Notes
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[1]
R. Gassin, Considérations sur le but de la procédure pénale, in Mel. En l'honneur de Jean Pradel, Le droit pénal à l'aube du Troisième millénaire, Cujas, 2006, p. 109.
-
[2]
CEDH, 24 avr. 1990, n° 11801/85, Série A, n° 176-A, Kruslin c/ France, D. 1990. 353, note J. Pradel ; ibid. 187, chron. R. Koering-Joulin ; RFDA 1991. 101, chron. V. Berger, H. Labayle et F. Sudre ; RSC 1990. 615, obs. L.-E. Pettiti ; RTD civ. 1991. 292, obs. J. Hauser.
-
[3]
En matière d'écoutes téléphoniques, C. pr. pén., art. 100 à 100-7 ; en matière de sonorisation et de fixation d'images, C. pr. pén., art. 706-96 à 706-10.
-
[4]
Pour les écoutes téléphoniques, CEDH, 24 avr. 1990 préc., et pour la sonorisation, CEDH, 31 mai 2005, n° 59842/00, Vetter c/ France, D. 2005. 2575, note P. Hennion-Jacquet ; RSC 2006. 662, chron. F. Massias, et CEDH, 20 déc. 2005, n° 71611/01, Wisse c/ France, D. 2006. 764, note D. Roets ; AJ pénal 2006. 128, obs. J.-P. Céré ; RSC 2006. 423, obs. P. Poncela ; ibid. 662, chron. F. Massias.
-
[5]
Outre les risques d'annulation, une dépêche de la chancellerie en date du 29 oct. 2013 à destination des parquets a interrompu toutes les mesures de géolocalisation diligentées dans les enquêtes de police jusqu'à l'adoption du régime légal.
-
[6]
Ces modèles transcendent la matière, mais ils s'imposent de façon révélatrice en procédure pénale.
-
[7]
C. pr. pén., art. 81.
-
[8]
Commission « Justice pénale et droits de l'homme », La mise en état des affaires pénales, Rapports, 1990, Doc. fr. Sur ces travaux, Cf. J.-Cl., art. préliminaire, fasc. 20, n° 2 s.
-
[9]
Pour ne faire ici référence qu'à l'aff. Wilson Cass., ch. réun., 31 janv. 1888, S. 1889, 1, p. 241.
-
[10]
La loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales marque une nette avancée dans ce domaine.
-
[11]
Sur l'étude de ce phénomène, cf. D. Thomas-Tailandier, Contribution à l'étude des dérogations en procédure pénale, thèse Aix-en-Provence, 2012, dir. G. di Marino.
-
[12]
Ce fut le cas récemment d'une procédure conforme en tous points aux exigences du Code, mais contraire au principe de loyauté de la preuve. Crim., 7 janv. 2014, n° 13-85.246, D. 2014. 407, note E. Vergès ; ibid. 264, entretien S. Detraz ; ibid. 1736, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2014. 194, obs. H. Vlamynck ; RSC 2014. 130, obs. J. Danet.
-
[13]
Par ex., le pouvoir de rechercher des preuves et le droit au respect de la vie privée.
-
[14]
CEDH, 2 sept. 2010, n° 35623/05, Uzun c/ Allemagne, D. 2011. 724, obs. S. Lavric, H. Matsopoulou, La surveillance par géolocalisation à l'épreuve de la Convention européenne des droits de l'homme ; RSC 2011. 217, obs. D. Roets, La surveillance d'un suspect par Global Positioning System et le droti au respect de la vie privée.
-
[15]
Crim., 22 nov. 2011, n° 11-84.308, D. 2011. 2937 ; ibid. 2012. 171, chron. C. Roth, A. Leprieur et M.-L. Divialle ; ibid. 2118, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2012. 293, obs. J. Lasserre Capdeville ; A. Bonnet, La licéité du recours à la surveillance par géolocalisation, JCP 2012, n° 3, 16 janv. 2012, 49 ; A. Maron, M. Maas, Est-il prévisible que le juge d'instruction ait un coup d'avance sur le législateur ?, Dr. pénal 2012, n° 1, comm. 12 ; E. Vergès, La géolocalisation, une preuve pénale licite au regard de l'article 8 de la Conv.EDH ?, RDLF 2012, chron. n° 4.
-
[16]
Qui autorise le juge à procéder à tous les actes utiles à la manifestation de la vérité.
-
[17]
De façon très générale en réalité, car l'art. 81 C. pr. pén. ne précise pas les actes de recherche de la vérité qui sont autorisés.
-
[18]
Cette décision était mentionnée au rapport de la Cour de cassation 2011 et la haute juridiction appelait le législateur à intervenir en la matière.
-
[19]
Supreme court, 10-1259 United States v. Jones (01/23/2012), http://www.supremecourt.gov/opinions/11pdf/10-1259.pdf. Cette décision est exposée dans ses grandes lignes par J. Jehl, La Cour suprême américaine, le GPS et la privacy, JCP 2012. 143.
-
[20]
« The right of the people to be secure in their persons, houses, papers, and effects, against unreasonable searches and seizures, shall not be violated, and no Warrants shall issue, but upon probable cause, supported by Oath or affirmation, and particularly describing the place to be searched, and the persons or things to be seized ».
-
[21]
Le terme américain « searches » s'entend de toutes les techniques probatoires qui constituent une intrusion dans la vie privée.
-
[22]
Excessives ou déraisonnables.
-
[23]
L'expression « probable cause » s'entend des indices permettant la suspicion et correspond aux « raisons plausibles » ou aux « indices graves et/ou concordants » du Code de procédure pénale français.
-
[24]
La formule classique utilisée par la Cour suprême est « a reasonable expection of privacy ».
-
[25]
Condition requise au États-Unis, mais pas en France au moment où s'appliquait la jurisprudence de 2011.
