Notes
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[1]
LPF, art. L. 64 : « Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ».
-
[2]
V. par ex. Crim., 19 oct. 1987, n° 05-94.605, Bull. crim. 1987, n° 353.
-
[3]
V. par ex. Crim., 22 oct. 2008, n° 07-88.134, Bull. crim. 2008, n° 214.
-
[4]
Selon l'auteur du pourvoi, renseigné par l'arrêt Ravon cité plus bas, les opérations, mises en œuvre en 2006, auraient violé l'art. 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme faute de fournir, à l'époque, les garanties imposées par ce texte.
-
[5]
CEDH, 3e sect., 21 févr. 2008, n° 18497/03, Ravon c/ France, D. 2008. 1054 ; Rev. sociétés 2008. 658, note B. Bouloc ; RSC 2008. 598, note H. Matsopoulou ; Dr. fisc. 2008, n° 12, comm. 227, note D. Ravon et Ch. Louit.
-
[6]
Com., 12 déc. 1989, n° 89-10.740, Bull. civ. 1989, IV, n° 313.
-
[7]
Com., 18 avr. 2000, n° 98-30.146.
-
[8]
En l'absence de « poursuite » ultérieure, le contribuable ne pouvait donc faire annuler les opérations.
-
[9]
Comp. CE, 9e ss-sect., 8 juill. 2011, n° 314364 ; CE, 9e et 10e ss-sect., 10 mai 2007, n° 298590, Min. de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, AJDA 2007. 2044, concl. L. Vallée.
-
[10]
Comp. Crim., 2 juin 1993, n° 92-81.648 ; Crim., 7 oct. 2009, n° 08-85.350.
-
[11]
V. not. C E, avis, 1er mars 1996, n° 174244, Egot, au Lebon et n° 174246, SARL France Finibeton.
-
[12]
V. par ex. CE, 9e et 10e ss-sect., 23 juin 2014, n° 360708, Ministre délégué chargé du budget, au Lebon.
-
[13]
Rappr. Crim., 20 févr. 1996, n° 84-16.246.
-
[14]
Com., 21 oct. 2014, n° 13-16.602, 13-16.696 et 13-16.905, D. 2014. 2172 ; ibid. 2015. 943, obs. D. Ferrier.
-
[15]
Crim., 21 sept. 2011, n° 11-90.083, QPC, RSC 2012. 594, obs. S. Detraz.
-
[16]
Crim., 17 juin 2015, n° 14-80.886.
-
[17]
V. not. CE, 10e et 9e ss-sect., 21 nov. 2012, n° 332000.
-
[18]
La jurisprudence devra préciser la portée ratione materiæ et personæ que revêt la décision (d'annulation ou non) du premier président au plan pénal (au plan fiscal : V. S. Detraz, Les conséquences fiscales de l'irrégularité des saisies opérées en application de l'article L. 16 B du LPF, Dr. fisc. 2015. 236).
-
[19]
En revanche, « l'inopposabilité des pièces et documents appréhendés à l'occasion de visites domiciliaires ne peut résulter que de l'annulation de la saisie » (Com., 11 juin 2013, n° 12-18.306 ; Crim., 11 juin 2013, n° 12-18.344).
-
[20]
Com., 15 oct. 1996, n° 94-12.383, D. 1996. 242. Adde Com., 18 janv. 2011, n° 10-15.766.
-
[21]
Comp. Com., 14 févr. 2012, n° 10-28.862, Bull. civ. IV, n° 35 ; D. 2012. 608 ; Rev. sociétés 2013. 54, note C. Lopez. Adde R. Salomon, obs. ss Crim., 5 nov. 2014, Dr. fisc. 2015. 113 : « On doit ajouter que tout tiers, à qui la visite pourrait faire grief, se voit ouvrir le droit d'en contester le déroulement ».
-
[22]
V. déjà Crim., 25 juin 2003, n° 02-83.342 ; Crim., 30 mai 1994, n° 93-81.943, Bull. crim. n° 210 ; Rev. sociétés 1995. 749, note B. Bouloc.
-
[23]
Nous appelons ainsi, par opposition au véritable procès-verbal de constatation, le procès-verbal qui se borne à relater les observations faites par un autre fonctionnaire.
-
[24]
Sauf peut-être pour les infractions dont la seule peine principale est l'amende pénale (V. par ex. CGI, art. 1813).
-
[25]
C'est la solution retenue en matière douanière, où le régime des poursuites est comparable (V. par ex. Crim., 24 avr. 2013, n° 12-83.602, RSC 2013. 582, obs. S. Detraz ; RTD com. 2013. 604, obs. B. Bouloc).
-
[26]
Rappr. Crim., 4 mai 2006, n° 05-85.079, Bull. crim. n° 122.
-
[27]
CEDH, 4 mars 2014, n° 18640/10, 18647/10, 18663/10, 1868/10, 18698/10, Grande Stevens et a. c/ Italie, D. 2015. 1506, obs. C. Mascala ; Rev. sociétés 2014. 675, note H. Matsopoulou ; RSC 2014. 110, obs. F. Stasiak ; ibid. 2015. 169, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD eur. 2015. 235, obs. L. d'Ambrosio et D. Vozza.
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[28]
Crim., 12 janv. 2011, n° 09-88.581.
-
[29]
Crim., 4 mai 2006, n° 05-85.079, Bull. crim. n° 122.
-
[30]
Cf. A. Germon, L'interdépendance entre l'action publique et l'action fiscale, AJ pénal 2015. 73.
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[31]
Le premier texte prévoit que les transferts vers un État membre de l'Union européenne ou en provenance d'un tel État de sommes, titres ou valeurs font l'objet d'une déclaration dans les conditions prévues à l'art. L. 152-1 C. mon. fin., pendant que le second punit la méconnaissance des dispositions dudit article.
-
[32]
V. par ex. Crim., 27 févr. 2002, n° 01-82.619, Bull. crim. n° 50.
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[33]
Il est précisé à ce sujet qu'aucune interdiction professionnelle - qui ne pourrait être en l'occurrence qu'une sanction pénale - n'est applicable au délit dont il est question.
