Notes
-
[1]
Cet article fait partie d'un ensemble de contributions à des colloques autour de la pensée de Cesare Beccaria, paru dans la RSC n° 2 de 2015, comprenant également les articles suivants :
Contributions au colloque de l'Université de Naples en l'honneur du 250e anniversaire du Traité des délits et des peines», 11 au 12 décembre 2014 :
- Le principe de nécessité. Aux frontières du droit de punir, par François Rousseau, p. 257,
- L'interprétation des lois. Beccaria et la jurisprudence moderne, par Jean-Christophe Saint-Pau, p. 272,
- Les « droits du genre humain » dans l'enquête pénale. De la vitalité du Traité des délits et des peines, par Olivier Décima, p. 287.
Contribution au colloque international « Des délits et des peines à 250 ans de la publication », à Milan, 3 octobre 2014 :
- Cesare Beccaria et la peine de la réclusion à perpétuité, par Stefano Manacorda, p. 313. -
[2]
E. Palombi, Beccaria oggi. La giustizia penale agli inizi del terzo millennio, Grimaldi, 2013 ; M. Pisani, Attualità di Cesare Beccaria, Giuffrè, 1998 ; A. Burgio, L'idea di eguaglianza tra diritto e politica nel Dei delitti e delle pene, Cesare Beccaria : la pratica dei lumi, V. Ferrone et G. Francioni (dir.), Olschki, 2000, p. 79-98 ; C. Cantù, Beccaria et le droit pénal : essai, Didot, 1885 ; M. Delmas-Marty, Le rayonnement international de la pensée de Cesare Beccaria, in ISC, Sirey, 1989, p. 65 ; G. Manuppella, Cesare Beccaria : (1738-1794) panorama bibliografico, Coimbra Editora, 1964 ; Ph. Audegean, La philosophie de Beccaria : savoir punir, savoir écrire, savoir produire, J. Vrin, 2010 ; G. Dioguardi, Attualità dell'Illuminismo milanese : Pietro Verri e Cesare Beccaria, Sellerio editore, 1998 ; M. Venturi, Settecento riformatore : 1730-1764., v. 1. Dai Muratori a Beccaria, Einaudi, 1969 ; C. Beccaria, Des Délits et des peines, R. Badinter (dir.), Flammarion, 1991 ; pour un aperçu historique, v. V. Ferrone, Storia dei diritti dell'uomo. L'illuminismo e la costruzione del linguaggio politico dei moderni, Laterza, 2014 ; pour un aperçu sur de la remise en cause de l'attribution de l'œuvre à Beccaria, v. le remarquable article de E. Palombi, Luci e ombre sulla paternità'dell'opera « Dei delitti e delle pene », in L'Esopo, 1999, n° 79-80 ; Toutes les traductions de l'italien au français ont été faites par l'auteur.
-
[3]
C. Beccaria, Des délits et des peines, RPPB, 2014, p. 39.
-
[4]
Au sein de l'Académie se réunissait le groupe d'intellectuels milanais précurseurs des idées politiques et juridiques du droit pénal moderne.
-
[5]
C. Beccaria, Des délits et des peines, op. cit., p. 58.
-
[6]
Ibid., p. 59.
-
[7]
Ibid., p. 61 ; v. E. Palombi, Luci e ombre sulla paternità'dell'opera « Dei delitti e delle pene », op. cit., p. 79 ; Bien que méfiant quant à la paternité de l'œuvre, l'auteur reconnaît qu'elle s'inscrit dans l'élaboration historico-idéologique des Lumières de codification de l'ordre pénal et de création des garanties procédurales légalement et rationnellement établies : « Le processus de codification visait à limiter l'interprétation arbitraire, tandis qu'à son tour, la loi devait être appliquée mécaniquement, parce que chaque recherche sur son esprit permettait la manipulation de l'ordre législatif, en transformant chaque juge en substitut de l'Assemblée législative ».
-
[8]
Une confirmation ultérieure de l'enracinement des idées de Beccaria peut être retracée dans la pensée de Pietro Verri. Ainsi, dans Sur l'interprétation de lois (v. Le Café, ENS, 2013, V.), les idées juridiques des Lumières recevaient une nouvelle systématisation. En particulier, il met l'accent sur la nécessité de distinguer la figure du législateur de celle du juge, clair témoignage de l'influence exercée par l'« Esprit de lois » de Montesquieu et par le contractualisme de Jean-Jacques Rousseau.
-
[9]
À ce sujet, v. V. Frosini, La lettera e lo spirito della legge, Giuffrè, 1993 ; A. Coulibaly, L'interprétation dans le droit : essai et rationalité juridique, thèse Toulouse I, 1992 ; Ch. Grzegorczyk, Le droit comme interprétation officielle de la réalité, in Droits, n° 11, 1990, p. 31-34.
-
[10]
F. Viganò, Convenzione europea dei diritti dell'uomo e resistenze nazionalistiche : Corte costituzionale italiana e Corte di Strasburgo tra “guerra” e “dialogo”, in Diritto penale contemporaneo, 14 juill. 2014, p. 169.
-
[11]
Il nous semble important de souligner qu'en relation à l'équilibre des principes et des libertés fondamentales, les Cours constitutionnelles font souvent prévaloir les principes liés à l'intérêt général, tandis que la jurisprudence internationale - et notamment la CEDH - privilégie constamment les intérêts liés à la liberté et aux garanties individuelles ; par exemple, v. CEDH, Maggio contre Italie, sent. 31 mai 2011 (ric. n° 46286/09 e. a.). Dans cet arrêt la CEDH privilégie très explicitement les intérêts individuels pour des droits déjà acquis (violation du procès équitable - art. 6 de la Conv. EDH) sur l'intérêt général.
-
[12]
V. Rapone, Diritto e argomentazione : Alexy lettore di Radbruch, in Filosofia dei Diritti Umani, n° 39, Semeja Editore, p. 30-41. Selon l'auteur, la théorie neo-constitutionnaliste, qui est à la base de l'affirmation des droits fondamentaux affirmés par les conventions et les Cours supranationales, tend à soumettre le système juridique à un certain nombre de droits fondamentaux, dont l'adjectivation « Fondamentaux » est révélatrice de toute son ambiguïté, en renvoyant à une dimension floue du système juridique.
-
[13]
G. Bongiovanni, R. Alexy e il costituzionalismo, in La filosofia del diritto costituzionale e i problemi del liberalismo contemporaneo : seminario avanzato, CLUEB 1998. 29-50, texte consultable in www.cirfid.unibo.it ; Dans cette perspective, l'obligation du juge ne réside pas seulement dans la soumission de ses décisions à la loi, mais aussi au droit ; en interprétant le droit comme quelque chose qui se rapporte directement à la protection des valeurs constitutionnelles, qui est inscrit dans la loi mais qui est quelque chose de plus que la loi.
-
[14]
C. Schmitt, « La tirannia dei valori », in Rivista di diritto pubblico, I, 1970, p. 16-28.
-
[15]
S. Manacorda, Dalle carte dei diritti a un diritto penale « à la carte » ? Note a margine delle sentenze Fransson e Melloni della Corte di Giustizia, in Diritto penale contemporaneo, n° 1, 2013, p. 248.
-
[16]
F. Viganò, Convenzione europea dei diritti dell'uomo e resistenze nazionalistiche : Corte costituzionale italiana e Corte di Strasburgo tra « guerra » e « dialogo », op. cit, p. 167-176.
-
[17]
V. A. Cardone, La tutela multilivello dei diritti fondamentali, Giuffré, 2014.
-
[18]
V. A. Cavanna, Storia del diritto moderno in Europa. Le fonti éd. il pensiero giuridico, Giuffré, 1982, p. 312.
-
[19]
V. V. Malabat, Les sources du droit pénal : La loi, toute la loi, rien que la loi… Ou presque, in Revue de droit d'Assas, n° 5, févr. 2012, p. 84 : « Cette perte de monopole de la loi en tant que source de droit pénal a commencé avec la Constitution de 1958 et le partage de compétences entre les domaines législatif et réglementaire, dont les conséquences sont désormais actées aux articles 111-2 et 111-3 du code pénal. En admettant en effet que le règlement puisse définir une infraction pénale, même de faible gravité, la Constitution ouvrait une brèche dans le principe de légalité entendu dans son sens formel qui réserve à la loi la compétence en matière pénale pour éviter que le droit de punir ne soit laissé à l'arbitraire de quelques-uns, qu'il s'agisse de celui des juges ou des gouvernants ».
-
[20]
Ibid., p. 86.
-
[21]
G. Stea, L'offensività europea come criterio di proporzione dell'opzione penale, in Archivio penale, n° 3, 2013, p. 903-935.
-
[22]
J. Monnet, Washington, 30 avr. 1952.
-
[23]
V. V. Malabat, Droit pénal et droits fondamentaux, in Dr. pénal, n° 9, sept. 2011. Repère 8 : « Dans ce nouveau contexte (après la II guerre mondiale), les droits fondamentaux assurent moins la suprématie de la loi sur le juge que la suprématie des droits des individus […]. Limite et mesure du pouvoir de punir, les droits fondamentaux impliquent donc un contrôle du droit pénal ».
-
[24]
Dans l'arrêt n° 264/2012/Cost. - par ex. - de la Cour constitutionnelle italienne, la querelle concernait une interprétation authentique de la loi qui a été conçue pour corriger - dans une version moins favorable pour les recourants - une jurisprudence concernant les règles pour déterminer les pensions des travailleurs qui avaient payé leurs contributions à l'étranger. Saisie un premier temps, sur la légitimité constitutionnelle de la disposition, la Cour a déclaré que la question n'était pas fondée, (décis. n° 172/2008/Cost.). Selon les principes contenus dans les articles 3, 35 et 38 de la Constitution italienne. Dans un jugement précédent la Cour de Strasbourg (Corte EDU, Maggio c/ Italia, sent. 31 maggio 2011 - ric. n° 46286/09 e. a.) avait déjà déclaré - sur l'interprétation authentique effectué par la Cour Constitutionnelle - que cette dernière interfère, avec son effet rétroactif, sur des droits déjà acquis et sur des positions juridiques légitimes des requérants. C'est pourquoi la décision de la Cour constitutionnelle italienne serait contraire aux obligations imposées à l'État en vertu de l'art. 6 de la CEDH. La Cour constitutionnelle, tout en respectant l'interprétation donnée par la Cour européenne, a répondu que la question n'était pas fondée, refusant ainsi l'obéissance à la décision strasbourgeoise. Ce refus était fondé sur la base d'une appréciation différente des intérêts généraux prééminents (principe d'égalité entre les contribuables) qui, dans ce cas, justifieraient l'utilisation de la technique de l'interprétation authentique de la loi par le législateur, et donc même les effets rétroactifs sur les procès en cours dénoncés par la Cour de Strasbourg.
-
[25]
Pour de plus amples développements, v. G. Giudicelli-Delage, Les eaux troubles du droit pénal de l'Union européenne, in APD, t. 53, Dalloz, 2010, p. 130 ; du même auteur, v. L'espace pénal européen au sein de l'Union européenne - Synthèse, D. Zerouki-Cottin (dir.), in L'espace pénal européen : à la croisée des chemins ?, La Charte, 2013, p. 105.