-
[26]
Cf. notre scepticisme exprimé au regard de la jurisprudence européenne in E. Vergès, La géolocalisation, une preuve pénale licite au regard de l'article 8 de la Conv.EDH ?, préc.
-
[27]
Chiffres exposés par le garde des Sceaux lors des débats sur l'examen du projet de loi relatif à la géolocalisation au Senat, séance du 20 janv. 2014, http://www.senat.fr/cra/s20140120/s20140120_5.html
-
[28]
Crim., 22 oct. 2013, n° 13-81.949 et n° 13-81.945. Parmi les nombreux commentaires : H. Matsopoulou, D. 2014. 115 ; D. Boccon-Gibod, RSC 2013. 847 ; A. Maron et M. Haas, Dr. pénal 2013, comm. 177 ; A. S. Chavant-Leclerc, Procédures 2013, comm. 358.
-
[29]
Cf. par ex., le communiqué du Syndicat des commissaires de la police nationale du 8 nov. 2013, http://le-scpn.fr/fr/wp-content/uploads/2013/11/43.pdf
-
[30]
Le plus détaillé et pédagogique demeure celui de la circulaire d'application du 1er avr. 2014, NOR : JUSD1407842C.
-
[31]
Parmi lesquels, J. Buisson, La géolocalisation enfin prévue par une loi…, Procédures 2014. Étude 10 ; J.-P. Valat, La loi du 28 mars 2014 relative à la géolocalisation, Dr. pénal, étude 12 ; J. Pradel, Un exemple de vide législatif comblé dans l'urgence. À propos de la loi n° 2014-372 du 28 mars 2014, JCP 2014. 415.
-
[32]
C. pr. pén., art. 230-33.
-
[33]
C. pr. pén., art. 230-34.
-
[34]
C. pr. pén., art. 230-35.
-
[35]
C. pr. pén., art. 230-2.
-
[36]
Techniquement, lorsque le téléphone mobile communique avec plusieurs antennes-relais, l'opérateur peut localiser le téléphone par « bornage ».
-
[37]
C. pr. pén., art. 60-1, 60-2, 77-1-1 et 77-1-2.
-
[38]
A. Maron, M. Haas, La boîte de Pandore est ouverte, Dr. pénal 2013, comm. 177.
-
[39]
Les condamnations de la France en matière d'écoutes téléphoniques et de sonorisations reposent toutes sur l'imperfection de l'art. 81 C. pr. pén.. CEDH, 24 avr. 1990, Kruslin c/ France ; CEDH, 31 mai 2005, Vetter c/ France, préc.
-
[40]
§ 35 de l'arrêt. Ces conditions figurent également dans l'arrêt Vetter à propos des sonorisations (§ 26).
Construire la norme en procédure pénale : une étude des techniques juridiques à travers un cas symptomatique, la géolocalisation
1Une chronique législative est un lieu d'observation du droit en construction. Habituellement, elle est consacrée à la description et au commentaire du contenu des lois récentes. Nous proposons ici une autre approche, qui consiste à s'intéresser à la manière dont le droit se construit en procédure pénale, en particulier pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés [1], tout en respectant les contraintes qui lui sont imposées. Le cas qui nous a paru révélateur des difficultés engendrées par la construction de la procédure pénale est celui de la géolocalisation.
2À première vue, cette technique probatoire apparue il y a quelques années dans les pratiques policières semblait vouée à un régime juridique assez simple, calqué sur le modèle des écoutes téléphoniques ou des sonorisations. En effet, la géolocalisation constitue une ingérence dans la vie privée des individus dont les déplacements sont surveillés en temps réel ou reconstitués a posteriori. Depuis le début des années 1990, le cadre juridique des techniques probatoires intrusives a été fixé avec beaucoup de clarté par la CEDH [2] et le législateur s'est appliqué à le mettre en œuvre chaque fois que cela s'est avéré nécessaire [3]. Lorsque que la géolocalisation est apparue dans les enquêtes de police, on aurait pu s'attendre à ce que le ministère de la Justice réagisse rapidement pour donner un cadre légal à cette technique. En effet, la France était exposée à un risque de condamnations par la CEDH, comme cela s'était produit auparavant pour les écoutes téléphoniques et les sonorisations [4]. La CEDH avait alors affirmé que les techniques intrusives de recherche de la preuve devaient être prévues par une loi présentant des caractères de clarté et de prévisibilité. La construction d'un tel régime juridique à propos de la géolocalisation ne semblait pas poser de problème majeur. Étonnamment, la création de ce régime a suivi un processus pour le moins chaotique qui a mis en péril un grand nombre d'enquêtes [5] et a abouti à un résultat d'une si grande complexité qu'il suscite une réflexion sur la manière d'élaborer les outils juridiques de la procédure pénale.
3En particulier, le processus qui a abouti à l'adoption de la loi n° 2014-372 du 28 mars 2014 relative à la géolocalisation soulève de nombreuses questions, tant sur l'attitude de la Cour de cassation, que sur celle du ministère de la Justice qui a préparé le projet de loi. On s'interroge ainsi sur les raisons qui ont conduit les auteurs de ce projet à créer un régime juridique d'une rare complexité qui exclut volontairement un grand nombre de géolocalisations de son champ d'application. De façon plus générale, la gestation progressive du régime de la géolocalisation renvoie à un débat sur la qualité de la norme dans un domaine où les tensions politiques et juridiques sont intenses. Les tensions politiques sont celles qui opposent traditionnellement l'efficacité des enquêtes et des poursuites pénales au respect des droits fondamentaux. Les tensions juridiques sont celles qui opposent les modèles de construction de la norme juridique en procédure pénale. Pour alimenter la réflexion sur ces questions épineuses, nous nous attacherons d'abord à définir le cadre théorique de notre étude (I) afin d'appliquer ce cadre à une étude de cas : celui de la géolocalisation (II).
