Notes
-
[1]
Ces statistiques sont disponibles sur les sites de International Swaps and Derivatives Association (www.isda.org) et Bank for international settlements (www.bis.org).
-
[2]
Le modèle de probabilité linéaire estimé avec les moindres carrés ordinaires, largement utilisée en finance empirique, ne répond pas à ces contraintes.
1 La problématique de la couverture des risques par les entreprises non-financières est considérée comme un des thèmes les plus importants par les chercheurs en gestion et plus particulièrement en finance d’entreprise. En effet, les entreprises non-financières sont exposées aux différents risques financiers, résultant de l’incertitude quant à l’évolution future des taux d’intérêt, des taux de change, des prix des matières premières et des actifs financiers. Cette incertitude affecte leurs valeurs voire même menace leur pérennité. Elles sont donc amenées à utiliser de plus en plus de produits dérivés afin de couvrir ces risques. Cette tendance ne cesse de s’affirmer ces dernières années. Les statistiques [1] publiées par la Bank of International Settlements et par l’International Swaps and Derivatives Association indiquent une augmentation spectaculaire des produits dérivés échangés sur les marchés organisés et les marchés de gré à gré. Par ailleurs, plusieurs études indiquent que plus de la moitié des entreprises non-financières utilisent des produits dérivés, dont les swaps, les futures, les forwards et les options pour couvrir leurs risques financiers (D. Nance, C. Smith et C. Smithon, 1993 ; C. Géczy, B. Minton et C. Schrand, 1997 ; S. Howton et S. Perfect, 1998 ; H. Berkman, M. Bradbury, P. Hancock et C. Innes, 2002 ; et S. Bartram, G. Brown et F. Fehle, 2009). En règle générale, ces entreprises recourent aux produits dérivés à des fins de couverture non pas de spéculation.
2 Face à la croissance de l’utilisation des produits dérivés par les entreprises non-financières, force est de s’interroger sur les motivations de telles opérations. La question que nous posons est de savoir quels sont les déterminants de la décision de la couverture des risques. En effet, à la suite de l’identification et de la mesure d’un risque, une entreprise va prendre la décision de se couvrir ou non. La prise de cette dernière décision est conditionnée par un ensemble de variables. Notre intérêt est porté sur l’étude de ces variables dans le cadre du marché français. L’objectif de notre article est double. D’une part, nous recensons les différentes explications théoriques de l’utilisation des produits dérivés à des fins de couverture. Une synthèse de la littérature existante à ce sujet est exposée. D’autre part, nous étudions la pertinence empirique de ces déterminants dans le contexte français. A notre connaissance, très peu d’études ont traité la problématique de l’utilisation des produits dérivés par les entreprises françaises. Notre article s’organise comme suit. La section 2 synthétise la littérature théorique sur les déterminants de la gestion des risques. La section 3 présente l’échantillon de notre étude ainsi que les variables retenues en détaillant la méthodologie utilisée. La section 4 résume l’ensemble des résultats obtenus. La section 5 conclut l’article en développant quelques questions de recherche future.
1. Revue de la littérature
3 L’introduction des frictions de marché sur le modèle classique de F. Modigliani et M. Miller (1958) concernant la structure optimale du capital peut être considérée comme le fait générateur du débat théorique sur les déterminants de la gestion des risques par les entreprises non-financières. En effet, dans le cadre des hypothèses concernant l’absence d’imperfections de marché (absence d’impôts, de coûts de faillite et de transactions), la gestion des risques est une activité redondante et n’affecte pas la valeur de l’entreprise. Si les marchés de capitaux sont parfaits, les actionnaires possèdent les informations requises concernant l’exposition de l’entreprise aux risques, et les outils nécessaires pour créer leurs profils de risque désirés. Ils peuvent se couvrir en détenant des portefeuilles bien diversifiés. Par conséquent, dans cet environnement, il n’y a pas de raison pour que la couverture des risques soit effectuée par l’entreprise.
4 Les travaux sur ce thème se sont attachés à relâcher successivement ou conjointement les hypothèses néoclassiques de F. Modigliani et M. Miller (1958). Les contributions académiques importantes par C. Smith et R. Stulz (1985), K. Froot, D. Scharfstein, J. Stein (1993), R. Stulz (1996) et H. Leland (1998) montrent que la gestion des risques peut créer de la valeur. Cette création de valeur résulte d’une réduction de la probabilité de détresse financière et de faillite, une réduction du montant d’impôt à payer, une protection des programmes d’investissement optimal et une réduction des primes de risque à payer aux différents partenaires (stakeholders).
5 C. Smith et R. Stulz (1985) et R. Stulz (1996) montrent que la couverture du revenu avant impôt peut augmenter la valeur de l’entreprise si sa structure d’impôt est convexe. En effet, quand l’entreprise affronte un taux d’imposition marginal progressif impliquant une fonction d’impôt convexe, la couverture des risques peut réduire le montant d’impôt attendu en réduisant la volatilité du revenu avant impôt.
6 C. Smith et R. Stulz (1985) montrent que la couverture peut augmenter la valeur de l’entreprise en diminuant les coûts attendus de la détresse financière. Ceci résulte d’une réduction de la probabilité de la détresse financière en diminuant la variabilité des cash-flows.
