Notes
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[1]
V. notamment : https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Sarah_Halimi
-
[2]
La décision a été publiée sur le site de la Cour de cassation, accompagnée d'un communiqué de presse, du rapport extrêmement fouillé du conseiller rapporteur de près de 80 pages, ainsi que de l'avis écrit de l'avocate générale tout aussi volumineux, doublé de son avis oral.
-
[3]
Sur cette tendance v. not. A. Darsonville, L'élaboration de la loi pénale sous l'influence des citoyens, in Mél. C. Lazerges, Dalloz, 2014, p. 147 s. ; S. Goudjil, Analyse idéologique des réformes pénales depuis 1981, th. Tours, 2019, n° 160 s.
-
[4]
Sénat, prop. de loi n° 232, présentée par N. Goulet et enregistrée à la présidence du Sénat le 8 janv. 2020.
-
[5]
Sénat, prop. de loi n° 252, présentée par J.-L. Masson, C. Herzog et C. Kauffmann et enregistrée à la présidence du Sénat le 16 janv. 2020.
-
[6]
Ph. Houillon, D. Raimbourg (dir). Rapport de la mission sur l'irresponsabilité pénale https://fedepsychiatrie.fr/wp-content/uploads/2021/04/Rapport-irresponsabilite%CC%81-pe%CC%81nale.pdf
-
[7]
V. not. M. Daury-Fauveau, La question du discernement à propos d'un crime antisémite, D. 2020. 341 ; V. Tellier-Cayrol, La turpitude du fou, D. 2020. 349.
-
[8]
Face à la mise en cause de l'institution judiciaire dans cette affaire, le Conseil Supérieur de la Magistrature a publié un communiqué solennel, le 21 avr. 2021, pour rappeler que « le juge a pour mission d'appliquer la loi et se doit, en matière pénale, de l'interpréter strictement. Il ne peut la créer ou la modifier. Il s'agit là d'un principe fondamental pour préserver les équilibres démocratiques ».
-
[9]
On ne confondra pas cette maxime qui prohibe l'interprétation restrictive avec le principe d'interprétation stricte de la loi pénale qui ne devrait s'appliquer qu'aux textes d'incrimination ou de pénalité, lesquels, dans un État libéral, ont un caractère d'exception (exceptio est strictissimae interpretationnis), v. H. Roland et L. Boyer, Les adages du droit français, Litec, 1992, n° 453.
-
[10]
Comp. Crim. 12 mai 2010, n° 10-80.279 : un homme a été déclaré irresponsable pénalement du meurtre d'un jeune homme de 23 ans, du fait d'une schizophrénie délirante paranoïde. Or il avait crié après le meurtre « j'ai tué un juif, j'irai au paradis », mais les psychiatres ont parlé d'un « acte délirant » et le caractère antisémite du crime n'a pas été retenu.
-
[11]
V. aussi F. Fourment, Irresponsable de l'avoir tuée ?, Gaz. Pal. 2021, n° 18, Editorial, p. 44 : « Un mobile antisémite, atteint in fine, est-il compatible avec une abolition du discernement de l'auteur des faits ? »
-
[12]
E. Dreyer, Affaire Halimi : fin et suite ?, https://blog.leclubdesjuristes.com/https://blog.leclubdesjuristes.com/ ; v. aussi E. Dreyer, La folie, qu'elle qu'en soit la cause, fait toujours obstacle à la responsabilité pénale, JCP 2021, 522, p. 936 (« l'antisémitisme de l'agent a sans doute facilité son passage à l'acte [...) Mais une telle explication n'est pas de nature à aggraver un acte qui a échappé à celui qui l'a accompli ».
-
[13]
V. Y. Mayaud, Les malades mentaux entre non-imputabilité et imputation, AJ pénal 2004. 303.
-
[14]
V. note H. Matsopoulou, Le développement des mesures de sûreté justifiées par la « dangerosité » et l'inutile dispositif applicable aux malades mentaux, Dr. pénal 2008. Chron. 5 ; J. Pradel, Une double révolution en droit pénal français avec la loi du 25 février 2008 sur les criminels dangereux, D. 2008. 1000.
-
[15]
N'en déplaise à ceux qui voudraient, au mépris du principe non bis in idem, refaire un procès en Israël ; sur le caractère discutable d'une telle proposition v. D. Chilstein, La justice israélienne, un recours discutable contre un arrêt jugé choquant, https://blog.leclubdesjuristes.com/
-
[16]
Sur l'existence d'un « procès » devant la chambre de l'instruction v. J. Pradel, Deux siècles de politique pénale, révolution ou rénovation?, Cujas 2020, n° 416 , p. 653.
-
[17]
V. L. Leturmy, La pénalisation des personnes atteintes de troubles mentaux, AJ pénal 2018. 491.
-
[18]
V. J.M. Carbasse, Histoire de la justice, PUF, coll. « Droit fondamental », 2000, n° 126 : Le droit romain considérait déjà l'insensé, qu'il soit demens ou furiosus, comme irresponsable. Ce principe a été repris par le droit canonique et par le droit laïc au Moyen Âge et s'est maintenu sous l'Ancien Régime. On lit sous la plume de Muyard de Vouglans que « les insensés et les furieux sont déclarés exempt de peine, [car] ils sont déjà assez punis par le malheur de leur état ». La règle était alors que l'accusé devait avoir commis son forfait en état de démence ; mais, comme le relève J.-M. Carbasse, les juges tenaient aussi compte de la folie superveniens, postérieure à l'acte criminel, pour interrompre l'instruction ou, le cas échéant, l'exécution de la peine, la folie étant elle-même une peine. Tiraqueau disait que le fou est dans un état semblable à la mort (furiosus mortuo aequiparatur). Pour autant, les juges avaient le souci de mettre la société à l'abri de ces individus dangereux. Il leur arrivait de remettre l'insensé à sa famille qui devait le surveiller « à peine d'en répondre, et de tous dommages et intérêts » ou d'ordonner que le fou soit enfermé : « les insensés et les fous sont excusés [...], mais il faut les enferer et lier étroitement en la prison afin qu'ils ne commettent plus le semblable » (Damhoudere, XVIe siècle). Et l'histoire nous enseigne que les tribunaux se sont aussi beaucoup intéressés aux « états voisins de la démence », comme le somnambulisme, la surdi-mudité ou l'ivresse (v. N. Laurent-Bonne, Les origines de l'irresponsabilité pénale du somnambule, RSC 2013. 547). Les deux premiers étaient équivalents à la folie, le dernier sur lequel nous reviendrons a pu être considéré comme une excuse, mais le coupable se voyait imputer comme faute lourde (culpa lata) le fait d'avoir bu de manière inconsidérée. En pratique, le juge appréciait dans chaque cas le degré de responsabilité. Il n'existait qu'une exception à l'irresponsabilité du fou : le crime de lèse-majesté. La justification alors avancée par la doctrine tenait au caractère particulièrement « atroce » du crime et à la nécessité de ses garder des « folies feintes ou préparées » (telle que celle de Brutus). Selon J.-M.Carbasse, les arrêtistes du XVIe siècle, citent quelques arrêts portant condamnation de fous. Mais en 1605, Henri IV gracia un dément qui l'avait agressé sur le Pont neuf et par la suite on ne trouve plus de trace de cette jurisprudence (sans doute parce que le tyrannicide a passé de mode). Seul est resté le principe de l'irresponsabilité, lequel fut renforcé, à la fin du XVIIIe siècle, par les travaux de Pinel et de Esquirol, qui assimilaient la folie à une « maladie aliénante », ce qui conduisit le code napoléonien, a proclamé à l'article 64 de manière laconique « Il n'y a ni crime, ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l'action... »
-
[19]
V. J. Pradel, Droit pénal comparé, Dalloz, coll. « Précis », 4e éd. 2016, n° 114 : les troubles psychiques ont toujours été peu ou prou considérés comme des causes d'irresponsabilité pénale. En common law, il est une affaire célèbre qui a permis de définir ce qu'est une aliénation mentale, l'affaire M'Naghten, qui donna lieu à un avis de la Cour du Banc de la Reine en 1843. La preuve devait être rapportée que l'accusé « ne connaissait ni la nature ni la qualité de l'acte qu'il effectuait ou qu'il ne savait pas que ce qu'il faisait était mal ». Cette définition anglaise fut reprise en substance par les juges des USA, du Canada et de l'Australie. La définition évolua ensuite légèrement. Ainsi le code pénal type des États-Unis dispose « une personne n'est pas responsable de sa conduite criminelle si au moment de ladite conduite, cette personne, en conséquence d'une maladie ou défaillance mentale, n'était pas vraiment en capacité d'apprécier la nature criminelle de sa conduite ou d'adapter celle-ci aux exigences de la loi ». Cette définition se rapproche de celles retenues par les droits romano germaniques. Ainsi selon le § 20 du code pénal allemand : « N'est pas pénalement responsable de son acte, celui qui, lors de la commission de l'acte est, en raison d'un trouble psychopathologique, d'un trouble profond de la conscience ou de la faiblesse d'esprit, ou de tout autre affaiblissement intellectuel, incapable d'en apprécier le caractère illicite ou d'agir selon son discernement ». Mais on retiendra surtout que dans la quasi-totalité des systèmes juridiques, l'aliénation produit deux effets : l'irresponsabilité pénale et l'internement de l'aliéné dans un établissement spécialisé. Cette mesure est rarement prononcée par l'autorité administrative (ce fut le cas en France jusqu'en 2008), mais plus souvent par le juge pénal (Allemagne, Belgique, Espagne, Italie et pays de common law). La question qui se pose est de savoir si cet internement est obligatoire ou si les juges disposent d'une marge d'appréciation. Les deux systèmes se rencontrent : en droit romano germanique, la faculté appartient discrétionnairement au juge, alors qu'en common law l'internement est obligatoire et illimité. Toutefois, dans les pays de common law, les juges ont créé la notion d'automatisme : ils écartent l'internement lorsqu'est démontré que l'agent a agi mécaniquement, avec des sous-distinctions selon qu'il était un malade dangereux (donc internement) ou non (absence d'internement). Quoi qu'il en soit, il faut retenir du droit comparé que partout la démence est traitée de manière analogue : pas de peine du fait de l'absence de culpabilité ou de responsabilité mais une mesure de soin ou de sûreté du fait de la dangerosité.
-
[20]
V. cependant infra pour des solutions contraires dans certains droits étrangers.
-
[21]
F. Rousseau, De l'abolition du discernement consécutive à la consommation de produits stupéfiants, JCP G 2021, 521, p. 931 ; J-C. Saint- Pau, Trouble mental, usage de stupéfiants et irresponsabilité pénale : la raison et l'émotion, Lexbase Pénal, n° 38, p. 29.
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[22]
F. Rousseau, note préc. p. 932.
-
[23]
J-C. Saint-Pau, note préc., p. 29.
-
[24]
E. Dreyer, Droit pénal général, LexisNexis, 5e éd. 2019, n° 816.
-
[25]
Ph. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, Armand Colin, 7e éd., 2004, n° 349 s.
-
[26]
J. Pradel, Droit pénal général, Cujas, 22e éd. 2019, n° 509 s.
-
[27]
V., pour un effort savant de mise en équation, J.-B. Perrier, La distinction culpabilité/imputabilité, in J. Leroy (dir.), Faut-il rethéoriser le droit pénal ?, LexisNexis 2016, p. 69 s.
-
[28]
S. Détraz, La création d'une nouvelle décision de règlement de l'instruction : la décision d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, RSC 2008. 873.
-
[29]
V. not. Y. Mayaud, Droit pénal général, PUF, coll. « Droit fondamental », 6e éd. 2018, n° 217 s. ; X. Pin, Droit pénal général, Dalloz, coll. « Cours », 12e éd. 2020, n° 170 s.
-
[30]
Nous rappellerons que les mots « responsabilité » et « responsable » ne sont entrés dans le code pénal qu'en 1992, pour désigner de manière synthétique et simplifiée, la réunion de la culpabilité, de l'imputabilité et de la punissabilité, et que l'avant-projet de code pénal de 1978 avait préféré l'expression « n'est pas punissable... » à celle finalement retenue de « n'est pas responsable... ». Sur cette évolution sémantique v. X. Pin L'irresponsabilité pénale. Réflexions sur le sens des articles 122-1, 122-2, 122-3 et 122-8 du code pénal, in La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, Opinio doctorum, Dalloz, 2009, p. 51 s.
-
[31]
Sur la défaillance à la fois « morale » et « technique » de l'imputabilité, v. Y. Mayaud : L'affaire Sarah Halimi : retour sur les principes de responsabilité et d'irresponsabilité pénale, D. 2021. 875.
