Notes
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[1]
Crim. 27 sept. 2016, n° 15-85.248, Bull. crim. n° 251 ; RSC 2016. 757, obs. Mayaud. Rappr. : Crim. 22 mars 2016, n° 15-81.484, Bull. crim. n° 100 ; Dalloz actualité, 8 avr. 2016, obs. Goetz ; AJ pénal 2016. 381, obs. Lasserre Capdeville.
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[2]
RSC 2016, préc.
-
[3]
Crim. 30 déc. 1892, S. 1894. 1. 201, note Villey ; Crim. 28 févr. 1956, Bull. crim. n° 205 ; D. 1956. 391 ; JCP 1956. II. 9304, note de Lestang. ; Crim. 14 févr. 1967, n° 66-91.558, Bull. crim. n° 65 ; Crim. 17 oct. 1967, n° 66-93.462, ibid. n° 250 ; Gaz. Pal. 1967. 2. 290 ; Crim. 25 avr. 1968, JCP 1969. II. 16100, note Puech ; Crim. 27 juill. 1970, n° 69-93.107, Bull. crim. n° 250.
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[4]
Le délit de violences peut être constitué, en dehors de tout contact matériel avec le corps de la victime, par tout acte ou comportement de nature à causer sur la personne de celle-ci une atteinte à son intégrité physique ou psychique caractérisée par un choc émotif ou une perturbation psychologique. ; Crim. 2 sept. 2005, n° 04-87.046, Bull. crim. n° 212 ; D. 2005. Pan. 2989, obs. Garé ; RSC 2006. 69, obs. Mayaud. Le délit de violences est constitué, même sans atteinte physique de la victime, par tout acte de nature à impressionner vivement celle-ci et à lui causer un choc émotif. Crim. 18 mars 2008, n° 07-86.075, Bull. crim. n° 65 ; D. 2009. Pan. 127, obs. Mirabail ; AJ pénal 2008. 283, obs. Roussel ; Dr. pénal 2008. 84, obs. Véron ; Gaz. Pal. 2008. 2. 3313, note F. Desprez ; RSC 2008. 587, obs. Mayaud.
-
[5]
Douai 10 oct. 2012, n° 12/01253, Gaz. Pal. 2012. 2. 3321, note Pautrel et Partouche ; RLCT 2013/91, n° 2485, p. 22, note Mayaud ; RSC 2013. 343, obs. Mayaud. En première instance : T. corr. Avesne-sur-Helpe, 17 févr. 2012, n° 199/2012, Gaz. Pal. 2012. 1. 1421, note Paulin ; RLCT 2013/91, n° 2485, p. 22, note préc. Mayaud ; RSC 2013. 343, obs. préc. Mayaud.
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[6]
Crim. 31 janv. 1995, n° 93-85.711, Bull. crim. n° 38 ; RSC 1995. 814, obs. Mayaud ; Douai, 10 oct. 2012, préc. ; T. pol. Bordeaux, 18 mars 1981, D. 1982. 182, note Mayer ; RSC 1982. 347, obs. Levasseur.
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[7]
Crim. 14 nov. 1990, n° 90-80.152, Dr. pénal 1991. 105 ; Crim. 20 févr. 2013, n° 12-90.074, QPC, Dr. pénal 2013, comm. 86, obs. Véron.
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[8]
Crim. 30 janv. 1989, n° 86-96.060, Bull. crim. n° 33 ; Crim. 1er juill. 1997, n° 96-83.433, Bull. crim. n° 261 ; Dr. pénal 1998. 9.
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[9]
Crim. 29 oct. 1996, n° 96-80.701, Bull. crim. n° 378 ; Dr. pénal 1997. 18, obs. Véron ; Crim. 19 mai 1999, n° 98-85.360, Gaz. Pal. 1999. 2, chr. crim. 134.
1. Délits non intentionnels : les personnes morales face à l'impératif d'identification des auteurs physiques de l'infraction. (Crim. 17 oct. 2017, n° 16-87.249, publié au Bulletin ; Crim. 31 oct. 2017, n° 16-83.683, publié au Bulletin)
1 Nous avons commenté, il y a peu, un arrêt de cassation du 27 septembre 2016 [1], dont il résultait un double enseignement sur la responsabilité des personnes morales engagée du chef d'homicide ou de blessures involontaires : d'abord, un rappel des conditions légalement mises à cette responsabilité, qui ne saurait être sans la preuve établie que les infractions poursuivies ont bien été commises par les organes de direction ou les représentants décideurs ; ensuite, en l'absence de toute délégation de pouvoir, l'invitation faite aux juges du fond à mettre en œuvre tous les moyens dont ils disposent pour remonter aux responsables personnes physiques, au besoin en ordonnant un supplément d'information, afin de trouver ceux ou celles sur lesquels pèse l'effectivité du respect de l'obligation de sécurité ou de prudence. Et nous en avions déduit que, par leur conjugaison, ces deux impératifs ne pouvaient que consacrer, en ultime et dernier ressort, la responsabilité du dirigeant en titre, et donc de l'employeur lorsque la victime de l'infraction est un salarié. La Chambre criminelle, par deux arrêts rapprochés, l'un du 17 octobre 2017, l'autre du 31 octobre 2017, confirme ces solutions, leur donnant une portée appuyée, et les inscrivant ainsi dans une dynamique qui semble engager l'avenir. Il faut dire que la matière s'est nourrie de belles subtilités pendant des années, notamment quant à l'identification des personnes physiques à même de servir de soutien à l'imputation de la responsabilité à la personne morale [2], et que ce retour à des règles plus tranchées ne peut que faciliter la lecture du droit, tout en étant, par sa prévisibilité, plus rassurant pour le justiciable lui-même.
2 À des fins didactiques, la chronologie des décisions ne sera pas respectée, et nous traiterons d'abord de celle du 31 octobre 2017, puis de celle du 17 octobre 2017, la première se voulant plus conceptuelle que la seconde, et celle-ci pouvant davantage être retenue comme une illustration des principes engagés.
