Notes
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Ce travail est tiré d’une étude portant sur les alliances euro- méditerranéennes, effectué pour le compte de la FEMISE (contrat n° 990101) et en collaboration avec le laboratoire ADIS de l’université Paris Sud.
1 La question de la dynamique d’alliances industrielles interenterprises enclenchée par les accords de libre-échange entre l’Union Européenne et certains pays du pourtour méditerranéen (Tunisie, Maroc, Algérie, Israël, Egypte) est au cœur de nombreuses polémiques. Certains mettent en avant le rôle moteur de ces alliances tant dans le décollage des pays du Sud que dans la consolidation de l’interdépendance économique régionale euro-méditerranéenne. D’autres, en revanche, soulignent la fragilité du dispositif qui serait très largement due à la faiblesse des transferts de compétences réalisées entre les partenaires. Dans ce contexte, le processus de démantèlement tarifaire engagé dans ces pays, se traduisant par l’ouverture de leurs marchés après une période de transition, ne serait pas sans effet sur la pérennité de ces accords.
2 En s’appuyant sur l’analyse de 56 alliances contractées par des entreprises européennes avec des entreprises tunisiennes et égyptiennes, la recherche [1] que nous présentons ici contribuera à nourrir le débat sur les modalités de coopération euro-méditerranéenne. Nous mettrons en évidence non seulement les formes d’accords contractés ainsi que les finalités recherchées mais également les modalités de transfert de capacités technologiques et managériales opérées par les partenaires.
1. Spécificités des alliances stratégiques nord-sud
3 L’internationalisation des marchés a accéléré le rapprochement inter-entreprises motivé par la nécessité de mettre en commun des ressources financières, humaines ou encore des savoir-faire. Les finalités poursuivies peuvent être très différentes et portent, soit sur la recherche et le développement de procédés et de produits, soit sur des cessions ou des échanges de licences (transfert de technologie en échange de droits), soit enfin, sur le processus de production ou de commercialisation (F. Chesnay 1988, F. Contractor et P. Lorange 1988, Hagedoorn 1990). Nous mettrons en évidence les différentes formes de partenariat possibles ainsi que les différentes modalités de transfert de compétences nord-sud et les dynamiques d’apprentissage qui leur sont associées.
1.1. Formes d’alliances inter-entreprises
4 En contractant des accords avec leurs homologues du Nord, les entreprises du Sud cherchent essentiellement à accéder à des marchés étrangers et à mettre à niveau leurs équipements et leurs méthodes de gestion. Pour rattraper leurs retards, celles-ci ont recours à différentes formes de partenariat avec des entreprises étrangères telles que les Investissements Directs Etrangers (IDE), les joint-ventures ou les accords de sous-traitance. Les IDE et les joint-ventures représentent, en effet, les supports de transfert les plus courants. La joint-venture peut s’assimiler à une filiale détenue pour partie par l’entreprise du Nord lui permettant d’exploiter des ressources naturelles, de réduire ses coûts ou d’accéder à des marchés étrangers. L’entrée dans le réseau d’une entreprise du Nord constitue en même temps pour de nombreuses entreprises du Sud une occasion privilégiée pour bénéficier de l’expérience, des compétences et des débouchés de leur partenaire permettant d’enclencher une dynamique d’apprentissage rapide. Si une simple relation de sous-traitance peut suffire dans bon nombre de cas, le choix de ce type d’accord s’explique essentiellement par le recours à des processus technologiques complexes et spécifiques.
5 La sous-traitance peut représenter, par ailleurs, un mécanisme informel de transfert de technologie. Celle – ci peut être assimilée à de la « quasi-intégration » dans la mesure où le sous-traitant est intégré dans une relation beaucoup plus spécifique qu’une simple relation de marché (M. Aoki, 1988). II existe au moins trois types de sous-traitance (T. Nishiguchi, 1994) : l’assemblage et le sous-assemblage, la production de composants, la production ponctuelle. L’assemblage total nécessite l’intégration la plus forte avec des équipements et une expertise spécifiques. L’exemple de l’Asie du Sud-Est a montré l’importance de la sous-traitante dans le développement et le rattrapage économique de pays tels que la Corée du Sud (I. Kim, 1999).
6 De grandes entreprises à l’instar de Hyundai, sont ainsi passées de la sous-traitance simple, à la conception des produits et des procédés, pour aboutir à la production de biens sous leur propre marque. Ce passage d’une phase à l’autre soulève la question essentielle de la part importée des composants intervenant dans l’assemblage, dans la mesure où, plus cette part est importante, moins la valeur ajoutée du partenaire local est significative.
