonds et les investisseurs.

67 Par conséquent, un degré élevé de conservatisme et de discrétion est alors prévisible.

68 Outre l’analyse des commentaires obtenus, nous examinerons certaines pratiques comptables afin de déterminer le niveau de conservatisme des entreprises tunisiennes. Nous examinerons ensuite le jugement des utilisateurs des états financiers afin de déterminer le niveau de discrétion des pratiques de divulgation d’informations.

4.2.1. Le conservatisme

Détermination des taux d’amortissement

69 Le Tableau 3 indique clairement que la détermination des taux d’amortissement des immobilisations est basée sur les taux fiscaux. Ces résultats nous renseignent sur le degré de conservatisme des pratiques comptables. En effet, le comptable tunisien par crainte de voir ses charges non admises en déduction, applique des mesures prudentes en respect des règles fiscales.

Tableau 3

Détermination des taux d’amortissement

Fréquence
Taux économiques 7,54 %
Taux fiscaux 92,46 %
Total 100 %
figure im4

Détermination des taux d’amortissement

70 À partir de ce tableau, il apparaît clairement que les taux appliqués par l’ensemble des entreprises sont les taux fiscaux.

71 Ces résultats confirment ce qu’avançaient les entretiens réalisés dans le cadre de cette recherche : « (…) Normalement, c’est l'amortissement économique qu'il faut appliquer, or on est influencé par les taux fiscaux. Donc, la fiscalité peut constituer une contrainte dans l'application du SCE… ». (e1[3])

Évaluation de la valeur des immobilisations

72 Les résultats des pratiques relatifs à l’évaluation des immobilisations sont récapitulés dans le tableau suivant :

Tableau 4

Evaluation des immobilisations

Fréquence
Valeur récupérable 10,60 %
Coûts historiques 89,40 %
Total 100 %
figure im5

Evaluation des immobilisations

73 En majorité, les entreprises (89,4 %) évaluent les immobilisations selon la méthode du coût historique. Nous remarquons un certain retour aux anciennes mesures. En effet, la valeur récupérable constitue une notion nouvelle pour les comptables tunisiens, rares (10,6 %), sont ceux qui s’intéressent à cette valeur. Par conséquent, nous affirmons que le degré de conservatisme est élevé. Ces résultats confirment ceux issus des entretiens réalisés dans cette recherche : « (…) Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup d'entreprises ou de professionnels qui respectent cette notion de la juste valeur et vont changer la valeur des immobilisations ou des stocks en fonction de ce qui est édicté dans les normes et de ce qui concerne le problème de juste valeur. Il y a des notions un peu nouvelles pour le Tunisien. Cette notion est assez difficile à saisir dans certains cas, et donc les gens ne respectent pas du tout et ignorent complètement certaines choses. Parfois c'est une difficulté d'application, mais parfois aussi par ignorance, donc les gens ne respectent pas par ce qu'ils ignorent ». (e19) En examinant le Système Comptable des Entreprises, nous pouvons affirmer que le normalisateur comptable tunisien a également confirmé ce niveau de conservatisme. En effet, afin d’éviter une évaluation optimiste des actifs, il a interdit la réévaluation des immobilisations. En revanche, la baisse de la valeur des actifs doit être constatée par une réduction de la valeur des immobilisations. Par conséquent, nous pouvons affirmer qu’il existe une attitude conservatrice dans l’évaluation des postes du bilan des entreprises tunisiennes.