I - L'arrêt du 31 octobre 2017
3 L'agent de maintenance d'une société pétrolière de production et d'exploitation avait été mortellement blessé par suite de l'explosion d'une pompe d'extraction de pétrole qu'il tentait de remettre en marche. Il fut établi que, lors de la remise en fonctionnement de l'appareil, un phénomène de rotation inverse, dit back spin, s'était produit à une vitesse élevée, provoquant une désintégration de la couronne fixée au sommet du moteur et l'implosion du carter de protection, dont des fragments avaient violemment atteint le salarié au front. Selon les conclusions d'une expertise ordonnée par le procureur de la République, le système de freinage, qui aurait dû limiter la vitesse de cette rotation, n'avait pas fonctionné du fait d'un défaut de lubrification, lui-même ayant eu pour cause une information insuffisante sur les règles de maintenance de l'équipement. La société fut en conséquence renvoyée devant le tribunal correctionnel du chef d'homicide involontaire, et sa responsabilité fut retenue. Mais, sur appel de la prévenue et du ministère public, le jugement fut infirmé. La cour d'appel de Reims considéra que, si la faute à l'origine de l'accident était bien établie, en rapport avec un « défaut de maintenance ancien et habituel », elle n'était pas, pour autant, le fait d'un organe ou d'un représentant de la société, motif pris, notamment, de ce que le dirigeant de cette dernière, qui n'avait consenti aucune délégation de ses pouvoirs en matière d'hygiène et de sécurité, n'avait personnellement commis aucun manquement en relation de causalité avec l'accident, puisqu'il travaillait au siège social et n'intervenait pas sur le site pétrolifère. L'accident était finalement sans auteur, aucune imputation n'étant accessible, découlant des circonstances elles-mêmes. On devine ce qu'une telle réponse, revenant à consacrer un vide juridique, a inspiré de réaction, et un pourvoi fut formé par le procureur général près la cour d'appel de Reims, qui a eu pour résultat la cassation et l'annulation de l'arrêt contesté.
4 Une cassation dont les motifs méritent d'être reproduits et analysés dans leurs retombées.
51. Il est une première affirmation, à savoir que : « les personnes morales, à l'exception de l'État, sont responsables pénalement des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants », et qu'« il s'en déduit que, lorsqu'ils constatent la matérialité d'une infraction non intentionnelle susceptible d'être imputée à une personne morale, il appartient aux juges d'identifier, au besoin en ordonnant un supplément d'information, celui des organes ou représentants de cette personne dont la faute, commise dans les conditions prévues au deuxième ou au troisième alinéa de l'article 121-3 du code pénal, est à l'origine du dommage ». Il s'agit, mutatis mutandis, de la réplique du précédent de 2016, qui, dans des circonstances voisines, tout en ne relevant pas d'un accident du travail, avait pareillement exigé une participation active du juge dans la recherche de la cause de l'accident, afin de remonter au décideur à l'origine causale des blessures ou de la mort de la victime. Cette quête d'identification est essentielle, qui s'appuie sur la matérialité du manquement, et la nécessité d'en dépasser le constat, afin d'identifier la personne physique en ayant généré le principe. C'est dire qu'un tel constat ne saurait être sans responsable, et que ce qui participe d'une faute non intentionnelle acquise ne saurait exister sans un rattachement d'ordre personnel. Aucune faute matérialisée ne peut rester sans auteur, et si les faits apparents ne permettent pas de le personnaliser de suite, son identification doit malgré tout être assurée, au besoin par un supplément d'information.
62. Pour mieux convaincre de l'impératif d'une telle démarche, la Chambre criminelle va jusqu'à préciser « qu'il en va ainsi du représentant légal qui omet de veiller lui-même à la stricte et constante mise en œuvre des dispositions édictées par le code du travail et les règlements pris pour son application en vue d'assurer la sécurité des travailleurs, à moins que ne soit apportée la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à un préposé investi par lui et pourvu de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires au respect des dispositions en vigueur ». La formule est une invitation à remonter au chef d'entreprise ou à l'employeur, représentant légal de la personne morale, dont l'implication s'impose d'autant plus qu'il n'a pas délégué ses pouvoirs dans des conditions exonératoires pour lui. La démarche judiciaire d'identification ne doit pas s'arrêter à ce que les faits livrent apparemment de causalité non remplie, elle doit procéder d'investigations poussées, jusqu'à aller, s'il n'est aucune délégation de pouvoir, à reconnaître la participation du chef d'entreprise lui-même. Nous l'avons déjà relevé, il s'agit là de la résurgence d'une jurisprudence ancienne et classique : « Si, en principe, nul n'est passible de peines qu'à raison de son fait personnel, la responsabilité pénale peut cependant naître du fait d'autrui dans les cas exceptionnels où certaines obligations légales imposent le devoir d'exercer une action directe sur les faits d'un auxiliaire ou d'un préposé ; il en est ainsi, notamment, dans les industries ou commerces réglementés, où la responsabilité pénale remonte aux chefs d'entreprises, à qui sont personnellement imposés les conditions et le mode d'exploitation de leur industrie ou commerce » [3]. On ne peut que rapprocher ces attendus et ceux qui, de manière plus actuelle, retiennent notre attention aujourd'hui. Le même esprit est en cause, les mêmes principes sont engagés, qui, faute de délégataire, font du chef d'entreprise ou de l'employeur le représentant obligé de la personne morale, parce qu'il est personnellement tenu par toutes les normes de prudence et de sécurité inhérentes aux activités déployées par son entreprise.
7 L'arrêt le souligne, qui insiste sur le fait qu'il appartenait à la juridiction de rechercher si les carences qu'elle avait relevées dans la conception et l'organisation des règles de maintenance de l'équipement de travail « ne procédaient pas, en l'absence de délégation de pouvoirs en matière de sécurité, d'une faute d'un organe de la société, et notamment de la violation des prescriptions des articles R. 4322-1 et R. 4323-1 du code du travail s'imposant à l'employeur ». Cette affirmation, qui veut que lesdits articles, relatifs à l'information et la formation des salariés sur les conditions d'utilisation des équipements de travail, obligent personnellement l'employeur, est l'application pure et simple de ce qui fonde sa responsabilité pénale à défaut de délégation de pouvoir, et donc de ce qui est à même de servir d'assise à l'imputation de la responsabilité propre à la personne morale.
83. Cette conclusion doit être circonscrite dans son domaine propre. Il n'est pas dit que le dirigeant personne physique est lui-même pénalement responsable. L'enjeu de la jurisprudence que nous rapportons est seulement relatif à la personne morale dont l'imputation est en cause. L'engagement de sa responsabilité suppose la commission de l'infraction par un représentant personne physique, qui, une fois identifié, permet d'en imputer les conséquences répressives à la personne morale. Tel est l'objectif de la démarche, ce qui ne doit pas être interprété comme valant ipso facto responsabilité personnelle du dirigeant identifié. Des personnes physiques à la personne morale les responsabilités sont distributives, tout en pouvant être cumulatives. Seules les circonstances, souverainement appréciées par les juges du fond, autorisent à spéculer sur ce qu'il en est concrètement, et, par la jurisprudence rapportée, la Cour de cassation ne s'immisce pas dans ce pouvoir, ne consacrant aucune solution figée quant à la responsabilité personnelle des décideurs personnes physiques.
