Notes
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[1]
Crim. 26 mars 2019, n° 19-81.731, publié au Bulletin, ECLI:FR:CCASS:2019:CR00757, D. 2019. 763.
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[2]
CJUE 5 avr. 2016, aff. C-404/15 et C-659/15, Aranyosi et Caldararu, AJDA 2016. 1059, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2016. 786 ; AJ pénal 2016. 395, obs. M.-E. Boursier ; RTD eur. 2016. 793, obs. M. Benlolo-Carabot ; ibid. 2017. 360, obs. F. Benoît-Rohmer ; ibid. 363, obs. F. Benoît-Rohmer.
-
[3]
Crim. 2 mai 2018, n° 18-82.167, publié au Bulletin, D. 2018. 1015 ; AJ pénal 2018. 374, obs. B. Nicaud. Cet arrêt permet d'imaginer également les contentieux susceptibles de naître du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. Le retrait a été annoncé le 29 mars 2017 (pour prendre effet le 29 mars 2019), les infractions commises entre le 1er sept. et le 7 oct. 2017 et le mandat d'arrêt émis le 9 févr. 2018. Le pourvoi critiquait l'utilisation de la procédure du mandat d'arrêt européen ; il n'a pas été suivi dès lors que la décision-cadre du 13 juin 2002 est - encore - applicable dans la période considérée. Dans le même ordre d'idée, la Cour de Luxembourg a été saisie d'une question préjudicielle posée par la Cour suprême d'Irlande et y a répondu le 19 sept. 2018 (aff. C-327/18 PPU). Sur cette question, v. J. Tricot, Europe 2019, n° 2, p. 10.
-
[4]
Sur l'analyse de la jurisprudence de la Cour de justice, v. Elsa Bernard, Les valeurs communes devant la Cour de justice de l'Union européenne : des exceptions de moins en moins exceptionnelles à la confiance mutuelle entre États membres, Europe 2019, n° 2, p. 7. V. aussi CJUE 2 févr. 2019, aff. C-492/18 PPU (maintien d'une personne recherchée dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen), Europe 2019, n° 4, p. 18.
-
[5]
V. B. Aubert, Le droit international devant la chambre criminelle, PUF, 2000, et les références.
-
[6]
Loi modifiant le décr. n° 85-542 du 9 janv. 1852 sur l'exercice de la pêche maritime.
-
[7]
Crim. 4 avr. 2018, n° 16-83.270, publié au Bulletin, RTD com. 2018. 507, obs. B. Bouloc.
-
[8]
Décr. n° 2012-655 relatif à l'étiquetage et à la traçabilité des produits vitivinicoles et à certaines pratiques œnologiques.
-
[9]
Crim. 15 mai 2018, n° 17-83.203, publié au Bulletin. V. J. Tricot, Europe 2019, n° 2, p. 10.
-
[10]
Crim. 23 nov. 2016, n° 15-82.333, non publié, RTD com. 2017. 220, obs. B. Bouloc.
-
[11]
Cons. const. 3 déc. 2010, n° 2010-74 QPC, D. 2011. 1859, obs. C. Mascala ; ibid. 2823, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal 2011. 30, obs. J.-B. Perrier ; RSC 2011. 180, obs. B. de Lamy ; RTD com. 2011. 429, obs. B. Bouloc.
-
[12]
Cons. const. 19 et 20 janv. 1981, décis. n° 80/127DC, D. 1982. 441, note A. Dekeuwer.
-
[13]
RSC 2017. 395.
-
[14]
Crim. 12 déc. 1996, Bull. crim. n° 466 ; Dr. pénal 1997. Comm. 80, Une rétroactivité in mitius lunatique en matière de douanes, J.-H. Robert ; Europe 1997. Comm. 215, D. Ritleng.
-
[15]
Aff. C-115/17, Administration des douanes et droits indirects, Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) dont voici le dispositif : « Le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce, consacré à l'article 49, paragraphe 1, troisième phrase, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce qu'une personne soit condamnée pour avoir indûment obtenu des restitutions particulières à l'exportation prévues par le règlement (CEE) n° 1964/82 de la Commission, du 20 juillet 1982, arrêtant les conditions d'octroi de restitutions particulières à l'exportation pour certaines viandes bovines désossées, par le moyen de manœuvres ou de fausses déclarations portant sur la nature des marchandises pour lesquelles les restitutions étaient demandées, alors que, à la suite d'une modification de ce règlement intervenue postérieurement aux faits incriminés, les marchandises qu'elle a exportées sont devenues éligibles à ces restitutions ».
