Couverture de RSG_229

Article de revue

Consommation et développement durable

Vers une segmentation des sensibilités et des comportements

Pages 51 à 59

Notes

  • [1]
    Voir notamment les campagnes Carrefour, Toyota, General Electric en 2005/2006.
  • [2]
    Cronbach, L.J., (1951), “Coefficient Alpha and the Internal Structure of Tests “, Psychometrika, 16, 297-334.
  • [3]
    On entend par une définition précise la possibilité pour un répondant d’énumérer les trois dimensions classiques du développement durable .
  • [4]
    Corinne Gendron et Jean-Pierre Revéret (2000), Le développement durable, Economies et Sociétés, Série F, n°37, p 111-124.
  • [5]
    Aujourd’hui, comme le suggère Sylvie Brunel, le concept de développement est discrédité et renvoyé aux oubliettes, avec comme principal corollaire une érosion continue de l’aide au développement constatée depuis le début de la décennie 1990 (Sylvie Brunel (2004), Le développement durable, Que sais-je ? Collection PUF P10).

1 Emergeant au tournant des années 90 en bénéficiant de la mondialisation de la société civile et économique, le développement durable est un concept brandi aujourd’hui par une multitude d’acteurs différents : Etats, entreprises, ONG ou institutions internationales. Si la plupart des chercheurs déplorent une absence normative des approches théoriques et applicatives du développement durable, sa vulgarisation auprès du grand public est néanmoins en marche. En effet, la multiplication des problèmes environnementaux et sociaux (travail des enfants, catastrophes climatiques, pollution, crises alimentaires, peak oil…), l’intégration contrainte ou choisie des valeurs du développement durable au sein des entreprises (rapport de développement durable, réflexions sur la responsabilité sociale et les « Stakeholders »…), ainsi que l’utilisation dans les approches commerciales de slogans s’y référant directement [1] contribuent à la diffusion rapide du concept.

2 Le consommateur doit à juste titre être considéré comme un des acteurs majeurs de la mise en œuvre d’un développement économique plus harmonieux, écologiquement respectueux des ressources naturelles, et socialement équitable. D’abord en tant que citoyen, il est directement concerné par les approches réglementaires et incitatives mises en œuvre par les collectivités territoriales (tri sélectif, économies d’énergie). Il reste aussi en prise directe avec tous les événements et phénomènes climatiques et économiques, relayés par des réseaux d’information et de communication devenus globaux.

3 Ensuite, en tant que consommateur, acheteur et client des produits et services mis sur le marché, il reste une « partie prenante » incontournable que les entreprises doivent cerner et satisfaire. À ce titre, il paraît donc essentiel de comprendre les modalités de pénétration du concept de développement durable dans l’esprit de ce consommateur-citoyen, et d’en identifier les principales répercussions au niveau comportemental.

4 Cet article constitue une étape exploratoire nécessaire qui doit permettre de mieux circonscrire la compréhension du concept et sa traduction dans la sphère de consommation. Une première partie permettra de resituer les différents courants théoriques, mettant en avant l’évolution d’une consommation plus sociétale. Deux phases d’études qualitative et quantitative serviront de références à la partie trois, et permettront de préciser de quelle manière les valeurs du développement durable s’intègrent aujourd’hui dans les esprits et les comportements. L’objet de cette contribution est de proposer des éléments de réflexion pour les acteurs économiques, qu’ils soient collectivités, associations ou entreprises, face à un mouvement fortement médiatisé dont les contours sont encore à construire.

1. Cadre théorique : Le développement durable, concept unificateur des courants de consommations plus responsables

5 Depuis quelques années, une ré-appropriation de la sphère microéconomique par les citoyens est constatée. Ces nouvelles approches se déclinent sous différentes bannières comme l’économie solidaire, la finance responsable ou encore le développement local. Parallèlement, des mouvements plus globaux de consommation responsable émergent. Au-delà des deux formes historiques distinctes de consumérisme politique que sont le commerce de solidarité Nord-Sud orchestré par les communautés religieuses, et les pratiques de boycott, la consommation responsable investit donc aujourd’hui plus directement le domaine économique. Elle a pour objectif aujourd’hui de transposer de façon récurrente les valeurs et les opinions des consommateurs dans la sphère marchande (C. Gendron et alii 2005).

6 Elle intègre les valeurs de vie du citoyen dans ses achats en imposant d’analyser la transaction commerciale au-delà du simple référentiel prix et qualité. Jusqu’à présent, ni la théorie économique traditionnelle ni la nouvelle théorie du consommateur n’ont réussi à prendre pleinement en compte la dimension sociale et environnementale de la consommation, même si les sociologues ont mis depuis longtemps en évidence des comportements dictés par des considérations qui échappent à la rationalité théorique de l’Homo œconomicus.

7 Afin de recenser les différentes postures théoriques de cette consommation et de mieux appréhender les liens existant entre consommation responsable et développement durable, nous étudierons plus précisément les trois principaux courants de recherche qui se sont succédés ou entrecroisés en sciences de gestion au cours des dernières décennies. Caractérisée par une grande diversité des pratiques, la consommation responsable mobilise en effet différents soubassements théoriques que sont la consommation éthique, la consommation écologique ou verte et la consommation socialement responsable.