94. Une interrogation subsiste, celle de savoir s'il est encore place pour une responsabilité pénale directe de la personne morale, qui serait liée à certaines défaillances d'ordre structurel. Compte tenu des exigences de motivation pesant sur les juges du fond, destinées à ne rien perdre du relais nécessaire des dirigeants personnes physiques, il apparaît que cette hypothèse faiblit en originalité. La seconde espèce en témoigne à sa manière...
II - L'arrêt du 17 octobre 2017
10Un accident du travail est également à l'origine de cette décision. Une société était poursuivie des chefs, d'une part, de mise à disposition d'un équipement de travail ne permettant pas de préserver la sécurité des travailleurs, d'autre part, de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité temporaire totale n'excédant pas trois mois, après que deux de ses salariés eurent été victimes, le 13 août 2012, d'une chute de près de huit mètres de haut, par suite de l'effondrement d'une toiture, sur laquelle ils effectuaient des travaux sans filet de protection sur la zone incriminée le jour de l'accident. La société fut reconnue coupable par le tribunal correctionnel, mais appel fut relevé, à titre principal par la prévenue, et à titre incident par le ministère public. La cour d'appel d'Agen confirma la décision, ce que la société contesta par un pourvoi en cassation. Le débat porta sur la manière dont les juges du fond avaient identifié les personnes physiques auteurs de la matérialité des manquements imputés à la personne morale. Une identification qu'ils dénonçaient comme ne répondant pas aux conditions requises, avec pour conséquence d'avoir entraîné la société dans une responsabilité non juridiquement fondée. En fait, deux personnes physiques étaient en cause, sur lesquels les magistrats avaient fait peser une action fautive déterminante de l'imputation pesant sur la prévenue : un directeur salarié devenu gérant, et un chef d'équipe. Le pourvoi développa sur chacun des arguments suffisamment solides pour emporter la censure de la Chambre criminelle.
111. La première personne retenue en tant que représentant de la société avait été engagée comme directeur salarié le 1er janvier 2008, puis elle avait été nommée en qualité de co-gérant de la société à compter du 15 juin 2013, et la cour d'appel en avait déduit que, lors de la citation à comparaître par acte d'huissier du 19 novembre 2014, elle était en mesure de « valablement représenter la société tout au long de la procédure », aucune disposition légale ne prévoyant que l'ensemble des co-gérants fussent entendus ou appelés dans la cause. On perçoit de suite ce que cette motivation entretenait de confusion, et le pourvoi n'a pas manqué de la dénoncer, avec profit. Il a fait valoir que, à l'époque des faits, soit le 13 août 2012, le référent ne disposait ni d'un mandat social, ni d'une délégation de pouvoir : il n'était que directeur salarié, sans l'existence d'une quelconque délégation, et ce n'est que plus tard qu'il fut co-gérant de la société, donc mandataire social revêtu des prérogatives inhérentes à ce titre. Au temps de l'action, il ne pouvait donc être considéré, ni comme un organe, ni comme un représentant, et si sa qualité de gérant avait pu lui permettre de représenter la société au cours de la procédure, elle ne pouvait, en revanche, valoir représentation au sens de l'imputation de l'infraction à la personne morale. Ce que la procédure validait n'avait aucun impact sur le fond même de la responsabilité, et, faute d'avoir établi que les manquements reprochés résultaient de l'abstention d'un organe ou représentant au sens de l'article 121-2 du code pénal, et non de l'article 706-43 du code de procédure pénale, la condamnation de la société méritait la censure.
12Quant à la seconde personne pareillement dotée par la cour d'appel d'un statut de représentation, il s'agissait d'un chef d'équipe, à qui il appartenait, selon les juges du fond, « de s'assurer que les dispositifs initialement prévus étaient bien en place au moment de l'accident ». Mais, parce que cette obligation ne prenait pas sa source dans une délégation de pouvoir, le pourvoi contesta qu'elle fût reprochable au salarié, sauf à démontrer que son statut ou ses attributions en faisaient un véritable représentant, là encore au sens de l'article 121-2 du code pénal. La responsabilité de la société perdait en conséquence toute assise, et la décision de la cour d'appel ne pouvait être justifiée.
132. La Chambre criminelle a été sensible à ces arguments, qui sont repris à l'appui d'une cassation sans surprise. Elle juge que : « en prononçant ainsi, sans mieux déterminer par quel organe ou représentant de la société les manquements à l'origine de l'accident, qu'elle a constatés, ont été commis pour le compte de celle-ci et sans rechercher, à cet égard, au besoin en ordonnant un supplément d'information, si M. Franck X., dont elle a relevé qu'au moment des faits il n'était que directeur salarié, ou le chef d'équipe, auquel elle a imputé une faute d'abstention, était titulaire, quelle qu'en fût la forme, d'une délégation de pouvoirs en matière de sécurité de nature à lui conférer la qualité de représentant de la personne morale, et alors qu'était inopérante la circonstance que M. X. a valablement représenté la société au cours de la procédure, au sens de l'article 706-43 du code de procédure pénale, en sa qualité de cogérant acquise postérieurement à l'accident, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision au regard de l'article 121-2 du code pénal ». Sont rejoints les principes que nous connaissons, présents dans les arrêts du 27 septembre 2016 et du 31 octobre 2017, qui veulent que, faute de délégation de pouvoir, les juges doivent déterminer, même par un supplément d'information, sur quelle personne repose l'effectivité de la direction de la personne morale, et donc l'obligation de sécurité ou de prudence engagée par les activités qu'elle déploie. Cette détermination n'était pas établie en l'espèce, dans la mesure où ne pouvaient être impliqués, sur le fondement d'une telle délégation, ni le directeur salarié, ni le chef d'équipe, tout comme était inopérante la qualité de représentant reconnu au premier au sens de l'article 706-43 du code de procédure pénale.