7 Les transferts de technologie entre firme principale et sous-traitants peuvent ainsi se réaliser au niveau de la conception et de l’adaptation des produits, du processus de production ou plus encore au niveau du management à travers des accords de licence. Force est de constater qu’il y a peu de différences entre la dépendance résultant de la sous-traitance et celle résultant d’un accord de licence, dans la mesure où, dans les deux cas, le partenaire local reste tributaire des capacités technologiques de son homologue du Nord.
1.2. Transfert de compétences technologiques et managériales et dynamique d’apprentissage
8 La spécificité des alliances technologiques Nord-Sud réside dans le fait que le type d’accord et le degré de connaissances nouvelles créées dépendent de la capacité d’absorption du partenaire du Sud. Ainsi, l’accord s’appuiera d’autant plus sur un transfert unilatéral de technologies existantes que la capacité d’absorption du partenaire du Sud est faible et que la technologie est préalablement incorporée dans les équipements ou les composants à assembler. Selon le degré de développement des entreprises du Sud, les accords suivent un continuum allant de transferts d’équipements permettant le simple assemblage de produits vers des accords portant sur la conception commune des biens ou plus encore visant à créer de nouvelles technologies (L. Kim, op. cit.).
9 Le rattrapage dépend très largement de la stratégie de l’entreprise du Nord et de la capacité de son homologue du Sud à exploiter et à maîtriser des technologies intensives en connaissance et en capital. En s’appuyant sur l’exemple des entreprises du sud-est asiatique spécialisées dans l’électronique, M. Hobday (1995) montre que le processus d’acquisition de technologies passe par différentes phases. Celui-ci commence par de simples tâches telles que l’assemblage très intensif en main-d’œuvre et évolue progressivement vers des processus de recherche et de développement formalisés. Les innovations de processus n’interviennent qu’une fois que les savoir-faire en matière de production sont assimilés (M. Hobday 1993).
10 La nature et l’intensité du transfert effectué sont ainsi très largement tributaires de contraintes tant institutionnelles et financières que du potentiel technologique et managérial du partenaire local (S. Radosevic 1999). Plus généralement, on peut supposer que le transfert de compétence s’appuie sur un processus qui passe de la production au design de produit avant d’aboutir aux capacités de R & D (L. Kim op. cit.). Makhija et Ganesh (1997) soulignent l’importance des processus organisationnels qui accompagnent le transfert de compétence entre les partenaires et préconisent d’allouer des ressources spécifiques aux processus d’apprentissage.
11 D. Ariffin et M. Bell (1997) développent, pour leur part, une taxonomie des relations entre filiales et firmes multinationales. Ces derniers distinguent les liens qui portent avant tout sur les transactions de marché et ceux qui sont davantage liés à l’innovation. Ils établissent, en outre, une distinction entre les liens fondés sur l’utilisation des compétences que les entreprises possèdent déjà et celles qui contribuent à la création de nouvelles compétences :
- les liens marketing/production correspondent à des relations de marché reposant sur l’utilisation de capacité de production existantes ;
- les liens d’apprentissage centrés sur la production reposant sur une dynamique d’apprentissage qui sont utilisés pour créer ou accroître les compétences en matière de production ;
- les liens d’innovation à travers lesquels les entreprises collaborent en recherche et développement mais également sur la conception de nouveaux produits et procédés ;
- les liens d’apprentissage centrés sur l’innovation où les entreprises créent de nouvelles capacités d’innovation.
13 Caractérisées par des capacités d’apprentissage et de potentiel d’innovation différents, les entreprises du Sud s’engagent, en même temps qu’elles contractent des accords de partenariat, dans une démarche d’apprentissage des pratiques et des savoir-faire de leur homologues du Nord. On distingue, à cet égard, trois types d’apprentissage possibles : le « learning-by doing », le « learning-by-using » et le « learning-by-interacting ». Si ces types d’apprentissage ne sont pas spécifiques aux alliances, exception faite de l’apprentissage interactif, chacun joue un rôle particulier dans le processus de coopération.
