Notes
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[1]
SHAM, Panorama du risque médical des établissements de santé en 2015, éd. 2016, p. 69.
-
[2]
C. pén., art. 121-1.
- [3]
-
[4]
Not. P. Conte, Complicité par abstention, Dr. pénal n° 11, nov. 2016, comm. 153 ; J.Y. Marechal, Réflexions sur la complicité des délits non intentionnels, Dr. pénal n° 12, déc. 2016. Étude 27 ; Y. Mayaud, RSC 2016. 760 ; F. Rousseau, Lumières sur la complicité des délits d'imprudence, JCP 2016. 1861.
-
[5]
Par ex. Crim., 30 juin 1999, n° 97-85.764, Bull. crim. n° 175 ; Rev. sociétés 2000. 553, note B. Bouloc ; RSC 1999. 830, obs. J.-F. Renucci ; RTD com. 2000. 201, obs. B. Bouloc.
-
[6]
Arrêtés du 6 janv. 1962 et du 30 janv. 1974. Sur ces exigences légales au regard du délit d'exercice illégal de la médecine et la pratique du laser, v. P. Mistretta, Droit pénal médical, Cujas, 2013, n° 600 et Crim. 7 sept. 2010, RPDP 2011. 225, note P. Mistretta.
-
[7]
Crim. 13 mai 2003, n° 02-84.037 ; Crim. 16 déc. 2008, n° 08-80.453, AJ pénal 2009. 78 .
-
[8]
P. Conte, préc.
-
[9]
Crim. 24 oct. 1956, Bull. crim. n° 675 ; RSC 1957. 370, obs. Légal.
-
[10]
En ce sens Y. Mayaud, préc., la jurisprudence ayant déjà accepté le principe de cette solution en dehors de la matière pénale médicale, Crim. 6 juin 2000, n° 99-85.937, Bull. crim. n° 213 ; D. 2000. 222 ; RSC 2000. 827, obs. Y. Mayaud ; ibid. 2001. 152, obs. B. Bouloc.
-
[11]
P. Conte, préc.
-
[12]
Selon le Conseil national de l'ordre des médecins, plus de 20 % des plaintes enregistrées auprès des chambres disciplinaires de première instance mettent en cause des certificats médicaux, https://www.conseil-national.medecin.fr/rediger-un-certificat-1236.
-
[13]
Crim. 15 janv. 1990, n° 89-82.385, Bull. crim. n° 23 ; RSC 1991. 88, obs. P. Bouzat ; RTD com. 1990. 652, obs. P. Bouzat.
-
[14]
Crim. 1er avr. 2003, n° 02-81.872, Dr. pénal 2003, comm. n° 110, obs. M. Véron.
-
[15]
Crim., 18 mai 2005, n° 04-83.347.
-
[16]
Crim. 23 oct. 2012, n° 11-86.457, RPDP 2013. 196, note P. Mistretta.
-
[17]
P. Mistretta, Droit pénal médical, Cujas, 2013, n° 293 s.
-
[18]
Crim. 11 juin 2014, n° 13-84.763, RSC 2015. 419, obs. P. Mistretta.
-
[19]
P. Mistretta, De l'art de légiférer avec tact et mesure. À propos de la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie, JCP 2016. Doctr. 240.
-
[20]
CSP, art. L. 1110-5.
-
[21]
CSP, art. L. 1110-5-3.
1. Faute caractérisée : mais où est donc passé l'anesthésiste ? (Crim. 12 juillet 2016, n° 15-84.035)
1On fait régulièrement état dans ces colonnes d'affaires dans lesquelles des médecins sont poursuivis pour homicide ou coups et blessures involontaires, et il ne saurait en être autrement dès lors que les statistiques montrent qu'il s'agit des principales qualifications pénales imputées en pratique au corps médical. Les derniers chiffrent fournis par exemple par la Société Hospitalière d'Assurances Mutuelles (SHAM) montrent qu'en 2015, sur les 73 dossiers traités en matière pénale par cet assureur, 47 concernaient ces qualifications, soit plus de 64 %. [1] Nombreuses sont donc les décisions de jurisprudence ayant déjà statué sur la causalité indirecte et la notion de faute caractérisée, et pourtant l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 juillet 2016 détonne tant sa portée est immense au regard de la pratique quotidienne chirurgicale. Une patiente subit un mini lifting sous anesthésie générale dans un hôpital privé. Au cours de l'intervention, l'anesthésiste s'absente à plusieurs reprises sans doute pour procéder à la surveillance d'autres opérations se déroulant concomitamment dans des blocs opératoires voisins. Il repasse à intervalles réguliers et en moyenne tous les quarts d'heure pour surveiller la patiente. Après l'un de ces passages, intervient une alerte cardiaque, qui va être prise en charge d'abord par les infirmiers du bloc qui participent aux manœuvres de réanimation, puis par l'anesthésiste rappelé en urgence et qui intervient très rapidement. Malgré les manœuvres entreprises, la patiente décède. L'affaire rapportée est très intéressante, car en l'espèce le chirurgien a été poursuivi pour atteinte non intentionnelle à la vie du malade sur le fondement de l'article 221-6 du code pénal. Si la question de la responsabilité pénale de l'anesthésiste ne se discute pas, celle du chirurgien est bien plus problématique dès lors qu'elle oblige à considérer des manquements relatifs à la pratique anesthésique litigieuse et à vouloir les imputer... au chirurgien. En d'autres termes, il s'agit d'apprécier la responsabilité pénale du chirurgien au regard du comportement de l'anesthésiste dans un domaine qui est gouverné par un principe cardinal du droit pénal selon lequel la responsabilité pénale demeure d'ordre personnel. [2] C'est donc poser la question de savoir si la faute caractérisée en cas de causalité indirecte peut se nourrir du fait d'autrui et non du propre fait du médecin concerné. La problématique peut sembler surréaliste, mais elle a été posée en ces termes d'abord à la cour d'appel qui a débouté les ayants droit et relaxé le chirurgien, notamment en considérant que ce dernier ne disposait d'aucun pouvoir de direction sur l'anesthésiste et qu'il ne pouvait l'obliger à être présent en continu dans la salle d'opération. Sur pourvoi des ayants droit, la chambre criminelle de la Cour de cassation casse pourtant l'arrêt d'appel au motif que « l'opération ne pouvait être engagée ni poursuivie sans la présence constante d'un médecin anesthésiste ». Certes, la cassation intervient sur les seules dispositions civiles, toutes autres dispositions étant expressément maintenues. Mais il n'en demeure pas moins que la haute juridiction