Les règles à appliquer en cas de divergence entre les règles comptables et fiscales

74 Les comptables des entreprises tunisiennes tentent d’appliquer les règles fiscales en cas de divergence avec les règles comptables. Les résultats des questionnaires sont présentés dans le tableau suivant :

Tableau 5

Fréquence des entreprises utilisant les règles fiscales

Règles appliquées Fréquence
Règles fiscales 82,6 %
Règles comptables 17,4 %
Total 100 %
figure im6

Fréquence des entreprises utilisant les règles fiscales

75 Les résultats obtenus montrent qu’en cas de divergence entre les règles fiscales et les règles comptables, la plupart des comptables tunisiens (82,6 %) appliquent, par mesure de prudence, les règles fiscales. Nous pouvons expliquer ce caractère conservateur des pratiques comptables tunisiennes par le fait que le manquement à la règle fiscale est sévèrement et immédiatement sanctionné par l'autorité publique alors que la non-observation des règles comptables n'est que subsidiairement sanctionnée. Ainsi, en cas de divergence entre les règles fiscales et les règles comptables, une grande majorité des entreprises s’alignent sur les premières règles par peur de voir leurs charges non admises en déduction. Ce qui pourrait par conséquent, nuire à la qualité de l’information comptable. Nous pouvons en conséquence remarquer qu’il existe un écart important entre le raisonnement et la conception du système comptable tunisien et la culture des comptables tunisiens. Ceux-ci n’ont pas souvent un raisonnement économique, ils ont tendance à appliquer les anciennes mesures : celles des règles fiscales et non des règles comptables et économiques.

76 Ces résultats se rapprochent de nos résultats d’analyse thématique des entretiens. En effet, nous pouvons citer « (…) Dans la pratique, par crainte de voir certaines charges non admises en déduction, ou certains produits imposés doublement, certaines entreprises prennent en considération les règles fiscales. Par exemple, toutes les entreprises qui ont des biens en leasing continuent à constater la charge de location sans constater le bien dans leurs comptes et par conséquent ne respectent pas la convention du fond sur la forme, donc vous voyez il y a une certaine tendance à se rapprocher et à ne pas s'écarter des règles fiscales pour ne pas se perdre dans la fiscalité… ». (e1) « (…) Je dirais même plus, certains concepts fiscaux sont considérés comme des comptables ». (e2)

Raisonnement selon le Plan Comptable Général ou une conception Système Comptable ?

77 Les résultats montrent que la majorité des entreprises (80 %) appliquent un raisonnement Plan Comptable Général. Les résultats de nos entretiens se rapprochent de ceux des questionnaires. Nous pouvons citer les propos suivants :

78 « C'est évident, la majorité des entreprises raisonnent en Plan Comptable Général ! A la limite 99 % des PME ! Et ce n'est pas ça le changement. Si vous posez la question à un simple comptable concepteur des états financiers dans une PME, il vous dit la nomenclature et les états financiers. A un degré plus élevé, expert-comptable théoricien, grandes entreprises et cotées en bourse on peut arriver à une meilleure application… ». (e8)

79 Nous pouvons en conséquence affirmer que le comptable tunisien raisonne encore en Plan Comptable Général. Pour une majorité des comptables tunisiens, il n’y a pas un grand changement par rapport à l’ancien plan comptable, sauf au niveau de la présentation. Les comptables tunisiens sont donc fortement attachés à l’ancien PCG. Nous pouvons expliquer ces pratiques conservatrices par la culture des comptables tunisiens et aussi par le fait que le normalisateur tunisien a inclus la nomenclature comptable dans le SCE.

Présentation des états financiers

80 Le normalisateur tunisien a prévu deux modèles de présentation des états financiers afin de faciliter le passage du Plan Comptable Général au SCE : le modèle autorisé et le modèle de référence. L’analyse des résultats relatifs à la présentation de l’état de résultat ainsi que celui du tableau de flux de trésorerie montre que 69,8 % des entreprises appliquent encore le modèle autorisé. Les entreprises tunisiennes appliquent les aspects traditionnels de l’ancien plan comptable. Ceci justifie le niveau de conservatisme des pratiques comptables tunisiennes.

81 Les résultats montrent qu’en majorité les comptables des entreprises tunisiennes présentent le tableau de flux de trésorerie selon le modèle autorisé.

Tableau 6

Présentation des états financiers

Pourcentage des entreprises
qui présentent selon le modèle de
Tableaua de flux de trésorerie L’Etat
de résultat
Référence 30.2 % 30.2 %
Autorisé 69.8 % 69.8 %
Total 100 % 100 %
figure im7

Présentation des états financiers


a. Etat de flux de Trésorerie selon les termes du cadre conceptuel
tunisien.