7 Les coûts attendus de la détresse financière dépendent de deux facteurs : la probabilité d’occurrence de la détresse financière si l’entreprise n’est pas couverte ; et les coûts imposés par une possibilité de faillite. Ces coûts peuvent être substantiels, non pas seulement, à cause des coûts directs de la faillite (les coûts légaux et administratifs incluant les honoraires des avocats et des comptables) mais surtout à cause des coûts indirects. Ces derniers sont des coûts de perte de crédibilité ou d’opportunités d’investissement. Ils entraînent une perte de confiance qui se traduit, par exemple, par une perte de clientèle avant même la période de redressement judiciaire.
8 R. Stulz (1996) et H. Leland (1998) montrent que la réduction de la volatilité du revenu et par conséquent la réduction de la probabilité de la détresse financière, permet à l’entreprise d’augmenter sa capacité d’endettement. La déductibilité de la charge d’intérêt réduit les taxes à payer et augmente la valeur de l’entreprise. En effet, la valeur de l’entreprise endettée est équivalente à celle d’une entreprise non endettée, augmentée de l’économie d’impôt (qui résulte de la déductibilité des frais financiers) et diminuée des coûts de la faillite. Ainsi, l’habilité à augmenter la capacité d’endettement fournit une incitation fiscale à la couverture.
9 Par ailleurs, la théorie d’agence constitue un cadre d’analyse particulièrement adapté pour comprendre les déterminants de la gestion des risques. Cette théorie décrit l’entreprise comme un ensemble de relations contractuelles. Des conflits d’intérêts en résultent (M. Jensen et W. Meckling, 1976). L’une des manifestations de ces conflits d’intérêt entre les créanciers et les actionnaires est le problème de sous-investissement.
10 La couverture peut être une stratégie de création de la valeur si elle atténue les politiques d’investissement sous-optimales, réduisant ainsi les coûts d’agence de la dette. Ces derniers sont plus prononcés quand l’entreprise présente un niveau de levier financier élevé avec des opportunités de croissance. Notons que les coûts de sous-investissement résultent de l’effet combiné des options de croissance et du financement externe onéreux.
11 K. Froot, D. Scharfstein, J. Stein (1993) montrent que les entreprises peuvent sous-investir quand le coût de financement est trop élevé. En effet dans ce cas, le coût marginal des fonds externes est supérieur au profit marginal revenant aux actionnaires. Les auteurs supposent que les coûts de financement augmentent avec le niveau du financement externe et le profit marginal de l’investissement baisse avec le niveau d’investissement. Ainsi, les entreprises qui ont des opportunités d’investissement nécessitant du financement doivent couvrir leurs cash-flows afin d’augmenter la corrélation entre les entrées et les sorties de flux de trésorerie. Elles évitent, par conséquent, le recours au financement sur le marché financier qui engendre des coûts directs associés à l’émission d’actions ou d’obligations, des coûts indirects tels que les coûts d’agence liés à l’endettement (S. Myers, 1977) et des coûts relatifs à l’émission d’actions provenant des asymétries d’information entre les dirigeants et les investisseurs externes (S. Myers et N. Majluf, 1984). De ce fait, la couverture permet à l’entreprise de stabiliser les fonds générés en interne nécessaires au financement des opportunités d’investissement et permet, en conséquence, d’augmenter la valeur de l’entreprise.
12 C. Smith et R. Stulz (1985) et P. Tufano (1996) avancent que l’aversion au risque des dirigeants peut être considérée comme une explication possible de l’utilisation des produits dérivés par l’entreprise. En effet, les dirigeants qui ont investi une grande partie de leurs richesses pour acquérir une fraction importante du capital de l’entreprise (dirigeants-propriétaires), ayant ainsi un portefeuille non diversifié, peuvent être averses au risque. Leurs utilités espérées dépendent fortement du risque de la valeur de l’entreprise étant donné qu'une partie de leur richesse est directement corrélée à celle de l'entreprise. La diminution de la volatilité des flux générés par l’entreprise et donc, celle de sa valeur baisse le risque de volatilité de la richesse des dirigeants-propriétaires. Par conséquent, on devrait observer une couverture plus importante des risques financiers dans les entreprises où les dirigeants détiennent une part importante du capital ou sont rémunérés par une participation directe aux profits. Il existe donc une corrélation positive entre la richesse des dirigeants investie dans l’entreprise et la couverture des risques.
13 Quant à la rémunération des dirigeants par des stock-options, nous considérons deux aspects différents de l’aversion au risque. D'une part, tant que le dirigeant détient les stock-options, il est à l'abri du risque de baisse du cours de l’action de l’entreprise car, le cas échéant, il n'exercera pas son option. Dans ce cas, l'effet d'aversion au risque ne joue pas vraiment et le dirigeant n’est pas incité à couvrir les risques. D'autre part, lorsque ses options sont dans la monnaie, il cherche à sécuriser ses gains en évitant la baisse du prix de l’action en dessous du prix de souscription, moyennant une stratégie de couverture.
14 L’impact de la taille sur la décision de couverture des risques fait l’objet d’une controverse théorique. En effet, l’effet taille est relié à plusieurs facteurs qui rendent la relation entre la taille de l’entreprise et la couverture indéterminée. Tout d’abord, du fait du montant de leurs revenus avant impôt, les petites entreprises se situent généralement dans la partie où le taux d’imposition est progressif. Ensuite, et à l’encontre des grandes entreprises (too big to fail), elles présentent une probabilité de faillite plus élevée. Par conséquent, elles sont incitées à couvrir leurs risques. Néanmoins, en tenant compte des coûts de couverture et des économies d’échelle, les petites entreprises se trouvent dans l’incapacité d’établir un programme de couverture et d’embaucher des employés spécialisés dans la gestion des risques. Ce qui donne un contre-effet de la taille sur les décisions de couverture.