14 Le learning-by-doin permet aux entreprises d’acquérir, en pratiquant une nouvelle activité et en l’expérimentant, des savoirs spécifiques et plus ou moins tacites (Zuscovitch, 1993). Le learning-by-using complète le premier type d’apprentissage et caractérise en particulier les accords de coopération verticaux à travers lesquels la définition des caractéristiques du produit, du procédé intermédiaire ou de l’équipement à fabriquer est arrêtée en fonction de l’utilisation qui en est faite par le partenaire. Enfin, le « learning-by-interacting » s’appuie sur les deux précédents. Il s’agit d’un mode d’apprentissage développé par B.A. Lundvall (1985, 1988). Ce dernier s’est intéressé en particulier aux relations entre utilisateurs et producteurs de technologie, pour la mise au point de biens aux exigences très précises. Les utilisateurs professionnels interviennent dans la définition des caractéristiques de performance et réalisent des améliorations avant et au cours de l’installation de nouvelles machines. Pour enclencher une dynamique d’apprentissage, les partenaires sont conduits à développer des codes communs permettant une interaction plus efficace dans la durée.
15 Les alliances nord-sud s’apparentent bien évidemment davantage à des accords verticaux de type utilisateurs-producteurs (B.A. Lundvall 1988). Les entreprises ont généralement besoin d’assistance technique pour la conception et la production de produits à l’aide d’équipements importés. Les éléments transférés sont le plus souvent des supports de la technologie et non pas la technologie elle-même. Ces supports renvoient à des outils de gestion et à des procédés de production ou de travail. La nature et l’intensité de ces transferts vont dépendre de la capacité d’apprentissage de l’entreprise et du degré d’interaction entre les partenaires. Plus le niveau de développement de l’entreprise du Sud est faible et plus l’accord aura pour objet d’assurer son rattrapage technologique en s’appuyant sur une réplication, plus ou moins à l’identique, de processus et de produits existants.
2. Analyse des accords euro-méditéranéens : le cas de la Tunisie et de l’Egypte
16 Notre étude se propose d’explorer la spécificité des accords euro-méditerranéens à travers l’analyse de 56 accords contractés par des entreprises européennes avec des entreprises tunisiennes et égyptiennes. Nous avons ainsi privilégié des entretiens semi-directifs sous la forme de guide d’entretien avec les dirigeants des entreprises du Sud. Après avoir présenté l’échantillon retenu, nous mettrons en évidence la spécificité de ces accords et les enseignements susceptibles d’être tirés en termes de pilotage des alliances nord-sud.
2.1. Présentation des terrains d’investigation
17 L’échantillon retenu représente différents types d’accords recensés dans les statistiques officielles (pour la Tunisie) ou connus par les ambassades européennes (pour l’Egypte). Ces deux échantillons ne prétendent pas représenter toutes les configurations d’accord existantes dans chacun de ces deux pays. En effet, les statistiques officielles ne rendent pas compte de la diversité des formes d’alliances. Elles n’incluent, par exemple, pas les alliances de type contractuel (sans prise de participation, sans IDE et sans aide de l’État du Sud à l’instar des programmes de Mise à Niveau).
18 Dans les deux échantillons, la plupart des accords sont des accords de sous-traitance, de licence ou de joint-venture et, dans bon nombre de cas, des combinaisons diverses de ces trois formes. Les enquêtes ont montré que le nombre et le rôle des partenaires impliqués dans la relation d’alliance varient d’un cas à l’autre. Certaines alliances se limitent à deux partenaires, comme dans le cas d’une PME locale qui s’allie à une (ou plusieurs) PME européennes ; ces alliances reposent sur des relations plutôt personnelles entre le PDG-actionnaire local et la direction de l’entreprise européenne. D’autres alliances avec de grandes entreprises européennes reposent sur des relations plus formelles entre le dirigeant de l’entreprise locale et les responsables des départements compétents de l’entreprise étrangère. On note, enfin, une dernière forme d’alliance renvoyant à des joint – ventures associant des partenaires locaux et étrangers.