82 Les fréquences des entreprises qui présentent le tableau de flux de trésorerie et l’Etat de résultat selon le modèle de référence ou autorisé sont identiques aux précédentes.

83 Ces résultats confirment ainsi ce qui nous a été avancé dans le cadre de nos entretiens : « (…) Mais le problème en Tunisie, le SCE a prévu deux modèles un modèle de référence et un modèle autorisé. Le modèle de référence est le modèle de base. Malheureusement, à part quelques entreprises qui appliquent le modèle de référence, la majorité applique le modèle autorisé, c'est la méthode la plus simple. Pour la méthode de référence, il n'y a que les entreprises qui ont une comptabilité informatisée et qui développent un système d'information très développé et sophistiqué qui ont introduit le modèle de référence » (e6).

84 La présentation selon la méthode de référence suppose, comme l’a souligné B. Colasse (1997), une comptabilité anglo-saxonne. Cependant, la présentation selon la méthode autorisée suppose des pratiques conservatrices et des liens avec le Plan Comptable et les pratiques traditionnelles.

85 Outre les habitudes professionnelles héritées du PCG, nous pouvons également expliquer la non-présentation des états financiers (état de résultat et tableau de flux de référence) selon le modèle de référence, pour des raisons de coûts. Plusieurs entreprises ne voient pas l’avantage d’investir dans un système d’information développé pour produire ces états financiers.

Résultats du test binomial

86 Les résultats du test binomial montrent qu’en majorité les entreprises appliquent des pratiques conservatrices. La modalité « 2 », définie précédemment, est en effet majoritaire, pour l’ensemble des pratiques comptables étudiées.

87 Les probabilités critiques bilatérales (2-tailed Probailty) obtenues pour les tests binomial de CONSERVAMT (pratique des amortissements), CONSERVIMMO (estimation des immobilisations), CONSERVPCG (raisonnement Plan Comptable) et CONSERVDIV (règles appliquées en cas de divergence entre les règles comptables et fiscales) sont toutes égales à 0 ; celles de CONSERVFLUX (présentation du tableau de flux de trésorerie) et CONSERVREST (présentation de l’état de résultat) sont égales à 0,006 pour une proportion testée de 50 %. Nous ne pouvons donc rejeter l’hypothèse nulle pour CONSERVAMT, CONSERVIMMO, CONSERVPCG, CONSERVDIV, CONSERVFLUX et CONSERVREST pour des proportions testées supérieures respectivement à 92 % ; 89 % ; 80 % ; 83 % ; 70 % et 70 %.

88 Par conséquent, la population d’origine de l’échantillon applique au moins à 92 % ; 89 % ; 80 % ; 83 % ; 70 % et 70 % des pratiques conservatrices pour l’ensemble des pratiques étudiées.

89 L’analyse des résultats obtenus montre l’existence d’un degré élevé de conservatisme. L’application par les comptables tunisiens des règles strictes et rigides, qui obéissent parfois à un intérêt fiscal, nuisent à l'existence d'une image fidèle de l'entreprise. Ceci traduit clairement le raisonnement fondamental du droit continental de la France dans la société tunisienne, qui est tout à fait à l'opposé de la logique anglo-saxonne.

90 Nous pouvons donc conclure à partir des résultats des analyses des entretiens et des analyses des questionnaires que : le degré de conservatisme est élevé dans les pratiques comptables tunisiennes.

4.2.2. La discrétion

91 Nous rappelons que les résultats des questionnaires administrés aux préparateurs des états financiers ont montré que les principaux utilisateurs des états financiers en Tunisie sont les utilisateurs internes et l’administration fiscale, nous pouvons, par conséquent, nous attendre à un niveau élevé de discrétion. Nous analyserons ci-après les commentaires et les résultats des questionnaires administrés aux utilisateurs des états financiers en vue de déterminer le niveau de discrétion de l’information comptable en Tunisie.