15 La décision et le montant des produits dérivés à utiliser pour couvrir les risques dépendent de l’utilisation ou non d’autres techniques de gestion des risques par l’entreprise. D. Nance, C. Smith et C. Smithon (1993) relatent que « les substituts à la couverture », exprimés par les politiques de financement et de dividende et la gestion de la trésorerie, peuvent réduire la nécessité pour la couverture. En effet, les restrictions de dividende peuvent permettre à l’entreprise de garder une liquidité suffisante pour payer ses créanciers d’une part et saisir les opportunités d’investissement, d’autre part. Par conséquent, l’entreprise ne sera pas incitée à couvrir ses risques. Cependant, D. Haushalter (2000) note que les entreprises qui ont des contraintes de liquidité ne distribuent pas ou peu de dividendes. La relation attendue entre le dividende et les décisions de couverture est ambiguë.
Récapitulatif des principales études empiriques sur la couverture des risques
Référence | Echantillon | Modèle | Déterminants significatifs |
D. Nance, C. Smith et C. Smithon (1993) |
169 entreprises non-financières classées dans Fortune 500 et S&P 400 pour l’année 1986 | Logit |
Crédit d’impôt (+) Dividende (+) R&D (+) Taille de l’entreprise |
P. Tufano (1996) |
48 entreprises minières et aurifères en Amérique du Nord sur la période de 1990 à 1993 | Tobit |
Endettement (+) Liquidité (-) Propriété managériale (-) Stock-options (-) |
C. Géczy, B. Minton et C. Schrand (1997) |
372 entreprises non-financières classées dans Fortune 500 pour l’année 1995 | Logit |
Liquidité (-) Taille de l’entreprise (+) |
S. Howton et S. Perfect (1998) |
451 entreprises non-financières classées dans Fortune 500 pour l’année 1994 | Tobit |
Progressivité d’impôt (+) Endettement (+) BAII/ Frais financiers (+) |
D. Haushalter (2000) |
100 entreprises américaines de gaz et pétrole sur la période de 1992 à 1994 |
Logit Tobit |
Taille de l’entreprise (-) Propriété managériale (-) Stock-options (-) Impôt (+) Endettement (+) |
H. Berkman, M. Bradbury, P. Hancock et C. Innes (2002) |
165 entreprises non-financières en Australie pour l’année 1995 | Logit | Endettement (+) |
S. Bartram, G. Brown et F. Fehle (2009) |
7292 entreprises non-financières de 48 pays sur la période de 2000 à 2001 | Logit |
Crédit d’impôt (+) Endettement (+) MB (-) Propriété managériale (+) Stock-options (+) Taille de l’entreprise (+) Liquidité (-) Dividende (+) |
Récapitulatif des principales études empiriques sur la couverture des risques
16 En outre, l’émission d’obligations convertibles constitue un substitut à la couverture. D. Nance, C. Smith et C. Smithon (1993) suggèrent d’utiliser les obligations convertibles pour le financement de l’entreprise parce qu’elles permettent de contrôler les problèmes d’agence entre les actionnaires et les créanciers. La relation prévue est donc négative. Cependant, C. Géczy, B. Minton et C. Schrand (1997) font remarquer que les obligations convertibles reflètent un endettement additionnel qui contraint l’entreprise aux financements externes, et prévoient donc une relation positive. Le signe attendu de la relation est donc indéterminé. Le tableau 1 récapitule les résultats des principales études empiriques qui ont porté sur les déterminants de la décision de la couverture des risques.
2. Sélection de l’échantillon et spécification des variables
2.1. Sélection de l’échantillon
17 Notre échantillon est composé de 320 entreprises françaises non-financières. Les données utilisées sont extraites de la base de données Worldscope de Piranhaweb (anciennement Disclosure) et des rapports annuels pour l’année 2001. En effet, la sélection de l’échantillon s’est opérée selon les critères qui suivent. Nous avons considéré l’ensemble des entreprises françaises non-financières cotées, d’une capitalisation boursière supérieure à 30 millions d’euros présentes sur la base de données Worldscope. Nous avons exclu toutes les entreprises à vocation financière (banques, assurances…) du fait que les raisons qui les incitent à utiliser des produits dérivés peuvent être différentes de celles des entreprises non-financières. Par ailleurs, nous avons fixé un seuil minimum pour la capitalisation boursière pour deux raisons différentes. D’une part, les grandes entreprises s’engagent plus que les petites dans les politiques de couverture des risques par les produits dérivés. D’autre part, les informations sur la politique de gestion des risques et sur le portefeuille de produits dérivés détenu sont plus disponibles dans le cas des grandes entreprises. Le tableau 2 présente le classement des entreprises de l’échantillon selon leurs secteurs d’activité en utilisant le principal code SIC (« the four-digit standard industrial classification »). Plus de deux tiers des entreprises de notre échantillon appartiennent à deux secteurs d’activité : la manufacturière et les services.