I - Préalable théorique : généralités sur les modèles de construction de la norme
Les deux modèles de construction de la norme juridique en procédure pénale
4De façon théorique, il est possible de dégager deux modèles d'élaboration des règles de procédure pénale [6].
5Le premier modèle est celui qui peut être qualifié de traditionnel en procédure pénale française. Il repose sur une norme écrite, technique, précise et qui s'applique selon une logique du « tout ou rien ». Le code de procédure pénale est essentiellement composé de ces règles techniques, qui définissent le régime des modes de preuve (perquisitions, interrogatoires, garde à vue, etc.), des actions, des débats, des voies de recours, etc. Ces règles répondent à une logique du « tout ou rien », en ce sens qu'elles sont soit respectées, soit violées. Leur violation peut alors entraîner la mise en œuvre de sanctions diverses (irrecevabilité, nullité, sanction pénale) qui répondent elles-mêmes à une logique binaire. Par exemple, une action est recevable ou irrecevable, une pièce est nulle ou régulière.
6Le second modèle est celui qui organise les règles de procédure autour de principes, dont l'application est générale et graduelle. Certains de ces principes sont ancrés dans la tradition procédurale. Il en est ainsi, par exemple, du pouvoir confié au juge d'instruction de procéder à tous les actes utiles à la manifestation de la vérité [7]. En procédure pénale, les principes ont connu un essor important en application des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme et, plus récemment, de l'article préliminaire du Code de procédure pénale. Leur reconnaissance par la doctrine est grandissante, notamment depuis les travaux de la commission Delmas-Marty [8]. La Cour de cassation a également recours à des principes extra legem (loyauté, droits de la défense). L'usage des principes correspond à une méthodologie juridique en opposition avec celle des règles techniques. Les principes décrivent des cadres généraux applicables à un très grand nombre de situations procédurales, offrant ainsi une large ouverture à l'interprétation juridictionnelle et à la construction jurisprudentielle de la norme. On a coutume de dire que cette technique relève plus de la culture de la common law et qu'elle progresse en France sous l'influence de la CEDH. Ce constat est vrai, mais il mérite d'être nuancé. En effet, la procédure pénale française connaît les principes de longue date et la Cour de cassation en faisait déjà usage en matière probatoire au 19e siècle [9].
Défauts et mérites de chaque modèle
7L'usage des règles techniques apporte une plus grande sécurité juridique, car il rend la norme prévisible. Les enquêteurs et magistrats peuvent réduire les risques d'annulation des procédures en se conformant strictement aux règles qui gouvernent les opérations de recherche des preuves. De même, les personnes suspectées et poursuivies bénéficient d'une plus grande protection lorsque leurs droits sont aménagés précisément et leur sont notifiés [10].
8Toutefois, au fil des réformes, la multiplication des règles techniques et des régimes spéciaux a accru la complexité du système procédural, alourdi les charges qui pèsent sur les acteurs du procès et contraint ces acteurs à maîtriser un cadre juridique de plus en plus complexe [11]. En définitive, la multiplication des règles techniques produit un effet paradoxal. Sa complexité entraîne des contradictions internes et provoque un flou juridique néfaste à la prévisibilité de la norme. Elle fait donc courir un plus grand risque d'annulation des procédures.
9Le recours aux principes présente lui aussi plusieurs avantages. Les principes sont peu nombreux, faciles à comprendre et ils indiquent souvent les lignes de force du système procédural. Ils en décrivent la philosophie. D'application générale, les principes réduisent les angles morts du Code. Par exemple, les pratiques nouvelles qui ne sont pas réglementées par des dispositions spéciales du Code tombent sous l'autorité des principes. Enfin, les principes connaissent une application graduelle inspirée par une logique de proportionnalité. À ce titre, la méthode d'interprétation de la CEDH - qui consiste à rechercher dans un premier temps une ingérence puis à analyser, dans un second temps, la justification de l'ingérence - possède une influence grandissante sur les juridictions internes. Chaque principe peut ainsi être modulé au cas par cas en se référant plutôt à l'esprit qu'à la lettre.
10Toutefois, l'usage des principes possède également des effets indésirables. Le premier reproche que l'on peut adresser au principe est celui de l'indétermination de la norme. Les principes ont une formulation vague et ne connaissent parfois aucune définition. La prévisibilité essentielle à la procédure pénale s'en trouve considérablement amoindrie et la régularité des procédures vis-à-vis des principes est souvent connue a posteriori, lorsque la Cour de cassation s'est prononcée sur cette question [12]. De surcroît, les applications d'un principe se développent au fil de la jurisprudence, ce qui réduit l'accessibilité au droit. Le contenu du droit est alors décrit dans la littérature scientifique et pédagogique, mais il ne figure pas dans le Code. La frontière du permis et de l'interdit est moins nette. Elle est d'autant plus délicate à tracer que le juge doit souvent arbitrer un conflit qui naît entre deux principes opposés [13]. Ce type d'arbitrage produit rarement des solutions stables, car elles dépendent beaucoup des données de chaque espèce. Enfin, le principe d'application générale laisse une certaine part au risque d'autoritarisme. Il en est ainsi lorsque l'on confie par principe tout pouvoir à un enquêteur ou à un magistrat. Un tel principe laisse une grande latitude d'action pour conduire la procédure, mais provoque une défaillance dans l'encadrement juridique de ces pouvoirs et dans la protection des droits fondamentaux.
11La procédure pénale contemporaine se caractérise par une montée en puissance conjointe de la réglementation technique et des principes, mais la cohérence générale du système et la lisibilité du droit sont rarement privilégiées. La construction de la norme en procédure pénale avance ainsi de façon relativement chaotique, comme le montre le cas de la géolocalisation.
II - Application des modèles théoriques à la géolocalisation : une étude de cas
12La courte histoire de l'encadrement juridique de la géolocalisation dans la procédure pénale France est un cas symptomatique d'oscillation entre les deux modèles de construction de la norme. Le récit de cette évolution permet de révéler les défaillances des deux modèles pris isolément et la nécessité de les combiner, comme il aurait été possible de le faire dans ce cas.