4.2.2.1. Les bailleurs de fonds

92 Les résultats des questionnaires réalisés avec les responsables de crédit montrent que plus de 69 % des analystes de crédit ont souligné le manque de transparence comptable et le non-respect des obligations comptables par les entreprises tunisiennes (61 %). Par ailleurs, plus de 57 % des analystes de crédit ont souligné que l’information comptable transmise par les entreprises tunisiennes n’est pas exhaustive.

93 Pour 73 % des répondants, ce manque de transparence et de fiabilité est lié principalement à l’influence de la fiscalité sur la comptabilité ; pour 50 % des répondants il est lié au fait que l’information comptable en Tunisie est perçue comme une information confidentielle par les comptables tunisiens.

94 Ainsi, en raison du manque de transparence comptable et de la non-exhaustivité de l’information comptable, les analystes de crédit complètent l’information comptable divulguée, par d’autres informations telles que les informations bancaires (comptes courants dans la banque, épargne…) ainsi que les autres informations non explicites ou « informationnelles » (comme la réputation du client dans la société). Nous expliquons ce manque de transparence comptable et cette discrétion par la grande méfiance des entreprises tunisiennes envers les banques et aussi par le manque de formation du préparateur des états financiers et des dirigeants. En effet, une grande majorité des préparateurs des états financiers et des dirigeants des entreprises (surtout les PME) pensent que ces états délivrés à la banque ou aux organismes de crédit seront communiqués à l’administration fiscale, il existe selon eux une relation étroite entre les organismes de crédit et l’administration fiscale.

95 Les analystes de crédit se basent en conséquence moins sur l’information comptable. En effet, les résultats ont montré que pour décider de l’octroi d’un crédit, les analystes de crédit placent l’information comptable au troisième rang (sur quatre) après la notoriété du client et les informations bancaires (situation du client, son engagement dans le système bancaire, étude sectorielle…) et d’autres informations non explicites (la réputation du client dans la société…).

96 Le gouvernement a donc vu son rôle croître, vu le manque d’intérêt pour la pertinence et l'exactitude des informations publiées. Il est intervenu pour imposer une certaine autorité légale afin d’améliorer la qualité de la publication d’informations financières et la confiance dans l’information comptable.

97 En effet, la Banque Centrale de Tunisie (BCT) a, par exemple, exigé les rapports des commissaires aux comptes pour certaines entreprises dans l’objectif de garantir la fiabilité des informations transmises par le client à la banque. En outre, elle a créé une nouvelle centrale des bilans afin de centraliser les informations comptables délivrées par les entreprises clientes aux banques. Ceci constitue un moyen pour contrôler les préparateurs des états financiers afin d’assurer une information fiable aux banques et aux autres organismes de crédit. Cela montre aussi que les forces de marché, notamment les banques et plus précisément, les analystes de crédit, manquent d’exigence. Nous expliquons ce manque d’exigence par la concurrence qui existe entre les banques commerciales et la culture des analystes de crédit.

98 Les analystes de crédit ont souligné l’existence d’une différence entre la qualité d’informations diffusées par les sociétés contrôlées par des commissaires aux comptes et celle des petites et moyennes entreprises.

99 Des répondants ont noté certains changements par rapport à l’ancien Plan Comptable, mais la culture comptable n’a pas vraiment évolué : « On peut dire que le changement comptable est réalisé mais il n’y a pas vraiment une évolution de la culture… Ce système est prématuré car l'entreprise n'est pas encore prête de divulguer l'information, d'ailleurs elle ne connaît pas l'intérêt de divulguer l'information, elle observe toujours le côté négatif qui est le fisc, alors qu'elle oublie le côté positif. En effet, quand elle divulgue une bonne information, on aura une bonne impression sur l'entreprise ». (C5)

100 Nous pouvons conclure, à travers cette analyse des résultats des questionnaires administrés aux créditeurs, que le niveau de confidentialité de l’information comptable en Tunisie est élevé.