Répartition sectorielle des entreprises de l’échantillon
Industrie | Code SIC | Nombre d’entreprises | % du total |
Alimentaire et tabac | 0100 et 2000-2199 | 4 | 1,25 |
Minière | 1000-1499 | 4 | 1,25 |
Construction | 1500-1999 | 7 | 2,18 |
Manufacturière | 2200-3999 | 134 | 41,8 |
Transport | 4000-4799 | 9 | 2,81 |
Communication | 4800-4899 | 9 | 2,81 |
Public | 4900-4999 | 8 | 2,50 |
Vente en gros | 5000-5199 | 29 | 9,06 |
Vente en détail | 5200-5999 | 32 | 10,0 |
Service | 7000-9000 | 84 | 26,2 |
Total | 320 | 100 |
Répartition sectorielle des entreprises de l’échantillon
2.2. Les variables expliquées
18 Le tableau 3 présente le nombre d’entreprises détenant des portefeuilles de produits dérivés. Pour notre échantillon, les entreprises détenant au moins un type de produits dérivés représentent 59,68 %.
19 Ce pourcentage est comparable à ceux des études empiriques antérieures décrites plus haut. Parmi les entreprises qui utilisent les produits dérivés (191 entreprises), 138 (72,25 %) détiennent des produits dérivés de taux et 155 (81,15 %) détiennent des produits dérivés de taux de change.
La composition de l’échantillon
Echantillon total : 320 entreprises (100 %) | |
Utilisateurs de produits dérivés | Non-utilisateurs de produits dérivés |
191 (59.68 %) | 129 (50.63 %) |
Utilisateurs de produits dérivés : 191 entreprises (100 %) | |
Produits dérivés de taux | Autres |
138 (72.25 %) | 53 (27.75) |
Utilisateurs de produits dérivés : 191 entreprises (100 %) | |
Produits dérivés de change | Autres |
155 (81.15 %) | 36 (18.85) |
La composition de l’échantillon
2.3. Les variables explicatives
20 Les principaux déterminants théoriques de l’utilisation des produits dérivés à des fins de couverture recensés dans la section 2 sont : la fiscalité, les coûts de la détresse financière, les opportunités de croissance, la structure de propriété des dirigeants ainsi que leurs plans de rémunération.
21 Nous rajoutons des variables de contrôle qui peuvent influencer les décisions d’utilisation des produits dérivés. Le tableau 4 présente les statistiques descriptives des variables explicatives utilisées, qui sont au nombre de douze.
Variables | Moyenne | Écart type | Médiane | Minimum | Maximum |
Reports fiscaux des pertes (RFP) | 0.53 | 0.49 | 1 | 0 | 1 |
Endettement (END) | 0.65 | 1.05 | 0.33 | 0 | 12.32 |
Couverture des intérêts (CFF) | 1.76 | 3.20 | 1.82 | - 17.84 | 19.09 |
R&D/ventes (RD) | 2.74 | 6.38 | 0 | 0 | 50.08 |
VM/VC (VMC) | 3.52 | 9.90 | 1.96 | - 18.39 | 166.78 |
Actions détenues par les managers (PM) | 0.25 | 0.27 | 0.12 | 0 | 0.89 |
Stock-options (SO) | 0.67 | 0.47 | 1 | 0 | 1 |
Taille de l’entreprise (T) | 6.40 | 2.01 | 5.90 | 3.39 | 11.99 |
Rendement du dividende (D) | 1.63 | 1.79 | 1.36 | 0 | 15.11 |
Ratio de liquidité réduite (L) | 1.27 | 1.38 | 0.97 | 0.19 | 15.51 |
Obligations convertibles (OC) | 0.157 | 0.35 | 0 | 0 | 1 |
Chiffre d’affaires à l’étranger (CAE) | 0.28 | 0.23 | 0.25 | 0 | 0.99 |
22 Pour tenir compte des considérations fiscales, nous utilisons une variable binaire qui est égale à un, si l’entreprise a des reports fiscaux des pertes, ou zéro autrement. La théorie prédit une relation positive entre cette variable et la probabilité de se couvrir. Pour mesurer la détresse financière, nous utilisons le ratio d’endettement et le ratio de couverture des frais financiers (bénéfice avant intérêts et impôt/frais financiers). L’utilisation de ces proxies se fonde sur le fait que l’excès d’endettement est générateur de faillite (E. Altman, 1968). Plus le ratio de couverture des intérêts est faible, plus le ratio d’endettement est élevé et plus la probabilité que l’entreprise se trouve dans une situation de détresse financière est grande. Dans ce cas, la probabilité de se couvrir est élevée. Nous définissons le ratio de couverture des frais financiers par le logarithme népérien de la moyenne sur trois années du ratio bénéfice avant impôt et intérêts sur frais financiers. Pour mesurer l’endettement, nous calculons le ratio valeur comptable des dettes totales sur valeur de marché des fonds propres.
23 Quant aux opportunités d’investissement, nous utilisons deux variables : le ratio valeur de marché sur valeur comptable des fonds propres et le ratio dépenses en recherche et développement (R&D) sur ventes. La première variable permet de faire la distinction entre les actifs en place et les options de croissance. Son utilisation suppose que les entreprises avec plus d’options de croissance auraient des valeurs de marché plus élevées que les valeurs comptables.
24 La deuxième variable permet de connaître l’importance des options de croissance de l’entreprise. En effet, les dépenses en R&D sont considérées comme des prédicateurs du développement des projets futurs. Ainsi l’hypothèse prédit que les entreprises qui utilisent des produits dérivés à des fins de couverture auraient des ratios valeur de marché sur valeur comptable et R&D sur ventes plus grands par rapport aux entreprises qui ne recourent pas à la couverture.
