Notes
-
[1]
Une centaine d’entretiens avec des cadres commerciaux a montré qu’ils sont affirmatifs sur ce point.
-
[2]
En ce qui concerne l’enseignement, au sein des Universités ou des grandes écoles, nous pouvons aussi constater que les modules de gestion de l’erreur, gestion de l’échec, ou de management des retours d’expériences sont peu fréquents.
-
[3]
Pour Pierre Berbizier, « c’est la victoire qui rend c…! ». Pour Aimé Jacquet, « C’est avec la défaite qu’on progresse » et pour Jean Todt, « Le plus important, c’est de savoir perdre plutôt que de savoir gagner ».
-
[4]
« L’homme victorieux » : Victor, victoire, Victoria, sont de la même racine. Victor était le titre des Empereurs.
-
[5]
In Bourion, Les représentations mentales, colloque Métamorphoses des organisations, octobre 2004, GREFIGE Nancy.
-
[6]
Le nombre de points détermine le nombre de phrases figurant dans le verbatim. Il faut préciser « de part et d’autre du mot -clé ».
-
[7]
In Voynnet Fourboul, op. cit. p. 1619.
-
[8]
Nous avons bien tenté d’automatiser cette opération. Si le thème de la recherche est tel qu’il est réparti dans les récits suivant une loi normale, la fréquence et le volume des verbatims sont à peu près identiques. Mais si le thème de la recherche est réparti dans les récits suivant une loi de Poisson, les verbatims sont tous particuliers et l’automatisation ne donne pas satisfaction. Nous pouvons toutefois effectuer un premier tri, mais il faudra tout de même un second tri manuel, au cours duquel il faudra vérifier et modifier éventuellement le découpage automatique de chaque verbatim. Il faut donc opérer à ce niveau du découpage, une microanalyse de contenu… Ainsi, cette phase va demander un long travail, puisqu’il faut, pratiquement dès qu’il y a un doute sur le découpage, lire entièrement le récit détecté par le mot-clé, et il y a 414 récits…
-
[9]
In Voynnet Fourboul, op. cit. p. 1617.
-
[10]
Au fur et à mesure de la création de nouvelles catégories, nous gagnons beaucoup de temps dans les va-et-vient des « couper – coller », en plaçant un saut de section continu en tête des intitulés de catégories.
-
[11]
Après divers tâtonnements, ce sont les caractères qui sont les plus représentatifs. Les verbatims sont très variables dans leurs dimensions et les mots imprécis.
-
[12]
Nombre de verbatims, nombre de mots, nombre de caractères.
-
[13]
(Catégorie 32233) (2/59/277).
-
[14]
(Catégorie 32231) (3/111/516).
-
[15]
; (Catégorie 32212) (2/66/333).
-
[16]
(Ne pas raconter l’erreur à tout le monde). (Catégorie 32113) (2/94/469).
-
[17]
(Catégorie 32111) (8/420/2101).
-
[18]
(Catégorie 32112) (4/264/1337).
-
[19]
(Catégorie 32113) (3/180/897).
-
[20]
(Catégorie 3212) (3/108/495).
-
[21]
La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 219-220 - R.H.
« L’erreur de sous estimer l’erreur. L’erreur est liée à la vie, donc à la mort. L’erreur est un problème originel, prioritaire, sur lequel il y a encore beaucoup à penser ».
1 Les travaux de Simon (1964, 1969, 1971, 1974) au Carnegie Technological Institute de Pittsburg, puis ceux menés par Mintzberg (1973, 1980, 1984) à Mc Gill University sur le travail des cadres, remettent en cause les conceptions scientifiques d’avant-guerre (Fayol, 1920 ; Taylor, 1947), conceptions suivant lesquelles l’activité du cadre consiste à organiser, planifier, coordonner et contrôler le travail des autres. En effet, ces travaux observent que les cadres exécutent une gestion par exception, à l’aide d’une succession de programmes de résolution de problèmes, dits programmes d’exécution chez Simon et programmes des cadres chez Mintzberg. Simon décrit l’activité résolutoire, qu’il ne réduit pas à un programme car elle permet de faire face aux situations nouvelles ou inconnues. Mais ils ne traitent pas d’une catégorie particulière de signaux d’alerte, avertissant le cadre, quand sa propre activité n’est plus pertinente : les erreurs. Argyris et Schön (1977, 1996, 2002) abordent la détection et la correction d’erreurs. Ils mettent en évidence les deux principaux modes d’apprentissage et le rôle déterminant des mécanismes de défense.
2 Et effectivement, au sein des réunions des unités opérationnelles des organisations, on peut observer ces mécanismes : autant les professionnels du management et les commerciaux acceptent volontiers de débriefer leurs expériences positives [1], autant ils s’abstiennent d’aborder erreurs et échecs, surtout en présence de leurs supérieurs : ces signaux d’alerte placés sur la route de l’échec ne font que rarement l’objet de retours d’expériences (REX). Et lorsqu’un participant en prend le risque, nous observons qu’il s’établit aussitôt un lourd silence, semblable à celui qui est produit par ceux qui transgressent les codes sociaux : l’erreur serait une af faire personnelle et non collective. Dans ces conditions, les connaissances issues de ces signaux ne sont donc intégrables que par leurs auteurs. Elles ne peuvent pas être partagées et ne peuvent pas être capitalisées [2].
3 Pourtant, si nous quittons le management de la production de richesses et que nous pénétrons dans celui de la compétition sportive, nous découvrons des attitudes vis-à-vis de l’erreur et de l’échec radicalement opposées : le management de la compétition semble avoir forgé chez les coachs sportifs un modèle implicite, où défaites et échecs constituent les chemins royaux qui mènent à la victoire (Bellenger, 2003) [3]. Derrière l’Homo victor [4] de l’ex empire romain et le Winner américain se cacherait exactement la même loi d’airain : pour gagner, il faut savoir tirer parti de ses erreurs. Oui, mais comment ?
4 C’est précisément la question à laquelle va tenter de répondre cette recherche. Mais auparavant, si ce sujet semble légitime dans une optique de performance, est-il vraiment réalisable ? En effet, compte tenu des conditions précédentes, ne faut-il pas s’attendre à rencontrer un problème concernant la collecte de données fiables ? Or, nous avions constaté, dès 1995, qu’il était possible de se procurer de telles données, même en abondance, en respectant sept contraintes :
- S’adresser à des professionnels lors de leur retour en formation
- Que le lieu de formation soit hors de leur entreprise
- Que les hiérarchiques ne soient pas dans le processus
- Que le vécu organisationnel soit restitué par écrit
- Que le sujet soit librement choisi
- Que le débriefing soit individuel et non collectif
- Qu’ils disposent de la garantie de l’anonymat
6 De 1995 à aujourd’hui, nous avons élaboré un dispositif respectant ces contraintes et au 31/12/2004, nous avions collecté 1047 récits d’expériences parmi lesquels 414 récits concernant l’expérience professionnelle.
7 Mais ces 414 récits, totalisant pour tant 8581267 caractères, ne consacraient que 37492 caractères aux situations d’erreurs, dans 171 extraits. Il est apparu que l’erreur ne serait qu’un « incident » obéissant à une loi de Poisson. Cela est toutefois suffisant pour effectuer une recherche, l’analyse qualitative ayant montré de plus que, même évoqués discrètement, les 171 « incidents » concernaient 139 des 414 professionnels (1 sur 3) et que ce signal d’alerte, même faible, jouait un rôle déterminant dans l’acquisition de nouveaux savoirs (savoir faire et savoir qu’il ne faut pas faire) et dans les recadrages individuels.
8 La présente communication rend compte de la méthode employée globalement et des résultats acquis spécifiquement par cette recherche, menée sur ce signal fondateur d’une autre façon de voir et de faire les choses, sur ses manifestations, ses interprétations et sa légitimité, avant, pendant et après l’action. Plus particulièrement, elle devrait permettre d’établir si ce signal agit et comment il agit sur le lien social. Nous pouvons résumer la problématique ainsi : « Comment les erreurs produites au travail agissent-elles sur les liens entre l’individu et son travail ? L’individu et son hiérarchique ? L’individu et les autres partenaires organisationnels ? L’individu et son organisation ? ». Les données utilisées étant d’ordre qualitatif, la communication décrira avec un soin particulier la méthodologie, à la fois qualitative et quantitative. Dans cette première partie, seront abordées d’abord les méthodes utilisées pour recueillir les données et ensuite les méthodes utilisées pour les trier, les classer puis les codifier, avant de présenter les résultats obtenus dans la seconde par tie.
1. Le traitement des données
9 Le traitement des données qualitatives doit être différencié de l’analyse de contenu qui prédomine en France (Voynnet Fourboul, 2004). Il est issu des conceptions anglo-saxonnes de la Grounded Theory (glaser, 1967), théorie reconnue et validée aux États-Unis mais encore peu utilisée en France. David (2000), propose « théorie fondée ». Cette approche s’impose quand nous disposons d’abondantes bases de données qualitatives chaotiques. Elle repose, pour l’essentiel, sur une succession de tris et de classifications des données qui aboutissent finalement au modèle, ce qui permet de le qualifier de modèle enraciné, ancré, fondé — suivant les auteurs — dans les données. David (2000 ; p. 87 et suivantes) et thiétart (1999, p. 29 et 61), parlent d’abduction ou d’approche par adduction : « L’abduction est l’opération qui, n’appartenant pas à la logique, permet d’échapper à la perception chaotique que l’on a du monde réel par un essai de conjecture sur les relations qu’entretiennent effectivement les choses » Koenig (1993) (in David, 2000). Nous allons décrire minutieusement le traitement des données effectué, assurant ainsi une transparence permettant au lecteur d’opérer classifications et critiques de notre méthode, s’il le souhaite.
10 La première phase concerne la collecte des récits d’expériences. Il faut situer cette collecte écrite par rapport aux méthodes plus classiques : entretiens oraux et enquêtes écrites. D’abord, comme dans un entretien oral, les récits d’expériences recueillis sont des témoignages, donc des représentations mentales [5]. Par contre, dans le cas des récits écrits, le chercheur n’intervient à aucun moment pour formaliser le témoignage : celui-ci lui par vient tel quel. Ensuite, la collecte des récits est indépendante de la recherche : elle est menée parallèlement et de façon permanente… Il en résulte que les données collectées sont extrêmement nombreuses, plus de mille récits aujourd’hui, plusieurs milliers de récits à terme, mais les données concernent potentiellement des dizaines de thématiques différentes. Seule une partie de ces données concerne le thème de la présente recherche.