14 Ce n'est pas dire que la société soit pour autant déconnectée de toute représentation. Il appartiendra à la cour d'appel de Toulouse, désignée comme cour de renvoi, de suivre les règles d'identification des personnes physiques à même de relever de ce statut. Et si persiste le défaut de toute délégation, « quelle qu'en fût la forme », la représentation ne pourra alors que remonter à l'employeur lui-même, c'est-à-dire au gérant à l'époque de l'accident, avant que ne lui fût associé un co-gérant en la personne du directeur salarié de la société. La cour d'appel d'Agen avait considéré qu'aucune faute ne lui était imputée. C'est là une affirmation beaucoup trop tranchée, du moins dans la logique de la jurisprudence qui nous retient : le chef d'entreprise reste potentiellement fautif en l'absence de toute délégation, parce que, par hypothèse, il est personnellement tenu par les normes de prudence et de sécurité indissociables des activités qu'il dirige.
2. Responsabilités pénale et civile d'un groupement de collectivités territoriales pour homicide involontaire. (Crim. 24 oct. 2017, n° 16-85.975, publié au Bulletin)
15 Les collectivités territoriales sont souvent mises en cause lors d'accidents intervenus sur des sites dont elles sont propriétaires. Et les juridictions manifestent parfois de la sévérité à leur égard, à la hauteur de manquements jugés intolérables pour la sécurité des usagers. La présente espèce en est une illustration, qui a donné lieu à la reconnaissance d'une double responsabilité, pénale et civile, pesant sur un groupement de collectivités territoriales pour homicide involontaire.
16 Dans la soirée du 19 juillet 2010, trois jeunes gens s'étaient rendus, en motocyclettes de cross, sur la digue du Rhône à Arles. Ayant contourné la barrière d'accès à la digue, ils avaient emprunté le chemin de halage, où se trouvait un câble placé en travers. L'un des motocyclistes le heurta de plein fouet, et le câble, pris dans le garde-boue et soumis à une forte tension sous l'effet du choc, frappa la victime au ventre et au thorax, lui occasionnant plusieurs hémorragies internes dont elle devait décéder le soir même. À l'issue d'une information judiciaire, le Syndicat Mixte Interrégional d'Aménagement des Digues du Delta du Rhône et de la Mer (SYMADREM), groupement de collectivités territoriales propriétaire du terrain, fut renvoyé devant le tribunal correctionnel pour homicide involontaire. Déclaré coupable, il fut condamné à 60 000 d'amende, outre le versement de dommages-intérêts. Appel fut interjeté par toutes les parties, mais le jugement fut confirmé, ce qui détermina le syndicat à former un pourvoi en cassation. La Chambre criminelle en a rejeté le principe sur la responsabilité pénale, mais non sur la responsabilité civile, qui, au contraire, s'est prêtée à cassation.
I - La responsabilité pénale
17L'article 121-2 du code pénal pose le principe de la responsabilité pénale des collectivités territoriales et de leurs groupements, laquelle, conjuguée avec les dispositions de l'article 121-3 du même code, peut reposer sur une faute simple, en lien de causalité directe ou indirecte avec le dommage, là où les personnes physiques, quant à elles, ne sont plus redevables, depuis la loi n° 2000-617 du 10 juillet 2000, de la justice répressive en cas de faute simple indirecte. Toute faute est donc exploitable à l'encontre d'une collectivité territoriale, et, en l'espèce, la responsabilité du groupement syndical a été retenue sur un ensemble de circonstances allant dans le sens de manquements avérés : l'installation d'une barrière à câble à un endroit notoirement connu pour être emprunté par des motos, le défaut de visibilité d'une telle entrave, les poteaux sur lesquels était fixé le câble étant en grande partie cachés par la végétation, et l'absence de matérialisation claire et lisible de l'interdiction de pénétrer sur les lieux. Ce furent autant de défaillances retenues par les juges du fond comme ayant contribué à la mort du jeune motard, et qui, par leur cumul, ne pouvaient faire douter de la responsabilité de la collectivité. Une responsabilité que celle-ci s'est efforcée de neutraliser, notamment en faisant état de la faute de la victime.
18Le syndicat n'a pas manqué de faire ressortir que le motocycliste n'avait aucun droit à circuler sur les lieux de l'accident, ceux-ci n'étant accessibles, en application de la réglementation applicable, et sauf circulation à pieds, que sur autorisation écrite délivrée dans des conditions fixées par décret. Cette défense avait peu de chance de prospérer, aucune compensation n'étant possible en droit pénal entre ce qui est constitutif d'une infraction et la faute éventuelle de la victime ayant contribué à sa réalisation, à moins qu'elle ne s'apparente à une force majeure. La question fut pourtant débattue, et les juges du fond, par des motifs bien compris, ont opposé à la témérité de la victime des manquements plus graves encore pesant sur la collectivité territoriale, qui avait laissé se créer, en parfaite connaissance de cause, une libre circulation sur les digues concernées, avec ce que cette tolérance avait emporté de négligence dans la protection du site et la matérialisation de l'interdiction d'y pénétrer. Autrement dit, la faute prétendue de la victime n'était que le reflet de la propre faute de la collectivité, ce qui en rendait l'invocation fort déplacée. Mieux encore, une sorte d'aveu pouvait être exploité, tenant au fait que, juste après l'accident, un panneau avait été installé et des rochers mis en place de part et d'autre de la barrière pivotante pour empêcher le passage des motos, de même qu'un câble avait été fixé aux poteaux de manière à ce qu'il ne soit plus au milieu du chemin : par une sorte de repentir actif, le SYMADREM avait fait en sorte qu'un tel accident ne se reproduise plus, manifestant ainsi une parfaite conscience de sa défaillance.
19 Il était très difficile pour la prévenue de contester sa responsabilité, du moins sur la faute qui lui était imputée. Elle s'appuya sur un argument plus juridique, tiré de l'article 121-2 du code pénal, qui conditionne la responsabilité des collectivités territoriales et de leurs groupements à l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public, et elle en déduisit que, faute d'avoir précisé en quoi les missions confiées au SYMADREM relevaient de telles activités, la cour d'appel n'avait pas légalement justifié sa décision. Mais la Chambre criminelle n'a pas suivi : elle juge, au vu des motifs de la cour, que l'infraction avait bien été commise par un groupement de collectivités territoriales « dans l'exercice, conformément à son objet statutaire, des activités d'entretien et de surveillance des digues fluviales et de leurs dépendances, susceptibles de faire l'objet d'une convention de délégation de service public ». Le choix du syndicat de ne pas déléguer ces services ne pouvait qu'emporter sa responsabilité liée à la mort de l'usager, et le pourvoi fut rejeté.