1.1. La consommation éthique, un mouvement précurseur

8 Dans la mouvance du courant de l’éthique des affaires et de l’entreprise observé aux Etats-Unis durant la décennie 1990, de nombreuses recherches conceptuelles et empiriques sur les questions liées à l’éthique se sont multipliées en privilégiant une approche firme ou management. Cependant, si l’approche consommateur est restée minoritaire, les travaux de N.C. Smith (1990), de J.A. Muncy et S.J. Vittel (1992) et de Holbrook (1994) ont permis de circonscrire le concept de consommation éthique, mais également d’initier des questionnements sur la responsabilité du consommateur vis-à-vis de la société en général. Selon N.C. Smith (1990), consommer « éthique » signifie consommer en accord avec les principes d’une société, et implicitement agir conformément à ce qui est reconnu comme « bien ». Pour J.A. Muncy et S.J. Vittel (1992), la consommation éthique se mesure par le degré d’honnêteté du comportement d’un individu dans la sphère de consommation. Pour ses auteurs, l’éthique de la consommation désigne « les principes et standards moraux qui guident le comportement d’individus ou de groupes lorsqu’ils acquièrent, utilisent ou disposent de biens et services. ». Quant à Holbrook (1994) il propose une définition plus restrictive : « la consommation a une valeur éthique lorsque le consommateur a un comportement actif de poursuite de moralité, orienté vers les autres et intrinsèque, dans la mesure où la vertu est sa propre récompense ». Bien que la littérature portant sur la consommation éthique reste en grande partie normative et vise essentiellement à établir les comportements éthiques et non-éthiques de consommateurs, les recherches effectuées ont permis de soulever certains questionnements relatifs aux liens existants entre consommation et valeurs d’honnêteté, d’intégrité, de souci de soi et des autres, et de solidarité. Parallèlement à ce courant théorique, une littérature plus prolixe est apparue sur le thème de la consommation écologique permettant d’explorer le lien entre le volet environnemental et la consommation.

1.2. Les approches controversées de la consommation verte et écologique

9 Dans les années 1970, les premiers travaux académiques sur les relations entre consommation et environnement se centralisent sur l’identification des caractéristiques déterminantes de l’individu préoccupé par la protection de l’environnement. Dans ce cadre, deux courants de recherche vont évoluer conjointement : le premier centré sur le lien entre préoccupation pour l’environnement (traduction de l’expression « environmental concern ») et comportement écologique, le second, plus extrémiste, polarisé sur l’avènement d’une « Société de conservation » (Conserver Society). Dans le premier courant de recherche s’inscrivent les travaux de T.C. Kinnear, J.-R. Taylor et Ahmed (1974) portant sur le rôle de la consommation personnelle de l’individu dans la détérioration de l’environnement. Ces auteurs adaptent le concept de responsabilité sociale à l’environnement et tentent d’identifier la conscience sociale de l’individu à l‘égard de l’environnement. Ils définissent le consommateur préoccupé par l’écologie comme un individu devant « adopter un comportement d’achat cohérent avec la conservation des écosystèmes » et explorent la relation entre les caractéristiques socio-économiques et psychologiques des consommateurs et leur préoccupation pour l’environnement (PPE). Cependant, les résultats des recherches sur le concept de préoccupation pour l’environnement sont loin d’être homogènes. Conjointement, d’autres chercheurs, (S.C. Grunert et H.J. Juhl 1991) faisant référence à l’attitude pour caractériser la PPE s’appuient sur la notion d’externalité propre aux économistes, en démontrant que l’individu préoccupé par l’environnement, essaie par son comportement de minimiser les coûts négatifs pour l’environnement. Ces différentes approches vont donc au-delà du simple acte d’achat. Comme le résume J.-L. Giannelloni (1998), « la consommation est un acte dont les conséquences sur l’environnement peuvent être multiples, et le consommateur préoccupé pour l’environnement intègre cette complexité dans sa décision ». Au sein de ce courant, sont également développées des recherches portant sur la conceptualisation du marketing vert sous ces différents aspects (W.E. Kilbourne 2004). Le second courant de recherche fait référence à l’approche conservationniste qui privilégie l’arrêt de la croissance économique et le retour à un état stationnaire. Le concept de société de conservation repose sur la perception d’un monde fini bénéficiant de ressources limitées et non renouvelables. Ainsi, ce courant propose l’avènement d’une société de conservation, où l’on pourrait maintenir, voire améliorer, son niveau de vie, tout en consommant moins ou différemment (K. Valaskis et al 1979). Pour atteindre cet objectif, G. Fisk (1973) préconise une limitation de la consommation individuelle, appelée « consommation responsable », prenant en compte les impératifs écologiques. Les recherches engagées sur les thématiques de la consommation environnementale ou écologique ont permis de mieux appréhender les ancrages psychologiques et socio-démographiques des consommateurs préoccupés par la question de l’environnement. Néanmoins les principales valeurs du développement durable ont véritablement été intégrées dans le courant de recherche s’inscrivant dans la consommation socialement responsable, thème de recherche mettant en avant l’aspect pluridisciplinaire des problèmes soulevés par le concept de développement durable.