La définition de cadres généraux en référence aux principes
13La première intervention normative portant sur la géolocalisation est un arrêt de la CEDH Uzun c/ Allemagne [14]. La juridiction strasbourgeoise a analysé cette technique au regard du principe du droit au respect de la vie privée et a affirmé que « la surveillance du requérant par GPS ainsi que le traitement et l'utilisation des données ainsi obtenues » constituent une ingérence dans la vie privée de l'individu tracé. Elle a ensuite examiné les critères de justification de l'ingérence, parmi lesquels figure le plus délicat d'entre eux, celui de la base légale qui doit être suffisamment claire « pour indiquer à tous de manière suffisante en quelles circonstances et sous quelles conditions elle habilite la puissance publique à recourir à de telles mesures ». Elle a ensuite fait une application concrète de cette exigence et estimé qu'en matière de géolocalisation, la précision de la loi était moins importante qu'en matière d'écoutes téléphoniques, car la mesure était moins intrusive.
14Toute la substance du modèle de construction normative ayant recours aux principes se trouve dans cet arrêt. La CEDH a d'abord confronté la géolocalisation à la vie privée. Elle a ensuite arbitré le conflit entre la nécessaire recherche des preuves et le respect de ce droit fondamental. Pour ce faire, elle a recherché un équilibre en mesurant la proportionnalité de l'atteinte à la vie privée vis-à-vis de l'objectif poursuivi par la géolocalisation. Elle en a déduit qu'un cadre juridique était nécessaire, mais qu'il ne devait pas présenter une précision extrême. Elle a enfin validé le droit allemand, qui autorisait précisément dans un texte le recours à des moyens techniques destinés à la surveillance et à la localisation de l'auteur d'une infraction.
15Au regard de cette jurisprudence, la situation française demeurait alors incertaine. Les géolocalisations pratiquées en enquête de police comme durant l'instruction n'étaient prévues par aucun texte et il n'existait pas, comme en Allemagne, de loi autorisant précisément l'utilisation de moyens techniques destinés à la surveillance ou à localisation des suspects. La Cour de cassation fut donc saisie une première fois et rendit un arrêt remarqué le 22 novembre 2011 [15]. Dans cette affaire, un juge d'instruction avait prescrit la mise en place d'un dispositif de géolocalisation par pose d'une balise sur un véhicule. Une requête en nullité avait était soulevée et la chambre de l'instruction avait jugé que la mesure ne violait pas l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, car elle était prévue par l'article 81 du code de procédure pénale [16] et proportionnée au but poursuivi. Cette analyse fut confirmée par la Cour de cassation qui affirma que les juges du second degré avaient « caractérisé la prévisibilité et l'accessibilité de la loi ».
16L'approche de la Cour de cassation était calquée sur celle de la CEDH. Elle analysait la géolocalisation à la lumière du droit au respect de la vie privée et elle confrontait à ce principe un autre qui autorise le juge d'instruction à réaliser, de façon générale, toute investigation. Derrière cette décision, on voyait se profiler le contrôle juridictionnel de la mesure. La Cour de cassation validait la procédure de géolocalisation, non seulement en vertu d'une autorisation légale [17], mais encore, car elle était réalisée sous le contrôle d'un juge. En définitive, le régime juridique de la géolocalisation était déterminé par la conciliation entre deux principes et débouchait sur une solution simple : cette technique pouvait être mise en œuvre sous contrôle juridictionnel [18].
Comparaison : un cadre similaire à celui adopté en Common Law
17Par comparaison, la méthode et la solution qui résultent de cette première étape jurisprudentielle sont très proches du modèle adopté en common law, notamment aux États-Unis et au Canada. Aux États-Unis, la Cour suprême a rendu un important arrêt United States vs Jones le 23 janvier 2012 [19] à propos de la surveillance durant 28 jours d'une personne soupçonnée de trafic de drogue et dont le véhicule avait été secrètement équipé d'une balise GPS par la police. Selon la Cour suprême, cette mesure tombait sous le coup du 4e amendement de la Constitution américaine qui assure la protection de la vie privée et de la propriété, spécialement contre les fouilles et saisies [20]. Ce texte définit le régime juridique des atteintes à la vie privée en ayant recours à des principes. Il assure d'abord une garantie aux citoyens contre les fouilles [21] et saisies disproportionnées [22] (principe de protection de la vie privée). Il introduit ensuite une dérogation en prévoyant qu'une fouille ou une saisie peut être autorisée par mandat, à condition qu'un tel mandat se fonde sur une « cause probable » [23] et qu'il définisse précisément le lieu qui peut faire l'objet d'une fouille et les personnes et choses qui peuvent être saisies. Le 4e amendement définit donc un cadre très large de protection de la vie privée et confie au juge le contrôle des procédures attentatoires à la vie privée. L'arrêt United States vs Jones montre comment la Cour suprême a pu appliquer ce régime juridique à la géolocalisation. Dans cette affaire, la surveillance par GPS du suspect avait été autorisée par un juge durant 10 jours, mais elle s'était prolongée au-delà de ce délai sans mandat. La personne poursuivie pour trafic de drogue avait été condamnée à la prison à vie en première instance, mais cette décision avait été annulée par la cour d'appel du District de Columbia, car la condamnation se fondait sur une surveillance par GPS menée sans mandat. Cette analyse a été confirmée par la Cour suprême. Celle-ci a considéré que le suspect pouvait raisonnablement s'attendre au respect de sa vie privée lors des déplacements qu'il effectuait avec son véhicule [24]. Le raisonnement opéré par la justice américaine est très proche de celui de la Cour de cassation. Il repose sur un principe de protection de la vie privée au regard des techniques probatoires intrusives et la soumission de ces techniques à l'autorisation d'un juge.