-
[26]
J. Pradel et G. Corstens, Droit pénal européen, Dalloz, 2009, p. 3.
-
[27]
Art. 82 § 1 et 2 TFUE.
-
[28]
Dans cette perspective, v. spécialement D. Zerouki-Cottin, La directive : nouvelle loi pénale ?, in L'espace pénal européen : à la croisée des chemins ?, D. Zerouki-Cottin (dir.), La Charte, 2013, p. 73 s.
-
[29]
Ibid., p. 75 s.
-
[30]
V. Th. Cassuto, Une Europe, deux lois pénales, Bruylant, 2012.
-
[31]
Dans l'arrêt Intertanko était établi que les directives doivent respecter le principe de légalité des délits et des peines ; CJCE, gr. ch., 3 juin 2008, aff. C-306/08 R, Intertanko, Rec. I-4057.
-
[32]
v. CJCE 8 oct. 1987, aff. 80/86, Procédure pénale c/ Kolpinghuis, Rec., p. 3969 ; v. aussi CJCE (Grande chambre), 16 juin 2005, Pupino, aff. C-105/03, R., p. I-05825.
-
[33]
CEDH, 22 nov. 1995, n° 20166/92, S.W. et C.R. c/ Royaume-Uni, AJDA 1996. 445, note J.-P. Costa ; RSC 1996. 473, obs. R. Koering-Joulin, consid. 36.
-
[34]
V. introduction de Ph. Audegean in C. Beccaria, Des délits et des peines, ENS Éditions, 2009, § III.
-
[35]
D. Zerouki-Cottin, La directive : nouvelle loi pénale ?, op. cit., p. 83.
-
[36]
Ibid., p. 83 s.
-
[37]
X. Pin, Les enjeux de l'harmonisation pénale, in L'espace pénal européen : à la croisée des chemins ?, D. Zerouki-Cottin (dir.), La Charte, 2013, p. 89 s.
-
[38]
J.-C. Zarka, Les institutions de l'Union européenne, Gualino éd., 1998, 2e éd., p. 68-69 ; v. CJCE, 15 janv. 2002, aff. C-439/99, Commission c/ Italie, RTD eur. 2003. 489, chron. C. Prieto, organisation de foires ; CJCE, 6 mars 2003, n° C-478/01, Commission c/ Luxembourg, RTD eur. 2003. 489, chron. C. Prieto, mandataires en brevets.
-
[39]
S. Manacorda, Dalle carte dei diritti a un diritto penale « à la carte » ? Note a margine delle sentenze Fransson e Melloni della Corte di Giustizia, op. cit., p. 246.
-
[40]
C. Schmitt, Risposte a Norimberga, H. Quaritsch (dir.), Laterza, 2006.
-
[41]
V. Malabat, Les sources du droit pénal : La loi, toute la loi, rien que la loi… Ou presque, op. cit., p. 86.
-
[42]
TFUE, art. 6, § 2.
-
[43]
J.-L. Sauron, Procédures devant les juridictions de l'Union européenne et devant la CEDH, Gualino, 2014, p. 339.
-
[44]
Ibid., p. 340.
-
[45]
Cort. cost. it. n° 87 et n° 88, 12 avr. 2012.
-
[46]
À ce sujet, v., F. Viganò, Convenzione europea dei diritti dell'Uomo resistenze nazionalistiche : tra « guerra » e « dialogo », . op. cit., p. 168.
-
[47]
Cort. cost. it., n° 264, 2 mai 2012.
-
[48]
CEDH, Maggio c/ Italie, arrêt 31 maggio 2011 (ric. n° 46286/09).
-
[49]
V. CEDH, 15 avr. 2014, n° 21838/10, Stefanetti c/ Italie, dans cet arrêt la Cour de Strasbourg affirme : « contrary to the case-law of the Italian Constitutional Court, there existed n° compelling general interest reasons justifying a retrospective application of the Law n°. 296/2006, which was not an authentic interpretation of the original law and was therefore unforeseeable » (§ 67) ; v. aussi, CEDH, 7 juin 2011 n° 43549/08e a., Agrati c/ Italie, § 62.
-
[50]
CJUE, 26 févr. 2013, aff. C-399/11, Stefano Melloni c/ Ministerio Fiscal, AJDA 2013. 1154, chron. M. Aubert, E. Broussy et H. Cassagnabère ; D. 2013. 711 ; AJ pénal 2013. 350, obs. J. Lelieur ; Constitutions 2013. 184, obs. A. Levade ; RTD eur. 2013. 267, note D. Ritleng ; ibid. 812, chron. P. Beauvais ; ibid. 2015. 166, obs. F. Benoit-Rohmer ; ibid. 235, obs. L. d'Ambrosio et D. Vozza ; RMCUE 2015. 277, étude D. Ritleng ; v. F. Gazin, Mandat d'arrêt européen, Europe 2013, comm. 166.
-
[51]
Art. 53 : « Rien dans la présente Charte ne doit être interprété comme limitant ou affectant négativement les droits humains et libertés fondamentales reconnues […] dans les constitutions des États membres ».
-
[52]
F. Viganò, Convenzione europea dei diritti dell'uomo e resistenze nazionalistiche : Corte costituzionale italiana e Corte di Strasburgo tra « guerra » e « dialogo », op. cit., p. 173.
-
[53]
F. Viganò, Fonti europee e ordinamento italiano, op. cit., p. 168 ; L. Burgorgue-Larsen (dir.), La France face à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, Bruylant, 2005 ; Id., La « force de l'évocation » ou le fabuleux destin de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, in L'équilibre des pouvoirs et l'esprit des institutions. Mélanges en l'honneur de Pierre Pactet, Pedone, 2004, 77-104 ; Id., Ombres et lumières de la constitutionnalisation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, in Cahiers de droit européen, 2004, 863-890 ; Id., L'apparition de la Charte des droits fondamentaux dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés, in note ss Parlement c/ Conseil, 27 juin 2006, AJDA 2006. 2286 ; S. Iglesias Sánchez, The Court and The Charter : The Impact Of The Entry Into Force Of The Lisbon Treaty On The Ecj's Approach To Fundamental Rights, in Common Market Law Review, 2012, p. 1565.
-
[54]
On peut rappeler à cet égard les propos du Professeur Guy Carcassonne (Auditions devant la Commission des lois de l'Assemblée nationale, in Rapport n° 1898, CR n° 63.) : « Oui, bien sûr, la priorité de la question de constitutionnalité sur la question de conventionnalité est une nécessité. La première raison en est que, faute de cette priorité, l'article 61-1 serait mort-né. […] Parmi les partisans de la nouvelle disposition constitutionnelle, on s'est d'abord inquiété que le filtre ne devînt pas un bouchon ; et on a découvert un autre risque, celui que le bouchon laisse la place à un canal de dérivation, détournant vers le contrôle de conventionnalité tout ce qui, en bonne logique, devrait relever du contrôle de constitutionnalité, lequel n'aurait alors plus aucun sens ». Sur l'analyse comparative des notions de question préalable, préjudicielle et prioritaire, v. H. Labayle, Question préjudicielle et question prioritaire de constitutionnalité : ordonner le dialogue des juges ?, RFDA 2010. 659 ; pour une idée générale sur ce sujet, v. G. Drago, Contentieux constitutionnel français, PUF, 2011 ; Id., La justice pénale entre Cour Européenne des Droits de l'Homme et Conseil constitutionnel, S. Guinchard et J. Buisson (dir.), in Les transformations de la justice pénale, cycle de conférences 2013 à la Cour de cassation, D. 2014. 31 s. ; pour une présentation sur l'importance de la QPC en matière pénale, v. E. Verny, Les premières applications de la question prioritaire de constitutionnalité en matière pénale, RPDP 2010. 277.
-
[55]
CJUE, 9 mars 1978, aff. 106/77, Simmenthal.
-
[56]
Cons. const., 12 mai 2010, n° 2010-605 DC, AJDA 2010. 1048 ; D. 2010. 1321, note A. Levade ; ibid. 1229, chron. P. Fombeur ; ibid. 1234, chron. P. Cassia et E. Saulnier-Cassia ; ibid. 1495, chron. V. Lasserre-Kiesow et P. Le More ; RFDA 2010. 458, note P. Gaïa ; Constitutions 2010. 363, obs. A.-M. Le Pourhiet ; ibid. 387, obs. A. Levade ; Rev. crit. DIP 2011. 1, étude D. Simon ; RTD civ. 2010. 499, obs. P. Deumier.
-
[57]
Ibid., p. 18.
-
[58]
CJUE, 22 juin 2010, aff. C-188/10 et C-189/10, Melki, Abdeli, AJDA 2010. 1231 ; ibid. 1578, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; D. 2010. 1719, obs. S. Lavric ; ibid. 1545, édito. F. Rome ; ibid. 1640, chron. F. Donnat ; ibid. 2524, point de vue J. Roux ; ibid. 2012. 390, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; AJ pénal 2010. 343, obs. J.-B. Perrier ; RFDA 2010. 458, note P. Gaïa ; Constitutions 2010. 392, obs. A. Levade ; ibid. 519, obs. A. Levade et E. Saulnier-Cassia ; Rev. crit. DIP 2011. 1, étude D. Simon ; RSC 2010. 709, chron. L. Idot ; RTD civ. 2010. 499, obs. P. Deumier ; RTD eur. 2010. 577, étude J. Dutheil de La Rochère ; ibid. 588, étude D. Sarmiento ; ibid. 599, chron. L. Coutron, p. 57.
-
[59]
Une conception du juge pénal français difficilement conciliable avec celle de la Cour Européenne des Droits de l'Homme. En effet, la CEDH a considéré que les membres du parquet ne sont pas des magistrats au sens de la Convention, qu'ils ne relèvent donc pas de l'autorité judiciaire et qu'ils ne peuvent cumuler des fonctions de poursuite et de garants des libertés (CEDH, 23 nov. 2010, n° 37104/06, Moulin c/ France, AJDA 2011. 889, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2011. 338, obs. S. Lavric, note J. Pradel ; ibid. 2010. 2761, édito. F. Rome ; ibid. 2011. 26, point de vue F. Fourment ; ibid. 277, note J.-F. Renucci ; RFDA 2011. 987, chron. H. Labayle et F. Sudre ; RSC 2011. 208, obs. D. Roets). Le Conseil constitutionnel réaffirme que les magistrats du parquet comme les magistrats du siège appartiennent à l'autorité judiciaire et que la protection de la liberté individuelle relève de leur mission (Cons. const., 17 déc. 2010, n° 2010-80 QPC, D. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; Constitutions 2011. 525, obs. E. Daoud et A. Talbot ; RSC 2011. 193, chron. C. Lazerges).
-
[60]
V. H. Labayle, Le Conseil constitutionnel, le mandat d'arrêt européen et le renvoi préjudiciel à la Cour de justice, RFDA 2013. 461 ; v. aussi J. Roux, Premier renvoi préjudiciel du Conseil constitutionnel à la Cour de justice et conjonction de dialogues des juges autour du mandat d'arrêt européen, RTD eur. 2013. 531.