-
[32]
Le texte distingue seulement suivant les effets du trouble (abolition ou altération) et suivant leurs conséquences sur le discernement ou sur le contrôle des actes ; sur cette dernière sous-distinction, v. F. Fourment, préc.
-
[33]
E. Dreyer, Affaire Halimi : fin et suite, préc.
-
[34]
Précisons que l'ivresse ou l'intoxication involontaire n'a jamais vraiment posé de difficultés : si un tiers fait ingurgiter de force de l'alcool ou toute autre substance enivrante abolissant le discernement, l'irresponsabilité pénale était retenue soit sur le fondement de la démence, soit sur le fondement de la contrainte : Amiens, 26 mai 1954, D. 1954. 579. Crim. 14 nov. 1924, Bull. crim. n° 381 ; 5 févr. 1957, RSC 1958. 93, obs. A. Legal.
-
[35]
J. Pradel, Droit pénal général, op. cit., n° 530.
-
[36]
Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., n° 449.
-
[37]
v. J. Léauté, Le rôle de la faute antérieure dans le fondement de la responsabilité pénale, D. 1981. Chron. 295 ; C. Robaczewski, Le rôle de la faute antérieure en matière de responsabilité pénale, thèse Lille, 2002, n° 218 s. ; A. Lagana, L'appréhension des violences liées à la prise d'alcool et de stupéfiants par le droit pénal, thèse Grenoble 2020, n° 52 s. ; F. Petitpermon, Le discernement en droit pénal, LGDJ, Bibl. sc. crim. 2017, t. 65, n° 200 s.
-
[38]
Crim. 29 janv. 1921 (Trémintin), S. 1922. 1. 85, note J.-A. Roux, in J. Pradel, A. Varinard, GADPG, Les grands arrêts du droit pénal général, 11e éd. 2018, n° 43.
-
[39]
Crim. 6 janv. 1970, Bull. crim. n° 154.
-
[40]
De la même façon, il n'est pas très pertinent d'essayer de faire le parallèle avec les causes objectives d'irresponsabilité pénale que sont la légitime défense et l'état de nécessité, qui disparaissent chaque fois que l'agent s'est placé de manière fautive dans une telle situation, car alors c'est la nécessité qui fait défaut (v. Crim. 28 juin 1958 Lesage, in J. Pradel et A. Varinard, op. cit., n° 24).
-
[41]
V. aussi E. Dreyer, La folie, quelle qu'en soit la cause, ... note prec., p. 934 qui considère que les deux causes d'irresponsabilité ne suivent pas exactement le même régime.
-
[42]
E. Garçon, Code pénal annoté par M. Rousselet, M. Patin et M. Ancel, t. 1, Sirey, 1954, art. 64, p. 210, n° 45.
-
[43]
Crim. 1er juin 1843, S. 1844, 1, 844.
-
[44]
Crim. 14 nov. 1924, Bull. crim. n° 381.
-
[45]
E. Garçon, Code pénal annoté, op. cit., n° 51.
-
[46]
Crim. 5 févr. 1957, Bull. crim. n° 112 ; RSC 1958. 93 obs. Légal ; v. aussi pour un cas de discernement seulement altéré : Crim. 5 févr. 1957, Bull. crim. n° 232 : « l'ivresse qui diminue l'intelligence et la responsabilité de l'agent, doit être considérée comme une circonstance atténuante et non comme une circonstance aggravante ».
-
[47]
Crim. 21 juin 2017, n° 16-84.158, D. 2017. 1425 ; RSC 2017. 517, obs. Y. Mayaud ; v. déjà Paris, 27 mai 1970, Gaz. Pal. 1972. 2, somm. 37 ; RSC 1971. 119, obs. G. Levasseur.
-
[48]
T. corr. Nevers, 30 janv. 1976, Gaz. Pal. 1976. 2, somm. 227.
-
[49]
Toulouse, 29 mars 2001, Juris-Data n° 148007.
-
[50]
Crim. 12 mai 2010, n° 10-80.279, préc.
-
[51]
Pt 26 : « Les juges ajoutent que la circonstance que cette bouffée délirante soit d'origine exotoxique et due à la consommation régulière de cannabis, ne fait pas obstacle à ce que soit reconnue l'existence d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes, puisqu'aucun élément du dossier d'information n'indique que la consommation de cannabis par l'intéressé ait été effectuée avec la conscience que cet usage de stupéfiants puisse entraîner une telle manifestation ». Pt 27 : « Ils concluent qu'il n'existe donc pas de doute sur l'existence, chez M. Z..., au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ».
-
[52]
Rossi, Traité de droit pénal, 1872, t. 2, p. 58.
-
[53]
E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., n° 831.
-
[54]
J. L. E. Ortolan, Éléments de droit pénal, Paris, Plon, 3e éd. 1863, n° 323.
-
[55]
J. L. E. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., n° 326.
-
[56]
R. Garraud, Précis de droit criminel, 5e éd. 1895, n° 136.
-
[57]
RSC 1986. 87, spéc. 90, obs. A. Vitu.
-
[58]
Contrairement au législateur suisse, v. C. pén. suisse, art. 12, al. 2 : « Agit intentionnellement quiconque commet un crime ou un délit avec conscience et volonté. L'auteur agit déjà intentionnellement lorsqu'il tient pour possible la réalisation de l'infraction et l'accepte au cas où celle-ci se produirait ».
-
[59]
F. Petitpermon, op. cit., n° 211.
-
[60]
C. Mosès, Alcoolisme et infractions contre les personnes, La documentation française, 1986, p. 150 à 152.
-
[61]
Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., n° 451.
-
[62]
Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., n° 452.
-
[63]
Y. Mayaud, RSC 2017. 517.
-
[64]
Y. Mayaud, L'affaire Sarah Halimi..., note préc.
-
[65]
Yves Mayaud propose in fine une intervention législative sur le modèle de l'infraction praeter intentionnelle, Y. Mayaud, L'affaire Sarah Halimi..., not. préc.
-
[66]
E. Dreyer, op. cit., n° 832.
-
[67]
J.-C. Saint-Pau, note préc. p. 28.
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[68]
C. Robaczewski, op. cit., n° 220 s.
-
[69]
Il existe bien d'autres opinions en ce sens que le lecteur trouvera dans le volumineux rapport du Conseiller Christian Guéry, publié sur le site de la Cour de cassation à côté de l'arrêt commenté.
-
[70]
Crim. 27 oct. 2015, n° 14-86.983, Gaz. Pal. 26 janv. 2016. Chron. 49, obs. S. Detraz.
-
[71]
J. Wessels, W. Beulke, Strafrecht Allgemeiner Teil, C.F. Müller, 32e éd., 2002, n° 415 s.
-
[72]
J. Pradel, op. cit., n° 529 s.
-
[73]
Sur cette double intention, v. J.Wessels, W. Beulke, op. cit., n° 417.
-
[74]
X. Pin, préc. p. 56.
-
[75]
V. E-C. Frety, Il faut admettre les limites du droit face à un acte commis par un malade mental, JCP 2021. 507.
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[76]
V. Recomm. n° 21 de la Mission sur l'irresponsabilité pénale préc. (p. 51), qui préconise de laisser l'art. 122-1 sous sa forme actuelle.
-
[77]
Min. justice, communiqué 25 avr. 2021.
-
[78]
V. J. Pradel, Droit pénal comparé, op. cit., n° 114.
-
[79]
Pour plus d'exemples et de détails de droit comparé v. le rapport de la Mission sur l'irresponsabilité pénale précité, p. 14 s.
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[80]
V. J. Pradel, op. cit, loc. cit.
-
[81]
Pour une analyse détaillée de la défense d'intoxication du droit canadien, qui pourrait constituer une piste pour le législateur français, v. J.-C. Saint-Pau, note préc.
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[82]
V. aussi l'art. 19 du code pénal suisse relatif à « l'irresponsabilité et la responsabilité restreinte » : « L'auteur n'est pas punissable si, au moment d'agir, il ne possédait pas la faculté d'apprécier le caractère illicite de son acte ou de se déterminer d'après cette appréciation. Le juge atténue la peine si, au moment d'agir, l'auteur ne possédait que partiellement la faculté d'apprécier le caractère illicite de son acte ou de se déterminer d'après cette appréciation. Les mesures prévues aux art. 59 à 61, 63, 64, 67, 67b et 67e peuvent cependant être ordonnées. Si l'auteur pouvait éviter l'irresponsabilité ou la responsabilité restreinte et prévoir l'acte commis en cet état, les al. 1 à 3 ne sont pas applicables ».
-
[83]
V. la liste des 22 recommandations in Rapport de la Mission sur l'irresponsabilité pénale préc., p. 3. V. aussi les propositions de J-C. Saint-Pau, note préc.
Cannabis, antisémitisme, folie meurtrière et irresponsabilité pénale
1(Crim. 14 avr. 2021, n° 20-80.135, D. 2021. 875, note Y. Mayaud ; JCP 2021 Édito, P. Spinosi ; JCP 2021, 521 note F. Rousseau ; JCP 2021, 522 note E. Dreyer ; Lexbase Pénal, 20 mai 2021, n° 38, note J-C. Saint-Pau ; Gaz. Pal. 2021, n° 18, Editorial F. Fourment)
2Si l'on mesurait l'importance des arrêts de la Cour de cassation à leur aptitude à défrayer la chronique, celui du 14 avril 2021, rendu par la chambre criminelle dans la triste affaire dite « Sarah Halimi » [1], devrait assurément être considéré comme un grand arrêt. Rarement en effet une décision de justice n'aura été aussi attendue et n'aura provoqué une telle indignation communautaire, médiatique et politique. Et pourtant, il ne s'agit ni d'un arrêt exceptionnel, ni d'un arrêt scandaleux, mais tout simplement d'un arrêt qui, à propos d'un acte antisémite barbare commis par un fou, déclaré irresponsable par une chambre de l'instruction, rappelle que, selon l'article 122-1, alinéa 1er du code pénal, « la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes » n'est « pas pénalement responsable » et énonce qu'il importe peu que l'abolition du discernement de l'auteur ait été, comme en l'espèce, provoquée par sa consommation volontaire de stupéfiants, puisque ce texte ne distingue pas « selon l'origine du trouble psychique [...] ».
3Évidemment, compte tenu de l'exacerbation contemporaine des sensibilités confessionnelles et des questions sécuritaires, toutes les précautions ont été prises pour préparer, rendre et expliquer cette décision [2].
4On se souvient en effet que l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris rendu le 19 décembre 2019, avait déjà suscité l'émoi, en retenant le caractère antisémite du crime tout en déclarant l'auteur irresponsable pénalement du fait d'une bouffée délirante, due à la prise régulière de cannabis, ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits. Le grand rabbin de France et le président du CRIF s'étaient indignés, et le président de la République lui-même avait indiqué qu'il comprenait le besoin de procès des victimes, à tel point que la Cour de cassation avait cru devoir publier, le 27 janvier 2020, un communiqué pour rappeler le principe d'indépendance de la justice et la nécessaire sérénité dont devaient pouvoir bénéficier les magistrats saisis du pourvoi. Entre-temps, sous la pression de l'opinion [3], deux sénateurs ont proposé de réformer la loi : une première proposition visait à exclure l'application de l'article 122-1 du code pénal « lorsque l'état de l'auteur résulte de ses propres agissements ou procède lui-même d'une infraction antérieure ou concomitante » [4] et une seconde, dans le même sens, ajoutait à cet article un alinéa suivant lequel « les causes d'exemption ou d'atténuation de la responsabilité pénale prévues au présent article ne s'appliquent pas lorsque l'état de la personne concernée est dû à ses propres agissements et notamment à la consommation volontaire de substances hallucinogènes ou autres » [5].
5Enfin, la ministre de la Justice de l'époque n'a pas été en reste puisque le 8 juin 2020, elle mettait en place une mission chargée de réfléchir à la possibilité de modifier la loi sur l'irresponsabilité pénale, qui a remis son rapport en février 2021, lequel n'a été rendu public qu'après la décision de la Cour de cassation du 14 avril 2021 [6]. Entre-temps, la doctrine a bien essayé de tempérer [7] mais le brouhaha autour de cette dernière décision a relancé la question de la réforme [8]. Le président de la République, relayé par le nouveau garde des Sceaux, a souhaité l'adoption prochaine d'une loi visant à préciser l'impact de la consommation de stupéfiants sur la responsabilité pénale. Bref, une nième loi d'émotion est annoncée, qui pourrait retoucher l'article 122-1 du code pénal, alors pourtant que le rapport de la mission précitée préconise justement de ne pas modifier la rédaction actuelle de cet article (Recommandation n° 21).