18Le Canada suit la même logique, bien qu'il ait adopté un dispositif écrit dans le Code criminel fédéral. L'article 492-1 de ce Code évoque précisément les « mandats de localisation » qui permettent l'installation de dispositifs de localisation destinés à l'obtention de renseignements utiles dans les enquêtes pénales. Ce régime juridique tient en quelques règles simples : le mandat de localisation peut être décerné par un juge de paix, s'il existe un « motif raisonnable de soupçonner qu'une infraction » a été ou sera commise. Le mandat est valable 60 jours et il est renouvelable. Le système canadien est donc légèrement plus précis que les exemples français et américains précités, mais il repose sur les mêmes éléments : l'autorisation d'un juge qui est conditionnée par l'existence d'éléments factuels de suspicion [25].
19Pour en revenir à la situation française, on pouvait estimer que la solution posée par l'arrêt de la Cour de cassation le 22 novembre 2011 était donc un peu trop générale pour être parfaitement conforme aux exigences de la CEDH [26], mais qu'elle posait les bases d'un régime juridique cohérent et simple. Elle permettait également de fixer un cadre net pour les opérations de géolocalisation en France, qui ne pouvaient se dérouler sans l'autorisation d'un juge. Les évènements qui suivirent montrèrent que le message envoyé par la Cour de cassation ne fut pas reçu par ses destinataires.
Les conséquences inattendues sur la mise en œuvre des géolocalisations
20En confirmant l'analyse faite par la cour d'appel, l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 22 novembre 2011 laissait entendre clairement que les géolocalisations réalisées durant une enquête sous le seul contrôle du ministère public étaient illicites, car elles ne bénéficiaient pas d'une autorisation juridictionnelle. Par conséquent, seul le juge d'instruction détenait le pouvoir légal d'ordonner une géolocalisation par voie de commission rogatoire.
21Étrangement, cet arrêt n'a eu aucun effet sur les pratiques policières et les géolocalisations se sont poursuivies dans l'ignorance parfaite de la décision de la Cour de cassation. En 2012, la police avait posé 5500 balises et en 2013 elle avait requis 20 000 géolocalisations de téléphones portables [27]. Les requêtes en nullités semblaient inévitables et elles conduisirent la Cour de cassation à rendre le 22 octobre 2013 deux arrêts retentissants [28], qui prolongeaient et précisaient le sens de la jurisprudence initiée en 2011. La haute juridiction affirmait très clairement que la géolocalisation constituait une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessitait qu'elle soit exécutée sous le contrôle d'un juge. Ce principe énoncé dans un chapeau emportait la nullité de la procédure de géolocalisation effectuée en enquête préliminaire (n° 13-81.949), alors que dans le même temps, la validité d'une opération similaire réalisée sur décision d'un juge d'instruction était confirmée par la haute juridiction (n° 13-81.945).
22Cette solution semblait évidente, mais elle fut reçue avec surprise et précipitation, tant dans les milieux policiers [29] qu'au ministère de la Justice. La direction des affaires criminelles et des grâces fit parvenir à l'ensemble des parquets de France une dépêche prescrivant l'interruption des mesures de géolocalisation dans l'ensemble des enquêtes menées sous la direction du procureur de la République et la saisine des chambres de l'instruction pour solliciter l'annulation des opérations de géolocalisation déjà réalisées afin éviter une contamination des procédures. Par ailleurs, un projet de loi était en préparation à la chancellerie pour mettre la France en conformité avec la jurisprudence de la CEDH. Il fut modifié au regard des exigences posées par la Cour de cassation et présenté selon la procédure accélérée.
La définition d'un cadre textuel dominé par la précision et la complexité
23Le résultat du processus législatif mené rapidement pour légaliser la procédure des géolocalisations provoque une rupture totale avec le cadre juridique défini par la Cour de cassation. La loi n° 2014-372 du 28 mars 2014 a fait l'objet de très nombreux exposés [30] et commentaires [31]. Ce texte se caractérise par un esprit de complexité poussé à son paroxysme, qui tranche avec les standards définis tant par la CEDH que par la Cour de cassation. Pour illustrer cette idée, nous choisirons quelques exemples topiques, sans dresser un inventaire linéaire de la loi.
24Le premier tient à la multiplicité des acteurs. La géolocalisation est effectuée par des enquêteurs (OPJ et APJ) sur autorisation du ministère public durant 15 jours. Passé ce délai, seul le JLD peut autoriser la poursuite de la mesure. Enfin, le pouvoir d'ordonner la géolocalisation appartient au juge d'instruction dès qu'il est saisi de l'affaire [32]. Le deuxième est lié à la durée de la mesure qui varie selon le magistrat qui l'a autorisée (15 jours, un mois ou quatre mois). Le troisième concerne la procédure d'intrusion dans un lieu pour poser la balise GPS. Le code distingue alors les « lieux privés destinés ou utilisés à l'entrepôt de véhicules, fonds, valeurs, marchandises ou matériel, ou dans un véhicule situé sur la voie publique », puis les « autres lieux privés » et enfin les « lieux d'habitation ». Pour chacun de ces lieux, les conditions de l'intrusion dépendent de l'heure, de la nature de l'enquête, de la nature de l'infraction suspectée. De plus, l'autorité compétente pour délivrer l'autorisation varie (procureur de la République, juge d'instruction, JLD) [33]. La complexité du régime de l'intrusion est portée à un tel paroxysme qu'il serait opportun de mettre à la disposition des enquêteurs un programme informatique d'aide à la décision pour prévenir les risques d'irrégularité. Enfin, pour rendre ce dispositif encore plus nébuleux, la loi aménage un régime exceptionnel d'urgence, qui permet à un OPJ de procéder à une géolocalisation sans autorisation d'un magistrat durant 24 heures. Ce régime est soumis à l'information du procureur de la République et il nécessite tout de même l'autorisation d'un magistrat dans l'hypothèse où une intrusion pour la pose de la balise GPS s'avère nécessaire. Les conditions de cette autorisation varient encore selon trois modalités différentes [34].