-
[61]
Art. 27 § 2 de la décision-cadre du Conseil constitutionnel 2002/584/JAI modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du 26 févr. 2009.
-
[62]
Ici les faits visés par l'extension du mandat d'arrêt européen relèvent de l'infraction selon le droit britannique et non selon le droit français.
-
[63]
Qui dispose notamment que, saisie d'une demande d'extension du mandat d'arrêt européen, « la Chambre de l'instruction statue sans recours » ; v. J.-C. Bonichot, Le Conseil constitutionnel, la Cour de justice et le mandat d'arrêt européen, D. 2013. 1805.
-
[64]
V. J. Roux, Premier renvoi préjudiciel du Conseil constitutionnel à la Cour de justice et conjonction de dialogues des juges autour du mandat d'arrêt européen, op. cit., p. 531 s. ; H. Labayle, Le Conseil constitutionnel, le mandat d'arrêt européen et le renvoi préjudiciel à la Cour de justice, op. cit, p. 461 s.
-
[65]
v. J.-Ch. Saint-Pau, L'entraide judiciaire internationale et européenne, Dr. pénal 2004. Étude 9 ; D. Zerouki-Cottin, Chronique de droit pénal de l'Union européenne, RIDP 2012. 3/4, p. 521 ; v. aussi L. Desessard, Le contrôle des demandes d'entraide judiciaire et de leur exécution, Rev. pénit. 2003. 573-581.
-
[66]
S. Manacorda, Dalle carte dei diritti a un diritto penale « à la carte » ? Note a margine delle sentenze Fransson e Melloni della Corte di Giustizia », op. cit., p. 248.
« Il n'y a pas de justice, il n'y a que des jugements ».
Introduction
11. Dans son traité « Des délits et des peines » [2], Beccaria écrit avec un esprit critique à l'égard du système de justice pénale prérévolutionnaire, fondé sur la « tradition d'opinions qui, dans une grande partie de l'Europe, a encore aujourd'hui le nom de lois » [3]. Telle était la condamnation prononcée contre le modèle national de justice pénale européenne de l'époque. Condamnation qui - grâce à l'important travail de C. Beccaria - a fait écho au contexte intellectuel lié à l'«'Académiadei pugni » [4]. La rationalité juridique moderne avait opposé à l'arbitraire du pouvoir traditionnel « un code fixe de lois, devant être observées à la lettre » [5]. Quant à la clarté de la loi pénale, elle doit s'opposer à l'obscurité [6] : « Si l'interprétation de lois est un mal, il est évident que leur obscurité, qui entraîne nécessairement l'interprétation, en est un autre » [7]. Cette affirmation va bien au-delà d'une simple invitation du législateur à rédiger des lois pénales suffisamment claires. Plus important encore était la nécessité de précision, conçue comme la prévisibilité du comportement punissable sur la base d'un ordre pénal doté de précision légale [8].
22. Sur les fondements de ces principes modernes, le système européen contemporain de justice pénale - bien qu'il reconnaisse la nécessité de la médiation interprétative du juge [9] - devrait s'inscrire dans un périmètre législatif précis et cohérent, dont la clarté vise à la légalité des comportements sociaux. La légalité, selon la vision de dérivation utilitariste beccarienne, devrait permettre de déterminer précisément les attributs du comportement légal des acteurs sociaux.
33. À cet égard, le principe de légalité en Europe est - surtout à partir d'une affirmation incontestable de la jurisprudence de la CEDH et de la CJUE sur les jurisprudences nationales - un véritable nœud gordien. Alors que certains auteurs appellent à la modération, d'autres ont déjà suggéré de le trancher nettement, en confiant l'équilibre des droits, même constitutionnels, aux juridictions et aux sources européennes [10]. La difficulté consiste précisément dans la perte conséquente de clarté que comporte le rôle excessivement tranchant de l'interprète [11].
44. La distinction fondamentale entre le constitutionnalisme national et le légalisme de l'ordre juridique supranational [12] se réfère au débat sur les droits fondamentaux. Ces valeurs de dérivation moderne avaient acquis, avec la constitutionnalisation, une dimension matérielle et objective : « ce qui signifie, d'abord, que ces valeurs sont indépendantes de la volonté changeante des majorités politiques ; d'autre part, que, par la supériorité de leur rang, leur tutelle dépend également de la compétence des juridictions ordinaires, au-delà de la lettre de la loi » [13].
55. Les théories qui s'opposent à la multiplication des chartes des valeurs ont adressé plusieurs objections à cette interprétation de la Constitution et des droits. Tout d'abord, à partir de la célèbre analyse schmittienne sur la « Tyrannie des valeurs » : « la référence aux valeurs dans l'interprétation de la loi conduit à la négation de leur pluralisme » [14] car elle contribuerait à la formation de « hiérarchie des valeurs » suite à la constatation de leur incompatibilité et de leur obscurité interprétative. L'appel aux valeurs fondamentales, de cette manière, s'avérerait incompatible avec le pluralisme.
66. À cet égard, la prolifération des chartes des droits fondamentaux, en absence d'une structure hiérarchique et en raison d'un polycentrisme normatif désormais affirmé, donne lieu à une incertitude juridique qui peut entraîner des lectures très différentes des faits soumis à la loi pénale. Nombreux sont ceux qui voient dans cette prolifération une augmentation des garanties individuelles, résultant de la concurrence et de la coexistence de systèmes autonomes et intégrés. Néanmoins, il reste indéniable que le chevauchement des textes donne vie à un certain désarroi de l'interprète de la norme. La multiplicité normative, en combinaison avec la multiplication des différentes juridictions, « est susceptible d'entraîner une confusion législative annonciatrice d'incertitude juridique » [15].
77. Des nombreux facteurs de confusion peuvent témoigner de ce phénomène. Le plus grave est représenté par une véritable absence, au niveau européen, de perspectives de systèmes qui puissent ramener à l'unité, ou au moins à la cohérence des disciplines normatives privées d'une coordination efficace. En outre, il convient de souligner l'existence d'une série inquiétante de décisions des tribunaux des États membres qui importent les décisions de la CEDH, en essayant de les adapter au cadre juridique national, à travers des opérations interprétatives douteuses et dépourvues de toute cohérence juridique. Le risque d'affaiblir la prévisibilité de la réponse du droit pénal est tout simplement l'un des maux majeurs du système juridique contre lequel Beccaria et les juristes des Lumières ont combattu [16].
88. Face à une jurisprudence et à un droit pénal européen de plus en plus interventionniste en matière pénale, le dilemme essentiel ne peut être que le suivant : comment réagir face à ce processus de protection multiniveaux [17] des Droits de l'Homme au détriment de la légalité criminelle ? Le favoriser avec enthousiasme, s'y opposer avec force, ou encore, prendre une position modérée d'attente d'un auto-rééquilibrage du système ? Afin de donner une réponse à cette question, il sera important d'analyser le système de protection multiniveaux des droits et des garanties pénales sous l'angle de l'obscurité des sources du droit européen (I) ; pour ensuite, tout en admettant sa supériorité, affirmer la nécessité de reconduire ce système à l'univocité légale (II).
I - L'obscurité des sources
A - L'incertitude juridique dans le système multiniveaux de protection des droits et libertés
99. La tendance à limiter le pouvoir judiciaire à un rôle secondaire, face à la suprématie du pouvoir législatif, trouve ses origines au siècle des Lumières. De même, la formation de la première branche de l'administration publique, des fonctionnaires et des juges, de leur organisation hiérarchique, de leur sélection par voie de concours et de l'attribution de la fonction unique d'interpréter la loi, ou encore de subsumer le fait concret dans la loi, seule source du droit pénal en raison de la légitimité du législateur, représentant de la volonté générale [18]. L'expression source du droit pénal « désigne tout d'abord les normes qui ont compétence pour porter des incriminations pénales, définir et encadrer les règles du procès pénal - à savoir la loi et le règlement depuis le partage de compétence opéré par la Constitution de 1958 - et qui seront appliquées à cette fin par le juge pénal français » [19]. Avec l'avènement de la Constitution républicaine [20], le rôle des tribunaux ordinaires change, car il était prévu une limite aux pouvoirs du législateur quant à la production des lois régissant les relations entre citoyens et entre les citoyens et l'État, limites qui étaient fixées par la Constitution, dont le respect était assuré par le contrôle des juges ordinaires ainsi que par la Cour constitutionnelle. Le constitutionnalisme exige, par conséquent, une soumission de l'Assemblée législative à la norme fondamentale et impose également au juge d'interpréter la loi conformément aux principes constitutionnels [21]. De là, la pureté de la légalité, fondée sur la clarté et sur la prévisibilité, commence à vaciller en raison, d'une part, de la grande généralité des droits constitutionnels ; d'autre part, de la soumission des lois ordinaires au contrôle de constitutionnalité. C'est ainsi que le droit pénal ne trouve plus dans la loi sa seule source légitime.
1010. À ces sources internes et positives nous pouvons désormais ajouter les sources dérivant des conventions internationales, spécialement les sources de l'Union européenne, qui vont peser sur la production ou l'application de la loi pénale en déterminant le contenu de la norme élaborée par le Parlement ou en permettant la non-application de la norme pénale contraire au texte européen. De nouvelles sources du droit pénal entrent sur la scène juridique nationale : les normes du Conseil de l'Europe et de l'Union européenne, les conventions internationales, les Traités de l'Union européenne et le bloc de constitutionnalité. Le déclin de la clarté de la loi pénale se manifeste tout d'abord par la perte de monopole du législateur dans la création des incriminations ce qui a ramené à la multiplication des sources. Le domaine réservé à la loi s'est donc réduit et la loi comme source du droit pénal est de plus en plus concurrencée par les règlements disciplinant les secteurs techniques, et par la production de droit - moins démocratisé et moins précis - par les institutions européennes.
1111. « Nous ne coalisons pas des États, nous unissons des hommes » [22]. Par cette affirmation emblématique de Jean Monnet, se dégage tout le sens de l'actuelle consécration du droit européen à la multiplicité des sources juridiques. L'expression « unir les Hommes », selon le langage communautaire, veut dire leur donner une attention juridique particulière en les individualisant par le biais de l'affirmation des Droits de l'Homme [23]. C'est donc déjà au début de l'aventure européenne que s'était dessiné le développement particulier de la technique juridique de l'Union autour de l'individu. Le cumul des sources interroge en ce qu'il pourrait d'abord faire douter de leur réelle compatibilité. Pourquoi en effet cumuler ces sources si celle qui est exercée en premier est efficace ? C'est également ensuite la question de la légitimité de ces sources qui peut être soulevée. Ce point est ainsi souvent évoqué par les Conseils constitutionnels lorsqu'il s'agit de soumettre l'application du droit pénal à l'équilibre constitutionnelle entre droits, garanties individuelles et principes d'intérêt général. En effet, ces derniers semblent être complètement ignorés par les textes et les juridictions supranationales [24]. Ensuite, la diversité des sources se traduit dans une multiplicité de contrôles : CEDH, CJUE, Cour constitutionnelles, juridictions internes. Cette coexistence d'institutions gardiennes, qui trop souvent donne vie à une superposition d'interprétations incompatibles, contribue aussi à l'obscurité de la loi pénale.