-
[16]
Depuis l'arrêt Gianpaolo c/ Paoletti dans lequel la Cour de Luxembourg considère que l'entrée de la Roumanie dans l'Union européenne ne fait pas disparaitre la nature délictuelle aux faits commis. CJUE 6 oct. 2016, aff. C-218/15, Gianpaolo c/ Paoletti, RTD eur. 2018. 473, obs. F. Benoît-Rohmer.
-
[17]
Les concl. de l'av. gén. J. Kokott le visaient de façon explicite dans les motifs, 12 avr. 2018, aff. C-115/17.
Application par les juridictions internes
Mandat d'arrêt européen
1Deux arrêts publiés au bulletin permettent de revenir sur la question des droits des personnes recherchées et des exigences faites au juge de vérifier comment les individus seront traités après la remise.
2Dans l'un, rendu le 26 mars 2019 [1], le mandat avait été décerné par les autorités slovènes qui réclamaient l'auteur poursuivi pour des faits de fraude. La cour d'appel de Paris avait considéré que la remise était possible et que la question des conditions de détention dans le pays demandeur était indifférente dès lors qu'il ne s'agissait pas d'un mandat pour exécution de peine. Le pourvoi est formé sur le fondement des articles 3 et 13 de la Conv. EDH, 4, 47 et 52 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 695-33 du code de procédure pénale. Y sont joints des décisions prises par la Cour européenne des droits de l'homme ainsi que des documents du Conseil de l'Europe indiquant le risque réel de traitement inhumain et dégradant des personnes détenues en Slovénie « en raison de conditions générales de détention, et de carences des mécanismes de contrôle desdites conditions ». Ces documents avaient été soumis à la cour d'appel qui les avaient écartés aux motifs que le mandat d'arrêt avait été émis aux fins de poursuites et « qu'il n'est pas démontré qu'il serait susceptible de subir dans les prisons de Slovénie des traitements inhumains et dégradants ».
3L'arrêt est cassé pour plusieurs motifs. Il appartenait, d'une part, à la cour d'appel de répondre aux critiques exprimées. Elle aurait dû, d'autre part, suspendre la procédure et rechercher si les informations contenues dans les différents documents étaient encore pertinentes. Il aurait fallu, enfin et le cas échéant, solliciter un complément d'information auprès de l'État émetteur.
4La chambre criminelle, et c'est heureux, considère donc que le motif de la demande de remise - poursuivre ou faire exécuter une peine - est indifférent. Quel que soit l'objet du mandat d'arrêt, les juges ont l'obligation de vérifier si les droits fondamentaux de la personne réclamée seront respectés dans l'État d'émission. Elle applique en cela une jurisprudence de la CJUE [2] qui, elle-même, appliquait les modifications apportées à la décision-cadre en 2009. La Cour de Luxembourg en avait conclu que si « l'existence de ce risque ne peut pas être écartée dans un délai raisonnable, cette autorité doit décider s'il y a lieu de mettre fin à la procédure de remise ». C'est bien la voie suivie par la chambre criminelle en 2019 qui exige de la cour d'appel qu'elle sollicite un complément d'information afin de décider en connaissance de cause.
5Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 2 mai 2018 [3], la personne recherchée invoquait la violation de ses droits fondamentaux par l'application de la procédure britannique du « plaider coupable ». La cour d'appel de Douai avait autorisé la remise de l'individu recherché pour trois raisons principales. Elle rappelait d'abord le principe de la confiance mutuelle entre les États et celui de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice. Elle en déduisait que les refus de remise étaient exclusivement ceux indiqués aux articles 695-22 à 695-24 du code de procédure pénale. Elle précisait enfin qu'il ne lui appartenait pas de prendre position sur la violation des droits fondamentaux de la personne réclamée par une institution relevant de la tradition procédurale anglaise.
6Tout en rejetant le pourvoi, la chambre criminelle rectifie la motivation de la chambre de l'instruction, en partie erronée. Il est vrai que la remise ne peut être refusée en considération d'une telle contestation du système judiciaire de l'État d'émission ; une position contraire remettrait en cause le principe de la reconnaissance mutuelle et tout l'édifice de coopération bâti depuis plusieurs décennies. En revanche, les juridictions du fond sont compétentes pour examiner la procédure étrangère s'il existe une suspicion de violation des droits fondamentaux de l'individu réclamé. Bien que ce ne soit pas le cas en l'espèce, ce rappel est important.