11 Dans la seconde phase, les données doivent donc être triées et la plus grande partie, écartée. Ce rejet constitue la phase la plus cruciale, conditionnant le contenu qui sera l’objet de l’analyse : ce tri doit donc être rigoureux par ses critères et si possible automatique pour échapper à l’arbitraire du chercheur.
12 Dans la troisième phase, les données servant de base à l’analyse sont réunies dans un fichier et vont faire l’objet d’une codification et d’une classification. C’est là plus précisément qu’intervient la théorie enracinée. La théorie consiste à opérer des classifications successives, par sens et par niveaux. C’est la classification finale de ces données triées, devenues signifiantes par rapport à la problématique, qui constitue le résultat présenté, la théorie enracinée…
1.1. Phase 1 : La collecte des données
13 Pour satisfaire aux exigences de traçabilité et d’évaluation (Giordano, 2003), la communication va faire un compte rendu détaillé de la démarche de la recherche. Cette description se rapproche de la tenue d’un carnet de laboratoire où le chercheur note minutieusement les opérations au fur et à mesure qu’il les effectue. La section 111 présente la structure des « bases mères » réunissant les données recueillies et la section 112 détaille les processus qui ont permis de les recueillir.
1.1.1. La structure de l’observatoire
14 Actuellement, le total des données — 1047 récits — est réparti en trois fichiers Word, constitués respectivement de 414 récits reçus en fichiers attachés (891624 mots ; 4486073 caractères), de 271 récits sur papier, soit un total de 686 récits ou retours d’expériences professionnelles (base B1), 192 récits personnels reçus en fichiers attachés (base B2 ; 457900 mots ; 2265798 caractères), 170 récits de transition reçus en fichiers attachés (base B3 ; 379541 mots ; 1829396 caractères). Cette coexistence entre deux supports incompatibles dans B1 est le résultat de l’étalement de la collecte entre 1995 et aujourd’hui…
15 àux alentours des années 1999 - 2000, nous réorganisons le canal de collecte de la base B1 pour établir une E-collecte. Pendant la période 2000 – 2002, la collecte de cette base B1 est mixte et les deux canaux fonctionnent en parallèle. Puis en 2002-2003, par la force des choses, ne subsiste plus que la E-collecte. Celle-ci permet l’extension plus rapide des données collectées…
16 Début 2004, les simplifications apportées par cette E-collecte nous incite à créer deux nouvelles bases : la base B2 sur les choix de transition est créée courant février 2003 et la base B3 sur les processus de décision dans la vie personnelle est créée en octobre 2004. En juin 2004, les frontières géographiques de la base B1 s’ouvrent au monde entier, bien que modestement. Ces trois bases réunissent 1047 récits établissant une série « d’études de cas descriptives sur les entreprises, favorisant ainsi l’émergence d’une véritable anthropologie organisationnelle » (Wacheux, 1996) ; ces récits concernent les quinze premières années professionnelles des jeunes diplômés devenus cadres.
17 A l’instar de Igalens et de Benraïs, (2004), nous n’avons pas perçu de modifications des contenus imputables au passage d’un canal papier à un E – canal. Ce n’est guère étonnant, puisque, antérieurement, les récits étaient déjà dactylographiés sur ordinateur par les populations interrogées. Seul le mode de transmission a changé, les récits étant envoyés en dossier attaché par courriel, et non plus sous enveloppe ou par le courrier interne.
18 Au 31/12/2004, les données se présentaient ainsi (voir tableau 1).
1.1.2. Le processus de commande
19 L’objectif de l’observatoire est de recueillir le maximum de données. Les commandes sont donc récurrentes. Elles sont renouvelées d’une année à l’autre. Pour que les données soient « additives », la commande ne varie pas d’une année sur l’autre. Il en est ainsi depuis 1995. Elles concernent les populations que nous côtoyons chaque année : de jeunes diplômés en stage ou année césure et des professionnels du management de retour en formation, après six à quinze ans d’expérience professionnelle. Les thèmes proposés se répartissent de la façon suivante…
les données, en date du 31/12/2004 : « Base mère » est le nom donné aux bases de données qui recueillent d’entrée les récits d’expériences qui arrivant en fichier attaché, en fonction d’un premier tri : professionnel, personnel, transition entre secondaire et supérieur.
état de la base de données au 27/12/04 | Récits | Pages | Mots | Caractères | |
Collecte des données sur papier : 1995 à 2002. | |||||
Données sur papier antérieures à 2001 | 271 | Inconnu | Inconnu | Inconnu | - |
Passage de la collecte sur papier à la E – collecte : année 2002/03 | |||||
Données totales informatisées | 776 | 2561 | 1729065 | 8581267 | 100 % |
dont base mère B 1 « vie professionnelle » | 414 | 1453 | 891624 | 4486073 | 52,3 % |
dont base mère B 2 « phase de transition » | 192 | 613 | 457900 | 2265798 | 26,4 % |
dont base mère B 3 « vie personnelle » | 170 | 495 | 379541 | 1829396 | 21,3 % |
Données totales | 1047 | Inconnu | Inconnu | Inconnu | - |
20 La base vie personnelle B3 est le fruit de la commande suivante, effectuée en 2004 sur des « bac plus deux » : « Décrivez une situation personnelle, importante à vos propres yeux, avec vos propres normes ». La population à qui nous faisons cette commande est constituée de 225 personnes qui sont en première année grande école. Le taux de réponse est de l’ordre de 75,5 %. Cette population possède une expérience professionnelle négligeable, mais de multiples expériences plus personnelles qui peuvent s’avérer intéressantes dans la compréhension de différents processus : socialisation, décision, résolution de problèmes, etc.
21 La base B2 dite de transition concerne la même population : elle est issue de la commande suivante, effectuée en 2003 : « Décrivez, en remontant aux quatre années antérieures, le processus de décision qui vous a amené au sein de ce diplôme supérieur de management ». Cette base concerne la période d’études supérieures, passage de la vie familiale et personnelle à la vie professionnelle. Actuellement inexploitée, elle peut s’avérer intéressante pour étudier les périodes de transition.
22 Enfin, la base B1, constituée entre 1995 et 2004 — base la plus ancienne et la seule que nous ayons exploitée en recherche à ce jour — est le résultat de la commande suivante : « Décrivez une situation professionnelle qui est importante à vos propres yeux, suivant vos propres normes ». Cette commande s’adresse uniquement à des professionnels qui cumulent une expérience professionnelle mixte : des stages cumulés, variant de plusieurs mois à une ou deux années, parfois une année césure, et une expérience professionnelle variant de cinq à quinze années.
23 Cette méthodologie a plusieurs conséquences : d’abord, les données révèlent ce qui a semblé important aux yeux du scripteur lors de l’exercice de sa responsabilité. Nous nous consacrons donc à ce qui a de l’importance ou du moins est perçu comme tel. Nous avons donc peu d’informations relatives aux aspects professionnels routiniers et sans intérêt. Sont donc relatées les situations problématiques ou les situations de succès (ou les deux). Cette méthodologie est bien adaptée aux recherches sur l’apprentissage, à la prise de décision ou à l’orientation, et de façon générale, à ce qui est déterminant et constitue un passage important. Par ailleurs, les collectes interviennent au début de la vie professionnelle : les informations recueillies concernent donc plutôt les postes de début de carrière que les postes de fin de carrière. Enfin, ne sont abordés que des faits vécus directement ; certains peuvent aborder des faits anciens et d’autres peuvent aborder des faits actuels. Donc, c’est la rationalité mobilisable après (et non avant) qui va diriger la logique du récit : si le scripteur en a conscience, il décrira les deux rationalités. On peut donc définir les données ainsi :
24 Les données sont des représentations écrites qui concernent des situations professionnelles vécues par de jeunes diplômés au cours des quinze premières années (au plus) de leur vie professionnelle. Elles intègrent des descriptions de l’interaction entre leur environnement externe et leur environnement interne. Nous considérons toutefois que la vie professionnelle d’un cadre commence au moment où il a intégré un diplôme supérieur de management et qu’il multiplie les stages professionnels. La collecte des données va effectuer trois « coupes » permanentes dans ce « tronçon » de vie : deux états des lieux au début du cycle et un autre état des lieux permanent, cinq à quinze années plus tard. Cette dernière collecte n’est possible que grâce au retour de diplômés devenus des professionnels désirant poursuivre leurs études au sein des cycles supérieurs de type MBA ou FC, après qu’ils aient pratiqué le management durant plusieurs années professionnelles. Il en résulte que cette phase d’intégration professionnelle et sociale est mesurée par un point de départ et un point d’arrivée. Elle constitue par définition une phase de socialisation où les normes individuelles doivent intégrer de nouvelles données, d’ordre professionnel, intégration dans laquelle l’erreur joue le rôle permanent de signal d’alerte et de réorientation.
1.2. Phase 2 : le tri des données
25 L’objectif de la phase deux est de pouvoir passer de la base mère à l’utilisation exclusive de la base fille, celle-ci ne comportant que des données relatives au thème de recherche. Pour la constituer, il faut éliminer le maximum de données inutiles par rapport au thème de la recherche. Dans la section 121, la communication présente les tris qui consistent à extraire de la base mère des volumes de plus en plus centrés sur l’erreur, de façon à réunir les informations dont la recherche a besoin. Et dans la section 122, elle présente les opérations de classification et d’organisation de la base de recherche sur l’erreur, jusqu’à l’état final, que présentera ensuite la communication.