a saisi l'occasion qui lui était donnée pour étendre implicitement encore davantage sa conception de la faute caractérisée en matière médicale, obligeant par là même les chirurgiens à s'interroger intensément sur la légalité de pratiques quotidiennes et la nécessité de les modifier à court terme. Un premier point de discussion a concerné l'hypothèse d'un déplacement de la sonde au cours de l'acte chirurgical, en lien indirect avec le décès, en raison de la non-fixation de la sonde et du changement de position de la tête qui avait été effectué en l'absence permanente d'anesthésiste. Mais à partir du moment où l'expertise avait établi que ni la non-fixation de la sonde, ni la rotation de la tête n'ont induit un déplacement de la sonde et un défaut de ventilation, on ne pouvait remplir l'exigence de causalité et il convenait alors de considérer que ces défaillances, pour fautives qu'elles soient y compris sur le terrain de la faute caractérisée, n'ont ni causé directement le décès, ni, indirectement créé ou contribué à créer la situation qui a permis la survenue de la mort. Restait à statuer sur la culpabilité des autres dysfonctionnements relevés par l'expertise qui avait également mis en évidence une mauvaise tolérance hémodynamique de l'anesthésie ainsi que de possibles troubles du rythme cardiaque déclenchés par le Sevoflurane, produit d'entretien de l'anesthésie, qui aurait exigé une surveillance vigilante du scope. Deux questions apparaissent sous-jacentes aux observations expertales ; l'une relative au choix du protocole anesthésique et à sa mise en œuvre, l'autre relative aux modalités de surveillance de l'acte anesthésique. S'agissant de la première, des indications très précises sont fournies par l'article D. 6124-94 du code de la santé publique qui indique que l'anesthésie est réalisée sur la base de la stratégie anesthésique (à l'époque des faits « le protocole ») établie par écrit et mise en œuvre sous la responsabilité d'un médecin anesthésiste-réanimateur. Ce texte est une application spéciale d'un principe général de la pratique médicale qui veut que l'exercice de la médecine soit personnel, chaque médecin étant responsable de ses décisions et de ses actes au regard des compétences qui lui incombent de par les textes. Il ne pouvait donc être reproché au chirurgien de n'avoir pas interféré sur le choix du protocole anesthésique et son déroulement qui sont de la compétence propre de l'anesthésiste. La réponse à la seconde question est plus délicate, car elle n'apparaît pas clairement à la lecture des dispositions réglementaires. L'article D. 6124-94 précité indique en effet simplement que les moyens nécessaires à la réalisation de l'anesthésie doivent permettre de faire bénéficier le patient « d'une surveillance clinique continue ». Le texte précise donc bien une obligation et sa finalité, mais en aucun cas les débiteurs de la dette. Si l'obligation pèse sur l'anesthésiste, lui seul peut en assumer la responsabilité pénale en cas de non-respect. En revanche, si la surveillance continue incombe à tous les professionnels de santé associés à l'acte médical concerné, et notamment au chirurgien, alors les responsabilités peuvent se multiplier, voire se cumuler. En l'espèce, la cour d'appel avait considéré que le chirurgien ne disposait d'aucun pouvoir de direction sur l'anesthésiste, de sorte qu'il ne pouvait lui imposer une présence continue en salle de bloc. L'argument est pertinent tant il est vrai que le plus souvent en établissement de santé, le chirurgien n'a aucune prise quant à l'équipe médicale qui intervient à ses côtés, sa seule liberté se limitant éventuellement au choix des jours et des créneaux opératoires en fonction de son activité. Les juges du fond en avait déduit que la patiente étant placée sous anesthésie générale, il ne pouvait être fait grief au chirurgien de ne pas avoir mis fin à une intervention non urgente au constat de l'impossibilité de s'assurer d'une présence permanente d'un anesthésiste. Ce n'est pas la position de la haute juridiction qui casse l'arrêt d'appel en exigeant au contraire la présence constante d'un médecin anesthésiste. Ce faisant, la Cour de cassation enjoint indirectement, mais très clairement, à tous les chirurgiens qui opèrent au quotidien en l'absence de surveillance clinique continue de la part de l'anesthésiste de cesser immédiatement, voire de ne pas entreprendre, toute intervention sous anesthésie générale. À défaut, l'acte opératoire ne présente pas aux yeux de la cour les garanties suffisantes de sécurité, et les portes de la faute caractérisée s'entrouvrent dès lors que le médecin expose nécessairement le malade à un risque d'une particulière gravité qu'il ne peut ignorer. La solution a du sens sur le plan de la quête de la sécurité sanitaire à laquelle tend inexorablement le droit médical, fut-il pénal, mais elle peut aussi paraître déconnectée de la réalité économique hospitalière et des contraintes auxquelles ont à faire face les programmations opératoires. Elle reste surtout problématique au regard des recommandations de la Société Française d'Anesthésie et de Réanimation qui prévoit que la surveillance peut être exercée par un infirmier anesthésiste diplômé d'État (IADE), dès lors que l'anesthésiste reste disponible rapidement, [3] sauf à voir dans ces recommandations, qui datent de 1995, des règles d'un autre temps... un temps où la Cour de cassation ne maîtrisait pas à sa guise les contours de la faute pénale médicale caractérisée sous couvert d'une obligation générale de prudence et de diligence qu'elle semble visiblement toujours vouloir faire peser quoi qu'il advienne sur la tête du chirurgien en cas d'acte opératoire.