7Ces exceptions à l'application automatique de la procédure du mandat d'arrêt, de plus en plus nombreuses, laissent penser que la confiance mutuelle s'effrite eu égard aux divergences d'un État à l'autre. D'autres indicateurs [4] vont dans le même sens.
Le contentieux du vin et de la pêche
8C'est un contentieux ancien que l'on retrouve dans deux arrêts des 4 avril et 15 mai 2018. Il s'agit des secteurs vinicole et maritime. De nombreuses affaires avaient été soumises à la Cour de cassation dans les années 1975/1985. La question était d'analyser comment la violation d'un texte européen pouvait être pénalement sanctionnée en droit national. La doctrine [5] avait distingué entre la technique de l'assimilation et celle du renvoi. En droit vinicole, le législateur avait choisi la formule du décret dit « d'assimilation » ou de « constatation », intermédiaire entre le texte européen, porteur d'obligations, et la loi française, incriminatrice. À chaque modification de la réglementation communautaire, les services ministériels devaient rédiger un nouveau décret de ce type. En droit de la pêche, la solution choisie était plus simple et durable. La loi du 22 mai 1985 [6] contenait une disposition générale permettant, quel que soit le domaine, de sanctionner sur le territoire national, la violation des règlements adoptés par Bruxelles.
9Les deux décisions ici commentées constituent une illustration de la complexité et des difficultés d'application de ces mécanismes.
10Le secteur vinicole. Le contentieux soumis à la Cour de cassation le 4 avril 2018 [7], concerne les appellations ou indications d'origine protégée et l'étiquetage qui en est le pendant.
11De nombreux textes européens ont été pris sur ces questions. Ceux en vigueur au moment des faits analysés sont au nombre de quatre.
12- La directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 qui a pour objectif de rapprocher les législations sur les marques. Son article 3 prévoit un certain nombre d'interdictions d'utilisation de marque à la fois pour permettre une plus grande concurrence et éviter de tromper le consommateur. Elle assortit ces interdictions d'un certain nombre d'exceptions que les États peuvent mettre en place, notamment dans l'hypothèse d'une marque ayant acquis un caractère distinctif.
13- Les règlements (CE) n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 et (CE) n° 607/2009 de la Commission du 14 juillet 2009. Ces deux textes prolongent la réglementation : le premier (n° 207/2009) insiste sur l'interdiction d'enregistrement des marques communautaires ne répondant pas aux objectifs fixés dans la directive ; le second (n° 607/2009) précise les conditions dans lesquelles il est possible d'utiliser le nom d'une unité géographique plus petite que la zone qui est à la base de l'appellation d'origine ou de l'indication géographique.
14- Le règlement (UE) n° 1308/2013 du 17 décembre 2013. Il permet d'utiliser et conserver une marque dans la mesure où les interdictions posées par les textes antérieurs sont respectées.
15Cette législation, touffue, a été transposée en droit français par le décret du 4 mai 2012 [8]. Ce décret d'assimilation autorise le juge national à appliquer les sanctions du code de la consommation dès lors qu'il y a violation des textes européens. Deux hypothèses de poursuites sont dès lors envisageables, selon que l'infraction est ou non intentionnelle : délit de tromperie dans le premier cas ; contravention dans le second, comme en l'espèce.
16Les personnes avaient en effet été poursuivies devant le juge de proximité pour mise en circulation de vin sans étiquetage conforme. Il s'agissait de savoir si la vente du produit était autorisée sous l'appellation « Cuvée du golfe de Saint-Tropez » et « Port-Grimaud » dès lors que les unités géographiques ainsi identifiées étaient plus petites que l'appellation géographique protégée « Côtes de Provence ».
17Pascal P. et la Société Les vignerons de Grimaud avaient fait l'objet d'un premier contrôle de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). Comme ils n'avaient pas tenu compte de l'avertissement envoyé, le second contrôle s'était prolongé par une procédure judiciaire. Mais le juge de proximité les avait relaxés au motif que les marques litigieuses avaient été déposées de bonne foi antérieurement au décret du 5 mai 2012, que leur enregistrement ne souffrait d'aucune nullité et que l'usage de ces marques était sérieux et utile.