6Mais de quoi s'agit-il au fond ? D'un crime ignoble commis par un fou à Paris. Un homme pris d'une bouffée délirante aiguë, attribuée à sa consommation régulière de cannabis, a sauvagement agressé puis défenestré une vieille dame de confession juive, en croyant voir en elle le démon. Durant l'instruction, un premier expert - renommé - a conclu à l'altération du discernement au moment des faits, puis six autres experts, répartis en deux collèges, ont conclu, quant à eux, à son abolition, en raison d'un trouble psychique ou neuropsychique, d'origine exotoxique. Ces derniers avis ont été suivis par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris qui a déclaré, après un débat auquel les parties civiles ont pu participer, qu'il existait des charges suffisantes contre le mis en examen d'avoir commis les faits antisémites qui lui étaient reprochés, mais que le premier alinéa de l'article 122-1 du code pénal était applicable. En conséquence, les juges l'ont déclaré irresponsable pénalement et l'ont mis hors d'état de nuire, conformément à l'article 706-125, 4° du code de procédure pénale, en le faisant hospitaliser sous un régime de contrainte. Un pourvoi contre cette déclaration d'irresponsabilité a été formé par les parties civiles et le procureur général, que la Cour de cassation a rejeté aux motifs d'une part, que la déclaration d'irresponsabilité était régulière, et d'autre part que « les dispositions de l'article 122-1, alinéa 1er, du code pénal, ne distinguent pas selon l'origine du trouble psychique ayant conduit à l'abolition de ce discernement ».
7Si l'on peut comprendre l'émotion de la famille de la victime - notamment parce que les experts n'étaient pas unanimes -, en revanche cette solution n'a rien de choquant pour les juristes : la Cour de cassation a d'abord vérifié que la procédure conduisant à la déclaration d'irresponsabilité pénale était régulière en la forme, puis a appliqué à l'article 122-1 précité la maxime ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus, qui condamne toute interprétation restrictive d'un texte conçu en termes généraux [9].
8Au contraire, deux principes séculaires du droit pénal général et de la justice sont préservés par cette solution : le principe de la légalité, qui impose de respecter la lettre ou l'esprit de la loi et prohibe toute interprétation restrictive et le principe d'imputabilité, illustré en l'occurrence par l'article 122-1 du code pénal, qui veut que l'on ne condamne pas pénalement ceux qui sont privés de volonté ou de libre arbitre au moment des faits.
9Quant aux faits justement, la chambre de l'instruction a estimé qu'il existait des charges suffisantes contre le mis en examen qu'il avait commis un acte antisémite mais qu'il était atteint, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. La Cour de cassation rappelle que cette appréciation est souveraine et estime, pour répondre au pourvoi, que la décision critiquée ne souffre ni d'insuffisance, ni de contradiction. Ce faisant, la Haute juridiction tranche plus précisément deux questions de droit pénal général fort intéressantes : la première est de savoir si un individu déclaré irresponsable pénalement peut se voir reprocher des faits qualifiés d'antisémites, c'est une question de qualification - voire de sous-qualification - à laquelle la Cour de cassation répond implicitement par l'affirmative (I). La seconde question est de savoir si la consommation volontaire de stupéfiants, à l'origine du trouble abolissant le discernement, pouvait être un obstacle à l'irresponsabilité pénale, c'est une question d'imputation et plus particulièrement d'imputabilité, à laquelle la Haute juridiction répond explicitement par la négative (II).
I - Sur la qualification des faits
10A priori, on pourrait penser qu'il y a un hiatus à retenir à la fois le caractère antisémite des faits et l'irresponsabilité pénale de leur auteur, non seulement parce que la circonstance d'antisémitisme, est en principe non pas qualifiante mais aggravante (C. pén., art. 132-76) et qu'en l'occurrence il n'y a pas de peine à aggraver. Mais aussi parce qu'une telle circonstance relève du mobile et suppose donc, par définition, que celui qui a agi avait une certaine conscience ; ce qui est apparemment paradoxal pour une personne dont le discernement est aboli.
11Or la Cour de cassation n'y voit rien à redire. Au contraire, elle relève que les juges de la chambre de l'instruction ont pu reconnaître que l'auteur des faits « s'était senti plus oppressé après avoir vu la Torah et le chandelier, et qu'il pensait que le démon était Mme X... », et qu'ils ont pu s'appuyer sur les témoignages indiquant l'avoir entendu crier « Allah Akbar, c'est le sheitan, je vais la tuer », puis « j'ai tué le sheitan » et « j'ai tué un démon », ainsi que sur « les constatations des experts selon lesquelles la connaissance du judaïsme de Mme X... a conduit la personne mise en examen à associer la victime au diable, et a joué un rôle déclencheur dans le déchaînement de violence contre celle-ci », pour retenir des charges suffisantes de commission des faits « à raison de l'appartenance de la victime à la religion juive ».
12Autrement dit, selon la chambre de l'instruction, l'auteur a bien accompli son geste meurtrier en « connaissance du judaïsme » de sa victime et la Cour de cassation valide implicitement cette analyse, alors qu'elle aurait pu y voir un motif surabondant, puisqu'aucun surcroît de répression ne pouvait s'y attacher. Le reproche fait à « l'auteur » d'avoir commis un acte « à raison de l'appartenance de la victime à la religion juive », est donc essentiellement symbolique, puisque cette circonstance habituellement aggravante devient ici uniquement qualifiante, tout en s'appliquant à des faits qui ne peuvent pas être juridiquement qualifiés de crime, puisqu'à ce stade il n'y a pas d'infraction mais uniquement des « charges » et qu'au final il n'y aura pas non plus de coupable.
13L'appartenance de la victime à la religion juive offre donc une sorte de sous-qualification qui sert uniquement à marquer la réprobation de la chambre de l'instruction, mais aussi de la Cour de cassation, car, en ne la contredisant pas, alors qu'elle est purement symbolique, la Haute juridiction montre que notre droit ne tolère pas l'antisémitisme. Cette position apparemment inédite [10] mérite donc d'être approuvée car il ne faut pas négliger l'importance des symboles en droit pénal, surtout lorsqu'aucune sanction ne peut être prononcée.
14Pour autant l'affirmation du caractère antisémite des faits n'allait pas de soi, précisément parce que l'auteur n'était pas punissable en raison de l'abolition de son discernement. Il est difficilement concevable en effet qu'un individu puisse avoir la conscience du judaïsme de sa victime sans avoir la conscience de ses actes. Les demandeurs au pourvoi n'ont d'ailleurs pas manqué de relever cette apparente contradiction pour contester l'irresponsabilité. Ils ont soutenu en effet « qu'en retenant l'existence de charges suffisantes de commission des faits à raison de l'appartenance de la victime à la religion juive ce dont il résultait que l'auteur des faits avait conscience de donner à son acte un mobile antisémite tout en jugeant néanmoins l'existence d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision » [11].
15Mais cet argument n'a pas prospéré et, selon nous, la Cour de cassation a eu raison de le rejeter car, en réalité, la contradiction n'est qu'apparente. En effet, une chose est la motivation antisémite, qui en l'espèce transparaissait dans la volonté ou la conscience de tuer « le démon » et une autre est la conscience - en l'occurrence absente - de tuer une personne. En d'autres termes, le geste meurtrier d'un dément peut très bien être mu, en psychologie comme en droit, par une volonté antisémite, sans que l'auteur ait conscience d'attenter à la vie d'autrui. En l'occurrence, le dément a voulu tuer un démon juif et non un être humain. Notre collègue Emmanuel Dreyer le dit mieux que nous : « Il n'est pas aberrant que l'acte accompli dans un moment de folie par un individu antisémite conserve ce caractère : il est à son image. On ne peut en déduire la conscience de donner la mort, en faisant découler l'existence d'une infraction du constat de sa circonstance aggravante » [12].
16Du reste, rappelons que ce n'est pas parce que l'auteur n'a pas été déclaré coupable, qu'il n'a pas commis des faits homicides. L'auteur en effet a matériellement causé la mort d'autrui et ses faits lui sont objectivement imputables. C'est ce qui explique que devant la chambre de l'instruction il a pu lui être reproché, conformément à l'article 706-125 du code de procédure pénale, des « charges suffisantes d'avoir commis les faits ». Un procès d'assises aurait d'ailleurs conduit à la même conclusion, puisque depuis la loi du 15 juin 2000, le jury doit répondre à la question « l'accusé a-t-il commis tel fait ? » en plus de la question « l'accusé bénéficie-t-il pour ce fait de la cause d'irresponsabilité pénale prévue par l'article (122-1, al. 1, 122-2, 122-3. 122-4, 122-5 et 122-7) du code pénal, selon lequel n'est pas pénalement responsable la personne qui... » (C. pr. pén., art. 349-1).
17Autrement dit, que ce soit au stade de l'instruction ou au stade du jugement, le constat de l'irresponsabilité pénale ne fait pas obstacle à la qualification et à l'imputation objective des faits [13]. Et, dans le climat qui règne autour de cette affaire, il est important de le souligner, d'autant que ce dispositif permet aux victimes ou leurs familles d'obtenir une satisfaction non seulement morale mais aussi pécuniaire car celui qui a causé un dommage sous l'emprise d'un trouble mental est tenu à réparation civile (C. civ., art. 414-3) et les parties civiles peuvent en faire la demande, y compris devant la chambre de l'instruction (C. pr. pén., art. 706-125).
18C'est d'ailleurs tout le sens de la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour trouble mental [14] qui a permis d'organiser, dès le stade de l'instruction une véritable procédure, avec un débat contradictoire aboutissant à cette « déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental » qui permet de juger l'acte, tout en neutralisant l'homme (C. pr. pén., art. 706-119 à 706-140). Or cette procédure a bien été suivie en l'espèce et a conduit à l'hospitalisation sous contrainte (C. pr. pén., art. 706-135).
19Une réponse judiciaire à l'acte homicide antisémite a donc bien été apportée [15] : l'auteur a été neutralisé par une juridiction pénale, à la suite d'un « procès » [16]. Certes, il n'a pas été déclaré coupable (il n'a pas été condamné), mais du fait de sa dangerosité, il a fait l'objet d'une mesure de sûreté privative de liberté [17] (son acte a été jugé). Il s'agit d'une solution conforme à notre histoire [18] et très semblable à celle adoptée par la majorité des cultures juridiques [19] : les « fous » qui commettent des actes répréhensibles ne subissent généralement aucune peine faute de culpabilité, mais ils font quasiment toujours l'objet de mesures de sûreté en raison de leur dangerosité.
20Alors faudrait-il aller plus loin et reconnaître, pour la satisfaction vindicative des victimes, qu'une infraction - de meurtre aggravé - a été commise et que l'auteur, bien que non punissable, en est le coupable ?
21Une telle évolution ne nous paraît pas souhaitable car la culpabilité renvoie à la faute et celui qui n'a pas de discernement, donc pas la capacité de comprendre et de vouloir, ne saurait être fautif [20]. L'acte est condamnable, pas l'individu, sauf à se placer, comme l'ont proposé d'éminents collègues [21], sur le terrain des infractions involontaires - en l'occurrence de l'homicide par imprudence -, en considérant qu'une faute d'imprudence est constituée par l'intoxication volontaire qui a eu lieu, alors que l'auteur disposait de toutes ses facultés mentales Mais ces mêmes collègues reconnaissent qu'une telle qualification est délicate au regard de la causalité et ne serait de toute façon pas satisfaisante pour les victimes [22], sans compter qu'elle affaiblirait la fonction expressive du droit pénal [23].
22Du reste, au plan théorique et de manière plus générale, la plupart des auteurs rechignent à parler de « coupables », en présence d'une cause subjective d'irresponsabilité pénale, parce qu'ils présentent l'imputabilité comme une condition de la culpabilité. Ainsi, Emmanuel Dreyer écrit : « La culpabilité d'un individu ne peut être établie si l'imputabilité du fait reproché à son auteur n'a pas été démontrée » [24]. C'est aussi l'avis des auteurs qui enseignent que l'imputabilité et la culpabilité sont les deux composantes de l'élément moral de l'infraction [25] : pour eux l'absence d'imputabilité s'oppose à l'infraction donc forcément à la culpabilité. Tel est aussi l'opinion de ceux qui n'envisagent la responsabilité pénale que comme l'aptitude d'un individu à la peine, et voient dans l'imputabilité, une « condition de la faute » et dans la culpabilité « une modalité de la faute » [26]. Pour tous ces auteurs, l'imputabilité précède la culpabilité. Et cette analyse rejoint le raisonnement judiciaire, où la culpabilité n'est reconnue qu'après la qualification et l'imputation des faits. En pratique, en effet, la culpabilité participe du verdict qui précède la sentence. Or jusqu'au verdict la personne poursuivie est présumée innocente, elle ne devient « coupable » qu'après avoir « reconnu » sa culpabilité ou avoir été « reconnue » ou déclarée » coupable par un juge.