25 La variable utilisée pour mesurer la richesse des dirigeants investie dans l’entreprise est le pourcentage d’actions qu’ils détiennent d’une façon directe et/ou indirecte. Le signe attendu de cette variable est positif. Pour évaluer l’effet des plans de rémunération par des stock-options, nous utilisons une variable indicatrice qui prend la valeur de un, s’il existe un plan de stock-option et zéro autrement. Le signe attendu de cette variable est indéterminé. Afin de pouvoir contrôler d’autres facteurs qui peuvent avoir un impact sur les décisions de couverture des risques par les produits dérivés, nous considérons la taille de l’entreprise, le rendement du dividende, le ratio de liquidité réduite, une variable binaire indiquant l’existence ou non d’obligations convertibles, et le pourcentage du chiffre d’affaires réalisé à l’étranger comme variables explicatives. La taille de l’entreprise est définie par le logarithme népérien de la somme de la valeur de marché des fonds propres et la différence entre la valeur comptable des actifs et les capitaux propres. Le ratio de liquidité réduite, défini par le ratio actifs liquidables à moins d’un an moins stocks sur dettes exigibles à moins d’un an, est utilisé pour mesurer les contraintes de liquidité. Concernant la politique des dividendes, nous utilisons le rendement du dividende, défini par le ratio dividende par action ordinaire sur le cours de l’action. Pour tester la présence d’obligations convertibles, une variable binaire égale à un, s’il existe des obligations convertibles et zéro autrement est considérée. Finalement, pour mesurer le degré d’exposition de l’entreprise au risque de change, nous ajoutons une variable relative au pourcentage du chiffre d’affaires réalisé à l’étranger. Le tableau 5 présente les coefficients de corrélation de Pearson entre toutes ces variables. En général, les variables sont peu corrélées entre elles. Par ailleurs, nous remarquons que les tests de VIF sont pour toutes les variables inférieurs à 10. Le problème de colinéarité n’est pas critique.
3. Les résultats
26 Afin d’étudier l’impact des variables explicatives définies plus haut sur la décision d’utilisation des produits dérivés à des fins de couverture, nous réalisons trois types de tests empiriques. Le premier test (Tableau 6) mesure la différence entre la moyenne et la médiane des variables étudiées des entreprises utilisant des produits dérivés de celles non-utilisatrices de ces instruments financiers. Deux mesures sont considérées : le test t de Student et le test de Wilcoxon. Le deuxième test (Tableau 7) se résume dans une régression d’une variable dépendante définie par une binaire. Cette variable prend la valeur de un, si l’entreprise utilise des produits dérivés, ou zéro s’il n’y a pas d’opération de couverture par les produits dérivés. Finalement, pour réaliser le dernier test (Tableau 8) qui considère l'intensité de la couverture par les produits dérivés plutôt que la simple décision de se couvrir ou non, nous utilisons une variable dépendante continue, en prenant la valeur notionnelle des contrats sur produits dérivés, divisée par la valeur comptable des actifs.
Les corrélations de Pearson et les tests de VIF des variables explicatives
RFP | END | CFF | RD | VMC | PM | SO | T | D | L | OC | CAE | VIF | |
RFP | 1 | 1.13 | |||||||||||
END | 0.04 | 1 | 1.15 | ||||||||||
CFF | - 0.12 | - 0.18 | 1 | 1.28 | |||||||||
RD | 0.01 | - 0.05 | - 0.26 | 1 | 1.22 | ||||||||
VMC | - 0.04 | - 0.07 | - 0.21 | 0.04 | 1 | 1.09 | |||||||
PM | - 0.11 | 0.00 | 0.13 | - 0.04 | - 0.02 | 1 | 1.19 | ||||||
SO | 0.21 | 0.18 | - 0.10 | 0.18 | 0.05 | - 0.13 | 1 | 1.27 | |||||
T | 0.19 | 0.03 | - 0.00 | - 0.07 | - 0.00 | - 0.34 | 0.27 | 1 | 1.43 | ||||
D | - 0.16 | - 0.20 | 0.18 | - 0.19 | - 0.13 | - 0.07 | - 0.22 | 0.03 | 1.17 | ||||
L | - 0.04 | - 0.20 | - 0.13 | 0.28 | - 0.00 | 0.08 | 0.02 | - 0.23 | - 0.12 | 1 | 1.20 | ||
OC | 0.18 | 0.04 | - 0.10 | 0.01 | - 0.01 | - 0.13 | 0.27 | 0.22 | - 0.09 | - 0.08 | 1 | 1.14 | |
CAE | 0.03 | - 0.04 | - 0.12 | 0.13 | 0.03 | - 0.17 | 0.20 | 0.27 | - 0.09 | - 0.01 | 0.08 | 1 | 1.16 |
Les corrélations de Pearson et les tests de VIF des variables explicatives
27 Les résultats économétriques ont été obtenus d'un modèle Logit et d’un modèle Tobit. Le modèle de régression Logit est un modèle qualitatif où la variable dépendante prend des valeurs discrètes. Dans notre cas, elle prend la valeur 1 si l’entreprise utilise des produits dérivés et 0 si l’entreprise n’utilise pas ces produits. Le modèle Tobit permet de traiter les discontinuités des variables. Il permet de traiter simultanément les valeurs nulles et les valeurs continues positives, tout en tenant compte de la distinction qualitative discutée plus haut [2].
28 Le modèle logistique s’écrit comme suit :
29 Le modèle Tobit s’écrit comme suit :
30 où la variable yi* = xi_ + ui est aléatoire du fait de la présence du terme ui.