1.2.1. La constitution de la « base fille » sur l’erreur
26 Avant 1999, la base mère était encore peu volumineuse et non informatisée. Nous constituions une base sur un sujet de recherche en effectuant un tri par récit, grâce à une lecture attentive. Par exemple, pour effectuer une recherche sur les PME, nous ressortions tous les retours d’expériences qui se déroulaient dans une PME. Après 1999, grâce à la E-collecte et la fonction informatique « recherche », nous avons pu procéder à des opérations de tris transversaux et trier un sujet — comme l’erreur – en recherchant dans tous les récits d’expériences professionnelles dont la base dispose, les extraits écrits sur le processus de l’erreur. Il faut donc procéder à des sondages avant de choisir la base dans laquelle nous allons effectuer la recherche, afin être sûr de la présence suffisante d’informations…
Les bases filles qui ont été constituées
27 Au moment où nous avons présenté le dispositif de collecte des données au colloque de l’Academic of Management/Iseor, à Lyon en mars 2004, nous n’avions réalisé que des tris par récit : par exemple, une première recherche sur les PME a été effectuée en établissant une nouvelle base B (1, PME), constituée par le tri, au sein de B1, de tous les récits qui se sont déroulés dans des PME. Quand nous avons présenté la méthode des statuts au colloque des Iae à Lyon, en septembre 2004, il s’agissait d’une seconde recherche où le tri avait été effectué en fonction du sujet du récit : ont été retenus pour former la nouvelle base B (1, statut), les récits qui impliquaient des acteurs utilisant dans leur décision une pluralité de statuts. Puis, nous avons effectué une troisième recherche pour déterminer le rôle des représentations mentales dans la logique de création pour le colloque Métamorphose des organisations à Nancy, en octobre 2004 : la constitution de la nouvelle base B (1, création) a été effectuée en triant les récits concernant la création d’entreprise. Puis, au sein de cette nouvelle base, est intervenu un second tri à partir de mots-clés, permettant de déterminer les verbatims relatifs à l’objet de la recherche. Enfin, nous venons de terminer une autre recherche transversale sur la relation hiérarchique pour le colloque sur la RSE qui aura lieu en mars 2005 à Nancy et la constitution de la base B (1, hiérarchie) a été effectuée par un tri à partir de cinq mots-clés : « chef », « patron », « supérieur », « hiérarchique » et « N + 1 ».
La méthode de tri : le programme-clé
28 Dans cette recherche, il n’y a pas de tri par récit, au sein de la base B1 ; il faut repérer tous les « secteurs » où il est question d’erreurs, les « copier » pour les « coller » ensemble, pour former la nouvelle base. La recherche va procéder avec un programme qui sert de clé.
29 Le « programme-clé » constitue ce que nous mettrons dans la fonction « recherche » pour interroger la base de données. Il peut s’agir d’un mot, d’une phrase ou d’un ensemble de mots et de phrases, si nous disposons d’une macro-commande complexe. Quelle que soit sa nature, le « programme-clé » obéit à une règle indéfectible : plus il est exigeant, moins il trouve d’occurrences : la sélection de base avec le mot « erreur » apporte 424 occurrences. Mais la sélection avec le groupe de deux mots : « grosse erreur » n’apporte plus que 9 occurrences. La sélection constituée du groupe de quatre mots : « j’ai fait une erreur » n’apporte plus qu’une seule occurrence. Imaginons le nombre d’occurrences détectées par la demande suivante : repérez et copiez les verbatims ne comprenant que quatre points (.) [6] et les deux mots, « erreur » et « échec »… Le volume initial insuffisant de la base et la nature accidentelle du phénomène, sur lequel se porte la recherche, sont les causes de cette restriction.
ensemble des tris effectués au 31/12/2004
ensemble des tris effectués au 31/12/2004
30 Le fait de travailler par mots-clés pour rechercher des situations au sein de récits qui rendent compte d’expériences revient à se situer dans le courant linguistique suivant lequel les mots nomment les choses, les mots sont des sources de concept, l’appellation des choses étant importante, non pour les choses elles-mêmes, mais pour ceux qui les appellent en les nommant (Hagege, 1995), et au sein des thèses d’Habermas où le langage joue un rôle de médiateur (Habermas, 2001). Le choix des mots-clés constitue la seule décision par tâtonnement du chercheur. Le mot retenu (dans ce cas « erreur ») est le produit d’un compromis entre les besoins du thème de la recherche et la richesse de l’offre de la base : dans la base B1, le mot « erreur » fournit 424 occurrences (le mot « erreur » apparaît 424 fois), le mot « échec » fournit 217 occurrences et le mot « faute » fournit 148 occurrences. Or, par expérience, le volume de verbatim est de l’ordre du tiers des occurrences (le mot est employé plusieurs fois dans le même verbatim). Donc, seul le mot « erreur » est suffisamment riche pour être retenu. De plus, au niveau sémantique, l’erreur, en raison de son caractère réversible, est le mot qui correspond le mieux au thème d’étude, de préférence à « échec », qui est plutôt le résultat involontaire d’une épreuve ou le mot « faute », qui renvoie à des processus juridiques de recherche de la responsabilité. « Difficulté », « erreur », « échec », « raté », « faute », défaite » peuvent être considérés comme des repères d’incidents proches de ceux sur lesquels porte la recherche. « Le terme incident n’est pas défini, (fielding lee, 1998), on peut le situer comme une expression verbale achevée d’une attitude ou d’actes achevés d’un individu ou d’un groupe [7] ».
31 Mais le choix du mot « erreur » — pour rechercher des erreurs — n’est pas aussi neutre qu’il y paraît. En effet, ce choix implique que la recherche ne va porter que sur les actions qualifiées d’erreurs par les scripteurs. La recherche va écarter, par exemple, les actions qualifiées de difficultés, qui sont peut-être des erreurs mais qui ont été qualifiées, par pudeur, de difficultés. En d’autres termes, le critère qui discrimine la présence (ou l’absence) de l’action en question dans le corpus de la recherche est le fait que l’action soit nommée comme étant une erreur par le scripteur (auteur ou observateur). La recherche intervient donc après qu’il y ait eu prise de conscience. Elle réduit son champ d’étude aux erreurs dont l’acteur a pris conscience et dont il veut bien parler, elle n’étudie pas les erreurs qui figurent dans la base mais dont il n’a pas pris conscience ou dont il ne parle pas en employant ce terme.
32 Une fois établi, le choix du mot-clé de départ est actionné systématiquement, mot par mot, avec la fonction « rechercher ». Chaque occurrence repérée amène un verbatim supplémentaire. Il faut déterminer la taille du verbatim. La détermination se fait par l’analyse du sens, autour du thème de l’erreur. En effet, la lecture fait apparaître que certains verbatims ne parlent de l’erreur que dans une seule toute petite phrase, car l’erreur joue un rôle totalement mineur dans le récit, tandis que dans d’autres récits, uniquement centrés sur une erreur professionnelle et sur son processus de traitement, le verbatim est constitué de presque tout le récit. Une fois le verbatim déterminé, son transfert dans la nouvelle base est opéré par « copier – coller [8] ».
33 Une fois cette opération effectuée, les données qui concernent le sujet de la recherche sont isolées dans la nouvelle base B (1, erreur). Elles ne représentent que 0,8 % des données totales. Par ces différents tris, nous avons donc laissé de côté 99,2 % des données non directement liées à la recherche ou non exploitables (récits sur papier). Par ailleurs, comme 275 récits n’utilisent pas le mot « erreur », nous travaillons donc sur des extraits de récits de 139 scripteurs seulement. Un sondage effectué sur 135 récits de B1 montre que 66,6 % des récits n’utilisent pas le mot « erreur ». 17,7 % l’utilisent une seule fois, alors que 15,7 % des récits l’utilisent de deux à 8 fois. La distribution du mot « erreur » est une distribution de Poisson. L’erreur constitue donc un phénomène accidentel, même s’il est déterminant. La distribution est la suivante : 276 récits de la base B1 n’apportent rien à la base sur l’erreur B (1, erreur), 73 récits de la base B1 apportent une occurrence et 65 récits de la base B1 apportent de deux à 8 occurrences.
résultats des tâtonnements lors de la recherche de mots-clés
« Difficulté » | « Erreur » | « Echec » | « Raté » | « Faute » | « Défaite » | Mots totaux | |
Base mère 1 | 447 | 424 | 217 | 182 | 148 | 6 | 891624 |
Base mère 2 | 152 | 37 | 93 | 69 | 11 | 2 | 457900 |
Base mère 3 | 312 | 142 | 90 | 23 | 52 | 11 | 379541 |
Total | 911 | 603 | 400 | 274 | 211 | 19 | 1729065 |
résultats des tâtonnements lors de la recherche de mots-clés
structure de la base B (1, erreur) sur l’erreur
Nature des bases de données | Scripteurs | Pages | Verbatims | Mots | Nombre de caractères | |
Base B1 sur la vie professionnelle | 414 | 1453 | - | 891624 | 4486073 | 100 % |
Dont B (1, erreur) sur l’erreur | 139 | - | 171 | 7214 | 37492 | 0,8 % |
structure de la base B (1, erreur) sur l’erreur
1.3. Phase 3 : la codification des données
1.3.1. Répartition des données en catégories et sous-catégories
34 Les catégories sont établies à partir des données, d’après Glaser et Strauss (1967, p. 37) [9] l’analyse se doit ex ante, d’ignorer la littérature afin que les catégories émergentes ne soient pas contaminées. Nous pouvons la reprendre ex post.
L’objectif d’agrégation et le problème de l’additivité des données qualitatives
35 Les données qualitatives, telles que des études de cas, ont la réputation de ne pas être commodes à agréger et à généraliser : on ne sait pas passer de l’individuel au collectif… Mais, depuis 1999, en raison des progrès de l’informatique, nous pouvons, d’une part, collecter des centaines, voire des milliers de récits d’expériences et, d’autre part, rechercher, au sein de ces récits, plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines d’extraits de ces récits, décrivant la même situation, le même processus. Les classer dans une catégorie revient — au niveau épistémologique — à « additionner » les expériences en question, établissant une catégorie en fonction de ce que les situations partagent et une autre catégorie en fonction de ce qu’elles ont de différent, pour mieux comprendre le phénomène étudié.