23Il est vrai qu'il n'existe pas d'unanimité en doctrine sur l'articulation intellectuelle des notions de culpabilité et d'imputabilité [27]. Et certains auteurs parlent d'une culpabilité en germe, voire d'une « culpabilité matérielle » [28] comme condition de la qualification de l'infraction - constitutive de charges suffisantes -, alors que l'imputabilité serait une condition de l'imputation de l'infraction [29]. Il est vrai également qu'il n'est écrit nulle part dans le code pénal, que la personne qui n'est pas pénalement responsable, n'est pas coupable, ni que l'acte qu'elle commet n'est pas une infraction. On rappellera en effet que le code de 1992 n'utilise plus les adjectifs « coupable » et « punissable » (sauf à l'article 122-8 à propos des mineurs « reconnus coupables »), mais l'adjectif « responsable » qui est ambigu car il n'est pas d'essence pénale [30]. Du reste, les hypothèses d'irresponsabilité pénale visées par le code recouvrent aussi bien des cas où les faits ne sont pas qualifiables (du fait de l'existence d'une cause objective d'irresponsabilité pénale, C. pén., art. 122-4 à 122-7 et 122-9), que des cas où ils ne sont pas imputables (du fait de l'existence d'une cause subjective d'irresponsabilité pénale, C. pén., art. 122-1 à 122-3). Dès lors, d'aucuns pourraient être tentés de dire qu'une personne qui « n'est pas pénalement responsable », en raison d'une cause subjective d'irresponsabilité, n'est certes pas « punissable » mais demeure « coupable » de faits qualifiables. Mais il faudrait alors utiliser le mot « coupable », en le vidant de sa connotation péjorative et juridique de blâme. Il s'agirait d'une intention ou d'une imprudence constitutive, d'une culpabilité plus criminologique, matérielle ou factuelle que juridique : une simple volonté de passer à l'acte, sans forcément en comprendre la portée. Or à ce compte-là, les animaux pourraient aussi être coupables (d'un chapardage de nourriture, d'une agression) - sauf à dire que pour eux, il s'agit sans doute plus d'instinct que de volonté. La culpabilité serait alors vidée de son sens. Il est préférable donc de ne pas tordre le concept. Une personne ne saurait être déclarée « coupable », si elle est incapable de comprendre la portée de son acte au moment des faits car son imputabilité fait défaut [31].
II - Sur l'imputation des faits
24Le second problème juridique soulevé par l'arrêt commenté intéressait précisément l'imputabilité donc l'imputation. Il s'agissait de savoir si la prise de stupéfiants volontaire pouvait faire obstacle à l'irresponsabilité pénale. Les auteurs du pourvoi le soutenaient. Ils estimaient que « l'acte volontaire de consommation de stupéfiants, prohibé par l'article L. 3421-1 du code de la santé publique, est constitutif d'un comportement fautif qui exclut l'irresponsabilité » et « que le mis en examen ayant volontairement consommé du cannabis, la chambre de l'instruction ne pouvait pas en déduire son irresponsabilité ». Or la Cour de cassation n'a pas voulu s'engager sur ce terrain en jugeant très clairement que « les dispositions de l'article 122-1, alinéa 1er, du code pénal, ne distinguent pas selon l'origine du trouble psychique ayant conduit à l'abolition de ce discernement ».
25Cette réponse n'est a priori guère contestable - et on pourrait d'ailleurs l'étendre à l'alinéa 2 - puisque le texte de l'article 122-1 du code pénal impose de se placer au temps de l'action (« le moment des faits ») pour apprécier l'intensité du trouble psychique et neuropsychique abolissant ou altérant le discernement. Et comme aucune distinction expresse n'est faite selon l'origine de ce trouble [32], la maxime Ubi lex non distinguit commande de ne pas en faire. Il s'agit de l'application d'une grande règle de l'herméneutique, qui mérite d'être approuvée, d'autant qu'elle rejoint un principe de faveur selon lequel, dans un État libéral, les causes d'exemption ou de diminution de peine ne sauraient être entendues restrictivement.
26Du reste, une solution contraire aurait été disproportionnée. Comme l'a relevé, en effet, Emmanuel Dreyer, la prise de stupéfiants est sans doute condamnable, mais certainement pas punissable des peines du meurtre « pour un fait de consommation de stupéfiants, que la loi punit d'une amende de 3 750 euros (200 euros lorsque la procédure d'amende forfaitaire est mise en œuvre : CSP, art. L. 3421-1). La sanction serait disproportionnée par rapport au seul acte de consommation accompli sciemment, lequel s'avère sans rapport avec le dommage final à déplorer » [33].
27Pour autant, la solution n'était pas aussi évidente qu'elle n'y paraît s'agissant précisément des effets de l'ivresse ou de l'intoxication volontaire sur la responsabilité pénale [34], en cas de delirium tremens provoqué par cet état. La jurisprudence a toujours été hésitante [35] et une partie de la doctrine admet que le principe de non-imputabilité puisse souffrir des correctifs [36], notamment sur le fondement de la théorie dite de la « faute antérieure » [37].
28En jurisprudence, on avance souvent que ce correctif est apparu dans la célèbre affaire Trémintin, dite du « marin déserteur », jugée le 29 janvier 1921 à propos de l'hypothèse proche de la force majeure ou de la contrainte. On se souvient en effet qu'un marin interpellé pour ivresse publique et qui n'avait donc pas pu rejoindre son bord fut déclaré coupable de désertion. En l'espèce la contrainte ne fut pas admise car le marin aurait dû prévoir qu'en s'enivrant il risquait de se mettre hors la loi [38]. Depuis, la Cour de cassation a généralisé cette condition d'imprévisibilité en jugeant que « la contrainte ne peut résulter que d'un événement indépendant de la volonté humaine et que celle-ci n'a pas pu prévoir, ni conjurer » [39]. Mais cette hypothèse ne peut pas totalement être transposée à l'hypothèse qui nous retient car aujourd'hui le code vise « une force ou une contrainte à laquelle (la personne) n'a pu résister » (C. pén., art. 122-2) et l'on peut concevoir praeter legem, que la condition d'imprévisibilité est incluse dans l'irrésistibilité [40]. Alors qu'en matière de troubles psychiques ou neuropsychiques abolissant ou altérant le discernement (C. pén., art. 122-1) - comme jadis en matière de démence (anc. C. pén., art. 64) -, la loi n'exige pas que le trouble soit insurmontable ou imprévisible [41].
29Pour ce qui est donc plus précisément de l'ivresse volontaire abolissant ou altérant le discernement, la Cour de cassation a d'abord considéré qu'il ne s'agissait pas d'une excuse légale [42] et a même jugé qu'une cour d'assises pouvait interdire au défenseur de plaider que l'accusé se trouvait, au moment du crime, en état d'ivresse et sous l'empire de passion, « ces faits ne constituant ni une excuse légale, ni le cas prévu par l'article 64 » [43]. Puis de manière moins péremptoire, la Haute juridiction s'en est remise à l'appréciation souveraine des juges du fond, en jugeant qu'ils pouvaient valablement déclarer un individu coupable après avoir constaté qu'il était un alcoolique et avait été en état d'ivresse le jour où il avait commis le délit [44]. Par la suite, une loi du Gouvernement de Vichy du 23 août 1940 a décidé que les circonstances atténuantes ne pourraient jamais être accordées à un individu qui aurait commis un crime en état d'ivresse. Mais cette disposition fut abrogée par une loi du 24 septembre 1941 [45] et la Cour de cassation ne fit preuve d'aucun dogmatisme, estimant jusqu'à aujourd'hui que l'influence de l'ivresse sur la responsabilité pénale était une question de fait qui devait être tranchée dans chaque espèce [46]. Tout au plus, a-t-elle jugé en 2017 que « l'état d'ivresse [...] ne constitue pas en soi une cause d'irresponsabilité pénale », à propos d'une exhibition sexuelle dans une cellule de dégrisement [47]. Mais cette affirmation ne disait rien du lien qui pouvait y avoir entre l'intoxication volontaire et le trouble psychique ou neuropsychique cause d'irresponsabilité. Or devant les juges du fond, les solutions différaient selon que l'auteur avait eu ou non conscience, au moment où il s'était enivré ou drogué, des conséquences possibles de sa prise de produits.
30Dans le sens de la responsabilité, il faut citer un jugement du tribunal correctionnel de Nevers du 30 janvier 1976 qui a retenu la responsabilité pénale précisément parce qu'il était démontré que l'auteur avait conscience que son enivrement pouvait conduire à un comportement délictuel : « la jurisprudence dominante se refuse à voir dans l'ivresse une cause légale d'exemption de peine, solution satisfaisante au plan logique : il y aurait en effet une contradiction évidente, alors que l'ivresse est de plus en plus souvent réprimée en tant que telle par la législation récente, de la retenir comme une cause d'atténuation ou d'exemption de responsabilité dans les hypothèses, non visées par le législateur. Ainsi quand le sujet connaît bien les propriétés enivrantes des multiples boissons par lui consommées ce qui est significatif de son intention de parvenir graduellement à un point de non-retour dans l'état d'ivresse et à une excitation particulièrement dangereuse pour un buveur d'habitude, rendant inévitable l'absence de contrôle de lui-même et possible un comportement délictuel en tous domaines, il échet de considérer la responsabilité du prévenu comme entière dans la mesure où il a été volontairement l'auteur de la seule pathologie révélée par l'expertise psychiatrique, soit l'ivresse excitomotrice » [48]. Dans le même sens, quoi que moins explicite, on peut aussi citer un arrêt de la cour d'appel de Toulouse, qui a condamné le 29 mars 2001 [49] un prévenu du chef d'agression sexuelle qui était, sous l'empire de produits stupéfiants et de médicaments au moment des faits et n'aurait pas eu conscience de la contrainte qu'il exerçait sur sa victime.
31À l'inverse, les jugements ou arrêts qui retiennent l'irresponsabilité pénale, insistent tous sur le fait qu'au moment de l'enivrement ou de la prise de substance, l'intéressé n'avait pas conscience qu'il pourrait se trouver dans une situation où il commettrait une infraction. Ainsi, dans l'affaire précédemment évoquée, jugée par la Cour de cassation le 12 mai 2010 [50], où un homme a été déclaré irresponsable pénalement d'un meurtre, du fait d'une schizophrénie délirante paranoïde. Les psychiatres avaient considéré qu'il s'agissait d'un « acte délirant » et la question du cannabis, consommé le jour du meurtre par l'auteur, s'était posée mais les magistrats de la cour d'appel ont estimé que « la consommation de cannabis, ayant été effectuée sans conscience des conséquences possibles de cet usage de stupéfiant, ne peut fonder la responsabilité pénale du mis en examen ». La Cour de cassation a validé cette analyse comme relevant de « l'appréciation souveraine » des juges du fond.
32De cette tendance, on pouvait déduire a contrario, que si la consommation de stupéfiants avait été effectuée avec la conscience de ses conséquences infractionnelles possibles, la responsabilité pénale aurait pu être engagée, malgré l'abolition du discernement au moment des faits.
33Or cette conclusion semble aujourd'hui rejetée par la Cour de cassation qui s'en tient à la lettre de l'article 122-1 du code pénal, exigeant une appréciation du discernement « au moment des faits », sans distinction selon l'origine du trouble.
34Toutefois le raisonnement qui conduit à cette affirmation très claire n'est, quant à lui, pas sans ambiguïté. En effet, selon nous, la Haute juridiction ne réprouve pas franchement l'analyse de la chambre de l'instruction qui a estimé qu'« aucun élément du dossier n'indique que la consommation de cannabis par l'intéressé ait été effectuée avec la conscience que cet usage de stupéfiants puisse entraîner une telle bouffée délirante » et qui en a déduit qu'« il n'existe donc pas de doute sur l'existence chez Kobili Traoré, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ». Il nous semble au contraire que la Cour de cassation approuve cette référence à la conscience de l'auteur lorsqu'elle expose les motifs des premiers juges [51] et conclut qu'« en l'état de ces énonciations, déduites de son appréciation souveraine des faits et des preuves, la chambre de l'instruction a, sans insuffisance, ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a déclaré, d'une part, qu'il existait à l'encontre de M. Z... des charges d'avoir commis les faits reprochés, d'autre part, qu'il était irresponsable pénalement en raison d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes au moment des faits ». Certes, la conclusion est claire : « En effet, les dispositions de l'article 122-1, alinéa 1er, du code pénal, ne distinguent pas selon l'origine du trouble psychique ayant conduit à l'abolition de ce discernement ». Mais si la Cour de cassation avait vraiment voulu prohiber toute distinction suivant l'origine du trouble, elle n'aurait pas jugé que le raisonnement des premiers juges avait eu lieu « sans insuffisance, ni contradiction », puisque ces premiers juges ont précisément recherché si l'auteur avait ou non eu conscience des effets de sa prise de stupéfiants, ce qui est une façon de distinguer suivant l'origine du trouble. La Cour de cassation ne pouvait donc pas conclure par un « en effet », elle aurait dû censurer le raisonnement et procéder à une substitution de motifs. Il nous semble donc que, malgré l'apparente clarté de sa décision, la Cour de cassation est encore gênée aux entournures.