4.2.2.2. L’administration fiscale

101 Concernant l’administration fiscale, l’analyse des résultats des questionnaires montre que l’information comptable publiée par les entreprises n’est pas transparente et que le niveau de discrétion est élevé dans les pratiques comptables tunisiennes. En effet, 72 % des répondants ont affirmé un manque de transparence comptable.

102 60 % des répondants ont expliqué ce manque de transparence par l’influence de la fiscalité sur la comptabilité. La comptabilité est considérée comme une contrainte fiscale pour les entreprises tunisiennes, surtout pour les petites et moyennes entreprises. Il y a en effet, une grande relation de méfiance entre les entreprises et l’administration fiscale.

103 Pour cela, 64 % des répondants ont proposé une harmonisation des règles fiscales avec les règles comptables, ce qui pourrait encourager l’entreprise tunisienne à être plus transparente.

104 Par ailleurs, pour la majorité des répondants, non-fiabilité et pertinence de l’information comptable s’expliquent par le non-respect des obligations comptables et le manque de compétences comptables [4]. De plus, les répondants ont expliqué le manque de publication par la « mentalité » des dirigeants des entreprises tunisiennes [5] et des comptables tunisiens.

105 Les répondants ont aussi signalé l’absence des nouveaux éléments des états financiers, tels que le tableau de flux de trésorerie ou les notes aux états financiers. Ils ont expliqué ceci par les anciennes habitudes professionnelles héritées du Plan Comptable Général. En effet, ces différents états n’existaient pas avant la publication du SCE.

106 Les répondants ont noté d’autres réserves à l’égard de l’information comptable, notamment la non-exhaustivité de l’information comptable et la non-concordance avec la réalité. Par conséquent, l’administration fiscale se base (dans 80 % des cas), lors de la vérification des états financiers, à côté de ces états établis et fournis par les entreprises, essentiellement sur d’autres informations que celles fournies par les comptables des entreprises tunisiennes. L’administration fiscale dispose, en effet, d’un pouvoir de contrôle de l’information comptable fournie par les entreprises tunisiennes appelées les « contribuables ». Celle-ci dispose de plusieurs moyens de vérification : les moyens de recoupements, la liste des fournisseurs, la liste des clients ; elle dispose encore d’un accès aux comptes bancaires…

107 Les répondants aux questionnaires de l’administration fiscale ont par ailleurs noté une différence entre la qualité des états financiers établis par les grandes entreprises structurées et les petites et moyennes entreprises non contrôlées.

108 Nous pouvons ainsi affirmer, à partir de l’analyse de l’ensemble des résultats des questionnaires administrés à l’administration fiscale, qu’il existe une grande discrétion dans l’environnement culturel comptable tunisien.

4.2.2.3. Les investisseurs

109 Les investisseurs sont supposés avoir une meilleure qualité d’information étant donné qu’ils constituent les utilisateurs privilégiés par le SCE et qu’ils sont en relation avec les sociétés cotées.

110 Les résultats des questionnaires administrés à cette catégorie d’utilisateurs montrent que pour plus de 69 % l’information comptable publiée par les sociétés cotées est jugée fiable. Cependant, pour une majorité des répondants il existe une grande discrétion de la part des entreprises tunisiennes. 69,6 % des utilisateurs ont noté un manque de transparence comptable et 56,5 % une non-exhaustivité de l’information comptable. Par ailleurs, plus de 82 % des répondants ont signalé que l’information comptable est souvent publiée avec retard.

111 Le manque de transparence et le non-respect des délais de publication par les entreprises peuvent influencer les décisions prises par les analystes financiers. Ces derniers ne peuvent pas, en effet, prendre des décisions au temps opportun. Ainsi, l’information comptable est souvent complétée par d’autres informations financières (analyse sectorielle, communication financière…). En revanche, les analystes financiers ont constaté que depuis le scandale boursier de la société « BATAM » au cours de l’année 2000, la qualité de l’information s’est améliorée.