1. Escroquerie à la TVA(Crim., 11 mai 2015, n° 13-87.426)
1Le gérant d'une EURL est condamné en appel du chef d'escroquerie pour avoir obtenu du Trésor le reversement de la TVA après s'être prévalu indument du régime fiscal de la parahôtellerie, dont les conditions d'application sont posées à l'article 261 D, 4°, b, du code général des impôts. Ce dernier énonce en effet que l'exonération de la TVA prévue en cas de simple location meublée n'est pas applicable aux « prestations de mise à disposition d'un local meublé ou garni effectuées à titre onéreux et de manière habituelle, comportant en sus de l'hébergement au moins trois des prestations suivantes, rendues dans des conditions similaires à celles proposées par les établissements d'hébergement à caractère hôtelier exploités de manière professionnelle : le petit-déjeuner, le nettoyage régulier des locaux, la fourniture de linge de maison et la réception, même non personnalisée, de la clientèle ». Lesdites prestations - dites de « parahôtellerie » - sont donc soumises à la TVA et permettent dès lors à l'assujetti de récupérer celle-ci auprès du Trésor, y compris concernant l'acquisition ou la rénovation du bâtiment, conformément au principe de déductibilité de cet impôt indirect. C'est précisément pour avoir bénéficié de ce mécanisme que le prévenu est reconnu coupable d'escroquerie et de tentative d'escroquerie (le Trésor n'ayant opéré qu'un versement partiel du montant global qui était réclamé), les juges d'appel ayant considéré que son activité de location ne remplissait pas les critères adéquats, au vu des faits suivants. L'intéressé a tout d'abord signé à titre personnel un compromis de vente portant sur l'immeuble ; puis il a créé une EURL en mentionnant une activité de loueur professionnel de meublés et a acquis le bien ; enfin, il a établi un bail avec l'unique occupant - son associé -, dont il a par ailleurs fait racheter les meubles par l'EURL.
2Ce sont alors, dans l'arrêt commenté, les motifs des juges d'appel ainsi que les arguments de l'auteur du pourvoi - respectivement approuvés et rejetés par la Cour de cassation sans explication substantielle -, éclairés par les faits d'espèce, qui sont intéressants. La motivation des juges du fond est en effet ambiguë. D'un côté, elle déclare que les prestations parahôtelières « doivent être comprises comme devant être similaires à celles proposées par les établissements d'hébergement à caractère hôtelier exploitées de manière professionnelle », sous-entendant par-là tel n'était pas le cas en l'espèce, autrement dit que les services mentionnés plus hauts n'étaient pas offerts. La condamnation s'expliquerait donc tout simplement à raison du choix, par l'individu, d'un régime de TVA qui lui était manifestement étranger. Mais, d'un autre côté, les juges du fond estiment aussi que le prévenu, « à partir d'une interprétation littérale et volontairement erronée du 4° de l'article 261 D, a réalisé un astucieux montage donnant l'apparence du respect de la loi fiscale dans le seul but de tromper l'administration fiscale et de se procurer des avantages indus », et - pour reprendre leur vocabulaire - que cette « fraude fiscale » correspond à la qualification d'escroquerie. Ces explications évoquent alors davantage l'« abus de droit fiscal » par fraude à la loi que définit l'article L. 64 du Livre des procédures fiscales [1] : le gérant remplirait bien, objectivement, les conditions requises par l'article 261 D, 4°, b, du code général des impôts pour être assujetti à la TVA, mais ce serait par suite d'un « astucieux montage », lequel vicierait la situation et l'empêcherait donc finalement de se prévaloir du droit à récupération de la taxe. C'est l'analyse que semble bien faire la décision attaquée lorsqu'elle déclare, à titre conclusif que, « M. X... a constitué une société non destinée à être rentable, dans le seul but d'acquérir un bien immobilier luxueux partiellement payé par des avantages résultant de la fraude fiscale ». En ce sens également, l'auteur du pourvoi reprochait à la cour d'appel - mais sans écho sous la plume de la chambre criminelle - de ne pas avoir répondu à l'argument selon lequel, étaient effectivement assurés « la fourniture du petit-déjeuner, le nettoyage des locaux, ainsi que la réception ».
3 Fort de ces éléments, l'individu conteste alors, en premier lieu, la possibilité de qualifier de manœuvres frauduleuses les opérations qu'il a accomplies, prétendant que « ne saurait caractériser les manœuvres frauduleuses l'assujettissement à un régime fiscal respectant les conditions posées par la loi ». L'argument, bien que paré de la lumière de l'évidence, n'est cependant pas convaincant : le ressort de la fraude à la loi en général ou de l'abus de droit fiscal - dans la (seconde) variété qui ressemble à cette dernière - en particulier consiste précisément à remplir les conditions légales pour ensuite atteindre un résultat illicite, en outrepassant ce qu'autorise la simple habilité fiscale. Or, il n'est pas douteux que de tels comportements soient constitutifs de « manœuvres frauduleuses » au sens de l'article 313-1 du code pénal. Au cas présent, tout concorde à démontrer que l'individu ne souhaitait en effet se placer sous le régime de la TVA qu'afin d'en tirer financièrement profit parti le biais du droit à récupération, chose qu'il n'aurait pu obtenir en suivant le cheminement normal d'un acquéreur agissant à titre particulier : même avérées, les prestations parahôtelières n'étaient en effet fournies qu'à un seul locataire (dont, par ailleurs, il n'est pas dit si l'occupation du logement était réelle), qui se trouvait être l'associé du prévenu, situation qui n'a rien de commun avec celle d'un véritable professionnel qui aurait l'incroyable malchance de n'avoir qu'un seul client.
4 Le prévenu critique, en deuxième lieu, la caractérisation du lien de causalité requis au titre de l'escroquerie entre la remise et les manœuvres frauduleuses : il soutient qu'un tel rapport de cause à effet n'est en l'espèce caractérisé qu'avec les déclarations de TVA (« seules déterminantes ») et, non pas avec les actes juridiques qu'on lui reproche d'avoir préalablement accomplis. En d'autres termes, s'intercalerait entre ceux-ci et le reversement de la taxe le fait de se placer (valablement, selon l'intéressé) sous le régime de la TVA, situation qui romprait suffisamment le cours des choses. Mais, une fois encore, la prétention ne pouvait prospérer : une fois acquis le caractère anormal des circonstances dans lesquelles l'immeuble a été acheté et loué, ces opérations sont bien des manœuvres frauduleuses à l'origine de la remise, dont les déclarations de TVA ne sont que les « déclencheurs » (comme c'est le cas du maquillage d'une scène et de la déclaration ultérieure du faux sinistre en matière d'escroquerie à l'assurance).
5 En troisième lieu, le condamné se plaint que l'élément moral de l'escroquerie ait été retenu à son encontre aux motifs que « l'élément intentionnel résulte des mécanismes fiscaux complexes mis en place par M. X... , parfaitement avisé en la matière compte tenu des activités de commissaire aux comptes et d'expert-comptable ». Il est vrai qu'à supposer l'intéressé de (relative) bonne foi dans la réalisation de son entreprise (il penserait faire un usage, non pas abusif, mais habile et licite de la loi fiscale), il n'aurait, partant, pas conscience (ni donc l'intention) d'obtenir par la suite une remise indue. Mais le caractère frauduleux des opérations accomplies n'ayant pu lui échapper, c'est manifestement en parfaite connaissance de l'irrégularité de la situation qu'il a demandé le reversement de la TVA. Le dol général est donc effectivement vérifié.