20 L'enseignement est important, qui donne la mesure des diligences auxquelles sont soumises les collectivités territoriales dans la gestion des biens relevant du domaine public. On retiendra essentiellement que la passivité ou le « laisser-faire » n'est pas le meilleur moyen d'assurer cette gestion, et que la fermeté s'impose, non pour le plaisir gratuit d'exercer un pouvoir sur les administrés, mais pour prévenir les débordements que ce genre de situation ne manque pas de générer. La connaissance que le syndicat avait de la violation systématique de l'interdiction des engins motorisés sur le site a manifestement pesé dans la décision des juges du fond, tant il y a faute pénale à ne pas réagir. Une faute qui se double d'une dimension civile, génératrice de réparation pour les victimes, mais qui échappe à la compétence des juridictions judiciaires, ce que la Cour de cassation a pertinemment rappelé...
II - La responsabilité civile
21Dans la logique de la responsabilité pénale qu'elle a retenue, la cour d'appel a condamné la collectivité à indemniser les parties civiles, à savoir les parents, le frère et la demi-sœur de la victime, à hauteur de leurs préjudices respectifs. Elle a même revu à la hausse la réparation attribuée en première instance à la demi-sœur, au nom d'une souffrance morale égale aux autres membres de la famille. Le pourvoi contesta, non le principe de ces dommages-intérêts, mais la compétence des juridictions saisies pour en décider, rappelant que seul le juge administratif avait le pouvoir de les octroyer. La Chambre criminelle ne pouvait que lui donner raison. Elle a jugé, sur le fondement de la loi des 16 et 24 août 1790 et du décret du 16 fructidor an III, que « les tribunaux judiciaires ne sont pas compétents pour réparer les conséquences dommageables d'une faute engageant la responsabilité d'une personne morale de droit public à l'occasion de la gestion d'un service public administratif », si bien que, en déclarant le SYMADREM entièrement et seul responsable des conséquences de l'accident, et en le condamnant à payer diverses sommes aux parties civiles, ayants droit de la victime, en réparation de leurs préjudices, la cour d'appel avait méconnu les textes et le principe en cause. Elle a donc annulé l'arrêt dans sa partie indemnitaire, toutes les dispositions répressives étant maintenues, ce qui s'est soldé par une cassation sans renvoi.
22 En définitive, que ce soit sur le terrain pénal ou sur le terrain civil, la décision de la Chambre criminelle mérite une totale approbation. Les principes juridiques qui président à la responsabilité des collectivités territoriales et de leurs groupements sont opportunément rappelés et appliqués, que ce soit en termes de délégation de service public ou de séparation des pouvoirs. Quant à la faute non-intentionnelle à l'origine du décès, elle est également couverte par la Cour de cassation, laquelle, en restant à l'écart du débat, n'a fait que respecter l'appréciation souveraine des juges du fond.
3. Lorsque le droit de correction dégénère en méthode éducative...(Crim. 7 nov. 2017, n° 16-84.329, publié au Bulletin)
23 L'éducation n'est pas une tâche facile, qui exige patience et persévérance, au service d'un objectif d'élévation, et non d'abaissement. Il est vrai que la discipline n'est plus en soi une vertu, volontiers dénoncée comme une contrainte insupportable, voire une atteinte aux droits de l'enfant, ce qui ne peut qu'amplifier l'agitation de ceux qui s'y dérobent, et il suffit que l'éducateur fasse preuve de quelque rigueur dépassée pour être au centre d'un débat de légitimité. Encore faut-il qu'une telle rigueur ne soit pas déplacée... Ce qui était manifestement le cas dans notre espèce.
24 Agent territorial spécialisé des écoles maternelles (ATSEM), la personne mise en cause était poursuivie du chef de violences physiques ou morales sur mineurs de quinze ans par personne ayant autorité sur de jeunes enfants dont elle avait la charge, âgés de trois à quatre ans. L'article 222-13 du code pénal servait de fondement à ces poursuites, qui incrimine de telles violences, qu'elles aient entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou qu'elles ne se soient soldées par aucune incapacité. Des témoignages « parfaitement concordants et circonstanciés » les avaient révélées, dont il résultait que l'éducatrice s'emportait souvent en élevant la voix, tenait des propos dévalorisants à l'égard de certains de ses élèves, les malmenait physiquement en les tirant par les bras ou leurs vêtements, leur donnait des tapes sur la tête, les « balançait » dans le couloir à titre de sanction, les punissait dans le noir, et avait giflé l'un d'eux. Ce descriptif était suffisant pour ne pas douter des pratiques de l'intéressée, laquelle fut renvoyée devant le tribunal correctionnel. Les juges du premier degré la relaxèrent, mais, sur recours des parties civiles et du procureur de la République, elle fut condamnée par la cour d'appel de Limoges à un an d'emprisonnement avec sursis, cinq ans d'interdiction professionnelle, outre le prononcé de dommages-intérêts pour couvrir les réparations nécessaires. On réalise combien cette condamnation est à la mesure d'une gravité toute particulière, surtout au regard de l'interdiction professionnelle qui l'accompagne, et il est même surprenant de constater à quel point les jugements peuvent diverger d'une juridiction à l'autre, pour se solder par des écarts sensibles, pouvant aller du tout au rien, ou du rien au tout... La prévenue, cependant, n'en resta pas là, et elle forma un pourvoi, nourrie de plusieurs moyens, tous destinés à convaincre de son innocence et de son professionnalisme.
25 Ce que la Chambre criminelle révèle de la décision des juges du fond est très instructif. Furent d'abord recensées toutes les actions reprochées à l'agent territorial, qui avait à répondre, non d'un acte isolé, mais de plusieurs, voire de violences érigées en méthode éducative, avec un double résultat, selon qu'elles avaient entraîné ou non une incapacité de travail. Ensuite, chacun des actes fut débattu dans sa vocation à rejoindre les éléments constitutifs de l'infraction, ainsi que les principes de responsabilité indispensables à une condamnation tant pénale que civile. Une utile synthèse peut en être dégagée, que nous conduirons successivement en termes, et de violences retenues, et de justification rejetée, et de réparation censurée.