112 L’Association des Intermédiaires en Bourse (AIB) a invité les entreprises à faire une communication financière au moins une fois par an, fixée en général avant la tenue de son assemblée générale annuelle, dans l’objectif d’inciter les sociétés cotées à publier l’information comptable.

113 Le Conseil du Marché Financier (CMF) tunisien, organisme public [6] est également intervenu, afin d’améliorer la qualité de la publication d’informations financières et la confiance des investisseurs dans le pays [7]. À ce titre, il a conçu un prospectus d’émission dans lequel il prévoit un modèle complet, mentionnant toutes les informations obligatoires à publier. Ce prospectus est obligatoire en cas d’opérations spécifiques réalisées par l’entreprise : par exemple l’émission de nouvelles actions ou obligations… Ce caractère obligatoire a pour objectif d’inciter les entreprises à publier des informations comptables.

114 Nous avons par ailleurs noté, après comparaison, une différence entre les rapports annuels publiés par les sociétés cotées sur la BVMT et certains prospectus d’émission déposés dans le CMF : les entreprises publient une meilleure qualité dans le prospectus d’émission. Nous pouvons ainsi conclure que le comptable tunisien a besoin de règles écrites et obligatoires pour publier l’information comptable.

115 Ces résultats se rapprochent des commentaires des répondants aux questionnaires :

116 « Actuellement, oui il y a une amélioration de la qualité d’information comptable, mais deux ans en avant non pas du tout et c'est très simple les états financiers comprennent : un bilan et l'Etat de résultat. Les états financiers d'une société cotée ne comprennent que ça. Il n'y a ni soldes intermédiaires de gestion, ni flux de trésorerie, ni engagements hors bilan, rien du tout. Maintenant, ils publient tout ! Reste quelques défaillances, mais la situation maintenant est meilleure qu’avant » (I 17)

117 Nous pouvons déduire, à partir de ces résultats, que la qualité de l’information publiée par les sociétés tunisiennes cotées s’est améliorée, néanmoins l’information comptable demeure confidentielle pour la majorité des entreprises.

118 Nous pouvons conclure, à partir de l’analyse des commentaires et des résultats des questionnaires administrés aux utilisateurs des états financiers – notamment l’administration fiscale, les investisseurs et les bailleurs de fonds – que l’information comptable est considérée comme une information confidentielle et qu’il existe une grande discrétion de la part des comptables des entreprises tunisiennes.

119 D’où : le niveau de discrétion est élevé dans les pratiques comptables des entreprises tunisiennes.

Conclusion

120 L’analyse des résultats obtenus nous a ainsi permis par référence au modèle de Hofstede-Gray (1988), de déduire que le cadre culturel comptable tunisien est caractérisé par :

121

  • un niveau faible de professionnalisme et une préférence pour les lois ;
  • une grande uniformité ;
  • un niveau élevé de conservatisme ;
  • un niveau élevé de discrétion.

122 Ces valeurs comptables sont différentes de celles des caractéristiques d’un système comptable inspiré des normes comptables internationales. Le cadre culturel comptable tunisien étudié ne correspond donc pas aux caractéristiques d’un système comptable inspiré des normes comptables internationales. La culture et les valeurs comptables en Tunisie sont différentes de celles des données du SCE.

123 Nous pouvons tirer la conséquence que le Système Comptable des entreprises tunisien, inspiré des normes comptables internationales, n’est pas pertinent à la culture comptable tunisienne. La culture des acteurs de la comptabilité en Tunisie constitue, de ce fait, une contrainte à l’application du SCE. Ces résultats peuvent être rapprochés de ceux de L. Chow et al. (1995), qui ont montré que la culture des comptables chinois constitue une contrainte à l’application du modèle comptable anglo-saxon.