6 Enfin, en quatrième lieu, l'individu considère, en se prévalant de l'article L. 228 du Livre des procédures fiscales, que « la cour d'appel ne pouvait, sans outrepasser le cadre de sa saisine et violer les droits de la défense du demandeur, s'appuyer, pour déclarer ce dernier coupable du chef d'escroquerie, sur la caractérisation d'un délit de fraude fiscale dont elle n'était pas saisie et qui n'avait jamais fait l'objet d'un avis conforme de la part de la Commission des infractions fiscales ». Mais l'argument pêche à deux égards : d'une part, les juges du fond n'ont pas caractérisé à proprement parler le délit général de fraude fiscale établi à l'article 1741 du code général des impôts, mais ont simplement relevé incidemment l'existence d'une « fraude fiscale », c'est-à-dire d'une violation (manipulation) de la loi fiscale, instrument de l'escroquerie ; d'autre part, il est de jurisprudence constante que la poursuite du délit d'escroquerie dans un contexte fiscal (et notamment l'escroquerie à la TVA) ne requiert pas la plainte de l'Administration sur avis conforme de la CIF [2], même si les manœuvres mises en œuvre pour commettre l'infraction correspondent à la définition du délit de fraude fiscale (il est par exemple souvent précisé que « le seul fait de se placer sous un régime fiscal indu, dans l'intention de se soustraire, ne serait-ce que partiellement à l'impôt, constitue le délit de fraude fiscale » [3]).
2. Visites domiciliaires de l'article L. 16 B du LPF : à la croisée des procédures civile, fiscale et pénale. (Crim., 5 novembre 2014, n° 13-86.202, à paraître, D. 2014. 2301)
7 Une personne est condamnée en appel du chef de fraude fiscale, sur le fondement notamment de documents compromettants saisis lors d'une visite domiciliaire accomplie, en application de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales, chez un autre contribuable. Devant la Cour de cassation, il reproche aux juges du fond d'avoir retenu que, puisque les opérations n'avaient pas été réalisées à son domicile et ne le visaient pas comme suspect, il était sans qualité pour se plaindre des conditions prétendument irrégulières [4] dans lesquelles elles s'étaient déroulées, et qu'en l'occurrence seul l'occupant des lieux avait donc la faculté d'introduire un recours à cette fin - ce qu'il n'avait pas fait. Sans approuver formellement ce raisonnement, la haute juridiction énonce que la cour d'appel a justifié sa décision dès lors qu'elle « n'avait pas à se prononcer sur la régularité de la procédure propre aux visites domiciliaires organisée par l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, laquelle relève de la compétence du premier président, qui n'a pas été saisi par le demandeur ».
8 La décision est d'importance, dont on peut tirer deux enseignements, l'un compensant la rigueur de l'autre. En premier lieu, en déclarant que « la procédure propre aux visites domiciliaires organisée par l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales «... ... relève de la compétence du premier président » de la cour d'appel, la chambre criminelle fait écho au double mécanisme de contrôle prévu par ce texte : d'une part, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention, par laquelle sont autorisées les visites et saisies domiciliaires, peut faire l'objet d'un appel devant le premier président (contentieux de l'autorisation) ; d'autre part, la régularité du déroulement des opérations peut être contestée au moyen d'un recours en annulation devant le même magistrat (contentieux de l'exécution). Ces deux voies de droit ont été établies par la loi « LME » du 4 août 2008, elle-même suscitée par le fameux arrêt Ravon de la Cour européenne des droits de l'homme ayant condamné la France pour méconnaissance des articles 6, § 1, et 8 de la Convention européenne [5]. Auparavant, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention n'était susceptible que d'un pourvoi en cassation, ce qui empêchait un réexamen en fait des indices présentés par l'Administration fiscale. Quant aux nullités affectant le déroulement de la visite, la Cour de cassation avait initialement considéré qu'elles pouvaient être soulevées devant le juge ayant délivré l'autorisation lui-même, l'investissant ainsi d'un étonnant pouvoir d'annulation [6]. Puis elle avait estimé que le rôle de ce magistrat prenait fin avec la remise faite à lui, par les agents du fisc, du procès-verbal clôturant les opérations, en sorte que l'annulation ne pouvait être finalement obtenue que des « autorités de décision appelées à statuer sur les poursuites » [7] engagées le cas échéant [8] à la suite, formule qui semblait désigner le juge de l'impôt [9] et le juge pénal [10].
9 Or, si l'ouverture de l'appel n'a en rien bouleversé cet équilibre jurisprudentiel - car il n'a jamais été admis que les deux juges précités pussent annuler ou infirmer l'ordonnance du juge des libertés et de la détention -, l'instauration d'un recours spécifique en nullité conduit à l'inverse à s'interroger sur son éventuelle exclusivité : les juges fiscal et répressif demeurent-ils malgré tout compétents pour s'intéresser aux irrégularités entachant les visites et saisies, ou bien de tels griefs ne peuvent-ils désormais qu'être portés à la connaissance du premier président de la cour d'appel ? Par le présent arrêt, la Cour de cassation retient assurément la seconde branche de l'alternative : « la procédure «... ... relève de la compétence du premier président », et de lui seul, si bien qu'en l'espèce, quel que soit le bien-fondé intrinsèque des arguments qu'il invoquait, c'est en vain que le prévenu s'adressait à la chambre des appels correctionnels à fin d'invalidation des opérations.
10 La règle ainsi clarifiée par la Cour de cassation peut être approuvée. Pour cela, l'on est a priori tenté d'observer, comme l'a par ailleurs précisé le Conseil d'État, que l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales « institue une procédure de nature fiscale » [11], qui « doit nécessairement être combinée avec la procédure de vérification concernant le même contribuable, de sorte que ces procédures, qui constituent deux étapes de la procédure d'imposition, concourent à la décision d'imposition de l'intéressé qui sera prise par l'Administration » [12]. C'est dire que, malgré la présentation doctrinale qui en est souvent faite, les visites et saisies de l'article L. 16 B ne sont nullement des opérations de procédure pénale [13] : elles appartiennent à la procédure fiscale, ce que sous-entend d'ailleurs l'indifférence du texte à la qualification pénale de la soustraction à l'impôt présumée. Comment dès lors le juge pénal pourrait-il être compétent pour connaître d'un acte étranger à sa procédure ? Mais l'argument est en réalité assez faible. En effet, comme il a déjà été signalé, la jurisprudence avait déjà temporairement admis la possibilité de critiquer les opérations devant la juridiction répressive, faute de saisine du juge des libertés et de la détention avant leur complet achèvement. Surtout, par dérogation au principe d'indépendance des procédures pénale et fiscale, la Cour de cassation estime par ailleurs que les irrégularités du contrôle fiscal les plus graves, méconnaissant les prescriptions de l'article L. 47 du Livre des procédures fiscales, peuvent être soulevées lors de l'instance pénale et mettre conséquemment en péril la procédure pénale consécutive. Le caractère fiscal de l'acte litigieux n'est donc pas un empêchement dirimant à son contrôle par le juge pénal. Les visites et saisies fiscales ne sont-elles pas, au demeurant, déjà très originales par le fait que leur contentieux obéit aux règles de la procédure civile ?