1212. Cette multiplicité de sources et de juridictions ne saurait intégrer des lois claires, précises et légitimes, car les institutions qui doivent les adopter et appliquer sont l'expression de souverainetés différentes, soit sur le plan horizontal (État-État) soit sur le plan vertical (État-Union). C'est pourquoi les normes sont d'une grande imprécision et expriment des droits plutôt que des lois. L'obscurité des lois rend les normes plus souples et donc plus adaptées à l'harmonisation juridique : le ratio de l'imprécision des normes européennes réside précisément dans la nécessité de l'harmonisation. Un droit pénal européen soumis à la nécessité de l'harmonisation est forcément un droit pénal peu précis, obscur, car il devra se prêter à une application diffusée à plusieurs systèmes juridiques. Bien qu'il ne faille pas nier les effets positifs d'élargissements des garanties pour les citoyens de l'Union, il ne faudrait pas non plus baisser la garde pour un excès d'enthousiasme - comme le fait la doctrine majoritaire - en arrivant à affirmer que « les spécialistes du droit pénal doivent aussi faire en quelque sorte le deuil d'une conception du droit pénal où règnent complétude et cohérence qui pouvait être l'idéal des systèmes nationaux, mais ne peut plus être celui d'un droit harmonisé [25] ». Le fait que le système juridique européen, dans le sillage des changements institutionnels et politiques, est contraint à la flexibilité applicative, et donc à l'imprécision ne doit pas conduire à penser que cette flexibilité est un effet positif. En outre se pose la question du rôle que devrait jouer le juriste, et surtout la doctrine pénale, sinon celui d'essayer d'accompagner le système pénal européen dans ce moment d'incertitude juridique, vers un ordre plus cohérent et à une rationalisation, en renversant la multiplicité de sources pénales à l'univocité.
B - Les interrogations de la directive européenne comme loi pénale
1313. Est incontestable la conviction de la doctrine majoritaire selon laquelle le droit pénal est la seule branche du droit privé qui pose la souveraineté comme critère fondamental. Jean Pradel et Geert Corstens affirment qu'exercer la justice pénale « est un attribut de la souveraineté comme la gestion d'une politique étrangère ou le fait de battre monnaie » [26]. Par ailleurs, il convient de souligner qu'en dépit de la nécessité de souveraineté représentative, l'Union se propose de constituer une politique pénale européenne qui dépasse le cadre de la coopération pour en faire « l'instrument d'affirmation de l'identité européenne » [27]. Il faudrait se questionner sur la qualité des instruments législatifs utilisés par l'Union en matière d'harmonisation pénale. L'intérêt de cette question est majeur, car détecter une forme législative européenne capable de donner légitimité au droit pénal européen, pourrait rendre plus acceptable le désordre engendré par les multiplicités des sources [28]. De surcroît, « une loi européenne » pourrait laisser entrevoir une progression dans l'avenir du droit pénal européen vers le respect du principe de légalité de ses sources. En droit pénal substantiel, la compétence pénale est inscrite à l'article 83 du TFUE. L'instrument destiné à réaliser l'harmonisation, et à mettre en œuvre la nouvelle compétence pénale de l'Union, est la directive, adopté selon la forme législative ordinaire. La question qui se pose est alors la suivante : consacrée à développer une compétence pénale aux contours flous et à se diriger vers l'uniformité des sources, la directive serait-elle devenue la loi pénale européenne ?
1414. Selon un auteur [29], la question reviendrait tout simplement à transposer une analyse de droit interne aux États, à la construction juridique particulière mise en place par l'Union européenne à travers l'harmonisation des droits nationaux. En d'autres termes, l'auteur, qui fait écho à la plupart de ceux qui en France se sont occupés de droit pénal européen, considère comme restrictif de s'interroger sur le fait de savoir si la directive tient lieu de loi dans l'ordre juridique de l'Union. Cette méfiance pour la légalité pénale, encore une fois manifestée avec enthousiasme pour faire place au droit de l'Union, se fonde sur un préconcept qui affirme que le principe de légalité ne tiendrait pas compte de la spécificité du droit pénal européen [30]. Encore une fois, le risque est que les pénalistes, afin d'accueillir avec faveur - ce qui est tout à fait positif - l'influence du droit pénal européen, oublient la nécessité du respect des qualités de légitimité et de prévisibilité de la loi pénale. Il faudrait alors se demander si, du pouvoir de punir de l'Union encore en phase de consolidation, émerge un véritable droit de punir.
1515. Avec le Traité de Lisbonne, la directive devient source d'incrimination, et pour cela elle devrait a priori présenter le caractère de la prévisibilité. Cependant, la directive présente une nature hybride à cause de son caractère indirect. En fait, elle a vocation à être transposée et ne représente qu'un degré intermédiaire du droit communautaire, qui nécessite l'intervention du législateur national ; ce qui fait de l'incrimination pénale le résultat de la stratification entre éléments nationaux et européens. Le respect du principe de légalité impose que la directive, au-delà des différentes applications au niveau national, respecte elle aussi le principe de légalité criminelle [31]. La directive peut effectivement prévoir de véritables incriminations pénales, définies dans leurs éléments constitutifs. Toutefois la marge de manœuvre accordée aux États dans l'opération de transposition, oblige à assouplir la précision, et donc la prévisibilité, de la directive. Les rapports entre l'harmonisation du droit pénal européen et la précision des directives sont inversement proportionnels. Par ailleurs, la divergence entre ce qui est décidé à l'échelon national et ce qui est dicté par la directive peut être très large. Puisqu'en droit pénal le principe de l'interprétation stricte doit l'emporter, il ne faudrait pas négliger son respect en cas d'interprétation favorable au droit pénal européen [32]. En d'autres termes, dans ces cas le juge national doit faire prévaloir le droit national sur le droit européen. L'imprécision serait donc consubstantielle à l'harmonisation. Certains auteurs ont essayé de justifier ce fait en soutenant que l'incrimination ne se constituerait pas par la seule complémentarité de l'imprécision de la directive avec la loi nationale, mais aussi par l'interprétation de la jurisprudence luxembourgeoise. La CEDH confirme cette tendance d'intégrer la norme imprécise avec l'interprétation jurisprudentielle selon laquelle il est possible d'intégrer les normes pénales imprécises avec l'interprétation du juge lorsque le résultat est cohérent avec la substance de l'infraction [33]. Mais qui décidera de la cohérence de l'interprétation avec l'incrimination imprécise ? N'est-ce pas là exactement ce que l'on a voulu toujours éviter avec la proclamation du principe de légalité criminelle, ne pas laisser trop de discrétion au juge dans l'interprétation de la norme ?
1616. La légitimité des peines est fondée sur la notion d'intérêt général par l'Assemblée parlementaire représentant la volonté des citoyens [34]. Dans le sens formel du terme, légitimité et légalité sont indissociables, car l'un ne pourrait exister sans l'autre. Il semblerait que dans l'Union européenne l'extension de la Procédure de codécision, qui implique que le Parlement peut désormais s'opposer à un texte, rapproche la directive au modèle idéal de loi sortant d'un procès démocratique de légitimation. Une partie de la doctrine pénaliste a perçu ce renforcement de la garantie démocratique comme étant une contrepartie concédée par l'Union européenne à l'extension de ses compétences en matière pénale [35]. Cependant, le grave déficit de démocratie qui affecte le Parlement européen avec la prééminence de la fonction exécutive de la Commission rend insuffisant le fondement de légitimité de la directive en matière pénale. Selon un auteur, il faudrait réfléchir sur le fait que l'intervention de la directive en matière pénale ne se justifie que si « l'action de l'Union est plus efficace que celle des États membres (respect de la subsidiarité), si le recours au droit pénal est nécessaire et si l'intensité de la pénalisation est proportionnée au but poursuivi ». Sur un plan strictement juridique, ces différentes qualités de la directive procèdent toutes de la même matrice consistant à faire accepter la norme pénale européenne parce qu'elle demeurerait le seul choix possible. La légitimation, bien évidemment, ne peut pas être réduite à cela. Le recours à l'idée de nécessité entend légitimer la norme pénale européenne, non pas par la souveraineté du législateur représentant l'intérêt général, mais sur le fondement de la nécessité de l'intervention de la norme pénale au niveau européen afin de mettre en œuvre une politique européenne qui n'est pas réalisable avec des instruments juridiques plus doux. Ainsi, la pénalisation risque de réduire le droit pénal à un instrument accessoire de l'harmonisation. Il apparaît désormais certain qu'en l'absence de légitimité, de précision et de prévisibilité, la directive européenne ne saurait être la « loi pénale européenne » [36] ; le pénaliste a le devoir de rester vigilant.
II - La nécessité des Lumières
A - La prévalence, bien gré mal gré, de la jurisprudence de l'Union
1717. D'après nos constatations, le système juridique européen est fondé sur des normes visant, par la nécessité de l'harmonisation et par la multiplicité des sources [37], à la flexibilité applicative, et donc à l'imprécision. Pour autant, la qualité peu rassurante des directives en matière pénale n'empêche pas le fait qu'elles devront également être intégrées dans le droit pénal français. Les directives doivent être adoptées selon la voie législative ordinaire, qui n'impose pas l'unanimité des États membres, et qui, dans le cas de non-adoption, peut faire l'objet d'un recours en manquement devant la CJUE [38]. La compétence reconnue à l'Union lui permet, par le biais du règlement, de fixer les règles minimales relatives à l'incrimination et à la sanction. Des auteurs ont ainsi pu soutenir que le pouvoir d'harmonisation reconnu à l'Union est comparable à un véritable pouvoir d'incrimination [39] ; sauf à constater qu'incrimination et harmonisation sont incompatibles sous l'angle de la légalité criminelle. D'autre part, il faut souligner la perte de prééminence de la loi depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les juristes avaient estimé que la voie légale orthodoxe a été incapable d'empêcher les monstruosités des régimes totalitaires, et qui les aurait même favorisés en leur donnant un cadre juridique qui en avait légitimé la souveraineté [40]. La méfiance historique envers le principe de légalité avait ouvert la voie à l'affirmation des droits fondamentaux. Nous avons vu, comment les droits fondamentaux, sont plus souples et flous que la norme juridique ordinaire et comment, pourtant, ils se prêtent à une forte discrétion interprétative du juge ; discrétion qui est renforcée par l'imprécision et le manque de légitimité du droit européen. C'est pourquoi dans le système juridique européen multiniveaux le contrôle confié au juge est déterminant. Il donne la mesure de « combien s'est aujourd'hui inversé le rapport d'autorité qu'avaient voulu imposer les révolutionnaires entre loi et jurisprudence. Le juge se voit aujourd'hui attribuer d'autres fonctions qui lui sont imposées par les mutations subies par la loi pénale. Ces nouvelles attributions révèlent la part prééminente désormais prise par la jurisprudence parmi les sources du droit pénal » [41]. Cependant, il y a aussi des éléments positifs qu'il faut souligner. Avant d'aborder l'analyse du système juridictionnel européen de droit pénal, il convient d'évoquer un aspect nouveau et qui va peut-être dans la bonne direction de l'uniformisation du droit européen. Il s'agit de l'adhésion de l'Union européenne à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales [42] dont le Protocole n° 8 au Traité de Lisbonne fixe les conditions pour la conclusion de l'accord d'adhésion. À la suite de cette adhésion, les actes, les mesures et les omissions de l'UE pourront être soumis au contrôle de la CEDH [43]. La Commission européenne, avant lancement de la procédure de ratification au sein de l'UE, a introduit le 4 juillet 2013 une demande d'avis devant la Cour de justice en application du paragraphe 11 de l'article 218 du TFUE [44]. Une autre bonne nouvelle favorisant l'uniformisation de la matière pénale est la récente proposition de règlement relatif à la mise en place du procureur de l'UE, conformément à l'article 86 du TFUE. L'introduction de cette nouvelle institution représente une étape importante vers la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice dans le domaine pénal. La nécessité de doter l'Union d'un procureur met en évidence la possibilité de l'organisation d'un corps apte à surmonter la logique de la coopération horizontale en faveur d'une logique d'intégration verticale entre les différents domaines d'application. Le parquet européen contribuera à rendre inutiles certains rapports de coopération judiciaire pénale entre les autorités des différents États membres. Par conséquent, un pas de plus sera fait vers la centralisation des pouvoirs d'enquête sur la fraude dans un corps judiciaire européen unique pour réduire la fragmentation de l'espace européen de Justice et de protection. L'adhésion de L'UE à la Convention EDH et la création du parquet européen, sur le point d'aboutir, laissent penser à une évolution vers l'uniformisation de la matière pénale dans l'espace juridique européen et permettent d'analyser la jurisprudence sans besoin d'opérer de distinctions sur les effets que les CEDH et CJUE imposent à la clarté du droit pénal.