2. De la complicité en droit pénal médical : gare au médecin omettant ou imprudent ! (Crim. 13 sept. 2016, n° 15-85.046, RSC 2016. 760, obs. Y. Mayaud)
2La complicité en matière médicale s'est retrouvée au cour d'un arrêt de la Cour de cassation rendu le 13 septembre 2016 qui a eu les honneurs d'une publication au bulletin criminel tout en étant largement commenté dans toutes les revues [4]. Un centre d'épilation par laser était au cour de cette affaire dans laquelle une cliente fut brûlée à la suite de plusieurs séances d'épilation en raison d'une mauvaise utilisation de l'appareil par une employée non médecin du centre. Le gérant, la société prise en tant que personne morale, et le médecin responsable du centre furent poursuivis pénalement, mais seule la responsabilité de ce dernier retiendra notre attention. Le praticien fut en effet poursuivi pour complicité d'exercice illégal de la médecine et complicité de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure à trois mois par manquement délibéré à une obligation particulière de prudence ou de sécurité. Condamné par les juges du fond, le médecin forma un pourvoi qui fut rejeté dans l'arrêt rapporté. La Cour de cassation saisit l'occasion qui lui était donnée en matière médicale pour se prononcer sur deux données sensibles de la théorie générale de la complicité. La première intéresse la question des formes de la complicité et notamment la sanction de la complicité par omission. En visant la complicité par aide ou assistance et par instigation, l'article 121-7 du code pénal ne fait aucune mention de l'omission et évoque davantage des actions positives que des comportements négatifs. On sait cependant que des arrêts, souvent anciens et peu nombreux, ont admis la complicité par omission [5]. Mais la jurisprudence ne s'était jamais à notre connaissance prononcée sur la question en matière médicale alors même qu'il n'est pas rare que des praticiens laissent faire par autrui des actes qui relèvent en théorie de leur seule compétence. Tel était le cas en l'espèce puisque les actes d'épilation au laser étaient réalisés par des esthéticiennes ou secrétaires médicales contrairement aux exigences légales [6]. Le médecin se contentait uniquement de superviser l'ensemble de ces actes sans être forcément présent lorsqu'ils étaient pratiqués, de sorte qu'aucune surveillance médicale sérieuse n'était assurée et qu'il ne pouvait exercer un contrôle effectif des soins. Sa culpabilité pour complicité d'exercice illégal de la médecine fut retenue en appel, mais sans que les juges aient indiqué quelle forme de complicité du délit d'exercice illégal le médecin s'était rendu coupable, ce que contestait le pourvoi. L'argument est balayé par la haute juridiction qui se contente d'indiquer que se rend complice d'exercice illégal de la médecine « le médecin qui, sans encadrement ni formation, fait pratiquer à des esthéticiennes ou secrétaires médicales de l'épilation laser ». Par ce motif laconique, la Cour de cassation n'a sans doute pas entendu assumer pleinement sa reconnaissance de la complicité par abstention en la rattachant directement à l'une ou l'autre des formes de complicité visées par le code pénal, ce que l'on peut regretter. Dès lors on voit mal en quoi les abstentions du médecin ont permis de « faire pratiquer » au sens visé par l'arrêt les épilations, et surtout en quoi elles constituent une aide ou une instigation source de complicité punissable. Car ce qui était principalement reproché au médecin responsable du centre était de ne pas avoir exercé un contrôle effectif des soins. Difficile de rattacher cette omission au concept d'aide ou d'instigation sauf à considérer qu'en ne surveillant pas, le praticien fournissait les moyens aux esthéticiennes ou secrétaires médicales d'accomplir le délit. Si la fourniture de moyens a déjà pu fonder par le passé la condamnation pénale pour complicité d'exercice illégal de médecins ayant fourni du matériel ou un cabinet médical à des non-médecins [7], à l'évidence les faits de l'espèce ne sont pas de cette veine. Ce manque de clarté au regard du rattachement de l'omission aux deux formes de complicité traduit peut-être, ainsi que le suggère la doctrine, [8] une volonté de la Cour de cassation de consacrer l'omission comme donnée autonome de la complicité. Et il faut convenir que, s'agissant de la condamnation du médecin pour complicité de blessures involontaires également présente dans l'arrêt rapporté, la cour le fait clairement penser dès lors qu'il est fait grief au praticien de n'être intervenu à aucun moment pendant les séances d'épilation, et d'avoir laissé une personne non médecin accomplir les différentes séances ayant abouti au dommage constaté sur la partie civile. La cour approuve en effet la condamnation au titre de la complicité en la fondant sur le fait que le médecin « avait l'obligation » de respecter les exigences légales en matière d'épilation au laser. Loin de toute idée d'aide ou d'instigation, elle reconnaît donc en matière médicale comme ailleurs un concept intrinsèque et autonome de complicité par abstention lui permettant en l'espèce de condamner un médecin ayant manqué à une obligation imposée à titre préalable par le code de la santé publique en matière d'épilation au laser.