11 En outre, la solution présentement retenue à propos de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales l'est aussi pour les visites domiciliaires prévues dans les autres matières, alors que, en certains de ces domaines, elles sont assurément des actes de procédure pénale : c'est donc une fois de plus la preuve que la nature fiscale, administrative ou pénale des opérations n'est pas déterminante. Ainsi, concernant la recherche des pratiques anticoncurrentielles, il a pu être déclaré que, « ayant relevé qu'une voie de recours spécifique était prévue par l'article L. 450-4 du code de commerce pour contester le déroulement des opérations de visite et saisie, la cour d'appel en a justement déduit que l'appréciation de la régularité des saisies opérées sur autorisation judiciaire ne relevait pas des attributions de l'Autorité, ni de celles de la cour d'appel saisie en application de l'article L. 464-8 du code de commerce » [14]. S'agissant des infractions à la législation des contributions indirectes, il a été jugé au regard de l'article L. 38 du Livre des procédures fiscales que « le tribunal correctionnel n'est pas compétent pour apprécier la régularité de la procédure des visites domiciliaires, autorisées par le juge des libertés et de la détention sur requête de la direction générale des douanes et droits indirects » [15]. En matière douanière, la Cour de cassation a semblablement estimé dans une affaire que « le prévenu, qui, en sa qualité d'occupant des lieux, disposait d'un recours contre les opérations de visite effectuées sur le fondement de l'article 64 du code des douanes, est irrecevable à invoquer l'irrégularité desdites opérations à l'occasion des poursuites dont il fait l'objet » [16]. Au surplus, le Conseil d'État considère lui aussi, au regard de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales, que « le juge judiciaire est seul compétent pour apprécier la régularité de l'autorisation et du déroulement d'une opération de visite et de saisie par l'administration fiscale » et - se référant aux dispositions transitoires de la loi « LME » - qu'« il résulte des termes mêmes de l'article 164 de la loi du 4 août 2008 de modernisation de l'économie que la régularité des opérations de visite et de saisie effectuées sur le fondement de l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales peut être contestée non devant le juge de l'impôt mais devant le premier président de la cour d'appel » [17].
12 Tous ces motifs indiquent nettement que c'est l'existence, depuis 2008, d'un recours ad hoc devant le premier président de la cour d'appel qui, logiquement, exclut que la validité du même acte procédural puisse encore être contestée à un stade ultérieur devant un autre juge. Trois situations se rencontrent donc. Dans la première, le premier président, effectivement appelé à intervenir, a annulé en tout ou partie les opérations : les documents dont la saisie est affectée par l'invalidation ne peuvent conséquemment être utilisés au plan pénal (ou fiscal). Dans la deuxième hypothèse, le même magistrat a estimé ne pas y avoir lieu à annulation : il est dans ce cas tout autant exclu que le grief soit de nouveau présenté au juge répressif. Dans la troisième, il n'a pas été fait usage du recours prévu par l'article L. 16 B du Livre des procédures fiscales : la personne qui pouvait l'exercer ne dispose plus alors d'aucun moyen d'action. En somme, le recours dont il est question est le seul mode de contestation possible des opérations de visite et de saisie [18], sans préjudice de la possibilité de discuter ensuite, devant la juridiction pénale, de la portée probatoire des pièces valablement saisies et produites [19].
13 D'où est mis en relief, en second lieu, l'intérêt de déterminer qui peut exercer le recours décisif. À ce sujet, la jurisprudence estime qu'ont normalement qualité pour agir le contribuable dont la fraude est présumée (que l'on dit « visé » par l'ordonnance : c'est le suspect) ainsi que l'occupant des lieux visités, même s'il n'est pas personnellement soupçonné (qui est, lui, « visé » par les opérations). Mais elle reconnaît également un droit d'action au « tiers », non visé par la procédure, au détriment de qui un document sans aucun rapport avec les faits a été saisi, car une telle saisie n'est par définition nullement permise par l'ordonnance du juge des libertés et de la détention : la chose revient en effet, pour les agents du fisc, à accomplir une saisie sans étai judiciaire [20]. Lorsque, en revanche, le document met en cause et le contribuable suspecté et, fortuitement, un tiers, la saisie en est permise ; ce tiers peut-il alors contester la régularité de la saisie et de la visite qui en est le support ? La jurisprudence n'est pas nettement fixée sur ce point, mais certaines décisions sont en la matière favorables à la recevabilité du recours des personnes étrangères aux opérations dès lorsqu'elles y ont intérêt [21]. Or, la décision commentée, qui concerne cette situation, apporte en la matière une précision bienvenue. En effet, la Cour de cassation remarque qu'en l'occurrence le premier président de la cour d'appel « n'a pas été saisi par le demandeur » : cela signifie assurément que l'intéressé pouvait - et devait, pour espérer obtenir gain de cause - s'adresser à lui, malgré sa qualité de « tiers ». Notons qu'à cet effet le délai de quinze jours assigné à l'exercice du recours ne commence à courir qu'à compter de la remise à l'intéressé ou de la réception par lui du procès-verbal ou de l'inventaire des pièces saisies, si bien qu'il ne peut y avoir forclusion tant qu'aucune de ces formalités n'a été accomplie à l'égard de l'intéressé.
3. Contributions indirectes : liberté d'action de l'Administration des douanes et contenu des procès-verbaux(Crim., 20 mai 2015, n° 14-80.829)
14L'arrêt rappelle deux principes procéduraux solidement ancrés en droit pénal des contributions indirectes. En premier lieu, l'avis favorable de la Commission des infractions fiscales (CIF) n'est pas un préalable à l'engagement des poursuites en ce domaine. La règle ressort triplement, en creux, des dispositions de l'article L. 228 du Livre des procédures fiscales. Premièrement, ce dernier ne prévoit cette formalité qu'en matière d'impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d'affaires, de droits d'enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre. Deuxièmement, l'avis est requis pour l'application des « sanctions pénales », alors que ce sont essentiellement des « sanctions fiscales » qui sont encourues en matière de contributions indirectes. Troisièmement, la saisine de la CIF est imposée en vue d'autoriser le dépôt de plainte ultérieur de la part de l'Administration fiscale (DGFiP), alors que les infractions à la législation des contributions indirectes sont poursuivies au moyen de l'« action fiscale » - et normalement par voie de citation directe -, par l'Administration de douanes et droits indirects (DGDDI) ou par le ministère public conjointement à l'action publique (et ce même si, en l'espèce, la Cour de cassation parle maladroitement des « plaintes en matière de contributions indirectes »).