1.3. La consommation socialement responsable, pendant micro économique du développement durable

10 Les premiers travaux sur ce thème émanent de F. Webster au milieu des années 1970, et s’appuient sur les recherches réalisées en sociologie sur la responsabilité sociale des individus (L. Berkowitz et K.G. Lutterman 1968). Selon F. Webster (1975), le consommateur socialement responsable est « une personne qui prend en compte les conséquences publiques de sa consommation privée, et qui essaie d’utiliser son pouvoir d’achat pour induire des changements dans la société ». À partir de cette recherche, les travaux sur ce thème se segmentent entre les chercheurs qui exposent une vision large de la consommation socialement responsable prenant en considération plusieurs dimensions (F. Webster 1975, J. Roberts 1995, A. François-Lecompte 2003) et les autres qui réduisent cette notion à l’achat selon le degré de responsabilité sociale de l’entreprise (L. Mohr, D. Webb et K. Harris 2001, M. Carrigan et A. Attala 2001, S. Sen et C.B. Bhattacharya 2001, T. Brown et P. Dacin 1997). Estimant que les échelles de mesure se concentrent sur les attitudes et les comportements des consommateurs liés à l’environnement, J. Roberts (1995) envisage donc la consommation socialement responsable sous deux dimensions : la dimension environnementale et la dimension sociale, et définit le consommateur socialement responsable comme étant « celui qui achète des biens ou des services qu’il perçoit comme ayant un impact positif (ou moins mauvais) sur son environnement, et qui utilise son pouvoir d’achat pour exprimer ses préoccupations sociales ». Néanmoins, malgré la multiplication des recherches se focalisant sur l’étude des déterminants de l’achat et des typologies de consommateurs, ce concept reste flou du fait de l’hétérogénéité des mesures et de l’absence de stabilité des résultats d’une recherche à une autre. En outre, les objets de recherche se sont essentiellement polarisés sur la fidélité (achat de produits engagés), sur le boycott (N.C. Smith 1987, M. Friedman 1999) ou sur le boycott au détriment des recherches sur les comportements de défection (Ozçaglar- Toulouse 2005).

11 Pour chacun des courants analysés, les auteurs ont donc tenté d’approcher les facettes d’une prédisposition générale positive des individus ayant des répercussions en matière de comportement de consommation. Mais on ne peut que déplorer des divergences théoriques souvent étroites entre les concepts étudiés. En définitive, cette incursion exponentielle de la mobilisation sociale dans la sphère marchande à partir des années 1990 est concomitante au déploiement et à la popularité du concept de développement durable. Face aux nouveaux enjeux environnementaux, sociaux et économiques et au problème de régulation inhérent au processus de mondialisation, il est possible de considérer que la notion de développement durable apparaît comme un des principaux facteurs canalisant cette résurgence d’une consommation intégrant des aspects écologiques, sociaux et économiques. Sa propagation descendante en matière de notoriété conduit inévitablement de nombreux citoyens à réfléchir aux valeurs véhiculées par celui-ci et à les intégrer potentiellement dans leurs attitudes ou comportements.

12 Dans cet article, nous considérerons que la notoriété et la diffusion des valeurs mises en avant par le mouvement du développement durable font partie des facteurs permettant d’unifier ces différents courants de consommation. En évitant les dérives parcellaires centrées sur un seul versant de cette consommation (consommation verte, éthique du consommateur, intégration des valeurs de RSE dans le choix des produits), il permet de transcender ces approches et d’inscrire les nouvelles formes de consommation dans un environnement qui va au-delà de la simple sphère de la consommation. En considérant en effet les trois piliers conceptuels classiques de ce mouvement (économique, social et environnemental), la référence directe faite à ce concept doit replacer le consommateur dans un contexte de citoyenneté et de principes collectifs suffisamment vaste. Elle doit aussi amener à mieux appréhender les dissonances observées entre les attitudes d’un citoyen et les comportements du consommateur.

2. Méthodologie de la recherche

2.1. La phase qualitative

13 La compréhension de l’intégration d’un concept qui s’avère à la fois riche et « fourre-tout » nécessite un travail de terrain en profondeur, qui doit permettre d’étudier des idées, des logiques et des pratiques qui ne se livrent pas à l’observateur sur la base d’un seul questionnaire. Nos objectifs de recherche nécessitant une analyse des représentations et des pratiques en cours, nous avons privilégié des entretiens individuels dans la sphère familiale auprès des individus de plus de 18 ans. Au sein de chaque famille, les différents membres (soit au total 124) étaient interrogés individuellement. Le mode de sélection des interviewés adopté est celui des quotas avec comme principales variables la catégorie socioprofessionnelle, l’âge et le sexe. Le sujet de la recherche nous exposait à de nombreux biais liés à une désidérabilité sociale forte. Nous avons donc exclu l’entretien de groupe et choisi l’interview individuelle en profondeur. Les interviewés devaient préciser de façon spontanée l’ensemble des représentations associées au concept de développement durable, et détailler ce qu’il signifie en terme d’actions possibles. L’objectif était de faire ressortir les bases sur lesquelles se met en place une sensibilité aux valeurs du développement durable. À l’issue de cette première phase, vingt-sept items ont été développés portant sur des aspects à la fois attitudinaux et comportementaux.