1818. Au-delà de ces évolutions du droit pénal européen et de sa perspective de légalité, il est important de fixer les lignes encore obscures génératrices d'incertitudes juridiques. Un élément de forte désorientation est représenté par la confusion des compétences des juridictions quant à l'interprétation des droits fondamentaux, tant ces derniers - comme on l'a déjà évoqué - sont en soi raison d'obscurité de la loi pénale par rapport à leur indétermination intrinsèque. Une des questions les plus débattues concerne le conflit d'interprétation des droits fondamentaux et de leur application en droit pénal entre Cour constitutionnelles et CEDH. La Cour constitutionnelle italienne, par exemple, a d'ailleurs déjà clairement exprimé dans les jugements jumeaux [45] de 2007 que les normes internationales qui contraignent l'État - bien qu'elles soient en mesure de restreindre la discrétion du législateur national - ne peuvent pas immuniser les normes CEDH du contrôle de constitutionnalité [46]. Le conflit a été déclenché par l'arrêt n° 264/2012. La pomme de discorde était ici l'interprétation authentique d'une loi qui visait à fixer, d'une manière moins favorable pour les personnes intéressées, une jurisprudence relative aux règles de calcul de la pension des travailleurs qui avaient payé leurs cotisations à un État étranger [47]. Saisie d'une question de constitutionnalité, la Cour constitutionnelle a déclaré, dans sa décision 172/2008, que la question n'était pas fondée en relation aux normes invoquées (art. 3, 35 et 38 Const. it.). Mais en 2011, la Cour européenne a estimé que, dans l'arrêt Maggio c/ Italie, l'application rétroactive de la norme aux procès en cours avait constitué une violation du principe du procès équitable en vertu de l'article 6 de la CEDH [48]. En outre, sur la base d'une jurisprudence affirmée - bien que n'ayant pas empêché le législateur de discipliner par de nouvelles dispositions rétroactives des droits déjà en vigueur - le juge européen souligne que les principes de l'État de droit et la notion de procès équitable de l'article 6 CEDH font obstacle, sauf pour des raisons impérieuses d'intérêt général, à l'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice. La Cour constitutionnelle, tout en acceptant l'interprétation donnée de l'article 6 de la CEDH, déclare à nouveau que la question n'est pas fondée, refusant ainsi allégeance à l'arrêt de Strasbourg. La raison est fondée sur une appréciation différente des intérêts généraux que dans ce cas, selon la Cour constitutionnelle, justifie l'utilisation de la technique de l'interprétation authentique de la loi par le législateur. Il s'agissait de déterminer qui, entre la Cour constitutionnelle et la Cour de Strasbourg, pouvait légitimement prétendre avoir le dernier mot sur le résultat de l'équilibre entre les droits fondamentaux et les intérêts en jeu. De la lecture de l'article 53 de la CEDH il est clair que les dispositions de la Convention n'empêchent pas que les États membres - à titre individuel - puissent étendre les droits fondamentaux. Le même principe est repris dans la Charte (art. 52. § 3) en ce qui concerne les relations avec la Convention [49], qui fixe une norme minimale de protection, permettant toutefois des exceptions à la hausse dans l'Union européenne. Des problèmes interprétatifs peuvent donc survenir quand l'élévation du niveau de protection d'un droit ne peut être atteinte qu'au détriment d'un autre droit.
1919. Une autre décision de grande importance pour l'ensemble de l'espace juridique européen est rendue par le Tribunal constitutionnel espagnol dans l'affaire Melloni [50]. Pour la première fois, une juridiction constitutionnelle nationale a saisi la CJUE relativement au pouvoir des États membres d'affirmer des « contre-limites » dans le domaine de la protection des droits fondamentaux, en ce qui concerne les exigences d'adaptation de la législation nationale au droit communautaire. La réponse de la Cour de Luxembourg était tranchante : dans la mesure où la législation européenne respecte les droits fondamentaux protégés par la Charte des droits fondamentaux, l'État membre ne peut refuser de se conformer aux obligations qui en découlent, même si ces exigences sont incompatibles avec les droits fondamentaux garantis par la Constitution nationale. Dans cette affaire un citoyen italien, Stefano Melloni, résidant en Espagne, a été jugé par contumace en Italie pour le délit de banqueroute frauduleuse, et a ensuite été condamné à dix ans d'emprisonnement par un arrêt de la cour de Ferrare du 21 juin 2000, confirmée par la suite par la cour d'appel, devenu définitif en 2004. Pendant toute la durée du procès, Melloni a été représenté par ses avocats de confiance. Après le jugement de condamnation, les autorités judiciaires avaient émis le mandat d'arrêt européen, puis effectivement effectué par la police espagnole en août 2008. Le 12 septembre de la même année, l'Audiencia Nacional de Madrid avait ordonné la remise de M. Melloni aux autorités italiennes pour l'exécution du jugement. Contre cette mesure, M. Melloni proposait « recurso de amparo » devant le Tribunal constitutionnel, alléguant une violation du droit à un procès équitable garanti par l'article 24, deuxième alinéa, de la Constitution espagnole. Plus précisément, le requérant a invoqué deux arrêts du Tribunal, rendus en 2000 et en 2006, dans lesquels les juges constitutionnels espagnols avaient estimé que la remise à d'autres États de personnes condamnées par contumace viole les droits de la défense reconnus par la Constitution espagnole, à moins que l'État requérant garantît, à la demande de la personne condamnée, la possibilité de révision de l'arrêt. Dans cette affaire, il était évident qu'une telle possibilité était absente dans la loi italienne, l'article 175 du code de procédure pénale italien ne permettant pas la répétition du procès du contumace qui, comme Melloni, avait été dûment informé de la procédure à sa charge, et avait exercé son droit à la défense par le biais de ses avocats de confiance. Par une ordonnance du 9 juin 2011, la Cour constitutionnelle espagnole a décidé la suspension du procès et la consultation de la Cour de justice (art. 267 TFUE), sur trois questions distinctes. En particulier, la Cour a posé la question de savoir si l'article 53 de la Charte des libertés fondamentales [51] autorise un État membre à refuser l'exécution d'un mandat d'arrêt européen contre un condamné par contumace dans le cas où l'État requérant ne garantit en aucun cas la réouverture de l'affaire, permettant ainsi à l'État membre de garantir les droits visés par les articles 47 et 48 de la Charte, à un niveau national de protection plus élevé que celui prévu au niveau européen. La réponse de la Cour de justice fut univoque : l'article 53 de la Charte des libertés fondamentales ne permet pas à un État membre de refuser d'exécuter les obligations provenant de la décision-cadre pour éviter de violer le droit à un procès équitable, tel que défini par le droit national qui - en théorie - garantit de veiller à ce droit avec un niveau de protection plus élevé que celui reconnu au niveau européen. Autrement dit, l'Espagne ne peut légitimement refuser de s'acquitter de ses obligations dérivantes du droit européen, en faisant valoir qu'une telle décision entraînerait, à son tour, la violation des droits fondamentaux de M. Melloni, reconnus par la Constitution espagnole. La mise en place éventuelle d'une contre-limite au droit européen, résultant de la nécessité de préserver le haut niveau de protection des droits à un procès équitable garanti par la loi espagnole serait donc en conflit direct avec le droit communautaire.
2020. Avec sa décision [52] la Cour constitutionnelle, en réponse à la Cour de justice, réaffirme avec force l'existence d'insurmontables contre-limites au transfert de souveraineté à l'Union européenne, sur la base de l'article 93 de la Constitution espagnole. Contre-limites qui découlent, selon la Cour (arrêt n° 1/2004), de la souveraineté de l'État, de ses structures constitutionnelles essentielles et du système de valeurs et principes consacrés dans la Constitution, entre lesquels le rôle principal [53] est attribué aux droits fondamentaux. Il appartient, en effet, en première instance à la Cour de justice de veiller à ce que la législation de l'Union respecte les droits fondamentaux établis par les traditions constitutionnelles communes aux États membres. Seulement - et au moins en dernière instance - la tâche d'assurer la suprématie des valeurs fondamentales de la Constitution espagnole revient à la Cour constitutionnelle nationale dans le cas d'un conflit entre ces valeurs et le droit de l'Union (§ 3 de la « fondamentos juridicos »). Grosso modo, la Cour adopte le discours suivant : « nous nous adaptons, mais ce n'est pas parce que vous le demandez : nous avons librement repensé à un revirement ». Une décision imposée à la Cour constitutionnelle qui s'apprête à faire couler beaucoup d'encre dans l'espace juridique européen. Non seulement la question de l'effet à la baisse de la protection centralisée des droits fondamentaux garantis par la Charte apparaît fondamentale, mais il s'agit également d'une question étroitement liée à celle des contre-limites, c'est-à-dire à la cession de la souveraineté accomplie des États membres de l'Union et qui est porteuse, elle aussi, de conflits entre juridictions relativement à l'interprétation de la loi pénale.