15 Les plaideurs soutiennent alors parfois, lorsque l'infraction consiste à éluder le paiement d'un droit, que les faits doivent être qualifiés en application non pas de l'article 1791 du code général des impôts (délit général en matière de contributions indirectes), mais de l'article 1741 (délit général de fraude fiscale), en vue de rendre nécessaire l'avis de la CIF et donc de faire invalider la procédure qui, par définition, a été engagée en son absence. La Cour de cassation rejette néanmoins systématiquement l'argument, à juste titre. C'est qu'en effet l'article 1791 précité punit « toute infraction » aux lois et règlements régissant les contributions indirectes, y compris celles qui imposent l'acquittement d'une imposition (comme en l'espèce l'impôt sur les cercles et maisons jeux établis par les art. 1559 s.) ou le dépôt d'une déclaration à cette fin. D'ailleurs, l'article 1804 B le confirme en prévoyant que, en sus des sanctions fiscales applicables, le tribunal ordonne le paiement des sommes fraudées ou indument obtenues à raison de l'infraction. De toute façon, l'article L. 228 ne dit pas que l'infraction de l'article 1741 serait par nature soumise à la formalité de l'avis favorable : de manière plus substantielle, il impose ce dernier dans certaines matières fiscales (la plupart, il est vrai) - qui ont été citées plus haut (impôts directs, TVA, etc.) -, dont ne font pas partie les contributions indirectes ; par conséquent, même si l'article 1741 était applicable en ce domaine (ce que la jurisprudence ne confirme pas au demeurant), la poursuite pourrait avoir lieu d'office par le ministère public.
16 En second lieu, la décision rapportée déclare que « les dispositions de l'article L. 213 du Livre des procédures fiscales ne font pas obstacle à ce que les rédacteurs d'un procès-verbal en matière de contributions indirectes relatent les constatations d'agents d'autres services, à condition qu'ils ne les présentent pas comme les leurs ». L'affirmation est a priori très éloignée de ce que prévoit l'alinéa 1er du texte en question, selon lequel : « Les procès-verbaux sont établis par les agents de l'administration, dans les conditions prévues à l'article 429 du code de procédure pénale. Toutefois en matière de contributions indirectes les procès-verbaux sont nuls s'ils n'ont pas été rédigés par les seuls agents ayant pris une part personnelle et directe à la constatation des faits qui constituent l'infraction ». L'article 429 auquel il est renvoyé énonce pour sa part : « Tout procès-verbal ou rapport n'a de valeur probante que s'il est régulier en la forme, si son auteur a agi dans l'exercice de ses fonctions et a rapporté sur une matière de sa compétence ce qu'il a vu, entendu ou constaté personnellement ». Comment dès lors concilier ces dispositions, qui s'en remettent à la perception de l'agent intervenant (« part personnelle », « personnellement »), avec la solution retenue présentement par la chambre criminelle ?
17 La chose est possible dans l'hypothèse où l'agent de l'Administration a constaté personnellement les faits et où, au surplus, mais à titre complémentaire seulement, il relate les observations d'autres fonctionnaires. Mais tel n'était pas le cas dans la présente affaire : les agents des douanes avaient simplement opéré des reconstitutions à partir des éléments du dossier transmis par le Procureur de la République et issus d'opérations réalisées par la Gendarmerie (car l'activité délictueuse en cause constituait également des infractions à la législation sur les jeux - loteries prohibées - aujourd'hui réprimées par le code de la sécurité intérieure). La haute juridiction s'affranchit donc des prescriptions textuelles grâce à une précaution de son invention : elle considère que les agents des douanes et droits indirects peuvent retranscrire les constatations d'autres agents de l'autorité publique « à condition qu'ils ne les présentent pas comme les leurs » [22]. Mais, ce faisant, elle n'élargit pas simplement la portée matérielle du procès-verbal en y autorisant l'insertion de tierces observations : elle donne compétence, pour le rédiger, à des agents étrangers à la constatation de faits, en contradiction avec ce qu'exige, sur un ton restrictif (« Toutefois ... »), la deuxième phrase de l'alinéa 1er de l'article L. 213 du Livre des procédures fiscales.
18 Par ailleurs, l'inclusion, dans le procès-verbal, de constatations faites par d'autres que son auteur semble brouiller le jeu de l'article L. 238, qui prévoit que « les procès-verbaux des agents de l'administration font foi jusqu'à preuve contraire ». Cette présomption simple de véracité s'explique en effet à la fois par la nécessité, pour les autorités de poursuite, d'être mises en mesure de prouver efficacement des infractions fugaces et par la foi qu'il est légitime d'accorder, dans les matières techniques, aux affirmations des fonctionnaires assermentés qui sont sur place. Mais s'applique-t-elle dès lors aux procès-verbaux de simple « relations » [23] présentement étudiés, étant rappelé que l'agent n'a pas en ce cas constaté personnellement ce qui y est mentionné ? La réponse est à la fois négative et affirmative. D'un côté, seul est présumé vrai ce qui a été vu, entendu, touché, senti, mesuré, etc. par l'auteur même du procès-verbal, car on ne peut donner raisonnablement crédit qu'à ce qu'il perçoit par ses propres sens, et non pas en la confiance qu'il placerait dans les observations d'un tiers, ce dernier serait-il lui aussi un agent de l'autorité agissant dans l'exercice de ses fonctions. Mais, de l'autre, la mention selon laquelle tel autre agent a affirmé avoir constaté telle chose est bien saisie par la présomption. Cette dernière a alors, par son objet, un intérêt négligeable, car ce n'est pas, au fond, le contenu de la constatation qui est présumé véridique, mais simplement, en la forme, le fait qu'il a été affirmé telle ou telle chose. Aussi bien les tribunaux peuvent-ils tenir cet écrit pour inconsistant en contemplation de la preuve complète de l'infraction et de la responsabilité pénale légalement requise, et ce même si la « preuve contraire » évoquée par l'article L. 238 n'a pas été rapportée par le prévenu.
19 L'on comprend néanmoins que, en l'espèce, la condamnation repose tout entière sur le procès-verbal de « relation » élaboré par la DGDDI à partir du dossier communiqué par l'autorité judiciaire. Or, le principe non écrit « pas de procès-verbal, pas d'action » veut que, en matière de douanes et de contributions indirectes, le procès-verbal soit un moyen de preuve indispensable à la réussite des poursuites, comme le dit à sa manière l'article L. 212 A du Livre des procédures fiscales : « Les infractions en matière de contributions indirectes sont constatées par procès-verbal ». Il en résulte donc que, aux yeux de la Cour de cassation, un procès-verbal « de relation » vaut suffisamment au plan probatoire, position qui semble prendre beaucoup de liberté avec les textes. Notons toutefois, pour nuancer le propos, qu'il ressort des articles L. 213 et suivants que les agents des douanes et droits indirects ne sont pas les seuls à être habilités à établir des procès-verbaux en matière de contributions indirectes, et notamment que l'article L. 223 dispose que « les procès-verbaux constatant les infractions aux lois et règlements relatifs à l'impôt sur les cercles et maisons de jeux, peuvent être établis par les officiers de police judiciaire ». De la sorte, et dès lors que les faits ont été constatés personnellement par les gendarmes - serait-ce à titre principal sous la qualification d'infractions de droit commun (loteries prohibées) -, la condamnation prononcée au titre de la violation de la législation des contributions indirectes intervient non pas sur la base fragile de simples allégations, supputations ou reconstitutions, mais bien sur celle d'un procès-verbal.