35Cela dit, on peut comprendre cette hésitation car la position de la doctrine n'est pas tranchée non plus.
36En doctrine, certains auteurs sont farouchement opposés à la responsabilité pénale, dès lors que le discernement est aboli au temps de l'action, peu importe que l'intéressé eût ou non en vue la commission possible de l'infraction au moment de la prise de substance. Telle est la position d'Emmanuel Dreyer, pour qui aucun correctif n'est admissible. Si la consommation d'alcool ou de stupéfiants « a privé l'intéressé de son intelligence, aucune infraction ne saurait lui être reprochée alors même que cet enivrement a été volontaire » et de citer Rossi « L'ivresse lorsqu'elle est complète, ôte entièrement la conscience du bien et du mal, l'usage de la raison. C'est une sorte de démence passagère... lui imputer un fait spécial, ce serait vouloir ce qui est moralement impossible : imputabilité et absence de raison ; il y a contradiction dans les termes » [52] et Emmanuel Dreyer ajoute : « En effet, comment affirmer, en l'absence de discernement, que l'agent qui s'est emparé du bien d'autrui a soustrait frauduleusement ce bien ? Où peut être l'intention de commettre un acte illicite chez celui qui agit sans conscience ? De même, comment reprocher une imprudence ou une négligence à quelqu'un dont le discernement est aboli ? Dans ces hypothèses au moins la jurisprudence antérieure devrait être abandonnée » et notre éminent collègue de voir peut-être « un pas dans cette direction » avec l'arrêt du 21 juin 2017 précité [53]. Mais il estime que, dans les autres hypothèses, le maintien de la responsabilité se justifie par « un souci contestable de moralisation (celui qui fait prendre un risque à la collectivité est échu du droit de contester sa responsabilité pénale) et de défense sociale : les positivistes à l'origine d'une telle solution ne contestaient d'ailleurs pas qu'elle remettait en cause le fondement moral de la responsabilité pénale ».
37Cette opinion rejoint celle de vieux auteurs, comme Ortolan qui écrivait : « L'ivresse est-elle provenue de la faute de l'agent : imprudence, laisser-aller, intempérance occasionnelle en dehors de ses habitudes, ou intempérance habituelle, vice permanent d'ivrognerie ? Même dans ce cas, si l'ivresse est complète, nous ne croyons pas qu'aux yeux de la science rationnelle il puisse y avoir imputabilité pour des délits que constitueraient les faits commis durant une telle ivresse : comment en serait-il ainsi, puisqu'il n'y avait dans ces faits ni usage de la raison, ni direction de la liberté ? Mais dira-t-on le fait seul de l'ivresse en pareil cas, surtout de l'ivresse par habitude, est coupable ; l'ivrogne n'ignore pas l'état où il se met par ces sortes d'excès et la nature dangereuse des actes auxquels il peut alors se trouver matériellement entraîné. D'accord il est incontestable que le fait d'ivresse lui est imputable ; qu'il est en faute plus ou moins grave à l'égard de ce fait ; que cette faute ne consistât-elle qu'en une simple imprudence, qu'en une intempérance occasionnelle, à plus forte raison si elle provient d'un vice habituel, suffit pour l'obliger à réparer le préjudice même involontaire qui en a été la suite, car il n'en faut pas davantage pour la culpabilité civile. Il y a plus, la loi pénale peut frapper cette faute d'une peine publique, en érigeant le fait d'ivresse, surtout celui d'ivresse habituelle, en un délit sui generis, dont la pénalité pourra être aggravée en considération des suites plus ou moins préjudiciables que ce délit aura eues. Mais notez bien que dans tous ces cas ce sera au délit d'ivresse plus ou moins aggravé que s'appliqueront l'imputabilité, la culpabilité civile, la culpabilité pénale, et non pas au crime et au délit que pourraient constituer par eux-mêmes les faits produits en pareil état » [54]. Et l'auteur de préconiser la même solution pour « les troubles produits par certaines substances aphrodisiaques ou vénéneuses, telles que le phosphore, la poudre de cantharides, l'opium, le haschich ou autres semblables » [55].
38On pourrait aussi citer Garraud à propos de l'ivresse complète et volontaire : « Que l'ivresse volontaire constitue par elle-même un délit, je n'y contredis pas ; mais que par ce motif, on fasse abstraction de l'ivresse, pour apprécier un acte commis en cet état, c'est ce qu'il m'est impossible d'admettre. L'acte incriminé comme délit doit être un acte d'intelligence et de volonté, et l'individu en état d'ivresse complète est dans l'impuissance de faire usage de ces facultés mentales ». Et d'ajouter que si l'ivresse est recherchée, cela ne change rien, puisqu'il faut toujours distinguer « l'ivresse et l'acte accompli en état d'ivresse ». Si l'auteur commet un homicide, il devrait être puni « de la peine du délit non intentionnel » [56]. Et Garraud critique ceux qui soutiennent la solution de la responsabilité pleine et entière car pour lui il n'est pas admissible qu'une intention criminelle existe, alors que les facultés mentales ont disparu. Mais il reconnaît aussi que « cette discussion est à peu près théorique » pour l'individu qui accomplit en état d'ivresse l'acte qu'il projetait de réaliser car les faits montrent qu'il lui restait une certaine conscience de ces actes. Il serait, en effet, malvenu à soutenir qu'il avait perdu, dans cet état, tout discernement et toute volonté : l'exécution même de l'acte délictueux prémédité n'est-elle pas une preuve suffisante de la persistance de ces facultés, même au milieu de l'ivresse ? »
39Toutefois, aujourd'hui plusieurs auteurs sont au contraire favorables à la responsabilité dans l'hypothèse d'une prise de substance volontaire. Pour cela, ils admettent des correctifs au principe du « temps de l'action », chaque fois que l'auteur avait conscience ou pouvait avoir conscience des conséquences désastreuses de son intoxication. Ces correctifs reposent soit sur la théorie de « la faute antérieure », soit sur la théorie de l'actio libera in causa.
40Plusieurs auteurs contemporains ont soutenu et soutiennent encore l'idée selon laquelle l'enivrement ou l'intoxication volontaire avec la conscience de provoquer un état possiblement infractionnel constitue une faute antérieure, qui fait obstacle à la cause de l'irresponsabilité. Il s'agit d'un important correctif au principe d'appréciation de l'imputabilité au temps de l'action.
41Mais tous ne s'accordent pas sur la nature de cette faute antérieure. Ainsi, Merle et Vitu, dans la 5e édition de leur traité paru en 1984, reconnaissent que la doctrine majoritaire avait, durant plusieurs années, penché en faveur de la solution exclusive de la responsabilité pénale, car même si c'est une faute de s'enivrer - et l'on pouvait toujours retenir à la charge de l'ivrogne un délit d'imprudence -, « il n'y a aucune faute décelable dans l'activité consécutive à l'ivresse elle-même ». Mais ils indiquent que, dans les années 1980, l'opinion opposée avait tendance à prévaloir. L'idée était « qu'en s'enivrant, alors qu'il pouvait et devait prévoir les éventuelles conséquences délictueuses de cet acte, le délinquant s'est rendu coupable d'un dol éventuel dont il doit répondre ». Et ces auteurs d'estimer que le législateur a fait un lointain écho à cette idée en faisant de l'ivresse une circonstance aggravante des délits d'homicide et de blessures involontaires. Vitu a continué de défendre cette position. Il estimait qu'en présence d'une faute à l'origine de la démence, l'agent doit être tenu pour responsable de l'infraction commise ensuite puisque « la démence, en ce cas, n'est plus revêtue de ce caractère d'imprévisibilité qui est d'ordinaire le sien » [57]. L'ennui est que seul le législateur doit pouvoir assimiler le dol éventuel au dol général, ce que le législateur français n'a pas fait [58].
42D'aucuns pensent encore actuellement qu'en matière non intentionnelle, celui qui a pu prévoir que son ivresse le conduirait à commettre une infraction d'imprudence se rend coupable d'un dol praeter intentionnel ou dol dépassé [59]. L'agent irait au-delà de son intention de boire à l'excès ou d'user de stupéfiants, et connaîtrait le risque de commettre des violences involontairement par la suite [60] [...], il s'agit d'un cas d'imprudence consciente, qui ne pose pas trop de difficultés si on reste sur le terrain des infractions non intentionnelles. Mais si l'on voulait transposer cette analyse aux infractions intentionnelles, il faudrait que le législateur assimile préalablement le dol dépassé à l'intention, ce qu'il n'a fait que dans l'hypothèse des coups mortels (C. pén,, art. 222-7).
43Aussi, et plus simplement, les auteurs favorables au correctif se contentent de justifier la mise à l'écart de la cause d'irresponsabilité pénale par le recours à l'idée d'une faute antérieure, en l'assimilant à une intention, sans en rechercher la nature plus précise.
44Notre éminent collègue Yves Mayaud se prononce aussi en ce sens et cite, pour illustrer cette idée, le jugement du tribunal correctionnel de Nevers du 30 janvier 1976, précité à propos de violences volontaires, pour conclure « Il y a faute à agir en connaissance des effets négatifs qui peuvent suivre et cette faute mérite d'être sanctionnée, y compris en termes intentionnels, lorsqu'elle a généré une atteinte aux personnes et aux biens » [61]. Selon Yves Mayaud, le législateur semble même avoir confirmé cette analyse puisqu'il a fait de l'ivresse ou de la prise de stupéfiants une circonstance aggravante de la conduite ayant entraîné un homicide ou des blessures involontaires (C. pén., art. 221-6-1, 222-19-1 et 222-20-1) ou des violences intentionnelles (C. pén., art. 222-12, 222-13, 222-24, 222-28. 222-30 et 227-26). C'est dire, toujours selon Yves Mayaud, que « la faute antérieure est légalement prise en compte, par référence à une situation qui reste compatible avec la qualification de violences involontaires, alors que, au temps de l'accident, elle a pu être facteur d'un trouble privatif de discernement ou de contrôle » [62]. Et dans son commentaire de la solution de l'arrêt du 21 juin 2017, qui a admis une exhibition sexuelle malgré l'abolition du discernement au moment des faits notre savant collègue a réitéré sa position en approuvant l'arrêt en ces termes : « Si l'ivresse est bien une cause factuelle de non-imputabilité au temps de l'action, elle n'en devient pas pour autant une cause juridique d'irresponsabilité parce qu'il y a faute à agir en connaissance des effets négatifs qui peuvent suivre, parce qu'il y a faute à s'enivrer et à se placer dans une situation à même d'être constitutive d'infractions : alors la responsabilité pénale ne s'analyse plus au regard de l'évènement se trouvant en phase directe avec les poursuites, elle est davantage considérée dans ce qu'elle représente d'antériorité par rapport à cet événement : c'est la théorie de la faute antérieure » [63]. Enfin, commentant l'arrêt du 14 avril 2021, Yves Mayaud relève que la Cour de cassation ne bannit pas le principe d'un recours à la faute antérieure, lorsqu'elle reprend, comme nous l'avons déjà souligné, la constatation de l'arrêt d'appel selon laquelle « aucun élément du dossier n'indique que la consommation de cannabis par l'intéressé ait été effectuée avec la conscience que cet usage puisse entraîner une telle manifestation ». Et d'en déduire que si ce lien entre la prise de stupéfiants et la conscience des débordements qu'elle emporte avait été établi l'orientation du dossier aurait peut-être changé, pour conclure que « la chambre criminelle n'est pas hostile à la théorie » de la faute antérieure. Et l'auteur approuve même, tout en comprenant son rejet du fait de sa radicalité, la conception de la faute antérieure soutenue par le pourvoi, qui consistait à dire que la consommation de stupéfiants constituait le comportement fautif qui aurait dû exclure l'irresponsabilité : « le fait même d'adhérer à la drogue, d'entrer dans une démarche d'addiction, suffit à une antériorité coupable, porteuse de toutes les conséquences qui peuvent suivre, et il est inutile de s'interroger sur les étapes du processus par hypothèse compris dans cette antériorité fautive », écrit Yves Mayaud [64].