B - Le cas français : une solution temporaire
2121. En France, l'influence des juridictions européennes sur les sources constitutionnelles a progressivement façonné la justice pénale. Il s'agit d'une influence qui a toujours existé, mais qui s'est renforcée au fil du temps, notamment avec la question prioritaire de constitutionnalité et du contrôle de conventionalité. Au-delà des effets positifs, et eu égard aux solutions évoquées précédemment, s'impose la question de savoir si le même problème de superposition entre juridictions constitutionnelles et communautaires se présente en France. L'absence de priorité de la question de constitutionnalité aurait pu être perçue comme affectant la hiérarchie à l'avantage du texte constitutionnel [54]. Cette approche ne pouvait pas manquer de susciter des interrogations au regard du principe de primauté du droit communautaire et de la jurisprudence de la CJUE [55]. Dans deux arrêts complémentaires du 16 avril 2010 (Melki et Abdeli), réunissant des questions prioritaires de constitutionnalité transmises par un juge des libertés et de la détention, la Cour de cassation se trouve confrontée à deux questions concomitantes de compatibilité du droit communautaire et de constitutionnalité. En cas de conflit de compatibilité, la loi de la QPC impose que le juge statue en priorité sur la constitutionnalité. La Cour de cassation a considéré que la procédure prévue par la QPC l'empêche de poser la question préjudicielle à la Cour de justice, chargée d'interpréter le droit communautaire. La Cour de cassation a décidé que, si le Conseil constitutionnel était saisi préalablement et jugeait la disposition législative conforme au droit de l'Union européenne, le juge national ne pourrait plus, postérieurement à la décision du Conseil, saisir la CJUE d'une question préjudicielle, car les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent nécessairement à toutes les juridictions, conformément à l'article 62 de la Constitution. Ainsi, la Cour de cassation, selon ses obligations dérivant de l'article 267 du TFUE, faisait appel à la CJUE pour vérification de la compatibilité entre le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité et les principes juridiques de l'Union européenne. Elle avait considéré que la QPC l'empêchait de poser une question préjudicielle à la Cour de justice chargée du respect et de l'interprétation du droit communautaire. La Cour y voyait une restriction de son droit de saisine, subordonné au règlement de la constitutionnalité avant la conventionalité. À la suite des deux arrêts de la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel a pris position sur le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité au regard des exigences du renvoi préjudiciel devant la Cour de justice de l'Union européenne [56]. Le Conseil constitutionnel conclut qu'aucune des deux voies, a priori et a posteriori, ne l'autorise à exercer le contrôle de conventionalité. En tout état de cause, conclut le Conseil, « il appartient aux juridictions administratives et judiciaires d'exercer le contrôle de compatibilité de la loi au regard des engagements européens de la France et, le cas échéant, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel » [57].
2222. La Cour de justice de l'Union européenne, dans l'arrêt Aziz Melki et Sélim Abdeli (aff. C-188/10 et C-189/10) donne une réponse ferme : « L'article 267 TFUE ne s'oppose pas à une telle législation nationale sur la QPC, pour autant que les autres juridictions nationales restent libres : 1) de saisir la Cour de toute question préjudicielle qu'elles jugent nécessaire ; 2) d'adopter toute mesure nécessaire afin d'assurer la protection juridictionnelle provisoire des droits conférés par l'ordre juridique de l'Union ; 3) de laisser inappliquée, à l'issue d'une telle procédure incidente, la disposition législative nationale en cause si elles la jugent contraire au droit de l'Union » [58]. La Cour de justice rappelle donc l'exigence communautaire permettant à tout juge national de la saisir, nonobstant l'existence d'une procédure incidente de contrôle de constitutionnalité telle que la QPC. À l'exclusion de cette solution concernant la distribution de fonctions entre juge du fond, cours suprêmes et Conseil constitutionnel, l'équilibre, du point de vue de la précision procédurale exigée en droit pénal, reste encore à trouver. En effet, plusieurs conflits de principe peuvent se présenter entre le caractère prioritaire de la QPC et les exigences du respect du droit de l'Union européenne par le juge ordinaire français [59]. En définitive, la QPC a créé des relations intermittentes entre Conseil constitutionnel, les cours suprêmes et la Cour de justice de l'Union européenne.
2323. Les changements du droit constitutionnel sous l'influence grandissante du droit européen entraînent le bouleversement du droit pénal national, ce dernier demeurant le principal guide pour s'orienter dans la multiplicité des secteurs du droit et en saisir ainsi le mouvement général. Saisi par un arrêt de la chambre criminelle du 19 février 2012, le Conseil constitutionnel a renvoyé la question de la Cour de cassation à la Cour de justice [60]. Ainsi, une fois encore, le droit répressif sert de laboratoire aux progrès de la protection juridictionnelle des droits fondamentaux. Le Conseil constitutionnel a franchi une étape fondamentale en effectuant pour la première fois un renvoi à titre préjudiciel à la CJUE. Dans cette affaire, un jeune professeur s'est enfui en septembre 2012 avec son élève, âgée de quinze ans, à la suite d'une relation secrète. Poursuivi au Royaume-Uni pour enlèvement d'enfant, le jeune professeur a fait l'objet d'un mandat d'arrêt européen auquel il a été donné suite par arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Bordeaux, le 4 octobre 2012. Interpellé en France, l'intéressé avait déclaré consentir à sa remise aux autorités judiciaires britanniques, mais sans renoncer au bénéfice de la règle de la spécialité selon laquelle : « une personne qui a été remise ne peut être poursuivie, condamnée ou privée de liberté pour une infraction commise avant sa remise, autre que celle qui a motivé » ladite mesure [61]. Après la remise ordonnée par la chambre de l'instruction, les autorités judiciaires du Royaume-Uni formulent une demande d'extension du mandat d'arrêt européen afin de le poursuivre non plus pour délit d'enlèvement d'enfant, mais pour atteinte sexuelle sur mineur. La Chambre de l'instruction consent à la demande par un arrêt dont le prévenu conteste la légalité devant la Cour de cassation au moyen que l'arrêt violerait la règle de la double incrimination [62]. Cependant, la recevabilité de ce pourvoi est exclue sur la base de l'article 695-46 alinéa 4 du code de procédure pénale [63]. Le requérant assortit alors un pourvoi d'une QPC contestant la conformité de l'article 694-46 alinéa 4 au principe d'égalité devant la loi. En particulier, il réfutait l'impossibilité de se pourvoir en cassation contre la décision consentant à l'extension des poursuites. La question posée dans le cadre de la QPC concernait la constitutionnalité de l'exclusion de l'impossibilité de se pourvoir en cassation. En répondant par la négative dans une décision du 14 juin 2012, le Conseil constitutionnel effectuait son premier renvoi à titre préjudiciel à la Cour de justice. Au-delà de la décision sur le fond de l'affaire, il convient de mettre en exergue ici un changement de valeur dans l'essence juridictionnelle du Conseil constitutionnel qui, selon certains auteurs [64], a ouvert un dialogue intégré avec la CJUE qui offrirait incontestablement la meilleure solution aux conflits entre juridictions nationales et internationales. Les Conseils constitutionnels qui ont abandonné des jurisprudences rétives au principe d'un renvoi préjudiciel à la CJUE ne l'ont généralement fait qu'au prix d'efforts considérables sur elles-mêmes. C'est donc en leur qualité de garants ultimes des droits fondamentaux qu'elles ont jugé opportun de rompre avec une tradition constitutionnelle solidement établie, comme ce fût le cas dans l'affaire Melloni. Il semble donc qu'en France, à travers la QPC, une solution au chevauchement entre juge national et supranational en matière pénale a été trouvée. Mais il s'agit ici d'une solution temporaire et imparfaite, surtout compte tenu de l'entrée imminente du droit pénal européen dans les juridictions nationales (parquet européen et l'adhésion de l'UE à la CEDH) qui pourraient facilement provoquer des oppositions inconciliables entre Cour européenne et Conseil constitutionnel, eu égard à l'importance prêtée par les gouvernements aux politiques pénales nationales. En effet, du point de vue formel, il n'existe pas de hiérarchie claire entre juridictions dans l'Union européenne, et il n'est pas certain qu'à l'avenir - et sur des questions de droit pénal prégnantes de valeur politique - le Conseil constitutionnel soit encore favorable à un renvoi à titre préjudiciel à la Cour de justice de l'Union européenne.
2424. Il est facile de prédire que la question des relations entre les garanties constitutionnelles et la mise en œuvre du droit communautaire, en droit pénal, sera destinée à alimenter des tensions, en particulier dans les relations avec les juges constitutionnels peu enclins à se plier aux exigences de l'intégration européenne. L'heure des Cours constitutionnelles est venue, en dépit de l'attitude négative de certaines, telle que la Cour constitutionnelle espagnole et le Conseil constitutionnel français. Un autre morceau de l'architecture juridique et judiciaire européenne s'est ajouté à un système caractérisé par une grande complexité, dépassant le procès d'entraide répressive comprenant la coopération judiciaire et la coopération policière [65]. En fin de compte, si la peur d'un droit à la carte [66] relativement à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne - complètement dépendant de l'arbitraire des juges et particulièrement problématique dans le droit pénal - était en partie réduite, l'incertitude juridique dépendant de l'obscurité et de la complexité des sources demeure évidente. Ainsi, cette incertitude laisse facilement prévoir une nouvelle saison d'interprétations potentiellement divergentes des droits fondamentaux dans le droit pénal et dans la procédure pénale, dont l'élaboration juridique sera appelée à offrir des critères de systématisation et de cohérence. Ces tensions peuvent être expliquées par la nature ambiguë des organes institutionnels et par la forme politique de l'UE, qui n'a pas de véritable Constitution ou de Conseil constitutionnel qui puisse finalement et formellement se superposer aux organes nationaux. La pénétration du droit pénal de l'Union dans les systèmes juridiques des États membres s'imposera avec la création imminente du parquet européen et avec l'adhésion de l'UE à la CEDH. Il est facile d'imaginer que le droit pénal, exerçant par sa nature une importante influence sur les droits fondamentaux, imposera une révision juridique de l'Union visant à la clarté de ses sources et à une hiérarchie des juridictions pénales nationales et de l'Union plus formalisée.
Notes
-
[1]
Cet article fait partie d'un ensemble de contributions à des colloques autour de la pensée de Cesare Beccaria, paru dans la RSC n° 2 de 2015, comprenant également les articles suivants :
Contributions au colloque de l'Université de Naples en l'honneur du 250e anniversaire du Traité des délits et des peines», 11 au 12 décembre 2014 :
- Le principe de nécessité. Aux frontières du droit de punir, par François Rousseau, p. 257,
- L'interprétation des lois. Beccaria et la jurisprudence moderne, par Jean-Christophe Saint-Pau, p. 272,
- Les « droits du genre humain » dans l'enquête pénale. De la vitalité du Traité des délits et des peines, par Olivier Décima, p. 287.