18Le pourvoi de l'officier du ministère public est approuvé par la chambre criminelle de la Cour de cassation qui, par une double motivation, revient sur l'enchaînement des textes, la primauté du droit européen et la sanction de sa violation en droit interne. D'une part, le droit européen actuel (règl. n° 1308/2013) n'autorise pas l'utilisation d'un nom qui couvre une zone géographique plus petite que celle correspondant à une appellation ou indication d'origine protégée, sauf dans des situations très spécifiques (règl. n° 207/2009). D'autre part, le droit français (décr. du 4 mai 2012) permet de faire le lien entre le non-respect de ces réglementations et les sanctions du code de la consommation. Il n'interdit pas l'utilisation de noms d'unités géographiques plus petites, mais exige soit qu'elles soient explicitées dans le cahier des charges soit que les producteurs en fassent la demande. La Cour de cassation explique que ces restrictions sont motivées par la sauvegarde de la concurrence entre producteurs et la protection des consommateurs qui pourraient être induits en erreur. En conséquence, le cahier des charges ne prévoyant aucune utilisation de la sorte, l'étiquetage des bouteilles n'était pas conforme à la réglementation.
19Il reviendra à la juridiction de police de réexaminer la situation et d'appliquer, le cas échéant, la contravention de troisième classe (450 €) aux 1 153 128 ventes de bouteilles concernées, ce qui fait un total de 518 907 600 € !
20Le secteur maritime. L'arrêt rendu le 15 mai 2018 [9] revient également sur la question de la violation des règlements européens par la sanction nationale. En l'espèce, le patron pêcheur, relaxé en première instance, avait été condamné en appel à une amende de 1500 €. La chambre criminelle casse la décision sur le fondement du principe de légalité.
21À l'origine, un contrôle de la gendarmerie maritime permet de constater que des caisses à destination du Portugal contiennent des congres qui ne présentent pas le poids minimal exigé par la réglementation européenne. Le patron pêcheur est poursuivi pour délit de pêche de produits […] de taille, calibre ou poids prohibés. Il est condamné en appel sur le fondement du règlement (CE) 2406/96 du Conseil (26 nov. 1996) qui a fixé des normes communes de commercialisation pour certains produits de la mer et l'article L945-4, 15° du code rural et de la pêche maritime.
22Or, ainsi que le souligne la Chambre criminelle, il y a une différence entre délit de pêche et délit de commercialisation.
23Les articles 2 et 3 du règlement européen interdisent spécifiquement la commercialisation du congre qui ne satisfait pas aux dispositions prévues par ces textes. L'article du code rural et de la pêche maritime réprime globalement les faits « de pêcher, détenir à bord, transborder, transférer, débarquer, transporter, exposer, vendre, stocker ou, en connaissance de cause, acheter des produits de la pêche et de l'aquaculture marine en quantité ou en poids supérieur à celui autorisé ou dont la pêche est interdite ou qui n'ont pas la taille, le calibre ou le poids requis […] », en conformité avec les dispositions prévues par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Les juges du fond en avaient conclu que le prévenu devait être sanctionné de deux chefs puisque les dispositions du règlement avaient été violées et que le fait de vendre un produit interdit ne pouvait être que précédé par une action de pêche.
24Mais le pourvoi, fondé sur l'absence d'élément légal, conduit à la cassation : le règlement européen visant exclusivement la commercialisation du produit, ne peut servir de fondement à une condamnation de l'action de pêche.
Rétroactivité in mitius
25L'arrêt rendu par la chambre criminelle le 16 janvier 2019 [10] est dans la continuité de sa jurisprudence sur la mise en œuvre du principe de l'application immédiate (ou non) de la loi pénale plus douce, spécifiquement la règle bien connue selon laquelle le principe de la rétroactivité in mitius ne s'applique pas en droit pénal des affaires en raison de la nature « réglementaire » et conjoncturelle des textes.
26La décision ne surprend pas, mais elle interroge.
27Elle ne surprend pas en ce que la chambre criminelle, depuis un siècle, se prononce de cette façon. Elle l'avait fait de façon péremptoire dans un premier temps, puis elle avait justifié sa position en décomposant les textes applicables : c'est la norme conjoncturelle (et non répressive) qui change ; la norme structurelle (et pénale) ne change pas. Le Conseil constitutionnel l'avait confortée dans cette analyse en validant, en 2010, une loi du 2 août 2005 [11]. La valeur constitutionnelle du principe de rétroactivité in mitius tel qu'affirmée en 1981 [12] a donc été fortement nuancée 30 ans plus tard.