I - Les violences retenues
A - Les violences physiques
26Il est une première violence, dont l'approche compte parmi les plus faciles, puisqu'il s'agit d'une gifle, physiquement infligée. Il en est résulté une incapacité de travail inférieure à huit jours, attestée par un certificat médical, mais aussi fondée sur la déclaration de la prévenue, dont la défense a consisté à minimiser la portée de son geste, tout en reconnaissant qu'il avait été un peu « vif ». Une gifle ne peut avoir la même retombée selon que l'enfant est en bas âge, comme c'était le cas en l'espèce, ou proche de l'adolescence. Indépendamment de ce qu'elle peut inspirer de rejet en soi, son impact physique est variable, et l'aveu d'un geste fort ne peut que dérouter lorsqu'il est destiné à un tout jeune enfant de maternelle. Une incapacité totale de travail a pu en manifester l'existence, malgré le caractère abstrait d'un tel critère pour ce type de victime.
B - Les violences psychologiques
27Cette gifle mise à part, la plupart des violences furent exercées en l'absence de tout contact physique et sans incapacité de travail, pour procéder seulement de « chocs émotifs », conformément à une jurisprudence classique en la matière [4]. Sont donc en cause des actions psychologiques, qui ont été traitées doublement par la cour d'appel, en rapport, et avec ce qu'elles ont imposé d'angoisse déstabilisante pour tous les enfants, et avec des actions plus personnalisées pour certains d'entre eux.
281. Concernant la qualité de victimes indifféremment retenue pour tous les enfants, on retrouve ce que la prévenue avait créé d'ambiance tendue et difficilement supportable. La juridiction du fond la décrit comme : « un comportement inadapté qui s'est manifesté de manière répétée par des cris, qualifiés par les témoins de véritables hurlements, par des brimades physiques, comme la mise brutale au couloir sur la chaise à grandir, les tapettes derrière la tête ou les tirages par les bras ou les vêtements, et qui, outrepassant les seules manifestations d'autorité qu'un maître est autorisé à avoir à l'égard d'un élève turbulent, ne peuvent trouver d'explication à cet égard ». Et d'ajouter « que de tels faits répétés ont nécessairement généré pour les élèves d'une classe de petite section, tout juste âgés de trois ans, même en l'absence de tout contact physique, de gestes les menaçant directement ou de propos les dévalorisant, un sentiment d'angoisse face à une maîtresse dont le rôle était au contraire de se montrer en toutes circonstances sécurisante lors de l'apprentissage des premiers rudiments de l'école ; qu'il s'en est suivi pour ces élèves un trouble émotionnel et/ou psychologique qui a été suffisamment intense pour caractériser le délit de violences sans incapacité totale de travail au sens de l'article 222-13 du code pénal ». La motivation est solide, qui renvoie à ce que, hors de toute atteinte physique, de toute menace ou brimade visant directement un enfant, témoigne d'une autorité oppressante pour tous, en tant que témoins de tels excès.
29Cette approche globale de la violence n'a pas manqué d'être critiquée par le pourvoi, qui a fait valoir plusieurs arguments pour en contester la solidité, particulièrement que le délit ne pouvait être retenu sans dire en quoi chacun des enfants présentés comme victimes avait effectivement et personnellement subi une atteinte de la part de la prévenue. L'infraction est matérielle, elle ne pouvait tenir à ce qui était trop facilement acquis comme ayant, sans personnalisation aucune, impressionné tous les enfants de la classe. Pareillement, fut contestée la motivation selon laquelle les faits reprochés à la prévenue avaient été « de nature à » générer un choc émotif, ou qu'ils l'avaient « nécessairement généré » : cette restitution de l'infraction fut dénoncée comme contraire à ses éléments de définition, qui font du choc émotif une atteinte, non potentielle, mais bien réelle. Fut également critiquée la qualification de violences en rapport avec le fait d'élever la voix sur autrui ou de lui tenir des propos dévalorisants, ou encore avec de simples cris, la mise au coin sur une « chaise à grandir », ou une punition dans le noir absolu. Enfin, contenant toutes les autres, une dernière thèse fut soutenue, consistant à nier que le témoin de violences puisse être, dans le même temps, victime de ces violences.
30La position de la Chambre criminelle est des plus simples : sous réserve d'une contradiction de motifs sur deux enfants, qui a été sanctionnée par une cassation, elle se retranche derrière l'appréciation des juges du fond. La matière n'engageait que les faits au soutien des poursuites, et c'est en toute souveraineté que la cour d'appel, infirmant en cela la première décision, avait pu juger que les violences en cause, psychologiques ou verbales, avaient bien atteint chacun des enfants choqués par tant de crispation, n'eussent-ils pas été confrontés à des actions les visant personnellement. Le droit n'est pas négligé pour autant : il est indirectement engagé par l'absence de censure sur le fait que les témoins de violences subies par d'autres puissent personnellement en ressentir les ondes de choc. Il n'est aucun artifice dans cette situation, qui reviendrait à dénaturer la réponse pénale.
31 2. Sortant de la généralité, la cour d'appel a ensuite passé en revue les différentes violences personnalisées dont certains enfants avaient été les victimes directes, là encore sans que la Chambre criminelle en contrarie la qualification, au nom de l'appréciation souveraine des magistrats. L'inventaire est des plus intéressants, qui illustre opportunément ce qui s'inscrit dans une violence incontestée, se voudrait-elle éducative. Sont en cause : le fait de mettre à la porte de sa classe un élève, de placer un scotch sur sa bouche, et de le punir dans le noir, ce qui, pour le jeune enfant concerné, s'est soldé par une hospitalisation et une mise en observation pour des spasmes de sanglot ; le fait d'être enfermé dans un placard dit « placard aux sorcières », appréhendé comme tel par tous les élèves, pour ce que ce lieu insolite - en fait un placard où étaient entreposés des jouets - développait de cauchemars terrifiants dans leur esprit ; le fait de s'adresser à un enfant d'une voix remplie de rage et d'agressivité. Tous ces débordements ont été retenus comme autant de violences, et on devine que, conjugués entre eux, ils ne pouvaient que contribuer à rendre plus émotive la réception que les jeunes victimes en avaient. Cette donnée fut cependant contestée par le pourvoi, qui reprochait à la cour d'appel de ne pas avoir démontré, au cas par cas, que l'action de la prévenue avait bien été à l'origine causale d'un choc et d'une émotion pour chacun des enfants visés. Mais la Cour de cassation ne répond pas à la critique : la considération que les juges étaient souverains pour apprécier les violences reprochées englobait nécessairement cette dimension causale de l'infraction.