4. Contributions indirectes : le lien invisible unissant l'action fiscale à l'action publique (Crim., 12 mai 2015, n° 14-80.049, à paraître, Dr. pénal 2015. 98, obs. J.-H. Robert)
20Deux personnes, poursuivies par le Procureur de la République, sont condamnées définitivement en février 2011 pour exploitation d'une maison de jeux de hasard où le public est librement admis, en application de l'article 1er de la loi n° 83-628 du 12 juillet 1983 (abrogé en 2012 et devenu l'actuel art. L. 324-1 du code de la sécurité intérieure). La même activité délictueuse leur vaut, en septembre 2011, et cette fois-ci de la part de l'Administration des douanes et droits indirects, la délivrance d'une citation à comparaître du chef d'infraction à la législation des contributions indirectes, sur le fondement de l'article 1791 du code général des impôts (omission déclarative et soustraction à l'impôt sur les cercles et maisons de jeux), la prévention visant alors des manquements commis entre février 2003 et juillet 2005. Les prévenus, reconnus coupables de ces faits, prétendent alors devant la Cour de cassation que l'action de l'Administration ne pouvait être valablement engagée, car elle aurait été tout à la fois paralysée par le principe non bis in idem (consacré à l'art. 4 du protocole n° 7 de la Conv. EDH), en raison du jugement correctionnel rendu en 2011, éteinte par l'autorité de la chose jugée dont cette décision est revêtue et, enfin, atteinte par la prescription, plus de trois années s'étant écoulées sans accomplissement d'aucun acte interruptif. Mais la haute juridiction rejette tous ces arguments et déclare : « dès lors que, d'une part, l'exercice de l'action fiscale pour les infractions à la législation des contributions indirectes qui ne sont pas punies de l'emprisonnement relève de l'administration des douanes et des droits indirects, d'autre part, les infractions d'omissions déclaratives et de soustraction au paiement de l'impôt qui sont poursuivies, distinctes du délit de tenue d'une maison de jeux ayant fondé la précédente condamnation des demandeurs, présentent avec ce délit des liens de connexité permettant à l'action fiscale, malgré son indépendance, de bénéficier des actes interruptifs de la prescription de l'action publique, la cour d'appel, qui n'a méconnu ni le principe "ne bis in idem" ni les textes conventionnels invoqués, a justifié sa décision ».
21 L'arrêt est particulièrement riche. Concernant, en premier lieu, la question de la portée de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement prononcé en février 2011, commençons par rappeler que, en matière de contributions indirectes, il existe deux variétés d'infractions, qui relèvent invariablement de la compétence des juridictions répressives : d'un côté, des infractions dites fiscales, punies de « sanctions fiscales » (amende fiscale, pénalité proportionnelle, confiscation fiscale), et dont fait partie le « délit général » de l'article 1791 du code général des impôts (qui punit toute méconnaissance de la législation et de la réglementation des contributions indirectes) ; de l'autre, des infractions pénales ordinaires, assorties de peines véritables (emprisonnement, amende pénale, confiscation pénale). Les premières sont poursuivies au moyen de l'« action fiscale », les secondes au moyen de l'action publique de droit commun. L'action publique ressortit à la compétence exclusive du ministère public [24]. L'action fiscale est quant à elle attribuée par l'article L. 235, alinéa 1er, du Livre des procédures fiscales à l'Administration des douanes et droits indirects ; mais l'article L. 239 B ajoute que « dans les cas où une peine d'emprisonnement est prévue, le ministère public peut exercer l'action pour l'application des sanctions fiscales accessoirement à l'action publique ».
22 À ce sujet, la Cour de cassation énonce en l'espèce que l'action fiscale ne peut être engagée que par l'Administration lorsqu'aucune peine d'emprisonnement ne punit les infractions, sous-entendant par là que tel était bien le cas en l'occurrence, et que, dès lors, le parquet n'avait pu exercer l'action fiscale conjointement à sa propre action. Par conséquent, le tribunal correctionnel n'était saisi que de l'action publique, en sorte que son jugement n'est nullement revêtu de l'autorité de la chose jugée concernant l'action fiscale. Il est vrai que les manquements aux articles 146 et suivants de l'annexe IV au code général des impôts, relevés à l'encontre des prévenus, sont réprimés par le texte général de l'article 1791 du même code, qui ne prévoit que des sanctions fiscales. Mais ce n'est pas en réalité de cette façon qu'il convient de raisonner. En effet, en matière de contributions indirectes, aucune incrimination unique ne prévoit cumulativement une peine d'emprisonnement et des sanctions fiscales : comme il a été dit, il existe aux articles 1791 et suivants une série d'infractions purement fiscales (donnant lieu exclusivement à des sanctions fiscales) et aux articles 1810 et suivants une série d'infractions pénales stricto sensu (assorties uniquement de sanctions pénales). Or, puisque, l'article L. 235, alinéa 1er, du Livre des procédures fiscales envisage expressément le cas où une infraction donnant naissance à l'action fiscale (donc punie de sanctions fiscales) fait également encourir l'emprisonnement (« dans le cas où une peine d'emprisonnement est prévue »), il oblige à caractériser cette éventualité en tenant compte des faits matériels (pris sous deux qualifications : l'une fiscale, l'autre pénale), et non pas de l'incrimination légale, sans quoi l'hypothèse prévue par ce texte ne pourrait jamais se concrétiser. L'emprisonnement applicable aux mêmes faits peut alors vraisemblablement l'être au titre tant des articles 1810 et suivants du code général des impôts que de textes pénaux « de droit commun » extérieurs au domaine des contributions indirectes (comme par exemple l'article L. 324-1 du code de la sécurité intérieure) [25]. En somme, l'on peut dire qu'« une peine d'emprisonnement est «égalementé prévue » si le délit fiscal de l'article 1791 du code général des impôts est connexe à une infraction punie de cette peine, quelle qu'en soit la nature (infraction pénale propre aux contributions indirectes, infraction douanière, infraction « de droit commun »).