31 _ est le vecteur des coefficients des variables dépendantes xi. Le modèle estimé s’écrit comme suit :
32 Les variables présentées dans l’équation (1) sont celles discutées dans la section (3) et ? est un terme d’erreur. Nous testons, également, les déterminants de l’utilisation de chacun des types de produits dérivés en remplaçant dans l’équation (1) la variable binaire représentant l’utilisation de n’importe quel type de produits dérivés (DG) par les variables binaires (DC) et (DT) qui représentent, respectivement, l’utilisation des produits dérivés de change et l’utilisation des produits dérivés de taux.
3.1. Les résultats univariés
33 Le tableau 6 rapporte la moyenne des variables explicatives pour les utilisateurs des produits dérivés et les non-utilisateurs. La significativité statistique de la différence de la moyenne entre les deux groupes se base sur le test t de Student.
34 Dans l’ensemble, nos résultats sur les différences entre les utilisateurs et les non-utilisateurs des produits dérivés, concordent avec les résultats des études antérieures. En effet, le tableau 6 montre que les entreprises qui utilisent des produits dérivés ont plus de reports fiscaux des pertes, ce qui corrobore le résultat de G. Gay et J. Nam (1998) et H. Berkman, M. Bradbury, P. Hancock et C. Innes (2002). Par ailleurs, les entreprises françaises non-financières couvertes sont plus endettées que celles non couvertes, ce qui confirme les résultats de G. Gay et J. Nam (1998), D. Haushalter (2000), H. Berkman, M. Bradbury, P. Hancock et C. Innes (2002) et S. Bartram, G. Brown et F. Fehle (2009). Les résultats dévoilent également que les dirigeants français des entreprises utilisant des produits dérivés détiennent des stock-options. Un résultat conforme à ceux de C. Géczy, B. Minton et C. Schrand (1997), G. Gay et J. Nam (1998), D. Haushalter (2000), J. Knopf, J. Nam et J. Thornton (2002) et S. Bartram, G. Brown et F. Fehle (2009). Nous constatons aussi que les entreprises utilisant des produits dérivés sont plus exposées aux risques de change puisqu’elles ont un chiffre d’affaires plus important réalisé à l’étranger. Conformément au résultat de S. Bartram, G. Brown et F. Fehle (2009), les entreprises françaises non-financières couvertes utilisent plus d’obligations convertibles. De plus, les entreprises utilisant les produits dérivés sont plus grandes, ce qui est en accord avec les résultats de la plupart des études empiriques (D. Nance, C. Smith et C. Smithon, 1993 ; C. Géczy, B. Minton et C. Schrand, 1997 ; D. Haushalter, 2000 ; H. Berkman, M. Bradbury, P. Hancock et C. Innes, 2002 et S. Bartram, G. Brown et F. Fehle, 2009).
Tests de différence des moyennes et des médianes des variables explicatives
Variables | Utilisateurs | Non-Utilisateurs | p-value | |||
Moy | Med | Moy | Med | Stat-t | Wilcoxon | |
Reports fiscaux des pertes | 0.63 | 1 | 0.36 | 0 | 0.000 | 0.000 |
Endettement | 0.81 | 0.50 | 0.40 | 0.17 | 0.001 | 0.000 |
Couverture des frais financiers | 1.50 | 1.62 | 2.14 | 2.41 | 0.044 | 0.002 |
R&D/ventes | 2.99 | 0.21 | 2.35 | 0 | 0.353 | 0.035 |
VM/VC | 3.65 | 1.89 | 3.29 | 2.03 | 0.694 | 0.337 |
Actions détenues par les managers | 0.20 | 0.05 | 0.32 | 0.26 | 0.002 | 0.004 |
Stock-options | 0.78 | 1 | 0.49 | 0 | 0.000 | 0.000 |
Taille de l’entreprise | 7.18 | 6.80 | 5.25 | 5.04 | 0.000 | 0.000 |
Rendement de dividende | 1.55 | 1.54 | 1.73 | 1.04 | 0.425 | 0.901 |
Ratio de liquidité | 0.96 | 0.81 | 1.71 | 1.22 | 0.000 | 0.000 |
Obligations convertibles | 0.20 | 0 | 0.06 | 0 | 0.008 | 0.008 |
Chiffre d’affaires à l’étranger | 0.33 | 0.34 | 0.19 | 1.12 | 0.000 | 0.000 |
Tests de différence des moyennes et des médianes des variables explicatives
35 Les résultats indiquent également que les entreprises couvertes disposent de moins de liquidité que les entreprises non couvertes, ce qui confirme les résultats de D. Nance, C. Smith et C. Smithon (1993), P. Tufano (1996), C. Géczy, B. Minton et C. Schrand, (1997), H. Berkman, M. Bradbury, P. Hancock et C. Innes (2002) et S. Bartram, G. Brown et F. Fehle (2009). Contrairement aux hypothèses théoriques déjà avancées, les utilisateurs ont moins de capital détenu par les dirigeants. Un résultat empirique conforme à ceux de G. Gay et J. Nam (1998), D. Haushalter (2000) et H. Berkman, M. Bradbury, P. Hancock et C. Innes (2002). Pour le reste des variables, les résultats empiriques permettent de conclure qu’il n’y a pas de différence significative entre les entreprises couvertes et celles non couvertes.
3.2. Les résultats multivariés
36 Les tableaux 7 et 8 fournissent les coefficients estimés des deux modèles Logit et Tobit (les p-values des coefficients sont présentés entre parenthèses).