19 Les différents types d’accord représentés dans notre échantillon sont présentés dans le schéma suivant :
Type d’accord | Tunisie | Egypte |
Sous-traitance seule | 11 | 1 |
Licence seule | 8 | 5 |
Joint-venture | 11 | 20 |
Total | 30 | 26 |
20 Dans les deux échantillons, les entreprises de taille moyenne dominent, puisque 40 d’entre elles ont de 100 à 500 salariés et les 16 autres ont plus de 500 salariés. Ces entreprises, plus grandes que la moyenne dans chaque pays, sont plus susceptibles de s’engager dans des accords avec des partenaires étrangers en raison de leur assise financière et de leur importante capacité de production. La majorité des alliances des deux échantillons concerne d’ailleurs des secteurs industriels non traditionnellement à forte intensité en capital. Le tableau suivant présente les différents secteurs d’activité décrits par ces accords. La forte représentation des industries de deuxième génération à l’instar des secteurs de la métallurgie ou de l’électronique s’explique par le fait que les entreprises européennes, tout en se recentrant sur les activités de recherche et de développement dans leurs pays d’origine, cherchent à tirer profit de certaines conditions favorables dans les pays du Sud de la méditerranée et notamment de coûts de production particulièrement compétitifs. En délocalisant leurs technologies arrivées à maturité, celles-ci externalisent certaines de leurs activités les moins rentables.
2.2. Résultats de la recherche
21 Les déclarations recueillies au cours des entretiens effectués ont été synthétisées par thème pour les besoins de notre étude. Pour mieux appréhender la spécificité des accords euro-méditerranéens, nous analyserons ici les incitations à coopérer, les mécanismes de transfert de compétences technologiques et managériales liés à la forme de l’accord, qu’il s’agisse de relations de sous-traitance, de relations de licence ou d’accord de joint venture.
2.2.1. Finalités recherchées par les partenaires
22 Les entreprises européennes recherchent, à travers la négociation d’accords de partenariat, la recherche de nouveaux marchés ou l’élargissement des marchés existants. Elles visent l’exportation ou la vente locale au travers de transferts des technologies arrivées à maturité.
23 En délocalisant la production de produits finis ou semi-finis, ces dernières cherchent à bénéficier d’avantages de coûts de main-d’œuvre (pour l’exportation) ou à contourner les barrières douanières (pour le marché local).
24 Cette délocalisation porte, en Tunisie, sur des productions intensives en main-d’œuvre à l’instar du textile et en Egypte, sur la production de biens arrivés à maturité afin de tirer profit d’une législation favorisant l’assemblage ou la production locale en substitution des importations.
25 Les incitations des entreprises tunisiennes semblent essentiellement orientées vers la recherche d’une garantie de marchés à l’exportation par l’intermédiaire d’accords de sous-traitance. Les entreprises qui produisent pour le marché local sous leur propre marque recherchent avant tout l’expertise de leur partenaire en matière de production et de conception de produits pour étendre leur gamme de produits et/ou élargir leurs compétences.
26 En revanche, les alliances ont été contractées en Egypte, pour l’essentiel au milieu des années 1980, suite à l’imposition de protections douanières visant à développer une industrie locale de substitution aux importations. Ces protections varient aujourd’hui de 160 % (assemblage automobile) à 5 % (équipements électriques). Les accords sont ainsi essentiellement centrés sur la production pour le marché local égyptien.
27 II s’agit dans la majorité des cas d’accords de délocalisation de production intermédiaire, dont l’importation est rendue moins compétitive par des droits de douanes élevés ou par des coûts des transports onéreux. Toutefois, les entreprises égyptiennes cherchent à négocier auprès de leurs partenaires du Nord des parts de marché à l’exportation en faisant valoir leurs avantages de coûts liés notamment aux bas salaires.
Secteurs d’activité représentés | Tunisie | Egypte | Total |
Chimie, caoutchouc, verrerie | 7 | 1 | 8 |
Industrie mécanique et électrique et électronique | 8 | 6 | 14 |
Textile, cuir, chaussure | 6 | 1 | 7 |
Agroalimentaire | 6 | 1 | 7 |
Informatique, technologie de l’information | 4 | _ | 4 |
Automobile et véhicules de transports | _ | 6 | 6 |
Equipement (traitement de l’eau) | _ | 5 | 5 |
Métallurgie et traitement des métaux | _ | 5 | 5 |
Total | 31 | 25 | 56 |
2.2.2. Nature du transfert et forme de l’accord
28 Il ressort de notre investigation que la nature du transfert effectué va dépendre de la forme de l’engagement contractuel et peut, soit porter sur la recherche et le développement de procédés et de produits, soit reposer sur des cessions de licence (transfert de technologie en échange de droits), soit enfin, toucher la production ou la commercialisation. Dans les relations de sous-traitance, le partenaire du Sud apparaît comme un simple exécutant coupé du processus de conception du produit. Les exigences des partenaires du Nord vis-à-vis de leurs partenaires du Sud portent essentiellement sur le respect des engagements tarifaires, de la qualité et des délais de livraison. Certains accords de sous-traitance sont toutefois caractérisés par un engagement beaucoup plus important de la part du partenaire du Nord du point de vue financier et humain pour pallier les lacunes et les insuffisances du partenaire local. Le volet managérial, la gestion du personnel et l’organisation du travail semblent relégués au second plan, dans la mesure où les relations établies entre les partenaires sont davantage des relations de marché que de véritables relations de coopération.