25La lecture du chapitre dédié à la géolocalisation dans le code de procédure pénale procure le sentiment d'une complication inutile que l'on peut expliquer par différents facteurs. D'une part, le gouvernement a voulu combiner des objectifs multiples et contradictoires. Il a tenté de se conformer à la jurisprudence de la Cour de cassation (contrôle d'un juge), de répondre aux exigences des normes européennes (l'atteinte à la vie privée doit être proportionnée à l'enjeu de l'enquête) mais également de répondre aux revendications des représentants de la police judiciaire qui invoquaient la nécessité d'agir avec rapidité et sans contrainte administrative trop lourde. D'autre part, ce régime révèle la préférence des pouvoirs publics à l'égard d'une législation technique et précise, plutôt que d'un cadre général et souple. Toutefois, le degré de précision atteint par le Code est tel, que l'exigence de clarté de la loi est devenue paradoxalement inatteignable. On constate ainsi qu'en espérant se conformer aux standards posés par la CEDH et la Cour de cassation, les pouvoirs publics s'en sont finalement écartés.
Les lacunes du cadre textuel : la lettre loin de l'esprit
26L'esprit de la jurisprudence européenne consiste à protéger la vie privée tout en autorisant des ingérences, notamment pour la recherche et la poursuite des infractions. En visant l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, la Cour de cassation s'est elle-même placée dans cet état d'esprit. En revanche, les pouvoirs publics, eux, ont tenté d'appliquer les indications de la jurisprudence à la lettre, sans tenir compte de la philosophie générale du système. Par exemple, le texte actuel sur la géolocalisation offre une protection largement lacunaire, car il ne s'applique qu'à la surveillance en temps réel [35]. Cette surveillance peut être réalisée par un suivi en direct des déplacements d'un individu ou d'un objet. Les enquêteurs peuvent alors connaître sa position et arrêter le suspect ou saisir le bien si cela s'avère nécessaire. Elle est techniquement possible par la pose d'une balise GPS, mais également par la surveillance du téléphone portable de l'individu. Par ailleurs, il existe une autre manière de géolocaliser un individu en accédant à des données a posteriori. Par exemple, les enquêteurs peuvent saisir un véhicule et demander à un expert d'extraire les données de localisation du GPS embarqué. Plus couramment, les enquêteurs peuvent saisir les téléphones portables des suspects et requérir des opérateurs de téléphonie la communication de données de géolocalisation conservées par ces opérateurs [36].
27La loi du 28 mars 2014 a exclu la géolocalisation a posteriori de son champ d'application. Cette restriction ressort très clairement de la circulaire du 1er avril 2014 qui s'appuie sur une interprétation discutable de l'arrêt du 22 novembre 2011. Selon la circulaire, les géolocalisations a posteriori peuvent être réalisées selon le régime de droit commun des réquisitions [37]. En effet, dans son arrêt du 22 novembre 2011, la Cour de cassation s'était notamment prononcée sur une géolocalisation réalisée par l'identification de « cellules activées » par des téléphones mobiles. L'opérateur de téléphonie avait dû fournir ces informations sur réquisitions des OPJ durant une enquête et la Cour de cassation avait confirmé la régularité de cette opération. Cet arrêt a été interprété comme autorisant de façon générale les géolocalisations a posteriori. En réalité, plusieurs arguments montrent que cette interprétation est erronée. D'abord la Cour de cassation n'évoque à aucun moment le régime de la géolocalisation a posteriori pour le distinguer de la géolocalisation en temps réel. Ensuite, la haute juridiction a omis - volontairement ou non - de répondre au grief de violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme qui était invoqué dans le pourvoi. Elle a simplement affirmé que les réquisitions n'entraient pas dans le champ d'application de l'article 5§3 relatif aux contrôles et à la privation de liberté. Enfin, la position de la jurisprudence a été clarifiée dans les arrêts du 22 octobre 2013 puisque la Cour de cassation énonce de façon générale que « la technique dite de “géolocalisation” constitue une ingérence dans la vie privée » (n° 13-81.949). La Cour s'attache donc à la technique elle-même et non au moment où la mesure est mise en œuvre. La géolocalisation en temps réel et celle effectuée a posteriori devraient être englobées dans un seul régime. Une telle solution serait conforme à la jurisprudence européenne. En effet, dans son arrêt Uzun, la CEDH affirme que « la surveillance du requérant par GPS ainsi que le traitement et l'utilisation des données ainsi obtenues » constituent une ingérence dans la vie privée. Peu importe que les données soient recueillies en temps réel ou a posteriori. L'ingérence résulte du fait que la position géographique et les déplacements d'un individu sont portés à la connaissance des enquêteurs. Ces informations concernent la vie privée de cet individu. Pourtant, certains auteurs ont estimé que la géolocalisation était moins intrusive lorsqu'elle était réalisée a posteriori [38]. L'argument est peu convaincant, car les données recueillies sur la vie privée de l'individu sont les mêmes. À titre de comparaison, en matière de sonorisation ou d'écoutes téléphoniques, la loi ne distingue pas si les conversations sont écoutées par les enquêteurs en temps réel ou si elles sont simplement consultées a posteriori, car le contenu de ces conversations est identique, quel que soit le moment où elles sont écoutées.
28En réalité, le gouvernement a cédé dans cette affaire à des pressions, en réduisant le champ d'application de la loi et en distinguant, là où il n'y avait pas lieu de le faire. Cette attitude est d'autant plus étonnante qu'elle a laissé un vide juridique à côté d'un trop-plein de droit. Car il s'agit bien d'un vide au regard des critères de prévisions légales posés par la CEDH. En effet, les articles du Code de procédure pénale sur les réquisitions n'évoquent à aucun moment la possibilité de localiser un individu ou un bien. La géolocalisation a posteriori sur simples réquisitions n'est donc prévue par aucun texte de droit interne. Les objectifs de prévisibilité et de clarté ne sont pas atteints et les risques de condamnation européenne demeurent.