23 La Cour de cassation aurait-elle alors présentement invalidé cette conclusion en rappelant que, en l'absence d'emprisonnement, l'action fiscale n'était attribuée qu'à l'Administration des douanes, tout en admettant par ailleurs qu'il y a bien connexité avec l'infraction de droit commun [26] ? Il est difficile d'apporter une réponse. Peut-être la chambre criminelle entend-elle effectivement réserver l'article L. 239 B au seul cas où le fait matériel correspond à la fois à une incrimination fiscale prévue aux articles 1791 et suivants du code général des impôts et à une incrimination pénale établie aux articles 1810 et suivants (et non pas à une qualification de « droit commun »). À moins qu'il ne s'agisse, plutôt (mais cette interprétation est très proche de la première), de subordonner le jeu de l'article L. 239 B à la stricte identité des faits matériels entre l'incrimination fiscale et l'incrimination pénale, ce qui n'était pas le cas en l'espèce. De fait, aux dires de la haute juridiction, « les infractions d'omissions déclaratives et de soustraction au paiement de l'impôt qui sont poursuivies « sont distinctes du délit de tenue d'une maison de jeux ayant fondé la précédente condamnation des demandeurs mais présentent avec ce délit des liens de connexité ».
24 L'on parvient ainsi, en second lieu, à la raison du rejet, par la Cour de cassation, de l'argument tenant à la violation du principe non bis in idem : à défaut de véritable identité des faits, les prévenus n'ont pas été punis deux fois in idem. Les intéressés s'étaient pourtant armés de l'arrêt Grande Stevens de la Cour européenne des droits de l'homme [27], dont ils tiraient - vainement, donc - l'enseignement selon lequel « il résulte de la jurisprudence conventionnelle que l'article 4 du protocole n° 7 doit être compris comme interdisant de poursuivre ou de juger une personne pour une seconde « infraction » pour autant que celle-ci a pour origine des faits qui sont en substance les mêmes à ceux qui ont fait l'objet de la première condamnation définitive et ce indifféremment de la réserve qui a pu être faite par l'État membre ». L'allusion à la réserve étatique n'est pas anodine : la France cantonne en effet l'article 4 en question aux affaires relevant de la compétence des juridictions statuant en matière pénale. Or, la Cour de cassation a eu l'occasion, pour repousser un grief fondé sur ce texte (un prévenu avait été reconnu coupable, pour la même activité illicite, de trois infractions fiscales en matière de contributions indirectes), que « la règle consacrée par l'article 4 du protocole n° 7 additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ne trouve à s'appliquer, selon les réserves faites par la France en marge de ce protocole, que pour les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale » [28], ce qui laissait étonnamment entendre que les infractions à la législation des contributions indirectes n'appartiendraient pas au droit pénal ou à la « matière pénale ». Une telle position - fort heureusement isolée - était déconcertante : les sanctions fiscales sont certes « mixtes » de jurisprudence constante (mi-punitives, mi-réparatrices), mais c'est incontestablement l'aspect répressif qui prédomine. Au demeurant, leur répression ressortit à la compétence des juridictions répressives.
25 Quoi qu'il en soit, la Cour européenne fait jouer le principe non bis in idem même lorsqu'il n'y a pas d'identité stricte entre les faits constitutifs des diverses qualifications, dès lors du moins que c'est la « même conduite » qui est doublement punissable. Une telle condition était-elle vérifiée dans l'arrêt rapporté ? La réponse de la Cour de cassation est négative : comme elle le juge constamment, la participation à la tenue d'une maison de jeux de hasard (infraction de droit commun) ne se confond pas avec la violation de la législation des contributions indirectes relative aux cercles et maisons de jeux, consistant quant à elle à ne pas opérer les déclarations requises à ce titre et à omettre de s'acquitter de l'imposition, car il s'agit là de comportements matériellement différents, que l'on peut nettement distinguer dans leur physionomie ; les diverses infractions fiscales sont elles-mêmes dissemblables les unes des autres, nonobstant leur continuité frauduleuse [29]. L'analyse apparaît cependant sévère, car l'ensemble concourt bien à la même entreprise illicite : l'exploitation irrégulière de la maison de jeux.
26 D'ailleurs, en troisième lieu, la chambre criminelle estime dans l'arrêt rapporté qu'il existe des « liens de connexité » entre les infractions fiscales et l'infraction pénale. L'observation lui permet d'admettre - en application d'une solution traditionnelle - que l'effet interruptif de la prescription de l'action publique que produisent les actes réalisés au titre de l'infraction de droit commun s'étend à l'action fiscale, bien que celle-ci n'ait pas été jusque-là exercée et, est-il précisé, « malgré son indépendance » [30]. De ce fait, dans l'affaire, la survie de l'action fiscale avait été tacitement et efficacement entretenue par les actes accomplis en vue de l'exercice de l'action publique : en septembre 2011, elle existait donc encore grâce à eux.
5. Changes : incompétence du ministère public pour exercer l'action fiscale en l'absence d'emprisonnement (Crim., 5 novembre 2014, n° 13-88.251)
27Un individu est poursuivi, à la seule initiative de ministère public, sous la qualification de transfert international de fonds sans déclaration, en vertu des articles 464 du code des douanes et L. 152-4 du code monétaire et financier [31]. Il est condamné de ce chef en appel à une amende douanière, à une interdiction professionnelle définitive, ainsi qu'à la confiscation de la somme sur laquelle a porté l'infraction. Saisi par le prévenu, la Cour de cassation casse l'arrêt : au visa de l'article 343, § 2, du code des douanes, elle indique d'un côté qu'« il résulte de ce texte que l'action pour l'application des sanctions fiscales ne peut être exercée par le ministère public, accessoirement à l'action publique, que lorsque ce dernier agit pour l'application des peines d'emprisonnement prévues par le code des douanes », et observe de l'autre que « les sanctions édictées en cas de méconnaissance de l'obligation déclarative imposée par les articles L. 152-4 du code monétaire et financier et 464 du code des douanes, qui ne prévoient pas d'interdictions professionnelles, sont toutes de nature fiscale ». Le Procureur de la République était donc sans qualité pour agir (et l'interdiction professionnelle non encourue). La décision présente un double intérêt : pour la procédure pénale douanière en général ; pour le délit dont il en question en particulier.
28 La Cour de cassation fait ainsi application du principe classique [32] selon lequel, dans la procédure pénale douanière, le parquet ne peut exercer l'action fiscale qu'accessoirement à l'action publique, c'est-à-dire lorsque la même infraction douanière ou cambiaire fait encourir à la fois des sanctions fiscales et des sanctions pénales (ou bien en cas de connexité avec une infraction de « droit commun ») ; c'est ce qu'elle entend signifier en évoquant l'emprisonnement, qui est la seule peine (stricto sensu) principale en matière douanière, l'amende et la confiscation étant quant à elles de type fiscal. Or, le délit de l'article L. 152-4 ne donne précisément lieu qu'à ces deux sanctions patrimoniales, si bien que le parquet ne pouvait le poursuivre : c'était à l'Administration des douanes et à elle seule de le faire.