La méthode d’agrégation au sein des classes
36 Lorsque la collecte est terminée, nous quittons B1 et nous enregistrons la base B (1, erreur) des données liées à l’erreur contenant les verbatims. A ce niveau de la recherche, une nouvelle base de données B (1, erreur), portant uniquement sur le phénomène de l’erreur a été constituée. La lecture informatique de la nouvelle base de données commence avec, pour objectif, une première classification par catégorie à 1 chiffre. Quand la classification est finie, nous reprenons les verbatims de la classe et nous procédons, au sein de cette classification, à une seconde classification en sous-catégories, qui sera à 2 chiffres, etc. Chacune de ces opérations de classification se déroule ainsi : la lecture permet de rapprocher mentalement deux ou trois verbatims, le chercheur constatant qu’ils évoquent la même chose. Cette constatation permet de trouver le nom de la catégorie qui peut les réunir. Ce qui signifie — et c’est déterminant d’un point de vue épistémologique — que ce sont les « verbatims – réponses » qui fabriquent les « classes – questions » [10]. Au final, nous constatons que certaines classes se remplissent tandis que d’autres stagnent, restant pratiquement vides. Au bout de quelques dizaines de classifications, il n’y a plus de classe nouvelle, ce qui signifie que les données ont saturé le nombre possible de classes. Chaque classe est de nouveau divisée en sous-catégorie. Il faut ensuite classer les catégories entre elles et rechercher le sens des regroupements. Le critère de validation utilisé n’a pas été la saturation des données mais la considération de toutes les données disponibles ; en effet, nous réservons le critère de saturation aux données dont l’abondance est disproportionnée aux moyens et aux besoins, ce qui n’est pas le cas. Le codage final fournit le plan de la communication des résultats : un chiffre pour les parties, deux chiffres pour les sous-parties, etc. Il commence à « deux » car le « un » est utilisé pour la méthodologie…
1.3.2. Le codage final des données réparties
37 Ce codage concerne les données de la base B (3, erreur) uniquement : les zéros déterminent les classes de même niveau. Alors que dans la pratique classique, le codage consiste à affecter aux catégories, dans la marge, des notes de terrain ou des transcriptions d’entretiens, avec les récits d’expériences reçus en dossier attaché et réunis en base, le codage consiste directement en une mise en ordre interne des classes obtenues par une succession de « copier – coller » qui ordonnent une classe en plusieurs sous-classes, une sous-classe en plusieurs sous/sous-classes, etc. Par exemple, dans la phrase « Deux personnes habillées en rouge et vert habitent dans la maison », « la maison » servira à coder la classe 1 : « 1. le lieu » et « La maison » sera « collé » dans la catégorie « 1. Le lieu ». « Deux personnes » servira à coder la sous-classe : « 11. Les habitants du lieu » et la phrase sera collée dans la sous catégorie 11. « Habillées en rouge et vert » sera codé : « 111. Les habits des habitants du lieu » et collé dans la sous/sous-catégorie 111, si le second verbatim est : « les fidèles étaient à l’église, habillés en noir ». « L’église » sera copié puis collé dans la classe 1. « Les fidèles » sera copié puis collé dans la classe 11. « Habillés en noir » sera copié puis collé dans la classe 111. L’ensemble final des classes est le suivant :
codification des données
codification des données
1.3.3. L’établissement des données qualimétriques
38 L’ensemble des verbatims dépassant 30000 caractères, il n’est pas possible de les reproduire autrement qu’à titre illustratif dans la communication. Pourtant, chaque catégorie doit être en mesure de préciser ce qu’elle contient pour permettre les comparaisons et la classification des classes entre elles. Ces données doivent permettre des calculs de structures, de pourcentages, des réalisations de courbes, etc. Pour ce faire, les classes de verbatims ont fait l’objet de trois mesures : le nombre de verbatims, le nombre de mots et le nombre de caractères (sans les espaces). Ces mesures sont présentées dans une colonne nommée « fréquences absolues » sous la forme suivante : (36/1393/7801). Ce qui signifie que la catégorie en question contient 36 verbatims, que ces 36 verbatims contiennent 1393 mots et que ces 1393 mots contiennent 7801 caractères. Figurent à côté, des calculs de pourcentage effectués sur les caractères [11], dans une colonne « fréquences relatives ». A ce niveau, la recherche a réussi à résumer une masse de données qualitatives considérables sur deux axes simples : l’axe du sens avec le codage des catégories et sous-catégories et l’axe des fréquences et des pondérations avec les comptages de verbatims, des mots et des caractères. Nous obtenons le premier tableau, qui est le plus global :
39 Ce tableau fait déjà apparaître un premier résultat : ce sont les conséquences de l’erreur qui retiennent le plus fortement l’attention des scripteurs puisque 38,4 % des informations figurant dans leurs récits d’expériences leur sont consacrées…
2. Le processus de l’erreur
40 Les classifications successives vont utiliser les éléments suivants : Les erreurs décrites sont des erreurs de proximité. Il s’agit plutôt, à deux exceptions près, de micro erreurs que de macro erreurs. En ce qui concerne leur nature, il s’agit systématiquement d’un écart entre une évaluation des ressources nécessaires ex ante et les besoins constatés ex post : erreur d’évaluation concernant les ressources financières disponibles, le temps disponible ou les informations disponibles… En ce qui concerne la ressource affective, c’est l’inverse : c’est son excès d’investissement dans le processus d’erreur qui est source d’erreur… Les conséquences redoutées de l’erreur concernent avant tout les personnes : hiérarchie, clients, collègues, parfois même la famille. Les scripteurs effectuent une démarche d’apprentissage, dans ce qui constitue leur zone d’autonomie, zone où il ne dépend que d’eux de se remettre en cause. Ils effectuent des propositions prescriptives abondantes dans les domaines hors de leur portée, pour éviter que l’erreur se reproduise…
les extraits de récits sur l’erreur codifiés de un à deux chiffres
Données qualitativ
… Catégories (1 chiffre) 2. Le processus de l’erreur 3. Le traitement de l’erreur To |
Les résultats : répartiti es sur le contenu … Sous-catégories (2 chiffres) 21. Les causes de l’erreur 22. Les conséquences de l’erreur 31. L’activité résolutoire 32. Les prescriptions tal |
on des verbatims en… Données qu Fréquences absolues 36/1393/7801 60/2745/14359 41/1536/7477 34/1567/7855 171/7241/37492 |
antitatives Fréquences relatives 20,8 % 38,4 % 19,9 % 20,9 % 100 % |
les extraits de récits sur l’erreur codifiés de un à deux chiffres
2.1. Les causes de l’erreur
41 Cette catégorie réunit les verbatims décrivant les différentes sortes d’erreurs. Elle réunit 38 occurrences, soit 19,2 % des occurrences recensées. C’est la rareté ou l’excédent concernant l’affectation ex ante des ressources qui sont considérés ex post comme erronés. Les insuffisances d’affectations de ressources rares mises en cause sont l’argent (2 occurrences), le temps (6 occurrences) et les informations (7 occurrences). Mais la ressource qui mobilise 60 % des occurrences ne concerne pas une affectation insuffisante, mais une affectation excédentaire… Cette ressource excédentaire, évaluée comme étant la source d’erreur la plus fréquente : c’est l’investissement affectif… Ont été classés respectivement dans cette dernière catégorie 22 verbatims qui décrivent directement un investissement affectif ou relationnel qualifié d’erreur par le scripteur. Il semblerait que le premier signe de professionnalisation soit la capacité à désinvestir affectivement et à réinvestir professionnellement le lien organisationnel…
42 Le tableau fait apparaître les deux catégories qui ont le plus fortement frappé les scripteurs : le manque d’informations au niveau de celui qui fait l’erreur (23,3 %) et l’inégalité dans le traitement des gens au niveau du supérieur hiérarchique (22 %)…
2.1.1. Le déficit des ressources matérielles disponibles
43 16 occurrences sont réunies dans cette catégorie : les acteurs témoignent tous de leur méprise : ils ont cru pouvoir s’en sor tir avec un certain niveau de ressources et ce ne fut pas le cas. Sont évoqués successivement les ressources physiques et le savoir-faire, les ressources financières, l’information et le temps. L’insuffisance de l’énergie physique n’est évoquée qu’une seule fois… L’usage des redistributions financières semble délicat. Il est faussé par la croyance en l’existence d’une relation positive entre la finance et la motivation, qui s’avère être, dans les faits, une relation négative : elle opère en sens inverse de la prédiction. L’introduction de discriminations financières sous forme de récompenses sélectives va amplifier les frustrations au lieu de faire apparaître la motivation. Cette introduction est donc qualifiée, par les promoteurs, d’erreur. La catégorie suivante concerne la sous-évaluation faite ex ante du temps qui s’avérera nécessaire ex post pour accomplir un travail : en général, une erreur d’appréciation du temps nécessaire pour accomplir une tâche, un rendez-vous ou bien la difficulté à arriver à l’heure, les enchaînements des retards en raison de l’intensité du travail, de la fatigue, etc. Cette sous-évaluation est rarement décrite comme pénible par les jeunes diplômés quand ils ont la possibilité de compenser en prenant sur leur temps de sommeil ou leur temps de loisir. En effet, la passion aidant, ces derniers réduisent leur temps personnel au profit de leur temps professionnel, faisant de la réussite de leur mission une affaire prioritaire. Par contre, cette sous-évaluation est évoquée par les stagiaires quand ils vivent un statut plus humble, du type : homme à tout faire. Elle est ressentie comme dangereuse : « C’est souvent dans l’urgence et en essayant de perdre le moins de temps possible que les problèmes s’accumulent ».
codification de trois à quatre chiffres des causes de l’erreur
21. Les causes de l’erreur, évoquées par les scripteurs | Fréquences absolues [12] |
Fréquences relatives (calcu lées sur les caractères) | |
Données qualitatives sur le contenu | Données quantitatives | ||
211. Le déficit des ressources matérielles disponibles | 2111. La fatigue et le manque de pratique | 2/110/550 | 7,1 % |
2112. L’usage délicat des ressources financières | 2/125/623 | 7,9 % | |
2113. L’insuffisance du temps disponible | 05/163/809 | 10,4 % | |
2114. Déficit informationnel | 06/374/1818 | 23,3 % | |
211. Total | 16/772/3800 | 48,7 % | |
212. L’excédent des ressources affectives et émotionnelles | 2121. L’obligation de s’impliquer effectivement | 5/171/763 | 9,8 % |
2122. La surmotivation, le surinvestissement | 3/125/642 | 8,2 % | |
2123. L’inégalité de recrutement | 3/173/878 | 11,3 % | |
2124. L’inégalité de traitement | 10/152/1718 | 22,0 % | |
212. Total | 20/621/4001 | 51,3 % | |
21. Total des causes d’erreurs évoquées par les scripteurs | 36/1393/7801 | 100 % |
codification de trois à quatre chiffres des causes de l’erreur
44 La dernière catégorie concerne les erreurs imputables à un déficit informationnel de l’acteur : problème de culture, de langage, erreur de programmation ou absence d’instructions précises. Une procédure d’impression sous IBM AS400, un appareil de laboratoire ayant un défaut de graduation, des erreurs de caisse, deux récits écrits par des étrangers qui relatent des normes acquises dans une culture différente qui s’avèrent inopérantes en France, une erreur de programmation informatique en amont qui répercute un désordre en aval, une responsable qui part en congé et ne laisse pas d’instructions : « Un mois avant son départ en congé de maternité, (ma responsable) n’a donné aucune consigne à notre équipe qui gère les douze magasins en propre de notre groupe ainsi qu’au siège, comme lors de son premier congé de maternité deux ans auparavant ! ».