37 Concernant les résultats du modèle Logit (Tableau 7), la décision de couverture des entreprises qui utilisent n’importe quel type de produit dérivé (de change et/ou de taux) est affectée par six variables. Les reports fiscaux des pertes et les dépenses en R&D jouent à la hausse sur la probabilité de couverture des risques, ce qui confirme, respectivement, l’argument fiscal et l’hypothèse des coûts de sous investissement. La distribution de stock-options influe positivement sur la décision de couverture, ce qui confirme le résultat de S. Bartram, G. Brown et F. Fehle (2009). La détention des liquidités joue à la baisse sur la probabilité d’utilisation des produits dérivés, ce qui corrobore les résultats empiriques de C. Géczy, B. Minton et C. Schrand (1997) et S. Bartram, G. Brown et F. Fehle (2009). Enfin, le chiffre d’affaires réalisé à l’étranger et la taille de l’entreprise ont un impact positif sur la décision de couverture des risques, ce qui confirme la plupart des résultats des études antérieures.
Estimation des coefficients des modèles Logit
Variables | Signe attendu | Modèle 1 VD = Tous | Modèle 2 VD = Change | Modèle 3 VD = Taux |
Constante | - 2.9084 (0.001) | - 3.1757 (0.000) | - 3.5503 (0.000) | |
Reports fiscaux des pertes | + | 1.0319 (0.001) | 0.3973 (0.183) | 0.8850 (0.003) |
Endettement | + | 0.2117 (0.341) | 0.1590 (0.350) | 0.5269 (0.021) |
Couverture des frais financiers | - | - 0.0146 (0.803) | 0.0213 (0.697) | - 0.0212 (0.713) |
R&D/ventes | + | 0.0524 (0.061) | 0.0470 (0.065) | - 0.0141 (0.640) |
VM/VC | + | - 0.0011 (0.935) | 0.0089 (0.607) | - 0.0015 (0.903) |
Actions détenues par les managers | + | - 0.2532 (0.645) | - 0.3907 (0.477) | - 0.1415 (0.802) |
Stock-options | ? | 0.7672 (0.019) | 0.7460 (0.024) | 0.7298 (0.031) |
Taille de l’entreprise | ? | 0.4565 (0.000) | 0.3324 (0.001) | 0.4747 (0.000) |
Rendement du dividende | ? | - 0.0053 (0.949) | 0.0369 (0.657) | 0.0032 (0.970) |
Ratio de liquidité | - | - 1.1620 (0.000) | - 0.9592 (0.001) | - 1.0730 (0.002) |
Obligations convertibles | ? | 0.1499 (0.760) | 0.4793 (0.270) | - 0.5437 (0.196) |
Chiffre d’affaires à l’étranger | + | 2.8415 (0.000) | 3.8550 (0.000) | 0.8865 (0.194) |
Log L | - 140.743 | - 151.479 | - 149.957 | |
LR ?2 (12) | 150.04 | 140.34 | 138.39 | |
P > ?2 (12) | 0.000 | 0.000 | 0.000 | |
Pseudo R2 | 0.347 | 0.316 | 0.316 |
Estimation des coefficients des modèles Logit
38 Les résultats du deuxième modèle qui considère seulement les entreprises utilisant des produits dérivés de change sont similaires à ceux du premier modèle, sauf que la variable reports fiscaux des pertes n’est plus significative.
39 Le troisième modèle qui considère seulement les entreprises qui utilisent des produits dérivés de taux confirme les résultats trouvés pour les variables stock-options, taille et liquidité. Par ailleurs, les reports fiscaux des pertes et l’endettement jouent à la hausse sur la probabilité de couverture, ce qui corrobore respectivement l’argument fiscal et l’hypothèse des coûts de la détresse financière. Ce dernier résultat est conforme à ceux de S. Howton et S. Perfect (1998), D. Haushalter (2000), H. Berkman, M. Bradbury, P. Hancock et C. Innes (2002) et S. Bartram, G. Brown et F. Fehle (2009).
40 Concernant les résultats du modèle Tobit (Tableau 8), nous remarquons que les trois modèles permettent de dégager des relations statistiquement significatives entre le niveau d’utilisation des produits dérivés et les variables stock-options, taille et liquidité. Les entreprises françaises non-financières de grande taille, disposant de liquidités et distribuant des stock-options à leurs dirigeants, sont plus susceptibles d’adopter des stratégies de couverture de risque. Néanmoins, nous soulignons quelques spécificités concernant le risque de taux d’intérêt et le risque de change.
41 En effet, le modèle (2) indique que l’intensité de couverture par les produits dérivés est liée positivement avec les opportunités de croissance et le chiffre d’affaires réalisé à l’étranger conformément aux prédictions théoriques. L’explication est évidente. Les entreprises exposées plus au risque de change vont se couvrir en utilisant des dérivés de change.
42 Enfin, nous remarquons que les reports fiscaux des pertes et l’endettement exercent un effet significatif et positif sur le niveau d’utilisation des produits dérivés de taux. Les entreprises ayant un endettement élevé sont plus exposées au risque de taux c’est pourquoi elles s’orientent vers les dérivés de taux. Ce résultat corrobore les hypothèses de la fiscalité et du coût de la détresse financière.
Conclusion
43 Le débat théorique sur les déterminants de la gestion des risques suggère que l’utilisation des produits dérivés à des fins de couverture est liée aux imperfections du marché comme l’existence d’impôts, les coûts de faillite, les coûts de transaction ou encore les conflits d’intérêts entre les stakeholders. Dans cette étude, nous testons ces théories sur un échantillon de 320 entreprises françaises non-financières pour l’année 2001 et nous analysons l’utilisation des produits dérivés par type de risque.