29 On constate, en revanche, dans les accords de licence contractés avec les entreprises tant égyptiennes que tunisiennes un transfert des capacités technologiques et managériales qui porte sur les procédés de fabrication ainsi que sur les techniques de commercialisation relatives aux produits cédés. Cette appropriation est d’autant plus prégnante lorsque l’entreprise locale coopère avec un partenaire étranger sur un produit, une activité ou un segment qu’elle-même réalise par ailleurs. C’est le cas notamment des produits agroalimentaires, cosmétiques, hygiéniques, des équipements électriques, des pièces et équipements de véhicules.
30 Le transfert de savoir-faire technologique et managérial est toutefois plus développé dans les joint-ventures que dans les simples accords de licence. L’importance du transfert est due entre autres au rôle structurant des cadres expatriés qui supervisent le personnel local et contribuent à induire une dynamique d’apprentissage collectif. Toutefois, certains managers locaux notamment égyptiens leur reprochent de vouloir imposer leurs méthodes de travail sans tenir compte des spécificités culturelles propres au pays d’accueil. En outre, il est important de faire remarquer que les technologies transférées dans le cadre des joint-ventures sont essentiellement des technologies intermédiaires. L’entreprise du Nord joue à cet égard un rôle déterminant dans le choix de la technologie et dans le développement des procédés de production. En Egypte, seules deux alliances comprennent un projet de transfert de la R & D au profit de l’entreprise locale sur des produits spécifiques. Ces deux alliances sont également celles où la part dans le chiffre d’affaires réalisé à l’exportation est particulièrement important (respectivement 50 % et 65 %). Il s’agit en fait d’accords hybrides qui reposent sur une sous-traitance associée à une prise de participation au capital du partenaire du Nord et associés à des transferts de technologie et de compétences significatifs.
31 Ces relations inter-firmes nord-sud engendrent globalement des dynamiques positives au sein des entreprises du Sud induisant des capacités organisationnelles, technologiques et managériales nouvelles. Pour autant, la quasi inexistence de centres de recherche et de développement au sein des entreprises du Sud réduit considérablement le type et l’intensité du transfert effectué, freinant par la même leur capacité à pérenniser les processus de changement engagés.
2.3. Mise en perspective des résultats
32 Si les transferts de compétences ne constituent pas clairement la finalité affichée mais un effet induit des accords Nord-Sud, il n’en demeure pas moins qu’ils constituent une condition essentielle au renforcement de la compétitivité des firmes du Sud. Toutefois, ces transferts ne sont possibles que si les firmes disposent de capacités d’absorption adéquates (W.M. Cohen et D.A. Levinthal 1990). Ces dernières peuvent être appréhendées à travers essentiellement deux dimensions, à savoir la capacité d’assimiler les technologies transférées (qualité de l’équipement, normes et standards de production) et les compétences managériales et organisationnelles véhiculées par l’entreprise du Nord (qualification de la main-d’œuvre, taux d’encadrement, aspects culturels tels que la discipline, la langue, etc.).
33 Au-delà des deux dimensions citées plus haut, la capacité d’absorption renvoie à l’aptitude de l’entreprise à enclencher un processus d’apprentissage susceptible de favoriser l’assimilation des connaissances existantes mais aussi de nature à générer des connaissances nouvelles. Il ressort de notre investigation que la capacité d’absorption est d’autant plus élevée que l’entreprise est dotée, préalablement à la recherche d’un partenaire, d’un certain potentiel technologique et organisationnel à l’instar des entreprises produisant sous leur propre marque. Les connaissances nécessaires pour assimiler et utiliser des technologies associées à des productions ou des produits intensifs en main-d’œuvre ne sont évidemment pas les mêmes que celles requises par des procédés complexes de haute technologie très intensive en capital.