28C'est au regard du droit européen que l'arrêt de la chambre criminelle pose question. Revenons sur le contentieux en cause avant d'en tirer un certain nombre d'observations.
29L'affaire est ancienne. Nous l'avions déjà analysée dans une précédente chronique [13]. En résumé, rappelons que l'administration des douanes avait engagé une action contre un exportateur de viande bovine pour de fausses déclarations en douane afin d'obtenir des restitutions fondées sur un règlement européen.
30Étant donnée la longueur de la procédure judiciaire (enquêtes effectuées par la DGCCRF à partir de 1987, instruction achevée en 2010, jugement correctionnel, La Rochelle, le 3 décembre 2013, arrêt d'appel, Poitiers, le 12 mars 2015), en partie liée à de graves carences procédurales, le règlement européen changea en cours de route devenant plus souple pour les opérateurs économiques. Les juridictions du fond saisies en avaient conclu que le prévenu devait être relaxé. La chambre criminelle adoptait cette position depuis un arrêt Administration des douanes/GIUSTI [14] considérant que les règlements communautaires « avaient une valeur supérieure à la loi interne », que c'était donc une « loi » devenue plus douce, ce qui excluait en conséquence la solution jurisprudentielle classique.
31Jamais encore la CJUE n'avait été saisie de cette question. Elle le fut dans notre affaire, par la Cour de cassation saisie d'un pourvoi contre la cour d'appel de Poitiers. Dans un arrêt du 7 août 2018 [15], elle déclare en substance que la fraude au budget de l'Union européenne commise avant la modification du règlement européen peut être sanctionnée, y compris après modification du texte communautaire, dès lors que la disposition pénale interne n'a pas bougé. L'article 49-1 de la Charte des droits fondamentaux, relatif au principe de la rétroactivité in mitius ne l'interdit pas. En application de cette décision, la chambre criminelle casse l'arrêt de relaxe et renvoie à la cour d'appel de Bordeaux.
32On observe donc que la chambre criminelle revient sur sa jurisprudence. En accord avec la Cour de justice, il n'y a pas de rétroactivité in mitius lorsqu'un règlement de l'Union européenne est modifié dans un sens plus favorable au prévenu.
33La solution était prévisible [16]. La CJUE se fonde sur la volonté de réprimer les fraudeurs qui exerceraient de nombreux recours afin de profiter au mieux d'éventuels règlements européens moins sévères. Elle se fonde aussi, implicitement [17], sur le principe de la coopération loyale qui, délimité par l'arrêt Maïs grec, consacré par les convention et règlement PIF, entériné par l'article 4.3 TUE, a pris une importance considérable. Avant Lisbonne, le principe de la coopération loyale restait limité à une dimension politique, exigeant des États qu'ils participent activement à la construction de la Communauté ; depuis 2009, il constitue le principe de base à partir duquel d'autres dispositions (325 TFUE, application hors du champ pénal ; 83.2, application dans le champ pénal) sont déclinées.
34Cette évolution laisse perplexe. Elle marque nettement la tendance répressive prise par la Cour de Luxembourg qui privilégie l'obligation de coopération loyale sur le principe de rétroactivité in mitius pourtant intégré à la Charte des droits fondamentaux.
Notes
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[1]
Crim. 26 mars 2019, n° 19-81.731, publié au Bulletin, ECLI:FR:CCASS:2019:CR00757, D. 2019. 763.
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[2]
CJUE 5 avr. 2016, aff. C-404/15 et C-659/15, Aranyosi et Caldararu, AJDA 2016. 1059, chron. E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser ; D. 2016. 786 ; AJ pénal 2016. 395, obs. M.-E. Boursier ; RTD eur. 2016. 793, obs. M. Benlolo-Carabot ; ibid. 2017. 360, obs. F. Benoît-Rohmer ; ibid. 363, obs. F. Benoît-Rohmer.