45Quoi que moralisante, cette théorie de la faute antérieure est intéressante et pourrait à l'avenir séduire le législateur [65]. Notons juste qu'il n'est peut-être pas très pertinent de s'appuyer, en l'état du droit, sur le choix du législateur d'aggraver la répression de certaines infractions du fait de la prise de substances pour justifier la prise en compte de la faute antérieure dans le cas qui nous retient, car ces textes ne sont prévus que pour les cas où les auteurs demeurent punissables, puisque les circonstances aggravantes agissent sur la peine. Nous rejoignons ici l'avis d'Emmanuel Dreyer qui estime que dans les cas prévus par le législateur, s'il y a aggravation, c'est parce qu'il y a une infraction imputable. L'aggravation ne s'applique que si l'agent a conservé son libre arbitre. Il s'est enivré ou s'est drogué pour se donner du courage mais n'a pas pour autant perdu tout discernement, au moment des faits il reste donc possible de lui reprocher une inattention ou une intention coupable [66]. Telle est également l'opinion de Jean-Christophe Saint-Pau qui nous invite à distinguer selon que l'ivresse est complète et conduit à l'abolition du discernement ou incomplète et que le discernement n'est qu'altéré [67].
46Il reste que la théorie de la faute antérieure s'appuie sur une rationalité certaine. Ainsi notre collègue Corinne Robaczewski, auteur d'une thèse remarquée portant précisément sur la faute antérieure, a pu écrire que « la faute antérieure, qui implique un minimum de lucidité, révèle chez l'agent l'existence d'une faculté de comprendre la portée de ses actes. Comme en matière de contrainte, où la faute antérieure implique le minimum de volonté nécessaire à la responsabilité, la faute à l'origine du trouble psychique implique le minimum de lucidité, qui justifie que l'on puisse mettre l'infraction commise ensuite au compte de l'agent ». Corinne Robaczewski reconnaît qu'il est « certes possible d'objecter ici que la faculté de comprendre la matérialité même de l'acte n'existe pas au moment de la commission de l'infraction, puisqu'elle se trouve abolie du fait de l'existence du trouble. Mais dès lors que cette abolition a pour cause directe le comportement de l'agent lui-même, adopté par lui en toute lucidité, l'acte accompli ensuite, qui n'est que la suite logique du trouble provoqué, doit pouvoir lui être imputé. Bien qu'inconscient, le comportement de l'agent apparaît comme moralement condamnable ». Il est vrai que pour ceux qui considèrent l'imputabilité comme une composante de l'infraction, une telle analyse n'est pas soutenable. Mais toujours selon cet auteur « si l'on définit l'imputabilité comme l'aptitude à la responsabilité pénale, celle-ci n'est pas liée à la commission matérielle de l'acte et peut être appréciée à un autre moment que celui de cette commission. Dans ces conditions, il est possible de prendre en considération la faute antérieure, qui, en lien de cause à effet avec le trouble psychique ayant conduit à la commission de l'infraction, révèle la faculté de l'agent de comprendre la portée de ses actes, et par conséquent son aptitude à en répondre. La faute antérieure permet alors de mettre l'infraction au compte moral du délinquant. Comme en matière de contrainte, peu importe alors sa nature : qu'elle soit intentionnelle ou non intentionnelle, elle rend son auteur imputable ». Son opinion est toutefois plus nuancée, lorsqu'elle évoque la situation dans laquelle le délinquant, en état chronique d'intoxication, commet une infraction au cours d'une crise de delirium tremens et celle dans laquelle l'agent, connaissant les dangers du produit qu'il absorbe, en fait néanmoins usage, sans toutefois avoir l'intention de commettre une infraction [68].
47Cela dit, ces explications [69] peuvent passer, on l'a dit, pour être moralisantes ou moralisatrices et conduisent peu ou prou à ajouter une condition de non-prévisibilité du trouble psychique ou neuropsychique, qui n'est pas conforme à la lettre de l'article 122-1 du code pénal. Certes, on a vu plus haut que la jurisprudence a déjà ajouté une telle condition en matière de contrainte. Ainsi, en cas d'accident de la route, la défaillance des freins d'un véhicule ne revêt pas les caractères de la contrainte, si elle résulte d'un défaut d'entretien ; ou encore l'endormissement pathologique d'un automobiliste ne peut être invoqué au titre de la contrainte, s'il s'y savait sujet [70]. Mais, on a vu aussi, que ce qui vaut pour la contrainte ou la force majeure, anéantissant le libre arbitre, n'est pas tout à fait transposable aux troubles abolissant ou altérant le discernement. Il n'est pas pleinement satisfaisant en effet de considérer en faute celui qui au moment des faits n'a plus de discernement, sans compter que, dans un système légaliste, il n'appartient pas au juge et encore moins à la doctrine, d'ajouter une condition ou un correctif que le législateur n'a pas envisagé.
48De ce dernier point de vue, la théorie de l'actio libera in causa (alic), qui est retenue depuis plus d'un siècle par la doctrine et la jurisprudence allemande [71], nous semble plus respectueuse du principe de légalité, mais encore faut-il bien la comprendre. Il s'agit de dire qu'une action qui n'est pas libre ou consciente in situ peut quand même entraîner une responsabilité pénale pour faute intentionnelle dès lors qu'elle était libre ou consciente dans sa cause (in causa).
49Certains auteurs admettent cette théorie comme une exception à la règle de l'appréciation du discernement « au moment des faits » de l'article 122-1 du code pénal. Il semble que ce soit la position de notre érudit collègue Jean Pradel, qui estime que si l'individu s'enivre ou se drogue pour se donner le courage de commettre l'infraction, il est « évidemment responsable des délits commis » et l'on peut lui reprocher « une faute antérieure, contrairement au principe qui veut que la responsabilité s'apprécie au moment des faits ». Ce serait même, selon lui, « le cas classique d'actio libera in causa : l'infraction est le fruit d'une cause libre et éclairée », peu importe qu'au moment de l'action l'agent était victime d'un trouble psychique ou neuropsychique : ce trouble ne serait pas la cause de l'obscurcissement de son discernement. « Cette cause réside dans le fait pour l'agent de s'être placé volontairement dans un état d'incapacité qui lui a permis de passer à l'acte » [72]. Mais, on le voit Jean Pradel rattache encore l'actio libera in causa à la théorie plus subjective de la faute antérieure.
50Personnellement, nous pourrions accepter la théorie de l'actio libera in causa mais en la détachant de l'idée de faute ou de culpabilité, en la rattachant à la causalité et en la limitant aux cas rarissimes où l'individu s'enivre ou se drogue volontairement, soit en sachant qu'il va commettre l'infraction, soit en ne pouvant ignorer que sa prise de substance pourrait le conduire à commettre l'infraction.
51Il nous semble en effet que cette théorie peut être acceptable, au regard de la légalité, si on ne raisonne pas en termes d'exception à la règle du temps de l'action, mais d'extension de ce temps de l'action. Il s'agit en effet non pas d'interpréter restrictivement la loi, mais de considérer les faits non plus dans leurs effets mais dans leur cause et de dire que « le moment de faits » procède plus d'un continuum que d'un instant. L'action criminelle n'est certes plus libre dans ses effets (in situ) mais elle a été libre dans sa cause (in causa), ce qui justifierait de manière objective le maintien de la responsabilité.
52Certes, en principe, l'imputabilité et la culpabilité intentionnelles s'apprécient in situ et non in causa, mais dans l'hypothèse de celui qui s'est enivré ou drogué volontairement et qui commet une infraction sous l'emprise d'un trouble altérant ou abolissant le discernement, l'imputabilité et la culpabilité auraient pu être établies au début du processus de la réalisation de l'infraction, c'est un peu comme s'il était entré en phase d'exécution, sans désistement volontaire et sans interruption. On relève une forme « d'empreinte continue du mal », pour reprendre l'expression du regretté Dejean de la Bâtie, caractérisant la causalité en matière de responsabilité civile. L'idée serait de dire qu'avec l'enivrement ou l'intoxication volontaire, l'agent a débuté le processus causal ce qui mutatis mutandis, est un raisonnement analogue à celui qui sous-tend la théorie de la tentative.
53L'agent s'est mis dans la situation, sinon délictueuse du moins défectueuse, qui est à l'origine, à la fois du trouble psychique ou neuropsychique et de l'infraction. Certes, le fait de s'enivrer ou de se droguer, n'est ni une action de conduite d'un véhicule, ni une action de soustraction d'un bien, ni, pour revenir au cas d'espèce, une action homicide mais il s'agit d'une circonstance qui a pu déclencher, au moins en partie, cette action. Elle est donc tout aussi causale.
54On nous objectera que cette analyse ne cadre pas pleinement avec la théorie de la culpabilité intentionnelle, mais reconnaissons qu'elle ne la contrarie pas non plus totalement, dès lors qu'elle se limite aux cas où l'intéressé, au moment de sa prise de substance, ou bien avait l'intention de commettre l'infraction (dol général), ou bien ne pouvait ignorer la possibilité d'une telle issue (car il avait, par exemple, déjà connu des épisodes violents) et s'en accommodait (dol éventuel). L'idée est que lors de la prise de substance il y avait une double intention, celle de s'enivrer ou de se droguer qui, sauf exception légale, n'est pas en soi blâmable et celle de commettre réellement ou éventuellement l'infraction qui est déjà un peu coupable [73].
55Certes, on pourrait nous objecter encore que cette analyse ne cadre pas non plus pleinement avec le principe de la légalité, non seulement parce que le législateur français n'a pas assimilé le dol éventuel au dol général, mais aussi et surtout parce qu'une telle analyse conduit à étendre le « moment des faits » ou à l'allonger pour se placer en amont du résultat, en remontant la chaîne causale. Mais puisque le législateur n'a pas introduit de notion de durée ou d'instantanéité dans l'article 122-1 du code pénal (il n'a pas écrit « à l'instant » des faits mais au « moment » des faits), il n'est pas interdit non plus de considérer que le temps de l'action ou le « moment » des faits est plus ou moins long. C'est aussi faire une application de l'adage ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debemus.
56Enfin, cette analyse nous semble conforme à la notion de « trouble », altérant ou abolissant le discernement ou le contrôle des actes. En effet, sous réserve de données contraires de la science, un trouble me semble devoir être défini, en droit, comme un évènement subi et inattendu [74]. Or la personne qui se drogue ou s'enivre, même sous l'emprise d'une addiction, ne subit pas vraiment son sort, elle l'assume ou doit l'assumer. Et il n'est jamais totalement inattendu non plus que cette personne puisse, à un moment ou à un autre, perdre la raison et le contrôle de ses actes. Autrement dit, si à l'instant des faits, il peut y avoir un trouble en terme médical, il n'est pas automatique de considérer qu'il y a aussi un trouble en terme juridique.
57Dans ces conditions, il nous semble qu'il n'est pas nécessaire de modifier le texte de l'article 122-1 du code pénal, d'autant que les cas de non-lieux du type de l'affaire Halimi sont rarissimes [75]. Il suffit de laisser, dans ces cas exceptionnels, les juges du fond libres d'apprécier la causalité et l'imputabilité dans son ensemble et considérer, le cas échéant, que l'infraction trouve sa cause, moins dans le trouble psychique ou neuropsychique altérant ou abolissant le discernement que dans l'acte libre d'intoxication. Telle pourrait être la porte étroite qui permettrait, dans ces cas exceptionnels, de retenir une responsabilité pénale sans changer le texte, ni affaiblir le principe selon lequel on ne condamne pas les « fous ». Au contraire, une modification de ce texte serait inopportune [76] et pourrait même sonner le glas de notre système de responsabilité pénale humaniste.
58Il est sans doute trop tard pour l'écrire, puisque le garde des Sceaux nous a annoncé un projet de réforme pour la fin mai 2021 [77] - au moment où ces lignes seront à l'impression - mais de grâce, gardons-nous d'une réforme qui introduirait des exceptions dans l'article 122-1 du code pénal. Des exceptions trop vagues marqueraient évidemment la fin du principe d'imputabilité. Tel serait le cas si, la première proposition sénatoriale, excluant l'irresponsabilité pénale ou la diminution de peine dans le cas où le trouble résulterait des propres « agissements » de l'auteur était adoptée. Quels seraient en effet ces « agissements » ? Devra-t-on punir celui qui a commis une infraction après avoir arrêté un traitement médical, ou pris des médicaments inadaptés, ou encore mené une vie dissolue ou fait preuve d'inconduite notoire ? Cela n'est pas acceptable. Mais des exceptions trop précises seraient tout aussi funestes, à l'instar de la seconde proposition sénatoriale précitée qui visait la prise volontaire de substance « hallucinogène » (« ou autre »). Va-t-on choisir la responsabilité ou l'irresponsabilité pénale d'un agent selon la substance qu'il aura consommée ? Non, tout cela n'est pas acceptable. Il ne faut pas toucher, selon nous, à la lettre de l'article 122-1 du code pénal.