Contribution au colloque international « Des délits et des peines à 250 ans de la publication », à Milan, 3 octobre 2014 :
- Cesare Beccaria et la peine de la réclusion à perpétuité, par Stefano Manacorda, p. 313. -
[2]
E. Palombi, Beccaria oggi. La giustizia penale agli inizi del terzo millennio, Grimaldi, 2013 ; M. Pisani, Attualità di Cesare Beccaria, Giuffrè, 1998 ; A. Burgio, L'idea di eguaglianza tra diritto e politica nel Dei delitti e delle pene, Cesare Beccaria : la pratica dei lumi, V. Ferrone et G. Francioni (dir.), Olschki, 2000, p. 79-98 ; C. Cantù, Beccaria et le droit pénal : essai, Didot, 1885 ; M. Delmas-Marty, Le rayonnement international de la pensée de Cesare Beccaria, in ISC, Sirey, 1989, p. 65 ; G. Manuppella, Cesare Beccaria : (1738-1794) panorama bibliografico, Coimbra Editora, 1964 ; Ph. Audegean, La philosophie de Beccaria : savoir punir, savoir écrire, savoir produire, J. Vrin, 2010 ; G. Dioguardi, Attualità dell'Illuminismo milanese : Pietro Verri e Cesare Beccaria, Sellerio editore, 1998 ; M. Venturi, Settecento riformatore : 1730-1764., v. 1. Dai Muratori a Beccaria, Einaudi, 1969 ; C. Beccaria, Des Délits et des peines, R. Badinter (dir.), Flammarion, 1991 ; pour un aperçu historique, v. V. Ferrone, Storia dei diritti dell'uomo. L'illuminismo e la costruzione del linguaggio politico dei moderni, Laterza, 2014 ; pour un aperçu sur de la remise en cause de l'attribution de l'œuvre à Beccaria, v. le remarquable article de E. Palombi, Luci e ombre sulla paternità'dell'opera « Dei delitti e delle pene », in L'Esopo, 1999, n° 79-80 ; Toutes les traductions de l'italien au français ont été faites par l'auteur.
-
[3]
C. Beccaria, Des délits et des peines, RPPB, 2014, p. 39.
-
[4]
Au sein de l'Académie se réunissait le groupe d'intellectuels milanais précurseurs des idées politiques et juridiques du droit pénal moderne.
-
[5]
C. Beccaria, Des délits et des peines, op. cit., p. 58.
-
[6]
Ibid., p. 59.
-
[7]
Ibid., p. 61 ; v. E. Palombi, Luci e ombre sulla paternità'dell'opera « Dei delitti e delle pene », op. cit., p. 79 ; Bien que méfiant quant à la paternité de l'œuvre, l'auteur reconnaît qu'elle s'inscrit dans l'élaboration historico-idéologique des Lumières de codification de l'ordre pénal et de création des garanties procédurales légalement et rationnellement établies : « Le processus de codification visait à limiter l'interprétation arbitraire, tandis qu'à son tour, la loi devait être appliquée mécaniquement, parce que chaque recherche sur son esprit permettait la manipulation de l'ordre législatif, en transformant chaque juge en substitut de l'Assemblée législative ».
-
[8]
Une confirmation ultérieure de l'enracinement des idées de Beccaria peut être retracée dans la pensée de Pietro Verri. Ainsi, dans Sur l'interprétation de lois (v. Le Café, ENS, 2013, V.), les idées juridiques des Lumières recevaient une nouvelle systématisation. En particulier, il met l'accent sur la nécessité de distinguer la figure du législateur de celle du juge, clair témoignage de l'influence exercée par l'« Esprit de lois » de Montesquieu et par le contractualisme de Jean-Jacques Rousseau.
-
[9]
À ce sujet, v. V. Frosini, La lettera e lo spirito della legge, Giuffrè, 1993 ; A. Coulibaly, L'interprétation dans le droit : essai et rationalité juridique, thèse Toulouse I, 1992 ; Ch. Grzegorczyk, Le droit comme interprétation officielle de la réalité, in Droits, n° 11, 1990, p. 31-34.
-
[10]
F. Viganò, Convenzione europea dei diritti dell'uomo e resistenze nazionalistiche : Corte costituzionale italiana e Corte di Strasburgo tra “guerra” e “dialogo”, in Diritto penale contemporaneo, 14 juill. 2014, p. 169.
-
[11]
Il nous semble important de souligner qu'en relation à l'équilibre des principes et des libertés fondamentales, les Cours constitutionnelles font souvent prévaloir les principes liés à l'intérêt général, tandis que la jurisprudence internationale - et notamment la CEDH - privilégie constamment les intérêts liés à la liberté et aux garanties individuelles ; par exemple, v. CEDH, Maggio contre Italie, sent. 31 mai 2011 (ric. n° 46286/09 e. a.). Dans cet arrêt la CEDH privilégie très explicitement les intérêts individuels pour des droits déjà acquis (violation du procès équitable - art. 6 de la Conv. EDH) sur l'intérêt général.
-
[12]
V. Rapone, Diritto e argomentazione : Alexy lettore di Radbruch, in Filosofia dei Diritti Umani, n° 39, Semeja Editore, p. 30-41. Selon l'auteur, la théorie neo-constitutionnaliste, qui est à la base de l'affirmation des droits fondamentaux affirmés par les conventions et les Cours supranationales, tend à soumettre le système juridique à un certain nombre de droits fondamentaux, dont l'adjectivation « Fondamentaux » est révélatrice de toute son ambiguïté, en renvoyant à une dimension floue du système juridique.
-
[13]
G. Bongiovanni, R. Alexy e il costituzionalismo, in La filosofia del diritto costituzionale e i problemi del liberalismo contemporaneo : seminario avanzato, CLUEB 1998. 29-50, texte consultable in www.cirfid.unibo.it ; Dans cette perspective, l'obligation du juge ne réside pas seulement dans la soumission de ses décisions à la loi, mais aussi au droit ; en interprétant le droit comme quelque chose qui se rapporte directement à la protection des valeurs constitutionnelles, qui est inscrit dans la loi mais qui est quelque chose de plus que la loi.
-
[14]
C. Schmitt, « La tirannia dei valori », in Rivista di diritto pubblico, I, 1970, p. 16-28.
-
[15]
S. Manacorda, Dalle carte dei diritti a un diritto penale « à la carte » ? Note a margine delle sentenze Fransson e Melloni della Corte di Giustizia, in Diritto penale contemporaneo, n° 1, 2013, p. 248.
-
[16]
F. Viganò, Convenzione europea dei diritti dell'uomo e resistenze nazionalistiche : Corte costituzionale italiana e Corte di Strasburgo tra « guerra » e « dialogo », op. cit, p. 167-176.
-
[17]
V. A. Cardone, La tutela multilivello dei diritti fondamentali, Giuffré, 2014.
-
[18]
V. A. Cavanna, Storia del diritto moderno in Europa. Le fonti éd. il pensiero giuridico, Giuffré, 1982, p. 312.
-
[19]
V. V. Malabat, Les sources du droit pénal : La loi, toute la loi, rien que la loi… Ou presque, in Revue de droit d'Assas, n° 5, févr. 2012, p. 84 : « Cette perte de monopole de la loi en tant que source de droit pénal a commencé avec la Constitution de 1958 et le partage de compétences entre les domaines législatif et réglementaire, dont les conséquences sont désormais actées aux articles 111-2 et 111-3 du code pénal. En admettant en effet que le règlement puisse définir une infraction pénale, même de faible gravité, la Constitution ouvrait une brèche dans le principe de légalité entendu dans son sens formel qui réserve à la loi la compétence en matière pénale pour éviter que le droit de punir ne soit laissé à l'arbitraire de quelques-uns, qu'il s'agisse de celui des juges ou des gouvernants ».
-
[20]
Ibid., p. 86.
-
[21]
G. Stea, L'offensività europea come criterio di proporzione dell'opzione penale, in Archivio penale, n° 3, 2013, p. 903-935.
-
[22]
J. Monnet, Washington, 30 avr. 1952.
-
[23]
V. V. Malabat, Droit pénal et droits fondamentaux, in Dr. pénal, n° 9, sept. 2011. Repère 8 : « Dans ce nouveau contexte (après la II guerre mondiale), les droits fondamentaux assurent moins la suprématie de la loi sur le juge que la suprématie des droits des individus […]. Limite et mesure du pouvoir de punir, les droits fondamentaux impliquent donc un contrôle du droit pénal ».
-
[24]
Dans l'arrêt n° 264/2012/Cost. - par ex. - de la Cour constitutionnelle italienne, la querelle concernait une interprétation authentique de la loi qui a été conçue pour corriger - dans une version moins favorable pour les recourants - une jurisprudence concernant les règles pour déterminer les pensions des travailleurs qui avaient payé leurs contributions à l'étranger. Saisie un premier temps, sur la légitimité constitutionnelle de la disposition, la Cour a déclaré que la question n'était pas fondée, (décis. n° 172/2008/Cost.). Selon les principes contenus dans les articles 3, 35 et 38 de la Constitution italienne. Dans un jugement précédent la Cour de Strasbourg (Corte EDU, Maggio c/ Italia, sent. 31 maggio 2011 - ric. n° 46286/09 e. a.) avait déjà déclaré - sur l'interprétation authentique effectué par la Cour Constitutionnelle - que cette dernière interfère, avec son effet rétroactif, sur des droits déjà acquis et sur des positions juridiques légitimes des requérants. C'est pourquoi la décision de la Cour constitutionnelle italienne serait contraire aux obligations imposées à l'État en vertu de l'art. 6 de la CEDH. La Cour constitutionnelle, tout en respectant l'interprétation donnée par la Cour européenne, a répondu que la question n'était pas fondée, refusant ainsi l'obéissance à la décision strasbourgeoise. Ce refus était fondé sur la base d'une appréciation différente des intérêts généraux prééminents (principe d'égalité entre les contribuables) qui, dans ce cas, justifieraient l'utilisation de la technique de l'interprétation authentique de la loi par le législateur, et donc même les effets rétroactifs sur les procès en cours dénoncés par la Cour de Strasbourg.
-
[25]
Pour de plus amples développements, v. G. Giudicelli-Delage, Les eaux troubles du droit pénal de l'Union européenne, in APD, t. 53, Dalloz, 2010, p. 130 ; du même auteur, v. L'espace pénal européen au sein de l'Union européenne - Synthèse, D. Zerouki-Cottin (dir.), in L'espace pénal européen : à la croisée des chemins ?, La Charte, 2013, p. 105.
-
[26]
J. Pradel et G. Corstens, Droit pénal européen, Dalloz, 2009, p. 3.
-
[27]
Art. 82 § 1 et 2 TFUE.
-
[28]
Dans cette perspective, v. spécialement D. Zerouki-Cottin, La directive : nouvelle loi pénale ?, in L'espace pénal européen : à la croisée des chemins ?, D. Zerouki-Cottin (dir.), La Charte, 2013, p. 73 s.
-
[29]
Ibid., p. 75 s.
-
[30]
V. Th. Cassuto, Une Europe, deux lois pénales, Bruylant, 2012.
-
[31]
Dans l'arrêt Intertanko était établi que les directives doivent respecter le principe de légalité des délits et des peines ; CJCE, gr. ch., 3 juin 2008, aff. C-306/08 R, Intertanko, Rec. I-4057.
-
[32]
v. CJCE 8 oct. 1987, aff. 80/86, Procédure pénale c/ Kolpinghuis, Rec., p. 3969 ; v. aussi CJCE (Grande chambre), 16 juin 2005, Pupino, aff. C-105/03, R., p. I-05825.
-
[33]
CEDH, 22 nov. 1995, n° 20166/92, S.W. et C.R. c/ Royaume-Uni, AJDA 1996. 445, note J.-P. Costa ; RSC 1996. 473, obs. R. Koering-Joulin, consid. 36.
-
[34]
V. introduction de Ph. Audegean in C. Beccaria, Des délits et des peines, ENS Éditions, 2009, § III.
-
[35]
D. Zerouki-Cottin, La directive : nouvelle loi pénale ?, op. cit., p. 83.
-
[36]
Ibid., p. 83 s.