2.2. La phase quantitative

14 À la suite de ces résultats, une seconde phase a eu pour objet de vérifier les principales dimensions de l’échelle permettant de définir le consommateur sensibilisé au développement durable, et de mesurer la nature des relations entre celle-ci et les pratiques comportementales précédemment recensées. Les interviews que nous avons réalisés comportent majoritairement des femmes et des individus ayant un niveau d’éducation et des catégories socioprofessionnelles supérieurs à la moyenne nationale. Il s’agit d’un échantillon de convenance. 270 questionnaires seront ainsi analysés. Pour distinguer ces items attitudinaux ainsi que des regroupements potentiels entre les items comportementaux, l’analyse exploratoire en composante principale a été menée avec rotation Varimax et normalisation de Kaiser. Par la suite, la fiabilité inter-items a été calculée pour chaque dimension identifiée en utilisant l’alpha de Cronbach [2] (1951), calculé à partir des résultats des analyses factorielles réalisées. Afin d’étudier la force des relations entre les variables, des analyses de corrélations (coefficient de corrélation de Pearson, significativité de la relation par un test en t, et probabilité inférieure ou égale à 5 %) ont ensuite été menées. Plusieurs tests de comparaison de moyenne entre les variables ainsi identifiées (test en t et Anova à un facteur entre les variables de sensibilité et les caractéristiques socio-démographiques des individus ont été réalisés pour approfondir les résultats obtenus, mais n’ont finalement donné aucun résultat significatif.

3. Résultats

3.1. L’intégration spontanée des valeurs du développement durable

15 Dans cette seconde partie, nous allons essayer de comprendre comment l’idée du développement durable fait son chemin chez les individus.

16 Les résultats de l’analyse qualitative mettent en relief la difficulté pour les citoyens d’appréhender le concept de développement durable. Si une grande majorité des répondants parvient à donner un sens général au concept, ce dernier fait surtout appel à des notions abstraites de développement et de durabilité que la majorité des répondants ne maîtrise pas. En effet, peu d’individus interrogés ont une idée précise de ce que signifie l’expression développement durable [3] : ainsi, les trois facettes du concept sont rarement citées (8 cas). Sur un total de 124 réponses à la question « Pour vous, qu’évoque la notion de développement ? », 20 répondants ne connaissent absolument pas l’expression et 11 évoquent les notions de long terme ou de durable sans précisément les rattacher à des domaines particuliers avec des réponses succinctes et intuitives du type : « le long terme », « c’est créer quelque chose qui va perdurer », « les investissements à long terme », « un développement qui est durable »…. Cependant, les définitions recueillies démontrent l’existence d’un certain consensus autour des problématiques environnementales. L’analyse de contenu montre la domination d’une facette principale : la protection de l’environnement et la préservation de la nature. Les verbatims suivants sont le reflet des représentations identifiées : « Cela représente pour moi la possibilité d’exploiter les biens de façon à ne pas abîmer ni à exploiter sauvagement la terre », « réduire l’exploitation des ressources non renouvelables », « je pense en premier aux énergies renouvelables », « cela évoque pour moi tout ce qui est tri, effet de serre », « la notion de développement durable consiste à pouvoir développer l’économie sans entamer les ressources à long terme et la survie de la planète », « c’est la protection de l’environnement pour les générations futures », « tout ce que l’on peut faire aujourd’hui pour éviter la pollution de la planète », « c’est la possibilité de donner aux générations futures la même possibilité de jouir des ressources de la planète que nous », « l’utilisation raisonnée de l’énergie et des matières premières », « le développement des industries tout en respectant l’environnement et en réduisant les émissions toxiques et les déchets »… Cette sur-représentation écologique est très probablement le fruit d’une forte mobilisation médiatique et d’une inquiétude grandissante relayée par les crises récentes : gestion de la catastrophe de Tchernobyl, multiplication des nuisances et des catastrophes environnementales (canicules, inondations, pollution de l’air et de la mer…). Ces résultats vont dans le sens de nombreuses observations, qui mettent en avant la coexistence d’une double crise dans la conscience collective (crise de confiance dans la science et crise dans la régulation publique des risques notée par Y. Barthe, M. Callon, et P. Lascoumes 2001), à « une décapitalisation sur le futur » (O. Badot et B. Cova 1992), ou encore à une « dés-idéalisation » provoquée par le fait que le progrès technique n’est plus synonyme de « mieux vivre ».