59Certes, d'autres pays ont fait choix de la sévérité [78], soit en appliquent les règles normales de responsabilité, malgré l'intoxication, soit en aggravant la répression, soit les deux. Ainsi, l'article 92, alinéa 1 du code pénal italien dispose que « l'ivresse ne découlant pas d'un cas fortuit ou de force majeure n'exclut, ni ne diminue l'imputabilité ». Et l'article 94 du même code aggrave la répression : « Quand le délit est commis en état d'ivresse et que celle-ci est habituelle, la peine est augmentée ». En Angleterre, l'intoxication est sans effet non seulement dans les infractions de stricte responsabilité (ou la faute est présumée) et de négligence, mais aussi dans les infractions intentionnelles : l'intoxication n'est pas un moyen de défense, sauf dans les cas rares où le défendeur n'a pas du tout de mens rea : « L'intention de l'ivrogne reste une intention » et il y a conduite avec témérité ou recklessness. L'article 2-08 (2) du code pénal modèle américain adopte une solution très proche en décidant que « si l'auteur, en raison d'une ivresse volontaire, n'est pas conscient d'un risque dont il aurait eu conscience s'il avait été sobre, il n'est pas tenu compte de cette circonstance ». Pour autant l'infraction n'est plus intentionnelle mais d'imprudence [79].
60D'autres pays ont fait le choix de légiférer spécialement sur cette question, pour exclure ou diminuer la responsabilité [80]. Ainsi, en Espagne l'article 20 du code pénal, dispose qu'est exempt de responsabilité pénale « celui qui, au temps de la commission de l'infraction, se trouve en état d'intoxication totale due à la consommation de boissons alcooliques... pourvu qu'il n'ait pas recherché cet état dans le but de commettre une infraction ou n'ait pas eu à prévoir cette commission ou qu'il se trouve sous l'influence d'un syndrome de manque à cause de sa dépendance à l'égard de telles substances l'empêchant de comprendre l'illicéité du fait... ». Le droit canadien fait également bien la distinction entre l'intoxication volontaire et l'aliénation mentale [81].
61Enfin, la Suisse propose une solution originale. L'article 263 du code pénal relatif aux « actes commis en état d'irresponsabilité fautive » dispose : « Celui qui, étant en état d'irresponsabilité causée par ivresse ou intoxication dues à sa faute, aura commis un acte réprimé comme crime ou délit sera puni d'une peine pécuniaire.
62La peine sera une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire, si la peine privative de liberté est la seule peine prévue par la disposition qui réprime le crime commis dans cet état. » [82]
63Jean Pradel relève donc que la Suisse « ne punit pas tant l'infraction commise que la conduite du délinquant, dans le cadre de laquelle l'infraction a été commise ». Or est-on prêt à admettre ce type de dispositif, qui conduit à parler « d'irresponsabilité fautive » ? Est-on prêt à imaginer que l'on puisse être à la fois irresponsable et coupable ?
64Nous ne le souhaitons pas. Le législateur devrait plutôt s'occuper d'améliorer les conditions de l'expertise psychiatrique, ainsi que le système de prise en charge de l'irresponsabilité pénale. Sur ce point, le rapport de la Mission précitée formule toute une série de recommandations fort intéressantes, auxquelles nous renvoyons le lecteur car elles dépassent le cadre strict de la présente chronique [83].
Notes
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[1]
V. notamment : https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Sarah_Halimi
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[2]
La décision a été publiée sur le site de la Cour de cassation, accompagnée d'un communiqué de presse, du rapport extrêmement fouillé du conseiller rapporteur de près de 80 pages, ainsi que de l'avis écrit de l'avocate générale tout aussi volumineux, doublé de son avis oral.
-
[3]
Sur cette tendance v. not. A. Darsonville, L'élaboration de la loi pénale sous l'influence des citoyens, in Mél. C. Lazerges, Dalloz, 2014, p. 147 s. ; S. Goudjil, Analyse idéologique des réformes pénales depuis 1981, th. Tours, 2019, n° 160 s.
-
[4]
Sénat, prop. de loi n° 232, présentée par N. Goulet et enregistrée à la présidence du Sénat le 8 janv. 2020.
-
[5]
Sénat, prop. de loi n° 252, présentée par J.-L. Masson, C. Herzog et C. Kauffmann et enregistrée à la présidence du Sénat le 16 janv. 2020.
-
[6]
Ph. Houillon, D. Raimbourg (dir). Rapport de la mission sur l'irresponsabilité pénale https://fedepsychiatrie.fr/wp-content/uploads/2021/04/Rapport-irresponsabilite%CC%81-pe%CC%81nale.pdf
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[7]
V. not. M. Daury-Fauveau, La question du discernement à propos d'un crime antisémite, D. 2020. 341 ; V. Tellier-Cayrol, La turpitude du fou, D. 2020. 349.
-
[8]
Face à la mise en cause de l'institution judiciaire dans cette affaire, le Conseil Supérieur de la Magistrature a publié un communiqué solennel, le 21 avr. 2021, pour rappeler que « le juge a pour mission d'appliquer la loi et se doit, en matière pénale, de l'interpréter strictement. Il ne peut la créer ou la modifier. Il s'agit là d'un principe fondamental pour préserver les équilibres démocratiques ».
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[9]
On ne confondra pas cette maxime qui prohibe l'interprétation restrictive avec le principe d'interprétation stricte de la loi pénale qui ne devrait s'appliquer qu'aux textes d'incrimination ou de pénalité, lesquels, dans un État libéral, ont un caractère d'exception (exceptio est strictissimae interpretationnis), v. H. Roland et L. Boyer, Les adages du droit français, Litec, 1992, n° 453.
-
[10]
Comp. Crim. 12 mai 2010, n° 10-80.279 : un homme a été déclaré irresponsable pénalement du meurtre d'un jeune homme de 23 ans, du fait d'une schizophrénie délirante paranoïde. Or il avait crié après le meurtre « j'ai tué un juif, j'irai au paradis », mais les psychiatres ont parlé d'un « acte délirant » et le caractère antisémite du crime n'a pas été retenu.
-
[11]
V. aussi F. Fourment, Irresponsable de l'avoir tuée ?, Gaz. Pal. 2021, n° 18, Editorial, p. 44 : « Un mobile antisémite, atteint in fine, est-il compatible avec une abolition du discernement de l'auteur des faits ? »
-
[12]
E. Dreyer, Affaire Halimi : fin et suite ?, https://blog.leclubdesjuristes.com/https://blog.leclubdesjuristes.com/ ; v. aussi E. Dreyer, La folie, qu'elle qu'en soit la cause, fait toujours obstacle à la responsabilité pénale, JCP 2021, 522, p. 936 (« l'antisémitisme de l'agent a sans doute facilité son passage à l'acte [...) Mais une telle explication n'est pas de nature à aggraver un acte qui a échappé à celui qui l'a accompli ».
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[13]
V. Y. Mayaud, Les malades mentaux entre non-imputabilité et imputation, AJ pénal 2004. 303.
-
[14]
V. note H. Matsopoulou, Le développement des mesures de sûreté justifiées par la « dangerosité » et l'inutile dispositif applicable aux malades mentaux, Dr. pénal 2008. Chron. 5 ; J. Pradel, Une double révolution en droit pénal français avec la loi du 25 février 2008 sur les criminels dangereux, D. 2008. 1000.
-
[15]
N'en déplaise à ceux qui voudraient, au mépris du principe non bis in idem, refaire un procès en Israël ; sur le caractère discutable d'une telle proposition v. D. Chilstein, La justice israélienne, un recours discutable contre un arrêt jugé choquant, https://blog.leclubdesjuristes.com/
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[16]
Sur l'existence d'un « procès » devant la chambre de l'instruction v. J. Pradel, Deux siècles de politique pénale, révolution ou rénovation?, Cujas 2020, n° 416 , p. 653.
-
[17]
V. L. Leturmy, La pénalisation des personnes atteintes de troubles mentaux, AJ pénal 2018. 491.
-
[18]
V. J.M. Carbasse, Histoire de la justice, PUF, coll. « Droit fondamental », 2000, n° 126 : Le droit romain considérait déjà l'insensé, qu'il soit demens ou furiosus, comme irresponsable. Ce principe a été repris par le droit canonique et par le droit laïc au Moyen Âge et s'est maintenu sous l'Ancien Régime. On lit sous la plume de Muyard de Vouglans que « les insensés et les furieux sont déclarés exempt de peine, [car] ils sont déjà assez punis par le malheur de leur état ». La règle était alors que l'accusé devait avoir commis son forfait en état de démence ; mais, comme le relève J.-M. Carbasse, les juges tenaient aussi compte de la folie superveniens, postérieure à l'acte criminel, pour interrompre l'instruction ou, le cas échéant, l'exécution de la peine, la folie étant elle-même une peine. Tiraqueau disait que le fou est dans un état semblable à la mort (furiosus mortuo aequiparatur). Pour autant, les juges avaient le souci de mettre la société à l'abri de ces individus dangereux. Il leur arrivait de remettre l'insensé à sa famille qui devait le surveiller « à peine d'en répondre, et de tous dommages et intérêts » ou d'ordonner que le fou soit enfermé : « les insensés et les fous sont excusés [...], mais il faut les enferer et lier étroitement en la prison afin qu'ils ne commettent plus le semblable » (Damhoudere, XVIe siècle). Et l'histoire nous enseigne que les tribunaux se sont aussi beaucoup intéressés aux « états voisins de la démence », comme le somnambulisme, la surdi-mudité ou l'ivresse (v. N. Laurent-Bonne, Les origines de l'irresponsabilité pénale du somnambule, RSC 2013. 547). Les deux premiers étaient équivalents à la folie, le dernier sur lequel nous reviendrons a pu être considéré comme une excuse, mais le coupable se voyait imputer comme faute lourde (culpa lata) le fait d'avoir bu de manière inconsidérée. En pratique, le juge appréciait dans chaque cas le degré de responsabilité. Il n'existait qu'une exception à l'irresponsabilité du fou : le crime de lèse-majesté. La justification alors avancée par la doctrine tenait au caractère particulièrement « atroce » du crime et à la nécessité de ses garder des « folies feintes ou préparées » (telle que celle de Brutus). Selon J.-M.Carbasse, les arrêtistes du XVIe siècle, citent quelques arrêts portant condamnation de fous. Mais en 1605, Henri IV gracia un dément qui l'avait agressé sur le Pont neuf et par la suite on ne trouve plus de trace de cette jurisprudence (sans doute parce que le tyrannicide a passé de mode). Seul est resté le principe de l'irresponsabilité, lequel fut renforcé, à la fin du XVIIIe siècle, par les travaux de Pinel et de Esquirol, qui assimilaient la folie à une « maladie aliénante », ce qui conduisit le code napoléonien, a proclamé à l'article 64 de manière laconique « Il n'y a ni crime, ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l'action... »
-
[19]
V. J. Pradel, Droit pénal comparé, Dalloz, coll. « Précis », 4e éd. 2016, n° 114 : les troubles psychiques ont toujours été peu ou prou considérés comme des causes d'irresponsabilité pénale. En common law, il est une affaire célèbre qui a permis de définir ce qu'est une aliénation mentale, l'affaire M'Naghten, qui donna lieu à un avis de la Cour du Banc de la Reine en 1843. La preuve devait être rapportée que l'accusé « ne connaissait ni la nature ni la qualité de l'acte qu'il effectuait ou qu'il ne savait pas que ce qu'il faisait était mal ». Cette définition anglaise fut reprise en substance par les juges des USA, du Canada et de l'Australie. La définition évolua ensuite légèrement. Ainsi le code pénal type des États-Unis dispose « une personne n'est pas responsable de sa conduite criminelle si au moment de ladite conduite, cette personne, en conséquence d'une maladie ou défaillance mentale, n'était pas vraiment en capacité d'apprécier la nature criminelle de sa conduite ou d'adapter celle-ci aux exigences de la loi ». Cette définition se rapproche de celles retenues par les droits romano germaniques. Ainsi selon le § 20 du code pénal allemand : « N'est pas pénalement responsable de son acte, celui qui, lors de la commission de l'acte est, en raison d'un trouble psychopathologique, d'un trouble profond de la conscience ou de la faiblesse d'esprit, ou de tout autre affaiblissement intellectuel, incapable d'en apprécier le caractère illicite ou d'agir selon son discernement ». Mais on retiendra surtout que dans la quasi-totalité des systèmes juridiques, l'aliénation produit deux effets : l'irresponsabilité pénale et l'internement de l'aliéné dans un établissement spécialisé. Cette mesure est rarement prononcée par l'autorité administrative (ce fut le cas en France jusqu'en 2008), mais plus souvent par le juge pénal (Allemagne, Belgique, Espagne, Italie et pays de common law). La question qui se pose est de savoir si cet internement est obligatoire ou si les juges disposent d'une marge d'appréciation. Les deux systèmes se rencontrent : en droit romano germanique, la faculté appartient discrétionnairement au juge, alors qu'en common law l'internement est obligatoire et illimité. Toutefois, dans les pays de common law, les juges ont créé la notion d'automatisme : ils écartent l'internement lorsqu'est démontré que l'agent a agi mécaniquement, avec des sous-distinctions selon qu'il était un malade dangereux (donc internement) ou non (absence d'internement). Quoi qu'il en soit, il faut retenir du droit comparé que partout la démence est traitée de manière analogue : pas de peine du fait de l'absence de culpabilité ou de responsabilité mais une mesure de soin ou de sûreté du fait de la dangerosité.