2.1.2. L’excédent des ressources affectives et émotionnelles
45 22 occurrences concernent directement cette problématique. Il semble que ce soit une obligation de s’impliquer affectivement, mais il y aurait la façon. 5 occurrences notent la nécessité pour le manager de s’impliquer en tant que personne dans son travail. Une autre dénonce l’absence d’implication d’un manager dans ses tâches de management, absence qui aboutirait à l’échec, d’après le scripteur. Et les scripteurs décrivent la peur de la confrontation ou du conflit comme rendant inapte au management, car le responsable qui ne pourrait pas se confronter à l’avis contraire de ses collaborateurs ne pourrait pas traiter ses dossiers, autrement que dans le dos des intéressés. Mais cette capacité à s’impliquer de la bonne façon ne serait pas donnée à tout le monde. Les descriptions sont nombreuses pour décrire les dérapages et en dénoncer les effets néfastes, selon eux… La surmotivation et le surinvestissement professionnel sont dénoncés même par les scripteurs qui les ont pratiqués, car ils rendent trop vulnérable en cas d’erreurs, de problèmes ou d’échecs. « J’ai fait l’erreur de trop m’investir dans cette mission, si tant est que ce soit une erreur. Mais en m’impliquant autant, je suis devenue plus vulnérable et les attaques ou coups bas m’ont touchée plus durement ». Les jeunes diplômés, sans doute en raison de la phase de transition dans laquelle ils se trouvent, découvrent les méfaits du lien d’amitié, qui a pourtant été la base du fonctionnement relationnel à l’école, quand ce dernier est transféré sans précaution dans leur nouvel espace professionnel et qu’il va interférer dans les processus de décision. Au départ, il peut leur sembler plus facile et plus simple de composer leurs équipes en donnant la préférence à des relations amicales, mais ils découvrent à leurs dépens que l’utilité de ce critère ne constitue qu’une apparence trompeuse. En effet, au premier conflit, à la première difficulté, les processus de résolution se heurtent à ces enchevêtrements. Les scripteurs partagent le sentiment d’avoir été piégés par leur propre choix de départ et le remettent en cause. Ils dénoncent l’introduction du critère de l’amitié comme un piège aux dangers nombreux. Il décrivent qu’en présence de l’amitié, les problèmes ne peuvent plus être solutionnés sous une simple dimension professionnelle car cette dimension se double d’une contrainte relationnelle ou amicale et les solutions font apparaître dans cette seconde dimension une perte si la décision est professionnelle ; si la décision est amicale pour éviter cette perte, il apparaît alors une autre perte, encore plus grave sur le plan professionnel : l’ami ne comprenant pas ce qui lui semble un revirement, développe alors un sentiment de trahison : ses sentiments s’inversent et ce n’est plus son meilleur ami qui a été embauché, mais son pire ennemi. La seconde conséquence préjudiciable du développement de ces liens affectifs est dénoncée par les scripteurs, en tant que subordonnés. Elle concerne le favoritisme, ou du moins vécu comme tel, qui en découle. L’égalité de traitement entre collaborateurs est décrite comme étant une nécessité absolue au maintien d’une ambiance de travail saine. Cette nécessité est soulignée dans les récits, non seulement au profit des subordonnés, mais surtout pour préserver la réputation et le respect dûs au supérieur. Si le responsable effectue néanmoins des investissements affectifs qui semblent illégitimes, cela peut avoir différentes conséquences qui vont du désinvestissement à une aversion relationnelle. Le phénomène est aussi autodénoncé par les hiérarchiques. Ces derniers mettent en garde contre la tendance des subordonnés à vouloir tirer un parti professionnel de leurs relations extraprofessionnelles. Ils mettent aussi en garde contre les dérogations à l’embauche qui fausseraient les règles du jeu par la suite. En effet, dès qu’un salarié est embauché dans des conditions dérogatoires, cela peut lui laisser croire qu’il pourra revendiquer des comportements dérogatoires, plutôt centrés sur son désir que sur ses devoirs. « Je lui ai quand même modifié son planning pour qu’elle puisse travailler plus et gagner un peu plus d’argent, au détriment de quelqu’un d’autre. Je me suis rendue compte que c’était une erreur… ». Les conséquences peuvent être ramenées à une série de confrontations… que les erreurs soient le produit d’un écart entre la norme de l’organisation et les résultats du scripteur ou, au contraire, entre la norme du scripteur et les pratiques constatées dans l’organisation.
2.2. Les conséquences de l’erreur
46 Dans ces confrontations, nous avons choisi de classer les verbatims par catégorie, suivant les acteurs qui sont impliqués : tout d’abord, les occurrences impliquent le hiérarchique responsable (35 occurrences, 52,9 % des informations). Ensuite, les scripteurs rapportent la plus difficile mais aussi la plus positive des confrontations : celle avec eux-mêmes (12 occurrences, soit 16 % des informations). C’est seulement ensuite qu’ils rapportent la confrontation avec les victimes courroucées, celle avec le responsable de l’erreur, quand c’est quelqu’un d’autre. Trois processus prennent une place particulière : d’une part, le fait (difficile à vivre) d’être obligé d’assumer une erreur faite par un autre, devant le client, par exemple. Ensuite, le fait (positif) de réparer une erreur à la place d’un autre, en bénéficiant, dans un triangle de Karpmann, de la position la plus favorable, celle de victime. Enfin, les verbatims décrivent des processus archaïques très classiques, comme le rejet de l’erreur sur une tierce personne, un fusible, un bouc émissaire, etc.
47 Nous voyons qu’un peu plus de la moitié des informations sont consacrées à la confrontation avec le supérieur (52,9 %). 16 % des informations sont consacrées au dialogue interne, la confrontation avec soi-même.
2.2.1. La confrontation avec le hiérarchique responsable
48 35 verbatims décrivent une incidence de l’erreur sur la relation hiérarchique et, de ce fait, sont classés dans cette catégorie. Dans ces verbatims, celui ou celle qui a le pouvoir est le plus souvent désigné directement par « il » ou « elle »… Quelques occurrences font référence à la fonction : « directeur régional », « responsable, hiérarchique », « le Boss » dans un cabinet d’avocat, « chef », « chef de service », « manager », « le Délégué » dans un service international, « le recruteur » dans un cabinet de sélection, « l’ingénieur » dans un cabinet de consultant, etc. L’appartenance à un rang hiérarchique a un effet différent suivant que le scripteur aborde ses propres erreurs ou celles d’un autre échelon hiérarchique. En ce qui concerne l’autoanalyse de ses propres erreurs, qu’il soit N + 1 ou simple collaborateur, le scripteur n’hésite pas à faire son autocritique et à intégrer ses erreurs… Mais le rang hiérarchique est fortement discriminant quant à l’importance donnée au sujet de l’erreur quand elle vient d’un autre échelon : En ce qui concerne les erreurs des échelons inférieurs, les N + 1 n’abordent que très peu le sujet, à une exception près. Tout se passe comme si les N + 1 considèrent les erreurs des collaborateurs comme normales. En ce qui concerne les subordonnés parlant des erreurs des N + 1, nous remarquons exactement l’inverse : l’attitude du supérieur vis-à-vis de l’erreur prend une importance particulière. Étant donné que le sujet de l’enquête est « Décrivez une situation professionnelle importante à vos propres yeux, avec vos propres normes », nous pouvons avancer une première hypothèse, quant à l’importance respective donnée au sujet des erreurs pour expliquer ce déséquilibre :
49 Les hiérarchiques donneraient moins d’importance aux erreurs de leurs subordonnés ; ils les considéreraient comme normales. Tandis que les subordonnés donneraient plus d’importance aux erreurs de leurs hiérarchiques ; ils les considéreraient comme anormales.
50 Le rang hiérarchique est aussi fortement discriminant sur la façon dont le scripteur parle des erreurs commises par un échelon supérieur ou inférieur. Quand les collaborateurs envisagent les erreurs de leurs supérieurs, dans 42,8 % des cas, ils ont une représentation positive des réactions du supérieur et dans 57,1 % des cas, ils ont une représentation plutôt négative et portent des jugements négatifs sur les réactions du supérieur.
2.2.2. La confrontation avec soi-même
51 Dès qu’un écart par rapport à une norme est qualifié d’erreur, implicitement, le scripteur reconnaît qu’il s’est trompé, et c’est dans le domaine de la confrontation avec soi-même que l’erreur semble agir de la façon la plus puissante. Les scripteurs n’en reviennent pas. Pourquoi de telles erreurs, somme toute pas si graves, les marquent-ils aussi profondément et surtout, est-ce « normal » ? La plupart d’entre eux prennent un peu de recul et positivent l’erreur. Les scripteurs décrivent comment l’expérience en question a affecté respectivement leurs personnalités, leurs comportements et a constitué une prise de conscience se traduisant par l’apprentissage du sens des responsabilités. Ils témoignent de profonds changements que l’erreur aurait produits sur leur personnalité. Ces changements seraient d’autant plus définitifs et absolus qu’ils ont eu à assumer leurs erreurs, seuls et jusqu’au bout. Ils décrivent des modifications de leurs comportements, parfois radicales. Parmi ces modifications, apparaissent plusieurs programmes d’exécution classiques : les scripteurs apprennent à pratiquer la reformulation, car de nombreuses erreurs les ont mis en face de situations où des échanges de propos n’avaient pas été compris. Ils apprennent à mieux formuler leurs opinions, à répéter les choses, à ne pas choisir de ne rien dire quand il faut confronter. Ils apprendraient à faire leur autocritique, seul moyen de faire avancer les choses. Du point de vue de l’état d’esprit, ils apprendraient, de façon indélébile, le sens des responsabilités. L’erreur agirait de façon presque initiatique. Nous entendons par là qu’une expérience inscrite en mémoire va les modifier et modifier leur approche des responsabilités. En tant que lecteur, le schéma qui apparaît serait le suivant : l’erreur aurait des conséquence qui élargiraient leurs référentiels et modifieraient le statut octroyé à leur interlocuteur. « Vous me croirez ou non, mais ce petit incident fut pour moi un déclic sur ma situation de l’époque et ma vision de l’avenir ».