17 En revanche, bien que primordiale dans la vie quotidienne des individus, « la dimension sociale intérieure », focalisée sur les problèmes socio-économiques nationaux (chômage, délocalisations…) est en partie occultée et reste peu associée au concept. Toutefois, une partie non négligeable des définitions se centralisent sur l’aide aux pays en voie en développement, la résolution des problèmes structurels et la recherche d’équité dans les échanges commerciaux internationaux : « Aider les pays pauvres à vivre de ce qu’ils produisent, leur donner la possibilité de vivre en commercialisant ce qu’ils produisent », « c’est éviter les migrations de populations, donc faire travailler les gens sur place dans de meilleures conditions », « permettre aux pays du sud de se développer », « le développement des pays pauvres », « aider les pays pauvres pour faire disparaître la pauvreté dans le monde », « le commerce équitable »… Ce groupe de réponses sur les inégalités croissantes entre les pays et le non-développement des pays du sud démontre l’émergence dans la définition du développement durable d’une dimension économico-sociale tournée vers ces pays. Cette dimension reste minorée comparativement à la dimension environnementale lors des évocations spontanées des répondants, mais elle suggère que la prise de conscience à ce sujet n’est plus simplement l’apanage de citoyens alter-mondialistes mais concerne des individus de tout type.

18 L’analyse des résultats démontre aussi que le terme « développement » enregistre un défaut de clarté conceptuelle. La médiatisation des problèmes environnementaux d’une part et l’impuissance ou le désengagement des pays du nord dans la résolution des problèmes structurels des pays du sud confirmerait l’idée, qu’aujourd’hui l’environnement devient la nouvelle nature du développement (G. Rist 2001). Comme le soulignent Corinne Gendron et Jean-Pierre Reveret [4], « … Dans l’expression, la durabilité semble n’être qu’un qualificatif accroché à un substantif qui a fait, et fait toujours l’objet d’une abondante littérature en sciences sociales. Or, étonnamment, la notion de développement durable s’est propagée de façon autonome, sans que l’arrimage avec le substantif soit toujours fait. Il semble exister un ancrage plus fort avec le monde de l’environnement qu’avec celui du développement. ». Cette primauté des questions environnementales identifiée est aussi le reflet des discours des hommes politiques et des instances internationales qui disqualifient aujourd’hui le concept même de développement [5]. »

3.2. La sensibilité au développement durable comme clé d’entrée des comportements responsables

19 Dans cette partie, nous présentons les résultats des statistiques descriptives, de l’analyse en composante principale, et des matrices de corrélation, permettant de valider la mesure de la sensibilité au développement durable ainsi que ses influences sur des modes d’actions et de comportements responsables. Les approches théoriques du consommateur par le biais de dimensions psychologiques ne sont pas nouvelles en soi, même si elles n’abordent que partiellement le thème du développement durable en tant que tel. Pour faire le lien entre la compréhension psychologique de l’individu/consommateur et le développement durable, il est donc nécessaire de se référer aux courants parallèles étudiés précédemment : protection de l’environnement et consommation citoyenne. Dans ces travaux, l’individu est défini sous l’angle de sa sensibilité ou de sa préoccupation à l’égard de l’environnement (environmental concerned consumer, ecologically concerned consumer) ou de la société (socially conscious consumer, ethical consumer). Certains identifient plusieurs facettes qui expliquent chacun de ces construits. Par exemple, J.-L. Giannelloni (1998) différencie trois composantes : la gravité perçue des problèmes, le comportement lié à l’environnement et le soutien des actions gouvernementales en faveur de l’environnement, et précise que cela nécessite des instruments de mesure distincts. L’intérêt de ces travaux est d’approcher par des voies convergentes mais non exhaustives les éléments qui vont caractériser la relation consommateur / développement durable, avec une focalisation sur le consommateur écologique. Si les résultats sont loin d’être homogènes, ils permettent de déduire que la préoccupation du consommateur à l’égard de perspectives collectives et sociétales fait généralement référence à une conscience de certaines idées ou valeurs, à l’expression d’une sensibilité réelle et à un désir d’agir (A.G. Christensen 1999, M. Le Gall 2002, L. Draetta 2003). Même s’il reste logique de penser qu’une certaine ambivalence entre les discours et les actes, ou encore la sensibilité et les comportements persiste, le fait de considérer la sensibilité comme un déclencheur central du comportement peut difficilement être remis en cause (H. Gierl et S. Stumpp 1999). La compréhension d’une sensibilité basée sur les valeurs du développement durable peut donc légitimement être considérée comme une clef d’entrée potentielle de la compréhension des comportements d’achat dits « responsables ».

20 Dans cette perspective, les entretiens qualitatifs ont permis de générer un ensemble d’items représentatifs d’une sensibilité générale au développement durable, et d’actions et comportements s’y référant. Ces items de sensibilité montrent un individu conscient des problèmes écologiques, qui s’oriente vers une recherche d’équité dans les rapports Nord / Sud, les échanges commerciaux internationaux et les droits de l’Homme. Ils présentent aussi un individu tout à fait capable d’envisager un changement politique et économique dans le mode de développement actuel. Pour les items comportementaux, il est apparu impératif d’intégrer non seulement des actes liés à la consommation, que l’on peut qualifier de « marchands », et des modes de fonctionnement s’intégrant dans la vie quotidienne plutôt « non marchands ».