3Central à l'égard de la complicité par omission, l'arrêt commenté l'est tout autant s'agissant de la question de la complicité par imprudence qui est débattue en doctrine. Par principe, le complice n'est punissable que s'il a agi en connaissance de cause au regard du fait principal, c'est-à-dire en sachant que ses gestes ou ses paroles serviront à commettre l'infraction. Autrement dit, l'élément moral de la complicité est double pour renvoyer au caractère volontaire de l'acte de participation, mais aussi à la conscience et au désir de concourir ainsi à l'infraction principale. Dès lors, vouloir assimiler une faute d'imprudence à une participation intentionnelle et en connaissance de cause à un fait principal semble inconcevable sur le plan théorique et logique. Sur une telle question importante et peu évoquée en jurisprudence [9], l'arrêt rapporté pouvait s'avérer décisif, mais le débat ne fut pas en réalité explicitement ouvert devant la cour. On retiendra donc de cette décision moins son fondement que sa portée qui est d'admettre la condamnation d'un médecin pour complicité de blessures involontaires. Alors même que l'on pouvait tout au plus reprocher au médecin d'avoir pris le risque de se laisser dérouler des épilations au laser sans véritable contrôle personnel, la Cour de cassation accepte de retenir la culpabilité au titre de la complicité sans s'expliquer davantage. Il convient de relever cependant dans ce débat quant à la possibilité et l'opportunité de retenir la complicité d'infractions non intentionnelles qu'en l'espèce le médecin fut condamné pour violences involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail inférieure à trois mois par manquement délibéré à une obligation particulière de sécurité ou de prudence. On pourrait en déduire que c'est la logique de la faute délibérée et non celle de la faute simple non intentionnelle qui permet la répression de la complicité en raison de ses liens de parenté avec l'intention [10]. Reste que cette solution aboutit à étirer le concept de complicité dans une matière guidée par le principe d'interprétation stricte et alors que la lettre du code pénal ne commande pas une telle solution. En outre, si la faute délibérée se rapproche de l'intention, elle ne saurait se confondre à elle ; la promiscuité de deux fautes n'en faisant assurément pas l'identité. Enfin et surtout, la solution retenue en l'espèce n'est guère utile et pragmatique dans la mesure où il aurait été tout aussi possible et même plus rationnel de poursuivre le médecin en qualité de coauteur du délit de blessures involontaires [11]. En sa qualité d'auteur indirect, sa condamnation sur le fondement de la faute délibérée se serait alors facilement et logiquement combinée à celle de l'auteur direct des blessures involontaires. De là à faire simple lorsqu'on peut faire compliqué...
3. Certificat médical mal acquis ne profite jamais... (Crim. 5 janv. 2017, n° 15-84.909)
4Le faux est une qualification de droit pénal commun assez familière au médecin qui a vocation à protéger la foi publique. Or, le médecin exerçant une profession qui en soi inspire la confiance, il n'est guère surprenant de constater en jurisprudence que de nombreuses condamnations interviennent pour frapper ceux qui utilisent ce crédit de confiance qui découle de l'exercice de la profession médicale à des fins illicites [12]. Tel était le cas dans l'affaire jugée par la Cour de cassation le 5 janvier 2017. En l'espèce, dans le cadre d'une procédure de divorce, une mère produit un certificat médical aux termes duquel un médecin attestait, après entretiens individuels, que les enfants du couple avaient subi une pression psychologique de la part du père, entraînant une anxiété et des troubles du sommeil. La réalité des faits attestés par le médecin s'étant avérée inexacte, le praticien fut condamné pour faux certificat et la mère pour usage de faux sur le fondement de l'article 441-1 du code pénal. Cette dernière ayant bénéficié d'une relaxe en appel, un pourvoi fut formé qui aboutit à une cassation. L'étude de la décision est intéressante en ce qu'elle traduit parfaitement les enjeux de la répression et de l'utilisation du certificat médical en justice. Sur le plan tout d'abord de la qualification pénale, il est à observer que le choix de la poursuite du médecin auteur du certificat et de son utilisatrice s'est porté sur le délit général de l'article 441-1 du code pénal. On sait pourtant que ce même code contient justement une disposition particulière qui entend davantage se cristalliser sur les faux certificats médicaux et leur utilisation. À la vérité, ce dernier texte se veut complémentaire au regard de l'incrimination générale du faux. En effet, le faux spécial de l'article 441-7 permet de sanctionner des médecins faussaires dans des cas où l'écrit falsifié ne présente pas de caractère probatoire, voire même, n'est pas susceptible de causer un préjudice [13]. Or, en l'espèce il était incontestable que le certificat litigieux avait vocation à être utilisé dans le cadre d'une procédure de divorce dans le but d'obtenir la garde des enfants communs. On doit donc déduire de l'arrêt rapporté que sur le plan du choix de la juste qualification pénale, si l'écrit a valeur de preuve ou s'il cause un préjudice, c'est l'incrimination mère de l'article 441-1 du code pénal qui doit être préférée. Et c'est du reste ce qu'indique le code pénal dès lors que l'article 441-7 incrimine le faux certificat « indépendamment des cas prévus au présent chapitre ». Ainsi articulée, l'infraction permet en matière médicale d'atteindre et le médecin faussaire, et son utilisateur. À l'égard du premier, l'infraction se consomme le plus souvent par la réalisation d'un faux intellectuel qui vise moins le support en lui-même que son contenu. À l'instar des faits de l'espèce, le médecin commet le faux en énonçant comme vrais des faits qui sont en réalité inexacts. Dans l'affaire ici commentée, le praticien avait sans conteste consommé l'infraction pour avoir, sur un papier à en-tête d'un hôpital, ès qualités, certifié, « après entretien individuel » que « les trois enfants [...] avaient subi depuis environ six mois la pression psychologique entretenue par le père [...] une anxiété et des troubles du sommeil », alors qu'il avait été démontré qu'il n'avait jamais reçu les enfants à l'hôpital, ni en entretien individuel, ni en qualité de médecin, ni durant six mois, ni constaté aucun trouble du sommeil. En réalité, il semble que le médecin, qui nouait des liens d'amitié avec l'utilisatrice du certificat, avait simplement croisé les enfants de son amie et mère des enfants au cours de séances de judo. La matérialité et la culpabilité du médecin étaient difficilement contestables, et c'est sans doute la raison pour laquelle le praticien n'interjeta pas appel de sa condamnation en première instance contrairement à l'utilisatrice du certificat. Elle fut sans doute bien inspirée dès lors que de manière assez intrigante la cour d'appel fut sensible à certains arguments factuels assez discutables. Ainsi, elle considéra que l'utilisation d'un papier à en-tête d'un hôpital - en l'occurrence le service de gérontologie - induit que le médecin rédacteur travaille au sein du service en question, mais non que l'examen à l'origine du certificat a été matériellement réalisé dans l'enceinte de ce service ou même dans l'enceinte d'un établissement hospitalier. Plus encore, à propos de la « pression psychologique » subie par les mineurs et attestée par le médecin, si la cour admet qu'il s'agit d'une affirmation péremptoire ou sujette à caution compte tenu particulièrement du fait que le médecin exerçait alors dans un service de gérontologie, elle refuse pour autant de la considérer comme une altération frauduleuse de la vérité ; de sorte que l'usage d'un certificat médical mensonger ne saurait être constitué à ses yeux. La fragilité de telles considérations ne faisait guère de doute, et la cassation était inévitable, la haute juridiction indiquant « qu'en statuant ainsi, sans mieux répondre aux conclusions par lesquelles la partie civile soutenait que le certificat n'avait pas été établi à la suite d'un examen et d'entretiens avec les enfants, mais seulement après des conversations informelles à l'occasion de leur cours de judo, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ». En définitive, l'arrêt rapporté montre une nouvelle fois les dangers sur le plan pénal de la mauvaise rédaction et utilisation des certificats médicaux en matière pénale et l'impérieuse nécessité pour le praticien sollicité de ne certifier que des faits médicaux personnellement constatés à travers un examen clinique minutieux.