codification et classification de deux à trois chiffres des conséquences de l’erreur
Données qualitatives sur le contenu | Données quantitatives | ||
22. Les conséquences de l’erreur | Les confrontations évoquées par les scripteurs, avec… | Fréquences absolues | Fréquences relatives |
221. Le hiérarchique responsable | 35/1353/7603 | 52,9 % | |
222. Soi-même | 12/460/2290 | 16,0 % | |
223. La victime de l’erreur | 7/492/2380 | 16,6 % | |
224. Le responsable de l’erreur | 5/400/1898 | 13,2 % | |
225. Collègues, clients, famille | 1/40/188 | 1,3 % | |
22. Total | 60/2745/14359 | 100 % |
codification et classification de deux à trois chiffres des conséquences de l’erreur
décompte des confrontations hiérarchiques
221. La confrontation avec le supérieur hiérarchique | Auteur de l’erreur représentée dans le récit | ||||
Le supérieur | Le subordonné | Total | |||
Description positive | Description négative | Description positive | Description négative | ||
évoquée par le supérieur | 3 | 0 | 0 | 1 | 4 |
évoquée par le subordonné | 9 | 12 | 7 | 3 | 31 |
Total | 12 | 12 | 7 | 4 | 35 |
décompte des confrontations hiérarchiques
2.2.3. La confrontation avec la victime de l’erreur
52 La configuration qui semble marquante pour les scripteurs est celle où la responsabilité professionnelle implique, devant divers interlocuteurs externes, d’assumer une erreur qu’ils n’ont pas commise. Il y a tout d’abord la situation, où le client victime se présente sur le poste alors que son titulaire a fini son poste. C’est le nouveau titulaire qui doit s’excuser, car il représente la société et ne peut argumenter de la faute d’un autre salarié pour faire cesser l’agressivité de la victime à son égard. Cette situation est difficile à vivre en l’absence de formation spécifique. Par contre, deux autres cas sont évoqués, où l’utilisation d’une tierce personne, étrangère à l’erreur, est volontaire : l’auteur de l’erreur est mis à l’écart : on envoie un autre salarié, parfois un stagiaire. Ce dernier pourra argumenter de sa position de stagiaire pour jouer un « Karpmann » qui lui évitera de subir le courroux et les reproches des victimes et lui permettra de se centrer sur le processus de réparation. Les procédures évoquées ne sont pas les mêmes suivant qu’elles ont pour objet de réparer le tort que l’erreur a fait aux clients ou le tort que l’erreur a fait aux salariés. Il y a aussi les cas de scripteurs injustement accusés d’être à l’origine d’une erreur et qui engagent une procédure pour faire reconnaître leur innocence. « Devoir s’excuser pour une faute que l’on n’a pas commise procure un sentiment désagréable car on reçoit les plaintes (voir les insultes) à la place de celui qui a commis l’erreur. C’est un sentiment accentué quand le collaborateur ne vous est pas des plus sympathiques. »
2.2.4. La confrontation avec le responsable de l’erreur
53 Quand le signal a eu un impact tel que l’erreur est plus ou moins devenue publique, la désignation du responsable ne semble plus obéir à une logique de cause à effet, mais à une logique plus « politique » : ce n’est pas forcément son auteur qui sera désigné comme responsable et cette situation est faiblement appréciée par les scripteurs qui en sont victimes ou témoins. Ce choix peut être lié au déséquilibre entre le risque de sanctions, encouru par un CDI et celui plus faible, voire nul, encouru par un stagiaire : l’erreur faite par le titulaire du CDI est alors attribuée au stagiaire. « Mme T m’affirma : « Toi, tu n’es qu’une stagiaire présente seulement 3 mois dans nos locaux tandis que Mme L, elle est CDI et elle peut avoir des problèmes à l’avenir pour cette histoire ! » Cette attribution est parfois précédée de la demande d’accord du stagiaire. Ensuite, il y a les personnes qui font des erreurs, mais ne les assument pas et dans le feu de l’action, elles tentent de rejeter la faute sur leur collègue ou sur leur supérieur, avec agressivité et impolitesse en plus…
2.2.5. Les conséquences sur les collègues, les clients, la famille
54 Elles sont peu décrites, mais lorsque le scripteur aborde le problème, il semble que ces conséquences soient redoutées : subir soi-même les conséquences de ses propres erreurs, oui, les faire subir à d’autres, non.
3. Le traitement de l’erreur
55 Les descriptions consacrées au traitement de l’erreur concernent soit le traitement résolutoire pratiqué par le scripteur dans sa zone d’autonomie, soit des recommandations prescriptives qu’il précise et qui concernent des éléments qui sont situés hors de sa zone, comme le comportement du supérieur.
3.1. L’activité résolutoire
56 La particularité de l’activité résolutoire est telle qu’elle disparaît quand on n’en a plus besoin. Si le signal « erreur » survient, l’individu reprend l’activité résolutoire et il apparaît dans les retours d’expériences un foisonnement de méthodes, un peu comme si chacun avait la sienne. Nous pouvons toutefois les classer par rapport aux trois grandes catégories de ressources qui sont apparues précédemment : l’information, le temps et l’affectif. Alors que les scripteurs se mettent en quête de nouvelles informations, de méthodes pour travailler plus vite, ils vont rechercher la réduction de l’affectif avec de nouvelles attitudes, de nouveaux comportements. Ce qui est remarquable dans ce tableau, c’est le rôle de l’erreur. Il est considéré comme celui d’un signal et la recherche d’autres informations ne constitue pas la priorité (23,9 %). Par contre, l’adaptation du programme d’action ou de soi-même (31,1 %) retient l’attention des scripteurs et si, de plus, nous tenons compte des témoignages sur la pédagogie par l’erreur, ce sont les 2/3 des informations qui sont concernées par le rôle de l’erreur.
3.1.1. La quête de données
57 La quête de données, envisagée comme une activité résolutoire de la situation créée par l’erreur, concerne deux catégories distinctes : les informations, plus objectives, plus générales, qui seront recherchées dans des supports neutres par rapport à la situation et les points de vue, les opinions qui seront collectés auprès des intéressés et qui permettent d’apprécier la pondération locale affectée aux informations par les personnes concernées. La quête d’informations prend toutes sortes de formes. On peut les classer suivant le canal démarché : ceux qui recherchent les informations à l’intérieur d’eux-mêmes : ceux qui décident de mieux s’écouter. Il y a ceux qui prennent conscience qu’ils ont fait une erreur d’interprétation de la situation et reprennent le dossier. Il y a ceux qui se rendent compte qu’il leur faut cibler les informations qu’ils donnent par rapport à l’interlocuteur qui les reçoit. Et ceux qui vont chercher les informations dans les livres ou dans un séminaire : il y a ceux qui vont chercher des informations dans des ouvrages de management et qui témoignent de l’inefficacité de la méthode qui les « enterre » (sic) encore plus… Et il y a enfin ceux qui décident de faire une formation au management. Intervient ensuite la quête de points de vue, d’opinions et d’avis. La communication avec les interlocuteurs ne peut pas être réduite à une quête d’informations. Les informations recueillies dans des ouvrages ou dans des séminaires ne comprennent que peu de points de vue, d’avis. En s’adressant à leurs interlocuteurs, les responsables de l’erreur cherchent à connaître un contexte, un point de vue, un mélange d’objectivité et de subjectivité. C’est aussi un moyen privilégié pour eux de faire naître, en écoutant leurs interlocuteurs, toute une série de sentiments positifs qui joueront un rôle facilitateur. Ils décident alors d’accroître leur écoute, leur disponibilité, de discuter plus souvent, d’organiser plus d’entretiens, plus de réunions, etc.
classification et codification de un à deux chiffres des verbatims portant sur le traitement de l’erreur
Données qualitatives sur le contenu | Données quantitatives | |
3. Le traitement de l’erreur | Fréquences absolues | Fréquences relatives |
31. Activité résolutoire | 41/1536/7477 | 48,8 % |
32. Recommandations prescriptives | 34/1567/7855 | 51,2 % |
3. Le traitement de l’erreur | 75/3103/15332 | 100 % |
classification et codification de un à deux chiffres des verbatims portant sur le traitement de l’erreur
classification de trois à quatre chiffres des verbatims traitant de l’activité résolutoire autonome
Données qualitatives sur le contenu | Données quantitatives | |||
31. L’activité résolutoire | Fréquences | |||
absolues | relatives | |||
311. La quête de données | 3111. La quête d’informations | Ouvrages de management | 1/53/246 | 3,3 % |
Formation continue | 1/58/265 | 3,5 % | ||
3112. La quête d’opinions | Mieux s’écouter | 3/80/416 | 5,6 % | |
Ecoute, entretien, réunions | 6/167/862 | 11,5 % | ||
311. Total | 11/358/1789 | 23,9 % | ||
312. La quête de temps | Agir plus vite | 3/97/481 | 6,4 % | |
313. Recadrer l’action | 3131. Recadrer la méthode | 5/269/1259 | 16,9 % | |
3132. Recadrer l’affectif : caractère et conception de soi | 8/227/1063 | 14,2 % | ||
313. Total | 13/496/2322 | 31,1 % | ||
314. Le Nouveau
programme d’action acquis Ce qui restera | 3141. Le caractère indélébile de l’erreur | 1/32/153 | 2,1 % | |
3142. Le caractère stimulant de l’erreur | 3/155/735 | 9,8 % | ||
3143. Le caractère pédagogique de l’erreur | 10/398/1997 | 26,6 % | ||
314. Total | 14/585/2885 | 38,6 % | ||
31. Total | 41/1536/7477 | 100 % |
classification de trois à quatre chiffres des verbatims traitant de l’activité résolutoire autonome
3.1.2. La quête de temps disponible
58 Dire les choses dès que possible, agir plus vite, ne pas laisser s’aggraver la situation. « J’aurais dû faire part de ce qui m’avait blessé tout de suite, en m’expliquant. J’aurais dû admettre mes erreurs au moment où je les avais faites. ». « De façon hebdomadaire, j’aurais dû manifester explicitement mes attentes sur mon poste. ». « Je sais maintenant quelles sont les erreurs à ne plus commettre et qu’un problème doit être traité à la base et non après son installation définitive. Si une situation n’est pas supportable, il faut faire en sorte de s’en sortir dès le début ou de améliorer la situation au lieu de l’accepter en supposant qu’elle s’améliorera d’elle-même par la suite. ».