21 L’analyse des résultats de la phase quantitative fait ensuite apparaître clairement trois formes d’orientations distinctes de la sensibilité, qui confirment son caractère non homogène (tableau 1). Le premier facteur qui revêt un poids très supérieur aux deux autres montre un individu orienté vers la dimension sociale et les problèmes de pauvreté. Le second se focalise sur les problèmes de pollution et les aspects environnementaux. Enfin, le troisième reste axé sur une idée de changement économique à la fois général en terme de développement, et concernant plus spécifiquement les acteurs du marché que sont les entreprises et les distributeurs. Il faut noter que chacune de ces dimensions s’appuient sur l’un des trois piliers théoriques et fondateurs du concept (économique, environnemental et social). Le fait de retrouver un axe économique homogène sous cette forme montre que, pour une partie des individus, une prise de conscience concernant l’inadéquation de notre mode de développement actuel tend à se développer.

22 Dans un second temps, les relations entre la sensibilité au développement durable et les comportements identifiés comme « responsables », ont été testées. Sur la base des entretiens qualitatifs, deux groupes de comportement ont été constitués. D’un côté, on distingue les comportements « non marchands » relevant de la vie quotidienne et ne nécessitant pas une démarche sélective d’achat à l’égard d’un tiers (comme les actions relatives aux économies d’énergie et aux petits gestes quotidiens qui ont été conservées dans cette catégorie). De l’autre côté, les actes ayant un lien direct avec des produits et des acteurs opérant sur le marché sont considérés comme « marchands ».

23 Le premier constat montre que des relations significatives existent bien entre la variable générale « sensibilité au développement durable » et l’ensemble des actions et comportements répertoriés (voir tableau 2). Pour le groupe des « non marchands », il faut noter que les items les plus significativement corrélés avec la variable de sensibilité sont d’abord les actions sociales, puis dans une moindre mesure les actions écologiques, qui demandent un degré d’effort personnel globalement supérieur. Pour le groupe des items « marchands », on retrouve en premier lieu des actions relevant d’une forme de vigilance de consommation (boycott de marques, lecture des étiquettes, sélectivité des fournisseurs), puis des engagements plus impliquants, notamment en terme de prix supérieur à payer ou de limitation de sa propre consommation. Enfin, les relations entre la sensibilité au développement durable, l’agriculture biologique et les distributeurs qui proposent du commerce équitable apparaissent comme les moins significatives.

Tableau 1

Les trois dimensions de la sensibilité au développement durable (résultats de l’analyse en composante principale)

Facteur 1 Facteur 2 Facteur 3
% de variance expli
quée totale : 50,3
31,5 % 9,9 % 8,9 %
Les problèmes de pauvreté dans
les pays en voie de développement
me préoccupent beaucoup
La pollution a aujourd’hui des répercus
sions importantes en France
Je pense que les industries doivent
tout faire pour réduire leurs déchets et
leurs émissions toxiques
Je pense qu’il faut réduire les
écarts de niveaux de vie des
populations dans le monde
Pour assurer un avenir à nos enfants,
nous devons limiter la pollution quelle
qu’elle soit
Il faut obliger les fabricants et les
distributeurs à s’occuper du recyclage
des produits
Nos gouvernements devraient
activement aider les pays les plus
pauvres pour faire disparaître la
pauvreté dans le monde
Les problèmes de pollution affectent
aujourd’hui ma région
Il faut prôner un développement
économique, capable de concilier les
besoins des hommes et la préser
vation des équilibres écologiques et
sociaux
Le commerce équitable est la
meilleure solution pour les pays
du Sud
Il faut réduire l’exploitation des
ressources non renouvelables (pétrole,
gaz…)
Notre mode de développement doit
être reconsidéré afin d’assurer le bien-
être des générations futures
Interprétation Orientation sociale Orientation environnementale Orientation économique
figure im1

Les trois dimensions de la sensibilité au développement durable (résultats de l’analyse en composante principale)

24 Classement selon la valeur du coefficient de corrélations, et avec un degré de significativité inférieur à 0,01 (sauf pour l’item marqué d’une étoile (*) : p < 0,05).

25 Des analyses plus détaillées ont ensuite été menées entre les trois facteurs de la sensibilité au développement durable et les items de comportement. Elles montrent que la nature de la sensibilité conditionne des types de comportement plus marqués. Sans surprise, la sensibilité sociale est directement corrélée avec une majorité d’actes sociaux (relations avec les associations luttant contre la pauvreté, être prêt à payer plus cher les produits pour un commerce plus équitable…). De même, la sensibilité environnementale se retrouve reliée à des comportements plutôt écologiques (recyclage, gestes d’économie, limitation de sa consommation, tri sélectif). Par contre, la dimension « sensibilité économique » qui se rapproche significativement du plus d’items, reste inopérante pour le commerce équitable, le tri sélectif ou les efforts financiers. Elle revêt un caractère plus général, sans orientations comportementales trop colorées, contrairement aux deux autres. Il faut noter aussi que certains items se retrouvent indifféremment dans chacune des sensibilités (par exemple, éviter de prendre sa voiture). Ce qui montre aussi une certaine transversalité des attitudes et comportements. Le tableau 3 met en évidence l’ensemble de ces résultats.