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[20]
V. cependant infra pour des solutions contraires dans certains droits étrangers.
-
[21]
F. Rousseau, De l'abolition du discernement consécutive à la consommation de produits stupéfiants, JCP G 2021, 521, p. 931 ; J-C. Saint- Pau, Trouble mental, usage de stupéfiants et irresponsabilité pénale : la raison et l'émotion, Lexbase Pénal, n° 38, p. 29.
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[22]
F. Rousseau, note préc. p. 932.
-
[23]
J-C. Saint-Pau, note préc., p. 29.
-
[24]
E. Dreyer, Droit pénal général, LexisNexis, 5e éd. 2019, n° 816.
-
[25]
Ph. Conte et P. Maistre du Chambon, Droit pénal général, Armand Colin, 7e éd., 2004, n° 349 s.
-
[26]
J. Pradel, Droit pénal général, Cujas, 22e éd. 2019, n° 509 s.
-
[27]
V., pour un effort savant de mise en équation, J.-B. Perrier, La distinction culpabilité/imputabilité, in J. Leroy (dir.), Faut-il rethéoriser le droit pénal ?, LexisNexis 2016, p. 69 s.
-
[28]
S. Détraz, La création d'une nouvelle décision de règlement de l'instruction : la décision d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, RSC 2008. 873.
-
[29]
V. not. Y. Mayaud, Droit pénal général, PUF, coll. « Droit fondamental », 6e éd. 2018, n° 217 s. ; X. Pin, Droit pénal général, Dalloz, coll. « Cours », 12e éd. 2020, n° 170 s.
-
[30]
Nous rappellerons que les mots « responsabilité » et « responsable » ne sont entrés dans le code pénal qu'en 1992, pour désigner de manière synthétique et simplifiée, la réunion de la culpabilité, de l'imputabilité et de la punissabilité, et que l'avant-projet de code pénal de 1978 avait préféré l'expression « n'est pas punissable... » à celle finalement retenue de « n'est pas responsable... ». Sur cette évolution sémantique v. X. Pin L'irresponsabilité pénale. Réflexions sur le sens des articles 122-1, 122-2, 122-3 et 122-8 du code pénal, in La réforme du Code pénal et du Code de procédure pénale, Opinio doctorum, Dalloz, 2009, p. 51 s.
-
[31]
Sur la défaillance à la fois « morale » et « technique » de l'imputabilité, v. Y. Mayaud : L'affaire Sarah Halimi : retour sur les principes de responsabilité et d'irresponsabilité pénale, D. 2021. 875.
-
[32]
Le texte distingue seulement suivant les effets du trouble (abolition ou altération) et suivant leurs conséquences sur le discernement ou sur le contrôle des actes ; sur cette dernière sous-distinction, v. F. Fourment, préc.
-
[33]
E. Dreyer, Affaire Halimi : fin et suite, préc.
-
[34]
Précisons que l'ivresse ou l'intoxication involontaire n'a jamais vraiment posé de difficultés : si un tiers fait ingurgiter de force de l'alcool ou toute autre substance enivrante abolissant le discernement, l'irresponsabilité pénale était retenue soit sur le fondement de la démence, soit sur le fondement de la contrainte : Amiens, 26 mai 1954, D. 1954. 579. Crim. 14 nov. 1924, Bull. crim. n° 381 ; 5 févr. 1957, RSC 1958. 93, obs. A. Legal.
-
[35]
J. Pradel, Droit pénal général, op. cit., n° 530.
-
[36]
Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., n° 449.
-
[37]
v. J. Léauté, Le rôle de la faute antérieure dans le fondement de la responsabilité pénale, D. 1981. Chron. 295 ; C. Robaczewski, Le rôle de la faute antérieure en matière de responsabilité pénale, thèse Lille, 2002, n° 218 s. ; A. Lagana, L'appréhension des violences liées à la prise d'alcool et de stupéfiants par le droit pénal, thèse Grenoble 2020, n° 52 s. ; F. Petitpermon, Le discernement en droit pénal, LGDJ, Bibl. sc. crim. 2017, t. 65, n° 200 s.
-
[38]
Crim. 29 janv. 1921 (Trémintin), S. 1922. 1. 85, note J.-A. Roux, in J. Pradel, A. Varinard, GADPG, Les grands arrêts du droit pénal général, 11e éd. 2018, n° 43.
-
[39]
Crim. 6 janv. 1970, Bull. crim. n° 154.
-
[40]
De la même façon, il n'est pas très pertinent d'essayer de faire le parallèle avec les causes objectives d'irresponsabilité pénale que sont la légitime défense et l'état de nécessité, qui disparaissent chaque fois que l'agent s'est placé de manière fautive dans une telle situation, car alors c'est la nécessité qui fait défaut (v. Crim. 28 juin 1958 Lesage, in J. Pradel et A. Varinard, op. cit., n° 24).
-
[41]
V. aussi E. Dreyer, La folie, quelle qu'en soit la cause, ... note prec., p. 934 qui considère que les deux causes d'irresponsabilité ne suivent pas exactement le même régime.
-
[42]
E. Garçon, Code pénal annoté par M. Rousselet, M. Patin et M. Ancel, t. 1, Sirey, 1954, art. 64, p. 210, n° 45.
-
[43]
Crim. 1er juin 1843, S. 1844, 1, 844.
-
[44]
Crim. 14 nov. 1924, Bull. crim. n° 381.
-
[45]
E. Garçon, Code pénal annoté, op. cit., n° 51.
-
[46]
Crim. 5 févr. 1957, Bull. crim. n° 112 ; RSC 1958. 93 obs. Légal ; v. aussi pour un cas de discernement seulement altéré : Crim. 5 févr. 1957, Bull. crim. n° 232 : « l'ivresse qui diminue l'intelligence et la responsabilité de l'agent, doit être considérée comme une circonstance atténuante et non comme une circonstance aggravante ».
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[47]
Crim. 21 juin 2017, n° 16-84.158, D. 2017. 1425 ; RSC 2017. 517, obs. Y. Mayaud ; v. déjà Paris, 27 mai 1970, Gaz. Pal. 1972. 2, somm. 37 ; RSC 1971. 119, obs. G. Levasseur.
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[48]
T. corr. Nevers, 30 janv. 1976, Gaz. Pal. 1976. 2, somm. 227.
-
[49]
Toulouse, 29 mars 2001, Juris-Data n° 148007.
-
[50]
Crim. 12 mai 2010, n° 10-80.279, préc.
-
[51]
Pt 26 : « Les juges ajoutent que la circonstance que cette bouffée délirante soit d'origine exotoxique et due à la consommation régulière de cannabis, ne fait pas obstacle à ce que soit reconnue l'existence d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes, puisqu'aucun élément du dossier d'information n'indique que la consommation de cannabis par l'intéressé ait été effectuée avec la conscience que cet usage de stupéfiants puisse entraîner une telle manifestation ». Pt 27 : « Ils concluent qu'il n'existe donc pas de doute sur l'existence, chez M. Z..., au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes ».
-
[52]
Rossi, Traité de droit pénal, 1872, t. 2, p. 58.
-
[53]
E. Dreyer, Droit pénal général, op. cit., n° 831.
-
[54]
J. L. E. Ortolan, Éléments de droit pénal, Paris, Plon, 3e éd. 1863, n° 323.
-
[55]
J. L. E. Ortolan, Éléments de droit pénal, op. cit., n° 326.
-
[56]
R. Garraud, Précis de droit criminel, 5e éd. 1895, n° 136.
-
[57]
RSC 1986. 87, spéc. 90, obs. A. Vitu.
-
[58]
Contrairement au législateur suisse, v. C. pén. suisse, art. 12, al. 2 : « Agit intentionnellement quiconque commet un crime ou un délit avec conscience et volonté. L'auteur agit déjà intentionnellement lorsqu'il tient pour possible la réalisation de l'infraction et l'accepte au cas où celle-ci se produirait ».
-
[59]
F. Petitpermon, op. cit., n° 211.
-
[60]
C. Mosès, Alcoolisme et infractions contre les personnes, La documentation française, 1986, p. 150 à 152.
-
[61]
Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., n° 451.
-
[62]
Y. Mayaud, Droit pénal général, op. cit., n° 452.
-
[63]
Y. Mayaud, RSC 2017. 517.
-
[64]
Y. Mayaud, L'affaire Sarah Halimi..., note préc.
-
[65]
Yves Mayaud propose in fine une intervention législative sur le modèle de l'infraction praeter intentionnelle, Y. Mayaud, L'affaire Sarah Halimi..., not. préc.
-
[66]
E. Dreyer, op. cit., n° 832.
-
[67]
J.-C. Saint-Pau, note préc. p. 28.
-
[68]
C. Robaczewski, op. cit., n° 220 s.
-
[69]
Il existe bien d'autres opinions en ce sens que le lecteur trouvera dans le volumineux rapport du Conseiller Christian Guéry, publié sur le site de la Cour de cassation à côté de l'arrêt commenté.
-
[70]
Crim. 27 oct. 2015, n° 14-86.983, Gaz. Pal. 26 janv. 2016. Chron. 49, obs. S. Detraz.
-
[71]
J. Wessels, W. Beulke, Strafrecht Allgemeiner Teil, C.F. Müller, 32e éd., 2002, n° 415 s.
-
[72]
J. Pradel, op. cit., n° 529 s.
-
[73]
Sur cette double intention, v. J.Wessels, W. Beulke, op. cit., n° 417.
-
[74]
X. Pin, préc. p. 56.
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[75]
V. E-C. Frety, Il faut admettre les limites du droit face à un acte commis par un malade mental, JCP 2021. 507.
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[76]
V. Recomm. n° 21 de la Mission sur l'irresponsabilité pénale préc. (p. 51), qui préconise de laisser l'art. 122-1 sous sa forme actuelle.
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[77]
Min. justice, communiqué 25 avr. 2021.
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[78]
V. J. Pradel, Droit pénal comparé, op. cit., n° 114.
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[79]
Pour plus d'exemples et de détails de droit comparé v. le rapport de la Mission sur l'irresponsabilité pénale précité, p. 14 s.
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[80]
V. J. Pradel, op. cit, loc. cit.
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[81]
Pour une analyse détaillée de la défense d'intoxication du droit canadien, qui pourrait constituer une piste pour le législateur français, v. J.-C. Saint-Pau, note préc.
-
[82]
V. aussi l'art. 19 du code pénal suisse relatif à « l'irresponsabilité et la responsabilité restreinte » : « L'auteur n'est pas punissable si, au moment d'agir, il ne possédait pas la faculté d'apprécier le caractère illicite de son acte ou de se déterminer d'après cette appréciation. Le juge atténue la peine si, au moment d'agir, l'auteur ne possédait que partiellement la faculté d'apprécier le caractère illicite de son acte ou de se déterminer d'après cette appréciation. Les mesures prévues aux art. 59 à 61, 63, 64, 67, 67b et 67e peuvent cependant être ordonnées. Si l'auteur pouvait éviter l'irresponsabilité ou la responsabilité restreinte et prévoir l'acte commis en cet état, les al. 1 à 3 ne sont pas applicables ».
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[83]
V. la liste des 22 recommandations in Rapport de la Mission sur l'irresponsabilité pénale préc., p. 3. V. aussi les propositions de J-C. Saint-Pau, note préc.