3.1.3. Le recadrage de l’action
59 Il y a ceux qui recadrent l’action, en se posant à eux-mêmes un certain nombre de questions : pourquoi suis-je là ? Quels sont mes objectifs, etc. Il y a ceux qui dissocient l’usage de leur cerveau, et qui se parlent à haute voix, car ils ont remarqué qu’on pouvait soi-même se rendre compte de ses erreurs de cette façon (sic)… Certains se rendent compte que leurs objectifs n’étaient pas réalistes et que l’action était vouée à l’échec ; d’autres feront en sorte de mieux préciser les choses pour qu’on sache où ils en sont… Ils cherchent une autre méthode… « Je décidai de l’oublier un temps et de recadrer mes objectifs. Pourquoi étais-je là ? Quelles étaient mes faiblesses/qualités ou points à améliorer. Qu’attendait-on de moi ? Pourquoi m’avait-on embauché ? C’est ainsi que, petit à petit, je retrouvai la raison. Je me mis à réfléchir intelligemment. ». Il y a ceux qui essaient de requalifier le rôle de l’affectif et de faire appel à la raison. Un scripteur remarque que, paradoxalement, quand il se rendait compte de sa faute, il ne craquait pas (sic). Cette substitution de la raison à l’émotion, comme technique d’accroissement de l’efficacité, se retrouve dans presque tous les récits. Cette capacité à s’améliorer quand on prend conscience de ses erreurs est une source de confiance en soi. Il est rare qu’ils regrettent leurs erreurs, ils les vivent comme des points de passage obligatoires. Ils doivent lutter contre certains traits de caractère, comme l’impatience et les plus stressés sont ceux dont la nature de la tâche interdit de se tromper. Il y a ceux qui décident de devenir eux-mêmes, de ne plus se laisser influencer, de mettre des limites aux autres…
3.1.4. Le nouveau programme qui a été acquis grâce à l’erreur
60 L’erreur est décrite comme la plus importante source de savoir. Nous sommes sidérés par la multiplication des déclarations positives concernant l’erreur, déclarations qui voisinent avec l’étonnement du scripteur qui découvre les vertus de l’échec, comme les grands coachs évoqués au début de l’article. Il semblerait que l’erreur soit le signal déterminant qui déclenche l’activité d’apprentissage, sous forme résolutoire. Cette activité est ressentie comme produisant de nouveaux programmes d’action, programmes constituant un véritable apport personnel ; cet apport déclencherait une émergence émotionnelle – source de grande satisfaction — qui se retrouve dans les récits d’expériences.
3.2. Les recommandations prescriptives
61 Les recommandations qui apparaissent au sein des récits sont nombreuses et présentent un intérêt particulier, car elles sont proposées par ceux-là mêmes qui ont vécu le problème, ce qui, dans le cas de la Bottom up Theory — théorie qui voudrait que ce soit en bas que se trouvent les solutions — peut présenter un caractère stratégique vis-à-vis de l’accroissement de la performance. Ces recommandations sont croisées : d’une part, il y a l’auteur de l’erreur qui fait des recommandations à une personne qui se trouverait dans la même situation, d’autre part, il fait des recommandations à son supérieur, dont le mode d’action dans la situation lui a paru en écart par rapport à ses propres normes. Ensuite, il y a le supérieur qui fait la même chose, d’où l’idée de présenter un tableau croisé à double entrée. Enfin, les recommandations se trouvent catégorisées suivant leurs thèmes : celles qui concernent l’erreur, celles qui concernent l’auteur de l’erreur, celles qui concernent le hiérarchique ou les autres… La répartition des volumes d’informations présente la structure suivante : 64,9 % des recommandations concernent l’auteur de l’erreur et 65,3 % des informations concernent directement l’erreur.
3.2.1. Les recommandations qui concernent l’auteur de l’erreur
62 « Grâce à ce vécu, j’ai très largement amélioré mes facultés d’autocritique. J’ai réalisé que le fait de reconnaître ses erreurs et de se remettre en question constitue une phase difficile mais incontournable pour avancer, en accord avec soi-même dans la vie, tant personnelle que professionnelle. ». Le traitement de l’erreur n’est pas une chose aisée. La réparation en catimini de l’erreur est à double tranchant, particulièrement quand il ne s’agit plus d’une erreur mais d’une faute, d’un acte volontaire. Dans un verbatim, un scripteur évoque la situation d’un commerçant face à des vols dont l’auteur présumé est un apprenti. Mais le commerçant commence par remettre de sa poche les sommes manquantes dans le tiroir caisse. Non seulement, ce fait se sait, mais en plus, il a une portée symbolique qui va bien au-delà de ce que suppose le commerçant. Puis « l’erreur de caisse » se reproduit le lendemain, mais toujours sans qu’on puisse prouver le vol… L’erreur est soumise à un point de non retour, plus ou moins proche de sa réalisation. Si une erreur dans un mail n’est plus réparable dès l’envoi du mail, sinon par un courriel correctif, ce n’est pas le cas d’une erreur de report de montant dans un processus comptable qui doit partir au courrier et qui peut être modifié tant que la poste n’a pas pris livraison du courrier du jour. « Au bout d’une trentaine de factures, je tombe sur mon erreur. Je me suis trompé de montant : j’ai noté 8000 euros sur le chèque alors que le montant sur la facture indique800 Euros. « Gros stress » Je descends les escaliers quatre à quatre et m’approche de la corbeille de départ du courrier. Soulagement, il n’est pas parti. Je m’emploie donc à retrouver l’enveloppe contenant le chèque erroné. Je la récupère rapidement… ». Quand l’erreur n’est pas détectée ou quand sa détection est advenue après le PNR, il s’ensuit un enchaînement d’erreurs : par exemple, une erreur de codification d’un produit dans un rayon d’hypermarché va provoquer des milliers d’erreurs de caisse. Un scripteur cite le cas d’un fusible facturé au prix d’un fer à repasser… L’erreur peut agir comme un virus et se propager. Il faut alors intervenir dans les enchaînements avant qu’ils affectent un nombre considérable d’agents économiques. Plusieurs processus de ce type sont décrits par les récits, mais la chaîne la plus longue est une erreur de programmation dans la semi-automatisation du mode de référencement des produits chez le fabricant, qui part de la division chargée du référencement en centrale d’une société filiale d’un groupe multinational, spécialisée dans les activités halieutiques, et qui affecte une vingtaine d’entrepôts puis une cinquantaine de magasins et enfin, un nombre indéterminé de clients. L’erreur d’une seule et unique personne concerne au final des milliers d’autres et frôle la cessation d’activité. Dans ces opérations, il faut éviter de part et d’autre le traitement affectif de l’erreur : la crainte de la réaction du supérieur figure en tête des processus affectifs. Mais les réactions émotionnelles plus ou moins inadaptées des collaborateurs sont aussi évoquées. « Comme ma panique allait crescendo, mes erreurs aussi : j’ai roulé bien au-dessus des vitesses autorisées, je n’ai pas pensé à demander à ce qu’on m’ouvre le parking et enfin, l’erreur la plus magistrale, je ne me suis pas arrêtée au feu rouge !… je ne peux pas dire que je contrôle parfaitement mes actes quand je suis en situation de panique. ». En tant que subordonné, il faut ne pas hésiter à demander de l’aide : les subordonnés qui ont commis une erreur se reprochent aussi de ne pas avoir su ou de ne pas avoir osé demander de l’aide quand il était encore temps. « Je n’ai pas voulu le déranger en lui demandant conseil. Mais j’ai commis une erreur, j’aurais dû lui demander son aide, il aurait certainement compris l’importance de ma requête ».
classification de deux à cinq chiffres des verbatims constituant des occurrences prescriptives.
Prescriptions concernant l’erreur | 32. Recommandations prescriptives à… | Fréquences | ||
321. à celui qui a fait l’erreur | 322. Au supérieur de celui qui a fait l’erreur | absolues | relatives | |
L’erreur |
3211 — Vis-à-vis de l’erreur (15/864/4335) dont 32111- Reconnaître l’erreur (8/420/2101) 32112 — Réparer l’erreur (4/264/1337) 32113 — Éviter les enchaînements d’erreurs (3/180/897) |
3221 — vis-à-vis de l’erreur (5/169/791) dont 32211. Conserver une attitude positive envers l’erreur (3/103/458) 32212. Débriefer l’erreur (2/66/333) | 20/1033/5126 | 65,3 % |
L’auteur |
212 — Éviter l’affectif (3/108/495) |
3223 — vis-à-vis de l’auteur (7/275/1500) dont 32231. Maintenir sa confiance malgré l’erreur (3/111/516) 32232. Mieux encadrer (2/105/515) 32233. Envoyer des messages d’alerte (2/59/277) | 10/383/1995 | 25,4 % |
Les autres |
3213 — Ne pas hésiter à demander de l’aide (2/57/265) |
3226- Éviter la publicité inutile, éviter d’en parler à tout le monde (2/94/469) | 4/151/734 | 9,3 % |
Fréquences Absolues | 20/1029/5095 | 14/538/2760 | 34/1567/7855 | 100 % |
Fréquences Relatives | 64,9 % | 35,1 % | 100 % |
classification de deux à cinq chiffres des verbatims constituant des occurrences prescriptives.