Tableau 2

Les comportements responsables (marchand / non marchand) et leur relation avec la variable générale « sensibilité au développement durable »

Classement
par ordre croissant
Non marchands Marchands
1 Je m’informe et je soutiens les organisations qui luttent
contre la pauvreté
Je pense que si je boycotte les marques qui ne respectent
pas les droits de l’homme, j’ai un pouvoir d’action réel
2 Je m’investis dans les associations qui luttent contre
l’exclusion
Je prends toujours le temps de lire les étiquettes pour
mieux m’informer sur les produits et leur fabrication
3 J’évite de faire du tourisme dans les pays qui ne respectent
pas les droits de l’Homme
J’essaye de privilégier les producteurs locaux
4 J’essaye d’avoir des petits gestes quotidiens (arrêter l’eau,
éteindre l’électricité, rouler moins vite…), pour préserver
l’environnement
Je suis prêt à payer plus cher pour avoir des produits sans
risque pour la santé
5 Pour limiter la pollution en ville, j’évite de prendre ma
voiture quand c’est possible
J’essaie de limiter ma consommation à ce dont j’ai
vraiment besoin
6 Je recycle les produits et leur conditionnement dès que je
peux
Je suis prêt à payer plus cher les produits pour que se
mette en place un commerce plus équitable entre tous les
pays
7 Je participe au tri sélectif en triant le mieux possible mes
déchets
Je privilégie les produits issus de l’agriculture biologique
8 Je privilégie les magasins qui proposent des produits du
commerce équitable*
figure im2

Les comportements responsables (marchand / non marchand) et leur relation avec la variable générale « sensibilité au développement durable »

Tableau 3

Les comportements responsables selon leur relation avec chacune des trois dimensions de la « sensibilité au développement durable »

Classement par
ordre croissant
Orientation sociale Orientation environnementale Orientation économique
1 S’informer et soutenir les organisations
qui luttent contre la pauvreté
Recycler les produits et leur conditionne
ment dès que c’est possible
Essayer de privilégier les producteurs
locaux
2 S’investir dans les associations qui
luttent contre l’exclusion
Essayer d’avoir des petits gestes quoti
diens (arrêter l’eau, éteindre l’électricité,
rouler moins vite…), pour préserver
l’environnement
Prendre toujours le temps de lire les
étiquettes pour mieux m’informer sur
les produits et leur fabrication
3 Etre prêt à payer plus cher les produits
pour que se mette en place un
commerce plus équitable entre tous les
pays
Penser que si je boycotte les marques
qui ne respectent pas les droits de
l’homme, j’ai un pouvoir d’action réel
Penser que si je boycotte les marques
qui ne respectent pas les droits de
l’homme, j’ai un pouvoir d’action réel
4 Pour limiter la pollution en ville, éviter de
prendre la voiture quand c’est possible
Essayer de limiter ma consommation à
ce dont j’ai vraiment besoin
Eviter de faire du tourisme dans les
pays qui ne respectent pas les droits de
l’Homme
5 Eviter de faire du tourisme dans les
pays qui ne respectent pas les droits de
l’Homme
Participer au tri sélectif en triant le mieux
possible mes déchets
S’informer et soutenir les organisations
qui luttent contre la pauvreté
6 Etre prêt à payer plus cher pour avoir des
produits sans risque pour la santé
S’informer et soutenir les organisations
qui luttent contre la pauvreté
Pour limiter la pollution en ville, éviter
de prendre la voiture quand c’est
possible
7 Prendre toujours le temps de lire les
étiquettes pour mieux s’informer sur les
produits et leur fabrication
Pour limiter la pollution en ville, éviter de
prendre la voiture quand c’est possible
S’investir dans les associations qui
luttent contre l’exclusion.
8 Essayer d’avoir des petits gestes quoti
diens (arrêter l’eau, éteindre l’électri
cité, rouler moins vite…), pour préserver
l’environnement
9 Recycler les produits et leur conditionne
ment dès que c’est possible
figure im3

Les comportements responsables selon leur relation avec chacune des trois dimensions de la « sensibilité au développement durable »

26 Enfin, pour vérifier les modes d’interaction des variables étudiées, l’influence de chacune de ces trois dimensions sur trois groupes de comportement différents (comportements non marchands sociaux, comportements non marchands écologiques, comportements marchands) a été testée. Les résultats vont dans le sens des résultats précédents et montrent que les comportements non marchands, sociaux et écologiques, sont respectivement expliqués par la sensibilité sociale et environnementale. Par contre, les comportements marchands sont plus directement relatifs à la sensibilité sociale d’une part, et économique d’autre part. Ce qui donne à la sensibilité environnementale un caractère plus « citoyen », orientée vers des actions tangibles de la vie quotidienne, et qui reste moins directement reliée à des comportements d’acheteur.

27 Classement selon la valeur du coefficient de corrélations, et avec un degré de significativité inférieur à 0,01 ou 0,05.

Conclusion

28 Si de nombreux acteurs reconnaissent la place importante ou nécessaire de la consommation dans la diffusion du concept de développement durable et sa mise en œuvre, peu de travaux sont centrés spécifiquement sur les mécanismes individuels et psychologiques et sur leurs incidences comportementales. L’objectif de cet article était d’identifier les relations éventuelles entre les comportements des individus et les valeurs du développement durable en vue d’une intégration plus judicieuse de ses évolutions au sein des processus de mise en œuvre de la responsabilité sociale des entreprises.