4. Homicide et perte de chance de survie en matière médicale : le flou artistique de la Cour de cassation (Crim. 17 janv. 2017, n° 15-85.155)
5Régulièrement, la Cour de cassation est amenée à se prononcer dans le contentieux médical sur le concept de perte de chance chaque fois que le médecin a fait, par son comportement fautif, perdre une chance de survie à son malade, ou à tout le moins une perte de chance de l'amélioration de son état. Si le concept a du sens et un intérêt en matière de responsabilité civile lorsqu'est en jeu l'indemnisation des victimes et des ayants droit confrontés à un médecin nécessairement couvert par une assurance professionnelle, le débat peut sembler surréaliste en matière pénale là où il est question de responsabilité personnelle, de prononcer une sanction pénale susceptible d'attenter aux libertés individuelles. Dans une matière gouvernée par le principe de légalité et d'interprétation stricte, aucune place ne saurait en toute logique être conférée à un concept mou et flou qui n'apparaît du reste jamais dans les termes des incriminations de droit pénal que sont les homicides involontaires ou l'omission de porter secours. Dès lors, si la question rejaillit de manière récurrente dans les pourvois qui lui sont transmis, c'est à l'évidence parce que la haute juridiction entretient depuis des années un certain flou en la matière que l'on a du mal à comprendre tant il nuit à la sécurité juridique à laquelle on peut légitimement s'attendre, et ce alors même qu'il est évident que la perte de chance de survie n'a aucun rôle à jouer en matière pénale. Ces ambiguïtés sont le fruit d'arrêts successifs qui traduisent un manque de cohérence et d'unité dans la jurisprudence de la Cour de cassation. Pour en résumer l'essentiel, on se rappellera que la chambre criminelle a commencé par estimer que le fait pour un interne de garde, confronté à un malade pour lequel les analyses révélaient des taux très élevés de potassium, d'urée et de créatinine permettant de diagnostiquer une hyperkaliémie majeure, de se borner à réduire la perfusion de potassium et à ordonner, tardivement, un nouvel examen biologique, au lieu d'interrompre la perfusion et d'organiser le transfert immédiat du patient dans une unité de soins intensifs, constituait un homicide involontaire. Selon les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, le médecin avait « ainsi commis une faute caractérisée exposant le patient à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer, et privé (le patient) de toute chance de survie ». [14] Mais en d'autres occasions, la juridiction suprême s'est montrée moins exigeante pour approuver une condamnation pour homicide involontaire prononcée par les juges du fond et fondée sur le fait qu'« un traitement adéquat en unité de soins intensifs aurait pu donner quelques chances de survie à l'enfant ». [15] Plus récemment enfin, la Cour de cassation adopta une position intermédiaire pour le moins discutable dans un arrêt en date du 18 octobre 2012. Pour confirmer l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction au bénéfice d'un médecin poursuivi pour homicide involontaire, les juges du fond avaient estimé que dans l'espèce soumise, seules avaient été évoquées et retenues des « chances de survie » et qu'il n'avait pas été relevé de faute en lien certain avec le décès ayant empêché toute chance de survie. Cette interprétation fut cependant censurée, la Cour de cassation reprochant à la chambre de l'instruction de ne pas s'être bien expliquée sur l'absence de lien de causalité entre les fautes relevées et le décès « alors qu'il résultait de ses propres constatations que, au cas où l'hématome aurait été décelé, au besoin à l'issue d'une période d'observation, les chances de survie auraient été de quatre-vingts pour cent » [16]. Ce faisant, la chambre criminelle optait pour un compromis entre les deux solutions extrêmes qui consistent à subordonner la consommation de l'infraction soit à l'existence de quelques chances de survie soit, à l'opposé, à toute chance de survie. Pour autant, ce jugement de Salomon n'emportait pas la conviction, d'abord parce qu'il ne permettait pas de savoir si le seuil de 80 % de chance de survie retenu dans cette affaire devait demeurer une donnée d'espèce ou au contraire un seuil de principe, et ensuite parce qu'en toute hypothèse, ce seuil ou un autre restait problématique pour être trop tributaire de l'expertise et de ses limites. C'est dans ce contexte troublé qu'intervient l'arrêt rapporté qui pouvait permettre à nouveau à la Cour de cassation de clarifier et de fixer définitivement le droit en la matière. En l'espèce, une personne est victime d'un malaise avec perte de connaissance à son domicile et, sur les conseils du médecin régulateur du SAMU, est hospitalisée dans un centre hospitalier. Lors de son passage au service des urgences au cours duquel ont été pratiqués une radiographie du thorax, un bilan biologique et un électrocardiogramme, elle est examinée par un interne, puis orientée par un médecin urgentiste senior vers le service de cardiologie avec l'indication « syndrome coronarien aigu » en raison d'un taux élevé de troponine. Deux jours plus tard, elle présente des céphalées, puis fait l'objet à la demande d'un autre médecin d'un scanner cérébral révélant une hémorragie méningée sur rupture d'anévrisme. Elle est finalement transférée dans le service de neurochirurgie d'un centre hospitalier universitaire où elle décède après une intervention de la dernière chance. À la suite de la plainte avec constitution de partie civile de sa compagne et de ses sours, une information a été ouverte contre personne non dénommée des chefs d'homicide involontaire et non-assistance à personne en péril mettant en cause les trois médecins successivement impliqués dans les soins. Elle aboutit à une ordonnance de non-lieu qui est confirmée par la Cour de cassation dans l'arrêt ici rapporté. La chambre de l'instruction avait pourtant fait état d'une erreur collective de diagnostic relevée par l'expert résultant de dysfonctionnements au service des urgences et de cardiologie où avait successivement séjourné la victime, erreur qui, entre autres, se traduisit par l'absence de tout examen médical en cardiologie pendant plus de trente-six heures alors même que l'état du malade se dégradait.