3.2.2. Les recommandations faites aux supérieurs
63 Théoriquement, le devoir d’apprendre est inséparable du droit de se tromper. Le risque d’erreur doit être intégré et devenir prévisible. Plusieurs éléments compliquent l’établissement d’une attitude positive : l’erreur constitue un écart par rapport à une norme. Si le supérieur ne s’attend pas à ce que son collaborateur fasse une erreur, cette dernière constitue aussi une surprise. De plus, le supérieur peut prendre connaissance de l’erreur par un réseau d’information inadapté, il peut l’apprendre par l’extérieur, par exemple, l’obligeant à constater qu’il n’est pas au courant de ce qui se passe dans sa propre entreprise. Les supérieurs qui conservent toutefois une attitude positive provoquent la surprise et l’étonnement de leurs collaborateurs. « Lors de l’entretien, la directrice avait énoncé le fait que les stagiaires étaient là pour apprendre et que les erreurs faisaient partie de leur cursus ». Une erreur débriefée efficacement et dans le calme est décrite comme une opération qui renforce la confiance du collaborateur envers son supérieur. Les scripteurs qui ont conscience de l’erreur réalisée admettent sans problème les remontrances, mais apprécient fortement les conseils pour que cela ne se reproduise plus. « Toute tremblante, je m’assois face à elle, consciente de l’erreur commise la veille… A ma grande surprise, Julie reste calme et me demande pourquoi m’être énervée la veille et pourquoi ne pas être allée la voir en face-à-face pour lui expliquer que j’étais débordée ? ». « Mon chef me convoqua dans son bureau. Il me fit une remarque d’ordre professionnel, tout à fait légitime d’ailleurs, que je pris parfaitement bien, reconnaissant qu’il avait raison. ». Et continuer à faire confiance et à soutenir son collaborateur : « Il me fit comprendre que ce n’était pas grave, que de cette erreur je devais tirer une leçon et que ce ne pouvait être que formateur, que j’étais jeune et que mon expérience commençait ici. Je l’ai remercié pour sa franchise. ». Dans le processus de prévention des erreurs, en tant que supérieur, il faut encadrer. Face à une erreur ou à un échec, les hiérarchiques se remettent en cause pour une situation qu’ils n’ont pas su prévoir ; il n’est pas rare qu’ils se culpabilisent et ils se demandent pourquoi ils n’ont pas su déceler le problème ex ante ? « Nous lui avons laissé des chances mais entre nous, sans vraiment lui en parler, il n’y avait pas de discussion entre lui et nous. Visiblement, c’est une personne qui avait besoin d’encadrement, ce que nous avons mis du temps à comprendre mais jamais vraiment mis en application ; nous ne lui avons pas offert cet encadrement, mais nous l’avons presque aidé, par notre attitude, à se mettre à l’écart du groupe de travail. ». « Je leur ai donc demandé des justifications chaque fois que leurs résultats baissaient et je m’astreignais à les accompagner sur le terrain pour corriger directement les erreurs constatées. ». Ensuite, il faut envoyer des messages d’alerte, qui permettent de rectifier le tir afin de ne pas faire l’objet d’une surprise brutale. « Il aurait dû me signifier son état d’esprit par rapport à ce projet ou au moins émettre des réserves. D’autant qu’au cours de l’année et depuis mon arrivée dans le service, aucun message d’alerte ne m’a permis d’entrevoir ce refus… Comment imaginer une erreur de stratégie alors qu’elle était soutenue par ma hiérarchie ? ». Enfin et surtout, ne pas faire de l’erreur une affaire publique, un tableau d’horreur affiché, ne pas en rajouter, ne pas écraser le fautif ; ne pas raconter l’erreur à tout le monde… « Nos erreurs sont systématiquement montrées du doigt, ce qui limite nos prises d’initiatives et par conséquent notre motivation ».
Conclusion
64 En interrogeant notre base de 1047 récits d’expériences, la recherche a pu isoler 171 situations concernant 139 professionnels, qui ont permis une description plus précise du processus d’erreur. En examinant ces données, la recherche peut-elle répondre à la problématique de départ ?
65 Le tableau 5 montre que 38,4 % des informations données par les scripteurs dans leurs récits d’expériences sur l’erreur ont été consacrées aux conséquences de l’erreur (60 verbatims comprenant 2745 mots composés de 14359 caractères).
66 Le tableau 6 montre qu’au sein de ces conséquences, les problèmes relationnels mobilisent 51,3 % des informations (20 verbatims, 621 mots, 4001 caractères).
67 Par ailleurs, le tableau 7 montre que 52,9 % des informations concernent la confrontation avec le hiérarchique (35 verbatims comprenant 1353 mots composés de 7603 caractères).
68 Si nous émettons l’hypothèse que le lien social n’est pas indépendant des postures affectives et de la qualité de la relation avec le hiérarchique, nous pouvons donc légitimement en déduire que le lien est effectivement placé au centre du processus de l’erreur par les intéressés eux-mêmes.
69 Mais est-il renforcé ou détérioré par la situation d’erreur ? Le tableau 8 montre qu’en situation d’erreur, le lien a été renforcé dans 42,9 % des cas et affaibli dans 57,1 % des cas.
70 Sur le plan de la problématique définie au départ, la recherche permet de répondre ceci :
71 L’erreur est une situation probablement très favorable à la modification des liens sociaux, dans la mesure où elle met son auteur provisoirement en situation de vulnérabilité et parfois de détresse légère ou forte. Mais c’est le type de réaction du supérieur qui va déterminer dans quel sens se fera cette modification. Sur l’échantillon qui est le nôtre, 414 professionnels sont consultés sur ce qui leur semble important. Parmi eux, 139 se sont exprimés sur des erreurs qu’ils avaient commises. Le lien hiérarchique a été renforcé dans 42,9 % des cas. Il s’est détérioré dans les autres cas.
72 Il n’y a pas de cas où l’erreur est restée sans effet sur les relations. Quand une erreur a été commise, il n’y a plus de neutralité possible ; l’erreur est un amplificateur de la relation, soit le lien va s’améliorer, soit le lien va se détériorer.
73 Sur le plan de la performance, la recherche permet d’établir quatre prescriptions pour le responsable :
74 En cas de risque d’erreur ou en cas d’erreur, le hiérarchique qui veut établir du lien social devra :
- envoyer des messages d’alerte ex ante [13],
- maintenir sa confiance ex post malgré l’erreur [14],
- débriefer l’erreur [15],
- éviter la « publicité » inutile autour de l’erreur qui a été faite [16].
76 Toujours sur le plan de la performance, elle permet aussi d’établir les cinq prescriptions suivantes adressées à l’auteur de l’erreur :
77 Au cas où il aura fait une erreur, le collaborateur devra :
78 32111 — Reconnaître l’erreur [17]
79 32112 — Réparer l’erreur (si c’est possible) [18]
80 32113 — Éviter les enchaînements d’erreurs [19]
81 32120 — Éviter l’affectif [20]
82 32130 — Ne pas hésiter à demander de l’aide [21]
83 Les dix-neuf responsables à qui nous avons présenté ces résultats avaient une expérience différenciée, semblable à la population des récits : l’un était très expérimenté, trois avaient une bonne expérience et les autres avaient été vaguement confrontés au problème. Ils ont déclaré reconnaître leurs expériences dans les résultats et être très intéressés par les aspects dont ils n’avaient pas connaissance. Au cours des entretiens individuels, ils s’expriment largement et confirment chacun des points, mais proposent leurs propres déclinaisons : « Si la personne reconnaît l’erreur, on ne se fâche pas car on pense que l’erreur ne sera pas reproduite, mais si la personne passe en défense, il est difficile de progresser ». « C’est à la première erreur, après la première confrontation, que tout va se jouer : la personne racontera l’entretien à tous, à sa façon et chacun évaluera le lien de confiance dont il pense pouvoir bénéficier. Il est donc essentiel que la première erreur débriefée se déroule correctement. Pour la suivante, son auteur viendra spontanément prévenir : « Je crois que j’ai fait une erreur… » Et surtout, il le fera rapidement, pour que l’erreur ne s’aggrave pas ». Un autre responsable regrette : « Dans le cas où les personnes ne se sentent pas en confiance ou bien ont simplement peur, elles corrigent si c’est possible, cachent l’erreur si ce n’est pas possible, puis se couvrent mutuellement quand l’erreur, devenue catastrophique, est enfin découverte. Et il est alors impossible de savoir comment l’erreur s’est produite, et donc de sécuriser le processus ». Un dernier responsable avertit : « Si vous constatez de tels phénomènes, vous pouvez en déduire que le social est médiocre, c’est comme ça que S… a été mis en place, aucun échelon n’a voulu être le porteur de la mauvaise nouvelle et n’a osé dire qu’il y avait plein d’erreurs, dans le programme et c’est le DG qui a sauté… Notre culture ? Pas de problème, tout va bien ! ».
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Mots-clés éditeurs : débriefing, lien social, Récit de vie, management, Retour d'expérience, obser vatoire, REX, Erreur
Date de mise en ligne : 01/05/2011
https://doi.org/10.3917/rsg.220.0159Notes
-
[1]
Une centaine d’entretiens avec des cadres commerciaux a montré qu’ils sont affirmatifs sur ce point.
-
[2]
En ce qui concerne l’enseignement, au sein des Universités ou des grandes écoles, nous pouvons aussi constater que les modules de gestion de l’erreur, gestion de l’échec, ou de management des retours d’expériences sont peu fréquents.
-
[3]
Pour Pierre Berbizier, « c’est la victoire qui rend c…! ». Pour Aimé Jacquet, « C’est avec la défaite qu’on progresse » et pour Jean Todt, « Le plus important, c’est de savoir perdre plutôt que de savoir gagner ».
-
[4]
« L’homme victorieux » : Victor, victoire, Victoria, sont de la même racine. Victor était le titre des Empereurs.
-
[5]
In Bourion, Les représentations mentales, colloque Métamorphoses des organisations, octobre 2004, GREFIGE Nancy.
-
[6]
Le nombre de points détermine le nombre de phrases figurant dans le verbatim. Il faut préciser « de part et d’autre du mot -clé ».
-
[7]
In Voynnet Fourboul, op. cit. p. 1619.
-
[8]
Nous avons bien tenté d’automatiser cette opération. Si le thème de la recherche est tel qu’il est réparti dans les récits suivant une loi normale, la fréquence et le volume des verbatims sont à peu près identiques. Mais si le thème de la recherche est réparti dans les récits suivant une loi de Poisson, les verbatims sont tous particuliers et l’automatisation ne donne pas satisfaction. Nous pouvons toutefois effectuer un premier tri, mais il faudra tout de même un second tri manuel, au cours duquel il faudra vérifier et modifier éventuellement le découpage automatique de chaque verbatim. Il faut donc opérer à ce niveau du découpage, une microanalyse de contenu… Ainsi, cette phase va demander un long travail, puisqu’il faut, pratiquement dès qu’il y a un doute sur le découpage, lire entièrement le récit détecté par le mot-clé, et il y a 414 récits…
-
[9]
In Voynnet Fourboul, op. cit. p. 1617.
-
[10]
Au fur et à mesure de la création de nouvelles catégories, nous gagnons beaucoup de temps dans les va-et-vient des « couper – coller », en plaçant un saut de section continu en tête des intitulés de catégories.
-
[11]
Après divers tâtonnements, ce sont les caractères qui sont les plus représentatifs. Les verbatims sont très variables dans leurs dimensions et les mots imprécis.
-
[12]
Nombre de verbatims, nombre de mots, nombre de caractères.
-
[13]
(Catégorie 32233) (2/59/277).
-
[14]
(Catégorie 32231) (3/111/516).
-
[15]
; (Catégorie 32212) (2/66/333).
-
[16]
(Ne pas raconter l’erreur à tout le monde). (Catégorie 32113) (2/94/469).
-
[17]
(Catégorie 32111) (8/420/2101).
-
[18]
(Catégorie 32112) (4/264/1337).
-
[19]
(Catégorie 32113) (3/180/897).
-
[20]
(Catégorie 3212) (3/108/495).
-
[21]
La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 219-220 - R.H.