-
[3]
Crim. 2 mai 2018, n° 18-82.167, publié au Bulletin, D. 2018. 1015 ; AJ pénal 2018. 374, obs. B. Nicaud. Cet arrêt permet d'imaginer également les contentieux susceptibles de naître du retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne. Le retrait a été annoncé le 29 mars 2017 (pour prendre effet le 29 mars 2019), les infractions commises entre le 1er sept. et le 7 oct. 2017 et le mandat d'arrêt émis le 9 févr. 2018. Le pourvoi critiquait l'utilisation de la procédure du mandat d'arrêt européen ; il n'a pas été suivi dès lors que la décision-cadre du 13 juin 2002 est - encore - applicable dans la période considérée. Dans le même ordre d'idée, la Cour de Luxembourg a été saisie d'une question préjudicielle posée par la Cour suprême d'Irlande et y a répondu le 19 sept. 2018 (aff. C-327/18 PPU). Sur cette question, v. J. Tricot, Europe 2019, n° 2, p. 10.
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[4]
Sur l'analyse de la jurisprudence de la Cour de justice, v. Elsa Bernard, Les valeurs communes devant la Cour de justice de l'Union européenne : des exceptions de moins en moins exceptionnelles à la confiance mutuelle entre États membres, Europe 2019, n° 2, p. 7. V. aussi CJUE 2 févr. 2019, aff. C-492/18 PPU (maintien d'une personne recherchée dans le cadre d'un mandat d'arrêt européen), Europe 2019, n° 4, p. 18.
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[5]
V. B. Aubert, Le droit international devant la chambre criminelle, PUF, 2000, et les références.
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[6]
Loi modifiant le décr. n° 85-542 du 9 janv. 1852 sur l'exercice de la pêche maritime.
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[7]
Crim. 4 avr. 2018, n° 16-83.270, publié au Bulletin, RTD com. 2018. 507, obs. B. Bouloc.
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[8]
Décr. n° 2012-655 relatif à l'étiquetage et à la traçabilité des produits vitivinicoles et à certaines pratiques œnologiques.
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[9]
Crim. 15 mai 2018, n° 17-83.203, publié au Bulletin. V. J. Tricot, Europe 2019, n° 2, p. 10.
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[10]
Crim. 23 nov. 2016, n° 15-82.333, non publié, RTD com. 2017. 220, obs. B. Bouloc.
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[11]
Cons. const. 3 déc. 2010, n° 2010-74 QPC, D. 2011. 1859, obs. C. Mascala ; ibid. 2823, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal 2011. 30, obs. J.-B. Perrier ; RSC 2011. 180, obs. B. de Lamy ; RTD com. 2011. 429, obs. B. Bouloc.
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[12]
Cons. const. 19 et 20 janv. 1981, décis. n° 80/127DC, D. 1982. 441, note A. Dekeuwer.
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[13]
RSC 2017. 395.
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[14]
Crim. 12 déc. 1996, Bull. crim. n° 466 ; Dr. pénal 1997. Comm. 80, Une rétroactivité in mitius lunatique en matière de douanes, J.-H. Robert ; Europe 1997. Comm. 215, D. Ritleng.
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[15]
Aff. C-115/17, Administration des douanes et droits indirects, Établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) dont voici le dispositif : « Le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce, consacré à l'article 49, paragraphe 1, troisième phrase, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à ce qu'une personne soit condamnée pour avoir indûment obtenu des restitutions particulières à l'exportation prévues par le règlement (CEE) n° 1964/82 de la Commission, du 20 juillet 1982, arrêtant les conditions d'octroi de restitutions particulières à l'exportation pour certaines viandes bovines désossées, par le moyen de manœuvres ou de fausses déclarations portant sur la nature des marchandises pour lesquelles les restitutions étaient demandées, alors que, à la suite d'une modification de ce règlement intervenue postérieurement aux faits incriminés, les marchandises qu'elle a exportées sont devenues éligibles à ces restitutions ».
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[16]
Depuis l'arrêt Gianpaolo c/ Paoletti dans lequel la Cour de Luxembourg considère que l'entrée de la Roumanie dans l'Union européenne ne fait pas disparaitre la nature délictuelle aux faits commis. CJUE 6 oct. 2016, aff. C-218/15, Gianpaolo c/ Paoletti, RTD eur. 2018. 473, obs. F. Benoît-Rohmer.
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[17]
Les concl. de l'av. gén. J. Kokott le visaient de façon explicite dans les motifs, 12 avr. 2018, aff. C-115/17.