29 L’analyse des résultats montre que ce concept s’inscrit aujourd’hui dans la conscience des individus, et qu’il est possible de considérer qu’une sensibilité individuelle émerge. De plus, elle distingue trois orientations distinctes (sociale, environnementale et économique), qui peuvent potentiellement constituer trois segments de consommateurs dont les aspirations et les comportements vont différer.

30 L’exploration de la dimension psychologique du développement durable permet aussi d’identifier des relations positives avec une liste de comportements que l’on peut qualifier de responsables. Il est incontestable que la nature de ces comportements reste majoritairement orientée vers des actions quotidiennes et simples déconnectées des produits (ex : économie d’énergie, tri sélectif, investissement associatif, recherche d’informations…). Cependant, l’établissement de liens directs avec certains comportements d’achat laisse supposer qu’une intégration plus transversale du concept est en marche. Même s’il reste nécessaire de minimiser la portée des comportements actuels, la recherche laisse entrevoir une capacité de mobilisation des individus à la fois en tant que citoyen et consommateur.

31 Les implications managériales accréditent l’intérêt d’une mise en place effective de structures ou de fonctions travaillant sur une meilleure connaissance du client/citoyen. Il paraît envisageable de trouver des interactions stratégiques et marketing sur la base de segmentations nouvelles basées sur ces sensibilités et sur les comportements identifiés. L’intégration organisée de cette nouvelle donne du marché au sein des processus d’innovation devient une piste qu’il semble aujourd’hui judicieux de ne pas occulter. Sur le plan de la communication, les entreprises et les sociétés devront composer avec une prise de conscience qui devient tangible, et peut se traduire en actes d’achat ou de non achat. Par extension, il paraît important de bien doser l’utilisation du concept en tant qu’outil de communication pour ne pas engendrer des réactions négatives de la part des consommateurs/citoyens.

32 Sur le plan conceptuel, la représentation classique des parties prenantes peut s’envisager sous le jour nouveau de ces nouveaux comportements. Le client redécouvert dans les années 90 comme centre stratégique de l’entreprise, mérite ainsi d’être pris sous un angle plus global qui inclurait l’individu et le citoyen. Ces diverses facettes restent aujourd’hui souvent contradictoires (recherche de prix bas et commerce équitable), mais elles peuvent potentiellement s’unifier sous la poussée de problèmes environnementaux ou économiques futurs.

33 Ce travail présente cependant certaines limites. Il faut noter que l’étude a été menée après plusieurs campagnes de communication basées sur les problèmes écologiques et sur le commerce équitable, ce qui a probablement introduit un biais dans la construction des variables. D’autre part, son objectif était d’approfondir la conceptualisation des principales dimensions de la sensibilité au développement durable mais sans aboutir à une échelle finalisée. À terme, de nouvelles recherches devront permettre l’identification plus définitive de cette notion. D’autre part, il peut s’avérer intéressant de confronter cette dimension à des types de produits différents (produits touristiques, produits ménagers, produits jetables et technologiques), à des marques ou à des entreprises clairement identifiées. Enfin, il faut noter que l’ensemble des items comportementaux sont de nature intentionnelle, et mérite une confirmation comportementale plus directe.

34 Cet article se veut avant tout exploratoire mais permet d’augurer d’une diffusion des valeurs du développement durable chez les consommateurs, même si le concept en lui-même manque encore d’une compréhension complète et précise. Il remet en cause l’idée préconçue et largement diffusée à l’intérieur même des entreprises de son obsolescence ou de sa désintégration. Au contraire, la compréhension plus précise de ces contours par les individus génère une cristallisation de nombreuses actions et comportements jugés jusqu’alors épars et sans liens directs. Il montre encore des modes d’action prédominants plutôt citoyens, mais commencent peu à peu à être reliés aux entreprises et à leur mode de fonctionnement. S’il paraît encore nécessaire de minimiser la portée actuelle des comportements, notamment en matière de répétitions d’actes et d’habitudes d’achat, il est judicieux de considérer que des répercussions comportementales sont à même de se révéler, et qu’elles méritent donc d’être anticipées et accompagnées par les organisations.

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Mots-clés éditeurs : éthique, comportement du consommateur, Développement durable, consommation socialementresponsable

Mise en ligne 01/05/2011

https://doi.org/10.3917/rsg.229.0051

Notes

  • [1]
    Voir notamment les campagnes Carrefour, Toyota, General Electric en 2005/2006.
  • [2]
    Cronbach, L.J., (1951), “Coefficient Alpha and the Internal Structure of Tests “, Psychometrika, 16, 297-334.
  • [3]
    On entend par une définition précise la possibilité pour un répondant d’énumérer les trois dimensions classiques du développement durable .
  • [4]
    Corinne Gendron et Jean-Pierre Revéret (2000), Le développement durable, Economies et Sociétés, Série F, n°37, p 111-124.
  • [5]
    Aujourd’hui, comme le suggère Sylvie Brunel, le concept de développement est discrédité et renvoyé aux oubliettes, avec comme principal corollaire une érosion continue de l’aide au développement constatée depuis le début de la décennie 1990 (Sylvie Brunel (2004), Le développement durable, Que sais-je ? Collection PUF P10).
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