124 En revanche, nous ne pouvons pas écrire que le système comptable n’a pas eu d’influence sur la culture des comptables tunisiens. Seulement 1,88 % des répondants aux questionnaires ont affirmé qu’il n’y a aucun changement à signaler suite à l’application du SCE. Nous pouvons ainsi relever que, malgré l’influence du SCE sur la culture, cette dernière constitue tout de même une contrainte à son application. En effet, certains ont noté qu’« Il y a une légère évolution de la culture, l’évolution se fait de manière un peu lentecar c'est une culture de 30 ans et c'est un peu difficile d'effacer cette culture » (e1).

125 L’adoption des normes comptables inspirées des normes comptables internationales s’est accompagnée d’une légère évolution de la culture, les comptables tunisiens ont tendance à appliquer les anciennes habitudes du PCG. Nous relevons donc des nouvelles pratiques comptables propres au contexte tunisien : les comptables tunisiens appliquent les normes comptables tunisiennes (inspirées des normes comptables internationales) à la tunisienne. En d’autres termes nous constatons une application d’un système anglo-saxon avec un certain retour au modèle continental PCG : d’où l’importance de la prise en compte de la culture dans le choix d’un système comptable.

126 Dans un tel contexte, nous pouvons considérer que la Tunisie n’a pas réellement adopté et appliqué les normes comptables internationales mais, qu'elle les a plutôt ajustées aux particularités tunisiennes.

127 À partir de l’ensemble des résultats obtenus, nous pouvons donc indiquer que le cadre conceptuel et les normes comptables tunisiennes, inspirées des normes comptables internationales, ne sont pas pertinents à la culture comptable tunisienne. Le SCE pourrait en revanche être pertinent pour les grandes entreprises cotées, qui cherchent à attirer des investissements étrangers, contrairement aux PME. Une norme comptable simplifiée pourrait alors être utile pour les PME.

128 L’analyse de l’ensemble des résultats empiriques nous a permis de suggérer, par ailleurs, qu’une harmonisation des règles fiscales avec les règles comptables, une publication des travaux de commentaires des normes comptables et l’engagement des utilisateurs des états financiers (surtout les institutions financières) à exiger des états financiers conformes aux normes comptables et aux dispositions du SCE, pourraient améliorer la qualité de l’information comptable publiée par les entreprises tunisiennes. Enfin, nous pouvons affirmer que les PVD ne disposent pas des mêmes structures que celles des pays développés, auxquels sont destinées ces normes comptables internationales, ces normes comptables pourraient être pertinentes si elles sont adaptées au contexte économique et culturel du pays concerné. De ces constats il émerge alors une conscience de l’importance du facteur culturel souvent négligé par les normalisateurs comptables des PVD.

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Notes

  • [1]
    Le PCG était appliqué depuis 1968 et dérive du plan comptable français 1947-1957.
  • [2]
    La Tunisie figure parmi ce groupe de pays.
  • [3]
    (e i) : entretien réalisé avec un interviewé dont le rang i.
  • [4]
    « Dans les petites entreprises on peut trouver des comptables vraiment très anciens qui fonctionnent avec le Plan Comptable Général, et n'ont pas d'idée sur le nouveau système. On trouve même parfois des comptes ou rubriques du bilan qui n'existent pas avec le nouveau SCE, je donne l'exemple des frais d'établissement ». (F 3)
  • [5]
    « A 100 %, on a une culture très différente. En général, les chefs d'entreprise, pour eux, la comptabilité est une contrainte fiscale et ils ne voient pas l’intérêt de publier l’information comptable ». (F 3)
  • [6]
    Il assure l'organisation des marchés et veille à leur bon fonctionnement afin de prévenir les manipulations susceptibles d'en entraver le bon fonctionnement. Il est également chargé du contrôle de l'information financière et de la sanction des manquements ou infractions à la réglementation en vigueur.
  • [7]
    Le CMF a été contraint de saisir en référé le Président du Tribunal de Première Instance de Tunis afin d’ordonner à une société de lui communiquer ses états financiers relatifs à l’exercice 2002 et de procéder à leur publication conformément à la réglementation en vigueur (rapport annuel du CMF relatif à l’année 2003).
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