Une autre méthode : la combinaison des modèles
29Le récit de l'élaboration chaotique du régime juridique de la géolocalisation en procédure pénale suscite plusieurs commentaires. D'abord, on constate qu'aucun des deux modèles théoriques de construction de la norme n'est pleinement satisfaisant. D'un côté, la Cour de cassation s'est fondée sur l'article 81 du code de procédure pénale pour autoriser de façon générale les géolocalisations ordonnées par le juge d'instruction. Pourtant, au regard de la jurisprudence européenne, l'article 81 est loin de présenter la précision requise pour constituer une base légale satisfaisante [39]. Le simple recours au principe visé à l'article 81 était donc insuffisant pour obtenir un brevet de conventionalité. D'un autre côté, le choix radicalement opposé de créer un régime juridique d'une telle précision et d'une telle complexité n'est pas non plus satisfaisant. Le droit de la géolocalisation perd en clarté. Il risque de provoquer des confusions dans les opérations de police et de faire émerger des contradictions de normes ou des difficultés d'interprétation.
30Pourtant, une autre voie pour légiférer était envisageable. Les critères de précision que doivent revêtir les procédures intrusives sont connus de longue date en procédure pénale, car ils ont été exposés précisément dans l'arrêt Kruslin à propos des écoutes téléphoniques [40]. La base légale doit préciser les catégories de personnes visées par la mesure, la nature des infractions pouvant y donner lieu, la durée maximale de la mesure, les conditions d'établissement des procès-verbaux qui consignent les informations collectées, les précautions destinées à protéger l'intégrité des informations et les conditions de destruction des données, notamment en cas de non-lieu ou de relaxe. Ainsi, la CEDH impose une précision qui va au-delà de la protection que peut apporter un principe aussi sommaire que celui énoncé à l'article 81 du code de procédure pénale. Mais cette précision possède des limites que le législateur a très largement franchies à propos de la géolocalisation. La position de la Cour européenne dans l'arrêt Uzun aurait dû inciter les pouvoirs publics à adopter une position plus mesurée. En effet, la juridiction strasbourgeoise a estimé que la géolocalisation était moins intrusive que les écoutes téléphoniques. Dès lors, la légalisation de la géolocalisation pouvait probablement se limiter à un contrôle juridictionnel de la mesure durant une enquête ou une instruction portant sur des infractions suffisamment graves et pour une durée limitée, mais renouvelable. Un tel régime, à mi-chemin entre le principe et les règles techniques, aurait eu le mérite de la clarté et de la simplicité, à propos d'une technique qui est certes intrusive, mais dont personne n'osera contester l'utilité probatoire dans les procédures pénales.
31En définitive, si l'on concède que l'art de légiférer en procédure pénale est loin d'être une tâche aisée, en matière de géolocalisation, les pouvoirs publics ont suivi une voie sinueuse que l'on est tenté de qualifier d'impénétrable.
Notes
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[1]
R. Gassin, Considérations sur le but de la procédure pénale, in Mel. En l'honneur de Jean Pradel, Le droit pénal à l'aube du Troisième millénaire, Cujas, 2006, p. 109.
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[2]
CEDH, 24 avr. 1990, n° 11801/85, Série A, n° 176-A, Kruslin c/ France, D. 1990. 353, note J. Pradel ; ibid. 187, chron. R. Koering-Joulin ; RFDA 1991. 101, chron. V. Berger, H. Labayle et F. Sudre ; RSC 1990. 615, obs. L.-E. Pettiti ; RTD civ. 1991. 292, obs. J. Hauser.
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[3]
En matière d'écoutes téléphoniques, C. pr. pén., art. 100 à 100-7 ; en matière de sonorisation et de fixation d'images, C. pr. pén., art. 706-96 à 706-10.
-
[4]
Pour les écoutes téléphoniques, CEDH, 24 avr. 1990 préc., et pour la sonorisation, CEDH, 31 mai 2005, n° 59842/00, Vetter c/ France, D. 2005. 2575, note P. Hennion-Jacquet ; RSC 2006. 662, chron. F. Massias, et CEDH, 20 déc. 2005, n° 71611/01, Wisse c/ France, D. 2006. 764, note D. Roets ; AJ pénal 2006. 128, obs. J.-P. Céré ; RSC 2006. 423, obs. P. Poncela ; ibid. 662, chron. F. Massias.
-
[5]
Outre les risques d'annulation, une dépêche de la chancellerie en date du 29 oct. 2013 à destination des parquets a interrompu toutes les mesures de géolocalisation diligentées dans les enquêtes de police jusqu'à l'adoption du régime légal.
-
[6]
Ces modèles transcendent la matière, mais ils s'imposent de façon révélatrice en procédure pénale.
-
[7]
C. pr. pén., art. 81.
-
[8]
Commission « Justice pénale et droits de l'homme », La mise en état des affaires pénales, Rapports, 1990, Doc. fr. Sur ces travaux, Cf. J.-Cl., art. préliminaire, fasc. 20, n° 2 s.
-
[9]
Pour ne faire ici référence qu'à l'aff. Wilson Cass., ch. réun., 31 janv. 1888, S. 1889, 1, p. 241.
-
[10]
La loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l'information dans le cadre des procédures pénales marque une nette avancée dans ce domaine.
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[11]
Sur l'étude de ce phénomène, cf. D. Thomas-Tailandier, Contribution à l'étude des dérogations en procédure pénale, thèse Aix-en-Provence, 2012, dir. G. di Marino.