29 L'arrêt lève ce faisant l'ambiguïté relative à la nature fiscale ou pénale de l'amende et de la confiscation fulminées par l'article L. 152-4 du code monétaire et financier. Si, en effet, ces sanctions sont présumées fiscales lorsqu'elles sont prévues au sein du code des douanes, à l'inverse, elles doivent en principe être vues comme pénales en dehors (auquel cas leur prononcé relève de l'action publique, dont le ministère public est seul titulaire). Or, la Cour de cassation prend ici soin d'énoncer que les sanctions prévues par le texte « sont toutes de nature fiscale » [33]. L'affirmation peut se prévaloir de l'alinéa 1er du III de l'article L. 152-4, qui déclare que « la recherche, la constatation et la poursuite des infractions mentionnées au I sont effectuées dans les conditions fixées par le code des douanes » : la disposition ne prend certes pas expressément parti, au fond, sur la nature de l'amende et de la confiscation, mais sous-entend bien, en se référant au régime des poursuites porté au code des douanes, que c'est normalement à l'Administration des douanes d'agir en la matière, au moyen de l'action fiscale.
Notes
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[1]
LPF, art. L. 64 : « Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ».
-
[2]
V. par ex. Crim., 19 oct. 1987, n° 05-94.605, Bull. crim. 1987, n° 353.
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[3]
V. par ex. Crim., 22 oct. 2008, n° 07-88.134, Bull. crim. 2008, n° 214.
-
[4]
Selon l'auteur du pourvoi, renseigné par l'arrêt Ravon cité plus bas, les opérations, mises en œuvre en 2006, auraient violé l'art. 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme faute de fournir, à l'époque, les garanties imposées par ce texte.
-
[5]
CEDH, 3e sect., 21 févr. 2008, n° 18497/03, Ravon c/ France, D. 2008. 1054 ; Rev. sociétés 2008. 658, note B. Bouloc ; RSC 2008. 598, note H. Matsopoulou ; Dr. fisc. 2008, n° 12, comm. 227, note D. Ravon et Ch. Louit.
-
[6]
Com., 12 déc. 1989, n° 89-10.740, Bull. civ. 1989, IV, n° 313.
-
[7]
Com., 18 avr. 2000, n° 98-30.146.
-
[8]
En l'absence de « poursuite » ultérieure, le contribuable ne pouvait donc faire annuler les opérations.
-
[9]
Comp. CE, 9e ss-sect., 8 juill. 2011, n° 314364 ; CE, 9e et 10e ss-sect., 10 mai 2007, n° 298590, Min. de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, AJDA 2007. 2044, concl. L. Vallée.
-
[10]
Comp. Crim., 2 juin 1993, n° 92-81.648 ; Crim., 7 oct. 2009, n° 08-85.350.
-
[11]
V. not. C E, avis, 1er mars 1996, n° 174244, Egot, au Lebon et n° 174246, SARL France Finibeton.
-
[12]
V. par ex. CE, 9e et 10e ss-sect., 23 juin 2014, n° 360708, Ministre délégué chargé du budget, au Lebon.
-
[13]
Rappr. Crim., 20 févr. 1996, n° 84-16.246.
-
[14]
Com., 21 oct. 2014, n° 13-16.602, 13-16.696 et 13-16.905, D. 2014. 2172 ; ibid. 2015. 943, obs. D. Ferrier.
-
[15]
Crim., 21 sept. 2011, n° 11-90.083, QPC, RSC 2012. 594, obs. S. Detraz.
-
[16]
Crim., 17 juin 2015, n° 14-80.886.
-
[17]
V. not. CE, 10e et 9e ss-sect., 21 nov. 2012, n° 332000.
-
[18]
La jurisprudence devra préciser la portée ratione materiæ et personæ que revêt la décision (d'annulation ou non) du premier président au plan pénal (au plan fiscal : V. S. Detraz, Les conséquences fiscales de l'irrégularité des saisies opérées en application de l'article L. 16 B du LPF, Dr. fisc. 2015. 236).
-
[19]
En revanche, « l'inopposabilité des pièces et documents appréhendés à l'occasion de visites domiciliaires ne peut résulter que de l'annulation de la saisie » (Com., 11 juin 2013, n° 12-18.306 ; Crim., 11 juin 2013, n° 12-18.344).
-
[20]
Com., 15 oct. 1996, n° 94-12.383, D. 1996. 242. Adde Com., 18 janv. 2011, n° 10-15.766.
-
[21]
Comp. Com., 14 févr. 2012, n° 10-28.862, Bull. civ. IV, n° 35 ; D. 2012. 608 ; Rev. sociétés 2013. 54, note C. Lopez. Adde R. Salomon, obs. ss Crim., 5 nov. 2014, Dr. fisc. 2015. 113 : « On doit ajouter que tout tiers, à qui la visite pourrait faire grief, se voit ouvrir le droit d'en contester le déroulement ».
-
[22]
V. déjà Crim., 25 juin 2003, n° 02-83.342 ; Crim., 30 mai 1994, n° 93-81.943, Bull. crim. n° 210 ; Rev. sociétés 1995. 749, note B. Bouloc.
-
[23]
Nous appelons ainsi, par opposition au véritable procès-verbal de constatation, le procès-verbal qui se borne à relater les observations faites par un autre fonctionnaire.
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[24]
Sauf peut-être pour les infractions dont la seule peine principale est l'amende pénale (V. par ex. CGI, art. 1813).
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[25]
C'est la solution retenue en matière douanière, où le régime des poursuites est comparable (V. par ex. Crim., 24 avr. 2013, n° 12-83.602, RSC 2013. 582, obs. S. Detraz ; RTD com. 2013. 604, obs. B. Bouloc).
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[26]
Rappr. Crim., 4 mai 2006, n° 05-85.079, Bull. crim. n° 122.
-
[27]
CEDH, 4 mars 2014, n° 18640/10, 18647/10, 18663/10, 1868/10, 18698/10, Grande Stevens et a. c/ Italie, D. 2015. 1506, obs. C. Mascala ; Rev. sociétés 2014. 675, note H. Matsopoulou ; RSC 2014. 110, obs. F. Stasiak ; ibid. 2015. 169, obs. J.-P. Marguénaud ; RTD eur. 2015. 235, obs. L. d'Ambrosio et D. Vozza.
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[28]
Crim., 12 janv. 2011, n° 09-88.581.
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[29]
Crim., 4 mai 2006, n° 05-85.079, Bull. crim. n° 122.
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[30]
Cf. A. Germon, L'interdépendance entre l'action publique et l'action fiscale, AJ pénal 2015. 73.
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[31]
Le premier texte prévoit que les transferts vers un État membre de l'Union européenne ou en provenance d'un tel État de sommes, titres ou valeurs font l'objet d'une déclaration dans les conditions prévues à l'art. L. 152-1 C. mon. fin., pendant que le second punit la méconnaissance des dispositions dudit article.
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[32]
V. par ex. Crim., 27 févr. 2002, n° 01-82.619, Bull. crim. n° 50.
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[33]
Il est précisé à ce sujet qu'aucune interdiction professionnelle - qui ne pourrait être en l'occurrence qu'une sanction pénale - n'est applicable au délit dont il est question.