32C'est donc sur des données marquées par l'excès que les violences ont été sanctionnées, aussi bien dans leur dimension globale, que dans ce qu'elles illustraient d'actes plus personnalisés. Un excès dont nous allons voir qu'il était incompatible avec la moindre justification.
II - La justification rejetée
33La défense de la prévenue ne s'est pas arrêtée à contester la matérialité constitutive de chacun des actes violents qui lui étaient reprochés. Elle a essayé de tirer de l'article 122-4 du code pénal, relatif à l'ordre de la loi et au commandement de l'autorité légitime, de quoi justifier les débordements en question. Le texte a systématiquement été invoqué, en faisant valoir que, à l'ordre de la loi, est assimilée en jurisprudence la permission de la coutume ou d'un usage, et que le droit de correction exercé par les parents et les enseignants auprès de jeunes enfants participait d'une telle source. C'était là rebondir sur un débat classique, souvent restitué dans ces colonnes, et nous savons combien la question est délicate, pour être tributaire de ce qui s'inscrit dans une mesure relative, la proportionnalité requise étant affaire d'espèce, et donc de juste évaluation par les magistrats du fond. On se souvient notamment de la décision qui a consenti à la légitimité d'une gifle en lien avec l'insulte inadmissible qu'un adolescent avait adressée à un maire [5].
34Nous sommes loin de cette hypothèse. Tout d'abord, les jeunes enfants d'une maternelle ne sont pas assimilables à un adolescent, et, à supposer qu'ils soient quelque peu agités, voire indisciplinés, leur comportement ne relève pas de l'insolence, mais de leur âge. D'emblée, la justification perd de son assise, parce que la mission d'une éducatrice n'est pas, à ce niveau d'intervention, de blâmer ou de punir, mais d'accompagner et de comprendre. L'ordre de la loi est à l'opposé de ce que les faits ont cristallisé en l'espèce de démesure : est en cause l'épanouissement de la personnalité de l'enfant, non son asservissement... Ensuite, si la correction reste un droit dont le principe est toujours acquis, les juridictions veillent à ce qu'il soit exercé de façon inoffensive [6]. C'était tout le contraire en l'espèce, et ses manifestations, tant par la dureté des actes de la prévenue, que par les angoisses qu'ils généraient, ne pouvaient qu'échapper à la légitimité prétendue. La Chambre criminelle en convient, qui approuve la cour d'appel de s'être prononcée comme elle l'a fait, « dès lors que les violences physiques, psychologiques ou verbales, dont elle a déclaré la prévenue coupable, excédaient le pouvoir disciplinaire dont disposent les enseignants ». C'est dire deux choses : d'abord, que les éducateurs ont bien autorité pour exercer sur leurs élèves un pouvoir de discipline ; ensuite, que ce pouvoir ne reste légitime que jusqu'à concurrence de limites à respecter, limites qui, en l'espèce, avaient été franchies.
III - La réparation censurée
35La cour d'appel de Limoges a prolongé sa décision par l'octroi d'indemnités destinées à couvrir les préjudices moraux subis par les enfants et par leurs parents, qui, pour ces derniers, ne découlaient pas de l'infraction stricto sensu mais s'y rattachaient directement. Le pourvoi a contesté le principe de cette réparation, non pour ce qu'il représente de juste compensation de dommages réels, mais pour avoir pesé sur une enseignante du secteur public.
36 Il est de règle, posée à l'article L. 911-4 du code de l'éducation, que : « Dans tous les cas où la responsabilité des membres de l'enseignement public se trouve engagée à la suite ou à l'occasion d'un fait dommageable commis, soit par les élèves ou les étudiants qui leur sont confiés à raison de leurs fonctions, soit au détriment de ces élèves ou de ces étudiants dans les mêmes conditions, la responsabilité de l'État est substituée à celle desdits membres de l'enseignement qui ne peuvent jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants ». C'est dire que, si la réparation était due, fondée sur une action dommageable de la prévenue au préjudice de ses élèves, elle pesait, non pas sur elle, mais sur l'État, qui se trouve légalement substituée dans cette charge. La cassation s'imposait, et la Chambre criminelle l'a effectivement prononcée.
37 Ce n'est pas dire que l'enseignante soit pour autant exclue de toute obligation, l'article L. 911-4 précité prévoyant la possibilité d'une action récursoire exercée par l'État, dont l'intervention s'analyse davantage comme une protection des membres de l'éducation nationale que comme une immunité définitivement acquise.
4. Quelle qualification pour des propositions sexuelles par SMS à une mineure de quinze ans ? (Crim. 8 février 2017, n° 16-80.102, publié au Bulletin)
38 Les progrès technologiques servent autant de supports pour la criminalité et la délinquance que pour de bons usages. On sait ce qu'Internet représente de danger pour les mineurs, par la diffusion de messages à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographiques ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, voire à les inciter à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, autant d'hypothèses que l'article 227-24 du code pénal érige en délit spécifique. La téléphonie mobile a pareillement sa place, qui peut servir d'instrument à des actions illégales et pénalement sanctionnées. La présente espèce en est une illustration, qui, au-delà de faits peu glorieux, soulève un problème de qualification, et donc engage directement le droit dans sa dimension appliquée.
39 Une jeune adolescente, qui n'avait pas encore quinze ans au moment des faits, avait reçu, entre novembre 2010 et juin 2011, une cinquantaine de messages SMS contenant des propositions sexuelles explicites. Le téléphone de l'expéditeur a naturellement permis d'identifier l'auteur présumé de ces messages, à savoir le moniteur d'équitation de la jeune fille, bien qu'il se défendît de les avoir lui-même envoyés. En fait, dans ce type d'affaires, la défense est toujours la même. Elle consiste à jeter le discrédit sur la victime, en la faisant passer pour une affabulatrice ou une mythomane, ou encore à plaider le complot, de manière à imputer à des tiers une action destinée à nuire à la personne suspectée, ou enfin à faire état d'une erreur de destination. Tous ces moyens ont été exploités, mais les juges du fond les ont rejetés. Ils ont considéré que les faits avaient été dénoncés de manière précise et constante par l'adolescente, dont l'expertise psychologique n'avait pas mis en évidence de troubles de la personnalité, outre que ce n'était pas de sa propre initiative qu'elles les avaient révélés, mais sur l'insistance de deux amis, qui avaient découvert incidemment les SMS, ce qui neutralisait tout soupçon de mensonge. À cela s'ajoutaient de spectaculaires revirements dans les déclarations du suspect, tout comme ne pouvait tenir la thèse d'une erreur de destinataire, voire d'une action fomentée par son ex-compagne. L'auteur des messages eut donc à en répondre sur le fondement de l'article 227-22 du code pénal, relatif à la corruption de mineur. Il fut reconnu coupable, tant en première instance qu'en appel, et condamné à un an d'emprisonnement avec sursis, et à cinq ans d'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs, outre la prise en compte des intérêts civils.