-
[37]
X. Pin, Les enjeux de l'harmonisation pénale, in L'espace pénal européen : à la croisée des chemins ?, D. Zerouki-Cottin (dir.), La Charte, 2013, p. 89 s.
-
[38]
J.-C. Zarka, Les institutions de l'Union européenne, Gualino éd., 1998, 2e éd., p. 68-69 ; v. CJCE, 15 janv. 2002, aff. C-439/99, Commission c/ Italie, RTD eur. 2003. 489, chron. C. Prieto, organisation de foires ; CJCE, 6 mars 2003, n° C-478/01, Commission c/ Luxembourg, RTD eur. 2003. 489, chron. C. Prieto, mandataires en brevets.
-
[39]
S. Manacorda, Dalle carte dei diritti a un diritto penale « à la carte » ? Note a margine delle sentenze Fransson e Melloni della Corte di Giustizia, op. cit., p. 246.
-
[40]
C. Schmitt, Risposte a Norimberga, H. Quaritsch (dir.), Laterza, 2006.
-
[41]
V. Malabat, Les sources du droit pénal : La loi, toute la loi, rien que la loi… Ou presque, op. cit., p. 86.
-
[42]
TFUE, art. 6, § 2.
-
[43]
J.-L. Sauron, Procédures devant les juridictions de l'Union européenne et devant la CEDH, Gualino, 2014, p. 339.
-
[44]
Ibid., p. 340.
-
[45]
Cort. cost. it. n° 87 et n° 88, 12 avr. 2012.
-
[46]
À ce sujet, v., F. Viganò, Convenzione europea dei diritti dell'Uomo resistenze nazionalistiche : tra « guerra » e « dialogo », . op. cit., p. 168.
-
[47]
Cort. cost. it., n° 264, 2 mai 2012.
-
[48]
CEDH, Maggio c/ Italie, arrêt 31 maggio 2011 (ric. n° 46286/09).
-
[49]
V. CEDH, 15 avr. 2014, n° 21838/10, Stefanetti c/ Italie, dans cet arrêt la Cour de Strasbourg affirme : « contrary to the case-law of the Italian Constitutional Court, there existed n° compelling general interest reasons justifying a retrospective application of the Law n°. 296/2006, which was not an authentic interpretation of the original law and was therefore unforeseeable » (§ 67) ; v. aussi, CEDH, 7 juin 2011 n° 43549/08e a., Agrati c/ Italie, § 62.
-
[50]
CJUE, 26 févr. 2013, aff. C-399/11, Stefano Melloni c/ Ministerio Fiscal, AJDA 2013. 1154, chron. M. Aubert, E. Broussy et H. Cassagnabère ; D. 2013. 711 ; AJ pénal 2013. 350, obs. J. Lelieur ; Constitutions 2013. 184, obs. A. Levade ; RTD eur. 2013. 267, note D. Ritleng ; ibid. 812, chron. P. Beauvais ; ibid. 2015. 166, obs. F. Benoit-Rohmer ; ibid. 235, obs. L. d'Ambrosio et D. Vozza ; RMCUE 2015. 277, étude D. Ritleng ; v. F. Gazin, Mandat d'arrêt européen, Europe 2013, comm. 166.
-
[51]
Art. 53 : « Rien dans la présente Charte ne doit être interprété comme limitant ou affectant négativement les droits humains et libertés fondamentales reconnues […] dans les constitutions des États membres ».
-
[52]
F. Viganò, Convenzione europea dei diritti dell'uomo e resistenze nazionalistiche : Corte costituzionale italiana e Corte di Strasburgo tra « guerra » e « dialogo », op. cit., p. 173.
-
[53]
F. Viganò, Fonti europee e ordinamento italiano, op. cit., p. 168 ; L. Burgorgue-Larsen (dir.), La France face à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, Bruylant, 2005 ; Id., La « force de l'évocation » ou le fabuleux destin de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, in L'équilibre des pouvoirs et l'esprit des institutions. Mélanges en l'honneur de Pierre Pactet, Pedone, 2004, 77-104 ; Id., Ombres et lumières de la constitutionnalisation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, in Cahiers de droit européen, 2004, 863-890 ; Id., L'apparition de la Charte des droits fondamentaux dans la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés, in note ss Parlement c/ Conseil, 27 juin 2006, AJDA 2006. 2286 ; S. Iglesias Sánchez, The Court and The Charter : The Impact Of The Entry Into Force Of The Lisbon Treaty On The Ecj's Approach To Fundamental Rights, in Common Market Law Review, 2012, p. 1565.
-
[54]
On peut rappeler à cet égard les propos du Professeur Guy Carcassonne (Auditions devant la Commission des lois de l'Assemblée nationale, in Rapport n° 1898, CR n° 63.) : « Oui, bien sûr, la priorité de la question de constitutionnalité sur la question de conventionnalité est une nécessité. La première raison en est que, faute de cette priorité, l'article 61-1 serait mort-né. […] Parmi les partisans de la nouvelle disposition constitutionnelle, on s'est d'abord inquiété que le filtre ne devînt pas un bouchon ; et on a découvert un autre risque, celui que le bouchon laisse la place à un canal de dérivation, détournant vers le contrôle de conventionnalité tout ce qui, en bonne logique, devrait relever du contrôle de constitutionnalité, lequel n'aurait alors plus aucun sens ». Sur l'analyse comparative des notions de question préalable, préjudicielle et prioritaire, v. H. Labayle, Question préjudicielle et question prioritaire de constitutionnalité : ordonner le dialogue des juges ?, RFDA 2010. 659 ; pour une idée générale sur ce sujet, v. G. Drago, Contentieux constitutionnel français, PUF, 2011 ; Id., La justice pénale entre Cour Européenne des Droits de l'Homme et Conseil constitutionnel, S. Guinchard et J. Buisson (dir.), in Les transformations de la justice pénale, cycle de conférences 2013 à la Cour de cassation, D. 2014. 31 s. ; pour une présentation sur l'importance de la QPC en matière pénale, v. E. Verny, Les premières applications de la question prioritaire de constitutionnalité en matière pénale, RPDP 2010. 277.
-
[55]
CJUE, 9 mars 1978, aff. 106/77, Simmenthal.
-
[56]
Cons. const., 12 mai 2010, n° 2010-605 DC, AJDA 2010. 1048 ; D. 2010. 1321, note A. Levade ; ibid. 1229, chron. P. Fombeur ; ibid. 1234, chron. P. Cassia et E. Saulnier-Cassia ; ibid. 1495, chron. V. Lasserre-Kiesow et P. Le More ; RFDA 2010. 458, note P. Gaïa ; Constitutions 2010. 363, obs. A.-M. Le Pourhiet ; ibid. 387, obs. A. Levade ; Rev. crit. DIP 2011. 1, étude D. Simon ; RTD civ. 2010. 499, obs. P. Deumier.
-
[57]
Ibid., p. 18.
-
[58]
CJUE, 22 juin 2010, aff. C-188/10 et C-189/10, Melki, Abdeli, AJDA 2010. 1231 ; ibid. 1578, chron. M. Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; D. 2010. 1719, obs. S. Lavric ; ibid. 1545, édito. F. Rome ; ibid. 1640, chron. F. Donnat ; ibid. 2524, point de vue J. Roux ; ibid. 2012. 390, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot ; AJ pénal 2010. 343, obs. J.-B. Perrier ; RFDA 2010. 458, note P. Gaïa ; Constitutions 2010. 392, obs. A. Levade ; ibid. 519, obs. A. Levade et E. Saulnier-Cassia ; Rev. crit. DIP 2011. 1, étude D. Simon ; RSC 2010. 709, chron. L. Idot ; RTD civ. 2010. 499, obs. P. Deumier ; RTD eur. 2010. 577, étude J. Dutheil de La Rochère ; ibid. 588, étude D. Sarmiento ; ibid. 599, chron. L. Coutron, p. 57.
-
[59]
Une conception du juge pénal français difficilement conciliable avec celle de la Cour Européenne des Droits de l'Homme. En effet, la CEDH a considéré que les membres du parquet ne sont pas des magistrats au sens de la Convention, qu'ils ne relèvent donc pas de l'autorité judiciaire et qu'ils ne peuvent cumuler des fonctions de poursuite et de garants des libertés (CEDH, 23 nov. 2010, n° 37104/06, Moulin c/ France, AJDA 2011. 889, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2011. 338, obs. S. Lavric, note J. Pradel ; ibid. 2010. 2761, édito. F. Rome ; ibid. 2011. 26, point de vue F. Fourment ; ibid. 277, note J.-F. Renucci ; RFDA 2011. 987, chron. H. Labayle et F. Sudre ; RSC 2011. 208, obs. D. Roets). Le Conseil constitutionnel réaffirme que les magistrats du parquet comme les magistrats du siège appartiennent à l'autorité judiciaire et que la protection de la liberté individuelle relève de leur mission (Cons. const., 17 déc. 2010, n° 2010-80 QPC, D. 2011. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay ; Constitutions 2011. 525, obs. E. Daoud et A. Talbot ; RSC 2011. 193, chron. C. Lazerges).
-
[60]
V. H. Labayle, Le Conseil constitutionnel, le mandat d'arrêt européen et le renvoi préjudiciel à la Cour de justice, RFDA 2013. 461 ; v. aussi J. Roux, Premier renvoi préjudiciel du Conseil constitutionnel à la Cour de justice et conjonction de dialogues des juges autour du mandat d'arrêt européen, RTD eur. 2013. 531.
-
[61]
Art. 27 § 2 de la décision-cadre du Conseil constitutionnel 2002/584/JAI modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du 26 févr. 2009.
-
[62]
Ici les faits visés par l'extension du mandat d'arrêt européen relèvent de l'infraction selon le droit britannique et non selon le droit français.
-
[63]
Qui dispose notamment que, saisie d'une demande d'extension du mandat d'arrêt européen, « la Chambre de l'instruction statue sans recours » ; v. J.-C. Bonichot, Le Conseil constitutionnel, la Cour de justice et le mandat d'arrêt européen, D. 2013. 1805.
-
[64]
V. J. Roux, Premier renvoi préjudiciel du Conseil constitutionnel à la Cour de justice et conjonction de dialogues des juges autour du mandat d'arrêt européen, op. cit., p. 531 s. ; H. Labayle, Le Conseil constitutionnel, le mandat d'arrêt européen et le renvoi préjudiciel à la Cour de justice, op. cit, p. 461 s.
-
[65]
v. J.-Ch. Saint-Pau, L'entraide judiciaire internationale et européenne, Dr. pénal 2004. Étude 9 ; D. Zerouki-Cottin, Chronique de droit pénal de l'Union européenne, RIDP 2012. 3/4, p. 521 ; v. aussi L. Desessard, Le contrôle des demandes d'entraide judiciaire et de leur exécution, Rev. pénit. 2003. 573-581.
-
[66]
S. Manacorda, Dalle carte dei diritti a un diritto penale « à la carte » ? Note a margine delle sentenze Fransson e Melloni della Corte di Giustizia », op. cit., p. 248.