44 Nos principaux résultats se résument dans les points suivants. Tout d’abord, nous avons identifié trois déterminants communs de la décision de couverture pour les entreprises françaises quel que soit le type de risque. En effet, nous confirmons l’hypothèse des coûts de transaction liés aux opérations de couverture puisque, plus l’entreprise est grande, plus elle est incitée à prendre la décision de couverture. Par ailleurs, la présence et l’utilisation des stock-options influencent positivement la décision de se couvrir par les produits dérivés dans le cas des entreprises françaises. Les dirigeants de ces entreprises cherchent à sécuriser leurs gains en développant des stratégies de couverture. Enfin, et en cohérence avec l’argument des contraintes de financement, plus le ratio de liquidité réduite de l’entreprise est élevé, moins cette dernière est incitée à se couvrir contre les risques.
Estimation des coefficients des modèles Tobit
Variables | Signe attendu | Modèle 1 VD = tous | Modèle 2 VD = change | Modèle 3 VD = taux |
Constante | - 0.5971 (0.000) | - 0.4516 (0.000) | - 0.4897 (0.000) | |
Reports fiscaux des pertes | + | 0.0403 (0.417) | - 0.0128 (0.687) | 0.0725 (0.080) |
Endettement | + | 0.0283 (0.185) | 0.0130 (0.327) | 0.0302 (0.066) |
Couverture des frais financiers | - | - 0.0023 (0.801) | 0.0046 (0.405) | - 0.0097 (0.236) |
R&D/ventes | + | 0.0082 (0.054) | 0.0074 (0.005) | 0.0076 (0.848) |
VM/VC | + | 0.0007 (0.735) | 0.0009 (0.500) | 0.0003 (0.860) |
Actions détenues par les managers | + | 0.0086 (0.928) | - 0.0258 (0.677) | 0.0507 (0.527) |
Stock-options | ? | 0.1152 (0.046) | 0.0782 (0.046) | 0.1036 (0.032) |
Taille de l’entreprise | ? | 0.0689 (0.000) | 0.0300 (0.001) | 0.0614 (0.000) |
Rendement du dividende | ? | 0.0068 (0.644) | 0.0112 (0.244) | 0.0023 (0.851) |
Ratio de liquidité | - | - 0.1429 (0.003) | - 0.0566 (0.041) | - 0.1713 (0.001) |
Obligations convertibles | ? | - 0.0504 (0.435) | - 0.0150 (0.714) | - 0.0332 (0.522) |
Chiffre d’affaires à l’étranger | + | 0.3322 (0.003) | 0.3965 (0.000) | 0.0334 (0.727) |
Log L | - 154.338 | - 59.758 | - 115.86 | |
LR ?2 (12) | 99.42 | 100.72 | 97.08 | |
P > ?2 (12) | 0.000 | 0.000 | 0.000 | |
Pseudo R2 | 0.243 | 0.457 | 0.295 |
Estimation des coefficients des modèles Tobit
45 Ensuite, nous corroborons l’argument de la fiscalité puisque la variable des reports fiscaux des pertes explique la décision de couverture. Plus cette variable est élevée, plus l’entreprise est incitée à utiliser les produits dérivés pour gérer ses risques. Néanmoins, cette observation semble concerner plus les entreprises utilisant les produits dérivés de taux. Ces mêmes entreprises sont plus amenées à se couvrir dans le cas où elles présentent un endettement élevé.
46 Enfin, les résultats de la variable des dépenses en recherche et développement nous permettent de soutenir la thèse des coûts de sous-investissement. Plus ces dépenses sont élevées exprimant ainsi un potentiel de croissance future de l’entreprise, plus l’entreprise a recours aux produits dérivés pour se couvrir. De même, ce résultat semble concerner plus les entreprises utilisant les produits dérivés de change. La probabilité de couverture pour ces mêmes entreprises augmente quand le chiffre d’affaires à l’étranger augmente. En définitive, l’objectif de notre article est d’isoler les déterminants qui expliquent significativement la décision de couverture à l’aide des produits dérivés. Dans le cadre du marché français, nous avons montré que les variables de stock-options, de taille et de liquidité déterminent d’une manière significative la décision de couverture. Une analyse plus fine permet d'ajouter à ces trois variables, soit la fiscalité et l’endettement dans le cas des produits dérivés de taux, soit les dépenses en R&D et le chiffre d’affaires à l’étranger dans le cas des produits dérivés de change.
47 Cette étude vient enrichir les études empiriques jusqu’alors peu abondantes sur la couverture des risques des entreprises françaises. Plusieurs possibilités d’extension peuvent être envisagées. Nous retenons une proposition qui consiste à intégrer la structure de propriété et de contrôle pour déterminer quelles sont les personnes qui profitent de la couverture des risques dans le cadre des conflits d’intérêts entre les parties prenantes.
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : Produits dérivés, Couverture, Gestion des risques
Mise en ligne 11/04/2011
https://doi.org/10.3917/rsg.245.0119Notes
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[1]
Ces statistiques sont disponibles sur les sites de International Swaps and Derivatives Association (www.isda.org) et Bank for international settlements (www.bis.org).
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[2]
Le modèle de probabilité linéaire estimé avec les moindres carrés ordinaires, largement utilisée en finance empirique, ne répond pas à ces contraintes.