6En même temps, l'expertise avait également indiqué que l'erreur de diagnostic n'est pas totalement responsable des conséquences du dommage à savoir le décès ; qu'il existait avant tout une rupture d'anévrisme cérébral au pronostic péjoratif d'autant qu'un resaignement a eu lieu dans les quarante-huit heures témoignant de la gravité des lésions. Au final, l'erreur avait retardé la prise en charge neurochirurgicale qui aurait pu être plus précoce chez un malade encore en bon état général et n'aurait pas été une chirurgie de sauvetage telle qu'elle a eu lieu avec peu de chances de réussite. De ces dires d'experts, la chambre de l'instruction en déduit qu'il n'est pas démontré qu'un diagnostic immédiat, une intervention chirurgicale ou des soins adaptés à la pathologie réalisés immédiatement auraient permis avec certitude d'éviter le risque mortel pour la victime, ce qui lui permet d'affirmer sur le plan du raisonnement juridique que « ces fautes et manquements ont conduit à une perte de survie, mais sont sans lien de causalité certain avec le préjudice ». La formule ici visée « perte de survie » est pour le moins intrigante, si ce n'est malheureuse, d'abord pour ne pas rejoindre celle habituellement utilisée par la Cour de cassation, et surtout ensuite pour n'avoir aucun sens ; la faute médicale ayant tout au plus pu priver la victime de toute chance ou de chances de survie. Le pourvoi l'avait bien compris qui entendait dans l'un de ses moyens recentrer le débat sur la perte de chances de survie en faisant implicitement référence à l'argumentation parfois retenue par la haute juridiction. Il était ainsi reproché à la chambre de l'instruction de ne pas avoir répondu aux parties civiles s'appuyant sur les conclusions de l'expert selon lesquelles « plus le diagnostic est réalisé tôt, plus les chances de survie sont élevées ». Autrement dit, la victime avait bel et bien perdu des chances de survie en n'étant pas prise en charge dans les règles de l'art pendant deux jours. La chambre criminelle avait donc à répondre à cet argument étant observé que le pourvoi se gardait bien de faire référence à un pourcentage de chances de survie, mais elle rejette le pourvoi et se contente d'une formule insipide validant la position des juges d'instruction aux termes de laquelle « les juges en déduisent que les fautes et manquements relevés ont conduit à une perte de chance de survie, mais sont sans lien de causalité certain avec le décès ».
7En définitive, le seul intérêt de l'arrêt est d'avoir substitué à l'expression « perte de survie » maladroitement utilisée par la chambre de l'instruction celle de « perte de chance de survie » qui présente au moins l'avantage d'avoir un minimum de sens. Mais l'apport est bien maigre, pour ne pas dire nul, alors que l'on pouvait penser que la Cour de cassation allait enfin affirmer une position censée ou, à tout le moins, affiner sa position. Stricto sensu, de ce dernier arrêt, il ressort que la perte de chance (au singulier tel que visé dans l'arrêt rapporté) ne peut suffire à fonder une condamnation pénale pour homicide involontaire dès lors que la causalité est incertaine. Dont acte. Mais qu'en est-il lorsque la faute a fait perdre toute chance de survie, quelques chances de survie, voire 80 % de chances de survie comme dans l'affaire jugée en 2012 ? Plus encore, une lecture a contrario de la formulation retenue dans l'arrêt rapporté incite fortement à penser qu'en principe la perte d'une chance de survie peut suffire à condamner pénalement dès lors qu'elle est en lien de causalité certain avec le décès. La cour semble en effet admettre le principe de cette solution en utilisant la conjonction « mais » pour marquer une opposition et dire que c'est l'absence de lien de causalité certain, et non la perte de chance en elle-même, qui justifie la décision de non-lieu. Autrement dit, la perte d'une chance de survie pourrait constituer en soi le dommage constitutif d'homicide involontaire, la condamnation pénale dépendant in fine de la causalité. On l'a compris, tout reste possible, confus, voire divinatoire, avec cette dernière décision, faute pour la Cour de cassation de prendre clairement position et de fixer définitivement sa position dans une décision de principe. Il lui faudra pourtant tôt ou tard trancher la question et indiquer explicitement une fois pour toutes en quoi, pourquoi et dans quelle mesure la perte de chance(s) de survie constitue ou pas un dommage au sens de l'article 221-6 du code pénal et/ou en quoi également elle peut nourrir ou pas l'exigence de certitude de causalité exigée par ladite incrimination. À esquisser et esquiver le débat, la Cour de cassation ne fera que continuer à alimenter les pourvois, et par là même notre chronique...