-
[12]
Ce fut le cas récemment d'une procédure conforme en tous points aux exigences du Code, mais contraire au principe de loyauté de la preuve. Crim., 7 janv. 2014, n° 13-85.246, D. 2014. 407, note E. Vergès ; ibid. 264, entretien S. Detraz ; ibid. 1736, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2014. 194, obs. H. Vlamynck ; RSC 2014. 130, obs. J. Danet.
-
[13]
Par ex., le pouvoir de rechercher des preuves et le droit au respect de la vie privée.
-
[14]
CEDH, 2 sept. 2010, n° 35623/05, Uzun c/ Allemagne, D. 2011. 724, obs. S. Lavric, H. Matsopoulou, La surveillance par géolocalisation à l'épreuve de la Convention européenne des droits de l'homme ; RSC 2011. 217, obs. D. Roets, La surveillance d'un suspect par Global Positioning System et le droti au respect de la vie privée.
-
[15]
Crim., 22 nov. 2011, n° 11-84.308, D. 2011. 2937 ; ibid. 2012. 171, chron. C. Roth, A. Leprieur et M.-L. Divialle ; ibid. 2118, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2012. 293, obs. J. Lasserre Capdeville ; A. Bonnet, La licéité du recours à la surveillance par géolocalisation, JCP 2012, n° 3, 16 janv. 2012, 49 ; A. Maron, M. Maas, Est-il prévisible que le juge d'instruction ait un coup d'avance sur le législateur ?, Dr. pénal 2012, n° 1, comm. 12 ; E. Vergès, La géolocalisation, une preuve pénale licite au regard de l'article 8 de la Conv.EDH ?, RDLF 2012, chron. n° 4.
-
[16]
Qui autorise le juge à procéder à tous les actes utiles à la manifestation de la vérité.
-
[17]
De façon très générale en réalité, car l'art. 81 C. pr. pén. ne précise pas les actes de recherche de la vérité qui sont autorisés.
-
[18]
Cette décision était mentionnée au rapport de la Cour de cassation 2011 et la haute juridiction appelait le législateur à intervenir en la matière.
-
[19]
Supreme court, 10-1259 United States v. Jones (01/23/2012), http://www.supremecourt.gov/opinions/11pdf/10-1259.pdf. Cette décision est exposée dans ses grandes lignes par J. Jehl, La Cour suprême américaine, le GPS et la privacy, JCP 2012. 143.
-
[20]
« The right of the people to be secure in their persons, houses, papers, and effects, against unreasonable searches and seizures, shall not be violated, and no Warrants shall issue, but upon probable cause, supported by Oath or affirmation, and particularly describing the place to be searched, and the persons or things to be seized ».
-
[21]
Le terme américain « searches » s'entend de toutes les techniques probatoires qui constituent une intrusion dans la vie privée.
-
[22]
Excessives ou déraisonnables.
-
[23]
L'expression « probable cause » s'entend des indices permettant la suspicion et correspond aux « raisons plausibles » ou aux « indices graves et/ou concordants » du Code de procédure pénale français.
-
[24]
La formule classique utilisée par la Cour suprême est « a reasonable expection of privacy ».
-
[25]
Condition requise au États-Unis, mais pas en France au moment où s'appliquait la jurisprudence de 2011.
-
[26]
Cf. notre scepticisme exprimé au regard de la jurisprudence européenne in E. Vergès, La géolocalisation, une preuve pénale licite au regard de l'article 8 de la Conv.EDH ?, préc.
-
[27]
Chiffres exposés par le garde des Sceaux lors des débats sur l'examen du projet de loi relatif à la géolocalisation au Senat, séance du 20 janv. 2014, http://www.senat.fr/cra/s20140120/s20140120_5.html
-
[28]
Crim., 22 oct. 2013, n° 13-81.949 et n° 13-81.945. Parmi les nombreux commentaires : H. Matsopoulou, D. 2014. 115 ; D. Boccon-Gibod, RSC 2013. 847 ; A. Maron et M. Haas, Dr. pénal 2013, comm. 177 ; A. S. Chavant-Leclerc, Procédures 2013, comm. 358.
-
[29]
Cf. par ex., le communiqué du Syndicat des commissaires de la police nationale du 8 nov. 2013, http://le-scpn.fr/fr/wp-content/uploads/2013/11/43.pdf
-
[30]
Le plus détaillé et pédagogique demeure celui de la circulaire d'application du 1er avr. 2014, NOR : JUSD1407842C.
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[31]
Parmi lesquels, J. Buisson, La géolocalisation enfin prévue par une loi…, Procédures 2014. Étude 10 ; J.-P. Valat, La loi du 28 mars 2014 relative à la géolocalisation, Dr. pénal, étude 12 ; J. Pradel, Un exemple de vide législatif comblé dans l'urgence. À propos de la loi n° 2014-372 du 28 mars 2014, JCP 2014. 415.
-
[32]
C. pr. pén., art. 230-33.
-
[33]
C. pr. pén., art. 230-34.
-
[34]
C. pr. pén., art. 230-35.
-
[35]
C. pr. pén., art. 230-2.
-
[36]
Techniquement, lorsque le téléphone mobile communique avec plusieurs antennes-relais, l'opérateur peut localiser le téléphone par « bornage ».
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[37]
C. pr. pén., art. 60-1, 60-2, 77-1-1 et 77-1-2.
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[38]
A. Maron, M. Haas, La boîte de Pandore est ouverte, Dr. pénal 2013, comm. 177.
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[39]
Les condamnations de la France en matière d'écoutes téléphoniques et de sonorisations reposent toutes sur l'imperfection de l'art. 81 C. pr. pén.. CEDH, 24 avr. 1990, Kruslin c/ France ; CEDH, 31 mai 2005, Vetter c/ France, préc.
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[40]
§ 35 de l'arrêt. Ces conditions figurent également dans l'arrêt Vetter à propos des sonorisations (§ 26).