40 Le prévenu se pourvut en cassation, usant d'un moyen très simple pour faire tomber la condamnation. Il rappela, s'appuyant sur une jurisprudence bien établie, que le délit de corruption de mineur suppose, pour être constitué, que l'auteur des faits ait eu en vue la perversion de la jeunesse, et non pas seulement la satisfaction de ses propres passions [7]. Or, bien que constituant des propositions sexuelles, les messages litigieux n'impliquaient pas en eux-mêmes que le moniteur eût cherché la satisfaction d'autres passions que les siennes, et qu'il fût ainsi devenu un « agent intermédiaire de débauche et de corruption ». L'arrêt de la cour d'appel méritait la censure, faute d'avoir mis l'accent sur la finalité du délit, et donc d'en avoir respecté la raison d'être.
41 La Chambre criminelle ne pouvait mieux faire que de la prononcer. Elle casse et annule l'arrêt de la cour d'appel, jugeant que « le juge répressif ne peut déclarer un prévenu coupable d'une infraction sans en avoir caractérisé tous les éléments constitutifs ». Parce que l'arrêt sur le fond n'établissait pas que le prévenu avait eu pour but de pervertir la sexualité de la mineure, il fut considéré comme non justifié. Mais la haute juridiction ne s'arrête pas là. Elle s'engage dans une proposition de requalification, estimant « qu'il appartenait aux juges de rechercher si les agissements en cause ne relevaient pas plutôt de la qualification de propositions sexuelles d'un majeur à une mineure de quinze ans par un moyen de communication électronique, prévue et réprimée par l'article 227-22-1 du code pénal ». Par cette invitation à dire le droit autrement, la formation criminelle reste dans sa mission : elle ne fait que rappeler que le juge doit examiner les faits qui lui sont soumis sous l'incrimination qui leur est spécialement applicable [8], et qu'il est de son devoir de restituer à la poursuite sa qualification véritable dès lors qu'il puise les éléments de sa décision dans les faits visés par la prévention [9]. Cet appel à la juste qualification trouve ici une résonance d'autant plus forte, que l'article 227-22-1 du code pénal, né de la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, semble bien être, par une spécialité prononcée, une dérogation à la qualification plus générale de l'article 227-22. Mais c'est à la cour de renvoi d'en décider...
Notes
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[1]
Crim. 27 sept. 2016, n° 15-85.248, Bull. crim. n° 251 ; RSC 2016. 757, obs. Mayaud. Rappr. : Crim. 22 mars 2016, n° 15-81.484, Bull. crim. n° 100 ; Dalloz actualité, 8 avr. 2016, obs. Goetz ; AJ pénal 2016. 381, obs. Lasserre Capdeville.
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[2]
RSC 2016, préc.
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[3]
Crim. 30 déc. 1892, S. 1894. 1. 201, note Villey ; Crim. 28 févr. 1956, Bull. crim. n° 205 ; D. 1956. 391 ; JCP 1956. II. 9304, note de Lestang. ; Crim. 14 févr. 1967, n° 66-91.558, Bull. crim. n° 65 ; Crim. 17 oct. 1967, n° 66-93.462, ibid. n° 250 ; Gaz. Pal. 1967. 2. 290 ; Crim. 25 avr. 1968, JCP 1969. II. 16100, note Puech ; Crim. 27 juill. 1970, n° 69-93.107, Bull. crim. n° 250.
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[4]
Le délit de violences peut être constitué, en dehors de tout contact matériel avec le corps de la victime, par tout acte ou comportement de nature à causer sur la personne de celle-ci une atteinte à son intégrité physique ou psychique caractérisée par un choc émotif ou une perturbation psychologique. ; Crim. 2 sept. 2005, n° 04-87.046, Bull. crim. n° 212 ; D. 2005. Pan. 2989, obs. Garé ; RSC 2006. 69, obs. Mayaud. Le délit de violences est constitué, même sans atteinte physique de la victime, par tout acte de nature à impressionner vivement celle-ci et à lui causer un choc émotif. Crim. 18 mars 2008, n° 07-86.075, Bull. crim. n° 65 ; D. 2009. Pan. 127, obs. Mirabail ; AJ pénal 2008. 283, obs. Roussel ; Dr. pénal 2008. 84, obs. Véron ; Gaz. Pal. 2008. 2. 3313, note F. Desprez ; RSC 2008. 587, obs. Mayaud.
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[5]
Douai 10 oct. 2012, n° 12/01253, Gaz. Pal. 2012. 2. 3321, note Pautrel et Partouche ; RLCT 2013/91, n° 2485, p. 22, note Mayaud ; RSC 2013. 343, obs. Mayaud. En première instance : T. corr. Avesne-sur-Helpe, 17 févr. 2012, n° 199/2012, Gaz. Pal. 2012. 1. 1421, note Paulin ; RLCT 2013/91, n° 2485, p. 22, note préc. Mayaud ; RSC 2013. 343, obs. préc. Mayaud.
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[6]
Crim. 31 janv. 1995, n° 93-85.711, Bull. crim. n° 38 ; RSC 1995. 814, obs. Mayaud ; Douai, 10 oct. 2012, préc. ; T. pol. Bordeaux, 18 mars 1981, D. 1982. 182, note Mayer ; RSC 1982. 347, obs. Levasseur.
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[7]
Crim. 14 nov. 1990, n° 90-80.152, Dr. pénal 1991. 105 ; Crim. 20 févr. 2013, n° 12-90.074, QPC, Dr. pénal 2013, comm. 86, obs. Véron.
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[8]
Crim. 30 janv. 1989, n° 86-96.060, Bull. crim. n° 33 ; Crim. 1er juill. 1997, n° 96-83.433, Bull. crim. n° 261 ; Dr. pénal 1998. 9.
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[9]
Crim. 29 oct. 1996, n° 96-80.701, Bull. crim. n° 378 ; Dr. pénal 1997. 18, obs. Véron ; Crim. 19 mai 1999, n° 98-85.360, Gaz. Pal. 1999. 2, chr. crim. 134.