5. Omission de porter secours : le médecin urgentiste, le malade en fin de vie et les querelles de famille (Crim. 7 mars 2017, n° 16-80.754)
8Parmi les infractions réellement susceptibles d'être commises par les médecins, figure le délit d'omission de porter secours dont il est souvent fait état dans ces colonnes. On sait à cet égard à quel point la jurisprudence se montre sévère s'agissant des médecins en raison de leur aptitude naturelle à porter secours, ce qui l'autorise parfois à étirer de manière peu rationnelle les éléments constitutifs de l'infraction prévue à l'article 223-6 alinéa 2 du code pénal notamment sur le plan de l'exigence morale du délit [17]. Cette tendance empreinte de sévérité n'est pas nouvelle, mais elle évolue au fil des avancées du droit médical et des conditions nouvelles d'exercice de la médecine. Plus le malade conquiert en effet des droits nouveaux, plus le médecin voit ses obligations s'accroître et se complexifier, au risque de se voir reprocher certaines nouvelles formes d'omissions susceptibles de nourrir le délit de l'article 223-6 du code pénal. Les droits du malade en fin de vie ayant focalisé l'attention du législateur contemporain, il ne faut pas s'étonner de voir fleurir des arrêts tentant de qualifier pénalement les défaillances du corps médical dans la mise en œuvre des nouveaux protocoles et des nouveaux droits reconnus en la matière. La Cour de cassation a déjà eu à se prononcer sur la problématique de la gestion de la fin de vie au service des urgences pour décider que ne saurait constituer une omission de porter secours à une personne en péril le fait pour un médecin de ne pas proposer à son patient atteint d'une grave maladie un protocole de soins palliatifs qui aurait permis de limiter ses souffrances avant son décès [18]. Si la décision est conforme à la stricte orthodoxie juridique, le code pénal ne sanctionnant que le défaut d'assistance, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, on peut douter de la pérennité de la solution après le vote de la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie [19]. Ce nouveau texte emblématique reconnaît en effet désormais le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins « qui garantissent le meilleur apaisement possible de la souffrance » [20], et plus spécifiquement encore « le droit de recevoir des traitements et des soins visant à soulager sa souffrance. Celle-ci doit être, en toutes circonstances, prévenue, prise en compte, évaluée et traitée » [21]. La question de la portée de ces nouvelles dispositions législatives sur le délit d'omission de porter secours reste donc posée, la Cour de cassation s'étant prononcée avant la loi de 2016, mais des éléments de réponse apparaissent déjà dans l'analyse d'un arrêt rendu le 7 mars 2017 relatif à l'obstination déraisonnable et à la procédure d'arrêt des soins en cas de fin de vie. En l'espèce, une personne âgée de 89 ans, placée sous tutelle confiée à l'union départementale des associations familiales, a été admise à la demande du médecin de la maison de retraite où elle séjournait dans un centre hospitalier universitaire dans un état de détresse respiratoire avec coma. Devant la gravité de la situation, le médecin urgentiste contacta, conformément aux indications figurant sur la fiche d'admission de la patiente, l'un de ses fils qui lui précisa ne pas souhaiter de thérapeutique agressive ou invasive. Peu de temps après, la patiente faisait un arrêt cardiaque et n'était pas réanimée, conformément à ce qui avait été convenu. L'autre fils de la patiente se constituait alors partie civile pour des faits qu'il qualifiait de refus de soins ayant entraîné la mort en mettant en cause la responsabilité de son frère et surtout du médecin qui n'avait pas pris son attache. Saisie à propos de l'ordonnance ayant prononcé un non-lieu général, la chambre criminelle rejeta le pourvoi estimant que le délit d'omission de porter secours n'était pas constitué. L'arrêt est intéressant d'abord en raison du fait qu'il existait un doute sur la portée des soins que le médecin avait été autorisé à prodiguer à la patiente. Le fils contacté par l'hôpital avait en effet indiqué au cours de l'instruction ne pas avoir défini avec les médecins un protocole de réanimation, ni avoir émis un avis sur la nature des soins à prodiguer à sa mère. À l'évidence, le dialogue et l'information médicale fournie avaient été limités. Pour autant, la cour juge que le malade « a bénéficié de soins adaptés à son état, soit d'un traitement antibiotique et de tous les soins qu'elle était en mesure de supporter, décidés, [...] en concertation entre, d'une part, les praticiens, lesquels s'accordaient sur la gravité de son état de santé et sur l'inefficacité de toute technique de réanimation et d'autre part, M. Christian X. ». Au-delà de l'objet de l'information médicale, l'arrêt rapporté posait surtout la question de savoir si la procédure d'arrêt ou de limitation des soins avait été respectée notamment quant à la procédure collégiale que la loi impose au corps médical. La question est centrale, car elle permet de rejoindre les modalités constitutives du délit d'omission de porter secours. L'un des moyens du pourvoi soutenait effectivement que la violation de la procédure collégiale caractérisait le délit de non-assistance en danger. Et il faut convenir qu'en l'espèce, la procédure collégiale visée à l'article L. 1110-5-1 du code de la santé publique, qui indique aujourd'hui que lorsque les traitements et les soins médicaux « apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire », n'avait pas été mise en œuvre d'une manière satisfaisante ainsi que l'avait montré l'instruction. À ce jour, l'article R. 4127-37-2 du code de la santé publique issu du décret n° 2017-499 du 6 