34 Dans la plupart des cas, le transfert est unilatéral en faveur du partenaire local et concerne avant tout la production de produits finis ou semi-finis. Le partenaire européen transfère une technologie générique le plus souvent arrivée à maturité et fournit les spécifications de l’usine, des machines, des produits et composants tout en assurant la formation du personnel. Force est de constater que la nature du transfert est limitée, dans la mesure où la conception du produit reste du ressort des partenaires européens. On note toutefois, dans certaines alliances, une adaptation des produits à la demande notamment lorsque le partenaire local produit à la fois pour son propre compte et en sous-traitance. En outre, celui-ci se voit déléguer la conception, voire la modification des spécifications et du design des produits bas de gamme ou anciens de son partenaire.
35 A la différence du transfert technologique qui est réclamé par l’ensemble des entreprises du Sud comme une nécessité impérieuse, le transfert de compétences managériales, en revanche, est souvent perçu par certains managers locaux comme une contrainte imposée par le partenaire du Nord. Celui-ci est accepté, dans un certain nombre de cas, comme la contrepartie de l’accès à certains marchés étrangers du partenaire. Ainsi, les attentes du partenaire du Sud se cantonnent, dans un premier temps, au transfert technologique et à la négociation de conditions financières qui ne pénalisent pas outre mesure la rentabilité de l’investissement. Au fur et à mesure que l’accord se pérennise dans le temps, les firmes locales demandent à leur partenaire étranger de les traiter en partenaire ou en filiale et non comme « un simple client dont on cherche à tirer le maximum de marge ». Pour améliorer leur compétitivité, elles attendent de leurs homologues de réduire le coût des composants, d’élargir la gamme des produits fabriqués, de leur accorder des parts de marché plus importantes à l’exportation, voire même une participation plus significative au capital.
36 La forme et la durée de l’accord traduisent le degré d’implication du partenaire du Nord et permettent d’expliquer tant le type que les modalités du transfert de compétence managériale. Lorsque l’engagement du partenaire du Nord est important et s’inscrit dans le temps, on constate l’existence d’un transfert de compétence managériale plus prégnant. Par ailleurs, la durée des contrats constitue un facteur important, dans la mesure où il favorise l’instauration d’un climat de confiance et de dialogue permettant un meilleur transfert des méthodes de travail et des pratiques managériales.
37 Si la plupart des accords de contrats de coopération ont été contractés préalablement à la signature d’un accord de libreéchange, notre recherche a permis de mettre en évidence que la capacité d’absorption des entreprises tunisiennes est plus importante que celle de leurs homologues égyptiennes, du fait d’une plus grande proximité culturelle et géographique ainsi que d’une longue tradition d’accords de sous-traitance tournés vers l’exportation sur le marché européen. Pour leur part, les entreprises égyptiennes se focalisent davantage sur le marché local en vue de développer une industrie locale de substitution aux importations. Pour autant, les termes de l’accord ainsi que la nature du transfert entre les partenaires évoluent considérablement au fur et à mesure que l’accord s’inscrit dans la durée. Les exigences du partenaire européen portent, au départ, essentiellement sur la rémunération de son transfert (royalties et dividendes) et le respect de l’exclusivité de ses produits et de ses composants. De ce fait, le transfert semble essentiellement se réduire à la maîtrise des procédés de production standard puis à l’introduction de procédés de production et de technologies de produits plus complexes. La faiblesse du transfert managérial peut s’expliquer par le fait que celui-ci n’intervient que lorsque le partenaire étranger est impliqué financièrement dans l’accord ou lorsque les relations se pérennisent dans le temps.
38 Confrontées à la perspective de la suppression pure et simple des droits de douane dans cet espace de libre-échange euro-méditerranéen en construction, les entreprises des deux rives de la Méditerranée sont amenées à intensifier leurs échanges en accélérant les processus de transfert technologique et managérial déjà engagés. La pérennité de ces alliances va être très largement tributaire de la capacité des partenaires à appréhender leurs relations non plus comme des transactions de marché à court terme mais plutôt comme des catalyseurs de l’apprentissage et de l’innovation s’inscrivant dans la durée.
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Mots-clés éditeurs : cadres moyens, Changement organisationnel, information paradoxale, changement radical
Date de mise en ligne : 01/05/2011
https://doi.org/10.3917/rsg.220.0183Notes
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Ce travail est tiré d’une étude portant sur les alliances euro- méditerranéennes, effectué pour le compte de la FEMISE (contrat n° 990101) et en collaboration avec le laboratoire ADIS de l’université Paris Sud.