avril 2017 prévoit très précisément que lorsque le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté, la décision de limiter ou d'arrêter les traitements dispensés, au titre du refus d'une obstination déraisonnable, ne peut être prise qu'à l'issue de la procédure collégiale prévue à l'article L. 1110-5-1 et dans le respect des directives anticipées et, en leur absence, après qu'a été recueilli auprès de la personne de confiance ou, à défaut, auprès de la famille ou de l'un des proches le témoignage de la volonté exprimée par le patient. En l'espèce, faute de directives anticipées et de personne de confiance désignée, les médecins devaient donc solliciter la famille pour connaître les souhaits de la malade quant à sa fin de vie et aux traitements médicaux réalisables. En n'interrogeant que l'un des fils, s'en vraisemblablement chercher à savoir si d'autres frères et sours constituaient la famille, et donc en sélectionnant au final ce qui compose la famille représentant la volonté du malade, les médecins ne respectaient pas les exigences légales. C'était prendre le risque d'être confronté à une famille divisée, comme dans l'affaire Vincent Lambert, et c'est bien ce qui se produisit dans l'affaire rapportée où un conflit ancien opposait le fils consulté à son frère. Plus encore, le malade étant placé sous tutelle au moment de son hospitalisation, le corps médical, confronté à une personne de 89 ans, aurait dû s'interroger sur l'existence d'une protection juridique dès lors que l'article R. 4127-37-2 du code de la santé publique oblige le médecin à recueillir en outre l'avis du tuteur avant de mettre en œuvre la décision de limitation ou d'arrêt de traitement. Si la procédure n'avait donc pas à l'évidence été respectée à la lettre, restait à savoir si le délit d'omission de porter secours était pour autant constitué. Les juges ne l'ont pas pensé dès lors que la personne malade avait bénéficié de soins adaptés à son état, avec un consensus médical au sein du service et un minimum de concertation avec la famille. Une assistance avait donc été portée, et sans doute le fait que le décès de l'intéressée soit intervenu très peu de temps après son admission à l'hôpital ainsi que l'urgence à agir ont-ils largement pesé dans la décision pénale. Pour autant, on ne saurait trop conseiller aux médecins, notamment urgentistes et réanimateurs, de s'imprégner intensément des nouvelles dispositions législatives et réglementaires qui régissent l'arrêt et la limitation des traitements des malades en fin de vie ou pas, sous peine d'être à nouveau poursuivis sur le fondement de l'article 223-6 du code pénal et de provoquer la Cour de cassation qui, on le répète, est peu clémente en la matière. À moins que le législateur ne s'empare lui-même du sujet pour inciter les médecins à respecter très scrupuleusement la procédure et institue une incrimination autonome sanctionnant pénalement le défaut de respect des règles de limitation et d'arrêt des traitements, incrimination qui à ce jour n'existe pas encore...
Notes
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[1]
SHAM, Panorama du risque médical des établissements de santé en 2015, éd. 2016, p. 69.
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[2]
C. pén., art. 121-1.
- [3]
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[4]
Not. P. Conte, Complicité par abstention, Dr. pénal n° 11, nov. 2016, comm. 153 ; J.Y. Marechal, Réflexions sur la complicité des délits non intentionnels, Dr. pénal n° 12, déc. 2016. Étude 27 ; Y. Mayaud, RSC 2016. 760 ; F. Rousseau, Lumières sur la complicité des délits d'imprudence, JCP 2016. 1861.
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[5]
Par ex. Crim., 30 juin 1999, n° 97-85.764, Bull. crim. n° 175 ; Rev. sociétés 2000. 553, note B. Bouloc ; RSC 1999. 830, obs. J.-F. Renucci ; RTD com. 2000. 201, obs. B. Bouloc.
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[6]
Arrêtés du 6 janv. 1962 et du 30 janv. 1974. Sur ces exigences légales au regard du délit d'exercice illégal de la médecine et la pratique du laser, v. P. Mistretta, Droit pénal médical, Cujas, 2013, n° 600 et Crim. 7 sept. 2010, RPDP 2011. 225, note P. Mistretta.
-
[7]
Crim. 13 mai 2003, n° 02-84.037 ; Crim. 16 déc. 2008, n° 08-80.453, AJ pénal 2009. 78 .
-
[8]
P. Conte, préc.
-
[9]
Crim. 24 oct. 1956, Bull. crim. n° 675 ; RSC 1957. 370, obs. Légal.
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[10]
En ce sens Y. Mayaud, préc., la jurisprudence ayant déjà accepté le principe de cette solution en dehors de la matière pénale médicale, Crim. 6 juin 2000, n° 99-85.937, Bull. crim. n° 213 ; D. 2000. 222 ; RSC 2000. 827, obs. Y. Mayaud ; ibid. 2001. 152, obs. B. Bouloc.
-
[11]
P. Conte, préc.
-
[12]
Selon le Conseil national de l'ordre des médecins, plus de 20 % des plaintes enregistrées auprès des chambres disciplinaires de première instance mettent en cause des certificats médicaux, https://www.conseil-national.medecin.fr/rediger-un-certificat-1236.
-
[13]
Crim. 15 janv. 1990, n° 89-82.385, Bull. crim. n° 23 ; RSC 1991. 88, obs. P. Bouzat ; RTD com. 1990. 652, obs. P. Bouzat.
-
[14]
Crim. 1er avr. 2003, n° 02-81.872, Dr. pénal 2003, comm. n° 110, obs. M. Véron.
-
[15]
Crim., 18 mai 2005, n° 04-83.347.
-
[16]
Crim. 23 oct. 2012, n° 11-86.457, RPDP 2013. 196, note P. Mistretta.
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[17]
P. Mistretta, Droit pénal médical, Cujas, 2013, n° 293 s.
-
[18]
Crim. 11 juin 2014, n° 13-84.763, RSC 2015. 419, obs. P. Mistretta.
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[19]
P. Mistretta, De l'art de légiférer avec tact et mesure. À propos de la loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie, JCP 2016. Doctr. 240.
-
[20]
CSP, art. L. 1110-5.
-
[21]
CSP, art. L. 1110-5-3.